Chapitre III. L’hydrie fondue
p. 53-55
Texte intégral
1La technique et le profil de cette hydrie (n° 6; fig. 8, 15, 62 à 64, 66, 68, 69, 74) la distinguent profondément des précédentes, et poussent à des comparaisons tout autres: ce vase s’explique par sa ressemblance avec des oenochoés, également fondues, qu’on attribue à Corinthe ou à son influence. Nous avons vu (cf. p. 25) que deux hydries seulement sont, partiellement au moins, comparables à celle-ci. Celle de Trikala est martelée; son anse verticale est un kouros agenouillé, sans vrai parallèle mais nettement corinthien119 par son visage: c’est donc une variante du kouros debout de certaines oenochoés, ou de l’hydrie, corinthienne d’après son anse, trouvée à Novi Pazar (ci-dessous, p. 89 et fig. 184 et 185). L’autre hydrie qui a le profil de notre n° 6, trouvée à Ugentum, est également fondue, mais c’est, de tous les points de vue, un objet totalement aberrant. Le décor des anses de l’hydrie de Paestum, tout en permettant quelques rapprochements, est aussi, par plusieurs points, sans véritable parallèle.
2La tête de lion du haut de l’anse verticale reprend un motif bien connu; mais nous avons dit que le groupe de DIEHL (nos Β 86 à 96), « hydries avec protome de lion tournée vers l’intérieur du vase », est hétéroclite. Sur le vase de Paestum, il ne s’agit pas, comme c’est le plus souvent le cas, d’une dépouille, peau entièrement aplatie: vue de face (fig. 64), la tête garde une vigueur plastique qui l’apparente au lion de l’hydrie n° 5 (fig. 65) plus qu’à tout autre exemple. L’attache inférieure est plus étrange. Les proportions relatives des volutes et de la palmette ne sont pas habituelles; la présence et surtout l’allure des sphinx sont étonnantes. L’hydrie de Trikala a des sphinx à l’attache supérieure, à la place des lions; mais leur allure et leur visage s’accordent avec le reste de l’anse: isolés, ils seraient effectivement datés du 3e quart du VIe siècle. En revanche, leur modelé ne paraît pas adapté à leur fonction: même sur la vue d’ensemble, ici fig. 112, on voit qu’ils sont plats en-dessous, semblant prévus pour se fixer sur une surface horizontale, et non sur le rebord vertical. Il est difficile d’imaginer quelle récupération ou quel réemploi expliquerait cette anomalie120; les sphinx de l’hydrie de Paestum sont, eux, parfaitement adaptés à la courbure du vase.
3C’est leur style qui surprend. L’usure, visible sur le visage, n’explique ni le traitement de la chevelure et des oreilles, où il n’y a jamais eu le moindre détail gravé ou modelé, ni la large face aux gros yeux sans expression, au nez lourd, à la petite bouche raide.
4Le schéma des anses horizontales, avec deux avant-trains de lion opposés (fig. 74), est celui des anses à protomes de cheval que nous venons d’examiner. Le travail est plus poussé que sur certaines anses à chevaux, mais il l’est à peu près autant sur l’hydrie n° 5 de Paestum. D’autre part, compte tenu du relief très plat, le type des têtes est celui de l’anse verticale, et celui du lion de l’hydrie n° 5, par les proportions de la tête, le dessin carré du front et du mufle, le traitement de l’œil. Cette parenté entre deux vases que leur technique et leur profil distinguent entièrement est notable. Est-il logiquement plus satisfaisant de penser à un « centre » unique, utilisant des techniques et des procédés divers, avec un répertoire décoratif unique, ou faut-il plutôt postuler que des motifs se copient plus facilement, même dans le détail figuré, que des techniques, en pensant, par exemple, aux anses horizontales à demi-bobines et têtes de canard qui, laconiennes au départ, sont reprises aussi bien dans des hydries certainement corinthiennes, comme celle de Trikala et celle de Novi Pazar? C’est, pour l’interprétation historique, la question fondamentale, et il n’est peut-être pas possible d’y répondre avec certitude. Mais un rapprochement, en suggérant une origine géographique pour les deux vases, montre sans doute que la coexistence des deux vases dans le même monument de Paestum n’est pas un hasard.
5Les fragments de bronze brûlés dans l’incendie qui a détruit, en 510, en même temps que Sybaris, le sanctuaire voisin de « la Motta », à Francavilla Marittima121, comprennent deux fragments d’anses horizontales qui sont, considérés ensemble, le seul rapprochement possible à la fois pour le type de nos nos 1 à 4 et pour celui des nos 5 et 6.
L’un (fig. 75) montre encore le gros bourrelet strié qui arrêtait le ruban, comme sur l’hydrie n° 6 (fig. 74), et toute l’attache, avec deux avant-trains de bélier, avec une seule patte, repliée, et une courte palmette à 5 feuilles entre les têtes, comme sur l’anse à chevaux d’Olympie, ci-dessus, p. 50, n° 1. Les deux avant-trains sont fortement dissymétriques. Les têtes ont une petite oreille allongée et une grosse corne, un petit œil rond saillant, sans aucun détail gravé; leur allure générale est proche de celle de la seconde hydrie de Gela (p. 43 et n. 89). Long, cons.: 7,5 cm; largeur max. de l’attache: 4,6 cm; le départ du ruban, qui a fondu, est entièrement déformé.
Deux morceaux de l’autre anse sont conservés. Le ruban porte, dans l’axe, un rang de perles carrées modelées. L’un des fragments (fig. 39 et 40) conserve l’extrémité du ruban, et l’amorce déformée de l’attache. Sur le ruban, une tête de canard est l’une des plus détaillées de la série: le bronzier a modelé dans la cire la zone de l’œil et des stries qui marquent les plumes; il a gravé après fonte des stries sur le bord du bec. L. totale: 12,5 cm; largeur du ruban: 2,2 cm122. Le premier de ces deux fragments est évidemment proche des anses des hydries nos 5 et 6 de Paestum: à côté des attaches à protomes de cheval, qui ont eu un plus large succès, nous avons deux variantes, attestées chacune par un seul exemplaire, avec lions et avec béliers. Le fragment de Francavilla est de moins bonne qualité que les autres; cela ne diminue pas l’unité totale du groupe. La seconde anse est un parallèle précis aux anses horizontales des hydries à tête de femme. Le détail, très poussé, est moins habilement traité que sur les hydries de Paestum et Sala Consilina, mais il est du même ordre: parmi les très nombreuses anses à demi-bobines et têtes de canard, reprises, nous l’avons vu, dans divers centres, ce sont des exemplaires de Grande-Grèce qui montrent des têtes aussi nettement détachées du ruban de l’anse, et aussi énergiquement modelées.
6Francavilla Marittima, c’est-à-dire Sybaris, est ainsi le seul site, en dehors de Paestum, où les deux types d’hydries sont associés, et cela dans un contexte qui suggère la même date, peu avant 510. Nous reviendrons (cf. ci-dessous, p. 70) sur les conséquences qu’il est tentant de tirer de ces remarques.
7Je reproduis en même temps (fig. 166) trois anses de petite taille de la Motta, qui viennent aussi d’être publiées. Elles n’ont pas brûlé dans l’incendie de 510; leur type est, en effet, plus ancien que celui des deux fragments précédents123; elles imitent le type ancien, largement diffusé en Grande-Grèce et, à ce titre, n’apportent rien au débat.
Anse horizontale à demi-bobines de type ancien; une des demi-bobines est brisée. L.: 7,1 cm. Le décalage des surfaces d’applique des demi-bobines indique que le vase était de faible diamètre.
Anse horizontale; une des plaques d’attaches, non décorées, manque. L.: 9,6 cm. Travail particulièrement sommaire. Cette anse provient d’un vase beaucoup plus grand que la précédente.
Anse verticale, incomplète. Il reste la plus grande partie du ruban, les deux demi-bobines de l’attache inférieure et le départ d’une palmette sommaire, apparemment sans volutes.
8Il faut signaler enfin un fragment à tête de canard (fig. 210), que M.-W. STOOP (o.c., n° 121, p. 166, n° 2, et fig. 12) interprète à juste titre comme une attache d’anse de cratère à volutes, très proche d’un fragment de Dodone (Athènes, MN, Carapanos n° 382): le montage est celui des serpents des cratères de Trebenischte, dont la tête se soulève (fig. 205 à 207), ce qui est un rapprochement de plus entre les deux rives de l’Adriatique (cf. ci-dessous, p. 94).
Notes de bas de page
119 Le seul vrai parallèle à ce kouros, comme le note Verdelis, ArchEph 1953-54, I, p. 194, est le beau vase plastique attique de l’Agora d’Athènes, lui-même tout à fait isolé. Wallenstein, malgré quelques réticences dues aux traits laconiens qu’il décèle dans l’hydrie (dont il ne commente que l’anse verticale), juge le visage du kouros corinthien (p. 78 et n. 332: groupe VII/B 32, « 3e quart du VIe s. »). En réalité, ces traits « laconiens » sont ceux que les vases corinthiens ont empruntés à la série laconienne, c’est-à-dire la structure des attaches (cf. ci-dessous, p. 89). Le visage du kouros est plus large que ceux d’autres anses corinthiennes, mais cette forme est attestée à Corinthe au moins depuis le cavalier de Dodone (cf. RA 1975, p. 12: c’est le modelé et le traitement des traits du visage qui est ici un critère, et non les proportions générales de la face, qui peut être large et carrée sur des bronzes laconiens, argiens ou corinthiens (cf. aussi ci-dessous, p. 93-94, à propos de statuettes de Dodone).
120 Ce serait l’inverse de ce que suppose D.K. Hill, AJA 62, 1958, p. 194, n° 13, pour l’oenochoé de Sala Consilina. Elle pense que les lions du haut de l’anse de cette oenochoé sont faits comme ceux des anses d’hydries, alors que sur les oenochoés ils sont, comme les sphinx du vase de Trikala, en ronde bosse, et posés sur le dessus de la lèvre. Ces deux interversions symétriques paraissent un peu compliquées, d’autant plus que, dans les deux cas, l’attache inférieure s’adapte parfaitement à la courbure du vase. Pour l’oenochoé de Sala Consilina, voir les photos données par Neugebauer, RM 28-29, 1923-24, pl. 8.
121 Sur ce sanctuaire en général, voir AttiMemSocMGrecia 6-7, 1965-66, p. 7 sq.; 11-12, 1970-71, p. 9 sq.; 15-17, 1975-77, p. 7 sq. Les fragments de bronze divers viennent d’être publiée par M.W. Stoop, BABesch 55, 1980, p. 163 à 189. J’ai pu examiner et photographier ceux que je reproduis ici, au Museo Nazionale della Sibaritide, sur la suggestion de P. Zancani Montuoro. Certains bronzes de la Motta sont intacts, d’autres ont brûlé dans l’incendie de 510: ceux-ci doivent être plus récents, encore exposés en 510, alors que les autres devaient être déjà enfouis, comme le fait remarquer P. Zancani Montuoro, RendLincei 35, 1980, p. 3-4.
122 Le premier fragment est publié par M.W. Stoop, o.c., p. 167, n° 4, et fig. 13, le second ibid., p. 168, n° 5, et fig. 14 a.
123 Ces trois anses sont publiées ibid., p. 168, n° 7, fig. 14 b; p. 169, n° 8; p. 168, n° 6, fig. 15.
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