Chapitre II. L’hydrie au lion
p. 49-52
Texte intégral
1Inséparable, par son profil et sa technique, des hydries à tête de femme, l’hydrie de Paestum dont l’anse verticale a la forme d’un lion dressé (n° 5; fig. 5, 14, 59 à 61, 65, 67, 70, 154) permet, par le décor de ses anses, deux séries de rapprochements.
2Le haut de l’anse verticale montre (fig. 67) des serpents qui ne sont pas très différents de ceux de certaines anses à tête de femme pendante, où, de la même façon, la tête du serpent est soulevée au-dessus du rebord du vase, à quoi la relie une barbe mince; c’est le cas, dans la liste p. 33, de l’anse n° 5, Louvre Br 2645. Ici, le modelé des serpents est un peu plus détaillé (dépression axiale, zone des yeux détachée), mais ces serpents sont un trait « ancien », que confirme le traitement de la palmette de l’attache inférieure (fig. 61).
3Le lion (fig. 154), pour autant qu’on puisse faire la comparaison, semble plus évolué, par la souplesse de la pose. Les anses verticales en forme de lion sont rares. La seule dont la fonction soit assurée, à Delphes105, certainement plus ancienne, est d’un type exceptionnel, difficile à dater. Le lion n’a pas eu, dans cet emploi, la fortune, limitée en Grèce si on compare à la Perse, de diverses sortes de cervidés106. Mais des lions ont servi d’ornement de vases dans d’autres positions. Un fragment d’Olympie107 a la forme et le décor des éléments qui, sur le support du trépied aux cavaliers de Trebenischte (fig. 204 à 206), relient entre eux les pieds de lion. A Trebenischte, ce sont des chiens qui grimpent le long des tiges courbes; à Olympie, ce sont deux lions, la tête tournée en arrière; ils ont une crinière coupée droit en bas, une mince collerette autour de la tête, de courtes oreilles rondes dressées. La date, à en juger par la palmette, est plus haute que celle du trépied de Trebenischte108, et le type des lions n’est pas celui du vase de Paestum.
4En revanche, ce type précis, pour le modelé général, la structure de la tête et le traitement de la crinière, se retrouve dans trois exemples, avec la seule différence de la tête tournée en arrière. Les deux premiers sont des fragments isolés, dont la fonction, anse ou décor du type de Trebenischte, n’est pas assurée. Ce sont un lion d’Olympie109 et un autre, sans provenance, à Francfort110, plus évolué que celui d’Olympie mais dans sa suite immédiate, quoique la vue de face montre quelques différences de détail. Mais le rapprochement le plus important est celui qui s’impose111 avec les lions, tout à fait voisins de type et de style, qui ornent les faces latérales des anses du cratère de Vix (fig. 155 et 156). Un peu plus libres dans leur pose, un peu plus détaillés dans le traitement du corps ou des mèches, ceux-ci ne sont que des demi-figures, creuses au revers. Les ressemblances sont telles qu’il ne fait aucun doute que, dans l’ordre chronologique Olympie-Francfort-Paestum-Vix, nous avons affaire au même type, produit par le même centre dans un temps relativement court.
* * *
5Les anses latérales de la même hydrie (fig. 60 et 70) conduisent à des rapprochements plus nombreux. Le type des protomes de cheval se retrouve en effet sur un certain nombre d’anses, avec les mêmes caractères: crinière faite de bourrelets parallèles, que rappellent quelques mèches devant l’oreille dressée, tête assez allongée, où le chanfrein est bien distingué de la zone de l’œil, et jambe unique repliée. Parmi les autres exemples, cinq vases ou fragments sont importants112:
Demi-anse d’Olympie, inédite. Musée d’Olympie, Β 7490. Le genou plié touche la bouche; les deux protomes sont réunies par un élément arrondi au bout, comme sur l’hydrie de Trebenischte, n° 5 et fig. 73. Les têtes sont plus maigres que sur les autres exemplaires; le ruban de l’anse porte de simples filets.
Hydrie fragmentaire, de Cumes. Musée de Naples, inv. 86527. MonAnt 22, 1913, col. 557 et pl. 78 (E. GABRICI); DIEHL, n° Β 56. Ici, fig. 7, 17, 71, 157 et 158. Le profil, de même type général que ceux des hydries de Paestum et Sala Consilina nos 1 à 5, est un peu plus bombé que celui de l’hydrie au lion (épaule plus inclinée, passage de l’épaule à la panse plus arrondi), c’est-à-dire en principe plus ancien. Le rebord de la lèvre, mince, sans décor, a été obtenu par martelage.
L’anse verticale porte 4 filets, arrêtés en haut et en bas à un bourrelet transversal. L’attache supérieure est encadrée par deux têtes de lion au modelé assez détaillé, mais prolongées par deux appendices qui ne ressemblent pas à des pattes: c’est, avec plus de soin, le décor de l’hydrie de Paestum n° 7 et de ses parallèles de Yougoslavie (cf. fig. 95 à 99). En bas, deux crochets prolongent deux volutes grasses, qui surmontent une palmette de forme intermédiaire entre les deux types principaux. L’anse est fixée en haut par un appendice qui se glisse sous le plateau et porte deux rivets, en bas par deux rivets qui traversent les volutes.
Les anses horizontales, au ruban décoré de trois groupes de filets doubles, se terminent par des protomes de cheval (fig. 71) très voisines de celles du vase de Paestum. Les différences tiennent au modelé moins détaillé (la joue et la mâchoire inférieure ne sont pas distinguées), et à la position de la jambe, qui touche la bouche.
Haut. cons.: 34,5 cm; diam. max.: 35 cm; diam. ext. de l’embouchure: 26,3 cm; L. des anses horizontales: 17 et 17,5 cm (en ligne droite); ép. de la tôle en bas inférieure à 1 mm.Hydrie, de Rudiae. Musée de Lecce, inv. 2707. G. DELLI PONTI, I bronzi del Museo provinciale di Lecce, n° 22, pl. 15 à 17 (les dessins sont inexacts). Ici, fig. 6, 16, 72, 159, 160.
Le vase est fortement restauré; le pied est moderne; mais le profil, très proche de celui de l’hydrie au lion de Paestum, est sûr. Le rebord de la lèvre est mince, avec un filet double gravé; il a été obtenu par martelage.
Le ruban de l’anse verticale porte dans l’axe un rang de perles carrées modelées, sur les bords un filet. L’attache supérieure porte des godrons gravés irréguliers, encadrés par deux serpents très usés, qui n’étaient certainement pas détaillés. En bas, un gros bourrelet transversal est encadré par des demi-bobines dont la gorge est divisée en deux par un gros bourrelet; les joues sont lisses. En-dessous, deux volutes plates à œil saillant surmontent une palmette assez courte à 9 feuilles pointues à arête axiale.
Les anses horizontales, qui avaient le même décor du ruban que l’anse verticale, ont des attaches très proches des exemples précédents, avec quelques différences de détail. Les protomes sont plus resserrées qu’à Paestum et à Cumes; les bourrelets de la crinière sont striés transversalement (avant fonte); les genoux ne touchent pas le menton. Le modelé de la tête était plus vigoureux et plus détaillé que sur le vase de Cumes.
Haut., avec le pied moderne: 41,7 cm; diam. max.: 32 cm; diam. ext. de l’embouchure: 26 cm; L. max. des anses horizontales (mesurée en haut, les paires de protomes étant obliques): 17 et 14,5 cm.Trois anses d’une même hydrie, « du Péloponnèse ». Wien, Kunsthistorisches Museum. NEUGEBAUER, AA 1925, p. 189-190, fig. 6 et 7; FILOW, p. 57, fig. 57 et 58; DIEHL, n° Β 50.
L’anse verticale porte en haut deux lions, encadrant des godrons; à l’attache inférieure, deux crochets prolongent des volutes plates à œil saillant, qui surmontent une palmette à feuilles rondes, gravées sur un plan lisse. Les anses horizontales se terminent par des protomes de cheval qui paraissent proches de celles de l’hydrie de Cumes, par leur forme générale, avec des mèches striées transversalement.
Il est gênant de s’appuyer sur une provenance indiquée par le commerce des Antiquités, d’autant plus qu’ici elle est vague. Il reste que l’attache inférieure de l’anse verticale est bien de type péloponnésien, par le travail de la palmette uniquement gravée, et par les crochets plats à oeil saillant qui prolongent les volutes. Politis avait regroupé quelques exemples de ce type d’attache; il est probable qu’il est au départ laconien, et qu’il a été imité dans le Péloponnèse du Nord et du Nord-Ouest113.Hydrie, de Trebenischte, à Sofia. FILOW, n° 70; DIEHL, p. 16-17; WALLENSTEIN, p. 159, n° VII/C 2 (œuvres faussement attribuées à Corinthe); KARAGIORGA, ArchDelt 1964, p. 121, n° 31, et pl. 71. Ici, fig. 73 et 181 (d’après FILOW).
Ce vase se distingue très nettement des précédents, par un profil qui est celui des nos 7 à 9 de Paestum, et de leurs parallèles de Yougoslavie: cf. ci-dessous, 3e partie. Dim., d’après FILOW: haut., avec un pied qui n’appartient pas au vase: 53 cm; haut. du col: 9,2 cm; diam. ext. de l’embouchure: 12,5 cm; diam. max. du vase: 32 cm.
L’anse verticale, avec deux lions en haut, comporte en bas un Gorgoneion (fig. 181) qui est comme l’imitation maladroite, mais fidèle, de celui du bas d’anse du Fogg Art Museum, ici fig. 147. Les anses horizontales, en revanche, s’insèrent bien dans le groupe précédent, avec des variantes minimes: élément arrondi entre les protomes, comme sur le n° 1; mèche couchée sur le front, s’ajoutant à la mèche verticale habituelle.
6Le traitement des avant-trains de cheval, et la façon dont ils sont associés, donnent quelques indices sur l’origine de ces anses, et les influences subies par leurs fabricants. Le type de cheval est celui que JUCKER a étudié pour situer les protomes qui, très différemment, encadrent une tête féminine à pôlos, sur une hydrie à Pesaro114. La forme de la tête, qui gonfle le profil au-dessus d’un œil assez gros, le chanfrein allongé, le lèvre inférieure arrondie, l’oreille dressée entre deux petites mèches verticales, la crinière faite de gros bourrelets coupés en bas selon une courbe très ouverte, se retrouvent sur les protomes en ronde bosse qui surmontent les trépieds de Métaponte (fig. 161) et de Trebenischte115. Les deux couronnes, inférieure et supérieure, du premier, la couronne inférieure seule du second portent des lions couchés qui ressemblent à ceux des anses verticales des hydries. Les vaches du trépied de Métaponte le relient d’une part à un des cratères de Trebenischte, de l’autre à un bronze de Sparte (cf. ci-dessous, p. 59 et fig. 162 à 165). Pour les chevaux complets, à vrai dire assez variés, que JUCKER, Pesaro, pl. 46 à 50, rapproche de ces protomes, le plus intéressant est celui de Leonidion (sa pl. 46). Il ne mentionne pas, quoiqu’elle soit sans doute plus proche encore des protomes d’anses, une statuette de l’Amycleion116, d’un modelé très nerveux assez original; le jeu de la crinière et du haut de la tête de ce cheval est pourtant le seul qui soit exactement comparable, parmi les statuettes, à ce que montrent les anses d’hydries.
7Plus encore que pour le cheval de Leonidion, nous avons ici, comme Jucker l’avait bien vu, non pas une identité absolue, mais un lien avec des bronzes de Laconie, alors que la répartition géographique des anses donne la plus grande place à la Grande-Grèce. En tout cas, le type et le style des protomes, quoi qu’on en ait dit, ne sont pas ceux des chevaux du col du cratère de Vix (cf. chapitre IV). Les chevaux du cratère, très variés dans le détail, n’ont pas la disposition de la crinière que nous avons ici. Ils n’ont jamais non plus l’inflexion du profil qui, au-dessous de l’œil, détache le chanfrein. Leurs oreilles, couchées ou dressées, ne forment jamais, comme sur les protomes et les statuettes qui leur ressemblent vraiment, la limite, et comme le point d’accrochage des bourrelets de la crinière.
8Les anses présentent deux avant-trains dos à dos, posés à plat, chacun avec une jambe repliée. On a noté qu’un petit groupe d’objets, assez inattendus ici, présente exactement le même motif, et plusieurs fois avec un traitement voisin: il s’agit de joues de mors, qui reprennent en Grèce un schéma du Louristan; les exemplaires grecs sont peu nombreux. H.-V. Herrmann a noté117 le type laconien des protomes sur une joue de mors d’Olympie, et la provenance (Chandrinou, en Messénie) d’un autre exemplaire, qui ajoute un petit personnage entre les cous des chevaux. Ce dernier objet évoque, remarque-t-il, un ivoire d’Artémis Orthia118 que JUCKER, Pesaro, avait déjà évoqué, et qui simplifie, avec une tête entre les cous des chevaux, un motif (« Potnia Hippôn ») fréquent dans les figurines de plomb du même sanctuaire. Peut-il y avoir transmission du motif d’un type d’objet à l’autre, des mors aux hydries? Les modalités d’une filiation sont d’autant plus obscures qu’il semble que l’adoption en Grèce de ce type de mors (exemplaires de Delphes, HERRMANN, o.c., p. 17, fig. 7 et 9) soit très largement antérieure aux hydries. Il reste curieux que, une fois encore, nous soyons ramenés à des objets de Laconie.
Notes de bas de page
105 Perdrizet, FDelphes V.l, n° 395. fig. 293; Rolley, Musée de Delphes. Les bronzes, n° 38. Oubliée par Diehl.
106 Quelques exemples grecs: Rolley, FDelphes V.2, p. 190, n° 247 et n. 7.
107 Mallwitz et Herrmann, Die Funde aus Olympia, n° et pl. 80. Musée d’Olympie, inv. Β 6100.
108 O.c., p. 119: « milieu du VI e siècle ».
109 Οl. IV, n° 969.
110 Liebieghaus, inv. 441, de la coll. Furtwaengler. F. Eckstein et H. Beck, Antike Kleinkunst im Liebieghaus, p. 12; P. BOL, Liebieghaus... Fiihrer durch die Sammlungen. Antike Kunst, p. 19 et fig. 19.
111 Et qui est fait par R. Joffroy, Les sépultures à char du premier âge du fer en France, p. 96. Les photos du RGZM que je reproduis, fig. 155 et 156, ont été publiées par Joffroy, Trésors, fig. 17 et 18.
112 Je me limite au type précis que je cherche à expliquer, aussi bien pour le type de la protome que pour la structure de l’attache et son traitement plastique. Jucker, Pesaro, et Herrmann, Jdl 83, 1968, p. 2, n. 4 (cf. ci-dessous, n. 117) donnent des listes plus longues, en incluant des anses où la disposition des protomes et leur traitement, souvent en ronde bosse, sont variés. Il faut probablement ajouter à ma liste un fragment (une moitié d’attache) de Crète, exposé au musée d’Héracleion, inv. 177; il est proche de notre n° 1, d’Olympie.
113 Cf. BCH 87, 1963, p. 483-484 et fig. 28, et déjà Politis, p. 163-164, qui appelle ces anses « à volutes redoublées »; y ajouter, par exemple, Diehl n° Β 54, « d’Olympie ». Pour le fragment de Sparte, cf. ci-dessus, p. 37, n° 5. Il est intéressant qu’une de ces hydries ait été trouvée à Erétrie, comme le vase à tête de femme MN 15137; pour l’hydrie d’Aigion MN 7915, quel que soit le lieu de fabrication du corps du vase, l’anse verticale est une réparation.
114 Jucker, Pesaro, pl. 8.
115 Trépied de Métaponte, Berlin-Charlottenburg, F 768: par exemple, Lamb, pl. 45 a; Rolley, Bronzes, n° 136; détails: Jucker, Pesaro, pl. 45 et 55 (ou AK 7, 1964, pl. 3). - Trépied de Trebenischte, à Belgrade: N. Vulic, AA 1933, p. 467; Lj.B. Popovic et alii, National Museum, Beograd. Greek, Roman and Early-christian Bronzes in Yugoslavia (expo 1969), n° 32; Lj.B. Popovic. Archaic Greek Culture in the Middle Balkans, pl. 6. Sur le trépied de Trebenischte seulement, les protomes comportent une jambe repliée, comme sur les anses.
116 Athènes, MN 7645. Σ. Kapoyzoy, Mil. Schuchhardt, p. 246-247, et fig. 8 à 10.
117 H.-V. Herrmann, Frühgriechischer Pferdeschmuck vom Luristan, Jdl 83, 1968, p. 1 à 38.
118 Marangou, n° 28.
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