I- Les dernières campagnes de fouilles à Lipari : 1967-1974
p. 12-16
Texte intégral
1Le compte-rendu des fouilles exécutées entre 1948 et 1964 dans la nécropole de Lipari a été publié dans « Meligunis Lipàra II »1 Ensuite nous avons dû interrompre les recherches dans cette zone, pour intensifier les fouilles préhistoriques de l’acropole, en vue de leur imminente publication.
2Les travaux ont repris dans la nécropole en 1967, et se poursuivent encore aujourd’hui.
1) le secteur fouillé :
3La nécropole de Lipari s’étend dans le lieu-dit de Diane, à l’ouest de la ville moderne ; les nouvelles fouilles ont eu lieu presque exclusivement dans la propriété de l’évêché actuel. Nous savions depuis bien longtemps, après les sondages faits par P. Orsi en 19282 que cette zone correspondait au cœur de la nécropole ; mais jusqu’en 1967, le vignoble qui couvrait la surface de ces terres nous empêchait de faire des fouilles systématiques. On s’était limité à de petits sondages qui avaient révélé la présence des tombes sur toute la zone ouest de la propriété tandis qu’à l’est s’étendait une partie de la ville ancienne.
4La propriété de l’évêché est assez vaste, environ trois hectares. Elle est limitée au sud par la via Diana, au nord par la via Santa Lucia (ancien torrent qui descendait des plateaux), à l’est par la ville moderne et à l’ouest par le vico Diana et quelques propriétés privées. Elle est divisée en deux parties par une colonnade de direction nord-sud, au bout de laquelle se trouve l’évêché lui-même.
5Les fouilles, reprises en 1967, se sont d’abord déroulées du côté ouest de la colonnade, en partant de l’extrême sud le long de la via Diana, se déplaçant en tapis vers le nord. L’année suivante, nous avons fait des sondages à l’autre extrémité de la propriété, c’est-à-dire à l’est, le long de la limite actuelle de la ville moderne.
2) principales découvertes
a- les fortifications
6Ces sondages nous ont permis d’acquérir des données très importantes sur la topographie de la ville ancienne, dont on ne connaissait que peu de choses jusque-là3 La découverte la plus importante a été celle des fortifications grecques de la fin du IVe siècle avant J.-C. qui ont limité la ville ancienne jusqu’à l’époque romaine impériale (fig. 1).
7Cette muraille présente une structure à gros appareil très noble, en blocs équarris disposés en assises isodomes, en pierre volcanique de couleur rougeâtre provenant des carrières du Monte Rosa, c’est-à-dire du promontoire qui sépare la baie de Lipari de celle de Canneto. La taille parfaite des blocs et leur conservation sont étonnantes. La muraille a une largeur constante de 3,70 mètres. Elle est bâtie entièrement en élévation et présente donc sur ses deux faces un parement de blocs, à l’intérieur comme à l’extérieur de la ville. Le remplissage entre les deux parements est fait « à sac » en pierres sèches de moyennes dimensions, maintenues à intervalles réguliers par des brides transversales de blocs équarris.
8La partie mise au jour mesure environ 50 mètres, dans la direction nord-sud. Elle s’arrête à une tour, où a été aménagée une porte qui correspond à une des artères principales de la ville. Nous n’avons pas encore trouvé son prolongement. Peut-être changeait-elle de direction pour aller vers le nord-est du côté du port de Marina Lunga ?
9Trois ou quatre assises isodomes sont conservées sur les faces de la muraille ; seule la tour en a cinq. Les blocs de la partie supérieure du mur avaient été enlevés pour être réutilisés lorsque, après la conquête de la Sicile, les Normands avaient construit une abbaye sur l’acropole de Lipari. De nombreux vestiges en sont les témoignages autour de la cathédrale et dans le Musée. En enlevant les deux parements de bloc, il est resté le remplissage « à sac » fait de pierres sèches, qui, en dépit de la structure interne du mur, ont glissé et ont envahi les creux, ce qui pose des problèmes complexes de consolidation et de restauration.
10Parallèlement à ce mur grec, du côté extérieur, courait un mur beaucoup plus grossier, un agger plus qu’une vraie muraille, en opus incertum de pierres irrégulières sans mortier. Il peut être daté grâce à la présence de poteries du 1er siècle avant J.-C. trouvées, soit dans les lambeaux en place des deux côtés, soit dans le remplissage du mur lui-même. Il s’agissait de céramiques de types bien connus, comme la « campanienne C » et la presigillata. Ce rempart a donc été érigé à la hâte, au moment de la guerre civile entre Octavien et Sextus Pompée, guerre au cours de laquelle les îles éoliennes ont eu une grande importance stratégique. La base du nouveau mur était située à 1,50 mètre au-dessus de celle du mur grec. Ce décalage démontre une fois encore avec quelle rapidité les sols se sont accumulés dans la plaine de Diane, pendant trois siècles. Cet agger romain continuait vers le nord, bien au-delà de la tour terminale de l’enceinte grecque. Nous l’avons identifié sur toute la longueur de la propriété de l’évêché, soit environ sur cent mètres. L’agger ne semble pas posséder de vraies tours, mais son tracé est ponctué de saillies à angle droit.
11Perpendiculairement à ce mur, près de son extrémité nord, nous avons trouvé une défense, ou barrage, formée de deux ou trois séries parallèles de blocs jetés sans ordre, sans autre but que d’empêcher le torrent de Santa Lucia d’inonder la plaine de Diane et la ville romaine. Ces blocs appartenaient à des monuments plus anciens, démolis, dont on reconnaît une quantité d’éléments architecturaux. Ils ont donc été réutilisés pour la construction du barrage.
12A l’intérieur de l’enceinte grecque, les fouilles ont permis de restituer des maisons sur une étroite bande de vingt mètres seulement, car la ville moderne, qui coïncide exactement avec la ville ancienne, constitue une limite infranchissable pour nos recherches. Aussi, il n’a pas été possible de dégager des maisons entières, mais des séries de salles, ce qui ne nous permet pas de tracer un véritable plan organique des édifices.
13Néanmoins, nous avons pu reconnaître la position de deux artères parallèles dont les axes sont distants de 29,50 mètres, c’est-à-dire d’un actus (100 pieds). Les maisons dégagées ont été maintes fois reconstruites et remaniées à l’époque romaine impériale, puis à l’époque byzantine. Les plus anciennes structures retrouvées remontent au 1er siècle avant J.-C. et correspondent aux couches contenant la sigillata italique.
14A ce moment-là la ville s’arrêtait a une certaine distance de l’enceinte grecque, laissant une zone libre, un pomerium intérieur le long du mur. A l’époque suivante, cet espace a été envahi et, la plupart du temps, les constructions s’appuyaient directement contre le mur grec.
15La couche de destruction qui recouvrait le tout est datée avec certitude, grâce à des monnaies, dont une en or, de l’époque de Justinien.
b- la couche de tephra
16Sur ce niveau, ravagé par les destructions et les incendies, s’étendait uniformément une couche mince, mais très nette, de tephra blanche, fine comme de la farine. Nous l’avons retrouvée dans toute la nécropole, mais aussi dans de nombreux secteurs des îles de Lipari et de Vulcano sa voisine, et tout dernièrement à Panarea.
17La présence de cette couche de tephra est évidemment à mettre en rapport avec une nouvelle éruption de l’un des volcans de Lipari, le Monte Pelato qui occupe l’extrémité nord-est de l’île. Ce volcan a projeté l’énorme masse de pierre ponce qui, de tout temps, a été une des principales richesses de Lipari.
18On pensait que ce volcan était éteint depuis l’époque préhistorique, car aucune source historique ne parlait de son activité. Nos fouilles ont confirmé les hypothèses de nos amis les volcanologues qui ont étudié cette couche de tephra et la datent des VIIe-VIIIe siècles après J.-C.4
19Entre les fortifications et la nécropole, il devait y avoir un espace vide qu’il faudra explorer par la suite. Seuls quelques sondages nous ont permis de reconnaître la présence de structures en appareil polygonal, d’aspect assez archaïque, qui peuvent remonter à la fin du VIe ou au début du Ve siècle avant J.-C.
20Il s’agit peut-être d’un sanctuaire extra-urbain, détruit par les Romains en 251, et sur les ruines duquel ont été déposés des tombeaux à l’époque républicaine.
c- les tombeaux
21Les nouvelles fouilles de la nécropole ont permis de mettre au jour de nombreux tombeaux : de la tombe 532, on est passé à la tombe 1336. La quantité des témoignages ainsi trouvés est énorme et les collections d’archéologie classique du Musée Eolien ont plus que doublé. Malgré cela, le bilan général reste toujours celui que nous avions dressé dans la publication des premières fouilles de Meligunìs Lipàra II, mais il s’est enrichi d’une quantité non négligeable de détails. Comme nous l’avons précisé, les dates des tombeaux de la nécropole s’échelonnent sur un millénaire· Elles vont de la fondation grecque (580 av. J.-C.) à l’époque romaine impériale. Jusqu’ici, les tombeaux que nous pouvions dater du VIe siècle avant J.-C. étaient relativement peu nombreux ; de plus nous n’en avions aucun qui puisse remonter à la génération des fondateurs cnidiens.
22Au cours des nouvelles fouilles, nous avons découvert un nombre considérable de tombeaux de la deuxième moitié du VIe siècle, certains d’entre eux appartiennent à des types que nous connaissions déjà : ce sont des sarcophages construits en blocs grossièrement taillés, en pierre locale du Monte Rosa ou en briques crues couvertes de blocs semblables (fig. 2-3). La plupart des tombeaux sont d’un type nouveau. Ce sont des pithoi, disposés horizontalement dans le terrain, calés par de grosses pierres (fig. 4). Les pithoi sont toujours orientés vers le sud. Dans bien des cas, le mobilier funéraire est disposé à l’intérieur du vase sur une fine couche de gravier ; toutefois, de beaux vases ont été aussi déposés à l’extérieur des pithoi, sans aucune protection. Ces pithoi sont tous groupés dans un seul secteur de la nécropole, au nord de la propriété de l’évêché. Malheureusement, un grand nombre d’entre eux ont été détruits par un monument funéraire d’époque romaine impériale sous lequel ils se trouvaient.
23En ce qui concerne les types des tombeaux du IVe et du IIIe siècles avant J.-C., aucune modification d’importance n’est à signaler par rapport aux observations faites lors des campagnes de fouilles précédentes. Les sarcophages en briques crues, recouverts de dalles, sont parfois très bien conservés. Parmi les sarcophages lithiques, nous avons trouvé quelques exemplaires d’une finesse remarquable, ornés de moulures très élégantes, à la base et au sommet de la paroi.
24Bien que la plupart des pièces de mobiliers soit à rattacher aux classes typologiques que nous connaissions déjà, le nombre de celles qui sont d’un intérêt exceptionnel et d’une grande valeur artistique est considérable à toutes les époques.
Notes de bas de page
1 L. Bernabo Brea et M. cavalier, Meligunis Lipàra II, La necropoli greca e romana nella contrada Diana, Palermo, 1964.
2 P. Orsi, Lipari, Esplorazioni Archeologiche, Notizie degli Scavi, 1929, p. 62 sq.
3 L. Bernabò Brea, Lipari nel IV secolo a.C., Kokalos, IV, 1958, p. 119-145, pl. 47-57. Voir plus loin carte topographique de la ville grecque, pl. II.
4 J. Keller, Datierung der Obsidiane und Bimstuffe von Lipari, Neue Jahrb. Geol. Paläontol., 1970, p. 90-101.
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