La gironde spectaculaire : équipements culturels et espace public
Une approche méthodologique pour une géographie politique de l'action culturelle
p. 75-98
Texte intégral
1Le champ de la culture organisée enregistre les effets profonds de la décentralisation culturelle dans le territoire français. À l'échelle du département de la Gironde, l'analyse des politiques de développement culturel par l'instrumentalisation du champ du spectacle vivant, permet de s'interroger sur les logiques spatiales de l'action collective1.
2Ce département dans sa géographie sociale, son organisation urbaine et rurale, ses localités culturelles et ses localités politiques, place les équipements culturels dans toute leur diversité, scénique, technique, fonctionnelle, symbolique, au centre des stratégies territoriales de l'action culturelle. L'hypothèse des équipements culturels comme lieux médiaux (au sens de qui est au milieu des interactions) entre les logiques publiques de l'aménagement et les pratiques de la culture, qui associent les acteurs du champ spectaculaire et les publics constitués lors des événements spectaculaires, est ici centrale. Elle sert de fil conducteur pour tenter de découvrir quelques logiques spatiales dans les territorialités culturelles du département.
3Le champ du Spectacle Vivant est complexe et en mutation rapide. Défini comme "la rencontre entre des interprètes, un public et une œuvre artistique"2 le Spectacle Vivant est à la fois un secteur d'activité professionnalisé qui associe artistes, techniciens, administratifs, employeurs publics et privés, et un produit artistique.
4Ce champ très segmenté3, rencontre une évolution profonde de son environnement. Aux côtés des arts classiques : théâtre, musique classique, variétés, danse et cirque, de nouvelles formes apparaissent, telles que les arts de la rue, l'audiovisuel et les parcs de loisirs, tandis que persistent les incertitudes de financement de la part des politiques publiques, qu'il s'agisse de l'État ou des collectivités locales. Ces dernières ont d'ailleurs pris une place considérable dans l'organisation et les productions. Dans la dynamique de la décentralisation et face aux fragmentations sociales et spatiales, la recherche actuelle d'une meilleure cohésion sociale fait de l'action culturelle un facteur d'intégration et de réactivation de l'espace public républicain, notamment mais pas seulement, au travers des politiques de la ville.
5C'est ainsi que le gouvernement local du département de la Gironde aux côtés des autres collectivités territoriales, communes et région Aquitaine, participe à l'aménagement culturel du territoire. Il adopte une logique d'action qui vise à constituer un / des système (s) local (aux) d'animation territoriale de la culture de sortie, en participant au développement d'un réseau d'équipements de capacité sensiblement différente. Dans cette approche nous privilégions l'action collective d'un acteur public local : l'iddac. l'Institut Départemental de Développement Artistique et Culturel, missionné et subventionné par le Conseil Général de la Gironde, en tant qu'instrument et opérateur public de décentralisation et d'animation du Spectacle Vivant. Cet acteur culturel participe à la mobilisation dans l'espace local4 girondin, des ressources qui contribuent à l'action collective5 du Spectacle Vivant.
de l'espace au territoire, trois modeles
6Afin d'analyser les configurations territoriales de la décentralisation culturelle en Gironde, trois modèles d'interprétation vont être successivement utilisés. Tout d'abord un modèle géo-social de l'espace départemental qui se construit autour de la dynamique de métropolisation. En second lieu un modèle sociétal, (au sens donné par Victor Scardigli, ou de Jacques Lévy)6 qui permet d'interpréter les socialités de la vie culturelle. Enfin, un modèle d'action collective organisée propose une compréhension de la dynamique de l'espace public dans sa logique interactive en mobilisant l'activité du champ local du spectacle vivant. À partir de ces trois modèles un effort d'interprétation tentera d'éclairer les localités des pratiques territoriales dans l'espace public girondin.
La Gironde : un modèle géo-social métropolisé7
7Le cadre géographique de la vie sociale est porteur de pratiques locales spécifiques, et finalise très sensiblement les conditions de l'action culturelle. Si le contexte territorial de l'action culturelle s'inscrit dans un maillage spatial dont la trame la plus fine reste la commune, les conditions locales de la demande culturelle sont aussi déterminées à d'autres niveaux de l'espace. En effet, les modes de vie de la société locale se différencient dans leurs rapports à la culture et aux espaces spécifiques des pratiques culturelles, en fonction d'une organisation socio-géographique spécifique de l'espace départemental. L'espace couvert par le département de la Gironde est à cet égard, fortement métropolisé.
8Située au cœur du département, l'agglomération urbaine de Bordeaux construit autour d'elle une région métropolitaine attractive. Sur une population départementale totale de 1 213 499 habitants en 1990 (nous fondons notre approche sur le "portrait de zone" commandé à l'insee pour cette étude 1995 et 1996), la population urbaine avec 924 874 hab. représente 76,6 %. et la métropole bordelaise exerce une attractivité forte sur l'ensemble de l'espace départemental (le taux en est de 54,9 %). Les mouvements migratoires alternants de travail entre le centre et la périphérie s'exercent sur l'Ouest, le Sud, le centre-Est et le Nord-Est. Ainsi, la composition socio-spatiale de la population enregistre et traduit directement cette métropolisation du social girondin. Le centre métropolitain (qui correspond à la Communauté Urbaine de Bordeaux et sa couronne rurbaine), rassemble la part de population la plus jeune, (les moins de 25 ans y représentent entre 31,8 et 43,8 % du total), tandis qu'une couronne périphérique du département, ainsi que quelques quartiers centraux de Bordeaux voient s'élever les fractions les plus âgées de la population (entre 8,4 et 21,9 %).
9À ces critères d'âge, viennent se combiner des critères socioéconomiques. Le taux d'activité féminin, s'élève vers le centre (plus de 40 % et jusqu'à 70 %). Les cadres fortement représentés au centre et à l'Ouest (de 20 % à 100 %), traduisent la nette tertiarisation de classes moyennes associées au mouvement de métropolisation.
10Il en résulte une organisation spatiale de l'armature urbaine, de l'activité économique, et des dynamiques de la population, que Françoise Rollan8 a proposé de différencier en six catégories d'espaces.
- Un cœur métropolitain, et un espace de commandement économique. Cet espace est constitué par les communes de Bordeaux (cub), de La Teste, ainsi que de Libourne.
- Un poumon métropolitain constitue une trame intermédiaire (communes de 8 000 hab. sauf Arcachon) qui relie les pôles de l'espace métropolitain. Les populations périurbaines et surtout rurbaines y dominent. (Ce sont les petites villes : Entre-deux-Mers, Cubzagais, Libournais, Sud-Gironde, Médoc).
- Un espace d'approvisionnement et d'alimentation économique, assure des activités industrielles et agricoles pour le cœur métropolitain. Cet espace attire des pme, tout en connaissant une modernisation agricole. Il fixe donc des populations attirées par un mode de vie semi-rural et culturellement plus distant des pratiques de la grande ville. (Communes et petites villes entre 1 000 et 6 000 habitants.)
- Un espace de production locale se dessine de façon plus périphérique sur une couronne externe de la métropole. Constituée de petites communes tournées vers la production locale, (Carcans et Soulac, au Nord, Bernos-Beaulac au Sud, Fronsac et Branne à l'Est, en sont quelques exemples). Cette catégorie est en mutation rapide. Sous l'effet de l'intégration métropolitaine et de sa traduction rurbaine elle est en phase de transformation métropolisée. Elle gagne en population active résidente, ce qui en est un critère très net.
- Un espace rural. Il évolue vite sous l'effet des transports rapides qui l'associent à la métropole. La diffusion de l'habitat y progresse car il devient l'espace extrême du bassin d'emploi métropolitain (Cubzagais, Libournais, Bazadais.).
- Un espace rural profond correspond au dépérissement de l'espace rural non dynamisé par la métropole. Exclu du vignoble ou de l'approvisionnement métropolitain il connaît le dépérissement de la polyculture tout en maintenant une activité forestière.
11Partant de cette typologie, il est possible de proposer, en croisant les logiques démographiques et économiques de l'espace d'une part, et les localités culturelles et territoriales relatives aux cadres de vie et aux modes de vie, d'autre part, un modèle d'organisation géo-sociale de l'espace girondin (figure 1). Trois logiques spatiales construisent des formations géo-sociales différenciées. Une formation métropolitaine regroupe Bordeaux et ses couronnes périphériques qui correspondent aux communes d'agglomération et aux communes péri-urbaines. Une région métropolitaine se constitue à partir de l'agglomération du "Bassin d'Arcachon" jusqu'au Libournais en se cimentant par la rurbanisation des communes intermédiaires de l'Entre-deux-Mers ou des Landes girondines9. En troisième lieu une périphérie rurale et de petites villes ceinture le reste de l'espace départemental. Ces trois types d'espaces se construisent sur une double opposition qui affine le modèle. À la Gironde urbaine et périurbaine, s'oppose la Gironde ruralo-rurbaine et rurale des "Pays", tandis qu'à la Gironde "atlantique" s'oppose la Gironde "intérieure". Avec ce modèle géo-social il est possible de mieux approcher les contextes localisés qui vont marquer l'action territoriale des acteurs publics et des pratiques culturelles.
Pratiques culturelles : différenciation et changement sociétal
12La logique de métropolisation plus généralement, renvoie à deux configurations de la société. D'une part à une matérialité concrétisée par la spatialité fonctionnelle de la ville et de son agglomération. D'autre part, d'une façon plus profonde, à une constitution urbanisée des modes de vie de la société, en relation avec une dynamique générale des sociétés industrialisées qui poursuivent leur processus de modernité et d'individualisation. La mobilité, la vitesse de déplacement de l'information, la constitution de l'activité en réseaux, la logique plus générale de mise en scène spectaculaire de l'activité sociale et collective, en sont des indicateurs. Il se réalise avec la métropolisation une manifestation de la postmodernité au travers de socialités plus diversifiées dans leurs territorialités car plus identificatrices, et qu'il est possible de qualifier de néo-tribales10.
Figure 1 - Le modèle géo-social de l'espace girondin

13L'espace social de la métropolisation a enregistré depuis vingt ans les changements profonds des pratiques culturelles. Ces changements ont accompagné la nouvelle géographie du social. Dans cette transformation le fait social central qui relie métropolisation et changement culturel des pratiques, réside dans l'émergence socio-spatiale de cette "population protéiforme"11, celle des classes moyennes, population hétérogène et tertiarisée, qui sous-tend les nouveaux comportements culturels. Ces classes moyennes métropolisées ont "imposé leur vision et leurs modes de consommation de la culture à l'ensemble du corps social". Cette substitution culturelle s'est opérée en recouvrement partiel et progressif des quatre formes anciennes de culture de la société pré-métropolisée : la culture bourgeoise cultivée de grande ville et de notable, la culture petite-bourgeoise, la culture paysanne, et la culture ouvrière.
14Les pratiques culturelles dans l'espace girondin ont enregistré ce changement du rapport entre l'espace social et l'espace local. En passant de sa phase d'urbanisation à la métropolisation, la société a recomposé ses pratiques culturelles autour de nouveaux patterns de territorialité. Une schématisation rend compte de cette évolution (figure 2). Un axe horizontal décrit le changement sociétal avec le passage de la société dualiste qui opposait les modes de vie ruraux à la vie urbaine dans les années 1950, à la société en voie d'urbanisation. Sa logique rapide d'intégration par la consommation correspondait aux années 1960-1980. Depuis, la société d'acteurs plus atomistique et individualiste et ses logiques de groupes plus tribalisés et culturellement plus identitaires, s'accomplit dans le contexte métropolisé actuel. L'axe vertical correspond à la différenciation des pratiques de la culture de sortie, ellesmêmes en rapport avec les habitus culturels des groupes sociaux ; ainsi, à la hiérarchie distinctive des classes, se substitue partiellement le modèle consumériste de la société urbanisée (l'essor de la culture de masse). À ce dernier se combine et / ou succède le modèle de la culture identitaire. Ces deux logiques sont impliquées dans les pratiques du champ culturel girondin, tant au niveau des acteurs individuels, que des groupes ou des acteurs publics.
15Aux pratiques culturelles de sortie traditionnelles qui distinguaient la hiérarchie de classe ont succédé les spectacles "grand public". La distinction traditionnelle entre spectacles populaires et élitistes marquait la société en voie d'industrialisation. L'urbanisation et sa socialité, se sont accompagnées de la préférence pour la musique de variété, la danse, le patinage artistique, le théâtre de boulevard, ou encore le cirque comme art encore très populaire des années 1960. Théâtre, danse et cirque se produisaient dans les principales agglomérations urbaines et dans les petites villes du monde rural girondin, l'opérette ou l'opéra donnaient lieu à des déplacements vers Bordeaux. Le Mai Musical bordelais représentait alors une sortie plus élitiste dans le rapport direct aux œuvres. Le socio-culturel et socio-éducatif12 se réservaient les spectacles dits de musique de jeunes, dans les foyers sociaux (Bellegrave à Pessac, Le grand Parc, l'Hermitage au Bouscat, le centre culturel de Saint-Médard), le jazz se confinant à quelques cénacles bordelais et quelques programmations dans les salles de Bordeaux (Le Fémina et le Français), tandis que le Festival sigma sous l'impulsion de Roger Lafosse bousculait les conventions culturelles bordelaises en ouvrant un espace à partir de 1965 à l'innovation et l'aventure post-moderniste de la culture spectaculaire.(Pink Floyd, Magma de Ch. Vanders y furent programmés à leurs tout débuts dans des salles de cinéma bordelaises.)13.
Figure 2 - Changement sociétal et différenciation des modes de vie

16Depuis les années 1980-1990 l'essor des productions spectaculaires des concerts de musique amplifiée, les festivals d'art du spectacle contemporain, les arts de la rue, font alterner les pratiques culturelles saisonnières et la fréquentation des spectacles estivaux dont l'Eté Girondin ou les Chemins d'Aquitaine sont des manifestations coorganisées très représentatives. À une Gironde de la saison automne-hiver, centrée sur une pratique par abonnements et fondée sur la régularité des pratiques locales, succède en été une Gironde de l'itinérance culturelle. Ce nouvel espace des pratiques culturelles du spectacle se recompose autour de manifestations festives et festivalières, à l'occasion de sorties culturelles soit populaires telle l'assistance à un spectacle historique ou bien plus averties comme le déplacement sur les sites produisant un grand nom du blues ou du jazz.
17À ces pratiques de pure disposition culturelle se combinent en les structurant dans le temps saisonnier et dans les géosocialités, les actions publiques et associatives de développement culturel. Elles renvoient directement aux logiques organisatrices de la production culturelle générées par le champ culturel girondin.
18Ce modèle de changement sociétal saisit donc la diversification des demandes et des pratiques autour d'une spectacularisation des rapports imaginaires à la culture.
Le champ local : un modèle d'action collective
19L'approche de l'activité culturelle relative au Spectacle Vivant, conduit à prendre en compte autour de l'iddac tout un système décentralisé d'acteurs locaux du département. C'est à partir de trois espaces constituant le champ culturel local, qu'un modèle d'action est proposable. Le champ artistique et professionnel constitue un premier espace social de l'action. Le monde associatif permet d'articuler ce champ artistique à l'espace social et aux localités sociétales. Il constitue donc un second espace de l'action. L'espace public, au sens institutionnel, et au sens plus concret de l'espace de la vie publique localisée et des territoires d'action du pouvoir local et des systèmes politiques locaux constitue le troisième espace dans la construction du modèle d'action (figure 3).
20Dans le cas du spectacle vivant, une première difficulté à son propos tient à l'emploi délicat de la notion de champ. Le champ renvoie en sociologie, notamment lorsque Pierre Bourdieu l'emploie, à une économie des pratiques et à l'activité d'une partie de l'espace social relativement autonome dans ses rapports structuraux.14 Or dans l'univers du spectacle vivant, le champ se trouve très segmenté et hétérogène dans ses structures d'activité et le statut des acteurs. Il faudrait plutôt parler de quasi-champs par genre artistique. Le théâtre, la musique, la danse et les variétés, constituant les genres établis et institutionnalisés. Le cirque, les arts de la rue, ou les cabarets représentent des formes plus périphériques.
21C'est cette hétérogénéité que tente de mettre en logique d'action collective l'iddac. Toutefois la nature du spectacle vivant n'est pas simple. Sans être totalement un service public "en second", le spectacle vivant est largement dépendant du financement public, et donc de ou des politiques culturelles suivies. Sa mutation en tant que secteur patrimonial, mais archaïque dans ses structures, est au cœur de l'action collective. C'est une des clés du rapport entre le champ artistique et l'espace public (figure 3). Le Spectacle Vivant est en effet confronté, d'une part à une inévitable restriction budgétaire qui s'efforce d'enrayer à tous les niveaux la dérive inflationniste des subventions, d'autre part, au mouvement irrésistible de la spectacularisation de masse. La musique amplifiée de variété, l'essor des festivals, du "star-system", le gigantisme des productions les plus populaires et donc culturellement glissant vers le plus spectaculaire, les nouvelles pratiques culturelles estivales, sont quelques-uns des facteurs majeurs de la mutation inévitable qui est actuellement entreprise.
Figure 3 - Le champ local territorial du spectacle vivant modèle théorique

Les quatre logiques du champ
22En se fondant sur l'étude récente du Spectacle Vivant, conduite dans le cadre du Contrat d'études prospectives15, il est possible de retenir quatre logiques qui structurent le champ local de cette activité.
- Une logique artistique qui confère la cohérence professionnelle et culturelle au champ malgré la diversité des statuts, professionnels ou amateurs, et l'implication des acteurs d'autres champs, politiques et administratifs, économiques, universitaires, etc.
- Une logique économique sous-tend la production artistique et implique une économie concrète (coûts, financements croisés, investissements en équipements, locations).
- Une logique institutionnelle renvoie à la prise en compte du spectacle vivant au sein des politiques de la culture et des missions assignées à l'action culturelle : développement, cohésion sociale, formation et sensibilisation notamment. Elle suppose l'existence d'un pouvoir culturel au cœur du champ en relation directe avec celui de la décision politique, locale et nationale.
- Enfin une logique proprement professionnelle ou de corporation au sens noble, et qui renvoie aux actions publiques en faveur de la formation, de la professionnalisation et de l'emploi. Elle concerne un marché du travail très spécifique, ne serait-ce que par le statut de l'intermittence et par la logique des subventionnements publics. Ce champ est donc une ressource majeure à dynamiser par l'action collective.
Les trois espaces du modèle d'action16
23Cette action collective se construit par la mise en dynamique des trois espaces ; l'artistique, l'associatif et le public. Ces trois espaces qui exigeraient une analyse spécifique, peuvent néanmoins faire l'objet d'une prise en compte dans une double logique qui traduit la dynamique du système local d'action à l'œuvre dans la promotion sociale du spectacle vivant.
24Ces logiques constitutives du système d'action sont d'une part, une logique de développement artistique et culturel, et d'autre part, une logique d'équipement et d'aménagement culturel du territoire (figure 4). Cette action collective dynamise les ressources et les acteurs autour de stratégies collectives qui visent à promouvoir la vie artistique par les pratiques culturelles de sortie et de sensibilisation, tout en conduisant une politique d'aménagement culturel du territoire au travers de la logique d'équipement local. Deux axes structurant le système local d'action sont donc à privilégier. L'axe de la logique d'action artistique et culturelle qui marque les choix sur le marché de la création et de la production, en termes de diffusion et / ou de sensibilisation par les acteurs organisateurs. C'est notamment le cas en Gironde des contrats entre l'iddac et ses partenaires locaux associatifs ou municipaux. L'action d'équipement est pour sa part conduite conjointement ou successivement par la logique de la décentralisation du pouvoir culturel et de l'action publique. C'est donc à partir des logiques spécifiques de l'espace public et de ses champs constitutifs (institutionnels, partisans, et territoriaux au travers des politiques publiques suivies,) que se construit le second axe. Il structure l'action collective d'équipement et la recherche de cohérence dans la stratégie d'aménagement culturel dans le discours sur le développement culturel et dans les stratégies d'équipement. Ce modèle d'action permet de décrire les modalités d'inscription de ces champs dans l'espace géo-social girondin. Il sera ici appliqué à l'action d'un acteur intermédiaire des champs : l'iddac.
L'action exemplaire d'un animateur territorial de la culture : l'iddac
25Dans la logique décentralisatrice de l'action publique, l'iddac se présente comme un opérateur public d'animation de la politique territoriale culturelle du département. Cet Institut départemental est une association localisée sur le site culturel municipal du Théâtre de Gironde de Saint Médard-en-Jalles et à ce titre subventionnée par la municipalité de Saint-Médard par le Conseil Général de la Gironde, mais également par le Conseil Régional d'Aquitaine et le ministère de la Culture et donc la drac Aquitaine. C'est à l'initiative du Conseil Général qu'en 1991 l'iddac a été créé par la fusion de deux organismes : le Centre d'Action Culturelle de Saint-Médard, et le Conseil Départemental de la Culture.
26L'iddac opère donc distinctement dans le territoire départemental. En tant que diffuseur et programmateur d'une saison de spectacle vivant, c'est sa mission d'organisateur-producteur et promoteur d'un équipement culturel polyvalent important dans la couronne des villes d'agglomération bordelaise : le Théâtre de Gironde. Musique, théâtre, danse et notamment le festival "Tendances" qui constitue un des événements chorégraphiques de la saison girondine, sont les arts spectaculaires programmés chaque saison. Une seconde mission incombe à l'iddac, celle de la co-organisation et de la participation à la décentralisation culturelle. Il propose donc aux associations artistiques et aux communes ou aux groupements intercommunaux une assistance aux projets artistiques et à l'organisation de spectacles. Lors de la signature du contrat entre le créateur et l'organisateur, l'iddac troisième partenaire, peut proposer une aide conduite avec l'intervention de la Régie décentralisation-aide technique, elle-même missionnée au sein de l'iddac par le Conseil Général, sous la forme de prêt de matériel scénique. Des conseillers techniques ou artistiques sont également proposés, ainsi que des actions de sensibilisation et de formation artistique ou techniques. Des clauses particulières sont ajoutées pour les "zones rurales et urbaines défavorisées".
27Dans cette perspective, l'iddac recherche la constitution d'un réseau d'action locale au travers du département, en associant les logiques de diffusion, de co-organisation et de sensibilisation, de formation artistique en direction des publics et des associations, mais aussi une logique plus délicate d'animation du champ artistique local, et de soutien aux spectacles et associations artistiques de proximité. L'iddac cherche donc à se situer à l'articulation des trois espaces principaux du système d'action collective. Une analyse de la saison 1995-1996 en précise la position d'opérateur public animateur (figure 4).
28En proposant ici une construction empirique de modèles interprétatifs des liens entre équipements culturels et espace public, on tente de déplacer l'observation sur la problématique de l'action collective localisée et donc de sortir d'un cadre assez traditionnel dans l'analyse de l'activité culturelle, celui de l'offre et de la demande, de l'organisation et des "publics".
Figure 4 - Le réseau de co-organisation de l'iddac (1995-1996)

29Toutefois il faut garder présent à l'esprit que ces modèles appréhendent l'action collective territoriale dans l'enchevêtrement des différentes rationalités, avec chacune leurs logiques récitatives (au sens de Lucien Sfez17), leurs propres "réels d'action", sans chercher à s'organiser rationnellement en système territorial départemental pour répondre à l'identification précise d'un problème d'aménagement culturel. La mise en forme possible de l'action collective se construit à partir de ces indéterminations et dans la sollicitation et la mobilisation d'acteurs sociaux aux "raisons territoriales" parfois divergentes.
équipements et localités territoriales du spectacle vivant en gironde
30L'action publique décentralisée confère aux acteurs publics locaux une double capacité à produire du territoire administré. D'une part, plus d'autonomie dans l'action locale, et à ce titre la "municipalisation" de la culture est une impulsion originale et assez nouvelle dans sa généralisation. D'autre part, un partenariat local produit aussi une impulsion autour des logiques locales de "coopération". Ces nouveaux territoires s'organisent autour d'un schéma qui correspond à un "modèle national", analysé par René Rizzardo.18 Toutefois il convient d'envisager dans le contexte girondin les spécificités qui nuancent le modèle d'ensemble. La logique de l'équipement culturel local traduit les hésitations, les retards entre espaces publics, et les écarts géographiques d'aménagement de la décentralisation culturelle.
L'espace public culturel décentralisé
Le modèle national : coopération et pouvoirs locaux aménageurs
31Les villes, grandes, moyennes et petites, élaborent dans le cadre de la décentralisation des politiques d'action publique culturelle. C'est une véritable recomposition territoriale dont Guy Saez19 saisit les logiques interdépendantes autour de nouvelles représentations de l'action publique. Ni compétition "effrénée" entre les collectivités territoriales, ni compétences clairement délimitées, la décentralisation a laissé émerger un espace polycentrique des politiques publiques. À cet égard les villes ont placé la culture au centre des choix de la rénovation et de l'animation, dans une logique d'aménagement par les équipements culturels, et dans une logique de développement social autour de projets locaux institutionnels ou plus éphémères. (services culturels, manifestations plus ou moins régulières).
32Si le contexte territorial des politiques publiques culturelles est encore dans une période transitoire, il en émerge cependant progressivement un schéma dominant. Les politiques publiques intègrent plusieurs niveaux territoriaux, comme espaces d'action et d'appropriation négociée de ces politiques. Guy Saez et René Rizzardo, proposent des lectures convergentes sur cette volonté de l'État, d'initier ce que Jacques Donzelot a nommé L'État animateur20. La logique de coopération est en fait cette "pédagogie" (qui est une méthodologie de l'action) de la responsabilité (Guy Saez) qui s'élabore entre la déconcentration de l'État et les collectivités territoriales. Cette action est présentable comme un système de coopération régulant et mobilisant les acteurs. Au travers de cette interdépendance, la gouvernance de coopération se traduit par la capacité à la mobilisation transversale des acteurs extra-locaux.
33Un schéma territorial est présentable à partir des analyses de René Rizzardo. Ce dernier constate, d'une part une coopération insuffisante entre les collectivités territoriales, freinées par des facteurs tels que les disparités de taille et d'équipements, l'avance importante, acquise par les villes, les déséquilibres démographiques ville campagne, la diversité des territoires locaux culturels et historiques, le rattrapage rapide des villes de banlieue, ou encore le poids déterminant de Paris. Il estime d'autre part, que le réseau d'équipements culturels (qui fut la première réponse publique) et qui a doté l'espace de ressources notables n'est pas une condition suffisante pour constituer une véritable trame territoriale.
34Ce schéma coopératif hiérarchisé propose une configuration générale d'aménagement du territoire. Il s'agit d'une configuration territoriale qui laisse la place à l'innovation et au pragmatisme pour réduire la fragilisation du secteur du Spectacle Vivant, dont l'hétérogénéité le fait qualifier par Alain Busson et Yves Evrard21 de secteur pré-capitaliste. Ce polycentrisme décisionnel régulé par la coopération fonctionne-t-il au niveau départemental ? En fait, dans un territoire tel que la Gironde, les choses apparaissent beaucoup plus nuancées.
Les localités publiques de l'équipement culturel du spectacle en Gironde
35La dynamique de métropolisation girondine permet de mieux comprendre les modifications locales survenues dans la réalisation des équipements culturels du département depuis près de quinze ans. Le territoire départemental est passé en vingt-cinq ans par trois âges de l'aménagement qui ont vu se combiner dans l'espace girondin les logiques d'équipement aux logiques du changement sociétal et de la progressive métropolisation.
36Le premier âge fut celui de la centralisation. La ville de Bordeaux exerçait son attraction culturelle et sa domination sur les espaces périphériques. Ces derniers marqués par un sous-équipement culturel étaient valorisés par la grande ville régionale pour leurs sites patrimoniaux (châteaux, églises) lors du Mai Musical pour l'essentiel. La politique de déconcentration culturelle avait consolidé le poids de la métropole bordelaise par les politiques contractuelles entre État et ville : maisons de la culture, établissement d'action culturelle (l'ancien cac de Saint-Médard-en-Jalles site du Théâtre de Gironde et de l'actuel iddac.) création de scènes et théâtres nationaux, de l'orchestre régional,22 pour s'en tenir au domaine du spectacle vivant.
37Le second âge fut décentralisateur après 1982. Les municipalités et les collectivités locales sont rentrées dans une logique d'équipement culturel qui s'est traduite par un éclatement des sites dans le département, et la recherche accrue de partenariat et de financements. L'équipement culturel (le plus souvent un centre culturel doté d'une salle de spectacle comme Les Colonnes de Blanquefort, ou une salle de spectacle polyvalente du type de La Médoquine de Talence. Cette période a correspondu à une recherche de municipalisation de la culture marquant un véritable cycle d'équipement. D'abord dans les communes de la périphérie bordelaise, les grandes communes d'agglomération dont Mérignac et le centre du Pin Galant, sont l'exemple le plus frappant, mais également dans les communes de l'aire métropolisée et dont le centre de la Coupole à Saint-Loubès entre Libourne et Bordeaux est un bon exemple. Le monde semi-rural des "pays" girondins s'est diversement doté d'équipements récents, mais la tendance y fut nette également. Les récents achèvements de la salle du Champ de Foire à Saint-André-de-Cubzac ou de la salle polyvalente de Biganos, confirment la tendance générale de l'aménagement culturel communal et le lien entre le changement sociétal et les pratiques culturelles localisées sous influence de la métropolisation.
38Le troisième âge, l'actuel, est celui de la décentralisation au concret, celui au travers duquel se dessinent deux logiques de l'action publique locale.
Figure 5 - Les logiques de l'action publique d'équipement culturel local

- Une logique d'autonomie est fondée sur la valorisation des équipements et la promotion locale d'une médiation culturelle forte entre offre spectaculaire (associant les "tourneurs" de la diffusion de spectacle grand public), et les offices culturels municipaux. Cette logique anime des communes bien dotées en capacités fiscales et en publics fidélisés par les réseaux médiatiques locaux et nationaux. Bordeaux qui domine l'offre et quelques communes qui se sont culturellement spécialisées dans la diffusion "grand public" pour l'essentiel (Mérignac, Saint-Loubès).
- La seconde logique peut être qualifiée de coopérative. Elle tente de compenser les écarts soulignés par René Rizzardo23 entre les supports en équipements urbains hérités à la fois de l'âge centralisé et de celui du contrat avec l'État de la période décentralisatrice qui lui a succédé, et les déficits des banlieues ou des espaces ruraux. Ces derniers sont aujourd'hui repris dans les dynamiques rurbaines et la réinvention du "pays".
39C'est dans cette double logique que se construisent les systèmes d'action culturelle impliquant des acteurs des trois champs principaux de notre modèle : acteurs publics, acteurs associatifs culturels et acteurs professionnels de la culture.
Les équipements culturels : lieux médiaux des systèmes d'action de la culture spectaculaire
40Entre ces deux logiques d'action, la décentralisation conduit les acteurs institutionnels du territoire à promouvoir du système cohérent de coopération relative. C'est autour de l'action départementale de l'iddac et du Conseil Général qu'il est possible, entre pôle et réseau, de comprendre quelques effets intégrateurs de l'équipement des espaces culturels localisés.
Équipements polarisants et stratégie localiste de l'action culturelle
41Ces équipements culturels correspondent à des salles de spectacles récentes ou rénovées, associées ou non à un centre culturel, comme aux Colonnes à Blanquefort, ou l'Hermitage-Compostelle du Bouscat. Ils sont la traduction dans l'espace des pratiques culturelles locales des actions de progressive municipalisation de la culture24. Ce processus a suivi une logique d'intégration progressive des acteurs dans l'espace public local, et le schéma en a été proposé par Richard Balme pour la périphérie bordelaise. Les anciennes banlieues et communes externes à la ville ont connu une forte expansion démographique dans les années soixante et soixante-dix. Elles ont été massivement habitées par les catégories sociales moyennes en habitat collectif et lotissements et des catégories plus défavorisées, logées dans les zup. Entre 1980 et 1990 ces communes se sont dotées d'équipements culturels importants et leurs municipalités ont développé des politiques volontaristes de la culture. Richard Balme a mis en relief les séquences de ce développement. D'abord une phase purement associative de l'activité d'animation culturelle dominée par le bénévolat et l'amateurisme, puis un lien municipal s'opère par le biais d'associations socio-culturelles suivies de la création d'offices municipaux qui deviennent le relais de l'action municipale. Intervient ensuite la professionnalisation du champ culturel local avec la réalisation d'équipements et l'intégration dans les réseaux de la diffusion.
42Dans la Gironde des "pays" de l'intérieur cette logique se fait sentir du Nord à l'Est et au Sud-Gironde par la production conjointe d'une politique équipementale et d'une intégration localiste de l'associativité culturelle. Cette finalisation de la culture de sortie spectaculaire, instrumentalise l'équipement soit en régie ou gestion directe par un office culturel municipal (Sainte-Foy, Saint-André-de-Cubzac, Castillon-la-Bataille, Pauillac,) soit dans un partenariat avec une association gestionnaire (c'est le cas pour la salle polyvalente de Biganos avec l'association culturelle Boïenne, cette logique pouvant se retrouver plus renforcée à Blanquefort avec la fédération communale d'associations, l'abc , d'où est issue l'association gestionnaire culturelle locale l'elac du théâtre missionné "Les Colonnes". C'est aussi le cas de l'iddac avec le "Théâtre de Gironde".
43Autour de l'équipement (figure 6), l'articulation des espaces culturels publics et associatifs produit une territorialité porteuse d'identité locale par les occasions de sortie, les formes associatives de participation, et par les actions de sensibilisation que peuvent soutenir les collectivités locales (scolaires, jeunes publics aux Colonnes ou à Canéjan au centre culturel Simone Signoret). L'équipement devient un lieu médial qui participe au renforcement des territorialités sociales locales. L'essor des équipements culturels de Sainte-Foy-La-Grande se réalise dans ce sens avec l'espace culturel Elie Faure, un foirail, (la place du marché peut devenir en mars et mai une rue festive, comme c'est aussi le cas à Bazas) un cinéma d'art et d'essai, un musée du pays foyen, et un salle de spectacle en cours d'aménagement. Le patrimoine urbain de la cité historique, ici une bastide du xiiie siècle, devient par renforcement d'image culturelle une structure anthropologique de l'imaginaire spatial local qui porte la mémoire de ses hommes célèbres (Léonce Faure, Paul Broca, et Elie et Elisée Reclus). Le même processus est à l'œuvre à Bazas, mais sans l'impulsion d'une politique culturelle.25
44Cette stratégie localiste se combine à des degrés divers aux logiques de coopération de l'équipement. Dans les cas d'autonomie plus prononcée, (Saint-Loubès, Arcachon avec les salles de l'Olympia et du Palatium, Libourne et le Libournia) se fait sentir, comme ce fut le cas dans les communes de l'agglomération bordelaise, un effet géographique majeur. Pris dans une logique de rentabilisation et de valorisation politique de l'instrument équipemental, l'espace public fait intervenir le monde professionnel de la diffusion de spectacles (la logique du catalogue26). L'offre spectaculaire voit alors dominer dans les programmations la culture "Grand public", et partant intègrent l'équipement dans les logiques géo-sociales de la métropolisation. Du Bassin et du Médoc atlantique où dominent les musiques modernes populaires et identificatrices de publics jeunes (festivals de Jazz, ou musiques de variété) au Cubzagais qui avec la salle du Champ de foire opte pour la diversité et la qualité, c'est bien, en passant par la diffusion de variétés à la Coupole de Saint-Loubès, la métropolisation de la société et de ses pratiques spatiales qui se renforce (figure 7). Réciproquement la métropolisation de l'espace géo-social renforce la demande des publics vers les spectacles de variété et de diffusion "grand public" ce qui limite la part de spectacles plus culturels au sens du développement social. La polyvalence est alors tentée entre la diffusion de masse consumériste obtenue auprès des tourneurs nationaux et la coopération avec les opérateurs territoriaux de la culture dont l'iddac pour intégrer dans les programmations des spectacles de plus grande portée culturelle. C'est la politique suivie à Libourne ou Saint-André-de-Cubzac, par exemple.
Figure 6 - Une action en réseau de co-organisation

Une action en réseau de co-organisation
Le réseau « Passerelle » ; organisé autour de la diffusion du spectacle « TOILE » le 15/10/95. « CIRQUE PLUME » spectacle soutenu par une commande d’Etat.
Exemple de coopération territoriale en schéma de réseau, entre collectivités locales, offices et sites municipaux, et mouvement associatif.

Équipement réticulant et opérateurs associatifs
45Si la logique de polarisation peut sans trop de difficulté s'affirmer dans une ville en lien avec une politique culturelle, la logique de réseau est coopérative. Elle se construit à la rencontre de la mission de développement culturel et d'un partenariat culturel local, public, privé ou associatif. Son système participatif s'élargit du réseau local, au départemental. Ces cas de figure reposent à la fois sur un déficit équipemental et sur une présence associative forte, qui ancre localement une action culturelle et constitue une ressource de participation qu'un opérateur public tel que l'iddac peut envisager alors de dynamiser.
46L'opérateur associatif peut être de nature différente. Soit un organisateur local qui se rencontre fréquemment dans les espaces rurbains et ruraux : (Sivom d'Ambarès aalc , Association d'Animation des Landes de Gascogne en sud-Gironde, le bact de Bazas, Carrefour des arts à Latresne, Facette-Passion des arts- crac qui fédère des associations de l'Entre-deux-Mers). Soit un organisateur diffuseur qui agit sur des sites dispersés du département des communes ou de la Région, généralement en co-organisation. C'est en partie seulement le cas de L' iddac . C'est clairement le cas de Musique de nuit diffusion, opérateur à financement mixte, qui a évolué vers la finalité de service public en privilégiant la diffusion du jazz (raison d'être originelle de cette association) et qui s'implique dans les politiques de la ville aux côtés de l'État animateur en participant au collectif "Culture et Banlieue", et en organisant entre autre le Festival des Hauts de Garonne ; cet opérateur recherche le développement culturel par la co-organisation avec les réseaux locaux publics et associatifs qui lui assurent les accès aux sites de spectacle.
47Une autre logique réticulaire se met au service des opérateurs publics ou associatifs locaux avec l'action de conseil technique et de prêt d'équipement du service Régie Décentralisation-Aide Technique qui agit pour le compte du service culturel du Conseil Général, et de L'iddac par croisement des missions. Ce parc de prêt intervient actuellement sur la périphérie bordelaise, (il a passé environ 270 contrats de prêt pour la saison 1995-96). et souhaiterait se délocaliser davantage auprès des opérateurs ruraux et rurbains, en dehors de son partenariat actuel qui intervient surtout durant l'été girondin. Il est avec l'iddac l'autre importante dynamisation culturelle du territoire contrôlé par le Conseil Général. Il apparaît que l'équipement technique sur lequel repose toute manifestation spectaculaire (scène, sécurité des sites, conseil et formation technique de personnels du spectacle) est un fondement de l'aménagement culturel du territoire dans les cas de coopération pour la diffusion ou la création locale. Dans les espaces les moins dotés du département, il est la clé de l'action culturelle concrète, et une mission de service public en voie d'intensification.
Figure 7 - Système localiste d'intégration culturelle

Système local d’action culturelle stratégie localiste et d’intégration territoriale girondine.
Système territorial de pays ( Cubzag ais, Foyen, Longonais, libournais)
Le pragmatisme du troisième âge territorial culturel : la coorganisation par l'espace public
48L'essor du spectacle vivant en Gironde pourrait rencontrer dans sa diffusion spatiale des limites matérielles par la dispersion et le suréquipement partiel. De plus une distance trop forte entre les pratiques locales de la vie associative et des publics, et les productions plus attirées par les sites équipés et intégrés aux réseaux du spectacle viendrait contrarier tout développement local lié à une réelle demande culturelle. Dans le cas d'une politique d'aménagement culturel du territoire qui articule sa rationalité territoriale à celles des trois espaces du champ local, le géo-social, l'associatif et l'espace public (et ses logiques d'autonomie/coopération), ce volontarisme politique investit et cherche à développer l'équipement en réseau par la logique de coorganisation. Concrètement, il est possible de distinguer trois types de coorganisations impliquant le Conseil Général et l'iddac dans la politique territoriale de la culture : la coorganisation simple et renouvelable qui suscite du réseau, la coorganisation en réseau stable, et la coorganisation en réseau complexe.
49La coorganisation simple est développée par l'iddac de façon régulière avec les associations et les municipalités, associée dans certains cas à du conseil technique et du prêt de matériel. Ce partenariat de proximité concerne des spectacles d'importance variable tout en restant très local dans ses impacts. Il relève parfois d'un saupoudrage nécessaire au soutien local de la production et de la création. Ainsi sont subventionnés des ateliers du spectacle et des opérations de sensibilisation qui pourront s'inscrire dans la durée. En tant que coorganisateur, l'iddac assure également avec l'assistance et le conseil artistique et technique des diffusions sur des équipements qui progressivement s'habituent à travailler avec lui. Ce fut notamment le cas de Castillon, de Langon et de l'association de Saint-Quentin-et-Baron : Facette-Passion-des-Arts-crarc. Le réseau naissant des jeunes publics trouve dans cette coorganisation les assises de son développement.27
50La coopération en réseau stable s'est concrétisée dans un réseau d'abonnement en commun (la Carte Passerelle) à partir de quatre centres et opérateurs culturels depuis 1992, élargi à six cette année. Blanquefort les Colonnes, l'ocet de Talence, le Théâtre des quatre saisons de Gradignan, le Centre Bernard de Girard du Haillan, l'iddac , le ceac d'Eysines, (le centre culturel de Castillon, et l'Association Facette-Passion-Des-Arts crac, sont associés au schéma d'abonnement). L'objectif est résolument défini comme la provocation d'une circulation des publics, et la coorganisation de spectacles lourds par les structures publiques (les salles ou les sites municipaux) et les compagnies. Furent programmés dans ce cadre partenarial, le Cirque Plume en 1995, et Maurice Béjart en 1996. Une forme souple de l'intercommunalité trouve là sa réalisation comme en atteste cette année les rencontres de Castillon autour du projet associatif "les enfants de la balle" fédérant des associations locales de la jeunesse. Ces rencontres à l'occasion de la venue du Cirque Baroque à Castillon par la logique de coorganisation, ont lancé l'idée du réseau coorganisatif, en milieu rural et de petites villes. L'Est Girondin des pays, le sud-Gironde et le Médoc étaient associés autour de l'opérateur public, l'iddac et les conseillers généraux chargés de la culture. Il y a dans cette expérience une logique volontariste qui trame un tissu culturel coopératif en direction des communes et espaces sociaux plus déficitaires en équipements mais fortement impliqués dans les territorialités locales et identitaires de la culture.
51Le troisième cas de coopération reprend les structures des équipements réticulants, les réseaux de coorganisation entre espaces publics et espaces associatifs dans une coorganisation en réseau souple à l'occasion d'un espace-temps festif, culturel et spectaculaire : l'été girondin. Dans cette configuration qui met en scène les cultures et traditions, le patrimoine historique et naturel (les deux fleuves et leurs "mémoires", Garonne et Dordogne) et les sites touristiques, les logiques des réseaux participatifs croisés continuent de produire des effets territorialisants par l'équipement spectaculaire du département. L'équipement devient alors ce lieu médial qui localise et trame les solidarités publiques associatives et sociales par les pratiques territorialisées de la culture spectaculaire.
52Une analyse géographique de ces logiques d'aménagement culturel de l'espace se doit de prolonger le cadrage méthodologique et heuristique qui vient ici d'être proposé tant au niveau des typologies locales que des logiques de coopération départementales et régionales, celles aussi qui élargissent, dans l'instrumentalisation du champ culturel, la régulation des systèmes politiques locaux entre compétition et coopération.
Notes de bas de page
1 Cet article s'appuie sur une étude du spectacle vivant en Gironde conduite dans le cadre d'un contrat de recherche entre l'iddac, et le Conseil Général de la Gironde d'une part, et la Maison des Sciences de l'Homme d'Aquitaine, le Certam et le Cesurb, d'autre part. Jean-Pierre Augustin, Philippe Rouyer, Michel Favory, Christian Malaurie, Pratiques culturelles territorialisées et politiques de la culture autour du spectacle vivant. Rapport de recherche mars 1996-décembre 1997, Institut Départemental de Développement Artistique et Culturel, Maison des Sciences de l'Homme d'Aquitaine.
2 Pierre-Michel Menger et alii, Le spectacle vivant, Paris : La Documentation Française, 1997.
3 Alain Busson et Yves Evrard, Portrait économique de la culture, Paris : La Documentation Française, 1987, et Pierre Menger, op. cit.
4 Pour un approche critique et transversale de l'objet local, voir Albert Mabileau et alii, À la recherche du "local", Paris : l'Harmattan, 1993.
5 L'action collective est ici entendue au sens de Michel Crozier et Erhard Friedberg dans L'acteur et le système, Paris : le Seuil, 1977. L'action collective est un construit social dont l'existence pose problème, car les modes d'action collective constituent des solutions spécifiques indéterminées, en produisant des effets d'organisation ou de système, "action collective et organisation sont donc complémentaires. Ce sont deux faces indissociables d'un même problème : celui de la structuration des champs à l'intérieur desquels l'action, toute action se développe".
6 Jacques Lévy, "Espace politique et changement social". Espaces Temps, no 43-44, 1990. - Victor Scardigli, La consommation culture du Quotidien, Paris : PUF, 1987.
7 Géo-social, ce concept nous semble mieux désigner les modalités géographiques de l'activité sociale, que socio-spatial qui désignerait plutôt les logiques spatiales productrices de géosocialité.
8 Françoise Rollan, La zone d'influence métropolisée de Bordeaux, Bordeaux : Éditions de la Maison des sciences de l'Homme d'Aquitaine, 1992.
9 Thomas Le Jeannic, Une nouvelle approche territoriale de la ville. Économie et statistique, no 294-295, insee, 1996.
10 Michel Maffesoli, Le temps des tribus, Paris : Méridiens Klincksieck, 1988. Cet essai sociologique et anthropologique reprend les analyses de E. T. Hall, et A. Moles sur la proxémie en lui conférant un éclairage sociologique sur la socialité tribale des réseaux de la vie quotidienne. Voir notamment le chapitre 6 "de la proxémie". Christian Ruby, Kévin Nouvel, Julie Simonet dans " La bataille du culturel", Regards sur l'actualité, mars 1993.
11 Denys Cuche, La notion de culture dans les sciences sociales, Paris : la Découverte, 1996, collection Repères, notamment le chapitre 5 : "Hiérarchies sociales et hiérarchies culturelles", ainsi que les commentaires de Philippe Corcuff sur les approches critiques de la culture de Claude Grignon et Jean-Claude Passeron dans Le savant et le populaire, Paris : ehess, Gallimard, le Seuil, 1989.
12 Armel Huet, De la démocratisation de la culture à la diversité des créations. Les Annales de la Recherche urbaine, no 70, mars 1996.
13 Pour l'historique de la vie culturelle bordelaise, voir Françoise Taliano-des Garets, La vie culturelle à Bordeaux 1945-1975, Bordeaux : Presses Universitaires de Bordeaux, 1995.
14 Pierre Bourdieu, notamment La distinction et les règles de l'art, 1992.
15 Pierre Menger, op. cit.
16 Ce modèle, quoique différent dans les logiques, a été inspiré par la construction de Jean-Paul Callède dans Le phénomène culturel à Bergerac, Maison des Sciences de l'Homme d'Aquitaine, 1983.
17 Lucien Sfez, La décision, Paris : PUF, 1984. - Crozier, Friedberg, L‘acteur et le système, Paris : Le Seuil, 1977.
18 René Rizzardo, "Bilan de la décentralisation culturelle", Les Cahiers Français, no 260, 1993.
19 Guy Saez, Ville et culture : un gouvernement par la coopération, Pouvoirs, no 73, 1995. - René Rizzardo, Bilan de la décentralisation culturelle. Art. cit.
20 . Jacques Donzelot, L'Etat animateur : essai sur la politique de la ville, éditions Esprit, 1994.
21 Busson et Evrard, op. cit.
22 Richard Balme, "Les modalités de développement de l'action culturelle dans les communes de banlieue. Le cas de l'agglomération bordelaise", in François Chazel, Pratiques culturelles et politiques de la culture, Bordeaux : Maison des Sciences de l'Homme d'Aquitaine, 1990.
23 René Rizzardo, Bilan de la décentralisation culturelle, op. cit.
24 Guy Saez, art. cit. - Richard Balme, art. cit.
25 Johan Jourdan, Bazas, cité d'art ou l'art d'être cité (e). Le phénomène culturel dans une petite commune en milieu rural. Mémoire de D.E.A, Bordeaux : Centre d'Études et de Recherches sur la Vie Locale, 1996.
26 Erhard Friedberg et Philippe Urfalino, Le jeu du catalogue, Paris : La Documentation Française, 1984.
27 Sophie Castaignau, Jeunes publics et politiques culturelles locales /exemples en banlieue bordelaise. Mémoire duesa, Université Michel de Montaigne-Bordeaux III, IUT "B", 1996.
Auteur
Institut d'Études Politiques de Bordeaux
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