Espaces militaires et projets urbains l'exemple Bordelais
p. 237-248
Texte intégral
1Sanction de la turbulence bordelaise, trois forts surveillaient le "port de la lune". Le Château-Trompette avait été agrandi par Vauban, le Fort du Hâ restauré et le Fort Louis bâti à l'époque du Roi Soleil. La façade fluviale était fortifiée tandis que le mur de ville et ses larges fossés séparaient la ville close de ses faubourgs ruraux. À la fin du xviie siècle, le voyageur arrivant à Bordeaux pouvait contempler le même paysage que le Hollandais Van Der Hem1, un demi-siècle plus tôt. Les entreprises de Boucher2, de Tourny3, les projets de Dupré de Saint-Maur, de Louis4, le lotissement du Château-Trompette5 ayant fait l'objet de recherches approfondies, il s'agit ici d'envisager la globalité des espaces militaires au début du xviiie siècle et de suivre leur évolution jusque vers 1850. Les fortifications, les murailles, les fossés, ont-ils fait l'objet de projets d'urbanisme d'ensemble, ou bien les projets ont-ils été distincts, sans lien les uns avec les autres ? A-t-on envisagé de manière spécifique l'avenir de ces vastes espaces ou a-t-on, après divers tâtonnements, implanté des projets qui auraient pu être mis en œuvre dans un autre quartier de la ville ? Y a-t-il eu continuité entre les différents projets d'aménagement d'un même espace, une continuité d'inspiration, un lien, même symbolique avec le passé militaire, un souci de conserver tout ou partie des anciens bâtiments ? Quelle a été l'importance de ces espaces militaires, l'affectation des terrains dans les différents projets élaborés, la part des espaces publics et des espaces bâtis ? Tels seront les axes de notre réflexion qui s'appuient avant tout sur l'examen des dossiers et des plans de ville.
L'absence de plan d'ensemble
2Tout projet concernant les espaces militaires, à une époque où la guerre est une préoccupation constante des gouvernants, suppose un nouvel état d'esprit. Mais il n'y a pas nécessairement un plan d'ensemble d'aménagement des espaces libérés.
3Les plans de Bordeaux dressés durant le dernier quart du xviie siècle6 montrent une ville enclose de remparts sur le fleuve et sur le plat pays, séparée des faubourgs par de larges fossés, encadrée par des forteresses médiévales remaniées depuis peu, le Château-Trompette au nord, le Fort du Hâ à l'ouest7. Toute réflexion, tout projet sur une autre appropriation des terrains militaires suppose un changement d'état d'esprit des autorités locales ou parisiennes sur le rôle et l'utilité de l'enceinte et des places fortes. Si le xviiie siècle voit les remparts fluviaux disparaître à Bordeaux, comme à Nantes ou à Toulouse8, l'évolution fut plus lente pour les forts. Si au cours du siècle, la crainte d'une révolte, d'un "crime de sédition populaire"9 a progressivement disparu, les autorités militaires, s'appuyant sur la menace anglaise10, tentent de convaincre les autorités ministérielles du maintien des infrastructures11. Toutefois, deux mémoires de 1774 et 1784 établissent une distinction entre les trois forts : "Le Château-Trompette est certainement celui qu'on devrait conserver. Le plus gênant (...) c'est le Fort Louis qui se trouvant dans un des angles de la ville (...) empêche qu'il ne soit ouvert des percées avantageuses vers ces côtés de la ville"12. Le Fort Sainte-Croix (Fort Louis) "n'est presque pas susceptible de défense, (...) étant fort petit et commandé par l'ancienne maison des Jésuites et le couvent des Bénédictins" ; quant au Fort du Hâ "il va se trouver incessamment entouré de maisons au moyens de la nouvelle ville qu'on va bâtir sur le terrain de l'archevêché"13. Les deux forts les moins indispensables disparurent pourtant bien après le Château-Trompette.
4Si les militaires défendent leur position avec autant d'acharnement, cela tient à la multiplication des projets. Le xviiie siècle est un âge d'or pour l'urbanisme, et en particulier à Bordeaux. Il est le siècle des grands intendants. Tourny voulut que "le dedans et le dehors de la ville ne formassent qu'un même alignement"14 en imaginant un plan d'allées autour de la ville mais son projet ne concerna que les remparts qui furent alors masqués et débordés par de nouvelles constructions. Il n'est pas question de toucher aux trois forts, si ce n'est en entamant le glacis du Château-Trompette. Le projet de Dupré de Saint-Maur en 1782 est certes ambitieux, mais le plan de ces embellissements ne concerne que le Château-Trompette "inutile forteresse" puisqu'il propose de conserver le fort du Hâ15. Un des premiers à considérer l'ensemble des fortifications est l'architecte Péchade, mais il ne disposait d'aucune responsabilité politique. Dans un mémoire de septembre 179016, il considère que "la ville de Bordeaux doit conserver ses trois forts qui y existent". Il s'attache avant tout au Château-Trompette17 dont il ne détruit que la pointe de la demi-lune pour y établir un monument à la gloire de la Révolution. Il envisage un nouveau parcellaire du quartier Sainte-Croix, où après avoir défendu le maintien du fort, il envisage "la vente de l'emplacement du Fort Louis", avec l'établissement de deux percées, l'une fendant en deux les bastions et la demi-lune du fort ; l'autre, rejoignant la rue Peyronnet18. Pour le fort du Hâ, Péchade prévoyait la création, au détriment du couvent des Minimes, d'une rue qui donnerait "entrée à ce fort, autant qu'on le laisserait subsister"19. On voit donc que l'architecte envisage le démantèlement total ou partiel des fortifications et de leur glacis. Sous l'Empire, le décret du 25 avril 1808, envisage la démolition du Château-Trompette, la construction d'un palais de justice, de places, et d'un jardin public sur son emplacement, la destruction du Fort Louis, le comblement des anciens fossés de la ville, mais néglige le fort du Hâ alors occupé par des prisons20. Les projets grandioses ne reçurent qu'un début de mise en œuvre, faute de moyens financiers. Ainsi donc, plus que des projets d'ensemble, il faut mieux évoquer une succession de projets, qui depuis le xviiie siècle, ont abouti progressivement au démantèlement de l'enveloppe militaire de Bordeaux. Malgré l'action des intendants, il fallut attendre la fin de l'Ancien Régime, la Révolution et l'Empire pour voir se multiplier les projets, parfois très audacieux, qui firent oublier les deux autres fortifications, qui, à la différence de l'immense château ne coupaient pas la ville en deux. C'est en effet le souci de joindre les Chartrons et le quartier du Jardin public au reste de Bordeaux, et l'immensité des terrains propices à l'imagination des architectes qui expliquent que l'on se soit intéressé avant tout à cette partie de la ville.

Une succession de projets
5Projets soutenus par les intendants, plans dressés par les architectes, concours ou décrets de l'État, les années 1770-1840 furent celles de l'imagination. Les espaces militaires, du fait de leur relative étendue, ont suscité un intense travail de conception.
6Les terrains du Château-Trompette sont ceux qui ont excité le plus l'imaginaire urbain. Il n'est pas ici question de présenter l'ensemble des projets, étudiés récemment par I. Roux21 mais de les envisager en fonction du sort fait à la fonction militaire. C'est ainsi que quelques projets conservent tout ou partie des bâtiments, tandis que d'autres gardent une connotation militaire et que certains font table rase du passé. Si l'on écarte le projet du chevalier de Bart qui en 1777 prévoyait de flanquer le Château-Trompette de deux forts22, de nombreuses propositions envisageaient la conservation de tout ou partie des fortifications : ainsi, le 11 août 1769, l'architecte Nicolas Le Noir soumet un projet de Vaux Hall qui fut abandonné dès 177023. En 1776, des négociants regroupés sous le nom de Lavalette et cie, proposent la formation d'un bassin de 1 200 pieds de long sur 500 pieds de large pour contenir 150 à 200 vaisseaux "en ne conservant que le corps principal du Château-Trompette, et en effaçant la grande contregarde et tous autres ouvrages extérieurs"24. En 1782, le projet Fouilhac ne conserve que les glacis situés entre la rue Notre Dame et le fleuve, le reste étant occupé par des parterres à la française, une colonnade et des promenades25. Avant la Révolution encore, l'architecte Péchade, en 1783 et 1789-9026 propose autour du château une place nationale ceinturée par quatre rangées d'arbres tandis que Henry Meynadier laisse subsister dans un projet de 1784 le château et "ses fortifications, demies lunes et fossés"27. Pendant la Terreur, l'ingénieur hydraulique Pierre Louis Lobgeois fils, enserre le fort dans une ceinture de fossés et de promenades28. Enfin, sous la Restauration, en 1814, Marcellin Combes, conserve lui aussi les bâtiments, à l'exception des bastions et de la pointe de la demi-lune, multipliant les promenades qui limitent les terrains batis.29
7D'autres projets, tout en détruisant les bâtiments conservent une connotation militaire. Dès 1781, un projet fait disparaître le fort remplacé par un parcellaire alambiqué, avec construction, le long du pavé des Chartrons, du Jardin public à la rivière, d'un hôpital, de casernes et d'une redoute30. Il revint au Directoire de proposer un concours pour ériger un "monument consacré aux triomphe des armées de la République et à la paix glorieuse qui est le prix de leurs victoires"31. Le premier concours ouvert le 7 septembre 1797 (21 fructidor an V) est suspendu puis rouvert le 26 juillet 1799 (8 thermidor an VII), les projets examinés le 22 octobre 1801 (30 vendémiaire an IX)32. En novembre 1797, Combes propose une place demi-elliptique sur la rivière, sur laquelle donnent six rues divergentes de part et d'autre d'un vaste cirque orné d'un temple de la paix et de la liberté33. Dans un second projet de 1799, la place ovale est remplacée par une petite place en avancée sur le fleuve, ornée d'une colonne triomphale34. Un autre projet original, celui de Lhote, est présenté en 1800, avec une place circulaire de 320 mètres de diamètre, dédiée aux triomphes et à la paix et à laquelle aboutissent 19 rues rayonnantes35.
8Mais la plupart des projets font disparaître le château. Le plus célèbre est le projet de place Louis XVI présenté par Louis en 1785. Sur la place, largement ouverte sur le fleuve, ornée d'une colonne Ludovise, donnent 13 rues en l'honneur des 13 colonies d'Amérique libérées à l'aide de la France36.
9Mais il ne faut pas omettre les projets concurrents comme ceux de Combes en 1786, qui relient une place Louis XVI beaucoup moins vaste à une basilique implantée à mi-chemin entre la place de la Comédie et le Jardin public.37
10L'Empire suscite quelques projets différents et Louis Combes comme Pierre Clochar, fidèles à l'hémicycle, insèrent un palais de justice destiné aux cours d'appel, criminelles et au tribunal de première instance. Il revint à la Restauration de conclure cette litanie de projets par ceux de Dufart qui sont à l'origine de l'actuelle place des Quinconces.
11Il y eut beaucoup moins de projets pour les autres forts. Un plan du début du xixe présente ainsi les projets de Louis Combes pour les quartiers sud de Bordeaux : une place circulaire centrée sur le cours Saint-Jean et la demi-lune du Fort Louis est reliée au port tandis que des rues divergentes endommagent gravement l'abbaye Sainte-Croix. Rien ne fut entrepris et ce fut sous l'Empire que l'on songea véritablement à assainir le quartier et donc à envisager l'avenir du vieux Fort Louis. Le décret du 25 avril 1808 était clair dans sa concision : "Le Fort Louis, avec ses dépendances, sera démoli". Le 30 juillet 1808, l'ingénieur en chef des Ponts et Chaussées, Didier, présentait un projet de démolition du fort avec deux variantes, selon que le pont de Bordeaux serait ou non construit dans le quartier Sainte-Croix38. Un mémoire permet de décrire la trame des travaux. L'ingénieur projetait sur le cours Saint-Jean une place circulaire dont la partie nord touchait la demi-lune du fort. Cette "place des Victoires", ainsi nommée en l'honneur de Napoléon, ornée d'une colonne ou d'un obélisque conservait au quartier le souvenir de son passé militaire comme les projets du Directoire avaient voulu une place dédiée aux victoires de la République sur l'emplacement du Château-Trompette. La place devait être reliée au quartier Sainte-Croix par une rue du Fort Louis qui, à partir de la place, coupait la demi-lune, séparait les bastions et aboutissait sur les quais par la rue du port et la porte Sainte-Croix, à mi-chemin entre la Manufacture et la Font de l'Or. "Dans le cas où le pont projeté pour Bordeaux s'exécuterait dans le quartier, l'axe du cours des Victoires se retournerait à la rencontre de la rue du clos de Lentillac" et dans le cas contraire, "le cours des Victoires s'arrêterait à la rencontre de la rue de Lentillac"39. Le 10 septembre 1808, un décret impérial approuvait le projet, à l'exception du "changement indiqué au plan sur un papier de retombe" qui avait pour objet d'agrandir la place en la reculant jusqu'à la rencontre de la grande rue Saint-Jean. Faute de crédits, il n'y eut aucune suite. Le Fort Louis suscita à nouveau des projets lorsque la Société de Médecine de Bordeaux lança en septembre 1810 un concours visant à améliorer la salubrité de la ville. Un mémoire anonyme40 reçut une mention honorable le 2 septembre 1811. Ce projet faisait disparaître l'ancien fossé de la ville et le fort au profit d'allées et d'un Jardin public auquel étaient intégrés les jardins de l'abbaye Sainte-Croix et du Noviciat, le tout étant relié au fleuve par une allée d'arbres le long de la rue Peyronnet41. Pas plus que les précédents, ce plan ne vit le jour mais, en se penchant à nouveau sur les questions de salubrité en 1817, la Société de Médecine devait relancer l'imagination des architectes. Il s'agit alors d'un projet plus général qui, après maintes propositions, est implanté au sud de la ville. Dans ce rapport, les médecins réclament la construction d'abattoirs dont l'implantation est suggérée en bord de Garonne, aux Chartrons, à Sainte-Croix ou à La Bastide42. Le 27 juin 1825 le conseil municipal se prononce pour les abattoirs43 ce qui suscite un certain nombre de projets, avancés par des compagnies de capitalistes, la cie Datin, Poirier et Vandais, la cie Ginet, la cie Baour qui, dans un mémoire du 30 novembre 1825, ne mentionne pas le Fort Louis mais préconise l'installation des abattoirs "face à la rue Peyronnet... au dessus de l'estey de Bègles"44. D'autres emplacement sont envisagés puisqu'en décembre 1825 des habitants de Mériadeck s'inquiètent de la possibilité d'implantation d'un tel établissement dans leur quartier45. Le 20 janvier 1826, le conseil municipal tranche en faveur du Fort Louis, "local le plus convenable"46. Des sept plans proposés, c'est celui de l'ingénieur Durand47 qui est choisi le 2 juin 182648. L'autorisation royale est accordée le 14 mai 182849, la société anonyme chargée de la construction autorisée le 13 octobre 1831 et les bâtiments achevés en novembre 183250.
12Les projets et les réalisations concernant le Fort du Hâ sont très liés à ceux du Château-Trompette. Dans son mémoire de 1782, Dupré de Saint-Maur considérait que le Hâ suffirait à caserner les troupes nécessaires à Bordeaux et, en août 1785, les lettres patentes prévoyant la démolition du château ordonnent qu'il "sera construit, soit au fort du Hâ, soit en tel autre emplacement qui sera jugé convenable, des cazernes et établissements militaires"51. L'arrêt du conseil du 15 août suivant liant les opérations à "la confection et perfection de nouveaux établissements militaires"52, Louis présenta alors un plan de casernes donnant sur le cours d'Albret ; le projet fut adopté le 18 mars 1788 mais ne vit pas le jour, compte tenu de l'interdiction de poursuivre les travaux du Château-Trompette53. La loi du 10 juillet 1791 ayant mis le Fort du Hâ "au nombre des fortifications inutiles à la défense du territoire"54, le département y installa alors des prisons55.
13On peut distinguer par la suite, deux types de projets concernant le Fort du Hâ, ceux qui préconisent de le conserver et ceux qui en détruisent une partie. Nous n'avons pas trouvé de projets impliquant un démantèlement complet des bâtiments. Les premiers eurent lieu sous la Révolution. Un plan de 1793 prévoyait des aménagements internes avec la séparation du château en deux ensembles. La cour de la maison de correction dans le prolongement du donjon était séparée par une maison de justice et de correction de la partie du château, située entre les Minimes et le cours d'Albret, où l'on établirait les prisons de la gêne et de la correction.56 Le projet n'ayant pas abouti, l'administration du département de la Gironde projeta, le 6 juillet 1796 (18 messidor an IV) de vendre les terrains du glacis du château en 33 emplacements et d'implanter sur les terrains du Hâ et ceux du l'ancien séminaire Saint-Raphaël une place circulaire de 70,164 m de diamètre, avec jonction entre la rue Ségur et le cours d'Albret57. Quelques emplacements furent adjugés le long du cours d'Albret le 3 juillet 1803 (13 messidor an XI58) mais l'affaire n'eut pas de suite. En 1809, en attendant la construction du palais de justice prévue par le décret du 25 avril 1808, la cour de justice criminelle s'installa dans l'ancien couvent des Minimes qui jouxtait les prisons du Hâ. Les magistrats s'installaient donc dans ce quartier, ce qui explique pourquoi, sous Charles X, on songea à bâtir le nouveau palais de justice sur l'emplacement du château. De nouveaux projets furent élaborés sous la Monarchie de Juillet. Les plans respectent les consignes de l'administration puisque dans un premier temps, il ne s'agit que d'une cour criminelle et de prisons. Dans cette perspective, la moitié du Hâ est touchée : le vieux donjon et les remparts situés le long du cours d'Albret et de la place d'armes disparaissent alors que les tours du Peugue et des Minimes subsistent. Sur un plan de Thiac de novembre 1831, l'emplacement du donjon et de la porte d'entrée est occupé par la maison d'arrêt et de justice, tandis que le palais de justice criminelle occupe la partie sud de la cour et que la maison de correction se trouve rejetée vers le cours d'Albret. La partie conservée du château était réaménagée en conséquence59. Un autre plan, sans date, conserve la même partie du château mais encadre le palais par deux prisons60. Quelques années plus tard, l'administration résolut de réunir en un seul lieu toutes les juridictions et les plans réduisirent en conséquence le fort à la portion congrue, en ne laissant que les deux tours et le rempart les reliant. Dans le plan de Thiac de juin 1837, le palais de justice occupe toute la partie sud du château, de la rue des Minimes au cours d'Albret, rejetant les prisons dans la partie nord, à proximité des tours61. En octobre 1838, Thiac présenta un autre projet presque similaire qui fut retenu62.
Plan des terrains du Hâ en l'an IV. A.D.G. 4 N 111 no 537

Le sort des espaces militaires
14À la fin du xviie siècle, on peut estimer les espaces militaires à un quart de la superficie de Bordeaux intra muros. Le Château-Trompette et ses glacis occupent une trentaine d'hectares, les remparts et les fossés une demi-douzaine, le Fort Louis et le Fort du Hâ environ deux hectares chacun. Cette part considérable se réduit progressivement, d'abord sous l'effet de l'intégration des faubourgs grâce au démantèlement des murailles, des fossés et à la création des cours tout au long du xviiie siècle, puis à partir de la Révolution grâce à la destruction des trois forteresses. Au milieu du xixe siècle, il subsiste à peine un demi-hectare, si l'on élimine les nouvelles casernes. Qu'a-t-on fait de ces vastes espaces ?
15L'étude de quelques projets (voir tableaux ci-joints) montre, pour le Château-Trompette en tout cas, un changement d'orientation motivé pour une large part par le moindre dynamisme du marché immobilier. Au milieu des années 1780, Louis et Combes affectent plus de la moitié des terrains aux constructions particulières et moins d'un cinquième à la place centrale autour de laquelle gravite le nouvel espace urbain. Cette volonté de lotir apparaît encore très forte chez Bouessel et Dubut sous le Consulat mais on constate déjà avec Lhote, une surface plus importante accordée à la place. C'est le modèle qui prévaut avec Dufart. L'espace militaire devient — ou reste, si l'on songe aux glacis — un espace libre, aéré, en partie parce que l'on n'a plus les moyens d'une autre politique urbaine.


16La situation est légèrement différente pour le Fort du Hâ. Entre les plans du début de la Révolution et ceux de la Monarchie de Juillet, l'espace libre de toute construction double en surface, non pas parce que les aménageurs ont décidé de moins bâtir — le palais occupe à peu près la même superficie que les maisons particulières prévues en l'an IV— mais parce que les bâtiments publics ont été aménagés au détriment de la forteresse que l'on souhaitait initialement conserver. Places, rues, promenades ont donc permis à la ville de mieux respirer.
17Ainsi, si les remparts avaient été supprimés par les intendants, c'est à la Restauration et à la Monarchie de Juillet qu'il revint de faire disparaître les anciens châteaux royaux, ce qui donna à la ville une meilleure cohésion63. Cela se fit sans aucun plan d'ensemble car les espaces militaires n'ont presque jamais été envisagés dans leur globalité, même après 1815. On s'est d'abord préoccupé du Château-Trompette dont le vaste espace inutilisé attisait bien des convoitises. Puis la recherche d'un emplacement approprié aux abattoirs fit disparaître le Fort Louis avant que les besoins croissants de la justice ne viennent amputer le château du Hâ. Aujourd'hui, il ne reste du passé militaire, outre quelques noms de rues, qu'un fragment de la muraille à proximité du centre André Malraux et les tours du Hâ que l'architecte de la nouvelle cité judiciaire doit mettre en valeur d'ici 1996 en leur restituant leur allure primitive.
Notes de bas de page
1 Dessins conservés à la Bibliothèque Nationale et à la Bibliothèque impériale de Vienne. Reproduction dans J.-P. Avisseau et J.-P. Poussou, Illustration du vieux Bordeaux, 1990, planches 9, 28, 29, 31.
2 P. Courteault, La place royale de Bordeaux, Paris : 1922.
3 M. Lhéritier, L'intendant Tourny (1695-1760), Paris : 1920 ; X. Védère, Les allées de Tourny, Bordeaux : 1929.
4 Ch. Taillard, Victor Louis (1731-1800), Thèse d'Etat, Paris IV, 1991.
5 I. Roux, Projets et réalisations. Le quartier des Quinconces à Bordeaux (1770-1870), Thèse d'Université, Bordeaux III, 1994.
6 A.M.B. XL/A-273 ; XL/A-365.
7 Sur le fort du Hâ. Nicolas Fauchère, Les citadelles du Roi de France sous Charles VII et Louis XI, Paris I, Thèse d'université, 1992, p. 36-40-vol I.
8 Jean Louis Harouel, L'embellisssement des villes. L'urbanisme francais au xviii e siècle, Paris : 1993, p. 11.
9 S.H.A.T., génie, article 8, section 1, Bordeaux, carton 1, pièce 8.
10 Guerres de succession d'Espagne, de succession d'Autriche, guerre de Sept Ans, d'Amérique, guerres révolutionnaires et impériales.
11 L. Coste, "Une forteresse en sursis : le Château Trompette de 1778 à 1816" dans L'estuaire de la Gironde de Pauillac à Blaye, Actes du XLVème Congrès de la F.H.S.O., 1995, p. 187-199.
12 S.H.A.T., génie, art. 8, section 1, Bdx, carton 2, pièce 815.
13 S.H.A.T., génie, art. 8, section 1, Bdx, carton 2, pièce 49.
14 A.D.G. C 1219.
15 Dupré de Saint-Maur, Mémoire relatif à quelques projets intéressants pour la ville de Bordeaux, Bordeaux : Racle, 1782, p. 37-41-42.
16 Péchade, Plan d'exploitation pour les biens de la nation à vendre dans l'étendue de la municipalité de Bordeaux, Bordeaux : Racle, 1790.
17 Il avait déjà avancé des propositions en 1783 et 1790.
18 Péchade, opus cit., p. 17-18.
19 Pechade, opus cit., p 15.
20 L. Coste, Le Maire et l'Empereur, Bordeaux sous le Premier Empire, Bordeaux : 1993, p. 192, 297-310.
21 I. Roux, opus cit.
22 I. Roux, Catalogue, Plan 7.
23 I. Roux, Catalogue 78 bis et 79 (Plan 51 et 52), p. 31.
24 S.H.A.T., génie, art. 8, section 1, Bdx, carton 1, pièce 521. Plan : idem pièce 523 + A.M.B.-XXL-L/63.
25 S.H.A.T., génie, art. 8, section 1, Bdx, carton 1, pièce 52.
26 S.H.A.T., génie, art. 8, section 1, Bdx, carton 2, pièce 84; A.M.B. B 4/9.
27 S.H.A.T., génie, art. 8, section 1, Bdx, carton 2, pièce 88.
28 Projet presque similaire du même en 1796- A.N. F13 1713. I. Roux, op. cit. ; cat. 146, 147 (plan 98, 99) p. 50.
29 A.M.B., XXI-N/23 ; et variante dans B.M.B., Fonds Delpit, carton XI-1/15, XI-1/16.
30 Le projet est attribué à l'architecte Lhote par Ch. Taillard et à l'ingénieur Beauvallon par I. Roux. A.M.B. DD 71.
31 A.M.B. B 4/5.
32 J.P. Bériac, "Les espaces publics dans les projets d'aménagement des terrains du Château-Trompette", dans Le Port des Lumières, Architecture et art urbain. Bordeaux 1780-1815, Bordeaux : 1989, p. 29.
33 B.M.B., Fonds Delpit, carton XII-1/6, R. Coustet, "L'affaire du Château-Trompette ou comment célébrer à Bordeaux la gloire des armées de la République" dans Les architectes de la Liberté 1789-1799, Paris : 1989, p. 240.
34 B.M.B., Fonds Delpit, carton XII-1/5.
35 A.M.B. XXL-L/33 ; VIII 9/56. Nous laissons de côté les projets du capitaine du génie François Blein et ceux de Hyacynthe Faure (A.N. F 13 1713).
36 A.M.B. XXI-M/27, XXI-M/8, XXI-M/9.
37 B.M.B., Fonds Delpit, carton XI-3/3, carton XI-3/13.
38 A.M.B. 155 M 2.
39 A.M.B. 155 M 2.
40 Intitulé "Homines ad Deos nulla res proprius accedunt, quam salute hominibus danda".
41 Tableau des améliorations dont la ville de Bordeaux est susceptible relativement à la salubrité, Bordeaux : Lawalle jeune, 1817, p. 109.
42 L. Lamothe, L'abattoir public et le marché au bétail de Bordeaux, Paris : Guillemin, 1850, p. 2-3.
43 A.M.B. 12 D 8.
44 A.M.B. 155 M 2.
45 A.M.B. 155 M 2.
46 A.M.B. 12 D 9 f° 36.
47 Gabriel Joseph Durand (1790-1858). Ancien élève de Bonfin, fils était membre de l'Académie de Bordeaux et ingénieur hydraulique de la ville depuis 1824. Il devint ensuite le Président de l'Académie de Bordeaux en 1835 et architecte de la ville de 1840 à 1849-Féret, Statistiques générales du département de la Gironde, T III, 1889, p. 222-223.
48 A.M.B. 12 D 9 f° 76-79.
49 A.M.B. 155 M 2.
50 A.M.B. 155 M 2.
51 A.M.B. J 5/3.
52 A.M.B. B 4/5.
53 M. Ferrus, Un château historique, le Fort du Hâ, Bordeaux : 1922, p. 169-170.
54 A.D.G. 4 N 114.
55 M. Ferrus, opus cit., p. 176-177.
56 A.D.G. 4 N 111 plan 536.
57 A.D.G. 4 N 111 plan 537 ; A.M.B. VIII-a/27.
58 A.D.G. 4 N 111 pièce 43.
59 A.D.G. 4 N 114 plan 552 ; 4 N 115 plan 586.
60 A.D.G. 4 N 115 plan 585.
61 A.D.G. 4 N 78 plan 260.
62 A.D.G. 4 N 78 plan 263.
63 L. Desgraves, G. Dupeux (sous la dir. de), Bordeaux au xix e siècle, Bordeaux : 1969, p. 19, 21.
Auteur
Chargé de cours, CESURB-Université Michel de Montaigne-Bordeaux III.
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2008
Villes fortifiées en projet
Propos d’ateliers Jingzhou et Xiangfan dans le Hubei
Jean-Paul Callède (dir.)
2018
La croissance périphérique des espaces urbains
Petites villes et villes moyennes au sud de l’Aquitaine
Guy Di Méo
1986