Urbanisme participatif et projet de quartier : les Béalières à Meylan (Isère)
p. 201-213
Texte intégral
1Située dans la banlieue grenobloise, la commune de Meylan, qui compte aujourd'hui environ 18 000 habitants, a pu être le champ d'intéressantes approches de l'urbanisme durant les années 1970 et au début des années 1980. Le quartier des Béalières réalisé sur un site vierge d'une quarantaine d'hectares représente l'aboutissement du travail de la municipalité meylanaise dont la majorité est représentée par le Groupe d'information et d'action municipales dont l'un des buts était d'assurer le développement harmonieux de la ville avec le souci de défendre les intérêts des plus défavorisés1. Cette municipalité souhaitait associer le plus largement et le plus directement possible les Meylanais à la conception de ce quartier. À cet effet, elle a créé l'Atelier public d'urbanisme en 1979 et afin de bien maîtriser l'évolution du projet elle en a assuré elle-même la gestion en régie directe. Le g.i.a.m., battu aux élections municipales de 1983, n'a pu assurer la réalisation complète de l'opération des Béalières, mais l'ensemble de sa partie Est témoigne de l'importance de la démarche participative qui s'y inscrit ainsi que de recherches d'innovations capables d'assurer la meilleure qualité de vie possible aux usagers.
2Cette réalisation n'est donc pas récente. Le dixième anniversaire du premier habitant de ce quartier des Béalières2 est l'occasion de redécouvrir une expérience qui mérite encore largement notre attention.
Le quartier des Béalières
3Situé à proximité du centre géographique de la commune, le quartier des Béalières occupe environ quarante hectares (38,8 hectares) d'un espace urbanisable de deux cents hectares. Il a été réalisé sous la forme d'une zone d'aménagement concertée publique ; la commune en a été l'aménageur. Le quartier est structuré en quatre zones d'habitat, une zone d'activités et des espaces verts3. La conception et la réalisation du quartier se sont déroulées de 1980 à 1988 sous deux municipalités différentes ainsi qu'on l'aura compris plus haut. Ce changement de municipalité se lit aujourd'hui sur le territoire par des différences de formes urbaines et de compositions paysagères (fig. 1). Dans les deux zones qui nous intéressent4 le plan masse est organisé sur la base d'une trame orthogonale, sur laquelle se greffent les circulations principales. Les opérations immobilières, sauf exceptions (plus d'éclatement en partie Nord) sont réalisées en bordure des îlots déterminés par les circulations et dégagent des cours intérieures aménagées. Le traitement des circulations est réalisé en adoptant le principe de la cour urbaine appelé aussi "rue habitable"5 qui résout le problème d'une dominante piétonnière permettant la circulation automobile jusqu'au pied des immeubles.
4Une grande attention a été portée à la conservation des éléments végétaux. En ceci, le quartier reste dans le caractère général de la commune qui est très vert. Mais on constate que le soin apporté à la préservation des espaces naturels, à leur continuité, est tout à fait primordial dans ce quartier. L'architecture sait laisser la place au végétal déjà inscrit dans le site. Et si on a pu parler d'un "morceau de ville" à propos des Béalières, on y ressent beaucoup plus la réussite d'un mariage nature-architecture. L'empreinte du végétal trouve un symbole dans la préservation d'un important espace vert continu, "la coulée verte", sorte de poumon vert au cœur du quartier. Par ailleurs, la trame qu'on a évoquée et qui sous-tend le quartier, inscrit le vert dans ses mailles, parfois haies héritées de l'espace rural qui rappellent au nouveau quartier qu'il s'appuie sur un patrimoine. Souvent d'ailleurs, le végétal impose le traitement de l'espace, la "place du Saule" s'organise en fonction du saule qui lui donne son nom. L'aménagement de la rue Saint Vincent Porte La Tine est imposé par le bouquet d'arbres très dense qui la rend sinueuse et la noie dans la verdure.
5D'une manière générale, le quartier (Béalières 1 et 2) est souvent perçu comme un "paradis pour les enfants". L'importance du végétal, les divers aménagements adaptés aux jeux ont une large part dans cette perception, renforcée par le rôle de la cour urbaine qui apporte une grande sécurité. Elle introduit un nouveau mode de vie dans le cadre urbain en réduisant la place de l'automobile sans l'éliminer. La qualité de l'espace de ce quartier possédant une large part d'habitat social6 reste en tout cas tout à fait exemplaire.
La participation et la création de l'Atelier public d'urbanisme (apu)
6Forte de l'expérience de la réalisation, lors de sa première mandature, d'un quartier nommé les Buclos, la municipalité de Meylan va entreprendre, au début de son deuxième mandat, un nouveau projet, celui du quartier des Béalières.
• L'expérience Buclos et les choix pour les Béalières
7Le bilan méthodologique et critique de l'opération des Buclos a servi de base au travail pour l'aménagement des Béalières. Le quartier des Buclos7 avait été réalisé en régie directe. Durant l'opération, l'avis de la population fut pris en compte, avec l'aide de sociologues pour tenter de réaliser un urbanisme reflétant le quotidien et grâce à l'établissement de relations concertées avec les promoteurs, des logements de qualité avaient pu être réalisés8.
Figure 1 – Béalières : zones d’habitat

8Mais ce contexte favorable a été marqué par l'absence d'un architecte ou d'un urbaniste capable de structurer l'espace, de transcrire sur plan la somme des réflexions du groupe, de superviser l'ensemble des travaux et d'éviter l'effet de patchwork architectural final9.
9Ce constat a amené les élus à créer un poste d'architecte coordonnateur pour l'opération des Béalières en même temps qu'ils reconduiront l'expérience de la régie directe10 ainsi que celle de concertation et même de participation des habitants durant l'opération11.
• Les élus et la participation
10Les élus ne peuvent simplement se satisfaire de réunions d'information ou de présentation de plans12, très conscients que les aspects techniques des problèmes urbains sont un prétexte à l'exclusion des habitants de la maîtrise de leur cadre de vie13. Ils sont partisans d'une participation en autogestion pour associer le plus largement possible la population meylanaise et les futurs habitants à la conception et à la réalisation de ce nouveau quartier14. La création d'un lieu de rencontre des habitants, des associations, du Conseil municipal, des architectes, des promoteurs... où toutes les décisions concernant l'opération pourraient être arrêtées entre tous ces participants est même envisagée15. Pratiquement, et suite à des débats internes très tranchés, ce lieu prendra la forme d'un atelier public autonome, bien que dépendant d'un budget municipal, qui ne remet pas en cause le pouvoir décisionnel des élus16. La participation des citoyens est difficilement concevable de manière individualisée, elle doit s'appuyer sur un "corps intermédiaire", ce corps intermédiaire sera donc concrétisé par l'atelier public d'urbanisme (apu).
11L'histoire et les travaux de l'apu, dont la renommée a largement dépassé le niveau local, ont pu être analysés à plusieurs reprises de l'intérieur et de l'extérieur17. Nous nous contenterons d'en retenir quelques traits et nous attacherons à souligner quelques témoignages18.
12À ses débuts, l'apu est un véritable un "bouillon de culture"19. Cela est indiscutablement lié alors à sa composition sociale privilégiée qui reflète celle de la commune. Mais lors de l'entrée des futurs usagers dans l'atelier, donc avec son ouverture à d'autres couches sociales, le rôle de lieu de parole ouvert à tous qu'il a tenu l'apu reste incontesté.
13L'apu ne devient pas uniquement le lieu de la démocratie locale où chacun peut s'exprimer, c'est aussi un "outil d'aménagement" avec "de la technicité mais sans pouvoir technicien"20. Enfin, c'est peut-être surtout un outil de gestion sociale capable d'engendrer une dynamique qui entraîne l'usager à engager sa responsabilité, sa voix, son action dans la production de son cadre de vie et par conséquent dans le devenir du territoire communal21.
• L'évolution de l'atelier
14Pour démarrer l'atelier, toutes les associations meylanaises ont été contactées22. Afin de toucher les futurs utilisateurs ou les Meylanais n'appartenant pas à des associations, des consultations à l'apu, dans les quartiers et dans les entreprises sont organisées. Elles visent à la constitution de groupes de futurs utilisateurs amenés à jouer un rôle prépondérant dans la conception de l'opération Béalières. Les groupes envisagés seraient : groupe accession, groupe location, groupe autogestion, groupe communautaire, groupe autoconstruction.
15À l'origine, l'Atelier est perçu comme une structure "floue pour rêver"23. Beaucoup ont des doutes sur la possibilité d'y trouver une voix participative : "Nous ne voulons pas que les élus se servent de nous pour faire de la publicité sur la participation, sachant qu'après un bon départ, le dialogue se termine toujours par des décisions unilatérales" peut-on lire dans la première plaquette de l'apu déjà citée.
16Mais, l'apu s'organise assez vite en commissions : habitat, environnement et paysage, circulation… L'animateur de l'atelier parvient à entraîner les participants grâce à la mise en place d'une méthode de travail permettant l'expression de toutes les idées. Celles-ci sont schématisées, la formalisation graphique devient accessible aux usagers, aptes dès lors à réfléchir à des structures, à comprendre des plans et à les mettre en relation avec la réalité. La cristallisation de leur participation se fera à travers les premiers plans des Béalières mais aussi par une participation efficace à la réflexion sur les éléments du dossier de création de z.a.c., puis par une activité constante lors de l'élaboration du plan des Béalières.
17L'Atelier énonce son approche dans l'article 2 de ses statuts d'association :
- introduire auprès du pouvoir politique et des compétences techniques une troisième composante exprimant la sensibilité populaire et le droit de l'usager de la ville ;
- susciter l'élaboration et la confrontation des idées ou des projets d'urbanisme, afin que l'aménagement de l'espace communal soit :
- issu de la réflexion la plus large ;
- effectivement contrôlé par ceux qui en vivront les conséquences ;
- orienté vers une meilleure conception de la vie.24
La démarche de conception et la participation
• Premières approches
18"Faire la ville ensemble"25 a impliqué, en 1979, de la part des élus qui ont adopté ce slogan et ses conséquences, une démarche beaucoup plus engagée que les simples obligations légales et réglementaires qui suffisent à une opération d'aménagement urbain.
19La participation s'engage dès l'étude d'implantation de la z.a.c. dix-neuf projets, dont dix-huit avec rendu graphique, sont présentés par seize associations, groupes ou clubs. L'apu présente, pour sa part, trois projets. Ces projets qui concernent l'ensemble de la zone Béalières, c'est-à-dire environ deux cents hectares, s'expriment en dehors de toute contrainte technique et parfois de manière très utopique, ils montrent néanmoins l'enthousiasme des Meylanais et leur implication. Chaque projet est souvent le fruit de séries de réunions de travail et de visites sur le terrain de dizaines de personnes.
20Après le dépôt du dossier de création de z.a.c. auquel l'apu a collaboré, nous l'avons vu, un concours d'idées est organisé pour le quartier des Béalières. Ses objectifs correspondent à ce dossier et à des points où le Conseil municipal et l'Atelier Public d'Urbanisme ont des vues convergentes, du type :
- dans les espaces publics libres, préserver au maximum les espaces naturels continus (internes et périphériques), les privilégier et les renforcer, plutôt que de créer de nouveaux espaces verts ;
- respecter les coulées vertes ainsi que les perspectives des Béalières ;
- constituer une zone tampon entre l'espace naturel protégé et l'urbanisation26.
21L'apu va répondre à cette consultation. Sa présentation marque les grandes options de sa philosophie : espace tampon, mélange de l'habitat, préservation d'espaces naturels fragiles, intégration d'espaces verts dans les sous-quartiers et grand ensemble vert.
• Travail sur plan avec l'architecte coordonnateur
22L'architecte coordonnateur (Ch. Fourrey) va construire son plan sur la base d'une trame, comme on l'a vu (fig. 1). Le principe de la trame est une réponse à la double attente "de faire un morceau de ville" du côté des élus et de réaliser un hameau dans la campagne pour l'apu. Elle a conduit l'architecte coordonnateur à concevoir une structure logique et simple pour le bâti, laissant libres de grands espaces naturels. L'idée de donner des directives architecturales strictes ou celle de figer un plan masse est rejetée. Dans un cadre ouvert à la diversité et à la concertation, le concept d'une structure support sur laquelle les divers intervenants pourront s'exprimer est préféré. Cette structure support est donc la trame dont la forme est directement rattachée à l'analyse générale du "site de Meylan" (considérations d'ensoleillement, de pente, de vue) et à l'analyse spécifique du site de la z.a.c. dont la pente, l'orientation, les références aux haies et aux fossés perpendiculaires induisent un système orthogonal (support des rues) qui "longe les éléments du paysage". La trame est conçue afin de permettre la mise au point progressive du plan. Elle facilite l'implantation puis éventuellement les jeux de déplacement des programmes de logements ou d'équipements. La régularité des carrés facilite la mesure des tailles d'opérations. En servant d'étalon, le carré permet aussi de mesurer des densités différentes par la combinaison des surfaces et des hauteurs27.
23Le développement du travail de l'architecte coordonnateur avec la participation des usagers et des divers acteurs exprime parfaitement ces "jeux". Pour faire évoluer le plan de structure, l'architecte n'utilise qu'un seul fond de plan. Ce fond de plan, construit évidemment sur la trame, circule et chacun peut y insérer ses propositions par superposition (calque ou autocollants). Des séances de concertation servent à réaliser, à partir des divers apports, des synthèses qui évoluent avec le temps. Le plan devient ainsi une sorte de palimpseste, image permanente du dernier état de la concertation. Durant toute cette phase, l'architecte coordonnateur interdit et s'interdit toute reproduction du document afin d'éviter la dispersion des idées.
24La trame a engendré deux types d'espaces, l'espace de liaison constitué de rues et places, et l'espace de séjour intégrant les carrés de la trame et contenant logements, équipements, cours ou squares, jeux d'enfants... La trame reste un élément privilégié de support des rues et des places à l'usage des piétons. La possibilité de circulation automobile en "surimpression" est résolue par l'aménagement en cours urbaines. Les bâtiments, implantés en périphérie des carrés, permettent de mettre en place des espaces différenciés, grâce au côté rue et au côté cour ou au côté jardin. La hiérarchisation des espaces publics et espaces semi-publics est ainsi facilitée.
25L'élaboration définitive du plan masse va se réaliser après la consultation des promoteurs et le choix des architectes. Les promoteurs ont choisi les opérations qui leur convenaient parmi celles proposées28. Dans un premier temps, les architectes sont invités à ne pas dessiner pendant un mois afin de se pénétrer des principes de la concertation. Ils participent à une série de réunions avec les techniciens, les élus et les usagers. Ils découvrent le terrain, les exigences paysagères envisagées et assistent à des séances de projection sur les buts à atteindre, illustrés par des exemples.
• L'homogénéité du plan
26Pour obtenir un résultat d'ensemble cohérent avec différents architectes, il a fallu éviter de les faire travailler sur un carré de la trame, mais les faire réfléchir sur des "morceaux" de trame intégrant un "morceau de rue" ou sur un angle avec des constructions à cheval sur plusieurs îlots29. La mixité des îlots permet de mieux déterminer les découpages et d'amener les promoteurs à s'intéresser à la rue. Les architectes peuvent alors engager leur projet. Une présentation unique des projets est demandée à l'ensemble des participants sur un seul plan masse. La réalisation de ce plan nécessite à nouveau des rencontres entre les architectes d'opérations, l'architecte coordonnateur et avec les usagers de l'apu. Quand l'insertion des opérations dans le plan masse est arrêtée, l'élaboration concertée de ce plan se poursuit pour préciser la localisation des équipements.
27Le fruit de cette concertation reste la rencontre des deux éléments sans doute les plus marquants du projet, l'idée d'une trame structurante et la volonté de respect du patrimoine écologique existant et de protection des espaces verts. La trame a été introduite et défendue par l'architecte coordonnateur et le travail sur le végétal s'est développé au sein de l'atelier public d'urbanisme.
• L'apu et le travail sur les espaces verts
28"Heureusement qu'a tenu la structure, et qu'à l'apu, on ait tenu au respect et au maintien du vert, car le résultat est là aujourd'hui"30.
29Le travail de l'Atelier public d'urbanisme a été très varié, c'est cependant dans le domaine de l'environnement, du paysage et de la protection des espaces verts qu'il s'est le plus particulièrement développé.
30Dès l'origine du dossier "Béalières", l'apu, avec la commission "environnement et paysage", a pesé de tout son poids pour la prise en compte de la sauvegarde des espaces verts et pour leur valorisation dans le secteur retenu.
31Les grands axes de sa "doctrine" peuvent se résumer ainsi :
- renforcer la végétation de part et d'autre des ruisseaux pour assurer le renouvellement des arbres et assainir l'eau de ces ruisseaux ;
- assurer l'intégration des sites végétaux à l'urbanisation en les laissant ouverts31 ;
- favoriser la plantation d'espèces indigènes lors de la restructuration d'espaces verts, éviter les espaces trop entretenus, trop sophistiqués et préférer les haies naturelles et variées aux haies uniformisées et taillées ;
- étudier une connexion douce entre bâtiments et espaces verts naturels (implantation de jardins ou de terrains de sports) ;
- le centre du quartier, censé être à la convergence de voies et recevoir une plus forte population, doit être éloigné des zones naturelles sensibles et des voies automobiles. Ce centre est imaginé comme une place de village.32
- les autres éléments constitutifs du paysage urbain doivent se plier à une intégration au domaine végétal (par exemple concevoir les équipements collectifs sous forme d'équipements légers (culturels, commerciaux, administratifs) implantés de manière éclatée dans l'espace.
32L'apu défend l'intérêt de ses demandes non seulement d'un point de vue écologique, mais aussi du point de vue économique : "préserver coûte moins cher qu'équiper". De plus, il défend le caractère vert de Meylan en proposant la conservation de ce qui existe plutôt que d'en faire ultérieurement le remplacement par des espaces verts artificiels, difficiles et chers à entretenir. Le but recherché est de faire de l'espace vert naturel un "espace de vie", entrant largement à l'intérieur des espaces résidentiels et non un "décor".
33Très généralement, ces éléments issus de la réflexion des citoyens participants, ont été pris en compte lors de la réalisation des premières phases du projet. D'autres approches très innovantes, que nous n'analyserons pas dans le détail, ont pu être intégrées à la démarche participative, depuis la préattribution des logements aux futurs usagers, leur participation à leur conception même, dans certains cas, en ce qui concerne le logement social, éléments, qui ont évidemment motivé les usagers sur le devenir de leur quartier, jusqu'à la constitution de groupes autogérés ou la gestion du quartier par les habitants.
34La réussite du projet des Béalières n'est pas démentie aujourd'hui par les avis des habitants recueillis lors de différentes enquêtes. Le projet des premières tranches des Béalières reste un modèle important en ce qui concerne la conduite d’une opération où s’inscrit la concertation bien au-delà de la simple nécessité légale. Un maximum de points de vue s’y inscrit. Ceux-ci ont enrichi la genèse du quartier et ont conduit à un résultat remarquable, un paysage urbain original par rapport aux productions urbanistiques et architecturales courantes de l’époque. Cela ne remet d'ailleurs pas en cause les urbanistes ni les architectes à qui on demande trop souvent de résoudre bien des problèmes de la cité sur une planche à dessin. Cette réussite est avant toute une affaire de cadre et de conditions qu'il a fallu savoir mettre en place et sur lesquels nous devons revenir.
35Un des comptes rendus de l'Atelier Public d'Urbanisme, concernant la dernière tranche des Béalières, se réfère à la pratique courante du projet d'urbanisme et note ceci33 : "C'est le programme qui détermine la qualité de l'urbanisme, ce sont les élus qui fixent le programme, les concepteurs et les techniciens en sont les exécutants, ils se conforment à la commande et essaient de s'en accommoder au mieux, selon leur talent... Les habitants, les usagers en vivent les résultats, en subissent les conséquences, bonnes ou mauvaises, celles-ci conditionnent la vie au quotidien pour plusieurs générations"34.
36Les usagers de l'apu poursuivent : "Les décisions des élus responsables marquent à jamais de manière irréversible la qualité ou... l'échec de l'aménagement. Cette lourde responsabilité ne peut s'exercer en circuit fermé, elle a besoin de s'entourer de compétences multiples, de se nourrir et s'éclairer de réflexions autres que purement techniciennes ou financières. S'enrichir d'idées neuves, informer, entendre et écouter la population... élaborer et réaliser avec elle l'aménagement, quel qu'il soit, favorisent un consensus tout en définissant une qualité optimum des projets. C'est seulement dans ces conditions-là que seront minimisées les erreurs, tout en avançant vers un label de qualité authentique. Ainsi, le puzzle du développement communal s'ajustera au plus près de la satisfaction de chacun dans l'intérêt général..."
37Pour les usagers de l'apu, l'urbanisme est l'affaire de tous. Dans quelle mesure le citoyen peut-il prétendre y participer, lui qui a déjà élu les responsables politiques amenés à prendre les décisions en définitive ?
38Les éléments avancés dans la citation qui précède ne doivent pas être négligés dans la réponse. Ils montrent en effet que les conséquences de l'urbanisme ont trop d'influence sur la vie des usagers pour que celui-ci se prépare en vase clos, particulièrement en ce qui concerne les espaces résidentiels.
39Nous avons pu voir que l’enjeu ainsi posé exige, non seulement, que l'élu remette en cause une partie de son pouvoir mais aussi qu'il crée les conditions facilitant la diversité des expressions des usagers pour en faire de véritables partenaires et non de simples interlocuteurs. C'est dans cette logique que s'est formé, dans le cadre de l'opération des Béalières, un "corps intermédiaire" l'Atelier Public d'Urbanisme. Nous avons pu voir les conditions de sa représentativité, la nécessité d'y introduire une pédagogie active pour éviter les défauts de communication sous peine de blocage de la démarche de concertation.
40De l'avis même d'élus, l'expérience de l'apu a mis en évidence que la participation — ou la concertation avancée — peut et doit être un "élément permanent"35 de toute l'étude d'une opération car l'importance du processus d'élaboration de la décision est fondamentale, plus sans doute que la décision elle-même. "L'expérience montre que le débat public ne peut qu'améliorer la qualité des décisions prises. Il favorise leur mise en œuvre dans la mesure où ceux qui sont directement concernés y ont été associés."36
41L'enseignement qui peut être tiré du cadre de la participation, tel que nous l'ont montré les travaux de l'Atelier Public d'Urbanisme de Meylan, nous conduit à penser que les villes pourraient se doter d'un atelier permanent d'information et de réflexion urbaines. Même en l'absence de projets, l'existence de cet atelier pourrait susciter un certain nombre de "vocations"37 capables de servir de base à la voix des usagers, dans le cadre du partenariat exigé pour tout projet d'urbanisme. La sensibilisation des associations ou des particuliers concernés à l'occasion de ces projets serait beaucoup plus aisée. On mesure les risques, les récupérations possibles d'un tel système mais y a-t-il une autre possibilité sérieuse de participation, qui permette aux habitants d'éviter le "fait du prince" et de défendre leurs propres intérêts ?
42S'il est difficile de douter de l'efficacité du rôle de la participation, ce n'est pas non plus grâce à la participation que se résolvent tous les problèmes et ce cadre n'est sans doute pas un idéal. Seulement, son grand avantage est d'avoir favorisé une production qui ne soit le monopole de personne mais le fruit d'un travail en partenariat. Les fruits du partenariat dépassent même, sans doute, les résultats de la pluridisciplinarité professionnelle38.
43Toutes les expériences qui ont pu s'inscrire dans le cadre de ce partenariat mériteraient d'être retenues, nous n'y reviendrons pas. Elles permettent aujourd'hui de placer les Béalières parmi les exemples réussis d'une approche de "l'écologie urbaine"39.
44Globalement, l'expérience des Béalières milite en faveur d'une autre idée et d'une autre pratique de l'urbanisme dont on pourrait s'inspirer pour la réalisation de quartiers nouveaux. Mais aujourd'hui, les villes ont davantage tendance à se recomposer qu'à s'agrandir. Ceci nous conduit à penser aux grands ensembles, en nous demandant si des leçons pourraient être tirées de ce qui précède pour en améliorer la réhabilitation. Dans les opérations conduites pour améliorer ces ensembles, où les usagers sont sur place et donc connus, dans quelle mesure ne pourrait-il pas être envisagé d'établir avec eux un partenariat approfondi ? Ce partenariat permettrait d'engager la responsabilité des habitants dans la transformation de leur quartier ou de leur logement et de contrecarrer, "peut-être", la marginalisation qui se dessine malgré tous les efforts. L'écologie urbaine peut sans doute trouver là aussi un champ d'application, complexe mais sûrement riche et utile, pour passer de la cité béton à la cité nature40.
45La réussite de l'application des expériences de participation, d'écologie urbaine dans le cadre de la réhabilitation des grands ensembles est difficile à mesurer a priori. Mais, en se lançant dans l'expérience des Béalières, qui savait qu'il en émergerait un résultat aujourd'hui encore exemplaire ? Il reste à savoir si, pour les grands ensembles comme pour tout autre type d'opération les mentalités actuelles restent ouvertes à ces approches…
Notes de bas de page
1 Michel Reydellet. Les Groupes d'action municipale. L'exemple de Meylan. dess Sciences politiques. Université Aix-Marseille.
Le g.i.a.m., qui se voulait hors des partis politiques, a ajouté le terme information dans sa dénomination afin de se distinguer du g.a.m. de Grenoble directement issu de la gauche.
2 1994.
3 La répartition des surfaces est la suivante : quartier d'habitat : 22,15 ha, zone d'activités : 6,37 ha, zone verte à protéger : 7,04 ha, zone non opérationnelle : 0,65 ha, emprises de voies primaires : 0,83 ha.
4 La première conçue et réalisée sous la première municipalité, la seconde réalisée sous la deuxième mais encore sur le plan d'ensemble précédent qui sera transformé pour la suite des opérations ; ces zones sont appelées Béal 1 et 2.
5 Par les Pressés de la Cité, maître d'œuvre d'une partie des espaces publics.
6 Environ 55 %.
7 700 logements avec 30 % de h.l.m. locatives profitant du même niveau de densité, relativement faible, que celui des autres logements.
8 En ce qui concerne les Buclos, voir : G. Granier. Meylan, "un quartier nouveau… une approche des problèmes du quotidien", in Urbanisme, no 161, octobre-novembre 1977, p. 78-81. C. Friess. La participation des habitants à l'élaboration d'un nouveau quartier. Mairie de Meylan.
9 A. Rousseau, ancien adjoint à l'urbanisme. Entretien.
10 Cf. M. Gillet. Un Maire devant les problèmes de réalisation d'une opération d'urbanisme. Journée d'étude. Plan construction. Décembre 1978.
11 "Comme dans le cadre de la réalisation de l'opération z.a.c. Buclos - Grand-Pré, le conseil municipal tient à favoriser la participation des habitants. Avec l'expérience tirée de cette opération, le conseil municipal désire aller beaucoup plus loin en matière de concertation pour les Béalières. Ce qui nécessite que la population soit très mobilisée et partie prenante de l'opération" écrira le maire, F. Gillet, dans la première plaquette de l'Atelier public d'urbanisme.
12 Cf. A. Rousseau. La participation des citoyens au plan local et la pérennisation du système représentatif. u.s.s. Grenoble, iep, cerfa, p. 59.
13 Cf. M. Reydellet. Les groupes d'action municipale. L'exemple de Meylan.
14 Lettre du 5.11.1979. F. Gillet. Archives municipales de Meylan (amm). Série Urbanisme. Dossier 2 06/28.
15 A. Rousseau. Idem., op. cit.
16 L'effort des élus dans la réalisation de ce qu'il est convenu d'appeler la démocratie participative s'illustrera également par la création de l'association pour l'expression et le développement de l'information (apedi) ouverte à un débat public permanent et dont l'apu utilisera les colonnes.
17 Nous en citons quelques éléments principaux : 1980-1981. J.M. Bolle, L'expérience de l'Atelier Public d'Urbanisme de Meylan et le futur quartier des Béalières : la participation ou le rêve est-il bétonnable ? Séminaire cadre de vie et aménagement, u.s.s. - Grenoble 2, Institut d'Etudes Politiques, octobre 1982 ; tetra/stu, Les apu . Expériences et réflexions. Service documentation. Paris : stu, décembre 1982 ; stu, "Les ateliers publics : une étape dans la concertation ?", Cahiers Flash Communication, no 6. (À Meylan. p. 55-84.), juillet 1983. K. Gengoux, P. David, a.p.u., Meylan. Les Béalières. Précontrat famille. aurg. 1er trim. 1985 ; Ph. Mirenowicz, "L'atelier public de Meylan. Bilan de cinq années d'activité", in Metropolis. no 41, novembre 1987 ; F. Lapoix, "L'atelier d'urbanisme de Meylan, c'est fini !", in Combat Nature, no 79.
18 Nous examinerons plus loin son travail spécifique sur l'ambiance de vie, l'intégration de la nature, l'écologie urbaine, sur la base des archives apu et d’entretiens avec Mme G. Vagnozzi (ex-apu).
19 Entretien avec Mme G. Vagnozzi.
20 stu. Les ateliers publics : une étape dans la concertation ? Décembre 1982.
21 Idem.
22 Cf. B. Roudet. La commune et ses associations. Meylan. Isère.
23 K. Gengoux, P. David. Op. cit. (de mai 1979 à janvier 1980).
24 L'apu, devenu association en 1981, a été dissout en 1987. Des cendres de l'APU, et sur la base de sa commission la plus permanente et la plus constante dans l'action (environnement et espaces verts) est née l'apeuq : "association pour un environnement urbain de qualité". Selon K. Gengoux et P. David, si l'apu n'a inévitablement pu être le moyen d'expression de tous, il a cependant pu être le lieu d'expression des préoccupations de beaucoup de Meylanais à travers leurs associations ou directement. Il a même pu présenter des revendications collectives, donc obtenir une représentativité incontestable lui permettant d'exercer une influence certaine. Certains pensent cependant qu'en mobilisant l'essentiel des disponibilités de dialogue avec les élus et les techniciens, l'apu a frustré des habitants. Par cet effet pervers la participation a pu tendre à couper les élus de certains de leurs administrés.
25 Titre du bulletin municipal, no 86, 1979.
26 Commune de Meylan. "Aménagement des Béalières. Consultation d'Hommes de l'Art." Juillet 1980.
27 Entretien Ch. Fourrey.
28 Dans la première tranche qui correspond le mieux aux objectifs fixés, il y a eu 7 promoteurs et 12 architectes pour 15 opérations et environ 350 logements.
29 Entretien Ch. Fourrey.
30 Entretien avec Mme G. Vagnozzi.
31 Il était recommandé de prendre des précautions de chantier, ce qui a été fait.
32 Archives apu. Justification de la conservation des espaces naturels continus à l'intérieur du périmètre de la z.a.c. Juin 1980.
33 Archives apu : apu-zh3. La dernière tranche des Béalières. 21 juin 1983.
34 Les éléments soulignés le sont dans le texte de l'apu.
35 A. Rousseau in La participation des citoyens au plan local..., p. 65.
36 A. Rousseau, idem.
37 Ce qui a été clairement le cas à Meylan.
38 Cette pluridisciplinarité était d'ailleurs une des demandes non satisfaites de l'apu qui voulait une équipe avec paysagiste, urbaniste, écologue, architecte, ingénieur… et pas simplement un architecte-coordonnateur puis des architectes d'opérations. Ce qui d'ailleurs n'a pas empêché ces professionnels "de devenir géniaux" selon l'avis de membres de l'apu et cela grâce au contexte.
39 "Qui avait été faite sans le savoir", dira Mme G. Vagnozzi, en s'intéressant à la protection de la nature et au bien-être des futurs habitants. Cf. Lapoix, Mirenowicz…
40 Cf. L. latiri, L'écologie urbaine et la réhabilitation des logements sociaux. Mémoire de fin d'études, e.n.s. du paysage, Versailles, juin 1993. 130 pages.
Auteur
Maître de Conférences, Université J. Fourier Grenoble.
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