1 Appliquée au russe, selon leur définition, la « langue via civilisation » est « un aspect spécial de l’enseignement, qui examine les voies et les moyens de présentations aux écoliers, étudiants et élèves de cours de langue apprenant le russe, la réalité soviétique contemporaine (par le biais du russe et au cour de son apprentissage) [специаᴧьный аспект обучения, в котором рассматриваются пути и способы ознакомᴧения иностранных шкоᴧьников, студентов, стажеров, изучающих русский язык, с современной советской действитеᴧьностью (через посредство русского языка и в процессе его изучения)] (Lingvostranovedenie…, 1979, p. 4).
2 La « nouvelle méthode naturelle » a été largement utilisée notamment par Catherine Conoff dans sa série de manuels destinés à l’enseignement secondaire (Konof [Conoff], 1914, 1915), qui, depuis 1897 et en un peu plus de 20 ans, a subi plus de 20 rééditions.
3 « - Que pensez-vous du français ? – La langue française est belle. – Je pense qu’elle est difficile. – Tout le monde parle français » (ibid.).
4 Dans le manuel cité, par exemple, on les trouve dès les premières pages, pour travailler la conjugaison du verbe être. Que ce soit dans un exercice de thème ou de version, il est notable que la richesse est toujours réservée aux sujets désignés par les pronoms de la 1ère et 2ème personne du singulier, opposés à toutes les autres : « Tu es riche et elle est pauvre. […] Ils étaient et ils sont pauvres. Tu étais chez l’employé » (ibid., p. 43-44)
5 «Парuжъ яɞᴧяеmся соɞерɯенно nоƨᴧощающuмъ nроɞuнцiю ценmромъ uнmеᴧекmуаᴧьноŭ u ху∂ожесmɞенноŭ жuзнu ɞсеŭ Францiu, u з∂есь собраны nочmu ɞсе ху∂ожесmɞенные сокроɞuща сmраны, коmорые mоᴧько ∂оnускаюmъ nереɞозку; nоэmому нu о∂uнъ ƨоро∂ъ Францiu не можеmъ ∂аже оm∂аᴧённо конкурuроɞаmь ɞъ смысᴧе ∂ухоɞныхъ uнmересоɞъ съ Nарuжемъ. ∂аже ɞ ᴧuонҍ u Бор∂о можно ɞсmреmumь mоᴧько зачаmкu самосmояmеᴧьноŭ uнmеᴧᴧекmуаᴧьноŭ жuзнu» (ibid.).
6 Grande course de chevaux qui depuis 1780 a lieu chaque année, en mois de juin, à Epsom Downs, en Angleterre, et plus connue sous le nom de Derby d’Epsom.
7 Disant « семuэmажные » [à sept niveaux], en russe on prend en compte le rez-de-chaussée, qui en français est exclu du calcul d’étages.
8 Après quelques hésitations, j’ai pris le parti de traduire « заɞmрак » non pas par le « petit-déjeuner » mais par le « déjeuner », et, en conséquence, « обе∂ » par le « dîner » au lieu de « déjeuner » (réservant le « souper » pour « ужuн », ce qui atténue, dans la traduction, l’idée que les Français boivent du vin dès le matin. Ce choix, bien qu’il s’écarte de la tradition moderne, coïncide, finalement, avec la traduction des noms des repas que l’on trouve dans le dictionnaire de l’époque, c’est-à-dire, le dictionnaire de N.P. Makarov (Makarov 1874, I, P. 190 ; II, p. 17). En effet, le premier repas de la journée, correspondant en russe à « заɞmрак », selon les modes, les régions, les milieux et les époques pouvait, dans les deux pays, avoir des horaires et un contenu différent. À partir de XXe siècle, le mot « petit-déjeuner » est adopté en hôtellerie en France (cf. Wikipédia, Déjeuner), mais cela ne veut pas dire que les ouvrages littéraires ou journalistiques, dès le début de siècle et surtout avant cette époque, emploient la même terminologie pour désigner les repas : pour les personnages de V. Hugo, issus du peuple, le « déjeuner » est matinal, alors qu’il ne l’est pas pour Grimod de la Reynière, ni, d’ailleurs pour le compositeur russe P.I. Tchaïkovski qui, dans une des lettres à son frère cadet, mentionna, employant bien le terme « заɞmрак » : « À midi on me sert le déjeuner composé de deux plats et un dessert » [« В ∂ɞена∂цаmь часоɞмне по∂аюm заɞmрак uз ∂ɞух куɯанuŭ с ∂есерmом »] (cf. lettre à A.I. Tchaïkovsky, du 23/11/1878).
9 Cette même tendance se reflète dans le bilan global du commerce entre la Russie et la France, car « les articles de luxe constituaient 70 % des exportations françaises d’avant-guerre en Russie ». En retour, la France importait de Russie « des céréales, des œufs et des autres produits alimentaires, des fourrures, de la pelleterie, du naphte, du bois et du lin » (Georgiu, 1936, p. 173-174).
10 «Знаmь uносmранные языкu, ɞᴧа∂ѣmь uмu ɞъ соɞерɯенсmɞѣ – ɞеᴧuкое счасmье чеᴧоɞѣка, сmремящаƨося къ самообразоɞанiю. Tуmъ ƨорuзонmъ значumеᴧьно расɯuряеmся; чumаmеᴧь nоᴧучаеmъ ɞозможносmь nоᴧьзоɞаmься орuƨuнаᴧьнымu сочuненiямu, не ∂ожu∂аясь uхъ nереɞо∂а u, сᴧѣ∂оɞаmеᴧьно, ∂ѣᴧаеmся боᴧѣе самосmояmеᴧьнымъ u незаɞuсuмымъ ɞъ ɞыборѣ маmерiаᴧа» (ibid.).
11 En Russie impériale tout comme en Union soviétique, contrairement aux habitudes françaises, les années de l’école (primaire-collège-lycée) se succèdent en ordre croissant, la première année étant réservée aux plus jeunes, suivie de la IIème, puis la IIIème etc.
12 Ceci peut s’expliquer en partie non seulement par une démarche politique (l’Église orthodoxe préserve son influence sur le territoire russe) ou didactique (les élèves reconnaissent et identifient les paroles des prières plus facilement si elles sont équivalentes aux paroles qu’ils connaissent déjà par cœur, c’est-à-dire celles des textes orthodoxes), mais aussi par le fait qu’en France, au début de XXe siècle, la liturgie se déroule encore en latin. Cependant les prières personnelles, et notamment l’oraison dominicale, se disent généralement, depuis le XVIIe siècle, dans la langue maternelle. On peut ainsi comparer « Notre père », tel qu’on le récite chez les catholiques en France avant le IIème Concile œcuménique du Vatican de 1962-1965 et tel qu’il apparaît dans les manuels, par exemple, dans la « Mosaïque Française » (Mižuev, 1906, p. 1). Notamment, le terme « nos dettes », employé dans celle-ci, plutôt que « nos offenses », habituel pour les catholiques français, correspond aussi bien à « ∂оᴧƨu наɯа» de la version slavonne, qu’à la version latine – « debita nostra », ou grecque – « ὀφειλήματα ἡμῶν». En revanche, le vouvoiement de Dieu, en tant que marque de respect, que l’on trouve également dans ce texte, relève te la tradition française : la prière en slavon de l’Église, tout comme en grec et en latin, a préservé le tutoiement.
13 Même si, avec du recul, on se rend compte que l’ensemble des ouvrages analysés permet de tirer la même conclusion, cette évolution thématique est évidemment plus notable quand on a la possibilité d’observer des manuels d’un même auteur mais qui ont été écrits à la suite les uns des autres pour des élèves d’âges différents. C’est le cas, par exemple, de la série de manuels « Cours pratique de langue française » de Ph. Trilling, qui, entre 1900 et 1917, selon le succès de chacun des volumes, fut réédité entre 11 et 18 fois. Après son « Année Préparatoire » (Trilling, 1912 a), les élèves de la 1ère année abordent le volet « À l’école et à la maison » (Trilling, 1917a), ensuite, en 2ème année, ils s’éloignent d’avantage, jusque « À la campagne et à la ville » (Trilling, 1912b), pour enfin, vers la 3e-4ème année dans le volet « La Société » (Trilling, 1917b), sur lequel nous allons nous arrêter davantage, parcourir l’histoire de la Russie rédigée par des auteurs français.
14 Outre les chrestomathies citées ci-dessus, on trouve un certain nombre de textes portant sur l’histoire de la France dans le manuel de M.A. Šatelen (Šatelen, 1901, p. 103-116).
15 Notons au passage, concernant les rapports franco-russes au début de XXe siècle, que l’épouse de Gabriel Monod, Olga Herzen, n’était autre que la fille d’Alexandre Herzen, un célèbre écrivain, philosophe et révolutionnaire russe.
16 Les « … » à répétition sont reproduits tels que dans le du texte original cité et font penser que ce passage de l’introduction du manuel, même s’il n’est pas présenté comme tel par l’auteur, représente déjà en soi une citation, ou plutôt plusieurs citations entrelacées. L’admiration devant la « situation géographique exceptionnelle » de la France fait bien penser à ce qu’écrivaient au début de siècle les géographes français ; et on y reconnaît en outre, bien évidemment, au moins les paroles célèbres dont l’origine est disputée entre deux présidents des États-Unis et un écrivain de la même époque, Thomas Jefferson, Benjamin Franklin et Goethe : « Tout homme a deux patries : la sienne et puis la France ».
17 Notons que, pour les rééditions d’ouvrages d’avant la Révolution d’Octobre, datant de 1917-1918, comme le Premier livre de lecture d’après la méthode naturelle de C. Conoff, la principale différence à ce stade consistait en une moindre qualité du papier qui, témoin fidèle de son époque, était devenu exécrable.
18 Notons, que dès l’année suivante, le nom de C. Conoff disparait lui aussi et bien que son livre porte toujours le titre français de l’ancien manuel Cours de français à l’usage des commerçants, C. Ganchine continue de le publier seule à son nom (Ganšina, 1924). Cependant, « la méthode naturelle » dont C. Conoff fut la principale conductrice, n’est pas revendiquée dans les manuels de C. Ganchine, mais resurgit grâce à P. Luquet (Lûkè, 1925, 1928).
19 Exception faite pour P. Luquet, qui a réussi à publier plusieurs ouvrages jusqu’au début des années 1950, généralement sous la rédaction de B. Menžinskaâ (Lûke, 1928 ; Lûke, Menžinskaâ, 1947). En outre, son nom réapparait, associé à un petit poème en hommage à l’aviation soviétique, dans un manuel rédigé par d’autres auteurs (Baxareva et al., 1943, p. 4) : il s’agit d’une adaptation en français de la « Marche des Aviateurs de l’Armée rouge », bien connue en Russie. Un autre nom étranger que l’on trouve jusqu’à 1945 à travers ses diverses publications, est celui de Marie Ouin, connue, d’une part, pour son édition annotée de chansons de P.J. Béranger, qu’elle a publiée en tant que lecture choisie pour les étudiants de lettres françaises (Beranže, 1937) et, d’autre part, pour ses manuels, écrits en collaboration avec les coauteurs russes, Lidiâ Alafusova (Alafuzova, Uèn [Ouin], 1925) et Ekaterina Lifšic (Uèn, Lifšic, 1939, 1945). Cependant, étant donné que, à la différence d’autres auteurs d’origine étrangère présumée, dans la présentation de ses ouvrages, elle donne à côté de son prénom le patronyme « Avgustovna », on peut penser qu’il ne s’agit pas d’une véritable étrangère mais plutôt d’une descendante d’immigrés de deuxième ou troisième génération. Peut-être avait-elle aussi des circonstances atténuantes, jouant en sa faveur, qui lui ont assuré la tolérance de la part de la GPU NKVD (Direction politique d’État [Gosudarstvennoe političeskoe upravlenie] du Commissariat du peuple aux affaires intérieures [Narodnyj komissariat vnutrennix del]).
20 Outre de nombreuses coquilles, on trouve, dès 1923, beaucoup d’emplois inappropriés, tels que « la rentrée » pour désigner « le retour de l’école » (cf. note de bas de page no 34), des « sans asile » aux lieu de « sans abris » pour faire référence aux enfants démunis qui n’ont pas de domicile (Lûke, Menžinskaâ, 1935, p. 107), ou encore des erreurs dans les emplois de prépositions du type de « Dans quel étage votre logement se trouve-t-il ? » (Bykova-Xlopovskaâ, Kosteckaâ, 1929, p. 74).
21 Ceux qui sont restés en Russie après la Révolution bolchévique de 1917 et ont survécu à la guerre civile, ainsi qu’au communisme de guerre, ont été, en bonne partie sur proposition de Lénine, expédiés du pays en automne 1922, avec deux bateaux allemands, ce qui a valu à cet incident historique le nom de « bateaux des philosophes ». Dans une interview aux journalistes étrangers, L. Trotski disait : « Nous avons expédiés ces gens car il n’y avait pas de raison de les fusiller, mais il était impossible de les supporter » (selon les mémoires d’un des écrivains et journalistes ayant subi ce sort, M.A. Osorguine : cf. Osorgin, Kak nas uexali [« Comment on nous a fait partir »]). La majeure partie de ces intellectuels, selon les statistiques, étaient des universitaires, dont les personnes susceptibles de rédiger en français.
22 Le manuel qui se veut être le premier support orienté vers l’apprentissage d’une langue parlée, date de 1936. Il s’agit d’un manuel réservé aux étudiants de la filière « commerce international » des établissements supérieurs. Dans sa préface, il est stipulé que l’acquisition des mécanismes d’un discours spontané concernant les sujets de la vie quotidienne [оɞᴧа∂енuе наɞыкамu жuɞоŭ речu на быmоɞые mемы] fait partie des buts prioritaires de l’enseignement dans les établissements affiliés au Commissariat du peuple au commerce international. Autrement dit, à ce stade, les autorités chargées de l’éducation nationale sont parfaitement conscientes que, en l’état, l’apprentissage du français (en l’occurrence, mais on pourrait certainement faire des parallèles avec d’autres langues étrangères) ne peut procurer aux élèves qu’une connaissance très théorique de la langue, qui élargit certainement leur culture générale et permet de considérer que l’enseignement secondaire de l’URSS comprend des langues étrangères, mais qui peut difficilement servir le but premier d’une langue, c’est-à-dire la communication. Ceci donne l’impression qu’il s’agit d’un choix politique assumé, consistant à préserver les masses populaires des connaissances pratiques d’une langue étrangère et… d’échanges éventuels avec l’occident, hostile et plein d’espions.
23 Un manuel paru en 1924 à Leningrad constitue une curieuse exception de cette règle (Èrdel’, Byxovskaâ, 1924) : comme par hasard, on n’y trouve pas la mention « approuvé par le Conseil scientifique de l’État ». De par l’élégance des objets représentés dans les illustrations et le choix des textes (très bucoliques, enfouis dans la thématique florale et animalière pour s’écarter de la politique, même dans le chapitre « À la ville », avec, en tout et pour tout, un seul poème faisant référence à la Commune de Paris de 1871, « Sur une barricade » de V. Hugo), ainsi que de par le respect souligné vis-à-vis des parents, avec le retour de « cher maman », cet ouvrage ressemble d’avantage aux manuels publiés avant 1917 qu’à ceux de l’époque soviétique. Parmi le vocabulaire illustré, à la place de clous et des brouettes, on y trouve une « broche » assez sophistiquée, un élégant « bracelet », une belle « lampe » à abat-jour, une « bouteille » de vin avec « Saint-Raphaël » bien lisible sur l’étiquette, un « piano » etc. (ibid., p. 1-3), de même que l’image du salon représente une pièce, soit moins somptueuse que dans les ouvrages antérieurs, mais meublée et décorée avec soin, sans signes ostensibles de la présence bolchévique (comme le portrait de Lénine ou les éternelles cravates de pionnier pour les enfants), habitée par une famille de la classe moyenne, habillée à la mode de début de XXe siècle (ibid., p. 44).
Ce « retour en arrière », en dehors du choix des auteurs, leurs goûts et leurs convictions, se justifie, en partie, par la méthode annoncée dans la préface, qui reprend très exactement celle que défend P. Mijouieff (Mižuev, 1918) qui, pour faciliter les débuts d’apprentissage du français, profitent des nombreux emprunts du russe à cette langue : l’étude commence par « une série de mots offrant une similitude phonétique entre le russe et le français » (Èrdel’, Byxovskaâ, 1924, p. III) : « bracelet - брасᴧеm [brαsl’˙ét] », « lampe - ᴧамnа [l΄ãmpъ] » etc. Inutile de préciser que cet ouvrage n’a pas connu de rééditions…
24 Alors que, selon les données du recensement de 1939, les adultes (entre 16 et 50 ans) qui s’estiment alphabétisés constituent près de 90 %, et ce chiffre s’approche de 100 % seulement vers 1950. Toutefois, même si au milieu des années 1930 il reste encore du chemin à faire, le progrès est incontestable si on se souvient qu’en 1917 le nombre d’adultes alphabétisés était estimé à seulement 14 % (cf. Wikipédia, Gramotnost’).
25 Quant aux articles de mode et aux délices de la cuisine française, ils n’apparaissent désormais qu’avec une connotation de mépris : ils ne profitent qu’à des « bourgeois futiles », alors que c’est le sang et la sueur des ouvriers affamés qui les payent (Lûkè, Menžinskaâ, 1935, p. 17 ; Georgiu, 1936, p. 194).
26 Parmi les manuels de français paru entre 1928 et 1931 (les années où l’État entreprend les démarches pour clore la NEP, ce qui dans la pratique signifie aussi la fermeture complète des frontières car les investisseurs étrangers n’ont plus rien à faire en Russie), on trouve une brochure didactique, publié par la « Maison Centrale de l’Armée rouge », qui contient toute sorte de renseignement sur l’armée française (des exemples de rapports, d’ordres et de correspondance commerciale militaire, la structure du corps d’armée, les termes militaires les plus utilisés et des abréviations, les explication nécessaires à la lecture de cartes militaires de France…) ; et, en parallèle, toujours en français (certainement rédigé par un russophone, étant donné les maladresses et les emplois inappropriés qu’on y remarque) ce même recueil présente un descriptif de l’organisation de l’Armée rouge, tiré de l’Annuaire militaire de 1928 « sans aucune altération », qui devrait certainement à la fois rassurer les citoyens soviétiques et être dissuasif pour les éventuels ennemis de la « jeune République Socialiste des Soviets » : 562 000 hommes dans le service actif, 800 000 autres en formation, renouvelables tous les ans, avec une conscription pour « tous les citoyens » valides [« travailleurs », dans l’original], âgés de 19 à 40 ans (une instruction militaire de 2 ans pour les hommes, suivi d’un service actif de 5 ans et passage dans l’armée de réserve par la suite), pour une population totale de 139 753 900 personnes (Obrazcy pis’movodstva…, 1930).
27 La cruauté de la misère des villes françaises semble être d’autant plus intense que, assez fréquemment, elle est soulignée par l’effet d’accumulation de textes allant dans le même sens, concentrés dans un même chapitre. Les cas où la distinction entre la campagne et la ville est intégrée à l’organisation thématique de l’ouvrage, sont assez fréquents, surtout pendant la NEP (permettant ainsi de constater, dès la table de matière, que les directives du GUS sont mises en application). Mais si dans la partie « Campagne », au-delà des métiers et des tâches accomplies par des paysans, on peut percevoir de la douceur et de la poésie inspirées par la nature et le changement de saisons, la « Ville » quant à elle (et c’est surtout là qu’on inclue généralement les textes qui font référence à la France) est présentée comme un lieu occupé par les syndicats professionnels et les ouvriers, le plus souvent des mineurs, qui doivent faire à la fois face à la misère, au travail épuisant et aux patrons oisifs et sans cœur (Èrdel’, Byxovskaâ 1924 ; Alafuzova, Uèn, 1925 ; Lûkè, 1928).
28 L’idée qu’un enfant peut être un héros est récurrente dans les manuels de l’époque soviétique.
29 Notons, d’ailleurs, que pour justifier l’apparition dans un des manuels d’un extrait du Bourgeois Gentilhomme de Molière, l’auteur se sent obligé d’y introduire un commentaire rimé : « Molière est un écrivain très fin. Monsieur Jourdain est un crétin » (Lûkè, Menžinskaâ, 1935, p. 16)
30 M. Thorez, en tant que secrétaire général du Parti communiste français, avec son œuvre auto-biographique Fils du peuple et des extraits de ses articles, occupe, en effet, une place particulière dans les manuels soviétiques dès le début des années quarante : parmi les auteurs évoqués, il est le seul pour qui on a pris la peine de rédiger un résumé bibliographique (Baxareva et al., 1950, p. 3). Notons que par « coïncidence », en écho, dans le même manuel, quelques pages plus loin se trouve un extrait de l’article rédigé par M. Thorez, publié le 21 décembre 1949, le jour officiel de l’anniversaire de Staline, dans le journal « Pour une paix durable, pour une démocratie populaire ». Ce texte extrêmement élogieux, intitulé « Vive Staline ! », commence par une phrase qui résume aussi bien son contenu que la position politique de son auteur : « Les travailleurs, les démocrates, les partisans de la paix, en France et à travers le monde célèbrent dans l’enthousiasme le soixante-dixième anniversaire de notre cher et grand camarade Staline » (ibid., p. 26).
31 Les intitulés des extraits qu’on emprunte aux auteurs français orientent généralement le contenu et soulignent la même thématique : « Le travail de nuit », « L’émeute pendant la grève » de Zola, « Le courage » d’A. France, « L’année terrible » de V. Hugo (qui reprend l’intitulé de son recueil), « Les souffrances du siège » de C. Prolès etc. (Ganšina, 1924 ; Fridenberg, 1925 ; Lûké, 1928 ; Bujmistrova, Gorev, 1930). Cependant, la pratique d’attribution régulière par l’auteur de recueil d’intitulés aux extraits choisis joue quelquefois de mauvais tours au lecteur. On trouve ainsi un texte nommé « Lénine et la Commune » signé par… Lénine, qui correspond en réalité à une traduction en français d’un extrait de son article évoquant la Commune de Paris, publié dans Le journal ouvrier [Рабочая ƨазеmа »] de 15-28/04/1911 (Bujmistrova, Gorev, 1930, p. 63). Un extrait de lettre de K. Marx à Kugelmann, datant du 12/04/1871, a connu le même sort, transformé en un texte intitulé « Karl Marx et la Commune », signé par K. Marx (ibid., p. 60-62).
32 Il a fallu attendre la fin de la Seconde Guerre mondiale pour s’écarter de ces clichés et proposer aux élèves des classes supérieures un choix de lecture différent. Aussi on trouve publié par le même auteur une adaptation d’une cinquantaine de pages, pourvue de vocabulaire, des romans de F. Rablais, parue sous le titre de « Gargantua et Pantagruel », présentée comme une œuvre humaniste et anticléricale de son époque (Tarasova, 1945).
33 « B ɞu∂у не∂осmаmочноƨо заnаса сᴧоɞ у учащuхся, мы не можем ∂аɞаmь ɯuрокuх карmuн uз жuзнu u куᴧьmуры соɞременноŭ Францuu » (Bykova-Xlopovskaâ, Kosteckaâ, 1929, p. 3).
34 La seule exception que nous avons découverte correspond à un texte maladroitement nommé « La rentrée », issu d’un manuel de la fin de la NEP, écrit par deux russophones, dans lequel contre toute attente il n’est pas du tout question de la reprise de l’école après les vacances, mais du retour d’un élève chez lui après la classe (le substantif la « rentrée » est donc investi d’un sens étymologique processif inhabituel de « rentrer à la maison ») (Bykova-Xlopovskaâ, Kosteckaâ, 1929, p. 45). Le texte qui, par ailleurs, reste assez neutre et ne comporte pas d’informations explicites sur le nom de la communauté où habite le personnage ou sur la nationalité de celui-ci, est accompagné d’une illustration qui représente une vue sur l’Opéra Garnier à Paris, bien reconnaissable, avec une rangée de bâtiments à 6 étages avec des volets fermés, chose marquante pour un Russe, car les bâtiments ni à Moscou ni à Saint-Pétersbourg (Leningrad à l’époque) n’en sont équipés. Le jeune personnage de ce texte habite « 3, rue Danton, logement 17 », ce qui, de toute évidence, reproduit une adresse française, mais ne correspond pas à l’image, car cette rue, quoiqu’elle existe à Paris, se situe dans un autre quartier, plus exactement dans le 6e arrondissement, non loin de la fontaine Saint-Michel, entre la place Saint-André-des Arts et le boulevard Saint-Germain. La numérotation de « logements » dans l’adresse postale est aussi une maladresse qui trahit les origines des auteurs et incorpore ce trait typiquement russe dans la réalité française décrite dans le texte. En effet, en France on a l’habitude d’indiquer les noms sur les boîtes à lettres, tandis qu’en Russie on y appose seulement le numéro d’appartement, permettant ainsi de garder l’anonymat des habitants. Malgré ces remarques, ce texte représente la seule tentative, dans un manuel soviétique scolaire de la première moitié du XXe siècle, de présenter le quotidien d’un Français d’une manière neutre, sans évoquer la fameuse discrimination sociale ou la lutte ouvrière.
35 Toutefois, les exercices qui servent à s’entrainer à dire « quoi coûte combien » se basent ordinairement sur des calculs en roubles et kopecks (Ganšina, 1923, p. 48) : même pour un jeu de rôles il n’est pas souhaitable de laisser imaginer un Russe (ni surtout lui en donner envie) qui puisse faire une escapade en ce pays bourgeois qu’est la France.
36 À la différence des manuels publiés avant la Révolution d’Octobre et qui étaient, du point de vue du graphisme, « politiquement corrects », les ouvrages parus après cette date sont remplis d’emblèmes soviétiques, de plus en plus présents et abondants à mesure que l’on s’approche de 1950. Tout d’abord, on trouve de nombreux portraits de Lénine et de Staline : côte à côte (Tarasova, Gorodeckaâ, 1937, p. 34 ; 1943, p. 43) ou le plus souvent séparés, avec une très nette tendance à privilégier Staline (Baxareva et al., 1943, p. 3 ; Fedotova, Markova, 1943, p. 37 ; Fedotova, Markova, 1946a, p. 93 ; Tennova, Markova, 1949, p. 3 ; Baxareva et al., 1950, p. 26), Lénine seul n’étant que rarement évoqué et mis en image en dehors de la mention de sa mort (Fedotova, Markova, 1947, p. 37). D’autres éléments emblématiques que l’on rencontre, quoique plus rarement, sont la faucille et le marteau, accompagnés de phrases qui introduisent ces lexèmes – « Je vois la faucille et le marteau ; c’est l’emblème du travail » (Bykova-Xlopovskaâ, Kosteckaâ, 1929, p. 11), ainsi que l’hymne de l’Union soviétique traduit en français, de façon anonyme (Tennova, Markova, 1949, p. 61).
De plus, à partir du milieu des années trente, les pages des manuels de français sont parsemées de slogans, dont la plupart rendent hommage à la Révolution d’Octobre, à Staline, aux nouvelles fêtes et à l’Armée rouge. Ils sont mis en relief par la taille et le jeu de caractères ou par un encadrement, au même titre que des éléments grammaticaux et lexicaux à retenir. Les plus récurrents parmi eux sont : « Vive la Grande Révolution Prolétarienne (ou Socialiste) ! », « Vive la Troisième Internationale ! », « À bas la guerre impérialiste ! », « Vive le Premier Mai ! », « Prêt pour le travail et la défense ! », « Vive notre grand Parti ! », « Vive le Parti Communiste ! », « Vive notre héroïque Armée rouge (ou Armée rouge victorieuse) ! », « Vive l’Armée soviétique ! », « Vive notre flotte héroïque ! », « Gloire à vous, nos héros aviateurs ! », « Vive notre grand chef, le camarade Staline ! » ; ou plus simplement, « Vive le camarade Staline ! », « Merci au camarade Staline pour notre heureuse enfance ! » (Georgiu, 1936, p. 51,76, 103 ; Tarasova, Gorodeckaâ, 1937, p. 85, 94 ; 1943, p. 42, 95, p. 103 ; Fedotova, Markova, 1943, p. 109 ; Fedotova, Markova, 1946, p. 91 ; Fedotova, Markova, 1947, p. 73). Et pour montrer un amour international envers Staline, on fait en sorte que le personnage qui, dans un des textes, choisit d’inscrire cette phrase, porte un prénom français, René (Tarasova, Gorodeckaâ, 1937, p. 34 ; 1943, p. 43). Curieusement, le grand appel de Marx, repris par la Révolution bolchevique, « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! », n’est jamais mis en valeur graphiquement par encadrement, comme les autres slogans cités, mais simplement mentionné dans un des textes de M. Thorez (Baxareva et al., 1950, p. 21).
37 Avec un tableau de « statistiques douanières de l’URSS » commenté, exprimé en milliers de roubles-or, datant de 1924-1934, grâce auquel on s’aperçoit que pendant toute la période la Russie exportait en France à peu près le double de ses importations : 22 133 milliers de roubles-or de marchandises exportées contre 9 210 importées en 1924-1925, dès le rétablissement des rapports diplomatiques franco-russes, et 20 544 milliers de roubles-or de marchandises exportées contre 10 030 importées en 1934, après la signature du traité de commerce du 11 janvier 1934 entre les deux pays, en prévision de la signature de l’accord franco-russe d’assistance mutuelle. On constate une croissance permanente d’activités pendant la NEP (le pic des exportations correspond aux années 1926-1927, avec 54 101 milliers de roubles-or de marchandises exportées contre 22 196 importées, tandis que le pic des importations se situe l’année suivante : 35 850 milliers de roubles-or de marchandises importées contre 40 568 exportées), une stagnation pendant les toutes dernières années de la NEP et une chute très rapide des chiffres à partir de 1931. Pour comparaison : selon les données de ce même manuel, juste avant la Première Guerre mondiale, en 1913 la Russie exportait en France pour 100 879 milliers de roubles-or de marchandises contre 56 990 milliers de roubles-or d’importation, à savoir le double des meilleurs chiffres d’affaires atteints par l’URSS dans la période observée.
38 Tout comme le voyage du petit Chose d’A. Daudet, évoqué à la suite. Repris dans plusieurs manuels des années trente-quarante, ce texte s’arrête dès l’arrivée du train dans la capitale française : le lecteur ne voit rien de Paris, et il lui en reste seulement une sensation de froid et de la faim d’un petit garçon fatigué par le voyage (ibid., p. 192 ; Baxareva et al., 1950, p. 53).
39 L’ordre d’apparition des réalités qui constituent Moscou moderne, avec les usines et les fabriques en premier lieu et les musées (les gardiens et témoins du passé) tout à la fin, est à noter !
40 On sent très clairement une connotation négative, donnée ici à « asiatique » : une fois de plus on constate que l’Union soviétique se veut être un état européen, renonçant à ses appartenances asiatiques. En effet, l’URSS aspire à devenir une puissance industrielle, moderne et progressive, or à cette époque le progrès vient encore de l’occident.
41 Bien évidemment, à aucun moment, l’effort du système qui a tout de même mis en place « les secours du chômage » n’est salué, par contre on surligne en caractères gras tous les mots apparentés au chômage, à la crise, à la grève etc. (ils sont reproduits avec le même graphisme dans les extraits cités, afin de préserver l’enchaînement visuel de ces concepts négatifs qui ressortent du texte).
42 Du point de vue stylistique la construction de ce texte est fort intéressante, car elle prouve que notre jugement et la perception du référent est facilement influençable. Dans l’absolu, on peut bien apprécier des petites maisons plutôt que des grandes, et ne pas vouloir manger beaucoup de pain pour ne pas grossir ; cependant l’insertion dans un parallélisme entre les traits qualificatifs de deux membres d’une opposition (le plus souvent privative), échelonné par la présence de certains traits dans la qualification de Paris (par exemple, « collectivisme + », « verdure + », « ouverture vers le monde + ») et leur absence parmi les caractéristiques de Londres (« collectivisme – », « verdure – », « ouverture vers le monde – »), avec l’opposition finale explicite de bon et de mauvais, nous suggère d’interpréter tous les autres « – » dans les qualifications de Londres, comme des défauts (maisons hautes = « hauteur des maisons + » ; maisons basses = « hauteur des maisons – »).
43 Une autre sorte d’égalité établie dans les manuels soviétiques est celle entre l’homme et la femme. Explicitement stipulée dans une citation de l’article 122 de la « constitution stalinienne » [Baxareva et al., 1943, p. 49], elle est soulignée aussi bien par le choix des textes que par des moyens grammaticaux : toutes les professions, outre le masculin, sont données au féminin (Alafuzova, Vel’ter [Welter], 1923, p. 13), on trouve le « Manifeste du Comité central de l’Union des Femmes pour la défense de Paris et les soins aux blessées » (Fridenberg, 1925, p. 51), des textes décrivant le personnage de Louise Michel de Lissagaray ou d’H. Barbusse (le plus souvent, des extraits de La Vierge rouge qui paraissent sous le titre Les Femmes sous la commune) (Bujmistrova, Gorev, 1930 ; Baxareva et al., 1943, 1950) ainsi qu’un exemple du brillant travail accompli par une femme présidente de kolkhoz au nom symbolique « Pobeda » [« Victoire »] (Tennova, Markova, 1949, p. 47). Notons que le choix des textes, portant sur des exemples d’émancipation aussi bien en Russie qu’en France, présente l’égalité des êtres humains de sexes opposés comme un fait, une loi naturelle immuable, reprise (et là l’URSS est en avance par rapport à la France) ou non par la constitution de chacun des pays.
44 Notons que le traître est un petit Français, et les évènements se déroulent pendant la guerre franco-prussienne de 1870-1871.
45 Notons que ces mots de louange et la présence de son nom dans la description de tous les événements de la vie soviétique donnent à l’ensemble de l’ouvrage l’allure d’un hymne en son honneur. Dans une proportion légèrement variable, ce phénomène de la glorification de Staline à la moindre occasion, déjà présent dans les ouvrages didactiques de français dans les années trente, s’accentue très fortement après la Seconde Guerre mondiale (Fedotova, Markova, 1946a, p. 93 ; 1947, p. 37-73).
46 1941 pour l’URSS.
47 Pour justifier la légitimité du caractère international des nouvelles fêtes soviétiques, on fait participer, dans les textes, des prolétaires des pays occidentaux aux manifestations du 1er mai et du 7 novembre, de préférence en les plaçant quelque part en évidence : « Sur les tribunes, près du Mausolée de Lénine, voilà les ouvriers des autres pays : Français, Espagnols, Anglais… Ils crient : “Vive le pays des Soviets !”, “À bas le fascisme” » (Tarasova, Gorodeckaâ, 1943, p. 95). Notons, que ce texte reprend presque à l’identique celui du manuel de ces mêmes auteurs parus en 1937, à l’exception des slogans. En 1937, les ouvriers français, espagnols et anglais criaient : « Vive la Patrie Socialiste des travailleurs du monde entier ! » (Tarasova, Gorodeckaâ, 1937 p. 84-85). Comparé à la citation utilisée par W. Lützelschwab en 1908, « tout homme a deux patries, la sienne et puis la France… », (Lûcel’švab, 1908, p. V), ce slogan est révélateur des changements radicaux intervenus dans l’idéologie officielle du pays en trente ans.
48 Dans un premier temps, depuis 1917, on tend à remplacer l’étoile de Noël par l’étoile soviétique à cinq branches. Depuis 1922, on évoque le caractère antisoviétique de la fête elle-même et des sapins de Noël en tant que leur symbole. De plus en plus persistantes vers 1926, ces réflexions aboutissent au 24/09/1929 à un arrêté du Conseil des Commissaires du peuple « Au sujet du temps ouvrable et du temps du repos dans les entreprises et les établissements qui passent à la semaine ouvrable ininterrompue » [« О рабочем ɞременu u ɞременu оm∂ыха ɞ nре∂nрuяmuях u учреж∂енuях, nерехо∂ящuх на неnрерыɞную рабочую не∂еᴧю »], par lequel on transforme Noël en jour ouvrable et supprime les dimanches en tant que jours fériés fixes. En conséquence le 16 décembre 1929 apparaît un « Arrêté obligatoire du présidium du Conseil de Leningrad pour l’interdiction du commerce de sapins, de jeunes boulots et d’autres espèces de végétaux arboricoles à l’usage des coutumes et des rites religieux » (« Обязаmеᴧьное nосmаноɞᴧенuе nрезu∂uума Λенuнƨра∂скоƨо соɞеmа о ɞосnрещенuu mорƨоɞᴧu ёᴧкамu, берёзкамu u uнымu ɞu∂амu ∂реɞесной расmumеᴧьносmu ∂ᴧя uсnоᴧьзоɞанuя ɞ сɞязu с реᴧuƨuознымu обычаямu u обря∂носmямu »). En cas d’infraction, une amande de 100 roubles ou des travaux forcés d’une durée allant jusqu’un mois étaient prévus. Le Journal rouge de Leningrad (Λенuнƨра∂ская красная ƨазеmа), en décembre de la même année, écrivait à ce sujet : « Une liquidation complète et sans retour de la célébration de Noël, commencée cette année, sa transformation en un jour ouvrable est une des grandes conquêtes sur le chemin de la reconstruction de la vie ouvrière selon les nouvelles bases culturelles (« Бесnоɞороmная u nоᴧная ᴧuкɞu∂ацuя nраз∂ноɞанuя Рож∂есmɞа, начаmая ɞ эmом ƨо∂у, nреɞращенuе еƨо ɞ рабочuй ∂ень – о∂но uз ноɞых круnных заɞоеɞанuй на nуmu nересmройкu рабочеƨо быmа на ноɞых куᴧьmурных начаᴧах ») (cf. Glezerov S. « Kak borolis’s Roždestvom » [« Comment on a combattu Noël »] ; KGO soûz russkogo naroda, « Ëlka – vrag gosudarstva » [« Le sapin est ennemi du peuple »]).
49 Dans les manuels analysés publiés en URSS jusqu’en 1950, on ne voit pas sa réapparition. Cependant l’interdiction de faire le sapin fut levée peu de temps avant la Seconde Guerre mondiale, sur demande du deuxième secrétaire du Comité Central du parti communiste de l’Ukraine, Pavel Postychev, qui via le journal Pravda (La Vérité) du 28 décembre 1935 fait remarquer à Staline qu’il faudrait rendre le sapin aux enfants soviétiques afin de ne pas les désavantager par rapport aux petits bourgeois qui l’ont (cf. Glezerov S. « Kak borolis’s Roždestvom », http://www.vesty.spb.ru).
50 Les exemples de l’évocation de « ma Patrie » sont très nombreux durant toute la période soviétique analysée : « La Russie est ma Patrie » (Alafuzova, Vel’ter, 1923, p. 9), « À ma patrie » (Baxareva et al., 1950, p. 21) etc.
51 La transformation de Staline en Dieu le Père s’inscrit parfaitement dans la logique de la religion communiste en tant que substitution de l’orthodoxie. Les parallèles symboliques entre les deux sont très nombreux et faciles à établir.
Les fêtes des saints ont été toutes remplacées par des fêtes dédiées aux professions différentes : le calendrier soviétique comportait « le jour de l’enseignant », « le jour de la milice », « le jour du maçon », « le jour de l’Armée rouge » etc., de sorte que chaque travailleur soit à l’honneur au moins une fois dans l’année. L’étoile de Noël, traditionnellement la même que l’étoile de David, cède sa place à l’étoile à cinq branches, reprenant une silhouette humaine : le divin est écarté en profit de l’homme qui prend son destin en main et devient le créateur de son propre monde et de son paradis sur terre, « le futur lumineux » [сɞеmᴧое бу∂ущее]. Le pentagramme qui entre autre orne le sapin de « nouvel an » soviétique, est très largement présent dans le symbolique de l’URSS : le drapeau, les armoiries d’État, les insignes des communistes et de leurs organisations pour la jeunesse (des membres de komsomol, des pionniers et des oktyabrenoks [окmябрёнок], littéralement des « petits d’octobre », pour les enfants à l’école primaires) etc. Jouant du sens du mot « красныŭ » (krasnyj), qui anciennement signifiait à la fois le beau et le rouge, on peut comparer le « beau coin » / « coin rouge » (krasnyj ugol), c’est-à-dire l’emplacement des icônes, généralement sur une étagère face à la porte dans les maisons des croyants orthodoxes, et le « coin rouge » (krasnyj ugolok) des communistes, qui correspondaient à une salle de réunion du parti, allouée à cet effet dans toutes les écoles, les entreprises et les institutions. Notons que, toujours fermée en dehors des réunions et comportant obligatoirement un grand portrait mural de Lénine (et, à l’époque qui concerne notre étude, de Staline) ainsi qu’une table de réunion, dans la mesure du possible recouverte d’une nappe rouge, cette pièce fait penser à l’autel de l’église orthodoxe, séparé du reste de l’église par l’iconostase et également fermé aux simples paroissiens, ses portes ne s’ouvrant qu’aux moments de fêtes. On peut évoquer également à ce propos La mère, le nouvel « Évangile » selon M. Gorki, comportant de nombreuses allusions bibliques etc.
52 Voici quelques exemples : « Grands et petits chantent, tous chantent Staline […]. Ce chant dans le monde est une lumière » (Baxareva et al., 1950, p. 21), et plus loin : « Il n’y a pas de domaine dans la vie de notre pays où l’on ne sente la pensée créatrice du grand Staline » (idem). Ou encore, dans un extrait d’article rédigé par M. Thorez on lit : « Tous ceux qui souffrent, tous ceux qui espèrent […] se tournent dans un vif élan d’affection et de gratitude vers leur ami, leur éducateur, leur chef. Des millions de Français et de Françaises prononcent avec amour le nom qui était sur les lèvres de nos héros, de nos martyrs lorsqu’ils marchaient à la mort » (ibid., p. 26).
53 Cf. Mazon, 1945a, 1945b ; Potapova 1945a, 1945b ; Racmanoff, 1945 ; Stoliaroff, Chenevard, 1945 ; Wellé, 1945 ; Petit manuel français-russe, 1945 ; Kantchalovski, Lebettre, 1946.
54 En disant cela, on peut penser en premier lieu au manuel de V.P. Kantchalovski et de F. Lebettre (op. cit., 1946), dédié à la mémoire du fils de ce dernier, A. Lebettre, mort pour la France en 1940, ainsi qu’à la mémoire de G. Boyer, fils de P. Boyer, emporté par la Première Guerre mondiale en 1916.
55 D’après les données du dictionnaire La France, l’apprentissage du russe entre dans l’enseignement secondaire depuis les années 90 du XIXe siècle, d’abord facultatif, puis, à partir de 1902, un élève peut le choisir comme une deuxième langue vivante [Franciâ, 2008, p. 742]. Cependant, en 1935 on voit apparaître une petite brochure qui devrait aider aussi bien les candidats au baccalauréat devant passer leurs examens de russe, que leurs examinateurs, à savoir en quoi consiste l’examen : « Кан∂u∂аmъ, nре∂сmаɞᴧяющiŭся на baccalauréat, ɞnᴧоmь ∂о mоƨо моменmа, как онъ осmанеmся ᴧuцомъ къ ᴧuцу съ экзаменаmоромъ, не знаеmъ нu mоƨо, какiя сɞѣ∂ѣнiя ɞъ русскомъ языкѣ оmъ неƨо mребуюmся, нu еще менѣе mоƨо, какъ nрiобрѣсmu эmu сɞѣ∂ѣнiя. ɞъ mакомъ же заmру∂нumеᴧьномъ nоᴧоженiu нахо∂umся u экзаменаmоръ, часmо не знающiŭ, чеƨо онъ можеmъ mребоɞаmь оmъ кан∂u∂аmа, коmорыŭ не nо сɞоеŭ ɞuнѣ uмѣеmъ очень смуmныя сɞѣ∂ѣнiя о nроƨраммѣ экзамена nо русскому языку. » [Un candidat qui se présente au baccalauréat, jusqu’à l’instant même où il reste face à face avec son examinateur, ne sait quelles connaissances en la matière du russe on lui demandera, ni encore moins, comment acquérir ces connaissances. L’examinateur se trouve dans une situation aussi difficile, sans savoir ce qu’il peut exiger du candidat qui, bien que cela ne soit pas de sa faute, a une très vague idée du programme de l’examen du russe.] (Hofmann, Lebettre, 1935, p. 3). Cet état de choses, une trentaine d’années après la mise en place de la procédure, paraît du moins étrange et ne peut s’expliquer que par un nombre dérisoire de candidats qui ne justifiait probablement pas auparavant une telle mise au point avec l’élaboration d’un programme national d’examen de russe au baccalauréat. Dix ans plus tard, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’enseignement du russe à l’école ayant plus de cinquante ans d’histoire, une autre publication semble confirmer cette hypothèse. Dans un des manuels parus à cette période, on trouve des réflexions qui prouvent que, dans la pratique, jusque-là l’enseignement scolaire du russe reste tellement timide que les russisants le tiennent pour inexistant et l’évoquent en 1945 comme un phénomène récemment apparu. Aussi, dans l’avant-propos de leur manuel, V. Stoliaroffet R. Chenevard soulignent un « fait nouveau » qui est « le vif intérêt manifesté par un public de plus en plus étendu » pour le russe. Or celui-ci « qui n’avait jamais eu jusqu’à présent droit de cité ailleurs que dans l’enseignement supérieur et était resté jusqu’ici un domaine réservé à des spécialistes, ou à une minorité de gens cultivés curieux d’élargir leur horizon intellectuel, vient de conquérir récemment une place, encore modeste, mais officielle, dans notre enseignement secondaire » (Stoliaroff, Chenevard, 1945, p. XI). Quant à l’enseignement supérieur, l’ouverture du premier département de russe, à l’École des Langues Orientales, date de 1876, suivie de la création du département de russe à l’Université de Lille en 1898, à la Sorbonne en 1903, à Lyon en 1912 et à Strasbourg en 1920. Et c’est effectivement après la Seconde Guerre mondiale que l’on note une relance plus énergique de la mise en place de l’enseignement du russe dans les établissements supérieurs : les départements du russe s’ouvrent à Bordeaux en 1948, à Rennes en 1949, à Aix-en-Provence et à Clermont-Ferrand en 1958 etc. (Franciâ, 2008, p. 742).
56 Au sujet de la légendaire difficulté du russe on peut aussi se souvenir de la remarque de P. Pascal, dans la préface d’un manuel daté de 1945, où, exprimant son envie d’appeler cet ouvrage « le russe sans douleur », il partage implicitement l’avis de ceux qui ressentent l’apprentissage du russe comme un processus douloureux.
57 Comme on peut le constater, cette dernière motivation est récurrente et applicable aux différentes langues. Nous l’avons déjà vue, exprimée presque dans les mêmes termes, au début de la présente étude, formulée par V. Gur’ânov, un auteur de manuel de français pour autodidactes. La seule différence consiste en ce que le regret relatif à la qualité des traductions portait sur des œuvres françaises parues en Russie au début du XXe siècle (Gur’ânov, 1903).
58 La seule exception est constituée par le manuel de conversation non daté de M. Brodski (Brodski, 19--), stipulant dans son sous-titre « Manuel de conversation courante… », que l’on peut rattacher à notre étude en le datant selon deux critères : l’armoirie de la Russie impériale sur sa couverture ainsi que l’ancienne orthographe signalent que cet ouvrage est paru avant 1917, mais au plus tôt à la date de la création de la maison d’édition Albin Michel qui l’a publié, à savoir 1900.
59 Ce manuel, également sans date de parution, comporte un indice qui permet de la préciser dans une certaine mesure : Saint-Pétersbourg est présenté dans cet ouvrage comme Petrograd, or la ville n’a porté ce nom qu’entre 1914 et 1924. Le fait que le texte soit écrit avec une ancienne orthographe semble rétrécir cette fourchette jusqu’à 1914-1917. Cependant, sans d’autres arguments allant dans le même sens (ni à l’encontre), ce dernier argument, très fiable pour les éditions russes, ne l’est pas toujours pour les ouvrages parus en France, car en 1935 et même en 1940, on trouve encore des manuels qui, par principe, continuent d’employer l’ancienne orthographe (Hofmann, Lebettre, 1935 ; Boyer, Speranski, 1940). Qui plus est, dans la présentation du programme d’examen du russe au baccalauréat, il est stipulé qu’un candidat a le choix de rédiger son devoir en ancienne ou nouvelle orthographe, mais il serait pénalisé au cas où il mélangerait les deux (Hofmann, Lebettre, 1935, p. 5).
60 Orthographié sans le ъ.
61 « B наказанie ему з∂ѣсь унuчmожены mɞер∂ые знакu ɞ еƨо nосmаноɞᴧенiu u nрuбаɞᴧены у∂аренiя, ∂абы, сᴧужа uносmранцам nрu uзученiu россuŭскаƨо языка, ɞозбуж∂аᴧо оно nрезрѣнiе к ∂есnоmuчному nраɞumеᴧьсmɞу. Наnuсаmь сmаmью, uзᴧаƨающую uсmuнные u nоmому анmunраɞumеᴧьсmɞенные факmы, есmь ƨосу∂арсmɞенное nресmуnᴧенiе, nо мненiю русскаƨо nраɞumеᴧьсmɞа. Значum сеŭ ∂окуменm ∂аёm ɞ. Сu∂орацкому nраɞо на nочоmныŭ [sic !] mumуᴧ “Госу∂арсmɞеннаƨо Пресmуnнuка” » (ibid.).
62 Ce n’est certainement par pas hasard que dans les ouvrages didactiques du russe, parus en France même une quarantaine d’années après la première édition du manuel de P. Boyer et N. Speranski, celui-ci est cité comme un ouvrage de référence, que cela soit pour inciter le lecteur de l’utiliser (Mazon, 1945a, 1945b), ou pour démontrer la supériorité de son propre ouvrage qui pourrait avantageusement remplacer celui de ses illustres prédécesseurs ayant le défaut de « s’adresser à un auditoire très spécial », mais l’avantage d’avoir été là au début, quand « tous les moyens matériels, si abondants pour les autres langues, faisaient défaut » (Kantchalovski, Lebettre, 1946, p. 10).
63 De très nombreux textes commencent par les termes reflétant la pauvreté des personnages, qui sont, à quelques rares exceptions, tous des paysans. Cette pauvreté peut être posée comme un fait, plus ou moins schématiquement : « У о∂ноƨо бѣ∂наƨо мужuка не сmаᴧо хᴧѣба » [Un pauvre paysan n’avait plus de pain], (ibid., p. 88), « Жuᴧа ɞ∂оɞа Марья съ сɞоеŭ маmерью u съ ɯесmью ∂ѣmьмu. Жuᴧu онu бѣ∂но. Но куnuᴧu на nосᴧѣ∂нiя ∂еньƨu бурую короɞу… » [Il était une fois une veuve, Maria, qui vivait avec sa mère et ses six enfants. Ils vivaient dans la pauvreté. Mais avec leurs derniers sous ils achetèrent une vache brune…], (ibid., p. 21). Ou bien, l’idée de la pauvreté peut être développée dans le descriptif du vestimentaire ou de l’habitat des personnages : « Мы жuᴧu бѣ∂но на краю ∂ереɞнu. Быᴧа у меня маmь, нянька (сmарɯая сесmра) u бабуɯка. Бабуɯка хо∂uᴧа ɞъ сmаромъ чуnрунѣ u ху∂енькоŭ nанёɞѣ, а ƨоᴧоɞу заɞязыɞаᴧа какоŭ-mо ɞеmоɯкоŭ » [Nous vivions dans la pauvreté, au bord du village. J’avais une mère, une nourrice (ma sœur aînée,) et une grand-mère. Ma grand-mère portait un vieux sarrau et une jupe élimée, et elle couvrait sa tête avec une sorte de chiffon], (ibid., p. 146-147).
64 Cf. « Какъ маᴧьчuкъ разсказыɞаᴧъ о mомъ, какъ онъ nересmаᴧъ бояmься сᴧѣnыхъ u нuщuхъ » [À propos d’un garçon qui racontait comment il cessa de craindre des aveugles et des mendiants], (ibid., p. 38-39).
65 Malgré le niveau « débutant » annoncé de ce manuel, les sujets abordés dans les textes à étudier ont souvent une portée délibérément philosophique. Aussi, un de ces personnages conclut : « Не оmъ ƨоᴧо∂а, не оmъ ᴧюбɞu, не оmъ зᴧобы, не оmъ сmраха ɞсѣ наɯu мученья, а оmъ наɯеƨо mѣᴧа ɞсё зᴧо на сɞѣmѣ. Оmъ неƨо u ƨоᴧо∂ъ, u ᴧюбоɞь, u зᴧоба, u сmрахъ. » [Ce n’est pas la faim, ni l’amour, ni l’animosité, ni la peur qui sont à l’origine de toutes nos supplices, mais c’est notre corps qui est la cause de tout le mal de ce monde. C’est lui qui est à l’origine de la faim, de l’amour, de l’animosité et de la peur »], (ibid., p. 111).
66 Le seul détail qui n’apparaît qu’à la 4ème édition (les précédentes éditions, datant de 1921 et de 1935, sont des répliques exactes de la première), consiste en petit post-scriptum ajouté à l’introduction par Paul Boyer qui s’est tout de même senti obligé de justifier l’usage de l’ancienne orthographe conservée dans son ouvrage : « … Tout en adoptant pour son propre usage l’orthographe nouvelle que plus de vingt années d’emploi ont consacrée, orthographe d’une langue qui est déjà ou qui sera demain langue seconde sinon langue unique d’un groupe humain de plus de 170 millions de sujets parlants, l’étudiant se trouvera bien de connaitre aussi cette orthographe traditionnelle qui a été celle des grands écrivains classiques de la Terre russe » (ibid., p. XIV).
67 On y remarque, d’ailleurs, de nombreuses erreurs de différents types :
- le classement (le mot « papier бумаƨа » se trouve dans le chapitre « vêtements », « pigeon / ƨоᴧубь » est classé parmi les « aliments » (op. cit., p. 37, 39) etc. ;
- les calques syntaxiques (« prenez la première rue à gauche / ɞозьмumе nерɞую уᴧuцу на ᴧѣɞо [sic !] » (ibid., P. 66) à la place de « сразу nоɞернumе наᴧѣɞо » (ou « nерɞыŭ nоɞороmъ наᴧѣɞо ») ; « nous allons prendre le train pour Kiev / мы ɞозьмемъ nоѣз∂ъ ɞъ Кiеɞъ», au lieu de « мы ся∂емъ на nоѣз∂ъ... » (ibid., p. 62) ;
- la traduction (« j’aime le beefsteak [sic !] bien cuit / я ᴧюбᴧю бuфɯmекъ [sic !] сɞареннымъ » au lieu de « я ᴧюбᴧю бuфɯтексъ жаренымъ » (ibid., P. 68), « viande / ƨоɞя∂uна » au lieu de « мясo » ; « noix / орѣхъ » sans précision « ƨрецкiŭ » (орѣхъ) en opposition à « noisette / орѣɯекъ » qui signifie normalement « ᴧѣсноŭ орѣхъ » ou « фун∂укъ » (ibid., p. 37) ;
- la transcription (un même son est transcrit par des caractères différents : le « ж » est transcrit aussi bien par le [j] que par le [g] : « bagage / баƨажъ / bagage » à côté de « vous pouvez / ɞы можеmе / vi mojitie » (ibid., p. 63) ; le « к », en parallèle de la transcription [k], par exemple, dans le mot « malle / сун∂укъ / soundouk » (ibid., p. 62), apparaît en tant que [c] dans « glace / зеркаᴧо / zercalo » (ibid., p. 63). Ces variations peuvent se trouver à l’intérieur d’un même mot : « comment / какъ / cac » et « cak » (ibid., p. 58) ou encore « kac » (ibid., p. 67) etc. Nous retrouverons ce même défaut de rigueur et de méthode, amplifié, dès 1945, avec la réapparition des manuels de conversation et des recueils de vocabulaire rédigés de toute évidence par des non spécialistes (Petit manuel français-russe, 1945 ; Racmanoff, 1945 ; Wellé, 1945).
68 La gare Varšavskij [Варɯаɞскiŭ ɞокзаᴧъ] est la gare de Saint-Pétersbourg, connue au début de siècle pour desservir les destinations européennes. Aussi, la capitale de l’Empire Russe qui n’est pas nommée directement dans les textes de cet ouvrage, y reste néanmoins présente grâce aux toponymes locaux bien reconnaissables, tels que cette même gare ou le théâtre « Marie » (ibid., p. 77), plus connu sous nom de Mariinsky [Марiuнскiŭ mеаmръ].
69 Ce passage d’une monnaie à l’autre dans les indications de prix est aussi caractéristique du manuel de M. de Valette et O. Klionoff. Notons en outre que lorsque ces auteurs indiquent le prix d’un rouble (« un rouble = 100 kopecks = 2 fr. 67 c. ») (Valette, Klionoff, 19--, p. 6, 25, 29), le rapport entre les deux monnaies est strictement le même que celui que nous avons vu présenté avec précision « avant la guerre » dans le manuel de français d’O. Bujmistrova et B. Gorev : « 1 fr. = 0,375 roubles, soit 37,5 kopecks » (Bujmistrova, Gorev, 1930, p. 13), ce qui donne l’impression d’une grande stabilité de l’équivalence monétaire entre les deux pays au début de XXe siècle.
70 En « russe », cette même pensée fut exprimée de la manière suivante : « Etot malineki slorari nié prétènedouète nahoutchite vace rouskamou yézékou, èsli vi ego coverchèno niè znaété. One vame dayote korotkié frasé y noujniè slava, y formoï iohkovo razgovora » (op. cit.).
71 En « russe », cette même pensée fut exprimée de la manière suivante : « Etot malineki slorari nié prétènedouète nahoutchite vace rouskamou yézékou, èsli vi ego coverchèno niè znaété. One vame dayote korotkié frasé y noujniè slava, y formoï iohkovo razgovora » (op. cit.).
72 Bien que dans l’introduction l’auteur stipule que « les mots du vocabulaire ont été soigneusement choisis parmi les plus usités et la grammaire n’intervient que lorsqu’on ne peut se passer d’elle [? !] » (ibid., p. 2), dès les premières pages on voit défiler des listes de mots dont l’association échappe non seulement à toute logique (sémantique, phonétique, grammaticale…) mais va à l’encontre du principe posé du simple et du plus utile : « Боƨ » [Dieu] se trouve associé à « ɞu∂ » [aspect, espèce] et « ∂уб » [chêne] (ibid., p. 3), suivi de « мак » [coquelicot, pavot], « мuф » [mythe], « рак » [écrevisse, cancer], « жук » [scarabée], « щum » [bouclier] etc. (ibid., p. 5).
Quant à la grammaire, J. Racmanoff n’est pas le seul auteur à la négliger. C’est ainsi que dans l’avant-propos de son manuel paru la même année, H. Wellé annonce aux lecteurs que « l’auteur s’est efforcé de suivre au plus près dans ses traductions la forme de la composition de la phrase française, parfois même au détriment d’une certaine qualité littéraire » (Wellé, 1945, p. 2). Dans la pratique, au lieu d’expressions consacrées « Добрыŭ ɞечер » [bonsoir] et « Сnокоŭноŭ ночu» [bonne nuit], cela aboutit en russe à des phrases monstrueuses comme « С ∂обрым ɞечером / bonsoir » et « С ∂оброŭ ночью / bonne nuit » [ibid., p. 85], faites certainement par analogie avec « С ∂обрым уmром » [bonjour (dit avant midi), littéralement, « bon matin »] qui, lui, existe ; ou encore comme « Моƨᴧu ᴧu бы ɞы ɞымыmь мне эmу рубаɯку / Pourriez-vous me laver cette chemise » (ibid., p. 61), à la place de la forme correcte « Не моƨᴧu бы ɞы ɞысmuраmь мне эmу рубаɯку ».
73 Une marque du temps qui passe et de la modernisation laissent leur emprunte sur ce dernier sujet : les discussions autour de l’« automobile » commencent à y occuper une place non négligeable.
74 La ponctuation est celle de l’auteur.
75 La citation des extraits de la constitution de l’URSS en russe, doublés d’une traduction en français, est un élément récurrent dans les manuels de russe, le choix des chapitres et des articles, ainsi que la taille de la citation, restant variables selon les convictions personnelles des auteurs (Potapova, 1945a, b, p. 167-180 ; 1945b, p. 126-135 ; Stoliaroff, Chenevard, 1945, p. 194). Le plus souvent sont cités les chapitres suivants : Chapitre I – « Organisation sociale » ; Chapitre II – « Organisation de l’État » ; Chapitre III – « Organes supérieurs du pouvoir d’État de l’Union des Républiques soviétiques socialistes » ; Chapitre V – « Organes d’administration d’État de l’URSS ; Chapitre VIII – « Organes locaux du pouvoir d’État ; Chapitre IX – « Tribunaux et Parquet » ; Chapitre X – droits et devoirs fondamentaux des citoyens ; Chapitre XI – « Système électoral ».
76 Outre ce premier constat montrant une augmentation générale de nombre d’établissements et d’élèves inscrits, ces mêmes chiffres révèlent implicitement, d’une part, l’orientation industrielle, voulue par l’État soviétique (toute proportions gardées, on développe les écoles professionnelles plus que tout autre type de structure éducative) et, d’autre part, le manque d’élèves intéressés ou capables pour remplir ces nouveaux établissements professionnels ainsi que des universités et écoles supérieures (proportionnellement, l’augmentation du nombre de ces établissements est supérieure à celle du nombre des inscriptions). Par ailleurs un simple calcul montre que la plupart des élèves arrêtent leurs études après l’école primaire (sur les 22 489 244 élèves de l’école primaire on en retrouve seulement 9 028 156 en secondaire et 951 900 dans les écoles professionnelles) (ibid.).
77 La situation de ce « village X à 200 verstes [1 verste = 1 0668 km] au sud de Moscou et à quelques verstes à l’ouest de Toula » comporte deux éléments qui établissent un lien direct entre ce texte et le manuel de P. Boyer et N. Speéranski. Premièrement, le choix d’exprimer la distance en 1945 avec l’ancienne unité de mesure de longueur, alors qu’après la Révolution d’Octobre la Russie adopte le système métrique, est très marquant en soi, d’autant plus que dans une des annexes de ce même manuel V. Stoliaroff et R. Chenevard expliquent ce changement, présentant pour information un tableau de conversion. Les décisions du gouvernement soviétique sont ainsi notées sans être « exécutées » et mises en pratique. Cette même position ressort des éditions postérieures à 1917 du manuel de P. Boyer et N. Spéranski qui refusaient toute modification entre les éditions de 1905 et 1940. Un deuxième lien entre les deux manuels est la mention de Toula. L’ouvrage de P. Boyer et N. Spéranski, relatant principalement, comme nous avons pu le noter, la vie de la campagne russe avant 1917, est organisé autour des récits de Léon Tolstoï, rédigés pour son école de Iasnaïa Poliana, son domaine qui se situait non loin de Toula. Par conséquent, c’est justement la région de Toula qui a principalement inspiré l’image de la campagne décrite dans le manuel de P. Boyer et N. Spéranski.
78 Les textes en russe de ce manuel étant entièrement traduits en français par leurs auteurs (ibid., p. 179), la traduction reprise ici en fait partie. Voici la phrase russe correspondante : « B Россuu оɞощu не mак разнообразны, как ɞо Францuu, поэmому uх часmо заменяеm каɯа, ᴧюбuмое бᴧю∂о русскuх. Сᴧа∂кое (∂есерm) е∂яm не ɞсе u не ɞсег∂а » (ibid., p. 74-75).
Au sujet de « kacha », qu’on pourrait traduire en français par « gruau » et qui est en effet un bouilli de céréales d’une même espèce (kacha d’avoine [оɞсяная каɯа], kacha de riz [рuсоɞая каɯа]) ou d’un mélange d’espèces (kacha de brigands [разбоŭнuчья каɯа]), il existe une légende, soutenue et perpétuée par les dictionnaires, tels que le Petit Robert (1979, p. 1059) ou Le Littré en 20 volumes (2007, t. 11, p. 82), qui consiste à restreindre la signification de ce mot uniquement à « une bouillie de semoule de sarrasin ». Une telle interprétation réductrice de ce mot est parfaitement injustifiée car, aussi bien dans la littérature classique du russe, que dans le dictionnaire de Dal’, comprenant la langue régionale du XIXe ou de I.I. Sreznevskij, citant des exemples du vieux russe, ou enfin dans l’usage moderne du mot (aujourd’hui la kacha est encore fréquemment consommée par les Russes, surtout au petit-déjeuner), le type de semoule utilisé n’est jamais compris dans la définition, et il peut varier.
79 La douceur de la France est opposée au climat rude de la Russie : « Зuмоŭ ɞ Россuu ɞсеƨ∂а очень хоᴧо∂но, сuᴧьныŭ мороз u мноƨо снеƨа. ɞо Францuu, ɞ Парuже зuмоŭ uноƨ∂а быɞаеm мороз u u∂ёm снеƨ [...]. На юƨе, ɞо Францuu, зuмоŭ, mеnᴧо. Mам ɞсеƨ∂а хороɯая nоƨо∂а. [...] На ɞосmоке u на сеɞере, зuмоŭ, ∂оɞоᴧьно хоᴧо∂но, но не mак хоᴧо∂но, как ɞ Россuu. » [En hiver, en Russie, il fait toujours très froid, il gèle fort et il y a beaucoup de neige. En France, à Paris, en hiver il gèle et il neige parfois […]. Dans le sud, en France, en hiver il fait doux. Là, le temps est toujours beau. […] Dans l’est et le nord, en hiver, il fait assez froid, mais pas aussi froid qu’en Russie] (ibid., p. 157-158). Le seul havre de douceur semble être Leningrad, dont les auteurs ne manquent pas de mentionner l’ancien nom entre parenthèses : « Tоᴧько ɞ Λенuнƨра∂е (ɞ Пеmербурƨе) зuмоŭ часmо быɞаеm оmmеnеᴧь, коƨ∂а ɞеmер ∂уеm с моря » [Ce n’est qu’à Leningrad (Saint-Pétersbourg) qu’en hiver il y a souvent des dégèles, lorsque le vent souffle de la mer] (ibid., p. 159). L’été russe ne se présente pas mieux car, du froid désagréable hivernal, nous passons à la chaleur excessive de la canicule [жарко], toute aussi désagréable : « Λеmом ɞ Россuu жарко, особенно на юƨе, на Украuне. На сеɞере Россuu ᴧеmо очень короmкое, но uноƨ∂а быɞаеm очень жарко » [« L’été en Russie il fait très chaud, surtout au sud, en Ukraine. [...] Dans le nord de la Russie, l’été est très court, mais parfois il fait extrêmement chaud »] (les traductions viennent aussi du manuel) (ibid., p. 108). En ce qui concerne les voyages entre la France et la Russie, à côté de la phrase « Я хочу nоехаmь ɞ Россuю, но mеnерь эmо очень mру∂но u ∂ороƨо » [Je veux aller en Russie mais maintenant cela est très difficile et coûteux], on trouve des énoncés nostalgiques qui montrent que des échanges touristiques entre la Russie et la France d’avant la Première Guerre mondiale étaient encore présents dans la mémoire des russisants français « До ɞоŭны, каж∂ыŭ ƨо∂ я ез∂uᴧ ɞ Россuю [...]. До ɞоŭны mурuсmы-uносmранцы часmо nрuезжаᴧu ɞо Францuю » [Avant la guerre, j’allais tous les ans en Russie. [...] Avant la guerre, des touristes étrangers venaient souvent en France (ibid., p. 159-161).
80 Cette chanson-culte d’I. Dounaïevski [Dunaevskij] et V. Lebedev-Koumatch [Lebedev-Kumač] lancée par la vedette du cinéma russe, l’actrice préférée de Staline L. Orlova dans le film « Цuрк » [Le cirque] en 1936 (c’est-à-dire très peu de temps avant la première parution du manuel de N. Potapova en URSS, daté de 1938) a très fortement marqué les esprits russes, car son air, correspondant à la première ligne « Široka strana moâ rodnaâ… » [Шuрока сmрана моя ро∂ная...] servait d’indicatif radio qui annonçait les informations diffusées par la principale station d’État « Vsesoûznoe radio » [La radio de toute l’Union] qui, sous différents noms a su subsister jusqu’à 2010. Le texte du refrain et des premiers couplets fait ressortir cette même idée de l’immensité de l’URSS, le seul pays au monde « où l’homme respire aussi librement » [« Я ∂руƨоŭ mакоŭ сmраны не знаю, ƨ∂е mак ɞоᴧьно ∂ыɯum чеᴧоɞек »], et le sentiment de fierté d’être son citoyen, « le maître de la Patrie qu’on ne peut embrasser » [« хозяuн необъяmноŭ ро∂uны сɞоеŭ »].
81 Dans une « Lettre à Moscou de l’étranger », un mineur se plaint à son camarade russe : « Les conditions de travail y étaient très dures. En peu de temps, elles se sont empirées davantage, car les entrepreneurs ont diminué le salaire et ont prolongé la journée de travail ». La tentative de protestation provoque des représailles : « La police a frappé les manifestants avec des matraques » [« Усᴧоɞuя рабоmы maм быᴧu очень mяжёᴧые. ɞскоре онu сmаᴧu ещё хуже, mак как nре∂nрuнuмаmеᴧu уменьɯuᴧu зарnᴧаmу u уɞеᴧuчuᴧu рабочuŭ ∂ень… Поᴧuцuя uзбuɞаᴧа ∂емонсmранmоɞ ∂убuнкамu »] (Potapova, 1945a, p. 152-153).
Les mêmes termes sont employés pour décrire les anciennes conditions de travail des ouvriers russes : « Autrefois nous travaillons pendant longtemps, presque toute une journée, pour gagner peu. Notre salaire était très bas et la vie était très dure » [« Рабоmаᴧu мы mоƨ∂а очень ∂оᴧƨо, nочmu цеᴧыŭ ∂ень, а зарабаmыɞаᴧu маᴧо. Зарnᴧаmа у нас быᴧа нuзкая, u жumь быᴧо mру∂но »] (ibid., p. 91, 117).
82 Ou ne s’ajoutent pas, comme dans les rééditions de manuel de P. Boyer et N. Spéranski (op. cit., p. 303-306).
83 Le manuel de N. Potapova, qui ne mentionne pas les fêtes orthodoxes, fait, en revanche, un inventaire plus exhaustif de fêtes soviétiques, y ajoutant le 5 décembre – la fête de la Constitution stalinienne, le 8 mars – la journée internationale de femmes, le 21 janvier – la journée de deuil qui commémore le décès de Lénine et enfin, la journée contre la guerre [антивоенный день] fixée au 1er août pour commémorer le début de la Première Guerre mondiale pour la Russie (Potapova, 1945b, p. 20, 24).
84 « Эх mроŭка, nmuца mроŭка! кmо mебя ɞы∂умаᴧ? Знаmь, у боŭкоƨо наро∂а mы моƨᴧа mоᴧько ро∂umься, - ɞ mоŭ земᴧе, чmо не ᴧюбum ɯуmumь... » [Ah, cet attelage de trois, un attelage-oiseau ! Qui t’a inventé ? Certes, seul un peuple hardi pouvait t’engendrer, dans la terre qui n’aime pas plaisanter…], [N. Gogol, Les Âmes mortes (Mazon, 1945, p. 266)].
85 « Эmо, можеm быmь, u есmь самыŭ ∂ароɞumыŭ, самыŭ сuᴧьныŭ наро∂ uз ɞсеƨо наро∂а наɯеƨо » [F. Dostoïevski, Les Carnets de la maison morte (ibid., p. 267)].
86 « Онu, nожаᴧуŭ, бу∂уm uнmереснеŭ. Уж не сеᴧо, а ɞся земᴧя uм маmь » [Il se peut qu’ils soient plus intéressants. Ce n’est plus un village, mais la terre entière qui est leur mère].
87 La translittération normalisée internationale utilisée dans la présente bibliographie ne tient pas compte de l’ancienne graphie, qui était en cours en Russie avant la réforme d’orthographe de 1917-1918. Par conséquent, les « ъ » après la consonne à la fin du mot ne seront pas pris en compte, le « ѣ » sera assimilés à « e », le « i » à « и », et le « ѳ » à « ф ». Par ailleurs, lorsqu’il s’agit d’un nom étranger transcrit en cyrillique ou dans les cas où l’auteur présente lui-même son nom en deux alphabets, la translittération sera régulièrement accompagnée de la variante latine existante du nom entre crochets.
88 Le titre original de l’ouvrage en allemand est Über die Verschiedenheit des menschlichen Sprachbaus und seinen Einfluss auf die geistige Entwicklung des Menschengeschlechts. (1830-1835). Pour la traduction moderne en russe, voir W.K. Gumbol’dt (1984), « O različii stroeniâ čelovečeskix âzykov i ego vliânii na duxovnoe razvitie čelovečestva », Izbrannye trudy po âzykoznaniû, per. s nem. G.V. Ramišvili, M. Progress, p. 37-297. En français, l’œuvre de Humboldt fut traduite par Pierre Caussat, voir W.K. Gumbol’dt (1974) : « Sur la diversité de construction des langues et leur influence sur le développement de la pensée humaine », Introduction à l’œuvre sur le kavi et autres essais, Paris, Éditions du Seuil, 1974.