1 Hélène Metzger (1889-1944) a directement précédé T. Kuhn dans le domaine de l’étude de l’histoire des idées. Au cours de son étude de l’histoire de la chimie, elle a montré qu’il était nécessaire de distinguer, d’un côté, le devenir de la science (son évolution), et de l’autre, la discipline achevée, formée. Elle a également mené une analyse comparative entre le développement de la science et la situation socioculturelle dans sa globalité, afin de déterminer dans quelle mesure le destin du chercheur et l’évolution de ses idées sont déterminés par la résonance ou la dissonance qu’ils montrent face au développement de la société. Malheureusement, les ouvrages fondamentaux d’H. Metzger (La Genèse de la science des cristaux [1918] ; Les Concepts scientifiques [1926] ; Les Doctrines chimiques en France [1927]) n’ont à ce jour pas été traduits en russe.
2 Vladimir Ivanovič Vernardskij [Vladimir Ivanovitch Vernardski] (1863-1945) : représentant du courant intellectuel du « cosmisme russe », fondateur de la science de la bio-géochimie et de plusieurs écoles scientifiques, il a développé les notions de biosphère et de noosphère ; il s’est consacré à la géologie et à la minéralogie, à la cristallographie et à la géochimie, mais également aux questions relatives à la création scientifique.
3 Pavel Aleksandrovič Florenskij [Pavel Alexandrovitch Florenski] (1882-1937) : prêtre et philosophe, poète et chercheur, auteur d’ouvrages philosophico-religieux, philosophico-scientifiques, et d’ouvrages consacrés à la critique artistique.
4 Aleksandr Leonidovič Čiževskij [Alexandre Léonidovitch Tchijevski] (1897-1964) : biophysicien, philosophe, inventeur, poète et artiste, fondateur de l’hélio-biologie, au sein de laquelle figurent l’aéro-ionisation et l’éléctro-hémodynamie ; auteur des ouvrages interdisciplinaires Fizičeskie faktory istoričeskogo processa [Les Facteurs physiques du processus historique] (1924), Zemnoe eho solnečnyh bur’ [L’Écho terrestre des tempêtes solaires] (publié de façon posthume en 1976), Epidemiologičeskie katastrofy i periodičeskaja dejatel’nost’ Solnca [Les Catastrophes épidémiologiques et l’activité périodique du soleil] (1930), etc.
5 Les premiers « laboratoires de la vie » sont apparus en Russie à l’époque de Catherine II : il s’agissait alors d’« unions de membres de la noblesse à visée civilisatrice » et de salons littéraires ; peu de temps après apparurent les loges maçonniques. Le tournant du XIXe siècle a révélé, dans la culture, le terrain que constituaient les cercles littéraires et les sociétés secrètes, au sein desquels se sont formés les futurs décembristes et les poètes. À la même époque, des Universités furent créées dans les grandes villes de Russie, le prestigieux Lycée Aleksandrovskij fut fondé à Tsarskoïe Tselo, les cours féminins ont vu le jour. Dans leur dimension évolutive, les « laboratoires de la vie » ont joué dans la culture le rôle d’« éléments carnavalesques » (M.M. Bakhtine), d’« îlots d’imprécision », d’« oasis » (Ju. M. Lotman). Au sein de ces cercles, on organisait des débats et des lectures publiques ; un esprit d’amitié, de créativité et de gaieté y régnait, un dialogue s’établissait spontanément entre les représentants de générations et de professions diverses. Il convient de remarquer encore que les salons littéraires ont souvent été organisés sur le modèle français, constituant un espace où la personne pouvait manifester son originalité, briller par son talent, tester des comportements excentriques. « La culture du salon s’est épanouie dans la France des XVIIe et XVIIIe siècles. Elle était, par principe, non-officielle et non-officieuse » (Lotman, 1992, p. 154). Par la suite, les salons littéraires ont cédé la place aux salons philosophiques. « Le modèle du salon philosophique se présentait comme une réunion de personnalités, composée habilement et avec goût, de manière à ce qu’une conformité d’idées excessive ne nuise pas à la possibilité de débats, mais que, dans le même temps, ces débats constituent des dialogues entre amis, ou, du moins, entre compagnons d’armes. L’art de la discussion intellectuelle se cultive dans ce type de salon comme un jeu d’esprit recherché, qui mêle culture et élitisme » (Lotman, 1992, p. 154). On peut observer l’importance des modèles culturels français dans un exemple plus proche de nous dans le temps : « Hormis les dossiers en cours, des débats sur les nouveautés et de l’étude des textes philosophiques, V.S. Bibler a instauré en 1966 un jeu tout à fait sérieux dans “La République des savants”, alors qu’il avait à l’esprit “La république des Lettres”, un titre que Pierre Bayle avait donné à une communauté informelle d’intellectuels du XVIIe siècle, qui s’était formée et existait principalement sur la base d’un échange de correspondances. Là, ces idées perdaient leur pureté métaphysique ou leur hermétisme mathématique. » (Ahutin, 2001, p. 143).
6 Ivanov, Vjačeslav Ivanovič [Ivanov, Viatcheslav Ivanovitch] (1866-1949) : poète symboliste, philosophe et philologue, premier postmoderniste russe et idéologue de l’Âge d’argent ; son appartement de la rue Tavritcheskaïa était surnommée la « Tour » (« La maison de la Tour »), les symbolistes s’y rassemblaient lors de soirées littéraires.
7 Dans son ouvrage Byvšee i nebyvšeesja [Le Révolu et l’indéfectible], F.A. Stepun présentait une description de la vie spirituelle en Russie avant la première guerre mondiale : au tournant du XXe siècle, la culture russe recherchait les mécanismes de maîtrise de la diversité : les conflits entre occidentalistes et slavophiles s’atténuaient, les oppositions entre les savoirs humanistes et naturalistes s’effaçaient, le paradigme interdisciplinaire se mettait en place. L’intelligentsia, aux tendances intellectuelles variées, se retrouvait autour des maisons d’édition et des revues. Put’ (La Voie) rassemblait autour d’elle les slavophiles, Logos, les occidentalistes. Musaget apparaissait comme l’une des voies de la synthèse, un laboratoire de la nouvelle perception du monde (Stepun, 2000).
8 L’Académie russe des Sciences artistiques (RAKhN), renommée en 1925 Académie d’État des Sciences artistiques (GAKhN) a été fondée le 7 octobre 1921 à Moscou. L’académie a été créée en vue d’apporter des réponses à une problématique de recherche particulière (celle de la recherche scientifique approfondie sur les questions relatives à l’art et la culture artistique, et en particulier, au problème de la synthèse des arts) ; elle dépendait, d’un point de vue administratif, du Département artistique de la Direction des Établissements scientifiques (Glavnauki) du Narkompros (Commissariat du Peuple à l’Instruction Publique) de la RSFSR (Lunačarskij [Lounatcharski], 1925). Parmi les collaborateurs du GAKHN figuraient de nombreux chercheurs éminents et célèbres, tels que A.S. Ahmanov, A.V. Bakušinskij, G.O. Vinokour, N.N. Volkov, A.G. Gabričeskij, M.O. Geršenzon, B.A. Grifcov, A.A. Guber, L. Ja Gurevič, N.I. Žinkin, N.V. Žoltobskij, V.V. Kandinskij, P.S. Kogan, M.A. Petrovskij, P.N. Sakulin, A.A. Sidorov, R.R. Fal’k, G.I. Čelpanov, G.G. Špet, V.M. Ekzempljarskij, N.E. Efros, B.I. Jarho… N.A. Berdiaev, L.S. Vygotski, A.F. Losev, P.A. Florenskij ont pris part à certains débats. De 1925 à 1928, le « Bulletin du GAKHN » (Bjulleten’ GAKhNa) a paru régulièrement, des articles scientifiques, des anthologies, des albums artistiques et des dictionnaires encyclopédiques (terminologiques) étaient préparés pour la publication, des monographies de collaborateurs étaient régulièrement publiées. Le GAKHN ne limitait pas son objectif à une seule problématique de recherche, orientée sur la quête d’une approche méthodologique pour le discours interdisciplinaire et sur la synthèse des arts, il y introduisait également une problématique de nature organisationnelle, en lien avec le regroupement de l’« activité des institutions artistique du pays et des forces créatrices scientifiques dans le domaine de l’art » (Poleva, 1999, p. 12).
9 « Après la révolution de 1917, à cause de manigances ourdies par son élève qui était passé du côté du nouveau pouvoir, Tchelpanov fut vite écarté de l’Institut qu’il avait fondé… » (Zen’kovskij [Zenkovski], 2001, p. 673).
10 « En Russie, on a rassemblé des matériaux ethnographiques extrêmement riches (Les travaux de l’Académie des sciences, de la Société de géographie, de la Société des amateurs des sciences naturelles, etc.), qui, en raison de la méconnaissance de la langue russe par les chercheurs occidentaux, ne sont pas exploités dans le cadre de notre psychologie collective. G. Spencer avait exprimé le regret que la méconnaissance de la langue russe l’empêchait d’utiliser les matériaux issus de l’ethnographie russe dans le cadre de la psychologie sociale. En 1911, Wundt, qui connaissait l’ampleur du matériel inusité, exprimait le même regret » Čelpanov [Tchelpanov], 1926, p. 36.
11 M.S. Gusel’ceva [Guseltseva], Kul’turnaja psihologija : metodologija, istorija, perspektivy [La Psychologie culturelle : méthodologie, histoire, perspectives], Moscou, Prometej, 2007.
12 Le concept d’« optique méthodologique » reflète ici la synthèse des idées de T. Kuhn (qui attirait l’attention sur les « lentilles » au travers desquelles les chercheurs regardent le monde », de G. Kelly, de G. Hollis et de M. Holquist.
13 C’est précisément à ce sujet que A.M. Etkind écrivait : « L.S. Vygotski n’était pas un héros solitaire, issu de la mythologie bolchevico-nietzschéenne ; il était encore moins un messie qui aurait surgi de nulle part pour sauver la psychologie et aurait soudainement trouvé en elle des apôtres de confiance. C’était un homme de culture, un intellectuel, qui intervenait dans le courant majeur des idées esthétiques, philosophiques, politiques et tout simplement de la vie de son époque. Non pas le fondateur de nouveaux principes, qui les aurait extraits du tréfonds de son talent, mais un des représentant des tendances les plus en vogue qui régnaient sur les esprits de sa génération. Non pas un enfant prodige qui serait né marxiste, mais un homme de lettres de l’époque postsymboliste, arrivé à la psychologie et au marxisme par des voies complexes et particulières. Non pas un “Mozart de la psychologie”, mais un homme de son temps, qui avait appliqué avec succès son expérience acquise sur le plan culturel à un domaine nouveau et inattendu » (Etkind, 1993, p. 54).
14 Nous remarquerons que c’est bien l’approche analytico-culturelle qui a développé la méthodologie de la conception de la singularité. En se basant sur les modèles idéaux de M. Weber, dont la tâche était de restaurer et de « mener jusqu’à la conscience non pas les signes génériques, mais la singularité des phénomènes de la culture » (Weber, 1990), l’approche analytico-culturelle a permis de réaliser l’analyse de l’unicité et de la singularité des phénomènes psychoculturels, sans les extraire de leurs contextes de vie, historiques, sociologiques, locaux et quotidiens.
15 Ainsi, selon J. Ortega y Gasset, toute notre connaissance du monde intérieur est métaphorique et c’est pourquoi « presque tout le dispositif noétique des psychologues consiste en de pures métaphores… » (Ortega y Gasset, 1991).
16 Comme nous le savons, F. Shleiermacher a conçu le premier système théorique d’herméneutique utilisé en tant que méthodologie des sciences humaines. Il a élaboré les principes qui ont posé les fondements de l’herméneutique philosophique : le principe de la pensée humaine dialogique ; celui du rapport entre les interprétations grammaticale et psychologique et de leur unité : celui de l’interaction dialectique de la partie et du tout : celui de la dépendance de la compréhension vis-à-vis de l’étude de la vie de l’auteur du texte, celui de « congénialité » (qui permet d’évoquer le mécanisme de la transcendance dans le développement du cercle herméneutique de relations). F. Shleiermacher a également élaboré deux méthodes de compréhension : la méthode de la traduction de l’insconscient de l’auteur et la méthode de précompréhension au moyen d’hypothèses préalables. L’idée selon laquelle la compréhension en soi doit devenir une méthode a constitué l’avancée méthodologique majeure de Shleiermacher.
17 L’herméneutique de W. Dilthey apparaissait comme l’une des voies de recherche de la fameuse méthode objective en psychologie. C’est lui qui a révélé les possibilités d’élaboration de l’objet de la psychologie en tant que « science de l’âme ». La médiévistique contemporaine a réussi à utiliser cet héritage avec profit, mais également à aborder, à partir de la conception de l’esprit individuel, la conception de l’esprit intégral de l’époque.
18 Version française : p. 323, trad. A. Aucouturier.
19 À partir de positions similaires, P. Steiner montre la parenté des idées de G.G. Chpet et de l’auteur de la « Métahistoire », H. White (Steiner, 2004, p. 154-163).
20 Kavelin Konstantin Dmitrievič [Kavéline Konstantin Dmitrievitch] (1818-1885) : historien, juriste, sociologue et publiciste : un des maîtres de l’analyse interdisciplinaire. Dans son ouvrage Zadači psihologii [Les Devoirs de la psychologie], (1872), K.D. Kavéline a caractérisé la psychologie comme une science parachevante : pour que le développement de celle-ci soit réussi, cela demande, selon lui, d’acquérir une expérience dans les domaines adjacents de la connaissance : l’ethnographie, l’histoire de la culture, l’anthropologie, etc.
21 Kareev, Nikolaj Ivanovič [Kareiev Nikolaï Ivanovitch] (1850-1931) : historien, sociologue, publiciste, méthodologue, auteurs d’ouvrages consacrés à l’histoire et à la culture françaises.
22 Petr Mihajlovič Bicilli [Piotr Mikhaïlovitch Bicilli] (1879-1953) : historien, philologue, critique littéraire. Son premier ouvrage, Salimbene. Očerki ital’ janskoj žizni XIII v. [Salimbene. Aperçu de la vie italienne au XIIIe siècle] (1916) était consacré à la reconstitution de la perception du monde et de la dynamique de la conscience du moine franciscain S. de Parme sur la base de la chronique qu’il a laissée. Au cours de sa recherche, P.M. Bicilli a remarqué que l’institution de la confession dans le catholicisme a permis la formation d’une conscience réflexive chez les religieux et l’apparition de représentations concernant le développement de l’âme qui n’étaient pas caractéristiques pour le Moyen Âge. L’ouvrage Elementy srednevekovoj kul’tury [Éléments de culture médiévale] (1919) présentait une reconstitution de la perception du monde de l’« homme moyen » du Moyen Âge. P.M. Bicilli associait l’attrait de la mentalité pour l’universalisme à la propagation dans la culture de cet outil psychologique en tant que symbole. Mesto Renessansa v istorii kul’tury [La Place de la Renaissance dans l’histoire de la culture] (dont la traduction française est parue en 1934 dans la « Revue de la littérature ») constituait une analyse historico-psychologique et culturologique, que l’auteur lui-même qualifiait d’étude [etjud]. P.M. Bicilli a étudié les vieux croyants, les calvinistes, les puritains anglais, les juifs européens et les huguenots en tant qu’individus inadaptés et en polémiquant avec M. Weber, il a expliqué par cette qualité leur rôle actif dans le devenir du capitalisme. P.M. Bicilli considérait Saint François d’Assise comme un précurseur de la Renaissance. « La culture de la Nouvelle Europe, c’est la culture de la Renaissance. Mais la Renaissance sous un “aspect dévié” déjà donné dans la personnalité de St François d’Assise. » (Bicilli, 1995).
23 Lev Platonovič Karsavin [Lev Platonovitch Karsavine] (1882-1952) : historien, philosophe, poète. Il a étudié le caractère unique de la culture dans l’individualité, en s’appuyant dans une large mesure sur l’analyse structurelle, et non pas génétique, il a recherché dans l’histoire « un principe organisateur interne ». Dans son ouvrage Introduction à l’histoire [Vvedenie v istoriju] (1920)], L.P. Karsavin critiquait le déterminisme dans l’histoire ; il a étudié le « lien engendré par l’intégralité ». Les principes méthodologiques qui y sont analysés ont été appliqués par L.P. Karsavin dans ses ouvrages historico-culturels. Son œuvre Vostok, Zapad i russkaja ideja [L’Orient, l’Occident et l’idée russe] est consacrée à la question de la typologie de la culture prenant pour fondement les différences des systèmes religieux. Dans Osnovy srednevekovoj religioznosti v XII-XIII vv., preimuščestvenno v Italii [Fondements de la religiosité médiévale aux XIIe et XIIIe siècles], il a tenté de reconstituer l’univers spirituel de l’homme issu de la culture médiévale. L’œuvre Petrogradskie noči [Les Nuits de Pétrograd] constituait une étude philosophico-métaphysique du sentiment amoureux, de la psychologie de l’expérience amoureuse et portait la marque de la tradition phénoménologique. Au cours de ses réflexions sur les rapports entre la psychologie et l’histoire, L.P. Karsavin faisait observer que « la science historique portant sur l’âme individuelle » se réalisait dans l’œuvre artistique. Si l’autobiographie et la biographie sont apparues comme des exemples d’application réussie de la méthode historique en psychologie, la littérature a présenté un autre « aspect de l’histoire de l’âme ». L.P. Karsavin affirmait qu’il ne faut pas expliquer l’individu comme le résultat d’interactions entre différentes influences. L’étude de l’individu sort toujours hors de ses frontières, la personnalité se reflète dans l’influence sur les autres. La question de l’individu dans l’histoire trouve sa réponse dans le caractère situationnel du processus en question. « L’individu se situe hors du processus historique : c’est une abstraction pure, c’est irréel et incompréhensible » (Karsavin, 1993), « en étudiant l’histoire, l’historien s’efforce d’apporter un éclairage sur le développement et l’origine de son pan spirituel » (ibid., p. 26). Dans ses nombreux ouvrages, le chercheur a développé l’approche synthétique en démontrant qu’il ne faut pas comprendre l’unité comme « une addition de parties », que l’unité est une hybridation totale.
24 Potebnja Aleksandr Afanas’evič [Potebnia Alexandre Afanassievitch] (1835-1891) : fondateur de l’École historico-culturelle russe, mais également l’initiateur du groupe de Kharkov d’étude de la création, auquel appartenaient A. Gornfeld, T. Rainov et B. Lezine. Il a développé l’idée de médiation par les signes du développement psychique, en montrant le rôle de la parole comme instrument de la pensée, qui différencie l’homme des animaux, et a démontré qu’il était impensable de comprendre le développement de l’individu en marge de l’analyse du contexte historico-culturel ; il fut l’un des premiers à affirmer la nécessité de l’application de la méthode historico-génétique dans l’analyse des phénomènes psychiques. A.A. Potebnia insistait sur la nécessité d’un rapprochement entre la psychologie et la linguistique, en insistant sur la prééminence des méthodes de recherche comparatives et historiques. Considérant que le langage est un intermédiaire entre le psychisme de l’homme et la culture, il proposait d’apporter un éclairage à la conscience par le biais du langage. (Nous remarquerons que ce type d’approche méthodologique présente une similitude avec le principe d’unité de la conscience et de l’activité de S.L. Rubinstein). Dans l’article « La psychologie de la pensée poétique et prosaïque » [Psihologija poetičeskogo i prozaičeskogo myšlenija] (1910), A.A. Potebnia partageait la science en deux catégories : celles qui étudiaient l’homme, et celles qui étudiaient la « nature extérieure » [vnešnjaja priroda]. La question du rapport entre la réflexion et le discours, la pensée et le langage l’a préoccupé toute sa vie. Il considérait la parole comme un moyen à la fois d’objectivation et de transfiguration de la pensée. En comparant les travaux d’A.A. Potebnia et de L.S. Vygotski, nous remarquons que ce dernier a appliqué les idées d’A.A. Potebnia dans la psychologie expérimentale. Cependant, dans son traitement de la question des racines génétiques de la réflexion et du discours, L.S. Vygotski a employé des outils méthodologiques originaux : l’analyse génétique et l’expérimentation formatrice. Par ailleurs, l’influence des idées d’A.A. Potebnia sur la conception de L.S. Vygotski mériterait une étude à part.
25 Jarho Boris Isaakovič [Iarkho Boris Issaakovitch](1889-1942) : philologue, critique littéraire, historien, folkloriste, traducteur, spécialiste du domaine de la poétique théorique, auteur des ouvrages Granicy naučnogo literaturovedenija [Les Frontières de la critique littéraire scientifique] (1925), Prostejšie osnovanija formal’nogo analiza [Les Bases élémentaires de l’analyse formelle] (1927), Metodologija točnogo literaturovedenija [La Méthodologie de la critique littéraire exacte] (publié intégralement de façon posthume). B.I. Jarho a appliqué activement les méthodes formelles et mathématiques à la critique littéraire, mais il a également utilisé des analogies biologiques.
26 Grifcov Boris Aleksandrovič [Griftsov Boris Aleksandrovitch] (1885-1950) : diplômé du Département de Philosophie de la Faculté d’Histoire et de Philologie de l’Université de Moscou, éminent spécialiste de la culture française, critique d’art et de littérature, traducteur. Au GAKhN, il a présenté les conférences suivantes : « Du surréalisme », « La psychologie de l’écrivain (Balzac) », « Le genre du roman français contemporain », « Les innovations dans la stylistique française », « Le style de Giraudoux », « La critique littéraire en France de 1922 à 1927 ». B.A. Grifcov a traduit en russe des œuvres d’H. de Balzac, de G. Flaubert et de M. Proust. Une monographie, Isskustvo Grecii [L’Art en Grèce] est parue en 1923 ; il écrivit ensuite en 1924 la monographie Psihologija pisatelja [La Psychologie de l’écrivain] (qui ne fut publiée qu’en 1988), et en 1927, il publia son étude fondamentale Teorija romana [Théorie du roman].
27 Grigorij Osipovič Vinokour [Grigori Ossipovitch Vinokour] (1896-1947) : philologue, philosophe et critique littéraire, est intervenu au GAKhN en présentant les conférences suivantes : « Biografija kak naučnaja problema » [La biographie comme question scientifique], « Russkaja filologija i russkie poety » [La philologie russe et les poètes russes].
28 La perception du psychologisme est redevenue positive plus tard, en grande partie grâce à la critique littéraire ; lors du remplacement du modèle non-classique de rationalité par le modèle post-non-classique, on a commencé à envisager le subjectivisme et la partialité non plus comme un défaut, mais comme une spécificité de la connaissance liée aux sciences humaines.
29 « Toute la différence tient dans le fait que lorsque nous disons : “cela doit être”, du point de vue de l’interprétation stylistique, nous affirmons cela sans aucunement prétendre que notre affirmation soit une prophétie, aussi elle s’accomplit immanquablement : “cela” peut ne pas se produire, même au prix d’une violation du style, et pourtant nous affirmons avec justesse que cela “devait” se produire » (Vinokour [Vinokour], 2007, p. 68).
30 Rubinštein, Moisej Matveevič [Rubinstein, Moïsseï Matveïevitch] connu pour avoir participé à la fondation de l’Université d’Irkoutsk, il possédait une culture philosophique exceptionnelle. Comme plusieurs de ses collègues, il a été formé au début du XXe siècle dans des universités en Allemagne, où il s’est initié au néokantisme. Ses ouvrages majeurs, Ideja ličnosti kak osnova mirovozzrenija [L’Idée de personne comme base pour une conception du monde] (1909), Očerk pedagogičeskoj psihologii v svjazi s obščej pedagogikoj [Essai de psychologie pédagogique dans le cadre de la pédagogie générale] (1913), Junost’ po dnevnikam i avtobiografičeskim zapisjam [La Jeunesse dans les journaux et les écrits autobiographiques] (1928) reflétaient le domaine étendu de ses recherches, comprenant la philosophie, la pédagogie, la psychologie et la culture.