Conclusion générale
p. 333-356
Texte intégral
1Le thème envisagé dans notre livre : « Les sociologues français classiques face à l’analyse du jeu et du sport », n’avaient pas tenté, jusqu’à présent, les chercheurs qui s’intéressent à l’histoire de la sociologie. La communauté des sociologues issus du nouvel élan de la discipline (à partir des années 1950) semblait s’être s’accommodée, pour cette thématique (qui s’affirme dans les années 1960), d’une absence de références et de travaux exploitables dans les décennies antérieures aux années 1940. Dans un autre ouvrage, nous avons pu montrer à quoi tenait cette ligne de faiblesse et quels étaient les facteurs (moments de rupture, effets de générations, formes de réécriture sélective de l’histoire du sport en France, en particulier dans le contexte scolaire…) qui avaient contribué à engendrer puis à entretenir une telle image. Pourtant, une « raison » positive aurait dû attirer l’attention, à propos de cette situation quelque peu insolite. En effet, la France est historiquement un pays centralisé et à État fort. Dès le début de la IIIe République, l’éducation de la jeunesse y tient une place prépondérante. Dès lors, la problématique de l’éducation physique et sportive, introduite dans l’institution scolaire, ne pouvait laisser indifférents la plupart des Maîtres de l’Université. Certains de ceux qui ont été en charge de la sociologie ou de la pédagogie, furent volontiers attentifs à la rénovation culturelle de l’institution. Ainsi, à la charnière des années 1880 et 1890, l’avènement de la sociologie universitaire, la modernisation du système éducatif et la question de l’éducation physique de la jeunesse sont trois faits intimement liés, impliquant parfois et de façon concrète des personnalités qui appartiennent au monde de l’Université. Les publications répertoriées et analysées ici en sont une preuve tangible. L’idée selon laquelle les maîtres de l’université française ne se seraient pas intéressé aux jeux, au sport, à l’associativité scolaire ou à l’éducation physique ne tient pas. Il s’agit bel et bien d’une idée reçue qui a perduré jusqu’à une époque récente. Elle résultait d’une certaine ignorance quand elle n’était pas reprise par tous ceux qui avaient quelque intérêt à la propager, au point d’apparaître comme des pionniers et des éclaireurs en ce domaine.
Un corpus de textes qui n’est pas négligeable
2Il est possible d’isoler un corpus spécifique, au titre de la sociologie. Évidemment, si l’on s’en tient à des critères rigoureux, le corpus des publications de référence qui n’est pas très volumineux risque de se réduire encore. Il s’agit parfois de textes qui sont plutôt des études sociales que des analyses sociologiques, ou bien de simples passages, des fragments se limitant à quelques pages extraites d’ouvrages plus généraux et centrés sur la philosophie, la pédagogie, ou encore des comptes-rendus ou des témoignages dont les genres s’éloignent de la sociologie ordinaire. L’ethnologie y a également sa place. L’outillage conceptuel n’est pas toujours fermement établi. Soit. Pourtant, on ne peut nier les intentions explicites de la plupart des auteurs qui se réclament explicitement de la sociologie pour traiter du domaine : le philosophe Jean-Marie Guyau (1884, 1889)1, Alfred Espinas d’une certaine façon (1893, 1894, 1900), Guillaume-L. Duprat (1894, 1895, 1900, 1920, 1933, 1936), Charles Lalo (1910, 1921, 1927), sans nul doute Gaston Richard (1925), Émile Lasbax (1925) ou Célestin Bouglé, le médecin-capitaine J. Escalier encouragé en cela par Paul Fauconnet (1930), sans oublier la part prise par Marcel Mauss (1904, 1910, 1924, 1928, 1936…) tout au long de sa carrière professionnelle ou celle occupée dans un tout autre registre par Maurice Halbwachs (1913, 1933, 1938).
3Il est possible de présenter sous la forme d’un schéma simplifié ces auteurs classiques qui ont manifesté une attention évidente pour aborder le jeu, les jeux, l’éducation physique et les sports sous l’angle de la sociologie, tout en précisant les héritages, les influences et les filiations déjà identifiés (voir figure 7).
4La bibliographie que compose ce corpus permet ainsi de mieux situer l’intérêt marqué par les sociologues français « classiques » pour l’éducation physique, les jeux physiques et les sports, et à des fins de comparaisons internationales. Pour la période considérée (1890-1939), il est possible non pas tant de chercher à vérifier si les publications répertoriées sont en mesure de soutenir la comparaison, face aux deux « concurrents » sérieux que peuvent être, dans ce domaine, l’Allemagne et les États-Unis, que de combler un « vide » sociologique qui n’était à vrai dire qu’apparent. En outre, il n’est pas interdit de penser qu’on puisse encore dénicher quelques textes supplémentaires qui permettront de compléter le corpus.
Figure 7 – Quelques auteurs français classiques : héritages, influences et filiations

Espinas et Durkheim : quelques aspects relatifs aux méthodes d’analyse
5Pour la période ancienne, il convient d’insister sur l’intérêt manifesté par Alfred Espinas et par le jeune Guillaume-L. Duprat, à Bordeaux, pour la question du jeu et des jeux sportifs de la jeunesse scolarisée.
6Revenons d’abord sur la méthode mise en œuvre par Espinas, en laissant provisoirement de côté les communications liées aux activités de la Ligue girondine de l’Éducation physique. Pour ne pas perdre de vue notre thème d’étude, retenons que c’est dans le cadre de son Cours de pédagogie de 1884, commencés dès 1879, qu’Espinas distingue clairement les arts et les sciences2. L’article de 1890 met en pratique cette grille de lecture appliquée à la Grèce ancienne. Les pratiques et les arts (les techniques) sont distincts, en tant que modes de l’action, des sciences qui sont des modes de la représentation. Les « jeux réglés » (pour reprendre une expression de Duprat) et les sports s’apparentent au premier genre. Ils s’imposent à des moments historiques de la société. Certes, il ne s’agit pas d’arts utiles, de prime abord, mais on sait que la division du travail social s’accompagne d’une différenciation des fonctions qui se prolonge jusque dans une spécification des activités de loisir. En isolant une formule d’Espinas de son contexte, on peut dire que les jeux et les sports « naissent des besoins de l’homme et des ressources dont il dispose pour les satisfaire ; leur enchaînement est celui des fins proposées ». Cet art se caractérise par « un ensemble de modèles et de règles enjoignant aux hommes d’agir de telle ou telle manière », dit ailleurs Espinas3. On regrettera que la théorisation que fait l’auteur de la Praxéologie n’ait pas porté sur la société contemporaine, tant il maîtrisait en définitive toutes les données indispensables. Jean J. Ostrowski a cherché à reconstruire le « programme » de sa praxéologie, en dégageant une périodisation des époques concernées, jusqu’à la situation contemporaine, à partir des publications de l’auteur4. L’auteur aurait pu sans difficulté appliquer sa méthode d’analyse aux années 1890-1900, et par exemple en se limitant à l’action éducative en faveur de la jeunesse impliquant les pratiques corporelles, identifiable en fonction de différents modèles (gymnastique, éducation physique, jeux dirigés, jeux libres, sports athlétiques). Autant de modèles enjoignant aux jeunes d’agir de telle ou telle manière, avec ou sans l’incitation de l’adulte.
7Si la lecture que nous faisons des extraits du Cours de pédagogie fournis par Jean J. Ostrowski est correcte, la conception pratique de la pédagogie privilégiée par Espinas est-elle si différente de la science de l’éducation que Durkheim entend imposer ? Ce n’est pas certain. D’ailleurs, l’un et l’autre n’ont-ils pas collaboré au fameux « Dictionnaire » de Ferdinand Buisson ?
8Essayons d’apporter un élément supplémentaire de réponse, en matière de méthode, ou plus exactement des éléments de discussion pour le débat. Examinons la « méthode » générale proposée par Durkheim. En matière d’histoire de la philosophie, on sait que Durkheim considère que Le système de Descartes publié par Octave Hamelin, dont il rédige la préface, est un ouvrage particulièrement réussi5. Ce dernier a su articuler la méthode dogmatique et la méthode historique. À la première « l’étude des corps de propositions abstraites, indépendantes du temps et de l’espace, comme des produits de l’entendement pur ». À la seconde la caractérisation d’un système philosophique replacée dans son cadre historique et dans la société du moment, afin de saisir la spécificité historique de chaque pensée. Par cette double exigence, l’histoire de la philosophie devient « un instrument de la culture philosophique ». « Ces réflexions, insiste Giovanni Paoletti, vont bien au-delà du commentaire de l’œuvre de son ami6 », et des expressions « tout à fait analogues » se retrouvent ailleurs, dans d’autres analyses produites par le sociologue, et dans les Formes élémentaires en particulier7. Il en va de même pour L’évolution pédagogique en France. Et l’introduction proposée par Paul Fauconnet au volume Éducation et sociologie (1922) développe une idée similaire, quitte à forcer le trait afin de marquer l’originalité de Durkheim (en l’occurrence par rapport aux publications de Gabriel Compayré).
9Ce modèle d’explication recoupe des préoccupations formulées par Espinas dans son article de 1890 : émancipation progressive de la raison par rapport à la religion, à la tradition et à l’autorité de celle-ci, procédant d’un double progrès, dans l’ordre des techniques et dans l’ordre des doctrines. Pareille entreprise n’est-elle pas l’ébauche d’une « reconstitution du processus de changement historique », pour reprendre une formule de G. Paoletti ? Sans nul doute. Nous avons montré combien il serait possible de systématiser la pensée d’Espinas en se limitant au domaine des arts et des doctrines qui relèvent de l’éducation physique, et c’est en toute logique que Jean J. Ostrowski se propose de reconstituer plus largement « une philosophie d’action » d’après les publications qui jalonnent l’œuvre d’Espinas. Les centres d’intérêt et les intentions des deux auteurs prouvent une certaine similarité, de même que les solutions méthodologiques envisagées et quelques idées directrices dont celle qui consiste à refuser d’opter pour une conception linéaire et unitaire de la pensée ou de l’agir. S’il n’est pas question de nier ou de minimiser la spécificité de l’apport de Durkheim sur ces questions (domaines d’investigations et méthodes) et les capacités de synthèse de l’auteur (voir les articles rédigés pour le Nouveau Dictionnaire, 1911), on ne saurait non plus nier le caractère innovant de la démarche engagée par Espinas dans « Les Origines de la technologie » (1890) et dans le livre qui prolonge cet article (1897), complétée ultérieurement par d’autres études.
10On peut également isoler une conséquence de l’importance accordée par chacun des deux auteurs à la pensée de Descartes : comprendre l’émergence de la philosophie cartésienne à l’intérieur d’une histoire du rationalisme pour Durkheim8, appréhender la démarche de Descartes visant dans sa « systématisation définitive » à faire « entrer la morale dans l’ensemble des sciences » (tel que ce dernier le conçoit) et avisant « en même temps aux moyens de la concilier avec la foi », selon Espinas9. Indirectement, sans doute, l’importance accordée par les deux auteurs au « système » de Descartes, au cartésianisme, fait de l’œuvre du philosophe un « moment » décisif dans l’avènement de la pensée moderne, propre à l’esprit français. Il est vrai que d’autres universitaires français, spécialistes de philosophie, accordent une importance similaire à Descartes. Pourtant, sous cet angle de vue, ne dégage-t-on pas ici, conjointement, un élément de réponse quant au silence qui quelquefois accompagne chez le sociologue Durkheim des emprunts évidents au philosophe allemand qu’est Kant ? Probablement au nom de la valorisation d’un certain esprit national dans l’expression du génie philosophique.
L’observation sociologique des jeux et des sports
11Par son implication personnelle, le doyen Espinas a apporté une légitimité universitaire à cet élan en faveur des exercices physiques au moment de l’introduction des jeux dans les établissements d’enseignement secondaire et primaire, au tournant des années 1890. Il a produit en ces occasions des textes qui méritaient d’être tirés de l’oubli.
12Nous venons de dégager des similitudes entre Espinas et Durkheim. Pour autant, ce sont surtout des oppositions dans la manière de s’intéresser à la société qu’il convient de souligner. La sociologie selon Durkheim, c’est d’abord un « objet », une « méthode » et des « règles » qui sous-tendent une démarche. Pour Espinas, au moins en ce qui concerne les jeux et les sports de la jeunesse, des circonstances vécues personnellement vont être l’occasion d’aiguiser l’observation et l’analyse. Il en sera de même pour Guillaume-L. Duprat, impliqué lui-même dans les activités de la Ligue girondine de l’Éducation physique et dans la participation au Congrès de 1893 avant de développer une « œuvre » plus personnelle.
13Ces deux façons de concevoir la sociologie expliquent aussi l’abondance d’études produites autour du doyen Espinas et de Duprat, qui contrastent avec le relatif silence de Durkheim et des siens sur le même sujet. Certes, on doit identifier le type de publications des premiers cités : autant de contributions à une sociologie descriptive, mais on sait que Bouglé, en sa fin de carrière, s’est interrogé sur ce qui avait pu manquer à une sociologie française se voulant exclusivement synthétique… Cependant, Bouglé reste fidèle au groupe des Durkheimiens et il n’abonde jamais dans le sens de G.-L. Duprat, par exemple, lorsque ce dernier souligne certaines limites ou insuffisances de la sociologie de Durkheim.
14En envisageant l’étude dans son ensemble, soit les deux parties chronologiques, couvrant les années 1890-1939, force est de reconnaître la relative discrétion de l’École durkheimienne pour traiter concrètement du jeu, du sport et de l’éducation physique. Cette apparente cécité, à l’égard d’un domaine qui retient l’attention d’éminents membres de l’Université contemporains de Durkheim et de son groupe, dans les années 1890, s’explique principalement par le type de « programme sociologique » que ces derniers entendent développer. C’est particulièrement visible dans la dernière décennie du xixe siècle.
15Pourtant, dans les enseignements connexes (morale, pédagogie, entre autres), des occasions plus favorables auraient pu s’imposer à leur sagacité.
16Outre cette explication renvoyant au souci de formalisation théorique, il faut ajouter une explication plus spécifique : la classification des jeux et des sports sous la rubrique de l’Esthétique (vie esthétique, culture esthétique, valeurs esthétiques…). La façon de procéder fait que cette rubrique va opérer comme une « catégorie piège ». Envisagé par rapport à l’art, et réduit à son expression élémentaire, le jeu devient une activité résiduelle ainsi que l’ont indiqué quelques auteurs importants mobilisés à travers un prisme déformant (Grosse, 1894 ; Wundt, 1904 et 1905, etc. ; Hirn, 1900…) ou une activité qui, contrairement à l’art, est sans « productivité » (Bouglé, en 1922, lecteur de Wundt, 1905). On mesure aussi ce qui a été perdu de vue par rapport à l’approche fondatrice du jeu, de l’art et du jugement esthétique selon le criticisme kantien. À cela s’ajoute la traduction française du chapitre « Sentiments esthétiques » (1875) des Principes de psychologie de Spencer (1855 dans sa forme initiale). L’auteur anglais utilise dans le texte sur les « sentiments esthétiques » une expression jugée équivalente : « plaisirs esthétiques », peut-être plus adéquate. Pour autant, nous avons vu que l’analyse développée par Spencer s’applique fort bien à l’ensemble d’un domaine que le sociologue anglais est loin de limiter à l’art. D’ailleurs, Espinas, un des co-traducteurs de l’ouvrage, proposera quelque temps plus tard une approche du jeu et du sport qui s’inspire de la conception spencérienne. En revanche, les Durkheimiens, peut-être en retenant par commodité (!) la formule de Spencer comme rubrique de classement, vont subordonner les jeux, y compris les jeux d’opposition physique, à la « sociologie esthétique » dans laquelle ces activités n’ont pas prioritairement leur place. Cette branche de la sociologie ne permet pas d’appréhender aisément ces activités physiques pour ce qu’elles sont et représentent socialement. Toutefois, Charles Lalo y avait mis bon ordre dans son livre sur Les sentiments esthétiques (1910), resté sans écho, et plus tard encore (1921, 1926,1927). Enfin, l’agonistique, pour emprunter la catégorie tardivement forgée par Marcel Mauss, est le véritable centre de gravité à partir duquel peut être abordé un vaste domaine d’expression culturelle en extension constante depuis les années 1890 : le sport. Dans les années 1930, ce dernier a parfaitement noté la faiblesse principale d’une classification des jeux qui ignore ce type de nuance. Alors même que W.E. Roth en tenait le plus grand compte en distinguant Games, Sports et Amusements (1902) et qu’on retrouve cette distinction dans la classification proposée par l’anthropologue américain S. Culin (1907), faut-il le rappeler : deux livres pour lesquels Mauss a livré des comptes rendus dans L’Année sociologique (1904 et 1910). Malheureusement, le « programme » spécifique esquissé par Marcel Mauss sur les jeux, dès 1904, ne s’est jamais réalisé. En ces années-là, les Durkheimiens paraissent moins inspirés par la société concrète que ceux qui ont constitué « l’autre École bordelaise » de sociologie.
17Si l’on fait exception de Maurice Halbwachs, il a manqué à ces sociologues français « classiques » une expérience concrète des terrains d’observation. Cela leur aurait permis d’opérer une sorte de chassé-croisé en reconnaissant au jeu des propriétés qui sont uniquement attribuées à l’art (une productivité et une ambition culturelle élevée), et en élargissant à l’art des caractéristiques considérées comme propres au jeu et au sport (une expression pratique et technique de la culture). Nous n’avons jamais cherché à développer ce trait à la façon d’un paradoxe. Ce sont simplement des affirmations répétées, selon lesquelles le jeu et le sport « valent » si peu au regard de l’art, qui ont tracé cet « itinéraire » en creux et qu’il nous était impossible d’ignorer.
18Pour nous en tenir ici à la période ancienne, outre les travaux déjà examinés, indiquons un témoignage éloquent de Ferdinand Buisson10 (auquel Durkheim va bientôt succéder à la Sorbonne), qui esquisse les contours d’un terrain d’observation privilégié : « l’étude de la solidarité à l’école » comporte trois questions : l’enseignement, la discipline, « les œuvres particulièrement les associations scolaires et post scolaires » (p. 189). À propos du troisième aspect, Buisson souligne « le grand effort qui s’est poursuivi en ce sens est tout à l’honneur des instituteurs. Apprendre aux enfants à s’associer pour le jeu, le travail, la mutualité, ceci est à recommander sans réserve » (p. 196). L’article « Enfance », co-signé par Buisson et Durkheim (pour le Nouveau dictionnaire de pédagogie, 1911), nous avait semblé mettre l’accent sur le ressort psychologique qu’est chez l’enfant le plaisir du jeu. Dans ce texte, l’influence de Buisson est incontestable. De même, à l’époque, l’enseignement de la langue anglaise est-il susceptible d’aborder de façon nuancée le thème des jeux de collège, de l’éducation physique et des sports. De ce point de vue, des initiatives intéressantes peuvent être citées11. Ces quelques illustrations, parmi d’autres, montrent combien les Durkheimiens ont été quelque peu enfermés dans leur tour d’ivoire…12 Ultérieurement, à partir de 1921, avec l’introduction de l’enseignement de la sociologie dans les écoles normales (dans les « deux cents écoles normales de France », s’indignait Izoulet, relayant ici le bruit des conservateurs), soit une opportunité majeure, une occasion manquée viendra s’ajouter.
19À l’évidence, le petit ouvrage, en forme de manuel d’initiation à la sociologie du sport, publié en 1930 par le docteur Escalier fait figure d’exception. De même que l’intuition tardive de l’agonistique par Marcel Mauss permet d’échapper au « piège esthétique » et rétablit un cadre d’observation conforme à la réalité observable.
Le « piège esthétique ». L’art et le jeu
20Parler d’« exception » à propos du livre du docteur Escalier et d’« intuition tardive » à propos de l’agonistique envisagée par Mauss n’a rien d’excessif. Pendant plusieurs décennies, chez les Durkheimiens, le « piège esthétique » a fonctionné sur deux plans avec les effets suivants : considéré dans son rapport au jeu, il appauvrit la réalité sociale et culturelle de l’art ; considéré aussi dans son seul rapport à l’art, le jeu exclut paradoxalement les jeux d’engagement physique et les sports ; considéré enfin dans un rapport élémentaire à l’art, le jeu est vidé de sa réalité sociale et culturelle. En mettant unilatéralement l’accent sur le plaisir du jeu, on néglige une dimension majeure du jeu : la règle et le rapport concret, pratique, à la règle, à son apprentissage et à la cohabitation sociale qu’elle favorise. D’où la nécessite de réintroduire l’idée de mesure et de contrôle du comportement. Et de ce point de vue, dès lors qu’on cherche à établir une similitude avec la morale, avec les sentiments moraux, les jeux physiques sont d’une plus grande efficacité pédagogique que l’évocation du rapport esthétique à l’art.
21Ne revenons pas ici sur les illustrations déjà repérées et commentées, ni sur leurs conséquences. Rappelons plutôt que Jean-Marie Guyau dans ses études sur Les problèmes de l’esthétique contemporaine (1884) avait déjà éventé ce « piège esthétique »13. Dans la préface de cet ouvrage, l’auteur identifie les trois « théories » de l’art à dépasser. La première d’entre elles « ramène l’art, comme le beau même, à un simple jeu de nos facultés » (p. V). De ce point de vue, l’art est un « un exercice, assez vain sans doute, mais pourtant hygiénique, de nos facultés les plus hautes ». La deuxième théorie considère que « si l’art n’est que le jeu des hommes, il est infiniment au-dessous du travail sérieux ». Il est « un véritable enfantillage » (p. VI). Une troisième théorie s’est imposée, souvent avec l’appui des artistes eux-mêmes, qui réduit l’art « à une pure question de forme, de procédés et de savoir-faire » (p. VII). L’art est alors « un simple jeu d’adresse » et d’illusion. Selon Guyau, ces trois théories obligent à nous interroger respectivement sur la nature, sur l’avenir et sur la forme de l’art. La solution préconisée par l’auteur, de l’avis d’Alfred Fouillée, fonde « l’esthétique nouvelle » : « la double conception de l’art comme expansion vitale et […] comme expansion sociale » (p. X). Le reproche majeur que fait Guyau aux conceptions identifiées, et en particulier à la « théorie » « aujourd’hui en faveur »14, ouvre des perspectives pour repenser les jeux et les activités sportives collectives. Cette façon de repenser l’art ouvre également des perspectives pour reconsidérer le jeu et sa double réalité : comme expansion vitale et comme expansion sociale. Dès lors que ces aspects ne sont pas explicités, le « piège esthétique » ne peut que se refermer sur les utilisateurs d’une certaine conception de l’art dans son rapport au jeu.
22Or le « piège esthétique », dans sa façon de poser le contexte, ignore l’importance des jeux libres de l’enfant et des activités sportives qui prolongent l’âge de la jeunesse et il pénalise le rapport que l’individu (l’enfant) peut entretenir à l’art lui-même. Nous avons déjà noté l’asymétrie, l’anti-symétrie avec laquelle Durkheim envisage le lien entre l’art et la morale. L’expérience de l’art s’adresse au sentiment et ouvre « à une certaine spiritualisation de la sensibilité et de la moralité ». Le jeu et l’art nous font vivre dans un monde d’images, commente Durkheim, « et ce sont ces combinaisons d’images qui font le plaisir du jeu, comme celui de l’art. En ce sens, on peut dire que l’art est un jeu » (L’Éducation morale, op. cit., p. 313). Le jeu de l’art s’adresse à des sentiments qui ne sont pas d’ordre moral mais qui « ressemble pourtant par certains côtés aux sentiments moraux » (ibid.). En dissociant l’art du travail (p. 314), en ignorant ce qu’est la production artistique et ce qu’elle suppose d’application, de respect des règles techniques, de persévérance et de progrès, Durkheim s’interdit de repenser l’art en termes d’apprentissage, d’esprit de discipline, d’autonomie progressive de la volonté, sous la responsabilité du maître (ici le professeur de dessin ou de musique, par exemple).
23Cette façon de voir n’est pas sans conséquences et l’on peut apporter à ce propos un témoignage éloquent. Au sortir de l’Occupation, le sculpteur statuaire Paul Landowski (1875-1961), membre de l’Institut, publie un livre intitulé : Peut-on enseigner les Beaux-Arts ?15. Le dernier chapitre s’intitule « Union de l’art et du métier » (p. 232-239). L’artiste insiste sur l’acquisition progressive d’une nécessaire « culture générale » et des différentes « qualités manuelles » indispensables (p. 233) ; « technique et invention artistique dépendent si étroitement l’une de l’autre qu’il est impossible de les dissocier » (p. 234). La formation des « aspirants » au métier d’artiste se compose de plusieurs « étapes à franchir avant de choisir son orientation définitive » (p. 236). « Le jeune artiste prend ainsi, dès ses débuts, l’habitude de consacrer à ses ouvrages le temps et le soin nécessaire. Il y a des disciplines et des respects de formation qui ne s’oublient plus » (ibid.). Voilà bien le registre matériel et technique de l’art qui manque chez Durkheim et qui est pourtant décrit dans une approche qui s’apparente à sa démarche. Le tout début de la conclusion de l’ouvrage (p. 240 et suivantes) adopte un ton critique qui, de façon inattendue, vient éclairer notre propos. « En fin de compte, le trouble apporté dans l’enseignement vient de ces systèmes philosophiques qui ont depuis deux siècles défini l’Art comme activité de jeu et ne lui assignent d’autres buts que la délectation. Comme si l’Art qui est, après la religion, la manifestation la plus élevée de la lutte de l’homme contre l’anéantissement pouvait être défini en ces trois mots » (p. 240). « Activité de jeu », souligne Landowski, est impropre et de nature à égarer… « L’art n’est pas uniquement activité de jeu. Et son enseignement encore moins » (p. 245). Cet enseignement ne saurait être « inspiré par un étroit esprit de pédagogie ». « Puisant un perpétuel renouvellement de vie dans la conciliation de ces contraires, la liberté et la discipline, car l’art vit de liberté, et la liberté n’est féconde que lorsqu’elle sait s’imposer à elle-même ses limites » (p. 246). Durkheim ne contesterait pas cette façon de raisonner mais il est non moins évident que la perspective proposée par Landowski s’accorde surtout avec les vues de Guyau que nous venons de rapporter. « Les grandes époques ne sont pas celles qui mettent au premier plan les jeux de la fantaisie et l’amusement du décor changeant. […] Ce sont ces grands, ces rares et cours moments de l’histoire qui justifient une conception autrement élevée de l’art et de sa valeur », constate Landowski (p. 240). Dans l’une des premières leçons sur l’Éducation morale (3e leçon, « L’esprit de discipline »), Durkheim abordait l’activité esthétique, l’art, en des termes similaires. « Un peuple impropre aux joies de l’art est un peuple barbare. Mais d’un autre côté, quand dans la vie d’un peuple, l’art prend une place excessive, il se déprend, dans la même mesure, de la vie sérieuse, et dès lors ses jours sont comptés » (op. cit., p. 44).
24Chacun des points évoqués par Landowski, qu’il n’est pas possible d’exposer et de commenter ici, s’accorde globalement avec les analyses que Guyau a pu produire sur l’art. On trouverait sans peine une similitude d’inspiration chez Charles Lalo. En revanche, l’accord avec l’approche développée par Durkheim ne peut être que partiel. Petite ironie de l’histoire… de l’art et de la sociologie, Paul Landowski n’est autre que le sculpteur statuaire qui a réalisé le buste d’Émile Durkheim en 191316.
Les conceptions savantes du jeu et leur renouvellement : bilan d’ensemble
25Il importe néanmoins de faire le point sur l’analyse du jeu – des jeux – qui n’est pas réductible à celle qui rend compte des sports. Ainsi que nous venons de le rappeler, les analyses de facture sociologique ont dû s’extraire peu à peu de diverses façons d’envisager le jeu qui étaient souvent entachées d’une dimension fabulatrice, esthétisante ou philosophique, voire dépendantes d’un apriorisme réducteur.
26Sans prétendre ici à l’exhaustivité, on peut indiquer trois formes de conceptions du jeu qui ont été identifiées, sinon examinées au cours de l’étude. La première forme rassemble l’approche philosophique du jeu, soit des conceptions spéculatives : l’idéalisme kantien qui tourne à l’idéalisme romantique chez Schiller, le vitalisme de Jean-Marie Guyau qui s’articule cependant avec une certaine exigence de type sociologique, le réalisme rationaliste d’un Paul Souriau (que nous n’avons pas envisagé).
27Contrairement à cette forme première, qui s’enracine dans l’exercice de la philosophie, une forme plus résolument ancrée dans les préoccupations scientifiques du dernier quart du xixe siècle regroupe des conceptions « génétiques » : le jeu comme excédent d’énergie (comme dans l’énergétisme organique de Spencer), le jeu comme expérience des apprentissages (chez K. Groos) avec deux variantes principales que sont l’expérimentalisme psychologique (par imitation) et l’exploration fonctionnelle des capacités, ou encore le jeu comme survivance d’activités périmées (comme dans l’évolutionnisme de l’anthropologue anglais Tylor, que nous n’avons pas abordé).
28Enfin, une autre forme d’appréhension du jeu rassemble les conceptions positivistes du jeu : positivisme praxéologique défini par Alfred Espinas, positivisme psychologique dans la façon dont Frédéric Queyrat traite des jeux des enfants, positivisme sociologique formulé par Charles Lalo, positivisme intellectualiste d’Alain (que nous n’avons pas examiné).
29Les grandes tendances qui viennent d’être rapidement récapitulées ne permettent pas toujours d’associer une fois pour toutes tel auteur à telle conception. L’explication du jeu proposée par un auteur est quelquefois composite, combinant plusieurs traits ou critères, et elle peut évoluer sensiblement d’une étude à une autre. Les tendances structurantes qui marquent l’analyse du jeu – des jeux – peuvent être complétées par la mise en évidence de filiations entre ces trois formes de conceptions – philosophiques, génétiques et positivistes – qui s’inscrivent dans des temporalités différentes. Autant de conceptions du jeu, des jeux d’exercice, que l’essor spectaculaire des sports va condamner à un oubli progressif.
30En adoptant la thèse spencérienne pour parler du jeu dans sa thèse (De la division…) ou en présentant l’activité artistique comme purement désintéressée, lorsqu’elle ne devient pas futile, Durkheim ne dépasse pas ce niveau d’appréhension savante. Par contre, Espinas, Duprat, Lalo, et bien sûr Mauss, paraissent mieux inspirés.
31Il est vrai que, d’une façon générale, les progrès décisifs viendront ultérieurement (y compris par rapport aux décennies envisagées dans notre étude), avec l’avènement d’un quatrième « ensemble » de conceptions, en matière d’analyse du jeu : les conceptions empiriques, assujetties aux critères du vrai, du faux et du vérifiable. Quatre d’entre elles méritent d’être mentionnées : la place accordée aux jeux par l’ethnographie comparée élaborée par Marcel Mauss (nous en avons examiné les principaux aspects : circonstances, fonctions, symbolique des jeux), aisément accessible dans de nouvelles publications (1947, 1950, 1967), l’empirisme descriptif auquel recourt Jean Château pour décrire et expliquer les jeux des enfants, liant réel et imaginaire, l’anthropologie culturelle comparative que Roger Caillois met en œuvre dans son livre Les jeux et les hommes (1958), la praxéologie motrice formalisée par Pierre Parlebas, s’appuyant dans ce cas sur une analyse de la « logique interne des jeux », ou sur celle du « réseau des communications motrices », pouvant donner matière à l’utilisation efficace d’instruments mathématiques.
Les deux facettes d’une École française « classique » ?
32Une fois résumé le constat d’une certaine lacune de l’École durkheimienne à envisager le jeu ou le sport, et tout en ayant en mémoire les études livrées sur ces domaines par les non-durkheimiens, ne peut-on pas essayer de revisiter cette période de l’histoire de la sociologie française ?
33Avec le recul, peut-on considérer que ces deux Écoles, bordelaises à l’origine, forment comme les deux facettes de l’École française « classique » de la sociologie ? Leurs membres respectifs avaient reçu, les uns et les autres, la même formation à l’École normale supérieure ou à l’Université, et une façon nouvelle de concevoir les sciences sociales se précisait, en partie sous leur propre impulsion. La Faculté des Lettres de Bordeaux a été le berceau d’une sociologie du sport aujourd’hui totalement oubliée. L’une de ces Écoles bordelaises brillera bientôt au plan national, rassemblée autour de Durkheim, du programme qu’il avait conçu pour une sociologie formalisée et capable d’utiliser – à sa façon – les travaux des historiens et des ethnologues, et autour de la mémoire du Maître, plus tard, durant l’entre-deux-guerres. L’autre École bordelaise n’aura pas démérité, nous semble-t-il, entre autres raisons par son intérêt pour une sociologie de l’éducation et de la culture qui porte une attention soutenue au jeu, aux jeux de compétition, aux sports et à l’associativité. La dispersion de ses membres, leur éclectisme intellectuel, leur indépendance d’esprit, leur inclinaison à concevoir des sciences cousines – plutôt que sœurs – de la sociologie (praxéologie, psychologie sociale…) expliquent en partie leur effacement progressif de la scène scientifique.
34Il convient, nous semble-t-il, de considérer que les deux École sociologiques peuvent être caractérisées comme telles. « Classiques », les Durkheimiens le sont et nombreuses sont les publications d’historiens contemporains qui s’emploient régulièrement à le confirmer. N’oublions pas non plus que trois membres de ce groupe : Mauss, Simiand et Halbwachs voient leur carrière couronnée par l’obtention d’un poste de Professeur au Collège de France. Auteurs « classiques », les non-durkheimiens Espinas, Richard ou Duprat le sont aussi, au regard de certains des critères définis par François Chazel17. Il conviendrait de revisiter l’œuvre des uns et des autres. En effet, on ne saurait nier la « fécondité heuristique » d’Alfred Espinas, à propos de ses analyses sur les savoir-faire (les techniques, les arts) et les doctrines (ou modèles de pensée), avec leurs influences réciproques, replacées dans une perspective sociologique d’inspiration historique. Un « niveau d’exigence et d’ambition » affirmé, autre critère déterminant, qu’on retrouve aussi sous la plume de Gaston Richard. Son étude d’ethnologie comparée sur La Femme dans l’histoire (1909) est un modèle du genre. La méthode est reprise avec réussite dans L’Évolution des mœurs (1925). Sa Pédagogie expérimentale (1911), par exemple, n’est pas moins intéressante que les articles publiés par Durkheim, la même année, dans le Nouveau dictionnaire de pédagogie. Dans le domaine de la sociologie proprement dite, plusieurs publications de Gaston Richard pourraient être citées : ouvrages, articles, mémoires, comptes rendus. Les préoccupations majeures de l’auteur relèvent de la sociologie générale : d’une part la recherche de ce qui assure l’unité des phénomènes sociaux, d’autre part l’élaboration d’une sociologie formaliste qui maintient la notion d’un ensemble social à étudier comme tel. Enfin, l’intérêt marqué par Espinas et Duprat pour les terrains d’observation de la socialisation des jeunes que sont les jeux et les sports atteste d’un rapport de la sociologie « à la réalité » qui permet d’éviter d’entretenir bien des idées fausses (autour du jeu, par exemple)… Sans analyse poussée des productions (thème envisagé, administration de la preuve, explication, modélisation…), on ne saurait refuser le qualificatif de « classique » à ces auteurs aujourd’hui oubliés18. D’ailleurs L’Année sociologique, dans sa première série, n’avait-elle pas publié des comptes rendus d’ouvrages (ceux d’Espinas, de Richard, de Duprat) qui étaient globalement favorables ? On insistera cependant sur ce qui peut apparaître rétrospectivement comme un point faible : l’absence d’un partage du travail universitaire au sein d’une entreprise collective, unifiée et coordonnée (un « programme »…) qui a contribué à précipiter leur perte d’influence et leur oubli…
35Sur les enjeux scientifiques fondamentaux, Durkheim au premier chef mais également Espinas, Richard ou plus tard Duprat montrent un intérêt soutenu pour ce que Durkheim appelle des « questions capitales » : l’explication sociologique, le lien causal, le raisonnement déductif et inductif, les variations concomitantes, etc. Sur le plan de la sociabilité scientifique, néanmoins, la situation est des plus contrastées. Dans les années 1930, Duprat est conscient des lignes de faiblesse qui affectent la crédibilité scientifique de l’IIS. « L’institut international de Sociologie a été depuis sa fondation jusqu’en 1930 d’un éclectisme imposé par le recrutement même de ses membres, mais décevant pour des sociologues qui ont adressé les plus amères critiques aux publications issues de ses congrès19. » Ajoutons que, pour l’essentiel, ce ne sont pas les sociologues français membres de l’institut qui sont visés par ces critiques. C’est l’importance prise par les non-sociologues de métier au sein de la société savante qui n’a fait qu’entretenir un certain discrédit dommageable pour la pleine reconnaissance universitaire de la revue.
36Aujourd’hui, en France, un abîme sépare désormais les deux sociologies conçues, en partie tout au moins, à la Faculté des Lettres de Bordeaux. Notre étude thématique confirme un clivage bien marqué20. D’un côté les « oubliés », avec une certaine diversité des centres d’intérêt, au gré des personnalités de chacun, de l’autre (avec et autour de Durkheim) un effort collectif derrière un chef d’école et toujours ramené à l’essor d’une discipline : la sociologie ; d’un côté le souci de saisir la réalité psychologique des phénomènes sociaux, de l’autre une tendance à l’objectivisme (qui va peut-être au-delà de ce que la science sociale requiert) ; d’un côté une ouverture internationale des sciences sociales, de l’autre l’affirmation nationale d’une « École française de sociologie » ; d’un côté la Revue internationale de sociologie qui est pour le moins éclectique, de l’autre L’Année sociologique qui contribue à l’institutionnalisation de la sociologie française ; d’un côté l’absence de lieux véritablement stratégiques de promotion des œuvres, de l’autre l’importance des foyers de promotion des œuvres que furent la Sorbonne et l’École de la rue d’Ulm ; d’un côté, un sens de la diversité sociologique qui garantirait une meilleure approche de l’objectivité, de l’autre « le paradigme réputé le plus rigide » qui est aussi « celui que l’on s’approprie le mieux et le plus volontiers dans les débats actuels »21… Autant d’éléments combinés qui permettent d’expliquer la différence de postérité entre les deux groupes et l’abolitio nominis qui affecte les représentants de cette autre « École bordelaise » de sociologie… Des classiques rejetés en dehors de la tradition classique française.
37Ce contexte, brièvement résumé, permet d’évoquer une dernière fois le cas de René Maunier. Aux critères explicatifs d’un oubli injuste, qui viennent d’être évoqués, on doit noter une accentuation de ces traits dans le cas de Maunier, qui multiplie les extrêmes, à commencer dans l’utilisation des sources – françaises – qui vont de Comte à Durkheim en passant par Tarde, René Hubert, etc., et occupe des positions a priori incompatibles les unes avec les autres. Maunier apparaît comme un collaborateur précieux dans le cadre de la nouvelle entreprise de L’Année sociologique. Pour autant, il s’est toujours investi, et de longues dates, au sein de l’Institut international de sociologie, dont il deviendra le président, et au niveau de sa revue. Ce qui ne l’empêche pas de faire preuve d’initiatives personnelles, comme pour la direction d’une collection qui s’intitule « Études de Sociologie et d’Ethnologie juridiques », faisant concurrence aux initiatives des Durkheimiens. Ceux-ci se sentent d’autant plus menacés que l’accouchement des publications (L’Année…, les Annales…) est difficile, et directement visés aussi car Maunier ne manque pas une occasion de préciser qu’il n’est, pour sa part, ni un adepte de la « sociologie en chambre », ni un « juriste d’écriture », et que les faits consignés dans ses publications relèvent « de choses vues et de choses vécues », lorsqu’il se trouvait sur tel ou tel terrain d’observation… De fait, ignoré par les sociologues, et isolé au sein des juristes de la Faculté de Droit de Paris avec sa sociologie et son économie coloniales, le rayonnement de son œuvre sera de courte durée22.
L’apport décisif de quelques « Classiques »
38En nous appuyant sur les « critères » définis par François Chazel pour apprécier l’importance des auteurs classiques, il est possible de pointer quelques acquis qui constituent un précieux héritage, au titre de la sociologie. L’opération ne saurait se réduire à un simple étiquetage des auteurs et/ou de leurs publications. De même, il est exclu de procéder à une évaluation détaillée des travaux déjà passés en revue. En revanche, l’apport décisif de quelques « Classiques » peut être résumé ici, au titre d’un bilan d’analyse et en se plaçant uniquement sous l’angle du jeu, de l’éducation physique, du sport et de l’associativité sportive ou plus exactement sur la manière dont ces thématiques sont intégrées dans un cadre sociologique plus général. Quelques lignes directrices originales peuvent être précisées.
39L’œuvre d’Espinas est non pas tant hétérogène que composite, avec plusieurs entrées possibles : philosophie, sociologie, pédagogie, praxéologie. Il a clairement formulé une intention : promouvoir une science de l’action, de l’agir. C’est d’abord l’homo faber qui est visé dans la déclinaison de ses différentes figures (par exemple l’artisan, le technicien, l’ingénieur). Pour reprendre le propos de Roger Daval, « l’homme fabrique, perfectionne peu à peu les produits de son art et les outils dont il se sert, conduit des recettes conseillant telle manière de faire plutôt que telle autre pour obtenir le résultat recherché23 ». Espinas élargit la perspective en prenant pour objet l’action humaine dans le cadre de la coopération sociale. Ce niveau d’intelligibilité de l’œuvre de l’auteur est bien mis en évidence par la constitution rétrospective réalisée par J.J. Ostrowski. L’action – l’action efficace –, examinée dans une perspective historique ne se limite pas aux arts « majeurs » mais intègre sans difficulté les arts « d’agrément » à fort investissement corporel (danse, gymnastique, disciplines athlétiques, équitation, etc.). Ces arts d’agrément supposent éducation, transmission de savoir-faire et améliorations. Dans le cas des arts à dominante esthétique, l’action efficace s’entend du point de vue de l’efficacité symbolique, c’est-à-dire d’une production socialement admise comme telle. Et les conditions d’affirmation de l’innovation relèvent d’une étude des règles et des normes de l’efficacité. Toutefois, une interrogation de nature épistémologique demeure, qui peut être résumée dans les deux questions suivantes. Par le problème qu’elle (se) pose, la praxéologie appartient-elle à la même classe que des sciences comme la biologie ou la sociologie ? Faut-il considérer que la praxéologie correspond – avant l’heure – à un domaine de spécialisation dans le cadre d’une division raisonnée du travail sociologique ?
40Durkheim a suscité des ouvrages majeurs. Contentons-nous de noter l’impact de ses éclairages sur les activités physiques. Il a su distinguer avec précision les quatre formes d’activité sociale : jeux, éducation physique, activité associative, sports athlétiques, auxquelles on peut ajouter une catégorie supplémentaire : les jeux rituels, leur cadre organisationnel ainsi que les finalités qui les caractérise, sur fond de complexité croissante des sociétés. Elles s’inscrivent dans le cadre de la morphologie sociale (tant la morphologie sociale générale que celle, plus spécifique, qui s’intéresse aux groupes intermédiaires) et l’apport majeur concerne le processus de socialisation (par l’éducation) des jeunes générations par les précédentes, qui s’opère dans les activités les mieux structurées (éducation physique, associativité scolaire). Sur ces aspects, le niveau d’exigence et d’ambition formelle est des plus cohérents. On peut simplement regretter que Durkheim n’ait pas envisagé le domaine des jeux scolaires d’engagement physique et de compétition ludique comme un espace pédagogique susceptible de valoriser la socialisation de l’enfant, l’esprit de discipline, l’attachement au groupe et l’apprentissage de l’autonomie. C’est l’attachement à une certaine tradition académique dans la façon de concevoir l’esthétique (l’art et le jeu) qui explique cette limitation.
41Richard n’est plus guère lu. On doit le regretter. Dans son inspiration initiale, la sociologie de Richard est « une science génétique, aux procédés comparatifs, selon Massimo Borlandi, dans le sillage du chapitre V des Règles… de Durkheim24 ». Cette caractérisation s’applique bien à la démarche développée dans les deux ouvrages que nous avons examinés. Dans le premier, Richard parvient à établir les étapes du groupe familial, l’évolution du statut de la femme. Dans l’autre, les étapes successives par lesquelles les jeux et les fêtes se renouvellent, en rapport avec l’évolution des mœurs. Plus fondamentalement, ces ouvrages volontairement rapprochés, malgré l’écart entre les années de publication (1909 et 1925), constituent une excellente illustration à la sociologie du « sens des valeurs » analysée par Raymond Boudon25. « Peut-on en d’autres termes formuler une théorie permettant d’articuler rationalité et variabilité ? », interroge Boudon dans son ouvrage (avertissement, p. 12). Au terme du premier chapitre, il conclut que la « rationalité » est une donnée anthropologique universelle (p. 78). Revenons à Richard. Tout en optant pour une perspective diachronique, il définit des irréversibilités sociales, économiques et culturelles majeures, jusque dans la situation qu’occupe la femme dans la société, ou dans la signification collective des jeux. La « loi » de l’assimilation des deux sexes formulée par Richard est d’une force incomparable que des croyances périmées ou obscurantistes ne peuvent affecter que provisoirement et localement. On peut sans grande difficulté appliquer aux deux analyses de Richard les propositions formulées par Boudon : « La rationalité est un trait fondamental de la culture humaine » et « le jeu de la “rationalisation” habite l’ensemble des “cultures” (p. 78 et 79). »
42Mauss a exploré méthodiquement les acquis de l’ethnographie scientifique étudiant les sociétés dites primitives pour rendre compte des jeux dans leur rapport à la cosmogonie, qui contribuent à revivifier la cohésion communautaire, ou replacés dans le cadre de l’échange social et de l’obligation d’échanger, considérés comme des ressorts essentiels dans le maintien et l’évolution des sociétés. Par-delà sa description méthodique des techniques du corps, il n’a considéré que tardivement la réalité agonistique et sécularisée des jeux d’affrontement et des sports. C’est l’ampleur de son œuvre personnelle et de ses engagements institutionnels qui ne lui a pas permis de s’attarder sur ces thématiques dont il avait pressenti l’importance pour la sociologie.
43Duprat a su aiguiser son sens de l’observation pour étudier les jeux scolaires et leur fonction de socialisation (dans le sillage d’Espinas) avant de s’intéresser aux processus complexes produisant de la solidarité sociale sur fond d’une division du travail social et des échanges qui en résultent (largement inspirée par Durkheim). Au titre d’une « psychologie sociale » (pour partie influencée par Tarde), il a su combiner le processus de complication sociale (articulant morphologie sociale et division du travail, deux aspects empruntés à Durkheim) dans ses rapports avec le renouvellement des besoins secondaires qui accompagnent les transformations de la morphologie de la société (le jeu, l’art, le sport, la participation associative). Son apport à la formalisation conceptuelle passe surtout par la construction de typologies qui permettent d’éclairer la réalité sociale du sport et de la participation associative analysée sous l’angle de la sociabilité. Par-delà un éclectisme cohérent, Duprat préfigure, nous semble-t-il, la sociologie interactionniste.
44Halbwachs s’est employé à mettre en relation les acquis de Durkheim sur la morphologie sociale avec les données chiffrées rassemblées dans les grandes enquêtes de dépenses des ménages, en y ajoutant la perspective empirique comparative. Si le procédé ne dit pas grand-chose sur la fréquentation des associations récréatives (en fait, les enquêtes utilisées ne distinguent pas l’affiliation syndicale, confessionnelle, culturelle et de loisir…) il permet d’expliquer le processus de renouvellement des besoins et des dépenses au fur et à mesure que les sociétés deviennent de plus en plus complexes et socialement hiérarchisées, y compris au plan des produits et des services : besoins de soins du corps, de sport, de vacances, de dépaysement et de nature… Halbwachs a su se réapproprier d’une manière originale les thèses anciennes (de Spencer, entre autres) faisant du « jeu » une matrice des sentiments esthétiques, afin de rendre compte de l’expression des goûts, de leur « objectivation », de leur généralisation, voire des logiques de distinction dans les pratiques, pour proposer un modèle explicatif très charpenté de la consommation et de son évolution historique : un modèle compatible in fine avec une conception élargie de la rationalité de l’acteur.
45Chacun de ces auteurs, à sa façon, et en tenant compte des restrictions qu’impose le fait de ne retenir que la thématique du jeu, du sport et de l’associativité, appartient à la « tradition classique » que les sociologues du sport d’aujourd’hui peuvent revisiter avec profit en fonction de leurs propres intérêts. Il en va de même pour d’autres auteurs auxquels il n’est pas possible de reconnaître le même niveau de centralité, compte tenu de la thématique envisagée : Bouglé, Lalo, Lasbax par exemple. En outre, qui pourrait soutenir fermement que tous les aspects traités par Maunier au titre de sa « sociologie coloniale » ne sont d’aucune pertinence dans le contexte post-colonial actuel traversé par d’importants flux migratoires ?
46C’est aussi pour la façon de rendre compte du « lien entre théorie générale et thématiques spécialisées », pour reprendre une formule de François Chazel, et même si ce lien n’est pas toujours explicité comme tel, qu’il convient d’aborder ou de relire tous ces travaux. La thématique envisagée se limite aux études se réclamant de la sociologie, qui abordent les jeux physiques et l’activité associative introduits dans les établissements scolaires ou qui traitent de l’affirmation des sports dans la société. Ce type d’exercice ne peut être exécuté sans méthode. Compte tenu de cette (dé) limitation, et sans qu’il faille renoncer à la démarche « présentiste » (pour certains textes), c’est une démarche sociologique conforme « aux canons de l’approche historique » qui est la plus pertinente pour éclairer l’ensemble du corps de textes rassemblés et examinés. D’ailleurs, en ces années 1890-1939, il est encore trop tôt pour que se dessine un cadrage sociologique en forme de branche spécialisée de la discipline. Dès lors, « l’approche historique » permet d’introduire un plan supplémentaire : la façon dont les faits sportifs et tels qu’ils sont abordés dans des études de facture sociologique, pour la période considérée, peuvent s’articuler avec des ouvrages et articles de sociologie générale publiés à la même époque. Le relativisme historique permet d’apprécier ou à tout le moins de ne pas négliger certaines expressions temporaires de la sociologie appliquée à des faits sociaux et culturels. Les grands « moments » de la sociologie, à l’époque de son institutionnalisation universitaire, ont-ils favorisé ou non l’intérêt pour les jeux et les sports ? Quel est le niveau d’exigence que nous avons fixé pour rester dans les proportions raisonnables qu’impose la modeste thématique abordée ? Nous avons pris appui sur l’analyse livrée par Massimo Borlandi à propos de « La querelle des historiens et des présentistes26 ». En faisant référence à la New History of Sociology et à Raymond Boudon, M. Borlandi souligne : « aucun texte ne peut se dire compris tant qu’on ne définit pas la visée qui a poussé son auteur à le rédiger » (ibid., p. 106). Si nous n’avons pas toujours su ou pu atteindre pleinement cet objectif, du moins pensons-nous l’avoir toujours gardé comme horizon de travail.
D’hier à aujourd’hui
47Tout comme la Grande Guerre avait constitué une rupture, on peut considérer que la guerre de 1939-1945 va opérer de même. À la Libération, une « génération » a quitté la scène universitaire. L’Institut international de sociologie va bientôt quasiment disparaître de la scène scientifique nationale (encore qu’il existe toujours, de même que la revue qui lui est attachée), concurrencé par de nouvelles initiatives institutionnelles. De ce point de vue, le Traité de sociologie publié par Gaston Bouthoul en 1946 fait quelque peu figure de testament légué à de futurs historiens de la sociologie27. L’ouvrage fournit une manière de concevoir la place qu’on peut accorder à Espinas, Richard, Duprat (commentaires, illustrations, références bibliographiques) et au thème du jeu dans l’édification de la sociologie.
48À Bordeaux, la même année, Jean Stoetzel donne une conférence dans les lieux mêmes où professa jadis Durkheim, et avant lui Espinas28. Il préconise de tourner la page. Certes Durkheim et le groupe de L’Année sociologique ont-ils accompli en commun une œuvre incomparable par son ampleur (p. 2) : « cette immense construction qu’ils ont édifiée, quelque inachevée que nous la trouvions, exerce un énorme effort de stimulation, sinon comme modèle à imiter, du moins comme défi à l’adresse de leurs adversaires » (ibid.). Le premier trait permet d’identifier ce qui fait généralement la caractéristique des « classiques ». Le second, en revanche, si l’on s’en tient à l’analyse spécifique du jeu ou du sport, ne tourne pas au désavantage des non durkheimiens. Et bien que se définissant par un profil différent, ces derniers sont tout autant des « classiques ». Dans sa conférence, Stoetzel insiste sur le moment de refondation, de renaissance de la sociologie française qui s’observe, rompant avec les habitudes anciennes. Sur le point de conclure, il souligne qu’une manière nouvelle de concevoir le travail du sociologue s’impose : « Mais il est indispensable que nous éveillions des vocations de chercheurs sur le terrain, et il faut bien dire que jusqu’ici nous n’avons pas fait grand-chose pour cela » (p. 16).
49Quelques années plus tard, au tout début des années 1960, la sociologie du sport va se développer progressivement, comme une branche spécialisée de la discipline qui bénéficie d’une nouvelle impulsion, et par réajustements successifs. Les défricheurs ont pour nom Roger Caillois, agrégé de grammaire, dont les analyses sont plutôt d’inspiration anthropologique, Joffre Dumazedier issu de l’Éducation populaire et des mouvements de la Résistance, Georges Magnane, agrégé d’anglais et romancier, bien informé sur les travaux de sociologues nord-américains, accueilli par Georges Friedmann dans son laboratoire, aux côtés de J. Dumazedier… On pourrait ajouter quelques autres noms. Par leurs lectures et dans leur propre formation universitaire, il ne leur a pas été donné de fréquenter les auteurs dont les publications jalonnent notre livre, à l’exception peut-être de R. Caillois, dans la mesure où il avait suivi les cours de M. Mauss. Ces spécialistes de la sociologie des jeux et du sport vont enrichir la discipline, baliser des terrains de recherches et rendre compte de l’essor spectaculaire des loisirs sportifs. Sans même soupçonner l’existence des ressources assez exceptionnelles, à bien des égards, que constituaient certaines publications plus anciennes29.
Notes de bas de page
1 Nous n’avons pas réexaminé l’un de ses ouvrages dans le présent livre. Guyau J.-M., Éducation et hérédité. Étude sociologique (1889), Paris, Félix Alcan, 1907 (neuvième édition). Voir tout particulièrement la « Deuxième partie. L’éducation physique », p. 81-115. Pour l’étude de l’ouvrage, voir : Callède J.-P., op. cit., p. 46-50.
2 Malheureusement, la brochure suivante n’a pas pu être localisée. Espinas A., « Idée Générale de la Pédagogie ou Art de l’Éducation », Paris, Félix Alcan, 1884 (39 p.).
3 Cité d’après Ostrowski J.J., Alfred Espinas, op. cit., p. 115.
4 Ostrowski J.J., op. cit., voir son « Essai de reconstruction d’une histoire de la philosophie d’action d’après Alfred Espinas », p. 123-244. L’auteur indique que ce « modeste essai de reconstruction qui n’a pas pu être exécuté selon les propres intentions d’Alfred Espinas » reste toutefois comme « une preuve de sa grande érudition et de son esprit créatif » (p. 244). Sur le Cours de 1884 qui prend forme dès 1879, voir p. 77 et 78.
5 Hamelin O., Le système de Descartes (préface d’Émile Durkheim), Paris, 1911 (XIV-392 p.).
6 Paoletti G., « Durkheim historien de la philosophie », op. cit., p. 276.
7 Et G. Paoletti d’ajouter en note que « la proximité culturelle et l’abondance des documents » permet, dans le cas de la philosophie, « une véritable reconstruction du processus de changement historique, impossible pour les religions primitives, comme les commentateurs des Formes l’ont souvent regretté » (ibid.), note 4, p. 277.
8 Durkheim É., « Préface », dans Hamelin O., op. cit.
9 Espinas A., Descartes et la morale, Paris, Éditions Brossard, 1925 (2 tomes, 252 p. et 204 p.). Le livre est publié trois ans après le décès de l’auteur, par les soins de son fils. La couverture indique que l’ouvrage prend place dans des « Études sur l’histoire de la philosophie de l’action ». Les citations sont extraites de l’introduction au tome II, p. 9). La conclusion du livre est parfaitement explicite quant à l’importance de Descartes. Espinas considère que le « tout social en quoi se trouve la raison des devoirs politiques comme des devoirs domestiques » (p. 201), à la fois « corps matériel » et « tourbillon base de la société des âmes », tel qu’il est défini par Descartes, est « comme le germe d’une idée importante » (p. 202) : elle « devait devenir, au xixe siècle, le postulat de la sociologie, à savoir que la société est un être, une réalité, objet de science, objet d’une science distincte » (ibid.).
10 M. Ferdinand Buisson (séance du 5 février 1902), « La solidarité à l’école », dans Essai d’une philosophie de la solidarité, conférences et discussions présidées par MM. Léon Bourgeois et Alfred Croiset (École des Hautes Études Sociales, 1901-1902), Paris, Félix Alcan éd. (Bibliothèque générale des Sciences sociales), 1907. Voir p. 189-199.
11 Mentionnons par exemple le livre de Delattre F., La Culture par l’anglais (préface d’Émile Legouis, Professeur à la Sorbonne), Toulouse, Édouard Privat, Paris, Henri Didier, 1914 (XVI-312 p.). L’auteur est maître de conférences de langue anglaise à l’Université de Lille. Publié dans la collection « Bibliothèque des Parents et des Maîtres », l’ouvrage consacre de nombreux passages aux exercices physiques en mentionnant à ce propos quelques grands « classiques » de la littérature de la jeunesse de langue anglaise et des extraits susceptibles d’être utilisés par l’enseignant.
12 Ce constat général n’empêche pas de penser que certains membres de l’École française de sociologie aient pu s’intéresser occasionnellement aux jeux d’exercice et aux sports, à l’exemple des excellentes lignes que leur consacre Jean Ray dans un ouvrage sur le Japon. Ray J., Le Japon grande puissance moderne, Paris, Plon, 1941. Voir le « chapitre X. Éducation et culture », p. 167-179. Jean Ray (1884-1943), ancien élève de l’ENS, agrégé de philosophie et docteur en droit, entra dans la carrière diplomatique et passa la plus grande partie de sa vie au Japon. Il assura le secrétariat de L’Année sociologique de 1934 à 1940. Voir L’Année sociologique, troisième série, 1940-1948, 1949, tome premier, « In Memoriam », p. XV-XVI. Jean Ray fut également membre du comité de rédaction des Annales sociologiques.
13 Guyau J.-M., Les problèmes de l’esthétique contemporaine (1884) (avec une note d’Alfred Fouillée), Paris, Librairie Félix Alcan, 1913 (9e édition). Initialement publiées dans la Revue des Deux Mondes et dans la Revue philosophique, ces études ont été regroupées dans un ouvrage paru à la fin de l’année 1884.
14 « En s’attachant d’une manière exclusive au plaisir de la contemplation pure et du jeu, en voulant désintéresser l’art du vrai, du réel, de l’utile et du bien, en favorisant ainsi une sort de dilettantisme, n’a-t-elle pas [la théorie actuelle] méconnue le caractère sérieux et pour ainsi dire vital du grand art ? », Guyau J.-M., op. cit., p. 5-6.
15 Landowski P., Peut-on enseigner les Beaux-Arts ?, Paris, Éditions Baudinière, s. d. (253 p.).
16 Fournier M., Émile Durkheim, op. cit., p. 819-820.
17 Chazel Fr., op. cit., p. 1 et 2. Voir également notre introduction générale.
18 Nous avons posé quelques bases pour ce type de travail dans une récente communication déjà citée. Callède J.-P., « L’autre “École bordelaise” de sociologie (1880-1939). Essai d’explication des mécanismes de l’oubli », Congrès national du CTHS, Bordeaux, 22 avril 2009.
19 Prof. G.-L. Duprat (Université de Genève), « Rôle de l’Institut international de sociologie dans la coopération intellectuelle internationale depuis 1927 », communication faite à la Conférence internationale des Sciences sociales, Paris, 4-6 juillet 1937 (doc. dactylogr.).
20 Une étude récente, réalisée par Sébastien Mosbah-Natanson et tirée de sa thèse, montre que la distinction apparaît clairement dès 1900, avec « l’internationalisme sociologique de Worms » et son « éloignement du champ académique », tandis que Durkheim et les siens s’emploient à parfaire « l’inscription de la sociologie dans la tradition nationale ». Mosbah-Natanson S., « Internationalisme et tradition nationale : le cas de la constitution de la sociologie française autour de 1900 », Revue d’Histoire des Sciences Humaines, no 18, 2008, p. 35-62.
21 Nous empruntons les deux formules à Bruno Karsenti (La société en personnes : études durkheimiennes, Paris, Economica, 2006, 240 p.). Avec la « théorie sociale » élaborée par Durkheim, « avec elle, d’un seul et même mouvement la sociologie s’érige en discipline scientifique et marque la singularité de son geste spéculatif – geste auquel les courants contemporains sont conduits à revenir afin de creuser leurs lignes de force » (quatrième page de couverture). Aucun enjeu équivalent ne peut être constaté, à l’endroit de cette « autre école sociologique ».
22 Seul Armand Cuvillier donne à l’œuvre de René Maunier la place qui lui revient légitimement, par exemple dans son traité de sociologie publié en 1950. Il répartit les approches jugées pertinentes, commente les acquis de Maunier et mentionne les références bibliographiques utiles au lecteur en fonction de l’agencement thématique du manuel. Cuvillier A., Manuel de sociologie, Paris, PUF, 1950 (2 vol.). L’auteur en avait fait de même dans un livre antérieur. Cuvillier A., Introduction à la sociologie, Paris, Armand Colin, 1936.
23 Daval R., « La praxéologie », Sociologie du Travail, art. cit., p. 137.
24 Borlandi M., « Richard Gaston, 1860-1945 », dans Dictionnaire de la pensée sociologique, op. cit., p. 604-605.
25 Boudon R., Le sens des valeurs, op. cit.
26 Borlandi M., « La querelle des historiens et des présentistes », dans L’acteur et ses raisons, op. cit., p. 88-109.
27 Bouthoul G., ancien Professeur à l’École des Hautes Études Sociales, membre de l’Institut international de sociologie, Traité de sociologie, Paris, Payot, 1946, 544 p.
28 Stoetzel J., « L’esprit de la sociologie contemporaine », réunion du mardi 26 mars 1946, Bulletin de la Société de Philosophie de Bordeaux, no 4, avril 1946 (27 p. dactylogr.) (communication, p. 1-16, et discussion, p. 17-27).
29 On peut faire un constat analogue pour la philosophie. En 1985, Maurice Dupuy, professeur de philosophie, et ancien directeur de l’UER, à l’Université de Bordeaux 3, donne une conférence sur le thème : « Significations des sports » devant les membres de l’Académie de Bordeaux. Dès l’introduction, l’orateur souligne une évidence : « à en juger par la table centennale de nos Actes, nulle communication n’a jamais été consacrée au sport tel qu’il apparaît dans nos sociétés modernes au cours du xxe siècle » (p. 97). Au fil de son exposé, Maurice Dupuy cite des philosophes tels Michel Bouet, acquis aux sciences sociales, Jacques Ulmann, Bernard Jeu… Sans savoir que certains de ses illustres prédécesseurs à la Faculté des Lettres de Bordeaux avaient abordé l’analyse du jeu, de l’éducation physique et des sports à la charnière du xixe et du xxe siècles. En effet, en ce domaine, et pour la période considérée dans notre étude (1890-1939), et principalement au seuil du xxe siècle, les authentiques pionniers sont des sociologues « classiques » français, philosophes de formation, et d’autres universitaires moins connus, qui n’ont pas démérité en abordant le jeu, l’éducation physique et le sport. Dupuy M., « Significations du sport », Actes de l’Académie Nationale des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Bordeaux, 5e série, tome X, année 1995 (Séance du 26 octobre 1985), p. 97-109.
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