Chapitre I. D’une pratique bordelaise à une pratique girondine
p. 117-132
Texte intégral
1Dans la région bordelaise, dès la fin du xixe siècle, à l’époque où les sportifs portaient des canotiers, des cols durs avec cravates et les sportives de vastes chapeaux de paille et d’amples jupes longues, on jouait beaucoup au « tennis » ou en tout cas au jeu de raquettes, dans les propriétés de la grande bourgeoisie locale, qui était en relation étroite avec l’Angleterre par le biais du commerce du vin. Bordeaux, « bastion de l’anglomanie215 », était la seule ville de province qui avait conservé son jeu de paume216 et ses joueurs étaient très réputés. Et c’est donc très naturellement que les joueurs de paume, comme en Angleterre, se sont essayés au nouveau jeu de raquettes du major Wingfield.
2L’histoire a retenu spécialement les propriétés de M. Edouard Lawton et de M. Daniel Guestier, toutes deux situées à Floirac, sur le plateau de l’Entre-deux-Mers217. C’est l’activité sportive toute familiale qui se développa dans ces propriétés qui fut à l’origine, une vingtaine d’années plus tard, en 1897, notamment à l’initiative de la famille Lawton, de la création d’un club, la Société Athlétique de la Villa Primrose (SAVP). Dans les statuts, il est écrit que le club a pour but d’encourager les sports athlétiques et en particulier le jeu de paume dit « Lawn Tennis ». C’est le premier club spécialisé pour la pratique du tennis dans la région. Parmi les fondateurs, on relève les noms d’Edouard Lawton, du Marquis du Vivier, de Trincaud-Latour, Meller, Damas, de Pelleport-Burette, Samazeuilh, Baguenard, Daniel Lawton, Albert de Luze lui-même fondateur du Golf Club Bordelais en 1901, Pierre Devès, Pierre Buhan. Leur initiative permit de créer un grand club, mais elle suscita aussi une émulation parmi d’autres clubs comme le Stade Bordelais qui existait depuis 1889 et le Sport Athlétique Bordelais où le tennis était pratiqué et le Burdigala où le tennis fut introduit.
3À Primrose, les dames sont admises au même titre que les messieurs, soit comme « membres joueurs permanents », ou « non joueurs permanents » ou encore comme « membres temporaires », avec des cotisations inférieures à celles des messieurs. Cette présence des dames mérite d’être soulignée pour deux raisons. À cette époque les clubs de sports étaient en général réservés aux hommes et toujours orientés vers la préparation militaire. En effet, assurer des cours de gymnastique, « pour faire des hommes, de solides et bons soldats », était la condition première pour que le club reçoive l’autorisation préfectorale et l’agrément du ministère de la Guerre, toute association étant alors interdite avant la loi sur les associations de 1901 et très contrôlée après218. Par ailleurs, cela dénote l’ouverture d’esprit qui régnait dans la bonne société par rapport à la petite bourgeoisie où le respect des convenances et la répartition des rôles écartaient les femmes de la sphère publique219.
4Primrose s’est également engagé dès l’origine dans l’organisation, à l’échelle nationale, de tournois réguliers220. Si d’autres clubs bordelais ont très tôt proposé des rencontres221, la Villa Primrose a été, comme les grands clubs parisiens ou ceux de la Manche, de la Mer du Nord et de la Côte d’Azur, à l’avant garde du tennis en France en instaurant un tournoi de prestige rassemblant les meilleurs joueurs français et des étrangers et ce dès avant 1910.
1• UNE DIFFUSION URBAINE ET BALNÉAIRE DU TENNIS EN GIRONDE 1913-1970
5L’annuaire de l’Union des Sociétés Françaises des Sports Athlétiques (USFSA) de 1912 fait état de 4 clubs de tennis en Gironde et ils sont à Bordeaux. Ce sont la SAVP, (300 membres et 8 terrains), le Stade Bordelais (90 membres et 6 terrains), le Burdigala (50 membres et 2 terrains) et le Sport Athlétique Bordelais (2 terrains)222.
Les débuts du tennis en Gironde : une pratique exclusivement bordelaise
6En 1913, alors que la Gironde compte 55 sociétés sportives civiles et 2 scolaires, affiliées à l’USFSA223, ce sont toujours les quatre mêmes clubs qui proposent la pratique du tennis (figure 13). Cependant la Société Athlétique de la Villa Primrose a construit 2 terrains supplémentaires. La SAVP apparaît alors comme le premier club de province en nombre de licenciés et d’équipements, juste derrière le Stade Français (400 membres et 14 terrains) et le Racing Club de France (400 membres et 9 terrains). Le Tennis Club de Lyon a 250 membres et 9 terrains (dont 3 couverts). D’autres gros clubs existent dans les stations balnéaires mais leur activité et leurs membres ne sont que temporaires. Ce sont le Tennis Club d’Étretat (350 membres et 14 terrains), le Garden Tennis de Cabourg (200 membres et 10 terrains), le Lawn Tennis du Casino de Dieppe (170 membres et 10 terrains) et le Dinard Tennis Club (200 membres et 9 terrains)224.
7Avant la Première Guerre mondiale, le tennis en Gironde est essentiellement bordelais, même si des terrains existent ailleurs en Gironde comme à Bazas, où il y a un professeur de tennis, comme le prouve l’adresse d’une carte postale qui a circulé en 1906. À Lacanau une autre carte postale, permet de dater un terrain du début du siècle. À Royan une propriété privée accueille des championnats en 1907, et des tournois se disputent sur la plage mais les principaux participants sont toujours les Bordelais et les Bordelaises de la Villa Primrose. Dès 1911, le Garden Tennis Club de Royan est créé près du Tir aux Pigeons, avec 3 courts en terre battue et le premier tournoi y enregistre une centaine d’engagements.
8À côté des grands clubs cités d’autres clubs existent mais ils ne sont pas affiliés à l’USFSA et donc non répertoriés dans l’annuaire225. Ainsi à Bordeaux un autre grand club omnisports avec une section tennis existe : c’est la Vie au Grand Air du Médoc (VGAM)226, qui en 1910, fait état d’un terrain au Pin Galant à Mérignac et un autre Cours du Médoc et organise des Championnats auxquels les dames peuvent prendre part dans les catégories « dames » et « mixtes »227. À la tête de ce club, comme à Primrose, se retrouvent des grands noms du négoce du vin comme la famille Gasqueton. La VGAM a aussi d’étroites relations avec les clubs anglais et fréquente les patronages catholiques228.

Photo 23• Les équipes de double-mixte finalistes du tournoi de Royan en 1907 : quatre sociétaires de la Villa Primrose (de gauche à droite : D. Lawton, Mlle H. Lawton, Mme Flouch, H. Lawton). (Archives D. Lawton)
Une diffusion vers la côte et vers l’intérieur, en même temps que vers d’autres pratiquants
9La guerre a stoppé le développement du tennis. En 1920 en Gironde, le tennis a gagné un club seulement en huit ans : c’est le Tennis Club d’Arcachon qui apparaît avec 2 terrains. Le Stade Bordelais Université Club a gagné des membres (115)229. Mais encore une fois, les statistiques utilisées ne sont que partielles, car à côté des clubs qui recrutent plutôt dans le milieu de la bourgeoisie, les patronages, regroupés au sein de la Fédération Gymnastique et Sportive des Patronages de France (FGSPF) poursuivent sous l’impulsion des curés, une œuvre d’éducation de la jeunesse ouvrière par le sport230. À côté de la gymnastique et ce dès 1901, des sports sont pratiqués dans les patronages et parmi toutes les Fédérations et Unions de Gymnastique et de Préparation Militaire, la FGSPF fut la première à mettre dans ses programmes la course à pied, le football, la natation et le tennis. Le tennis est en honneur un peu partout, notamment dans les écoles affiliées à l’Union Générale Sportive de l’Enseignement Libre (UGSEL), fondée dès 1911 et dans les grandes œuvres de certaines villes231. En juillet 1920, l’Étoile d’Arlac-Sport, patronage de la paroisse St-Victor, à Bordeaux, fondé dans les premières années du xxe siècle, annonce la création d’un terrain de tennis et l’inscription d’une vingtaine de pratiquants232. Les matches se font entre membres du club ou entre patronages de Bordeaux et de la banlieue. Les raquettes et les balles sont prêtées par le patronage pour la durée du jeu233.
10Les cinq ans qui suivent voient une diffusion du tennis dans l’espace girondin. Des clubs sont apparus à Libourne, Coutras, St-Médard-de-Guizières et à Rions. Sur Bordeaux, la Société Athlétique de la Villa Primrose s’est encore agrandie (2 terrains et 90 membres supplémentaires, soit 12 terrains pour 390 joueurs), ainsi que le Sport Athlétique Bordelais qui a 60 membres et 4 terrains, le Stade Bordelais Université Club reste stable. La section tennis du Bordeaux Étudiants Club (club omnisports) est créée en 1921, de même que le Sporting Club de la Bastidienne. Le Star Tennis Club et la Vie au Grand Air (affiliée maintenant à la Fédération Française de Lawn-Tennis) ont leurs terrains sur la commune du Bouscat. Le Tennis Club d’Arcachon est toujours là avec 65 joueurs et 2 terrains234.
11Entre 1925 et 1929, 8 nouveaux clubs sont nés en Gironde, d’autres ont disparu comme celui de St-Médard-de-Guizières, ce qui porte à 17 le nombre de clubs affiliés. Il faut noter que l’extension se fait non seulement dans Bordeaux et ses plus proches communes (notamment Caudéran, aujourd’hui absorbée par Bordeaux et qui rassemble presque tous les terrains), mais aussi vers les stations balnéaires (Arcachon a un deuxième club et Soulac, à la pointe nord du Médoc) et en zone rurale avec la commune de Beautiran qui a pourtant moins de 1 000 habitants en 1929. Parallèlement les clubs voient leurs effectifs grossir. Primrose atteint 740 joueurs, ce qui le situe au 4ème rang en France, derrière le Racing Club (2 400), le St-Cloud Country Club (2 000) et le Stade Français (749). La section sportive de l’Association des Étudiants de Bordeaux rassemble 238 joueurs, le Stade Bordelais Université Club en recense 180 et a installé 7 terrains à Caudéran tout près de la Villa Primrose et le Star Tennis Club a 150 membres, pour ne citer que les plus gros. Avec un total de près de 1 800 joueurs inscrits, la Gironde arrive au second rang derrière le gros département de la Seine de l’époque. Côté équipements, elle se trouve moins bien équipée que le Rhône ou le Nord par exemple et surtout les zones balnéaires de la Côte d’Azur, de Normandie et de Bretagne235.
12En 1936, 20 clubs sont répertoriés en Gironde. La nouveauté vient de l’apparition du tennis dans 3 clubs d’entreprise : l’Association Sportive du Port de Bordeaux, l’Association Sportive des Postes et Télécommunications et l’Association Sportive de Préparation Olympique du Midi (association des cheminots), qui offrent le tennis dans leurs activités. Les grands clubs de Bordeaux subsistent : la SAVP, le SBUC, le Sport Athlétique Bordelais, l’Association des Étudiants de Bordeaux, le Star Tennis Club, la Vie au Grand Air et le Tennis Club de Gascogne ainsi qu’à l’extérieur, les clubs de Coutras, Rions et Soulac. Un club s’est créé à Lormont et un autre à Pessac. Sur le Bassin d’Arcachon outre les 2 clubs d’Arcachon, Arès sur le Nord Bassin s’est aussi doté d’un club236.
Fig.13 • UNE DIFFUSION URBAINE ET BALNÉAIRE DU TENNIS EN GIRONDE 1913-1970

Sources : Union des Sociétés Françaises de Sports Athlétiques. Code Lawn-Tennis. Annuaire 1913
Fédération Française de Lawn-Tennis. Code officiel. Annuaire 1929.
Ligue de Guyenne de Tennis
Cartographie : F. ROLLAN
13Le tennis est aussi pratiqué dans les meilleures écoles de l’enseignement libre. Ainsi toujours en 1937 en Gironde, sept écoles affiliées à l’UGSEL237, annoncent le tennis dans leurs activités sportives. Ces écoles qui sont encore en 1994 parmi les plus réputées du département, ont été à l’avant-garde de l’introduction du sport en général et du tennis en particulier, dans le système éducatif de la bonne société girondine. Ce sont : l’école St-Elme à Arcachon, le collège St-Jean-Baptiste à Bazas, le collège de Tivoli et l’école Ste-Marie (Grand-Lebrun) à Bordeaux-Caudéran, l’école St-Genès et l’école St-Seurin à Bordeaux, et l’Institution Montesquieu à Libourne238. Le tennis y était considéré comme un sport parmi les huit ou neuf autres possibles et des terrains existaient sur place.
14Par ailleurs la pratique du tennis existe toujours dans les patronages. En 1937 en Gironde, 30 patronages sur les 66 affiliés à la FGSPF proposent le tennis à leurs membres239, ce qui est considérable par rapport à la plupart des autres départements. Mais leurs joueurs ne participent toujours qu’aux championnats internes et inter-patronages. Cependant ils sont le signe d’un développement bien que timide (peu de pratiquants), du tennis dans la classe ouvrière.
Une réelle dispersion dans l’espace girondin après la Seconde Guerre mondiale
15Après la Seconde Guerre mondiale, la reprise est immédiate, et en 1947 une quarantaine de clubs sont dénombrés en Gironde, dont 5 sur le Bassin d’Arcachon, 19 sur Bordeaux et l’agglomération, et parmi eux, 5 clubs corporatifs et un patronage (les Coqs Rouges). Les autres sont dispersés dans le département. Ce sont : Blaye, St-Christoly-de-Blaye, Libourne, Lapouyade, Langoiran, Barsac, Berson, Podensac, Pugnac, Rions, Ste-Foy-la-Grande, Le Barp, Lesparre, Hourtin et Soulac240.
16Durant les dix années qui suivent, le développement du tennis continue sa diffusion dans l’espace et toutes les petites villes hors agglomération bordelaise de plus de 3 000 habitants, sauf Gujan-Mestras et Pauillac, sont équipées de clubs. On dénombre 22 clubs de tennis sur l’agglomération bordelaise, dont 9 clubs d’entreprise et 2 patronages241. Jusqu’à la fin des années soixante, comme ailleurs en France, le nombre de clubs stagne, plus qu’il n’augmente. La nouvelle décennie voit un renouveau du tennis d'abord par une augmentation à la fois des effectifs et des terrains. Ainsi entre 1955 et 1970 les effectifs triplent en Gironde : de moins de 2 000 licenciés, ils passent à plus de 5 500. Le nombre de communes équipées en terrains passe d’à peine 40 à près de 90, durant la même période. Ensuite le nombre de clubs qui avaient chuté durant cette période, comme partout en France, augmente après 1968 pour atteindre 191 en 1977 et place la Gironde au premier rang en nombre d’associations de tennis.
2• UNE GÉNÉRALISATION DE LA PRATIQUE DU TENNIS EN GIRONDE 1978-1989
17En dépit d’une forte tradition tennistique bordelaise, trois courts sur quatre disponibles en 1986 dans l’agglomération bordelaise ont été construits après 1970. Seulement 23 courts sur les 572 répertoriés en 1986, étaient construits en 1950, 112 l’ont été entre 1950 et 1970, contre 199 entre 1971 et 1978 et 238 après 1978. La généralisation de la pratique du tennis est donc récente242.
18La figure 14 pour 1978, laisse apparaître trois pôles principaux de développement du tennis : l’agglomération bordelaise, le bassin d’Arcachon et les communes côtières du Médoc, et le Libournais-Cubzacais. Au-delà il est clair que ce sont les petites villes ou les gros bourgs qui bénéficient du plus grand nombre de licenciés.
19Cinq ans après, le développement s’est poursuivi dans les mêmes directions ainsi que dans la vallée de la Garonne, avec la création de quelques clubs. Mais ce qui frappe le plus, en 1983, c’est le renforcement des pôles existants que ce soit dans l’agglomération, sur le bassin d’Arcachon, le Médoc, Blaye, Libourne ou la vallée de la Garonne.
20L’année 1986 voit une diffusion de la pratique du tennis dans l’intérieur du département. Tout se passe comme s’il y avait une contamination des communes voisines par les communes équipées. Il faut aussi noter que très souvent un décalage se produit entre la construction du terrain et l’association qui n’est créée que bien plus tard. De balnéaire et urbain le phénomène tennis devient aussi un phénomène rural. C’est la nouveauté des dernières années : le tennis est devenu un sport spatialement banalisé.
21Pour 1990, si les communes du département de la Gironde sont classées par taille de population, il apparaît une relation entre le nombre d’habitants et la présence d’une structure organisée pour la pratique du tennis. Ainsi toutes les communes de 1 800 habitants et plus (sauf une sur un total de 109) ont au moins un court et 3 seulement n’ont pas de club de tennis en 1989, 73,8 % de celles qui ont entre 1 000 et 1 799 ont un terrain et 63,1 % un club (soit 62 sur 84). Les 2/3 des communes qui ont entre 600 et 999 habitants sont équipées, mais seulement 35,7 % ont un club (30 sur 84). Ces taux diminuent fortement pour les communes encore moins peuplées. Ainsi entre 300 et 599 habitants (113 communes), le taux d’équipement en court est de 35,4 % et de 11,5 % pour les clubs. Dans les 152 communes de moins de 300 habitants, 6 clubs sont recensés et 23 seulement ont un terrain.
22La répartition spatiale laisse apparaître de graves inégalités. La partie centrale autour de Bordeaux, tout l’ouest du département (bassin d’Arcachon et communes côtières), ainsi que l’axe St-André-de-Cubzac-Libourne-Coutras-St-Seurin-sur-l’Isle, sont bien équipés en terrains et en clubs. Les communes du Médoc, du nord-est (Cubzacais-Blayais), de l’est (Entre-deux-Mers, secteurs de Castillon-la-Bataille et de Ste-Foy-la-Grande) et du sud du département (Langonais, Bazadais, Réolais) sont encore peu équipées. Encore faut-il préciser que bien souvent il s’agit de très petites communes.
3• UNE PRATIQUE LIÉE À LA DYNAMIQUE URBAINE
23Comment replacer le développement actuel du tennis dans la métropolisation du département de la Gironde ? Cette métropolisation reproduit l’opposition classique centre-périphérie avec ici la domination d’un centre qui intègre et parfois exploite, parfois annexe sa périphérie. Parfois, aussi la périphérie est délaissée quand il s’agit d’angles morts du département243.
24Sur la figure 15 qui présente l’état de la métropolisation du département de la Gironde244, ont été reportés les licenciés par club, ainsi que les communes qui possèdent un terrain de tennis mais pas encore de club. La dynamique associative en matière de tennis semble, ici encore, suivre la dynamique urbaine. Six types d’espace ont pu être déterminés en fonction de données sur la population totale et son évolution entre 1975 et 1990, sur les migrations quotidiennes de travail depuis 1975, sur les emplois offerts, sur les superficies récemment affectées aux activités économiques autres que l’habitation. La tendance du département de la Gironde étant à la métropolisation totale du département, c’est-à-dire à une densification des activités autour de la métropole bordelaise. Au-delà, la poussée est particulièrement nette entre les deux pôles annexes que sont Libourne et La Teste. C’est justement sur l’axe bassin d’Arcachon-Bordeaux-Libourne-St-Seurin-sur-l’Isle que sont localisés la plupart des plus grands clubs de tennis de la Gironde (ceux qui ont plus de 200 licenciés).
Fig.14 • UNE GÉNÉRALISATION DE LA PRATIQUE DU TENNIS EN GIRONDE 1978-1989

Sources : Ligue de Guyenne de Tennis
Inventaire communal 1979 et 1988
Cartographie : F. ROLLAN
Une métropolisation totale du département de la Gironde
25Dans l’étude sur la métropolisation, citée plus haut, les six espaces définis sont :
- L’espace de commandement qui regroupe outre les communes du cœur de l’agglomération, La Teste et Libourne, offre plus des 2/3 des emplois du département et a bénéficié de la majorité des surfaces construites pour les activités économiques et socioculturelles dans le département entre 1978 et 1986. Il s’agit d’un hypercentre dominant, dont une certaine hypertrophie empêche de nouveaux développements, qui ne peuvent plus être réalisés que dans sa périphérie. Il pourrait être qualifié d’« achevé ». Sa population n’augmente que faiblement. Ces communes sont équipées en courts depuis longtemps et une vie associative sportive en général et tennistique en particulier y est développée anciennement. Les plus grands clubs de tennis et les plus beaux équipements du département y sont localisés.
- L’espace des entreprises nationales et internationales est précisément cette périphérie intégrée et exploitée par le centre245. Il entoure la zone précédente et fait la jonction entre les deux pôles satellites de la métropole (La Teste et Libourne), accueille les grandes entreprises industrielles ou les autres activités grosses consommatrices d’espace ; sa population a augmenté le plus fortement entre 1975 et 1990 (+ 31 %). L’équipement en terrains de tennis est presque complet. Sur les 110 communes de cette zone, 4 n’avaient pas de terrain en 1988 ; en 1994 il n’en reste qu’une seule, et 7 seulement n’ont pas de club. La vie associative y est parfaitement développée. Le fossé entre le centre et la périphérie tend à se combler.
- L’espace de production agricole et industrielle pour la métropole est un espace intermédiaire dans l’espace métropolisé, il correspond à une périphérie intégrée et annexée246. Il est composé de communes qui n’offrent pas suffisamment d’emplois à leurs résidents actifs (30 à 80 % des actifs doivent aller travailler dans une autre commune). De 1978 à 1986, il a bénéficié de constructions agricoles (viticoles ou maraîchères), de constructions industrielles de petite taille (400 à 1 000 m2), ainsi que de constructions pour les activités socioculturelles. Il s’agit là d’une auréole périphérique intégrée qui essaie de valoriser les capitaux sur place afin de se développer247. Composé de communes actives, de taille moyenne, qui essaient d’attirer de petites entreprises industrielles, de moderniser leur agriculture et de procurer aux populations en place une certaine qualité de vie, avec tous les équipements nécessaires, sa population a augmenté fortement entre 1975 et 1990 (+23,8 %). Sur les 99 communes, 21 seulement sont sans court en 1994 contre 29 en 1988. Le nombre de clubs est encore assez élevé dans ce groupe : 55 en 1994 (52 en 1989). En dépit de la crise, l’équipement de ces communes se poursuit.
- L’espace de production locale est un espace en mutation qui est plus orienté vers la production locale que vers la distribution à la métropole plus lointaine. Il bénéficie d’une relative autonomie vis-à-vis du centre, mais qui est provisoire, car il est amené à en devenir une annexe. Plus les communes sont proches des axes de communication, plus leur mutation est rapide grâce à l’afflux de résidents actifs. Si sa population s’accroît (+13 % entre 1975 et 1990), les emplois offerts ne suivent pas. Les nouveaux arrivants, venus de la ville, ont largement poussé pour la création de courts, ainsi sur les 105 communes, plus de 54 % sont équipées en 1994 (plus de 51 % déjà en 1988), mais la vie associative est pour le moment peu active puisque les équipements n’ont suscité la création que de 25 clubs.
- L’espace rural en survie qui est localisé sur les marges du département, est composé de petites communes (moins de 500 habitants), où les constructions sont essentiellement à usage agricole. C’est un espace agricole qui voudrait continuer à vivre avec une production agricole et artisanale de qualité et qui pour cela, essaie de garder tant bien que mal sa population en lui procurant des facilités de vie (témoins les constructions à autres usages). C’est presqu’un « isolat »248 qui voudrait vivre en « autarcie ». Ainsi un autre moyen est d’essayer de procurer quelques équipements comme les terrains de tennis : 18 construits, pour une pratique libre donc sans imposer la structure club. Malgré tout, les 3/4 des communes (68 sur 92) ne sont toujours pas équipées en 1994. Mais n’est-ce pas trop tard ? La pression métropolitaine, si elle n’est pas encore directement visible dans cet espace, transparaît pourtant par le biais d’une démographie positive bien que moins dynamique (+11,8 % entre 1975 et 1990) que les groupes précédents.
- L’espace du rural profond est un espace en perdition, un « angle mort »249 où la population diminue où les communes ont toutes moins de 300 habitants, l’activité est essentiellement agricole et les transformations de l’espace sont très faibles voire inexistantes. Ces communes ont perdu des résidents actifs, c’est dire que les équipements ne peuvent suivre que difficilement : 86 % des communes (101 sur 117) n’ont pas d’équipement de tennis. Ceci se traduit par le déclin de la vie associative : il y avait encore 4 clubs de tennis en 1989, il n’en reste aucun en 1994.
Fig.15 • LES CLUBS DE TENNIS ET L’URBANISATION EN GIRONDE EN 1994

Sources : F. ROLLAN. La zone d’influence métropolisée de Bordeaux. 1992.
Ligue de Guyenne de Tennis.
Cartographie : F. ROLLAN
Une géographie sociale particulière
26Dominé par une métropole omniprésente et par un système social urbain, le département de la Gironde présente un profil social global qui se trouve être sensiblement différent du profil social national car « la domination par une ville est aussi un effet de sa domination sociale250.» La métropolisation laisse peu de place à l’agriculture. En effet la Gironde présente un taux d’agriculteurs exploitants extrêmement faible : 1,4 %, alors que la moyenne nationale est de 2,7 %. De même, la proportion d’ouvriers y est inférieure : 12,6 % contre 14,3 % en moyenne en France. Par contre le nombre de cadres, professions intellectuelles supérieures (4,8 %), celui de professions intermédiaires (8,7 %) et celui d’employés (13,1 %) sont très au-dessus de la moyenne nationale (respectivement 3,5 %, 7,3 % et 11,5 %). La métropolisation totale251 et l’emprise de l’aristocratie du vignoble sur la capitale et sa région sont responsables de cette géographie sociale. En effet l’aristocratie qui a bloqué l’installation de la grande industrie, après la liquidation du port et de ses entreprises métallurgiques, agro-alimentaires et ses cimenteries, n’a laissé passer que « les industries propres » employant peu d’ouvriers (exceptée l’usine Ford) mais beaucoup de techniciens. Tout a concouru à faire de la Gironde un département à vocation technicienne et commerciale et à mode de vie essentiellement urbain. La Gironde a une campagne sans paysans et une ville sans usines.
27Compte tenu de ce qui a été démontré au chapitre précédent, ces chiffres placent la Gironde au rang de département très favorable à la pratique du tennis. L’étude détaillée du recrutement des principaux clubs du département devrait permettre de vérifier si la carte de l’espace du tennis suit encore une fois celle des espaces économiques.
Notes de bas de page
215 Weber E. Préface de l’ouvrage dirigé par P. Arnaud, Les athlètes de la République. 1987, p. 12.
216 Le jeu de paume encore en activité à Bordeaux au xixe siècle est celui de la rue Rolland. Construit en 1788 il a été transféré en 1978 à Mérignac. Avant que le tennis ne devienne à la mode, le jeu de paume avait connu un renouveau en France, (Cf. note 93, première partie, chapitre 2).
217 En bordure du plateau de l’Entre-deux-Mers, les grandes familles bordelaises possédaient des « châteaux », leurs résidences secondaires.
218 La Villa Primrose n’a pas échappé à la règle et a organisé des cours de préparation militaire. (Statuts, Archives Départementales de la Gironde). Cette situation dure jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Ainsi en 1924, le Star Tennis Club perd l’agrément du ministère de la Guerre, car il ne propose pas de cours de préparation militaire.
219 St-Martin M. (de). 1989, p. 28-29.
220 Cf. Partie I, chapitre 2, paragraphe 2.
221 Ainsi dès 1906 le Stade Bordelais Université Club s’est vu confier l’organisation de la coupe offerte par M. A. Tunmer, prix annuel handicap, qui a vu s’affronter pour sa première édition 22 joueurs. Presse locale, Juin 1906, Archives de M. Daniel Lawton.
222 Union des Sociétés Françaises de Sports Athlétiques. Code du Lawn-Tennis. Annuaire 1912.
223 Union des Sociétés Françaises de Sports Athlétiques. Manuel d’exercices physiques. Annuaire 1913. p. 530-533.
224 Union des Sociétés Françaises de Sports Athlétiques. Code du Lawn-Tennis. Annuaire 1913.
225 Comme cela a été précisé au chapitre IV de la première partie, les sources utilisées sont les annuaires de l’USFSA. Mais bien qu’incomplètes, elles permettent une bonne approximation de la progression du tennis.
226 La VGAM est avant la Première Guerre mondiale, affiliée au Comité Français Interfédéral (CFI) qui s’oppose à l’USFSA du baron de Coubertin sur des problèmes d’éthique sportive. Le CFI d’autre part, est opposé à la pratique du rugby et lui préfère le football.
227 Revue Théatre et Sports, no 15, mars 1910, p. 23.
228 Ibid., p. 21-22.
229 Union des Sociétés Françaises de Sports Athlétiques. Annuaire 1920.
230 La Fédération Gymnastique et Sportive des Patronages de France (FGSPF), créée en 1898 a pour but de développer par l’emploi rationnel de la gymnastique et des sports, les forces physiques et morales de notre jeunesse ouvrière. Les patronages sont la plus belle et la plus grande des Œuvres d’Éducation populaire des temps modernes. FGSPF. Annuaire 1937. p. 13-15.
231 FGSPF. Op. cit., p. 19
À la veille de la Première Guerre mondiale, le sport français est largement organisé à partir du modèle formé par les relations et oppositions entre les 3 grandes unions ou fédérations omnisports dominantes : la FGSPF, d’obédience catholique a 180 000 membres environ, l’Union des Sociétés de Gymnastique de France (USGF), laïque et républicaine compte 350 000 membres et l’Union des Sociétés Françaises de Sports Athlétiques (USFSA), représentant le « courant anglais », rassemble 270 000 membres. La Fédération Sportive Athlétique Socialiste, proche du parti socialiste d’avant-guerre n’a encore qu’une influence négligeable (13 000 membres en 1914). Clément J.-P. 1994, p. 64.
232 L’Étoile d’Arlac Sport, Bulletin du Patronage « Arlac-Sport », St-Victor, Bordeaux, no 80, 11 juillet 1920, p. 487.
233 L’Étoile d’Arlac Sport, Bulletin du Patronage « Arlac-Sport », St-Victor, Bordeaux, no 115, 17 juin 1923, p. 102-103.
234 Fédération Française de Lawn-Tennis. Annuaire 1925.
235 Fédération Française de Lawn-Tennis. Annuaire 1929. Vol. 2.
236 Guide du Tennis. 1934.
237 L’UGSEL fut, au moins jusqu’à la Libération, confidentielle et réservée aux seuls lycéens des institutions confessionnelles fréquentées par la haute bourgeoisie. Leblanc M. 1992, p. 36.
238 FGSPF. Op. cit., p. 756-757.
239 FGSPF. Ibid., p. 709-716.
240 Tennis Almanach. 1947.
241 Annuaire « Smash ». Almanach. 1956.
242 Rollan F. 1995. Cf. cartes sur le tennis et sur les équipements sportifs. Atlas Social des Bordelais.
243 Reynaud A. 1981.
244 Rollan F. 1992.
245 Reynaud A. 1981, p. 62-63.
246 Reynaud A. 1981, ibid.
247 Reynaud A. 1981, p. 60-64.
248 Reynaud A. 1981, op. cit., p. 26-27 et p. 84-86.
249 Reynaud A. 1981, op. cit., p. 87-89.
250 Auriac F. 1986. p. 75.
251 Rollan F. 1992, op. cit.
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