Introduction
De la France à la Gironde
p. 9-24
Texte intégral
Le sport, les gymnastiques, les jeux ne se développent pas isolément, et leur histoire ne peut s’envisager comme indépendante, même si elle témoigne de leur spécificité.
Bertrand DURING. Des jeux aux sports. 1984, p. 48.
1D’une sorte de « manifestation de la vie élégante1 » à « un système institutionnalisé de pratiques compétitives, à dominante physique, délimitées, codifiées, réglées conventionnellement2 », le sport est passé en un siècle d’une activité, représentative du snobisme « de quelques jeunes gens bien nés à l’anglomanie manifeste3 » qui rimait avec hippisme4 à un phénomène populaire qui rime avec forme – santé, beauté, dynamisme, décontraction – et performance. Si en 1950, la France comptait 2 millions de licenciés sportifs, en 1990 ils sont 13 millions auxquels il faut ajouter plus d’une dizaine de millions de Français qui font du sport hors associations. Pourtant il ne faut pas s’y tromper, « l’ampleur du phénomène ne procède pas d’une diffusion lente mais commença de prendre son essor vers la fin des années soixante pour s’accélérer durant les dix dernières années5. » Il a conquis la société toute entière en suscitant la généralisation des pratiques physiques et en s’imposant dans les représentations. « Le symbolisme sportif est devenu aujourd’hui une forme dominante du symbolisme social qui a remplacé le symbolisme militaire ou religieux6. » Il n’a pas seulement envahi les médias. Il a changé nos pratiques vestimentaires, comme nos pratiques alimentaires et notre emploi du temps. Le sport, dans son acception la plus large, est bien un phénomène de société : les enquêtes sont formelles, qui précisent que si le temps consacré aux activités sportives atteint presque une heure par semaine en 1985, il ne représentait que 20 minutes en 19757. Il appartient à la culture de ce dernier quart du xxe siècle.
LE TENNIS : DEUXIÈME SPORT EN FRANCE, APRÈS 120 ANS DE PRATIQUE
2Le tennis est, officiellement, le deuxième sport pratiqué en France. Avec 10 000 clubs en 1992 et 1 317 000 licenciés, il arrive juste derrière le football (1 897 000 licenciés), mais loin devant le ski (625 000 licenciés), le basket (432 000), le judo (419 000) et l’équitation (250 000 licenciés)8. Pourtant de récentes enquêtes annoncent qu’il y aurait plus de 4 millions de pratiquants en 19929. C’est aussi le premier sport pratiqué par les femmes, puisqu’avec plus de 434 000 licenciées, il devance largement la gymnastique volontaire qui est féminisée à plus de 93 % et qui compte 311 000 pratiquantes. En outre, le tennis est le 3ème sport que les jeunes de 12 à 18 ans souhaiteraient pratiquer10. C’est dire sa place dans notre société. La France arrive au 2ème rang en Europe pour la pratique de ce sport derrière l’Allemagne qui avait 1 700 000 licenciés en 1990. La même année des pays de même taille que la France, comme l’Italie et l’Angleterre, n’avaient respectivement que 258 000 et 251 000 licenciés dans les clubs11.
3Mais l’originalité du tennis par rapport aux autres sports, c’est son développement explosif à partir de 1975. En 10 ans les effectifs ont été multipliés par 5. Aucun sport n’a connu un tel développement. Si une poignée de pratiquants se regroupaient dans 158 clubs affiliés à l’USFSA (Union des Sociétés Françaises de Sports Athlétiques) en 1913, ils sont 34 000 dans 470 clubs en 1929, 55 000 dans 1 100 clubs en 1954, mais 167 000 inscrits dans 1 500 clubs en 1970. Le mouvement s’accélère alors, puisque 5 ans après, ils sont 280 000 pratiquants et en 1977, 435 000 répartis dans 3 400 associations. Les adeptes continuent d’affluer : en 1980, 4 800 clubs pour 790 000 licenciés sont enregistrés ; en 1983, 7 200 clubs se partagent les 1 175 000 licenciés. Cet engouement se prolonge jusqu’en 1986, (année de tous les records) où 1 390 000 licenciés sont recensés dans 9 300 associations. Aujourd’hui la croissance est arrêtée et une baisse des effectifs est observée, qui confirme la stabilisation de la pratique en club, alors que se développe la pratique hors association. Pourtant « ces clubs organisent plus de 7 000 tournois, totalisant 1 700 000 matchs. Ils permettent à plus de 300 000 jeunes de découvrir le jeu dans leurs écoles de tennis12.» C’est dans le cadre fédéral que la diffusion du tennis s’est essentiellement réalisée pendant 100 ans. Et c’est aussi dans ce cadre que se met en place le Plan FFT 2000, qui s’attache à « créer des centres d’initiation pour adultes aussi bien que des écoles de mini-tennis, ou encore à améliorer l’accueil des clubhouses13.»
4La Fédération Française de Tennis (FFT) est née en 1888. D’abord connue sous le nom de « Commission de Lawn-Tennis de l’USFSA », elle devint Fédération de Lawn-Tennis en 1920, puis Fédération Française de Tennis en 1976. Seuls les Britanniques ont conservé le terme de Lawn-Tennis, car ils jouent encore sur du vrai gazon, et qu’en anglais le mot « tennis » désigne « le jeu de paume », jeu français qui s’est développé chez nous au Moyen-Âge.
5Le Lawn-Tennis dérivé de la paume a été « inventé » et breveté par le Major Wingfield en 1874. C’est en 1875 qu’il a été officiellement importé en France, par les Anglais sur la plage de Dinard. Mais à cette époque, dans les propriétés du Bordelais on jouait déjà au tennis ou en tout cas à un jeu de raquettes qui y ressemblait beaucoup. Les règles du jeu ne furent d’ailleurs vraiment fixées qu’en 1880. Les premiers championnats de France masculins furent disputés en 1891 et le premier championnat de France féminin en 1897. Le rappel historique nous aide à retrouver le contexte du développement du tennis et à analyser l’évolution des pratiques. S’il est fortement imprégné des idées, des mentalités et du système d’habitudes d’un groupe social d’une époque14, le moins aristocratique des sports mondains, le moins confidentiel car il donnait lieu à des compétitions se déroulant devant le grand public15, a vu sa pratique s’élargir à d’autres groupes sociaux, contrairement au golf qui est apparu en même temps en France. Le fait que le tennis soit apparu sur un espace banalisé, en tout cas non spécifique, comme les plages, est une des raisons de sa diffusion rapide dans l’espace comme dans la société.
LE TENNIS : UN ANALYSEUR DE LA DYNAMIQUE DU SYSTÈME SPORTIF CONTEMPORAIN
6Dans le contexte d’accroissement, de diversification et de renouvellement accélérés de l’offre et de la demande sportives des vingt-cinq dernières années16, le tennis ne peut pas être étudié isolément, sans référence au champ de concurrences inter-sports et inter-loisirs17, et sans relation avec les consommations et modes de vie auxquels les activités physiques et sportives (APS) sont associées et qu’elles contribuent à façonner.
7Certaines de ses caractéristiques permettent d’avancer qu’il a préfiguré une grande partie des dimensions du changement sportif des années soixante-dix-quatre-vingt-dix, que son organisation fédérale permet en outre, de mesurer au mieux.
8Précédée d’un fléchissement des ventes d’articles de tennis dès 198518, conséquence différée et mécanique de la fin du baby-boom (1946-1973)19, la baisse du nombre des licenciés de la FFT enregistrée depuis 198720, conduit à s’interroger sur le cycle de développement des sports. Car celui de la FFT a été spectaculaire aussi bien au plan numérique qu’au plan de la mise en scène médiatique. Accélérée à partir de 1975, la croissance des effectifs fédéraux a atteint son apogée en 198621. Simultanément, la spectacularisation accentuée, entre autres, du tournoi de Roland Garros22, a rencontré « l’intensification de la pratique télévisuelle23 » des Français, avec des effets particulièrement sensibles sur les représentations sportives des jeunes24.
9De plus, dans la mesure où l’accroissement des effectifs de pratiquants est indissociable du développement organisationnel de la fédération (aussi bien dans le secteur de l’administration-gestion que dans le secteur technico-pédagogique) la tâche de recueil des données est, dans le cas du tennis, facilitée. Car l’utilisation précoce des techniques de management a placé la FFT parmi les fédérations « de pointe » du mouvement sportif25 ce qui garantit a priori la fiabilité des sources, dans un milieu où le gonflement artificiel des effectifs a longtemps fait partie des règles du jeu de l’obtention des subventions26.
10C’est donc avec un maximum de précision, comparativement à la majorité des APS, que peut être apprécié comment s’effectue le « captage » des pratiquants, en fin de période de croissance soutenue, c’est-à-dire quand la plupart des mécanismes de diffusion ont fonctionné et produit leurs effets, et ceci pour un sport dont le cadre associatif de pratique présente en outre l’avantage de rivaliser au mieux avec le secteur marchand.
11Par ailleurs, si le développement de la pratique du tennis « hors fédération » s’est réalisé, sauf pour les rares possesseurs individuels d’un court, dans le cadre d’organisations qu’il s’agisse d’associations (comités d’entreprise, syndicats de copropriétaires, centres de tourisme social et/ou de loisirs, foyers socio-éducatifs…) ou d’entreprises commerciales (organismes de vacances ou de location de terrains), en revanche, le cadre scolaire (primaire et secondaire) est très largement absent du processus général. La pénétration du tennis dans les associations sportives scolaires27 et plus encore dans les séances hebdomadaires d’éducation physique et sportive est encore très marginale. Aussi la formation des pratiquants les plus jeunes passe-t-elle essentiellement par les écoles de tennis des clubs affiliés à la FFT, ce qui facilite là encore les investigations28.
12Pour cet ensemble de raisons, l’étude du tennis ouvre des pistes supplémentaires de réflexion quant à l’évaluation des transformations de l’offre et de la demande sportives, au degré de démocratisation des APS et aux voies que celle-ci emprunte.
LE TENNIS : UN LARGE RÉSERVOIR DE PRATIQUANTS VIRTUELS
13Á un moment où le mouvement sportif, bousculé par le secteur économique, s’interroge sur sa capacité à conserver son autonomie29 et son attraction, la FFT dispose de nombreux atouts.
14En effet, en raison des actions et communications motrices qu’il génère30 et des variantes ludiques, compétitives, hygiéniques qu’il autorise, le tennis répond potentiellement aux aspirations d’un large public, notamment en matière d’individualisation et de personnalisation des modalités et intensités de pratiques31, et de variété des modes de sociabilité. Car de l’échange de quelques balles au défi lancé pour « faire quelques jeux », de l’engagement aux tournois internes et/ou externes à la recherche acharnée de classement, de la participation aux championnats individuels à l’adhésion aux championnats par équipes, et ceci en simple et/ou double (hommes, dames, mixte), toutes les graduations et compositions sont possibles. Enfin, l’éventail de fréquentation est d’autant plus large que les conditions d’ouverture des clubs permettent aussi a priori une gestion individuelle du temps quotidien, hebdomadaire et annuel beaucoup plus souple que pour la plupart des autres APS.
15De plus, dans le contexte du retard historique de l’accès des femmes aux différents sports32 et de la division sexuelle des pratiques corporelles33, le tennis n’est pas spécialement affecté de connotations « masculines » susceptibles d’entraîner des rejets34.
16D’autre part, en raison des possibilités d’autorégulation d’intensité précédemment évoquées, ce jeu sportif est également accessible pendant une longue période du cycle de vie. N’étant pas réservé à un groupe d’âge précis, le tennis, dans le registre des modes de sociabilité qu’il propose, peut être une pratique familiale35.
17Si l’on ajoute que la réussite n’y est pas liée à un standard morphologique, et qu’elle peut déboucher sur l’exercice d’un métier (joueur professionnel, moniteur, professeur), les atouts de ce sport, comparativement aux autres en matière de réservoir de pratiquants, sont nombreux. Allégé d’un certain nombre de déterminants liés à l’âge, à la morphologie, aux représentations sexuelles, aux conditions d’apprentissage et aux conditions horaires d’ouverture du club, le tennis, plus que beaucoup d’autres APS, offre une lecture relativement claire des résultats du tri social à l’œuvre dans le système sportif.
LE TENNIS : UNE DÉMOCRATISATION LIMITÉE
18C’est dans le contexte général de la division sexuelle et de la stratification sociale des loisirs, résultant du jeu des combinaisons du capital économique et du capital culturel36 et de son corollaire, l’usage du temps libre, ainsi que de la sélectivité sexuelle et sociale du monde associatif37 qu’il convient d’analyser les affinités entre certains sports et certains groupes sociaux.
19Peut-on pour autant déduire « l’espace des sports38 » par simple décalque de l’espace social ? Des marges d’indétermination39 existent, à partir desquelles la démocratisation des APS peut s’engager. Souvent confondue avec le développement quantitatif, celle-ci – entendue comme réduction des inégalités d’accès – reste, dans le cas du tennis, limitée, puisque la contagion tennistique ne s’est que faiblement propagée au-delà des classes moyennes40.
20Apparemment ouvert, si l’on ne considère que ses propriétés techniques et sa « logique interne41 », le tennis, en raison des significations et symboles dont il est porteur42, participe au processus global de filtrage, de classement social par le sport. Aristocratique puis bourgeois à son origine, le tennis occupe toujours une position élevée sur l’échelle de « prestige social » des sports43. Il est donc l’enjeu de stratégies de statut social et de re-création permanente des différences, notamment par l’intermédiaire des conditions et des lieux de sa pratique44 : son recrutement privilégié s’effectue dans les catégories aisées et cultivées comme le confirme l’étude de la transcription spatiale de sa diffusion45.
21L’espace, particulièrement en milieu urbain, est un multiplicateur d’inégalités46 : ségrégations spatiale et sociale se superposent, comme en témoigne la distribution des équipements et des associations dans les quartiers à tendances sociales bourgeoises ou populaires.
22Mais si cette localisation est dépendante de la composition sociale des quartiers et des modes d’appropriation de l’espace par les différents milieux sociaux, elle est également la traduction des politiques publiques d’aménagement et d’animation47.
23Dans un environnement où les concurrences intercommunales et entre la ville-centre et les communes périphériques sont vives48, les propriétés de signalisation du sport en font un marqueur d’identité locale : l’affichage d’équipements (et/ou de résultats) sportifs, éléments du cadre de vie et preuves du dynamisme municipal, a pour fonction latente d’attirer et/ou de retenir certaines couches de population.
24Le sport est également le support de politiques volontaristes de démocratisation, de prévention de la délinquance et d’insertion des jeunes49, dont les chances de succès reposent sur la mise en œuvre de stratégies éducatives et d’animation appropriées aux logiques des groupes sociaux concernés50, l’offre d’équipement ne suffisant pas à résoudre magiquement les problèmes d’intégration.
25Largement utilisé par les politiques de valorisation de l’espace, le tennis peut également être, moins spontanément que d’autres APS en raison de son image élitiste, le vecteur de politiques correctrices d’inégalités dont la municipalisation est une des expressions51 et dont les jeunes sont les principaux destinataires. L’identification de l’origine sociale des plus jeunes pratiquants permet donc d’apprécier l’impact des politiques dites de démocratisation.
APS ET SOCIÉTÉ : LE CADRE D’ANALYSE ET D’INTERPRÉTATION
26Les transformations à l’œuvre dans le champ des activités physiques et sportives (APS) ne peuvent être appréciées sans référence aux dynamiques sociales et institutionnelles plus générales52.
27En effet, la connaissance des caractéristiques des pratiquants (actuels et potentiels), et des lieux de pratique, passe par l’analyse la plus précise possible du jeu des variables qui influent sur les comportements et modes de vie des individus et des groupes (figure 1).
28L’identification, au sein de la société globale (1), des populations sportives requiert donc la prise en compte des périodes du cycle de vie, des positions dans la stratification sociale et culturelle, des rapports sociaux de sexe, des modes de sociabilité, des consommations, des cadres de vie, de la répartition « temps contraint/temps libre », et enfin des valeurs, représentations et sensibilités dominantes selon les différents groupes sociaux et selon les époques.
29Le croisement de ces variables met en évidence la diversité des compositions possibles, et la particularisation des pratiques (réelles ou potentielles). Il permet aussi le repérage de statuts sportifs différenciés (débutants, pratiquants, compétiteurs, adhérents, clients, dirigeants, spectateurs), la spécification de la nature des demandes (initiation, éducation, animation, entraînement, formation, spectacles, sociabilité), et enfin l’évaluation des causes de non-pratique.
30Avec dans le temps et/ou l’espace des décalages (par anticipation ou rattrapage), les institutions transforment leurs structures et leurs logiques d’action (2). Aussi convient-il d’intégrer aux interprétations les atouts, faiblesses ou carences d’au moins quatre sous-systèmes. Ainsi, il est nécessaire d’examiner l’offre sportive du système éducatif (notamment dans le cadre de l’éducation physique obligatoire), la redistribution des pouvoirs liée à la décentralisation au sein du système politico-administratif (en particulier la combinaison des politiques sportives du Ministère de la Jeunesse et des Sports et de celles des collectivités territoriales), l’emprise du système économique sur le renouvellement des pratiques et sur la définition des goûts sportifs, et enfin les fonctions latentes du système associatif (tri social et participation sociale) ainsi que sa professionnalisation accélérée.
31La différenciation des organisations susceptibles de proposer des services sportifs53 – qu’il s’agisse du secteur public (Etat et collectivités territoriales), du secteur associatif (clubs et fédérations) ou du secteur marchand (entreprises et commerces de sports-loisirs) – témoigne de l’éclatement des pratiques, des cultures et styles de vie spécifiques des adeptes de telle ou telle activité corporelle, des goûts des spectateurs et téléspectateurs. Par ailleurs, face à cette segmentation du marché du sport, la multiplication des partenariats entre les différents acteurs institutionnels ajoute de la complexité à l’ensemble.
32Enfin, l’influence croissante (par amplification ou occultation) du système informationnel – plus particulièrement la télévision – sur la vie quotidienne des individus, groupes et organisations, ne peut être négligée (3).
33C’est en intercalant, dans cette grille de lecture, le système des APS organisées (4), lui-même concurrencé en périphérie par les pratiques dites « libres » parce qu’elles naissent et se vivent hors structures (5), que l’on se donne le plus de chances d’apprécier au plus près le changement sportif. Celui-ci s’est traduit depuis 1970 par la massification des pratiques sportives mais la réalité de la démocratisation de chacune d’entre elles mérite d’être vérifiée.
34APS produisent des systèmes de relations et des équipements spécifiques qu’une approche macrosociologique peut restituer. Pratiques corporelles engageant la totalité de l’individu dans des apprentissages moteurs, dans l’acquisition et la création de techniques utilisables ou non en compétition54, elles mettent également en jeu sur le terrain et au quotidien des modes d’intervention précis, qui définissent à leur tour des stratégies variées d’action sportive, dont seul l’échelon local peut rendre compte.
Fig. 1 • LES ACTIVITÉS PHYSIQUES ET SPORTIVES ET LA SOCIÉTÉ

*APS : Activités Physiques et Sportives
Graphique : M. RENEAUD
LE CLUB : UNE APPROCHE STATISTIQUE, CARTOGRAPHIQUE ET ICONOGRAPHIQUE
35Au-delà du parti pris initial de relier en permanence le tennis et le système social (un graphique) et de toujours le replacer dans le sous-système des sports, afin de pouvoir comparer son évolution à celle d’autres pratiques sportives (2 graphiques), cette démarche a imposé de faire appel à l’histoire et à l’espace géographique (à différentes échelles) pour observer la genèse de ce sport, car « les pratiques sociales sont toujours associées à des territoires55.»
36Une quantification et une cartographie diachronique du phénomène tennis en France, en partant de son ancêtre, le jeu de paume, pour le suivre depuis le dernier quart du xixe siècle et tout au long du xxe siècle, ont d’abord été tentées. Cette approche quantitative est toujours accompagnée d’une approche qualitative qui permet à tout moment de voir qui sont les pratiquants. La recherche intègre notamment des supports iconographiques. Ainsi les photographies et les cartes postales anciennes témoignent des pratiquants et de leurs groupes sociaux d’appartenance, des modes de pratiques et de leur environnement. L’étude de ces supports par les costumes qu’ils reproduisent, la présence de femmes, d’enfants, de spectateurs, les lieux de pratiques et l’évolution de leur aménagement, qu’ils montrent permet de dépasser l’analyse quantitative pure.
37L’unité statistique de base choisie est le club et sa relation à l’espace social de son lieu d’implantation, quelle que soit l’échelle considérée (nationale ou locale). C’est lui qui constitue le fil conducteur méthodologique. Les clubs, sont d’abord comptabilisés à l’échelon national, par département, puis à l’échelon départemental, par commune, sur une période longue (80 ans)56. Il est tenu compte également des équipements, chaque fois que les données existent. Il en est de même pour les pratiquants, lorsqu’elles sont fiables, ce qui est surtout le cas pour la période récente. L’ensemble, grâce à une étude statistique fine, donne lieu à une cartographie précise (23 cartes). L’analyse multivariée englobant à la fois les associations, les licenciés, les équipements, ces 3 variables vues aussi dans leur évolution, et les catégories socioprofessionnelles aboutit à une carte de la typologie socio-spatiale de la pratique du tennis en 1992 en France (une carte).
38Deux enquêtes sur la Gironde permettent d’approcher les mécanismes de la diffusion récente du tennis. La première utilise les données des licences sportives des 47 clubs de plus de 200 licenciés de ce département. Le recrutement de ces clubs en fonction de l’espace social du quartier d’origine de leurs membres est examiné à l’aide d’une cartographie détaillée du phénomène, club par club. Leur localisation fait ressortir 6 types d’espaces qui donnent lieu à l’établissement de 6 cartes. L’étude de leur structure (répartition hommes/femmes, jeunes/adultes, classés/non-classés) conduit à une représentation spatiale en 2 cartes (37 clubs de l’agglomération bordelaise et 10 clubs hors agglomération). Ces données permettent également d’approcher les stratégies associatives, qu’elles soient orientées vers la compétition (2 graphiques) ou vers la pratique familiale. La deuxième enquête, a été menée auprès des enfants des écoles de tennis de ces 47 clubs. Même si, seulement une partie des enfants de 26 clubs ont répondu, elle est très précise quant à l’origine des jeunes pratiquants et permet donc de figurer le profil social des écoles (4 graphiques) et de voir la part de l’héritage familial dans le choix du tennis (un graphique). La comparaison avec d’autres enquêtes est systématiquement utilisée afin de relativiser ou de confirmer tel ou tel trait observé en Gironde.
DE LA FRANCE À LA GIRONDE ET DU CLUB AU PRATIQUANT : UNE APPROCHE SOCIO-GÉOGRAPHIQUE ET SPORTIVE
39La recherche est consacrée, pour des raisons historiques, au territoire métropolitain. La première partie tente de faire le point sur la pénétration du tennis en France, tant dans l’espace que dans la société et ceci à travers l’histoire de son développement. Elle permet de voir comment à l’échelon national, l’on passe d’un jeu aristocratique à une pratique banalisée. S’inspirant fortement de la paume, le tennis se devait de plaire aux Français qui, durant tout le Moyen-Âge et l’Époque Moderne, s’étaient passionnés pour ce jeu (chapitres I et II). Comme les autres sports à la fin du xixe siècle, le tennis ne pouvait toucher que les classes aisées de la société, qui avaient du temps et chez qui les sports anglais et le système d’éducation anglo-saxonne faisaient fureur (chapitre III). Pourtant dès avant la Première Guerre mondiale, le tennis, même s’il est toujours pratiqué par la bonne société, commence à se montrer en public et pas seulement sur les plages l’été. Il devient un sport, avec l’organisation de championnats tout au long de l’année. Il se diffuse un peu partout en France. Si certaines régions sont plus favorables que d’autres à son épanouissement, brusquement à partir des années soixante-quinze, il fait un grand bond en avant, se généralise partout, pour arriver à une certaine stabilisation en cette fin de siècle (chapitre IV).
40La typologie socio-spatiale de la pratique du tennis permet justement de voir les lieux privilégiés de son développement, en fonction de la forte présence de certains groupes sociaux (chapitre V).
41La deuxième partie est consacrée à l’évolution de sa diffusion dans le département de la Gironde, un des pionniers en la matière et toujours bien placé dans la hiérarchie, si l’on met à part la région parisienne. L’approche s’est voulue plus fine et c’est un zoom qui est proposé. La méthode historique appliquée au département précise comment se fait la pénétration dans un espace réduit, commune par commune. Elle montre comment d’une pratique urbaine et balnéaire et essentiellement bordelaise, on est passé à une pratique girondine, qui même si ruralisation il y a, est très liée à la métropolisation du département et à son développement socio-économique (chapitre I). L’étude des principaux clubs de la Gironde (47 clubs de plus de 200 licenciés, dont 37 appartenant à l’agglomération bordelaise), démontre que dans le détail, le recrutement socio-spatial n’est que relativement diversifié, les secteurs à tendance populaire étant toujours peu touchés par la pratique du tennis (chapitre II). Les stratégies des associations sont, elles, indépendantes du recrutement socio-spatial. La recherche de la performance et la pratique en famille apparaissent comme deux éléments de la cohésion du club. L’élargissement de son public par l’intégration des jeunes et des femmes, et la nécessité de faire coexister tennis-loisir et tennis-compétition imposent un renouvellement des modes d’intervention, d’autant plus que l’attachement au club tend à s’estomper (chapitre III). L’enquête auprès des jeunes de moins de 15 ans montre que la sélectivité sociale persiste en dépit d’une démocratisation de l’accès et que l’héritage sportif familial participe fortement à l’orientation des enfants. C’est dans les clubs que se poursuit la socialisation tennistique. C’est dire l’influence et le rôle que peuvent avoir ces structures (chapitre IV). La démocratisation en cours peut-elle s’y achever ?
Notes de bas de page
1 Charreton P. 1988, p. 101.
2 Brohm, J.-M. 1976, p. 45.
3 Bredin F. 1992, p. 8. Frédérique Bredin est à cette date Ministre de la Jeunesse et des Sports.
4 Charreton, P. Op. cit., p. 104.
5 Bredin F. Op. cit., p. 18. Compte tenu des multi-adhésions, en particulier chez les jeunes, le nombre de pratiquants licenciés est sensiblement inférieur.
6 J.-M. Brohm montre dans l’ouvrage cité que « le profond enracinement populaire du sport fait que celui-ci est vécu réellement comme une culture quotidienne » (p. 239) et que « l’apparition du sport comme fait universel, sa diffusion sur toute la planète, ainsi que sa fusion avec l’appareil des moyens de communication de masse ont créé une nouvelle sphère de symbolismes sociaux qui imprègnent profondément tous les systèmes superstructuraux, toutes les sphères séméiologiques (publicité, affiches, images télévisées, cinéma, etc.). » p. 276.
7 INSEE. Les emplois du temps en France en 1985-86. Annuaire statistique de la France 1991-92. INSEE 1993, p. 194.
8 Ministère de la Jeunesse et des Sports. Licences sportives et sections des clubs. (1980 à 1992).
9 Éditorial de Christian Bimes, Président de la Fédération Française de Tennis, Bulletin Officiel de la Ligue de Guyenne de Tennis, 1995, p. 2.
10 Le basket et l’équitation occupent la 1ère place (33 %) devant le tennis (31 %). Source : IED/WND Sport 1992, citée par L’Équipe magazine no 614, 6 Nov. 1993, p. 80.
11 Annuaire statistique de la France 1991-92. Op. cit. p. 259.
12 Lettre de C. Bimes, Président de la Fédération Française de Tennis, envoyée à tous les licenciés, le 18 février 1994.
13 Ibid.
14 Il s’agit de la bourgeoisie française qui comprend la société des banquiers, des barons et des chefs d’industrie, comme la définit J.-M. Brohm (1987, p. 291) et qui représente l’ordre établi.
15 Le tir aux pigeons, le tir au pistolet, le polo, les courses de chevaux et le golf étaient très sélects et exclusivement réservés à l’aristocratie dans le dernier quart du XIXe siècle. Désert G. 1983, p. 246-290 ; Saint Martin de, M. 1989.
16 Herr L. 1981, p. 95-114 ; Pociello C. 1981, 1994, p. 139-174 ; Paillou N. 1986 ; Betbeze J.-P., Maffre J., Lahlou S. 1987 ; Irlinger P., Louveau C., Metoudi M. 1987 ; Garrigues P. 1988.
17 Donnat O., Cogneau D. 1990 ; Dumontier F., Valdelièvre H. 1989.
18 Giraudo A. 1986.
19 Lévy M.-L. 1982, p. 13 ; Haumont A. 1979, p. 103-111 ; 1991, p. 1-2 ;
20 Le bilan des licences après 1986 est le suivant : 1987 : 1 383 382, 1988 : 1 364 902, 1989 : 1 362 752, 1990 : 1 363 962, 1991 : 1 339 409, 1992 : 1 317 319. Ministère de la Jeunesse et des Sports. Licences sportives et sections de clubs 1991-1992. Avril 1994.
21 Viansson-Ponté P. 1977.
22 Le tournoi a été télévisé en direct à partir de 1979. Union Nationale des Clubs Universitaires. Union Syndicale des Journalistes Sportifs Français (UNCU-USJSF), 1991, p. 137. En 1989, les temps d’antenne, toutes chaînes confondues, sont de 425 h 40 pour le tennis et de 193 h 29 pour le football devançant de très loin le 3ème sport, 70 h 42 pour le vélo. En 1990 année de Coupe du monde de football, le temps consacré au tennis ne diminue que très faiblement (399 h contre 425 h pour le football). Vulbeau A., Duret P., Irlinger P., Louveau C. 1993, p. 55.
En 1991, le football et le tennis se partagent 55 % des programmes sportifs de la télévision française. Quand les chaînes se disputent le ballon rond. 7 Août 1991. Cf. également Andreff W., Nys J.-F., Bourg J.-F. 1988, p. 45.
23 Donnat O., Cogneau D. Op. cit. p. 35.
24 Dans une enquête réalisée en 1990-91 auprès de 4 465 jeunes de 8 à 18 ans, 5 joueurs de tennis apparaissent parmi les 22 premiers champions cités. Vulbeau A., Duret P., Irlinger P., Louveau C. Op. cit., p. 54.
25 Sous l’impulsion du Président Philippe Chatrier en particulier. Giraudo A. 6 février 1993. Ramanantsoa B, Thierry-Baslé C. 1989.
26 Ce n’est par exemple qu’à partir de 1987 que l’octroi de subventions du Ministère de la Jeunesse et des Sports aux fédérations est soumis à l’établissement de « contrats d’objectifs ». Cf. également : Waser A.-M. 1992.
27 Avec 15 162 participants aux compétitions proposées par l’Union Nationale du Sport Scolaire (regroupant les associations sportives des lycées et collèges de l’enseignement public, ainsi que des établissements privés du secondaire qui s’y affilient), le tennis se classe en 13ème position en 1991-1992 à l’échelon national. Dans l’Académie de Bordeaux, 354 élèves ont participé, dont 95 en Gironde, 82 en Dordogne et 42 en Lot-et-Garonne. UNSS. Statistiques licences sportives. Répartition des participants par sport. 1991-1992.
Cf. également : Reneaud M. 1986, p. 133 ; Derlon A. 1988, p. 107-118.
28 Cf. Vulbeau A., Duret P., Irlinger P., Louveau C. Op. cit., p. 25. L’enquête montre que le tennis est la pratique sportive la plus instituée en club chez les jeunes : 76 % des pratiquants de tennis sont inscrits dans un club.
29 UNCU-USJSF, 1988, op. cit.
30 Parlebas P. 1986.
31 Rochefort R. 1990 ; Roederer B. 1989.
32 Eyquem M.-T. 1944.
33 Labridy F. 1983 ; Louveau C. 1985.
34 Dehedin J., Thomas R. 1980 ; Louveau C. 1986 ; Oglesby C. 1982 ; Davisse A., Louveau C. 1991.
Dans l’enquête réalisée, en 1990-91, auprès des jeunes de 8 à 18 ans, les garçons et les filles sont à parité parmi les 16,5 % de joueurs de tennis. Cf. Vulbeau A., Duret P., Irlinger P., Louveau C. Op. cit., p. 23.
35 Dans une autre enquête, réalisée en 1985, 48 % des enfants déclarent pratiquer des APS en compagnie de leurs parents : le tennis est cité comme 1ère activité avec le cyclisme et la marche à pied. Hébrard A. 1986, p. 267.
36 Bourdieu P. 1979 ; Bourdieu P. 1978 ; à voir également Ministère du Temps Libre, de la Jeunesse et des Sports. 1983.
37 Héran F. 1988 ; Malenfant C. 1987.
38 Pociello C. 1981, p. 220-224 ; Suaud C. 1989.
39 Bourdieu P. 1982.
40 Le Pogam Y. 1979 ; Garrigues P. 1988 ; Faure J.-M. 1988.
41 Parlebas P. 1986, p. 117-130.
42 Bouet M. 1968.
43 Thomas R. 1975, p. 32-33.
44 Faure J.-M. 1987 ; Waser A.-M. 1989.
45 Mathieu D., Praicheux J. 1987 ; Pigeassou C., Mazurek H., Carrié C. 1987 ; Rollan F. 1995, Cartes de l’espace social et des équipements sportifs ; in : Atlas Social des Bordelais ; Géopolitique du sport. 1990.
46 Pinçon-Charlot M., Rendu P. 1981 ; Pinçon-Charlot M., Rendu P. 1983 ; Callède J.-P. 1983 ; Reynaud A. 1981. p. 131-150 ; Frémont A. 1988 ; Dossier la Ville. Economie et Statistique. 1991.
47 Callède J.-P. 1988 ; 1991 ; Rollan F. 1995, op. cit. ; Centre National de la Fonction Publique Territoriale. 1988.
L’opération « 5 000 courts » déclenchée en 1980 constitue l’un des exemples des politiques sportives concertées entre l’Etat, la Fédération, et les communes. Ministère de la Jeunesse et des Sports. 1980.
Cf. également : Waser A.-M. 1992.
48 Reynaud A. 1981.
49 Ambroise-Rendu M. 1991 ; Bredin F. 1991. La politique du sport en faveur des jeunes. Communiqué du conseil des Ministres. Le Monde, 1993.
50 Callède J.-P. 1985.
51 Bonnes R. 1983.
52 Léziart Y. 1989 ; Jamet M. 1991 ; Loret A. 1993.
53 Auneau G. 1993, op. cit., p. 297-308 ; Callède J.-P. 1988, Approche… p. 55-80.
54 Vigarello G. 1988.
55 Barel Y. 1986. p. 131.
56 Les statistiques existantes ne nous ont pas permis de remonter plus loin.
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