Un protocole d’observation pour une méthodologie de projet
p. 12-13
Texte intégral
1Le séminaire « Territoires contemporains et pensée paysagiste » a été mené entre septembre 2009 et juin 2011 par Sylvie Salles, architecte, docteur en Études urbaines et Hélène Soulier, paysagiste, docteur en Architecture, toutes deux maître-assistant à l’ensapBx. Il accueillait des étudiants paysagistes de 4e année. Les étudiants de la formation Paysage de l’ensapBx sont recrutés à Bac+ 2 et suivent le cursus de paysage en quatre ans.
2Lorsque la possibilité de travailler sur le campus TPG est apparue, nous avons spontanément pris la décision de structurer un séminaire de méthodologie de projet de paysage. « Quel pouvait-il être ? », « que pouvait-il apporter ? » et « comment se définirait-il ? » sont les questions théoriques et pédagogiques immédiatement soulevées. D’un point de vue théorique, il est nécessaire de positionner la pratique paysagiste dans un ensemble des pratiques de la conception liées à la ville, en consolidant les origines et les spécificités du projet de paysage. D’un point de vue pédagogique, un séminaire n’est ni un atelier de conception tel qu’il est développé plusieurs fois dans le cursus d’apprentissage des étudiants, ni un acte de recherche à proprement parler. Il se situe à la charnière entre les deux, nécessite une prise de distance de la part des étudiants sur la pratique de conception à laquelle ils sont initiés tout en structurant une méthodologie de projet basée sur une approche fine du terrain. Enfin, il constitue un entraînement au choix d’une posture critique.
CONSTRUIRE UNE APPROCHE SINGULIÈRE DU SITE
3Les complexités territoriale, matérielle et sociale du campus ouvrent spontanément à une infinité de problématiques. L’une d’elles recoupe la notion de projet autant que celle du territoire universitaire et permet une investigation individuelle de la part de chaque étudiant. En revenant sur la relation fondamentale entre le site et le projet – une des spécificités paysagistes1 –, l’équipe a souhaité apporté un éclairage sur la manière dont un site peut générer du projet, indépendamment du programme qui lui est attribué. Contrairement à la pratique architecturale, systématiquement fondée sur un programme définissant des usages, des surfaces, des relations physiques indispensables entre les espaces, etc., le projet de paysage, lui, peut se passer de tels préparatifs. Le paysage s’inscrivant le plus souvent dans une démarche que l’on pourrait qualifier de « réhabilitation », son projet se base sur une amélioration de l’existant2, car les qualités du devenir se trouvent déjà dans l’existant. Repérer les dysfonctionnements de l’existant mais aussi ses potentiels, matériels ou immatériels (sociaux, usagers…) est une des clés du projet. Aussi, il a été demandé aux étudiants de construire un protocole permettant d’approfondir cette dialectique entre site et projet.
UN PROTOCOLE QUI PASSE PAR L’OUTIL
4La contrainte principale donnée aux étudiants fut de choisir a priori un instrument de captation du réel : appareil photographique, caméra vidéo, dessins, enregistrement sonore etc., et de se rendre sur le site avec une idée précise de ce que l’instrument pouvait prélever comme « données spécifiques du site ». Cette introduction dans le travail renvoie à la question complexe de l’analyse du paysage3 et de la transcription du réel d’un terrain. Le réel, confus et débordant, a tendance à nous submerger ; choisir un instrument particulier tout en n’observant qu’à travers lui permet alors de discriminer, hiérarchiser les informations d’un terrain. L’unicité de l’instrument a eu pour conséquence la sélection des types d’informations prélevées sur le site, dans leur nombre mais aussi leur traitement en profondeur des interrogations soulevées. Ceci est revenu à prendre une focale serrée mais concentrée.
5De fait, les éléments captés de l’espace par chacun des étudiants a fait l’objet d’une problématisation et des thèmes différents ont émergé. Pierre Anquetil, par l’intermédiaire d’un appareil photographique enregistrant l’espace des arrêts du tramway, développe l’idée de l’espace public selon son rapport entre les vues proches et lointaines. Dans un autre registre, Laurène Moraglia, par exemple, identifiera par le biais d’enregistrements sonores deux types de paysage : le low-fiet le high-fi… Maïa Agor observe le terrain en tant qu’écosystème vivant et base son analyse sur l’état du végétal dans le territoire du campus. Floriane Charles interroge les nombreuses limites physiques du terrain, Thaïs Bonichon décompose au travers du cheminement l’espace sous forme de cours, de passages et de seuils et Olivia Gaillot-Devron, quant à elle, y dissèque le rapport intérieur/extérieur grâce au thème du cadrage.
6Une fois les éléments prélevés sur le site et rendus objectivables par des représentations cartographiques et plastiques, chaque étudiant a pu construire une problématique directement issue du site du campus TPG dans sa spécificité.
DÉFINITION DU SITE
7Le site a donc été entendu comme une réalité matérielle ainsi que les représentations plastiques et cartographiques qui lui sont associées, mettant en exergue des données visibles immédiatement ou plus dissimulées, ainsi qu’immatérielles. Ainsi, les données géographiques par exemple, ou historiques construisent un terrain sans parfois être repérables lors d’une première visite. La construction cartographique ou sensible permettra alors de révéler des origines ou des facteurs perçus ou explicatifs de données réelles. Le site comprend donc sa réalité physique, ses extensions cartographiques ou plastiques, ainsi qu’un territoire étendu dans lequel le terrain a sa cohérence au cours du temps.
DES MÉTHODOLOGIES DE PROJET
8En partant du principe que chaque problématique a son propre écho identifiable dans l’espace, il est possible de construire un point de vue plus théorique dans l’objectif de fabriquer des méthodologies de projet, inscrites dans la sphère de l’histoire de la conception. Cette approche du terrain révèle une capacité de lecture des paysagistes et d’investigation importante tout en ouvrant sur des « façons de faire » le projet. Chaque étudiant a tiré le fil de ses problématiques singulières de manière à consolider, par le biais de lectures théoriques, de concepts appartenant à l’univers de la conception, ou d’exemples de réalisations paysagistes passées, sa propre investigation. L’objectif étant de développer une méthodologie de projet issue du regard singulier qu’il a eu sur le terrain. Six méthodologies sont ainsi présentées, elles incarnent à un moment particulier les interrogations de futurs paysagistes sur le site du campus TPG et ouvrent des questions liées à l’espace contemporain.
Notes de bas de page
1 Marot Sébastien, « L’alternative du paysage », Le visiteur, no 1, automne 1995, p. 54-80. Sébastien Marot y définit l’opposition projectuelle entre un programme attribué à un site et la notion de suburbain où le site génère un programme.
2 Visible à l’œil nu sur le site, ou visible par des représentations cartographiques.
3 Voir deux textes fondamentaux : Lassus Bernard, « L’obligation de l’invention : du paysage aux ambiances successives », in Roger Alain, La théorie du paysage en France, Seyssel, Champ Vallon, 1995, p. 424-437. Corajoud Michel, « Lettre ouverte aux étudiants », in Brisson Jean-Luc, Le jardinier, l’artiste et l’ingénieur, Besançon, Éd. de l’Imprimeur, 2000, p. 37-51.
Auteur
Paysagiste dplg et docteur en Architecture depuis 2006. Elle travaille essentiellement sur les friches urbaines et le processus de projet de paysage. Maître-assistant à l’ensap BX depuis 2008, elle est aujourd’hui vice-présidente du Conseil d’Administration.
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