Quelques pistes de réflexion
p. 175-180
Texte intégral
André BOUVET,
Directeur Régional de la Jeunesse, des Sports et de la Cohésion Sociale du Nord-Pas-de-Calais
1Mesdames, Messieurs,
2Lorsque Mohamed Ourak m’a sensibilisé à l’organisation de ce colloque, j’ai bien entendu noté les dates mais les exigences de la rentrée ont fait que je n’ai pas pu participer à la totalité de vos réflexions et je vous prie de m’en excuser. Pour autant, j’ai lu tous les documents que vous avez distribués.
3Je voudrais vous faire part de deux remarques liminaires.
4La première : à titre personnel et professionnel, bien qu’exerçant dans le cadre de la réforme qui s’inscrit dans la nouvelle configuration de l’État, cette responsabilité de la DRJSCS, je ne suis pas issu du monde sportif, je n’ai pas à ce titre une grande expérience et expertise dans la gouvernance sportive, mais en même temps j’ai eu en charge la conduite de politiques publiques de l’État dans des territoires divers et dans d’autres matières, sanitaire et sociale, ce qui m’amène à rapprocher des expériences. Et cela donne, me semble-t-il, quelque matière à réflexion, avec ce que l’on peut appeler un œil neuf sur le sujet.
5Deuxième remarque, qui est importante : nous sommes certes dans un colloque universitaire, mais dans la configuration que vous avez rappelée ; aussi je prendrai bien garde de sortir de mon propos de responsable administratif et je ne peux, à ce stade où des questions se posent face à une possible nouvelle phase de décentralisation, prendre partie pour les responsables politiques, n’ayant pas non plus de scoop, hormis les éléments de calendrier que tout un chacun commence maintenant à connaître.
6En réaction au déroulé de vos interventions et en ayant réfléchi à ce que je peux exprimer dans le cadre de votre colloque, on peut faire plusieurs observations autour de la question posée : « qui gouverne ? »
7Du côté de l’État, j’observe d’abord un certain nombre de faiblesses que l’on peut évoquer, à la fois dans des problématiques de déclinaison d’une vision stratégique forte, des faiblesses dans le positionnement de l’État. Et vous y avez fait allusion ; en reprenant aussi les propos de Madame Avice qui parlait, au nom de la puissance publique, de la volonté en 1984 de passer d’une attitude de contrôle a priori à celle de position a posteriori par rapport au Mouvement sportif, à l’évidence une position forte fondée sur la confiance. Ce positionnement de l’État, que je connais et que j’ai eu à mettre en œuvre dans la conduite d’autres politiques, marque le passage d’une forme de tutelle et de contrôle à cette confiance dans l’autonomisation des acteurs ; le passage d’une tutelle que l’on a parfois qualifiée de tatillonne dans d’autres circonstances, qui est un mode de fonctionnement de notre État et de structuration de politiques publiques, à une relation fondée sur d’autres rapports de confiance et reconnaissant l’autonomisation et une latitude d’action des acteurs.
8J’observe que dans le sport, nous avons aujourd’hui un mélange des deux registres. Dans mes services, on intervient, d’une part, d’une manière précise, pointue, détaillée, notamment dans la relation aux clubs et, d’autre part, à l’inverse, on pourrait attendre de l’État encore plus de présence, sur d’autres visions. Mais l’État n’est pas là, notamment en force, sur les thèmes de puissance régalienne qui ont été évoqués. Donc, là, l’État a un certain nombre de sujets de réflexion devant lui quant à son positionnement et ses pratiques.
9L’État a tout de même réalisé une réflexion stratégique importante avec l’affirmation des deux éléments suivants : sport de haut niveau et sport pour tous. Ainsi aujourd’hui, existe une proposition de chaînage d’un réseau national pour la structuration du sport de haut niveau. J’ai participé à une réunion avec les Directeurs techniques nationaux, ce qui était une première dans cette configuration d’orthogonalité dans le sport entre des éléments très verticaux, les disciplines, et des problématiques horizontales, les territoires, qui contribuent à l’émergence de sportifs de haut niveau, avec la restructuration des CREPS, etc.
10L’État dispose aussi d’une force pour sa gouvernance qui réside dans la constance de l’affirmation de ses objectifs, et ce malgré le turn-over qui peut être reproché au niveau de la conduite politique. On peut observer une permanence en termes d’éléments d’orientation avec des ajustements à la marge, mais qui viennent parfois cristalliser quelques débats. On peut penser par exemple à la constitution des têtes de réseau. L’État doit-il se concentrer dans un rapport avec les instances régionales, et établir un rapport différent vis-à-vis du Mouvement sportif et des clubs ? Maintient-on des subventions directes de proximité aux clubs ? Et si oui, à quelles conditions ? Je vous renvoie par exemple aux dossiers de demande de subvention et à cette réalité financière. Mais cela ne dit pas tout des orientations de l’État.
11On pourrait citer comme relevant de la sphère de la puissance régalienne, la problématique développée autour de la lutte contre le dopage, le respect dû aux athlètes, le principe du double projet (réussite sportive et réussite scolaire, formation et diplômes), car il ne s’agit pas de produire des athlètes de haut niveau à n’importe quel prix et dans n’importe quelles conditions, l’aide à la structuration en général, par exemple. Ce sont là des éléments importants qui sont portés par les services de l’État et qui participent à sa force, voire à sa légitimité.
12Vis-à-vis de l’État, j’observe que la demande est, comme dans beaucoup de politiques publiques mais peut-être plus encore dans le monde sportif, ambivalente : d’un côté l’affirmation du « pas trop d’État » et j’observe que vous n’aviez pas dans votre colloque de représentants de l’État, et, de l’autre côté, une « demande d’État » lorsqu’on lui demande tout et d’être excessivement présent.
13J’évoque cela dans ma transition avec le monde sportif parce que, et vous l’avez aussi souligné, j’observe que beaucoup de monde parle aussi au nom de l’État, sans être de l’État ou sans avoir cette responsabilité de représentation de l’État dans le monde sportif. C’est intéressant parce que cela veut dire que les orientations, les objectifs, sont diffusés, repris, intégrés. On pourrait ainsi parler de la perspective sport santé que vous évoquiez, de la problématique de l’utilisation des financements publics, le CNDS, etc. Donc, on s’approprie fort bien la parole de l’État. Tout ceci aboutit parfois à des formes de confusion.
14Dans le monde sportif, j’observe aussi qu’il existe une très grande hétérogénéité dans la gouvernance. Le monde sportif n’est pas un monde unique. S’il a des points communs, dans ses composantes il connaît de fortes diversités. Je ne sais s’il existe des travaux de recherche sur ce sujet mais il y a des problématiques très variables entre les fédérations, par exemple quant au niveau de financement entre le football ou le tir à l’arc pour ne retenir que cette illustration.
15Deuxième aspect que vous avez évoqué, l’organisation dite en « tuyau d’orgue », ou disciplinaire, à croiser avec la proposition de construction d’une offre sportive sur un territoire. Cette problématique fait que l’implication des bénévoles, qui est à l’évidence un des éléments essentiels de la gouvernance, avec toutes les questions que vous avez posées et que l’on perçoit bien, et notamment la question de la démocratie qui me semble essentielle à travers le renouvellement ou pas des dirigeants, par exemple, cet engagement des bénévoles, ai-je dit, est un des critères de la vivacité d’une institution. Or cette condition est très exigeante. J’observe un engagement très fort des bénévoles ; à l’image de militants, les dirigeants du monde sportif sont dans un engagement fort, sans compter en termes de temps passé, ce qui n’est pas à la portée de tout un chacun spontanément. On parle notamment de la faible place des femmes dans les instances dirigeantes, mais consacrer un temps très important en x nombre de réunions est en partie un effet des exigences relatives à la gouvernance, me semble-t-il. Comment faire pour que les femmes ne soient pas exclues d’une telle dynamique ? On dépense beaucoup de force et beaucoup de temps, ne serait-ce que sur la gestion disciplinaire en tant que telle. Comment dès lors concevoir ce qui pourrait être traité en termes d’ingénierie ? Aujourd’hui, les forces d’ingénierie ressemblent plus à des îlots isolés – y compris sur une région qui est censée regrouper beaucoup de potentiels – qu’à des forces organisées. Dans la gouvernance, la capacité de l’ingénierie, la capacité à conduire des projets et à les mettre en œuvre au-delà des financements, la qualité de formation des hommes et des femmes, pour ne mentionner que ces aspects, sont des axes importants sur lesquels le mouvement sportif peut jouer.
16Côté collectivités locales, je ne vais pas trop m’engager sur le débat à venir. Aujourd’hui, nous sommes en ordre dispersé par suite de la compétence générale, relative à l’aide des collectivités au sport. Ensuite, j’observe que le positionnement est fortement marqué, me semble-t-il, par le rapport valorisation et communication médiatique, retour sur investissement, avec des projets tout à fait louables portés par telle ou telle collectivité qui veut s’engager par exemple sur du sport professionnel, dans tel ou tel domaine, etc. À Montpellier, le cas me vient à l’esprit, il y a eu un vrai projet de territoire pour concevoir une valorisation d’une collectivité à travers le monde sportif. Il restera à vérifier si, là ou ailleurs, les choix peuvent être tenus, mais c’est déjà un élément extrêmement important du positionnement. Cependant, là aussi, ne sommes-nous pas dans l’exception quant à l’implication personnelle d’élus dans la politique sportive ? Dès lors, la gouvernance de la politique sportive ne demande-t-elle pas une longue durée ?
17Dans la structuration de nos collectivités, s’il me semble indiscutable que la collectivité régionale est appelée à jouer un rôle majeur. Ce dont on parle moins, c’est le rôle des agglomérations et des communautés de communes. Le rôle de la collectivité intermédiaire se pose dans la gouvernance du sport mais pas uniquement. Elle interrogera aussi les rapports entre les collectivités dans le cadre d’une future décentralisation, mais c’est une réflexion tout à fait personnelle. À titre d’exemple, et c’est l’un de mes soucis aujourd’hui, nous n’avons pas ou pas assez de réflexion sur l’équipement sportif, en particulier pour dire ce qui relève d’un équipement de proximité ouvert à tel et tel club, à toute la population, en activités libres, pour des activités licenciées, et dans quelles circonstances, ou encore ce qui relève d’un équipement de proximité ou de niveau départemental, si cela a du sens, ou bien d’un équipement de niveau national, voire international. Ces aspects sont de la plus haute importance parce que, dans ce domaine, les financements publics sont davantage comptés. Or, globalement, on constate sur cette politique ce qu’il convient d’appeler des politiques de guichet ou de volontarismes isolés liés à tel club ou à telle personnalité.
18Dans votre propos, Monsieur Martin, vous êtes partis de la vision des clubs, et votre développement rejoint une dernière réflexion que je voudrais vous faire partager. En matière de gouvernance, je crois dans l’efficacité de la diffusion des innovations, des nouvelles pratiques. Or, je suis assez surpris de la faible valorisation donnée aux dirigeants de clubs qui innovent. Sans doute parce que l’État et le mouvement sportif sont établis dans des relations formelles et qu’il y a moins de présence de professionnels que dans d’autres politiques publiques. Aussi je suis porteur d’une idée, mais je ne sais si on arrivera à la monter et à la concrétiser. Là aussi, je tends une perche aux universitaires locaux pour organiser une journée, type colloque ou séminaire, qui aurait pour entrée la mise en valeur des pratiques de dirigeants qui réussissent ou qui sortent de l’ordinaire, notamment sur la liaison sport de haut niveau et développement pour tous. En effet, avec la dynamique « base arrière JO 2012 », on pourrait citer plusieurs exemples relatifs à notre région. Retenons celui de la gymnastique, à Arques, où un équipement international de haut niveau a été construit avec l’aide des collectivités publiques. Parce que les dirigeants de club ont porté un véritable projet de développement, cet équipement allie réputation mondiale, sport de haut niveau et s’appuie sur 2 000 licenciés avec la diffusion de la pratique de la gymnastique sur l’ensemble d’un territoire semi-urbain. J’observe tel autre club qui, autour du football, réussit une remarquable liaison entre sport et cohésion sociale à travers la mise à disposition de terrains libres ou, plus encore, la mobilisation sportive des mamans qui viennent maintenant accompagner les enfants. Il me semble que l’on met assez peu en valeur toutes ces initiatives, en identifiant les facteurs de leur réussite et, plus globalement, les conditions requises pour leur diffusion, leur réplication ou transposition. Travailler à cette valorisation, avec la capacité d’expertise de l’Université, ce serait redonner leur place aux dirigeants de clubs, susciter un engouement pour ce type de responsabilités. C’est, en tous les cas, une des pistes que je retiens de vos réflexions de ce matin et qui peut être l’une des actions des services de l’État.
Jacques Marchand1 à propos de la question : « Faut-il garder l’unité du sport ? », 7 mars 2012
Face à nos vérités…
[…]
Tout ce qui est en train de miner, de détériorer, de décomposer le concept initial du sport est toujours appelé allègrement « Sports », comme si notre vocabulaire était incapable de lui attribuer le qualificatif convenable. Sport ne veut plus rien dire pour vouloir tout dire et son contraire.
[…]
Examen de conscience…
À ne pas avertir et prévenir, quand il est encore temps, on s’enferme dans le mensonge du « laisser croire » On laisse croire que le spectacle est du sport alors que c’est le sport qui est du spectacle.
Il l’était déjà un peu dès son origine antique, il faut le reconnaître, et Pindare le premier le reconnaît quand il définit en une phrase la base et la raison du journalisme de sport : « L’Athlète a besoin du Poète pour que l’exploit soit consacré », ce qui peut entraîner à croire que le sport est spectacle par nature.
Mais aujourd’hui on force la nature sans vergogne pour tirer profit du spectacle.
Le sport qui s’affiche dans les journaux et se montre à la télévision n’est pas – ou n’est plus – un élément d’éducation populaire, comme il pourrait et devrait l’être.
Que le sport dispose d’un secteur commercial et s’efforce de le développer pour en tirer un bénéfice n’est pas un scandale. Ce pourrait être une aubaine si ce bénéfice revenait au sport et finançait sa pratique populaire.
Aujourd’hui les bénévoles passent pour des poires. Or, à l’époque à laquelle nous étions ces « poires », alors qu’il était encore bien porté de l’être, nous en étions heureux. Nous l’acceptions et savourions notre « bénévolat ».
C’est ce bonheur de la collectivité, ce bonheur du club qui n’est plus apprécié à sa juste valeur. Si on laisse perdre ce bonheur-là, on perd un petit trésor d’humanisme pratique. Il faudrait peut-être y réfléchir sérieusement.
Et se dire en face et franchement nos vérités.
Notes de bas de page
1 Jacques Marchand, Président d’honneur de l’UJSF, Cofondateur des Universités Sportives d’Été.
Auteur
Directeur Régional de la Jeunesse, des Sports et de la Cohésion Sociale du Nord-Pas-de-Calais
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