Imaginer des perspectives de refondation du modèle sportif français
p. 171-174
Texte intégral
Jean-Michel MARTIN,
Secrétaire Général adjoint de l’UNCU
1À Valenciennes, comme vous tous, j’ai eu le plaisir d’entendre l’allocution de Madame Valérie Létard, sénatrice du Nord, Présidente de la Communauté d’agglomération Valenciennes Métropole1, qui précédait le pot de bienvenue. Son discours m’est apparu fort intéressant et très lié au thème de notre Université Sportive d’Été. En effet, la cité de Valenciennes s’est trouvée, à un moment donné, dans une situation socio-économique difficile, très critique même, avec l’arrêt brutal de l’industrie minière. Il a fallu resserrer les énergies, identifier les atouts, faire preuve d’opiniâtreté et d’innovation. On a pu apprendre que la Communauté d’agglomération s’est attachée à « reconstruire un territoire à partir de l’humain ». Il m’a semblé que ce qui nous a été brillamment présenté et décrit, à propos du Valenciennois, c’était un peu ce que nous avions à esquisser aujourd’hui, dans le cadre de cette USE, et d’imposer demain à propos du Sport. Il est vrai que le sport, en France, est en situation difficile et la reconstruction qui s’impose nous laisse un champ immense.
2« Peut-on imaginer les perspectives de refondation du modèle sportif français, ou tout au moins identifier quelques-unes d’entre elles ? ». S’efforcer d’apporter des éléments de réponse à une telle question, c’est déjà s’engager dans le bilan de la présente USE, en tirant bénéfice des acquis et en tenant compte des prises de position, parfois contrastées, qui ont jalonné les jours passés.
3Je reprendrai, pour commencer, une phrase qui a été fréquemment utilisée pendant nos travaux : « qui paye dicte sa loi ». Cette sentence avait été commentée, déjà, lors de la Première Conférence Nationale du Sport qui s’était tenue le 20 novembre 2008 au siège du CNOSF. Il s’agissait, en présence des principaux acteurs du sport français (mouvement sportif, État, collectivités territoriales, entreprises…), d’envisager ensemble « l’orchestration de la gouvernance sportive de demain ». Le Président Henri Sérandour avait regretté, je le cite2, que « la maxime “Qui paye commande ! semble parfois valoir de règle de gouvernance, lequel principe ne renvoie pas à l’équivalence des échanges réels entre les partenaires. » Qu’en est-il quatre ans plus tard ?
4Essayons de lancer le débat en s’appuyant sur le constat actuel, autour de quelques points clés, qui, en particulier pour des raisons éthiques, ne nous satisfont pas.
« Qui paye dicte sa loi ! »
5Et pourtant le mouvement sportif associatif, dépendant totalement des moyens concédés par ses financeurs, est un des lieux permanents ‒ et un facteur de cohésion collective ‒ au sein duquel la société peut s’appuyer dans sa dynamique de transformation.
6Le sport associatif, par sa capacité à innover, à créer, en fait un moteur qui anime, développe, transforme, stabilise, enrichit toutes les structures dirigeantes et mobilisatrices qui ont en charge la marche de notre société.
7Or ce moteur a besoin de carburant ! (ici l’argent). Comme pour le marché de toutes les ressources fossiles, les dirigeants « approvisionneurs », responsables économiques et politiques, nationaux et locaux, ne font-ils pas de la surenchère sur les performances ou sur le service rendu, au point de se les approprier, en oubliant ce qui revient à l’ingénierie ?
8De même, au sein du Mouvement sportif, n’y a-t-il pas, en suivant la tendance des dirigeants « approvisionneurs », une distorsion majeure à l’exemple de la considération qui est portée aux « formules 1 » pourvoyeuses de médiatisations promotionnelles, comparées aux « 2 chevaux » au service du citoyen de base, alors que leurs sorts sont indissociables ? La médiatisation du résultat « à tout prix », de l’exploit, n’est-elle pas le talon d’Achille des dirigeants du Mouvement Sportif ?
9Des questions se posent.
10Des éléments essentiels découlant des autres séquences modifieront sans doute les questions proposées. Mais le temps nous manque ici pour entrer dans le détail.
11Ne faut-il pas tracer les pistes d’une politique nationale qui prenne en compte le degré de la dérive du sport, manifestement engendrée par plusieurs composantes de son environnement, qui le transforment au point de le dénaturer !
12Face au club sportif de base, quels positionnements nouveaux pour les autres acteurs fournisseurs de moyens mais premiers bénéficiaires de l’action sportive ?
1) État et pouvoirs locaux : Régions, Départements, Villes
13Ils sont médiateurs des impôts des citoyens. Une tendance à diviser les interlocuteurs par sport, ce qui crée une concurrence infructueuse pour le sportif de base, n’est-elle pas un frein au développement du sport ?
14Ils sont bénéficiaires du service rendu à la société par le club sportif (éducation, formation citoyenne et santé), ainsi que de leur promotion médiatique à travers les résultats dont le club est pourtant le principal artisan.
15Leur rôle dans la vie du sport n’est-il pas à reconsidérer en particulier sur les formes cachées d’ingérence majoritairement dictées par le souci d’un retour d’image sur investissement ?
2) Médias
16Le travail du club, qui est le plus souvent passé sous silence, est, à travers les résultats des athlètes, leur principale source d’inspiration et de revenus.
17Ils sont à la fois tributaires directs des pouvoirs économiques et bénéficiaires financiers de la part de ces mêmes pouvoirs. Ils participent à une forme d’ingérence dans la gestion du club. Les médias dictent, avec insolence, aux dirigeants du mouvement sportif le mode de fonctionnement du sport qui leur convient. Les dirigeants restent en état de fascination devant le pouvoir médiatique.
18Leur rôle dans la vie du sport n’est-il pas à reconsidérer en particulier sur le « produit commercial sport » qui détruit la notion de « service public du sport » ?
3) Pouvoirs économiques
19Ils sont tributaires des positions politiques en matière de fiscalité sur leurs transactions avec le sport.
20Ils sont bénéficiaires de la promotion de leurs produits exposés par les athlètes tout en oubliant trop souvent l’ingénierie produite par le club.
21N’y a-t-il pas ingérence, avec une collusion tissée avec les médias, dans la conduite de l’action sportive du club par une confiscation des athlètes pour leurs seuls résultats ?
22Leur rôle dans la vie du sport n’est-il pas à reconsidérer : quel sponsorisme, quel mécénat, avec quelles règles à respecter ?
4) Fédérations Nationales, CNOSF ou autres structures fédératrices
- Pour la pratique sportive de base, ils ne sont pas des acteurs aussi essentiels et indispensables qu’on le dit (on ne peut oublier que les licenciés ne représentent que 30 % des pratiquants).
- Ils sont pourtant bénéficiaires des résultats du haut niveau dont l’origine a pris naissance dans le club de base. Le plus souvent, la médiatisation de ces résultats tourne à l’obsession.
- En France, la division du sport en fédérations unisports, olympiques et omnipotentes, souvent confortée par l’État, n’est-elle pas un point faible pour la conduite du Sport dont les résultats du haut niveau ne sont pourtant pas l’essentiel ?
- Plus qu’une reconnaissance, quelle possible considération sociale, politique et économique pourrait être accordée au dirigeant de base ?
23Quelles perspectives d’évolution ou quelles restructurations du gouvernement du mouvement sportif français sont concevables dans le respect de l’ingénierie, facteur incontournable de l’action sportive et non seulement de l’aspect médiatique, donc économique basé essentiellement sur la haute performance ?
24Comment faire prendre conscience qu’en sport, il y a peut-être antinomie entre « éthique du sport » et « récupération » des résultats du travail réalisé par le club sportif ?
25Pour une évolution salutaire du sport qui passe par l’affirmation de la légitimité du club sportif.
« Qui paye dicte sa loi » se justifie-t-il ?
26Aujourd’hui, d’après ce que l’on a pu comprendre des différentes interventions, des décisions sont prises par les uns et les autres, mais on ne sait pas nécessairement qui est le pilote. Certains ont dit qu’il n’y en avait pas, d’autres ont estimé que le pilotage fonctionnait quand même. Est-ce à dire que la gouvernance s’instaure d’elle-même ? Peut-on au moins essayer d’aider à une meilleure cohérence entre les acteurs pour que l’ingénierie de base soit respectée, à savoir celle du club élémentaire, dont on ne parle jamais, et que finalement, comme cela a été dit et répété au cours des travaux, la mise en œuvre des « projets » conçus dans la proximité soit respectée. Dès lors, ce que l’on désigne sous l’appellation globale de « Mouvement sportif » doit être reconsidéré tant il est vrai que son caractère composite, sous prétexte d’unité, n’est pas toujours synonyme de vie démocratique.
Notes de bas de page
1 Ancienne Secrétaire d’État chargée de la Solidarité (2007) puis Secrétaire d’État au Développement durable (2009), Valérie Létard fut également Vice-Présidente de l’Association des Maires de France et rapporteur de la commission Villes et territoires urbains.
2 Source : Vers une nouvelle gouvernance du sport ? Conférence nationale du sport. http://franceolympique.com/art/502
Auteur
Secrétaire Général adjoint de l’UNCU
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Les sports en eaux vives
Enjeux pour le xxie siècle et les territoires
Jean-Paul Callède (dir.)
2016
Les nouvelles cathédrales du sport
Monuments du futur, emblèmes des villes et des nations ou fardeaux ?
Jean-Paul Callède (dir.)
2017
Les logiques spatiales de l’innovation sportive
Conditions d’émergence et configurations multiples
Jean-Paul Callède et André Menaut (dir.)
2007
Le sport saisi dans son évolution récente
Fidélité ou infidélité à ses fondements
Jean-Paul Callède (dir.)
2012
Du sport sans artifice au sport bionique
Amélioration ou condamnation ?
Jean-Paul Callède (dir.)
2015
Le Sport, l’Université, la Société
En finir avec les espérances déçues ?
Jean-Paul Callède (dir.)
2008