Chapitre 1. Les apports de l’analyse urbaine
p. 95-118
Texte intégral
1. L’approche de la structure majeure
1.1 La question de recherche posée
1Nous formulons l’hypothèse que le réseau des voiries majeures s’apparente à une structure superficielle correspondant à un premier degré dans un processus de lecture de la structure profonde de la ville (cf. Schématisation du processus de lecture de l’espace urbain).
2Les études de cas préalables (Saint-Martial, Cypressat et Gravelotte dits « éclats de villes »), supports pour l’élaboration des hypothèses, concernaient toutes les trois des tissus situés à la frange urbaine au tournant du xxe siècle.
3Ces secteurs ont été initialement qualifiés d’entre-deux, dans la mesure où leur forme ne témoigne pas, a priori, d’une intention de conception globale. En revanche, ils participent pleinement de la procédure d’extension urbaine massive qui a pris place entre cours et boulevards à la fin du xixe siècle et dont ces mêmes boulevards et les radiales ont constitué les premiers vecteurs.
4La réflexion que nous entamons ici sur l’organisation topologique et morphologique de Bordeaux vise à identifier la structure cachée de ce tissu d’extension, soit les modalités de structuration s’appliquant de manière récurrente dans l’espace urbain, avec les régularités mais aussi les singularités qui le constituent.
5La compréhension de cette ossature de structuration de la ville va s’appuyer sur l’exploration du réseau de voirie le plus apparent qui sous-tend la structure primaire.
6Les études préalables ont révélé des invariants au sein de fragments urbains. Cette caractéristique a naturellement incité à étendre l’exploration de la forme urbaine à une échelle plus vaste : celle de la ville infraboulevards.
7Le changement d’échelle entraîne une révision de la méthode de recherche : au travail d’arpentage sur le terrain s’ajoute la lecture cartographique à grande échelle (du 1/25000e au 1/1000e), étant donné l’ampleur de l’aire d’étude.
1.1(a) Le terrain d’analyse : infraboulevards mais péricentre

Plan de la zone péricentrale
8Comme indiqué plus haut l’échelle d’analyse choisie couvre le tissu urbain à l’intérieur d’une couronne constituée par deux limites parallèles au cours du fleuve : la ceinture des cours et des boulevards. Cet ensemble forme un croissant à ossature radioconcentrique faisant dos à l’anse du fleuve.
9Cette portion de territoire offre un terrain d’analyse aux limites clairement identifiées, dans un milieu urbain qui échappe à la prégnance de la logique du quadrillage du castrum romain en centre-ville. C’est pourquoi ce terrain se prête à l’analyse des « possibles » sans qu’il y ait nécessité de recourir a priori à l’explication historique.
1.1(b) La méthode d’analyse : choix d’une nappe
10Face au complexe indescriptible que constitue la ville, et afin d’éviter l’écueil de l’interprétation historique, on isole les éléments qui semblent faire « système ». Il s’agit en l’occurrence de la nappe la plus lisible sous-tendue par le réseau de voiries et les équipements principaux.
11L’exploration du réseau de voiries s’opère par l’identification des composantes de ce système et de leurs points d’articulation. En ce sens, le système viaire se trouve décomposé selon son caractère structurant et sa morphologie en trois niveaux :
- un réseau majeur ou primaire : axes permettant de lier différentes parties de la ville à l’hinterland (radiales), et voirie de ceinture permettant de lier facilement les morceaux de ville entre eux (quais, cours et boulevards).
- un réseau secondaire ou liaisons interquartiers : axes assurant l’irrigation du territoire et à travers ses parties.
- un réseau mineur : desserte des îlots à l’échelle locale.
12Une attention particulière est accordée aux points de croisement et d’articulation des radiales et des couronnes (cours et boule
13Pour la désignation de ces points, l’élaboration d’un vocabulaire topologique s’avère difficilement dissociable de la langue vernaculaire. Sont définis trois types d’intersection :
- les nœuds : ils désignent les points de rencontre des radiales avec la ceinture des cours. Plus qu’un lieu de croisement, il s’agit de noyaux générateurs d’axes qui structurent le tissu urbain, sur des territoires d’étendues variables. Il peut s’agir selon les cas d’espaces publics clairement dessinés ou de voirie.
- les barrières : elles désignent les points d’accroche des radiales avec la ceinture des boulevards. Il s’agit de la rencontre exclusive de deux voies (radiales/boulevards), en l’absence d’effet générateur qui serait induit par l’émanation d’axes supplémentaires.
- les butées : elles désignent les points d’accroche des radiales avec la voie des quais, limite naturelle. Ce type d’intersection se situe hors la zone péricentrale retenue pour l’étude, puisqu’il se trouve dans l’hypercentre.

Structuration de l’espace urbain bordelais
14Un plan d’ensemble permet de localiser géographiquement les éléments précités et de resituer dans un contexte global, l’approche par séquences mise en place dans les fiches d’analyse.
15Le travail d’analyse vise la vérification et la caractérisation des règles topologiques et morphologiques attachées à un niveau de lecture, et ultérieurement, celles qui assurent la liaison de ce niveau aux autres nappes (orographie et îlots).
16L’appréhension du réseau de voirie s’opère selon les modalités suivantes :
- une analyse descriptive qui caractérise la morphologie de la structure primaire ;
- une analyse comparative qui permet de déterminer dans quelle mesure émergent des règles et de repérer leurs territoires d’application ;
- une synthèse qui met alors en exergue les permanences et irrégularités relevées dans les modes de structuration du réseau majeur observé.
17On se limite, dans ce volet d’analyse, à l’exploration d’un ensemble constitué par les radiales, les nœuds et les barrières, qui restitue la lecture de l’intérieur du secteur.
18Le sens nœud-barrière par le biais des radiales est choisi pour une lecture complète et diversifiée de la nappe.
1.1(c) Les fiches descriptives d’analyse
19Elles organisent selon divers critères la description morphologique d’une séquence constituée par une radiale, lue dans le sens [butée ou nœud-barrière]. Les séquences sont abordées en procédant selon un ordre allant du sud au nord de l’agglomération (cf. plan de repérage).
20La présentation qui suit décrit un exemple des fiches réalisées, en tant qu’outil conceptuel de lecture transversale de la ville (cf. recueil des fiches d’analyse des radiales en annexe). Les critères d’analyse se veulent objectifs et s’attachent à la restitution de caractéristiques morphologiques.
21– Une première planche, fiche d’identité de la séquence, présente cette dernière dans son contexte et décline des caractéristiques telles que numéro d’ordre, longueur, largeur moyenne, continuité du bâti.

Identité de la séquence
22– Une seconde planche s’organise en deux volets :
23Le premier adopte une présentation en colonnes des nœuds et barrières : plans, coupes à l’échelle 1/1000e.

Volet 1
24Le second volet présente un ensemble de photos complétant la perception de l’échelle des nœuds et des barrières.

Volet 2
1.1(d) Tableaux de synthèse
25Le présent volet décrit uniquement les outils utilisés. La synthèse et les enseignements des tableaux sont développés en conclusion. Deux types de tableaux synoptiques offrent une comparaison, par typologies, des éléments d’analyse présentés dans les fiches comparatives. Une première partie présente une synthèse des caractéristiques des éléments nodaux (nœuds, barrières). Une seconde partie explicite les caractéristiques des tronçons de voies compris entre deux éléments nodaux : séquence linéaire sur les radiales, cours, boulevards. L’objectif est de pouvoir avancer des règles de structuration du réseau majeur.
26Les critères de comparaison retenus sont :
- pour les éléments nodaux : les caractéristiques du nœud (nature, nombre de branches, géométrie) et le cadre bâti (repères, modénature, gabarit) ;
- pour les séquences linéaires :
- le rapport au site (topographie avec trois catégories de dénivelé et l’adaptation au site qui identifie la présence d’anciens chemins ou cours d’eau qui définissent le tracé actuel),
- les caractéristiques de la voirie (longueur, largeur moyenne, type de tracé allant du sinueux au rectiligne avec indications du nombre de fragments sur la longueur totale),
- la typologie du bâti (présence d’équipements et repères visuels, continuité du bâti et typologie se déclinant en immeuble bourgeois1, échoppe, collectif et zone industrielle).
27Les critères d’analyse sont transcrits dans un tableau colorimétrique « légende » gradué.
28Les cinq éléments du réseau majeur (nœuds, barrières, radiales, boulevards et cours) sont analysés et présentés dans deux types de tableaux de synthèse selon leur appartenance à la catégorie « ligne » ou « point ».
29Un tableau de chaque type de séquence est présenté ci-après :
- pour les éléments nodaux : les nœuds ;
- pour les séquences linéaires : les boulevards. Chaque tableau s’articule autour deux axes : régularités et singularités structurelles.

Tableau synoptique « nœuds »

Tableau synoptique « boulevards »
1.2 Structure superficielle et structure cachée
30Cette étude a fait l’objet d’un « zoom arrière » important dans la mesure où elle englobe la zone péricentrale. Le besoin s’est fait sentir de comprendre le fonctionnement du grand réseau de Bordeaux qui correspond aux voiries primaires. Sa décomposition en éléments structurants (radiales, cours et boulevards) constitue une lecture typo-morphologique recherchant le lien au grand site. La restitution sous forme de tableaux permet certes une comparaison objective des segments de réseaux analysés, mais elle ne s’inscrit pas dans un regard de l’ordre du sensible. À noter que l’échelle du territoire concerné est très vaste et l’arpentage du promeneur candide aurait exigé un remaniement de la méthode de parcours du terrain sauf à réaliser un relevé exhaustif, lourd, où la quantité des résultats aurait nui à leur qualité.
31À l’issue de cette étude, le réseau des voiries et des équipements principaux s’affirme comme un système qui conditionne les modalités de croissance du tissu urbain de la zone étudiée.
32Ce système établi permet à la fois d’assurer des connexions à l’échelle urbaine et à l’échelle territoriale. En effet, le réseau de radiales lie le centre historique au territoire plus vaste de l’hinterland, s’articulant au centre grâce à un ensemble d’espaces publics mettant généralement en scène et/ou appliquant des traitements spécifiques de l’environnement bâti. Les points d’articulations génèrent un second système de voies qui structurent en même temps le tissu péricentral et celui du centre historique, renforçant les liaisons entre les deux tissus. Cette règle tend à s’effacer au nord de l’agglomération, territoire moins ossifié (Ravezies, Bacalan). Les boulevards, au même titre que les cours, assurent des liaisons à l’échelle de la ville et sont ponctués par un chapelet de barrières qui se matérialisent par le croisement de deux voies. Aucun système de voirie ne vient émaner de ce croisement pour lier les strates successives de croissance de la ville. De même, la place Ravezies perd sa logique de Barrière, opérant un glissement plus sémantique que typologique vers le nœud qui ponctue la ceinture des cours dite la « petite ceinture ».
33Les tableaux synoptiques présentés ci-dessus permettent de dégager deux éléments fondamentaux :
- une structure superficielle, le réseau primaire, composée sur la base d’une règle formelle apparente (système d’anneaux concentriques reliés par des radiales), avec toutefois quelques exceptions ;
- une structure cachée – ou plus profonde –, composée d’éléments structurants tels que cours, boulevards, radiales, nœuds et barrières ainsi que du réseau qui s’y rattache.
34Le réseau apparent :
35Cette structure prend la forme d’un croissant implanté sur la rive gauche de la Garonne. Un axe structurant se dégage de l’analyse des fiches : la radiale Palais de justice-Ornano, située dans l’axe central du croissant. Ses caractéristiques le mettent en exergue par rapport au reste du réseau de voirie : sa largeur, ses bâtiments représentatifs, sa situation sur un pic (dénivelé). Il se manifeste comme l’axe monumental du réseau primaire.
36Cours et boulevards sont liés par un phénomène d’homothétie. Les petites différences constatées sur les longueurs des cours se trouvent logiquement amplifiées par ce processus géométrique.
37Cependant, ce phénomène connaît ses limites puisqu’il a la particularité de s’inverser sur le critère « dénivelé ».
38Cours et boulevards sont liés, en outre, par le fait qu’ils sont issus d’une planification. Néanmoins, si au cours est associée une forme de bâti propre (immeuble bourgeois, monuments, mise en perspective), les boulevards, quant à eux, n’ont pas cette homogénéité. Ils préfigurent plutôt un kaléidoscope de la ville, dans lequel les typologies bâties sont le reflet des formes bâties de part et d’autre des boulevards.
39Les éléments de la structure :
40Générateurs d’axes structurants (ossature du réseau majeur), les nœuds sont généralement des places (action structurante de l’espace) ou de simples carrefours, sortes de résultantes, telles que les barrières.
41Se distingue un nœud « inclassable » en regard de la logique de ses voisins : la place Ravezies, seule exception sur le cheminement concentrique des barrières. Ne constitue-t-elle pas d’ailleurs, plus qu’une place, un carrefour véritable rond-point ?
42Les barrières quant à elles n’existent que par leur nom. Ce sont de simples carrefours dont la puissance génératrice structurante du tissu est modérée. Contrairement aux nœuds, les radiales semblent émaner plus d’une règle implicite (tracés sinueux, progressivement établis) ou bien de la superposition à d’anciens tracés (ruisseaux, routes anciennes) que d’un tracé planifié. C’est ce qui les caractérise principalement. À nouveau, une radiale sort du groupe homogène : l’axe structurant Palais de justice-barrière d’Ornano.
43Ainsi, se côtoient une règle apparente à laquelle on pourrait associer une majuscule, issue de la planification urbaine d’une part, et d’une règle implicite, moins officielle, moins lisible, appliquée à une micro-échelle, au moyen d’une appropriation à l’échelle de l’habitat en fonction des contraintes de son environnement immédiat.
44Afin de répondre à la difficulté de procéder à une analyse fine sur de vastes territoires, une étude plus détaillée sur des secteurs choisis selon des critères précis (typo-morphologiques au premier abord) est nécessaire si l’on souhaite décrypter plus avant la structure cachée. L’analyse du réseau infraprimaire ou réseau secondaire doit constituer une première étape, autrement dit un premier saut d’échelle pour explorer le niveau inférieur.
2. L’organisation de l’espace à l’échelle des secteurs
2.1 Les permanences du réseau intermédiaire
45La consolidation du tissu d’une ville est basée sur des modes de développement permanents. Nous avons postulé que ces principes qui définissent l’identité et la morphologie de la ville sont plus ou moins repérables et particuliers à chaque niveau structural de la masse urbaine. Ce volet d’étude a pour objet d’identifier quels sont les principes permanents qui structurent le tissu urbain de la zone péricentrale bordelaise à une échelle intermédiaire, entre l’échelle du réseau majeur et celle du réseau mineur.
46La structure majeure de l’espace urbain à Bordeaux est marquée par un réseau de type radioconcentrique : trois couronnes successives – quais, cours et boulevards –, reliées par des radiales. Cette structure géométrique d’urbanisation du site correspond à la réalité spatiale bordelaise, telle que restituée par l’analyse des spécialistes et telle que perçue par les habitants. La structure majeure cristallise les desseins politiques et concentre les références historiques de la ville. L’aspect morphologique est un élément majeur de sa permanence.
47À sa façon, le niveau intermédiaire est aussi porteur de sens pour la spatialité de la ville. À l’interface de la structure majeure et du niveau domestique, le niveau intermédiaire emprunte à la morphologie du premier et au mode d’agencement de l’espace du deuxième, pour fédérer une forme de perméabilité entre les deux niveaux. C’est ainsi que le niveau intermédiaire permet la concrétisation d’un certain nombre de caractéristiques permanentes de l’espace péricentral.
48En ce qui concerne le réseau de voirie, la structure intermédiaire est moins lisible sur les plans que la structure majeure car elle se fond dans la structure interne des différents secteurs. Les caractéristiques permanentes de l’espace se déclinent ici sous diverses formes.
49C’est par l’analyse de plusieurs secteurs et par la comparaison des constats a posteriori que ce qui peut paraître particulier à un secteur va trouver un sens au niveau de l’ensemble de l’espace urbain. Ce sont les phénomènes récurrents qui vont exprimer la permanence et permettre de comprendre ce qui fait l’identité de l’espace à l’échelle de la ville.
2.1(a) Les critères d’analyse et les échelles
50Le travail d’analyse comprend deux étapes :
- le choix des secteurs représentatifs en termes de composition du réseau viaire, ceci afin de dégager des grandes familles ;
- l’analyse des secteurs retenus selon des thématiques liées à la trame viaire :
- contingence entre topographie et orientation du tracé ;
- modalités d’accroche au réseau primaire ;
- organisation interne du maillage.
51La démarche a suivi deux axes au cours des deux étapes d’analyse : un axe territorial, renvoyant à la délimitation de l’espace des secteurs ; un axe spatial, renvoyant à l’analyse des caractéristiques du réseau de voirie. Le niveau intermédiaire correspond à l’échelon territorial du secteur. C’est à cette échelle que seront identifiées les caractéristiques de la structure spatiale de la ville. Pourtant l’espace ne sera pas analysé de façon exhaustive ; chaque secteur comporte des particularités en lien avec son histoire propre mais on va se focaliser volontairement sur les contraintes d’urbanisation communes à l’ensemble du site.
2.1(b) La détermination de secteurs types
52Les secteurs sont définis sur la base de traits morphologiques communs. Le choix des secteurs types tient compte des différents maillages qui se côtoient dans la zone péricentrale, entre cours et boulevards et dans la topographie du site bordelais. La géométrie des tracés constitue le principal critère de sélection. Notons qu’il y a, dans cette définition, une dimension topologique qui ne fait pas référence au cadre de vie et s’oppose au découpage administratif ou historique correspondant au quartier.
53La délimitation d’un secteur est fondée sur le découpage créé par la structure majeure : les secteurs correspondent à des « quartiers de fromage » délimités par les lignes radioconcentriques de deux radiales et les courbes parallèles d’un cours pour le rayon plus petit, et d’un boulevard pour le rayon le plus important.
54Au sein de la couronne péricentrale, ont été retenus quatre secteurs.
55Secteur 1 : Saint-Seurin. Maille constituée par plusieurs logiques (sinuosité et régularité), sur une topographie vallonnée.
56Secteur 2 : Ornano-Mouneyra. Maille d’une orthogonalité affirmée, tracée sur le talweg central (ouest-est) du site bordelais.
57Secteur 3 : Victoire sud-ouest. Tracé influencé par le système orthogonal du castrum romain à proximité des cours, sur une pente régulière (sans accident remarquable).
58Secteur 4 : Nansouty. Logique de maille en lanière côtoyant les boulevards, dans un site à la topographie non contraignante.

Structure majeure

Localisation des secteurs d’analyse
2.2 Résultats de l’analyse
2.2(a) Correspondance entre topographie et orientation du tracé
59La comparaison entre la géométrie des tracés de voirie d’un secteur isolé et la topologie du site fluvio-estuairien permet d’évaluer deux types de phénomènes :
- l’influence de la topographie sur la géométrie des tracés à l’intérieur du secteur ;
- l’inscription de ces tracés dans le contexte urbain : jusqu’où les particularités du tracé d’un secteur sont-elles indépendantes de celles de la ville ?
60Sur le relief particulier du site bordelais, où la présence de l’eau est à la fois l’élément générateur et la principale contrainte à l’urbanisation, la géométrie des tracés de chaque secteur est déterminée par la topographie.
61Même s’il existe une « régularisation » du niveau de la rue, l’effet « lissage » si particulier aux axes de la structure majeure n’est pas prédominant. Au niveau intermédiaire, et quel que soit le secteur, est ressenti le vallonnement ou la platitude du site. En ce sens la correspondance entre la topographie et le tracé est une permanence du mode d’urbanisation propre à Bordeaux, visible et lisible au niveau intermédiaire.
62Pour chaque secteur, le niveau de la correspondance est proportionnel aux difficultés naturelles du terrain.
63Au nord, où la topographie est vallonnée, le tracé emprunte des formes sinueuses et qui suivent comme des paliers les courbes de niveau. Quand le secteur se trouve sur un talweg, les axes prédominants s’orientent dans le sens d’écoulement des eaux pluviales. Quand le terrain est plat le phénomène est moins sensible ; pourtant nous ne trouverons pas une situation de « non-correspondance », mais un degré inférieur de déterminisme, les douces pentes du terrain contraignant l’orientation de quelques axes vers la Garonne.

Secteur Ornano
La caractéristique prédominante de ce secteur, c’est le déterminisme de la topographie sur la structuration du tracé. La régularité de la trame orthogonale a pour origine l’écoulement des eaux pluviales, dans le sens ouest-est.

Secteur Nansouty
La confrontation entre l’orientation du tracé et le relief du grand site laisse apparaître une dominante est-ouest de tracé, qui tient compte de la topographie sans que pour autant cette dernière soit contraignante. Nous sommes, à Nansouty, en présence d’un dénivelé faible et régulier, à proximité de la Garonne.
2.2(b) Modalités d’accroche au réseau primaire
64L’organisation interne du réseau de voirie de chaque secteur nous renseigne sur la perméabilité entre celui-ci et la structure majeure. De la juxtaposition de ces deux niveaux va émerger un réseau de voirie intermédiaire. Ces axes que nous appellerons raidisseurs sont des rues articulées aux extrémités au réseau majeur et irriguant le tissu interne des secteurs ; leur tracé s’apparente à la forme particulière du tissu de chaque secteur. Ils se différencient toutefois d’un réseau de niveau inférieur par la perméabilité qu’ils assurent. Ce niveau inférieur que nous qualifierons de servant est constitué par des rues qui s’articulent à des raidisseurs et qui assurent la desserte de proximité.
65Dans les secteurs étudiés, c’est par le réseau raidisseur que s’opère le saut d’échelle entre le tissu mineur et la structure majeure. D’une manière générale, c’est à partir des raidisseurs que prend forme la géométrie du maillage interne d’un secteur. Ils servent aussi à relier un secteur à un autre en franchissant les radiales. Contrairement aux axes du réseau majeur, le tracé des raidisseurs résulte des conditions topographiques, et de la consolidation progressive du tissu urbain à une échelle plus intime. Ce réseau n’est pas gravé dans la masse de la ville par une typo-morphologie aussi forte que les cours et boulevards.

Réseau raidisseur dans le secteur Nansouty

Réseau raidisseur dans le secteur Ornano

Réseau raidisseur dans le secteur Saint-Seurin
2.2(c) Organisation interne du maillage
66Deux composants urbains, les raidisseurs et les grands équipements, définissent l’organisation interne du maillage de chaque secteur : les premiers par leur tracé, et les seconds par leur emprise.
67Les raidisseurs sont à la fois le réseau de perméabilité et l’élément d’organisation majeur du maillage interne des secteurs. Leur tracé, qui pour l’essentiel suit les conditions topographiques, conditionne l’organisation du réseau mineur et la trame viaire qui donne corps à chaque maille.
68Au nord de la zone péricentrale (secteur Saint-Seurin), les raidisseurs suivent les lignes sinueuses des courbes de niveau. Ce phénomène produit une importante irrégularité du tracé et génère deux types de mailles, régulières et irrégulières :
- maillage régulier : îlots de forme quadrangulaire ou triangulaire, dont la dimension moyenne est de 120 m x 160 m ;
- maillage irrégulier : îlots de formes complexes aux multiples facettes et présentant des gabarits différents.
69L’organisation interne de ce secteur défini par son hétérogénéité contraste avec l’organisation rigide et tendue du réseau structurant.
70Dans la partie sud (secteur Nansouty), le réseau interne des secteurs s’organise à partir des raidisseurs et indépendamment du réseau majeur. Cette particularité se lit très aisément lors de l’émergence du réseau raidisseur.
71Dans l’axe est-ouest de l’espace péri-central et à l’emplacement du talweg (secteur Ornano), le tracé rectiligne des rues indique le sens d’écoulement des eaux vers la Garonne et génère une trame complètement orthogonale. La trame s’agrandit en s’approchant des boulevards, mais la régularité géométrique est conservée dans tout le secteur. Même si la maille a une morphologie différente des autres secteurs, le phénomène d’organisation de la maille par les raidisseurs qui s’adaptent aux conditions topographiques est le même.

Trame mineure dans le secteur Ornano
Le tracé rectiligne de toutes les rues génère une trame complètement orthogonale. La trame s’agrandit en s’approchant des boulevards, mais la régularité géométrique est conservée dans tout le secteur.

Trame mineure dans le secteur Saint-Seurin
Le redécoupage des raidisseurs conforte l’irrégularité du tracé, tout en renforçant l’orientation de la trame à l’intérieur de chaque zone. Ce réseau intermédiaire relie en de nombreux points, et de manière directe, la trame secondaire à la trame primaire.
72D’une façon générale, les équipements les plus importants sont implantés sur les axes structurants, et ce sont des équipements de proximité que nous trouvons implantés sur les axes raidisseurs. Un phénomène qui influence directement le maillage est lié à l’emprise des équipements. Certaines emprises foncières occupent en effet un îlot entier, avec des gabarits bâtis importants. Dans ce cas, la régularité de la maille peut se trouver altérée ainsi que la continuité des quelques voies, principalement celles du réseau servant. La confrontation des pleins et des vides met en évidence une majorité d’îlots constitués d’une masse bâtie régulière en périphérie d’îlot. Les plus grands espaces vides à l’intérieur des îlots correspondent aux emprises foncières des équipements d’échelle urbaine tels que les hôpitaux, lycées et autres. L’empreinte du bâti se révèle fortement liée à la taille des mailles. Les mailles plus petites, généralement les plus proches de la ville ancienne, présentent une masse bâtie compacte et ininterrompue. En s’approchant des boulevards, certaines zones apparaissent plus éclatées du fait d’une maille plus large. Les espaces vides apparaissent moins tenus par le bâti.

Empreinte du bâti dans le secteur Nansouty
La confrontation des pleins et des vides met en évidence la prédominance d’îlots comportant une masse bâtie régulière sur leur périphérie.

Empreinte du bâti dans le secteur Victoire sud-ouest
Les grands espaces vides à l’intérieur des îlots correspondent aux emprises foncières des grands équipements publics.
2.3 L’émergence du réseau raidisseur
2.3(a) Un réseau de perméabilité spatiale
73C’est par l’analyse hiérarchique des voiries au niveau du secteur que le raidisseur est apparu en tant que composant de la masse urbaine. De par son positionnement sur le plan de la ville et ses prolongations au-delà des limites des secteurs étudiés, il s’impose en tant que réseau.

Le réseau raidisseur à l’intérieur du péricentre
74Les éléments de ce réseau de niveau intermédiaire ne sont pas identifiables par leur gabarit ou leur tracé, mais par la perméabilité qu’ils génèrent à l’échelle de la ville. Le réseau majeur, support d’une structure d’ensemble, se caractérise par la continuité des axes et le découpage que ceux-ci font du territoire ; ils permettent de traverser l’agglomérat sans le pénétrer. Ce sont les raidisseurs qui, en franchissant les axes structurants, assurent la fonction de passage entre ceux-ci et le réseau mineur, en assurant, en même temps, le passage entre les secteurs voisins. Le réseau raidisseur assure une perméabilité entre les secteurs et à l’intérieur de chaque secteur.

Superposition du réseau raidisseur et du réseau majeur
75Le réseau raidisseur se révèle aussi comme un support de composition du tissu urbain à petite échelle. Le tracé des raidisseurs ne semble pas résulter d’une action volontaire, tels les radiales, cours et boulevards. Il semble résulter des contraintes topographiques ou d’un processus de consolidation de la masse urbaine. Articulé à partir des axes majeurs, il génère des particularités de tracé au niveau du réseau mineur.
2.3(b) Une fonction originale au sein de la structure urbaine
76Le réseau raidisseur s’affirme comme le niveau intermédiaire de l’espace péricentral bordelais, et cela à double titre :
- en tant que réseau, car il assure le passage entre la structure majeure et le réseau mineur ;
- en tant qu’élément structurant de l’agglomérat, à l’échelle du secteur.
77Les secteurs étudiés, et les critères qui nous ont conduits à les choisir, donnent l’occasion de confronter des situations différentes à l’intérieur de l’espace péricentral. Chaque secteur dévoile ses particularités, mais l’analyse à l’échelle intermédiaire révèle un même mode d’urbanisation, de constitution de l’agglomérat.
78Le degré de contingence entre la topographie et le tissu urbain s’est révélé plus important à cette échelle qu’au niveau de la structure majeure. Pourtant, entre les secteurs, des degrés différents apparaissent. Plus la topographie du terrain est contraignante pour l’urbanisation, plus le tissu va induire des géométries différentes. En ce sens la règle n’est pas liée à la répétition d’un seul type de tissu, mais renvoie à la conquête du site par des tissus adaptés à des situations topographiques diverses.
79Le raidisseur est l’élément de passage entre les différents niveaux d’échelle de l’espace urbain péricentral bordelais. Ces raidisseurs créent un réseau qui émerge au niveau du secteur et remonte au niveau de la ville. Sans avoir la continuité des axes structurants, ils adaptent leur tracé pour rendre perméable le passage au niveau mineur. Il apparaît ainsi que le tissu urbain péricentral s’organise en trois niveaux :
- niveau structurant, conformé par les grands axes qui permettent de traverser le territoire ;
- niveau intermédiaire, conformé par les raidisseurs qui rendent perméable le territoire ;
- niveau mineur, conformé par le réseau servant et les rues de desserte locale.
80La géométrie de la maille, ainsi que le gabarit, sont étroitement liés au mode d’implantation du tissu urbain sur le site. Lorsque la topographie est moins contraignante, le tissu présente des morphologies régulières, avec des gabarits d’îlots plus importants à l’approche des boulevards.
81C’est au regard de l’occupation de l’îlot que les quatre sites présentent des caractéristiques communes. Le bâti est implanté en continuité et en bordure de l’espace public, le cœur d’îlot constituant un espace privé préservé par l’hermétisme des façades. Seuls les équipements publics introduisent de la variété au niveau de l’alignement des voies, des gabarits d’îlots, et de la proportion des pleins et des vides.
3. Caractérisation du réseau raidisseur
3.1 L’identité des raidisseurs
82La poursuite de l’analyse de la substance urbaine bordelaise, par la détermination des règles de fabrication et d’articulation des différentes strates qui la composent, a permis d’isoler un élément de tracé singulier, le raidisseur.
83Analysé dans son rapport au contexte, le raidisseur est défini comme appartenant au réseau viaire secondaire, avec pour principale caractéristique de relier au moins deux axes du réseau viaire primaire.
84Structuré en réseau, il transcende les limites des secteurs délimités par le réseau primaire, tissant entre cours et boulevards une véritable « toile » qui draine et irrigue le tissu urbain.
85Le raidisseur ayant été identifié et construit à partir d’analyses cartographiques à petite et grande échelle, la présente étape de la recherche interroge l’existence de caractères spécifiques qui conféreraient au raidisseur une identité propre.
86On se propose à cet effet d’augmenter la première définition « fabriquée » du raidisseur, d’une seconde définition fondée sur les observations issues d’un travail d’arpentage et de reconnaissance de terrain, croisant lecture physique et sensible du territoire.
87Les dialectiques structure/morphologie d’un côté et perception/représentation de l’autre constitueront le fil conducteur de cet approfondissement qui doit rendre la caractérisation du raidisseur plus complète.
3.1(a) Retour sur l’analyse des secteurs
88L’exploration est conduite à la plus petite des échelles territoriales qui ont permis une première identification du raidisseur. Il s’agit de l’échelle du secteur, portion de territoire urbain délimitée par des fragments de radiales, cours et boulevards. Cette échelle de territoire se prête plus aisément au travail d’arpentage de terrain et s’accompagne d’une production cartographique à l’échelle du 1/10 000e.
89S’agissant d’un travail d’approfondissement, les secteurs précédemment analysés sont reconduits. Ces derniers, au nombre de quatre, sont :
90Ornano
91Saint-Seurin
92Victoire sud-ouest
93Nansouty
3.1(b) Critères retenus pour caractériser l’espace des rues
94Quatre types d’outils utilisés comme filtres d’exploration sont développés et appliqués aux secteurs d’étude :
La morphologie | La perception | L’articulation | Les accroches d’équipements |
largeur de la rue profil continuité et alignement du bâti hauteur du bâti en rives | caractère minéral ou végétal effet d’intériorité effet de limite ouverture du rez-de-chaussée sur rue | réseau primaire réseau secondaire micro trame effet induit sur le bâti et le traitement d’angles. | échelle de rayonnement (ville, quartier), modalités d’accroche au raidisseur |
- La morphologie : on recherche les récurrences en termes de largeur de rue, de hauteur et de profil du bâti implanté en rives.
- La perception : on explore la prédominance du minéral ou du végétal le long du raidisseur, l’ouverture ou la fermeture des rez-de-chaussée de construction sur rue par une affectation privative ou publique, et l’existence d’un effet de peau entre les espaces publics et privés induit par la façade bâtie. Enfin, l’effet d’intériorité est exploré en regard de la capacité éventuelle du raidisseur à générer une impression d’intériorité dans le secteur.
- L’articulation : il s’agit d’identifier comment l’articulation du raidisseur aux différents niveaux hiérarchiques du réseau viaire s’inscrit sur les plans spatial et territorial (marquage d’angles, transition par un espace public…).
- Accroches d’équipements : on tente de repérer des effets tels que des altérations ou des ajustements du raidisseur, qui seraient induits par l’implantation d’équipements bâtis en rive.
95Ces filtres d’analyse sont appliqués aux secteurs étudiés, ils sont renseignés puis croisés dans le but d’identifier des caractères physiques et sensibles récurrents permettant de singulariser le raidisseur de façon déterminante dans la structure urbaine.
3.1(c) Les fiches de synthèse
96Un système de présentation par fiches permet de synthétiser, pour chaque secteur étudié, les qualités spatiales propres aux raidisseurs qui ont été mises en évidence à l’issue des analyses. Les fiches ci-après correspondent aux trois premiers filtres d’analyse appliqués au secteur Saint-Seurin.

Fiche 1

Fiches 2 et 3

3.2 Les enseignements d’une lecture croisée
3.2 (a) Les caractères morphologiques des raidisseurs
97Dans certains cas, le raidisseur se présente sous la forme d’une voie à sens unique, souvent assez large pour permettre un stationnement latéral. Parfois, cette organisation est complétée par une piste cyclable.
98Une plus grande largeur de la rue peut donner un statut ambigu au raidisseur, le situant en termes de gabarit à mi-chemin entre un cours et un boulevard (secteur Ornano, rue François de Sourdis) ou au niveau d’une radiale (secteur Nansouty, rue Amédée-Saint-Germain).
99L’axe du raidisseur est généralement rectiligne. Il en résulte un tracé de rues quadrangulaire, quelquefois rigide comme dans le secteur Ornano. Exceptionnellement, le raidisseur peut présenter un tracé sinueux affirmé : c’est le cas pour la rue du Docteur-Barraud, dans le secteur Saint-Seurin.
100Les bâtiments sont en règle générale implantés à l’alignement des rues, quelle que soit leur affectation (habitation, équipement, clôture…). Toutefois, les constructions récentes marquent un retrait systématique par rapport à la rue, notamment dans le secteur Saint-Seurin.
101La hauteur moyenne du bâti semble osciller invariablement entre un et trois niveaux. En conséquence, l’impression globale est celle d’un bâti bas, en rupture d’échelle avec celui qui se déploie le long du réseau majeur. On notera, au croisement entre raidisseur et réseau majeur, un « retournement » des typologies bâties souvent hautes et cossues.
3.2(b) Les caractères issus de la lecture sensible des raidisseurs
102Le long du raidisseur : relier/connecter/distribuer/collecter
103Sur l’ensemble des secteurs explorés et à quelques nuances près (ponctuation de la rue par un jardin privatif), le caractère dominant est minéral. Souvent, on devine un « derrière la façade », principalement dans les secteurs Saint-Seurin et Nansouty. Dans d’autres cas, la minéralité est rompue à certains endroits par l’existence d’espaces publics « ordonnés », à l’image des places d’Arlac et de Rodesse, dans le secteur Ornano.
104La faible hauteur du bâti, la largeur réduite de la rue et son caractère minéral génèrent une identité sensorielle propre au raidisseur, qui ne s’estompe qu’aux articulations avec le réseau majeur. Dans la plupart des cas, la conscience et le renvoi à des échelles territoriales plus vaste sont oblitérés au profit de l’échelle locale. Plus rarement, la perception du raidisseur pourra renvoyer vers une échelle du territoire élargie. Cette sensation sera favorisée par la linéarité des rues et leur bornage par des équipements situés en dehors du secteur. Ce cas particulier est observé dans le secteur Ornano.
105La limite sensible et physique du raidisseur se ressent clairement en limite de secteur, c’est-à-dire à l’interface avec le réseau majeur. Ainsi, le bâti observe des ruptures d’échelle et de modénature, la largeur de la voie augmente et le cas échéant celle-ci s’articule avec un espace public de transition, tel qu’une placette ou un square.
106La règle générale observée pour les secteurs centraux est une affectation des rez-de-chaussée à des usages urbains, s’opérant de manière inégale le long d’un même tracé (concentration ou absence sur certaines portions du tracé). Ce phénomène tend à s’amplifier au débouché d’espaces publics majeurs, tels que la rue du Palais-Gallien aux abords de la place Gambetta, dans le secteur Saint-Seurin. Dans les secteurs plus périphérique tels que Nansouty, les rez-de-chaussée sont majoritairement affectés à de l’habitat et en ce sens, fermés à la ville.
107À l’articulation des raidisseurs : glisser/contenir/dedans/dehors
108Trois cas de figure sont explorés : il s’agit de l’articulation du raidisseur au réseau majeur, au réseau mineur, et enfin de son croisement avec un autre raidisseur.
- Raidisseur/réseau majeur : le croisement de ces deux niveaux semble se traduire à la fois au niveau de la construction et au niveau de l’aménagement de l’espace. Ainsi, au niveau constructif, on observe des effets induits sur la modénature des immeubles (plus élaborée aux croisements) et un traitement systématique des angles, souvent lissés et marqués, ou encore biseautés. Dans d’autres cas, le raidisseur s’articule à un espace public de type square, placette, ou à un évasement de la chaussée (secteur Saint-Seurin).
- Raidisseur/raidisseur : l’intersection s’illustre par la disposition, aux angles, de façades biseautées et percées d’ouvertures qui s’accompagne d’une légère rupture d’échelle au niveau du bâti (typologies plus hautes et plus élaborées).
- Raidisseur/réseau mineur : aux angles, les façades biseautées sont aveugles et peuvent être alternées par des lissages. Dans certains cas assez rares, le bâti marque un retrait par rapport à la chaussée et ménage une série de jardins. Néanmoins, le marquage du croisement n’est plus systématique et, en de nombreuses circonstances, les intersections ne sont pas marquées.
109Le faible impact spatial des équipements
110Les équipements implantés le long des raidisseurs relèvent d’une échelle de quartier. Ils n’entraînent pas de déformation notable de la maille (église Saint-Nicolas et église du Sacré-Cœur à Nansouty ; hôtel des postes et écoles à Saint-Seurin).
3.2(c) Une spatialité hybride
111La réflexion engagée sur les structures urbaines des quatre secteurs, Saint-Seurin, Ornano, Victoire sud-ouest et Nansouty, avait débouché sur une première définition « exogène » du raidisseur, en l’appréhendant dans ses rapports à un contexte local (le secteur) et élargi (le réseau viaire du grand Bordeaux).
112Les différentes observations issues de la lecture morphologique du raidisseur ne permettent pas, malgré de nombreux traits récurrents, de conclure à une identité du raidisseur qui serait largement basée sur ses caractères morphologiques.
113Aussi, contrairement au réseau majeur, le réseau raidisseur ne peut-il s’appréhender à la fois par sa morphologie et son système d’organisation. En effet, sur le strict plan morphologique, il s’apparente largement au réseau mineur, alors que dans le même temps, il est doté de caractéristiques structurantes qui font défaut au réseau mineur et que l’on retrouve dans le réseau majeur.
114À la différence du réseau majeur, le réseau raidisseur ne déploie pas de mise en scène (bornage, compositions urbaines élaborées), et oblitère les effets de limite et d’entre-deux que l’on éprouve sur le réseau majeur en raison de la largeur de ses voies et des typologies bâties sur ses franges.
115Le raidisseur se présente donc comme un élément essentiel de la structure urbaine, organisant le tissu dans sa profondeur (à l’intérieur et entre les secteurs), ne s’appréhendant pas dans sa totalité (à l’image du réseau majeur) mais au prix d’une construction intellectuelle qui croise plusieurs critères.
3.3 Conclusions concernant l’approfondissement du travail de lecture
116La présente étude tente d’approfondir cet acquis en explorant les contours d’une possible définition « endogène » du raidisseur.
117Notons que la recherche des caractères récurrents et propres au raidisseur n’a pas nécessité de saut supplémentaire d’échelle, comme ce fut le cas lors du passage de l’analyse des éclats de ville (Saint-Martial, Cypressat et Gravelotte) à l’appréhension de la zone péricentrale comprise entre cours et boulevards. Il ne s’agit donc pas de fouiller un territoire à une échelle plus fine, mais plutôt de lui appliquer une grille de lecture différente. Ce mouvement exprime le nécessaire aller-retour qui s’établit au cours de la recherche, entre un travail de fabrication mentale et de conceptualisation et l’exploration physique du territoire à chaque fois que l’une des approches atteint ses propres limites. Par ailleurs, l’étude réintroduit la lecture sensible dont il avait été fait usage pour l’analyse des éclats de ville, sous une forme qui n’est plus candide mais opère selon des critères prédéfinis lui conférant un statut d’outil d’analyse à part entière.
118Bien qu’il soit possible de poursuivre le travail de lecture du territoire urbain par strates articulées, la présente phase de l’étude démontre bien qu’à un niveau donné, seul le croisement d’une approche morphostructurelle et d’une lecture sensible est à même de restituer la complexité des observations de terrain et de nourrir le travail de réflexion.
119Il semble donc judicieux d’envisager d’approcher de nouveau la structure majeure au regard d’une lecture sensible qui en compléterait la connaissance, avant ou plutôt au lieu de promouvoir un processus d’affinage par « zooms » progressifs qui trouverait son aboutissement à l’échelle de la parcelle bâtie. À terme, il sera utile de requestionner la définition du raidisseur, dans des tissus urbains dont la géométrie viaire n’aurait pas la clarté du réseau bordelais et dans lesquels il peut être difficile de distinguer ce qui relève du réseau majeur et ce qui relève du réseau secondaire.
4. Les qualités spatiales du réseau majeur
120Les temps successifs de la recherche ont côtoyé alternativement voire simultanément deux champs différents : le domaine morpho-structurel et le domaine du sensible.
121C’est pourquoi, poursuivant ce mouvement permanent, et afin de compléter la première approche du réseau majeur effectuée principalement en termes morpho-structurels (à partir d’une lecture cartographique à grande échelle et de regards photographiques ponctuels au niveau des nœuds), une dernière étape va consister à appréhender le réseau majeur d’un point de vue sensible, non pas avec un regard neuf du jeune chercheur candide, mais sur la base des acquis et des résultats observés sur d’autres secteurs et à d’autres échelles. Il ne s’agit donc pas d’un nouveau regard « plaqué » sur la ville, mais d’une lecture de l’espace mûrie par les phases précédentes : l’expérience devient méthode.
122En lien avec le travail d’arpentage sur le terrain mais aussi dans la continuité des impressions accumulées au cours des autres phases, il va s’agir de restituer la perception des aspects suivants : ouverture de la rue, caractère minéral/végétal de l’espace, signes d’intériorité, effet de glisse ou d’accroche, effet de limite de secteur.
123Cet enrichissement de lecture s’effectuera sur des éléments linéaires du réseau majeur, soit des séquences des boulevards, des cours et des radiales. Naturellement, les éléments nodaux comme les « nœuds » et « barrières », événements ponctuels sur la ligne, sont respectivement inclus dans ces séquences et ne sont pas décrits en particulier.
124En termes de résultats, il s’avère que les perceptions dégagées par les trois éléments linéaires du réseau majeur (boulevards, cours et radiales) sont toutes trois différentes. Le réseau majeur revêt plusieurs facettes complémentaires.
125Boulevards et Barrières :
126Glisser/ouvrir/ceinturer
127– Une échelle territoriale : La largeur importante des voies, le bruit intense des voitures et la complexité de lecture des circulations, qu’elle soient piétonnes ou automobiles, rendent le boulevard inhospitalier pour le promeneur candide. En effet, l’échelle ressentie n’est pas humaine mais urbaine voire plus vaste : l’espace du boulevard s’inscrit à l’échelle du territoire car le statut de la voie renvoie à l’hinterland.
128– Glisser : Les façades sont alternativement dissimulées derrière un rideau d’arbres et se présentent parfois d’une manière discontinue. Le promeneur a le sentiment d’une lecture typologique de la ville sous forme de vitrine, mais sans lien d’organisation entre les différents éléments. Il s’agit d’un échantillonnage, d’un séquençage. Le verbe « glisser » s’apparente ici à la fuite en avant (action subie) alors que, concernant le raidisseur, le terme de glisse suggérait le lien rapide entre deux points, le but (action choisie).
129– Le rythme symbolique des barrières : Le rythme des barrières qui est repérable sur les cartes, et à qui une importance conséquente était accordée dans la première analyse morphostructurelle, est peu perceptible pour l’arpenteur, qu’il soit automobiliste ou piéton. En effet, ce rythme est plus symbolique que réel puisque la plupart des barrières n’ont plus de bâtiment représentatif et sont constituées d’un simple carrefour. Seuls les panneaux « barrière du… » avertissent au dernier moment de l’évènement. Enfin, le boulevard ne met pas en scène d’espace public structurant au passage des barrières.
130Radiales :
131Pénétrer/intercepter/lier
132– Une échelle locale (« humano-urbaine ») : De grandes longueurs bornées par des extrémités clairement marquées et une largeur de voie qui s’apparente à celle des raidisseurs confèrent une échelle humaine à l’espace des radiales bien que celles-ci aient un statut urbain.
133Cette caractéristique explique certainement le sentiment d’un début de lecture en profondeur de la ville et du tissu urbain. C’est pourquoi le terme « pénétrer » nous semble convenir. Pénétrer la ville, pénétrer une épaisseur dont la façade sur les boulevards et les cours apparaît opaque et épaisse. Sur les radiales, la façade semble plus fidèle à la réalité de l’intérieur des secteurs traversés et surtout plus franchissable.
134La radiale ménage un entrebâillement vers l’intérieur ou le corps de la ville.
135– Une construction progressive : Le tracé parfois sinueux des radiales leur confère une possibilité de lecture par petites séquences, sachant qu’il conserve un caractère plus ancien et spontané que celui des cours à la rectitude planifiée. En effet, les radiales sont bien souvent d’anciennes voies romaines, d’anciens cours d’eau, d’anciennes routes vers Toulouse, l’Espagne, Saint-Jacques-de-Compostelle, etc.
136Cours/nœuds :
137Dominer : La ville s’impose
138Il s’agit d’un contexte de centre-ville jouxtant les cours, orchestré par l’immeuble bourgeois, omniprésent. Le promeneur ressent fortement la structuration observée sur les plans : séquences courtes et rectilignes, ponctuées de places souvent minérales. Une impression oppressante de la ville qui s’impose, se représente, donne son image, envahit le piéton. Cette théâtralisation et cet effet « vitrine » ne permettent pourtant pas de préjuger l’intérieur, le « derrière la façade ». En effet, cette image travaillée est susceptible de cacher des intérieurs différents.
139Ainsi, alors que les raidisseurs proposent une coupe franche dans le tissu et une lecture de la ville en profondeur, les cours, de la même façon que la façade des quais, forment une limite, un contour, dont on ne devine pas facilement les coulisses. C’est un paysage d’apparences. Cependant, l’ouverture des commerces sur la rue est quasiment généralisée et permet une accroche plus aisée du piéton. Les devantures réconcilient le promeneur avec l’image imposante des façades.
140Il est à noter que l’approche sensible met en évidence l’importance de l’échelle ressentie dans les différents espaces ainsi que celle de l’image qui a été travaillée pour le visiteur extérieur. Les trois éléments du réseau majeur provoquent chacun une lecture particulière en regard de ces deux aspects.
Notes de bas de page
1 Terme utilisé non pas pour sa connotation sociale mais pour le style architectural et le gabarit qu’il incarne.
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