« Pas de quartier » pour les tours et les barres
La ville de la rénovation urbaine en question
p. 135-143
Texte intégral
1Le programme national de rénovation urbaine (PNRU) des quartiers prioritaires de la politique de la ville consacre la transformation spatiale des grands ensembles comme le mode d’action préférentiel de la redéfinition de leur réalité sociale et urbaine. Les corrélations instituées entre forme architecturale et urbaine, rapports sociaux et projet de société marquent l’histoire politique et urbaine des grands ensembles depuis leur origine (cf. « la grille du bonheur » de Gérard Dupont) ; la volonté affichée par le PNRU d’ajuster la typologie des grands ensembles à celle de la ville ordinaire ne peut donc être entendue comme une simple remise en cause des composants architecturaux et urbains de l’utopie progressiste des Trente Glorieuses. De même que celle-ci, le PNRU révèle une démarche idéologique d’organisation des rapports sociaux qu’il semble utile d’interroger alors que le débat est à nouveau à l’œuvre sur la capacité (ou pas) de ces formes architecturales héritées de l’urbanisme moderne de répondre aux enjeux urbains et sociaux contemporains.
2En effet, la pénurie récurrente de logements décents accessibles aux familles les plus fragiles se double depuis ces dernières années d’une augmentation importante, voire insupportable pour beaucoup, de la part des loyers dans les budgets familiaux. Des collectifs d’habitants « anti-démolition » se créent, des projets de réhabilitation urbaine d’ensembles architecturaux et urbains remarquables se multiplient et revendiquent le droit d’accéder aux aides publiques de l’ANRU sans recourir à la démolition au nom de leur valeur patrimoniale sociale et culturelle (Berland-Berthon, 2008). Parallèlement, le bilan établi par l’ANRU en décembre 2008 révèle la disparition momentanée d’un stock d’environ 28 000 logements sociaux de l’offre résidentielle à vocation sociale (86 % des démolitions prévues entre 2004 et 2008 ont été réalisées contre seulement 55 % des reconstructions).
3Le PNRU peut être considéré comme un « instrument d’action publique (IAP) », c’est-à-dire un dispositif « porteur de valeurs, nourries d’une interprétation du social et de conceptions précises du mode de régulation envisagé » (Lascoumes, Le Galès, 2004), dont la particularité est de convoquer fortement l’urbanisme dans sa double mission de réduction des inégalités urbaines et d’accroissement des valeurs urbaines (accessibilité, niveau d’équipement, entretien, sécurité, etc.). Selon le « référentiel rénovateur » (Berland-Berthon, 2004), ou la « doctrine rénovatrice » (Epstein, 2007), cette seconde mission est ici censée soutenir la réalisation de la première. Mais sur quels fondements s’appuie la politique nationale de rénovation urbaine, dont l’appel à la disparition des tours et des barres n’est qu’un des emblèmes, en conviant ainsi l’urbanisme, entendu comme « processus (des relations société-espace s’inscrivant dans des dynamiques mouvantes et concurrentielles fondées sur l’incessante recherche d’appropriation inégalitaire de la valeur foncière), procédure (car le propre de la société est d’être politique, c’est-à-dire créatrice de règles indispensables au vivre ensemble) et produit (car il n’est pas d’urbanisme sans formes concrètes d’organisation d’espaces plus ou moins densément occupés) » (Dumas, 2008), au chevet de la ville, « cet obscur objet du désir de l’État » selon l’expression de Jean Dumas ?
Des récits justificateurs pour une normalisation résidentielle des grands ensembles
4Produit social, l’espace est politique et stratégique, une fonction d’engagement des conduites sociales étant attribuée à sa structure physique. Parce que l’espace « fait société », comme l’a montré en son temps l’anthropologie structurale (Lévi-Strauss, 1955), la relation existant entre forme construite et organisation sociale est régulièrement investie par les politiques urbaines de nombreux « récits », d’histoires causales qui permettent de « certifier les hypothèses nécessaires à la prise de décision par rapport à ce qui est, en réalité, incertain et complexe » (Roe, 1994). Ceux-ci visent à justifier (c’est-à-dire à déclarer juste) le recours à des moyens d’action censés entraîner un changement, voire un renversement, de situations évaluées comme dysfonctionnelles par la mise en place de dispositifs spatiaux alternatifs.
5Deux catégories de récits sous-tendent les choix opératoires de la politique urbaine du PNRU : des « récits urbains » qui organisent une stratégie spatiale de création de valeurs en articulant nature de la forme architecturale et urbaine et qualité des rapports sociaux, et des « récits politiques » qui soutiennent cette stratégie socio-spatiale en l’articulant à un projet d’intérêt républicain de justice sociale.
6Les trois « récits urbains » identifiables correspondent à une approche anthropologique de l’espace construit et habité des grands ensembles et associent hiérarchisation des espaces et rôle social intégrateur de l’espace bâti :
7Le « récit sécuritaire » s’adosse à l’idée développée dès les années soixante aux États-Unis (Jacobs, 1961 ; Newman, 1972 ; Coleman, 1985), et plus récemment en France, que les formes d’aménagement de l’espace ont une influence sur la sécurité ou l’insécurité des lieux. Il se traduit dans le PNRU par le principe de la résidentialisation sécuritaire des immeubles collectifs situés dans l’open space des grands ensembles, selon la notion de « prévention situationnelle » (Oblet, 2008).
8Le « récit habitationnel », nourri des apports de la psychosociologie de l’espace et de la sociologie urbaine (dont A. Moles pour l’une et H. Lefèbvre, H. Raymond, P.-H. Chombart de Lauwe sont parmi les précurseurs pour l’autre), invoque l’appropriation de l’espace résidentiel par ses habitants et le retour aux valeurs d’usage comme étant une condition de l’habiter. Ce récit a pris le relais de celui plus technocratique de l’application du droit au logement, tendant à substituer à une approche quantitative des besoins une approche qualitative et culturelle par l’attention portée à l’objectif d’urbanité. Les travaux de Kevin Lynch soulignent pour leur part le rôle social intégrateur joué par la lisibilité et la capacité d’imagibilité de l’espace par la sécurité des expériences spatiales qu’elles autorisent (Lynch, 1976). Cette double nécessité ainsi élaborée d’appropriation et d’imagibilité de l’espace se traduit opérationnellement dans les projets ANRU par la création d’espaces publics, catégorie au nom de laquelle est également revendiquée la résidentialisation. Investis de vertus citoyennes et/ou civilisatrices, ils visent à organiser des rapports sociaux concurrents, voire conflictuels, par une régulation normative des pratiques urbaines. Le principe d’une hiérarchisation de l’espace de l’intime au public s’est ainsi progressivement substitué à celui de l’espace ouvert des grands ensembles aux domanialités confuses, considéré au mieux comme inappropriable et au pire comme aliénant.
9Le « récit rénovateur », qui désigne les typologies des tours et des barres comme inaptes à répondre aux besoins présents et futurs en matière de logement, est lié au précédent. La réflexion sur les typologies bâties et leur mode d’implantation, indissociable de celle concernant la valorisation des espaces publics, considérés comme une articulation rendant intelligible la structure urbaine, est issue des enseignements de l’école italienne de typo-morphologie (S. Muratori, C. Aymonino, A. Rossi, V. Gregotti, et ses héritiers Ph. Panerai, B. Huet, Ch. Devillers). Ceux-ci soulignent le danger de la perte du rapport morphologie-typologie dans la ville moderne, un rapport qui est considéré comme la condition du fonctionnement des « types » comme structure signifiante dans l’espace urbain (Devillers, 1974). Cette troisième catégorie de récit spatialisant prône la démolition des tours et des barres de logements et leur substitution progressive par des typologies de maisons individuelles, maisons de ville et petits immeubles collectifs. Le dernier bilan annuel (décembre 2008) de l’ANRU (Agence nationale de rénovation urbaine) fait ainsi apparaître que 53 % des démolitions inscrites à la procédure d’engagement du PNRU jusqu’en 2013 concernent des immeubles du R+7 au R+10 et plus. Du point de vue de la reconstitution de l’offre, 96 % porte sur l’individuel jusqu’au R+6, et 4 % sur du R+7 au R+10 et plus. Adossé au modèle culturaliste de la ville historique (rue, îlot/parcelle et cœur d’îlot), ce principe de composition urbaine traduit une double impulsion d’intimisation de l’espace résidentiel, conçue comme une valorisation de la cellule familiale (et évoquée par la référence faite par Jean-Louis Borloo au « nid des mamans »), et d’intégration sociale et urbaine des grands ensembles et de leurs habitants par leur mise en continuité physique et culturelle avec la ville.
10Trois « récits politiques » de justice sociale soutiennent pour leur part le processus de normalisation résidentielle des quartiers dits « sensibles » :
11Le « récit égalitariste » est illustré dans le PNRU par le slogan « faire des grands ensembles des quartiers comme les autres ». Le principe d’égalité, ici transféré du social à l’urbain, est en théorie une valeur majeure, constitutive du contrat social existant entre un État républicain et ses citoyens, qui exige que chacun d’eux soit traité avec une égale considération et bénéficie d’une égale liberté d’accès aux biens fondamentaux. Le droit au logement et le droit à la ville, consacrés comme tels par la loi en 1990 et 1991, appartiennent à cette catégorie et relèvent du principe de « juste égalité des chances » (Rawls, 1971). Si le PNRU n’a pas pour objectif de traiter les inégalités sociales individuelles, il a celui de créer des conditions de vie favorisant une accessibilité plus égalitaire à des valeurs urbaines considérées comme une ressource possible de progrès social pour les individus. Le choix de la normalisation sociale et urbaine des grands ensembles par leur déspécialisation sociale (diversification des statuts des logements) et typologique correspond à ce mode de réduction des inégalités urbaines, définies comme « le résultat d’un processus structurel, objectif et non intentionnel » (Oberti, 2007). Alors que la loi SRU (Solidarité et renouvellement urbain de 2000) recherche une plus juste répartition des logements sociaux dans les agglomérations, le PNRU encourage pour sa part le retour des classes moyennes dans les quartiers de la politique de la ville, ce processus à double entrée étant soutenu par la rhétorique de la mixité, présentée comme une valeur urbaine fondamentale de la ville républicaine.
12Le « récit compensatoire » complète le précédent selon le principe que l’idée d’égalité consiste également « à estomper ou à compenser le poids du passé pour rendre moins inégal l’avenir » (Fitoussi, Rosanvallon, 1996). Le fait qu’il soit désormais admis que ces quartiers ont fait l’objet de pratiques discriminatoires au regard d’autres parties de la ville plus favorisées (entretien, aménagement, équipements, etc.) renvoient à la reconnaissance d’un « processus intentionnel de traitement inégal » (Oberti, 2007). Il est de même considéré que le bien-être des habitants des quartiers sensibles est affecté par un cadre de vie sur lequel ils n’ont pas de prise et qui handicape leur avenir, deux situations justifiant la mise en œuvre d’actions compensatoires au nom du principe d’égalité des chances (plan gouvernemental « respect et égalité des chances » pour les banlieues de 2007) et d’équité. Justifié par la rhétorique de l’urgence et de l’efficacité financière, ce récit conduit à substituer aux périmètres d’action hérités des dispositifs précédents de la politique de la ville (sites des contrats de ville, des ZUS et des GPV) un nouveau ciblage géostratégique de l’action urbaine compensatoire sur des sites dits « prioritaires ». En réalisant un quasi-ajustement du périmètre d’intervention aux formes urbaines et aux domanialités des grands ensembles, et en y concentrant l’ensemble des efforts financiers publics nationaux et locaux, le défi de leur normalisation urbaine doit pouvoir être relevé.
13Un récit « utilitariste » constitue un troisième point d’appui à cette politique. Alain Euzéby définit l’utilitarisme comme une doctrine « conséquentialiste » – qui s’intéresse aux conséquences des actions, politiques et institutions, appréciées en termes d’utilité – les décisions prises en son nom étant considérées comme « socialement justes lorsqu’elles contribuent à la maximisation de l’utilité collective, celle-ci étant entendue comme la somme des utilités individuelles » (Euzéby, 2002). L’utilité collective de la politique de rénovation urbaine est référée à son engagement à la réalisation du projet de cohésion politique et sociale (ville solidaire) porté par la loi SRU, la cohésion étant une valeur investie de vertus socialement pacificatrices. Ainsi la transformation des quartiers par leur rénovation, censée permettre l’amélioration des conditions de vie de leurs habitants (utilité individuelle), est investie d’une fonction contributive à l’amélioration de la condition urbaine de l’ensemble des habitants de la ville.
Un projet de réduction des inégalités à l’épreuve des faits
14Si ces récits permettent de donner sens à l’action publique et de construire les conditions de la recevabilité sociale et politique du PNRU, leur mise en œuvre emboîtée soumet cet édifice argumentaire à l’épreuve des faits et soulève des questions quant à la nature des enjeux qui sous-tendent le projet de normalisation résidentielle des quartiers sensibles. Deux hypothèses apparaissent qui conduisent à considérer que, selon l’objectif suivi, le PNRU ne présente pas le même niveau d’efficacité :
15Si le PNRU fait un objectif en soi du repositionnement des quartiers et des communes de la politique de la ville ainsi que du patrimoine immobilier et foncier des bailleurs sociaux dans une logique de marché urbain, le processus engagé apparaît efficient. La fragmentation marchande des domanialités des grands ensembles soutenue par les « récits spatiaux » et leur ajustement typo-morphologique aux formes architecturales et urbaines de la ville ordinaire ont permis de diversifier les « produits logements » des quartiers ANRU. Dans de nombreux cas, cette diversification s’est surtout faite au profit des habitants des quartiers. Cependant, dans les villes où les politiques locales d’aménagement de droit commun, soutenues par le « récit compensatoire », ont financé le désenclavement de ces quartiers par l’aménagement de transports en commun performants, le processus de création de valeurs urbaines et patrimoniales (augmentation du coût du foncier, des valeurs locatives immobilières, nouvelle attractivité des communes pour des opérateurs privés) est avéré (exemple de la rive droite de l’agglomération bordelaise). Le déficit notable de débat public contradictoire au niveau local sur les modalités du PNRU, considéré comme un levier pour des stratégies urbaines et patrimoniales, témoigne de leur adéquation aux attentes des acteurs de sa mise en œuvre opérationnelle. Thomas Kirszbaum considère à ce sujet que cette politique « s’attache à réaliser une égalité de résultats entre territoires plutôt que l’égalité des chances entre habitants » (Kirszbaum, 2004).
16Si le projet du PNRU fait de ce processus de réduction des inégalités territoriales un moyen de servir le dessein plus large d’équité sociale auquel il se réfère, le bilan est plus mitigé. William Le Goff s’interroge sur le « projet néolibéral » de la rénovation urbaine (Le Goff, à paraître) et cite Xavier Desjardins : « Il ne s’agit plus de fournir à chacun un logement mais de s’assurer que chacun se loge de la manière la plus utile à la société de concurrence » (Desjardins, 2008). Le bénéfice global de la politique de rénovation urbaine semble effectivement passer par la production d’une certaine inégalité sociale « acceptable » (suppression, non compensée, d’une partie de l’offre locative à loyers bas, accentuée par la diminution des surfaces et du nombre de pièces des logements reconstitués et une augmentation générale du niveau moyen des loyers). Le constat est également partagé sur le fait que le bénéfice individuel des relogements profite en priorité aux habitants les moins dépendants du système assistanciel du droit au logement.
Pour « a-juster » la ville de la rénovation urbaine à ses récits
17Comment pourraient être ajustés les principes d’un PNRU, majoritairement partagés entre l’État, les bailleurs et les élus locaux, chacun trouvant son intérêt dans les valeurs auxquelles il se réfère, à une éthique de la justice sociale mieux dirigée vers ceux au nom desquels ils ont été élaborés ? Deux orientations se dessinent en ce sens.
18La première consisterait à intégrer concrètement dans le processus de rénovation urbaine de ces quartiers habités la dimension anthropologique sous-jacente aux « récits spatiaux » du PNRU. La pondération de la croyance dans les effets bénéfiques d’un parcours résidentiel ascendant (mécaniste, déspatialisé, quantitatif et conçu de l’extérieur), par la notion de « projet résidentiel » (individuel, qualitatif et conçu de l’intérieur), plus respectueux du lien social, pourrait redonner aux habitants des quartiers en rénovation une place dans ce processus dont tous semblent, en apparence, regretter qu’ils ne l’occupent pas. Les expériences françaises de participation des habitants au projet de transformation de leur quartier se sont, à de rares exceptions, limitées dans les projets ANRU aux temps du deuil (ateliers « mémoire ») et du relogement. L’appel de Jean-Michel Bloch-Lainé en 1980 pour un habitant « expert de son cadre de vie » (Berland-Berthon, 2009) reste lettre morte. « Si nous ne sommes pas contre la rénovation de nos villes et de nos quartiers, ces démolitions apparaissent le plus souvent comme un gaspillage humain, économique et social », ainsi s’exprime la « Coordination anti-démolition des quartiers populaires » créée en 2001 à l’initiative du collectif de la Coudraie et du collectif de Genevilliers. Ces habitants mobilisés pour défendre « leur » droit au logement et « leur » droit à la ville ont une autre lecture de la valeur urbaine de leur quartier qui interpelle l’interprétation qu’en ont les « bâtisseurs ». Le LSUG (laboratoire de sociologie urbaine générative) du CSTB développe des recherches en ce sens et insiste sur la nécessité de fonder la requalification et la gestion urbaine des quartiers sur une analyse du sens de l’espace urbain et de l’habitat pour leurs usagers (Allen, 2008). La question a été posée en 2003 aux habitants du quartier de Thouars à Talence (33) : « souhaiteriez-vous que soient démolies les tours et les barres de votre quartier ? » La réponse de la plupart des habitants est à méditer : « C’est à ceux qui y habitent qu’il faut le demander ! » Des démarches alternatives de « revivification de quartier » sans démolitions sont pourtant mises en œuvre avec succès dans d’autres villes européennes, confrontées à un même souci de requalification d’un cadre de vie dévalorisé de nature comparable, en faisant appel à la « compétence habitationnelle » des habitants (Bernard, 2006).
19La seconde orientation concerne deux points du mode opératoire du PNRU qui réduisent son efficacité en termes d’équité sociale et territoriale : le choix de ses outils évaluatifs et le choix du niveau de contractualisation de sa politique (la commune). La « réduction des écarts » et le retour au « droit commun » s’élaborent et s’évaluent à l’aune d’indicateurs sociaux qui mesurent les caractéristiques socio-professionnelles des quartiers sensibles et les comparent au reste de leur agglomération d’implantation. L’Observatoire national des zones urbaines sensibles (ONZUS), instrument d’observation et d’étalonnage de cette politique, est ainsi censé lui donner une dimension objective qui conduit à faire de l’espace urbain une « abstraction rationnelle », reproche fait en son temps à la politique des grands ensembles… En parallèle, la mesure locale et nationale de l’évolution du nombre de logements à faible loyer disponibles dans le parc social après six ans de politique de rénovation urbaine n’apparaît pas dans les rapports publics de l’ONZUS et de l’ANRU. Généralement capitalisée au niveau local (bailleurs sociaux, associations régionales USH, DDE) et national (Union sociale de l’habitat), cette information est inégalement sollicitée et transmise. De même, les « revues de projet » ANRU permettant d’évaluer l’état d’avancement du contrat entre ce dernier et les communes, ne la mentionnent que de façon irrégulière selon les sites (lors de points d’étape permettant de négocier un avenant au contrat de rénovation urbaine). La mise en œuvre du droit au logement pour tous se trouve de fait laissée à l’appréciation de politiques locales de l’habitat qui disposent tout aussi inégalement de cette connaissance. Les CUCS (contrat de cohésion sociale), qui doivent ajuster démarches de valorisation urbaine et enjeu politique d’équité sociale, peinent à jouer leur rôle de cadre contractuel pour des « projets intégrés ». Le choix, majoritairement réalisé par l’ANRU, d’une contractualisation avec les communes et non avec les institutions intercommunales chargées de l’élaboration des PLH (programmes locaux de l’habitat), ne permet que trop rarement à ces projets de participer à la construction d’un intérêt et d’une conscience communautaires autour des enjeux du droit au logement auxquels pourtant chacun se dit sensible.
20Il serait réducteur d’assimiler le projet de destruction progressive des tours et des barres de l’espace des grands ensembles à un traitement urbain des questions sociales permettant d’affaiblir la perception des inégalités sur la scène publique (locale et nationale) en s’attachant à en réduire la visibilité. Cependant, la politique de rénovation urbaine ne pourra justifier longtemps son appartenance au trousseau des politiques publiques de justice et de cohésion sociales, ni rompre clairement avec l’urbanisme « statistique » (Vayssière, 1998) ayant présidé à la construction des grands ensembles, sans ajuster ses règles d’action aux références dont il se réclame.
Bibliographie
Trois publications de l’auteur
Berland-Berthon Agnès, La démolition des immeubles de logements sociaux. Histoire urbaine d’une non-politique publique, CERTU, août 2009, 488 p.
Berland-Berthon Agnès, « Les grands ensembles, des quartiers pas comme les autres », in Vallat Colette, Delpirou Aurélien, Maccaglia Fabrizio, (coord), Pérennité urbaine ou la ville par-delà ses métamorphoses, volume II, Turbulences, actes du colloque international des 15 et 16 mars 2007, Paris, LOUEST UMR 7145/MOSAÏQUES, Paris, L’Harmattan, 2008, p. 255-268.
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Auteur
Maître de conférences à l’Université Michel de Montaigne-Bordeaux 3, UMR ADES du CNRS
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