Introduction
p. 25-27
Texte intégral
1Cette première partie de l’ouvrage rassemble des textes qui sont nourris des représentations scientifiques de la ville ; considérons leurs langages comme des sémiotiques. La sémiotique est ici entendue comme la fonction cognitive qui recouvre le langage, les représentations symboliques, les images etc., autant de fonctions nécessaires à la pensée. La caractéristique commune de ces textes réside alors dans l’élucidation de significations et de sens du vivre et du faire la ville qu’ils soient scientifiques, professionnels, politiques et plus largement publics.
2Ces réflexions renvoient à deux problématiques en apparence distinctes, mais qui se rejoignent fondamentalement dans une perspective constructiviste. D’une part la problématique du sens de la ville élaboré par les acteurs, et d’autre part la problématique des discours scientifiques qui construisent leurs propres langages savants sur la ville. Ces éclairages proviennent certes d’horizons scientifiques et professionnels différents. Mais ils se répondent dans un enchaînement logique qui questionne les apparences, les structures de sens des ordres cachés et la construction en elle-même des récits et des langages sur la ville en construction. Ces textes sont donc fondamentalement porteurs des représentations connexes qui influencent tout acteur urbain lorsqu’il aborde l’analyse de la ville. Leur confrontation témoigne de la richesse des pensées sur l’objet ville.
3Trois axes vont organiser la présentation de ces langages scientifiques et professionnels sur la ville. Le premier axe est consacré aux Apparences et structures. Il cerne le rapport du chercheur et du citadin avec la spatialité, qu’elle soit forme, espace public, espace artistique, ou matérialité formellement élaborée ou métaphorique. Thierry Paquot et Michel Pétuaud-Létang, le philosophe et l’architecte, se retrouvent sur la question de la représentation, lorsque la ville se donne à voir. Elle est à la fois motif artistique, configuration du travail urbanistique et toujours regard culturel et social d’une période sur son urbanité. Cette attention sémiotique à la dynamique constitutive de la ville se rapporte à un enjeu majeur : celui des faux-semblants de la représentation. En effet dans les discours autant que dans les usages, l’urbain semble envahir et recouvrir la ville. Tel est le constat de Guy Burgel qui souligne que les significations de la révolution urbaine contemporaine sont masquées par le voile des apparences paysagères. Pour répondre par les savoirs et l’action à la révolution urbaine contemporaine il convient de retrouver cette tension majeure entre la ville et la grande transformation de civilisation du temps présent. Ces pièges de la représentation instituée dans la pensée publique sur la ville (et parfois scientifique), sont tour à tour envisagés par Richard Desnoilles, Jean-Marie Billa et Daniel Latouche. L’image de la ville en tant que produit imaginaire ou production publique et technique de la communication risque de s’autonomiser par rapport à la ville réelle. C’est cette dérive que Richard Desnoilles nous laisse entrevoir. Pour Jean-Marie Billa, élu municipal et architecte, la ville héritée et vécue qui recycle son patrimoine historique matériel ne peut éviter de renouer une alliance entre la matérialité des fonctions et la ville immatérielle des représentations habitantes du cadre ancien. Le piège de la réification patrimoniale serait alors la mort de la ville en tant que partenaire anthropomorphisé. La fragilité du lien sémiotique entre le vivre et le dire est également cernée dans le texte de Daniel Latouche. Les espaces de l’art dans la ville sont souvent plébiscités comme modèle de la nouvelle sociabilité urbaine. Ils sont à ce titre encouragés par les pouvoirs urbains. Mais ces lieux éphémères reposent sur des liens sémiotiques faibles. Il n’est pas certain qu’entre les territorialités habitantes et les dispositifs plus ou moins équipés de l’art dans la ville la force des liens faibles chère à Durkheim puisse tisser une ville forte de ses images. Le piège sémiotique est aussi celui des langages techniques et publics quant à la place réinventée des espaces publics comme lieux supposés promoteurs du vivre ensemble. Ce piège sémiotique est aussi induit par les significations de la forme urbaine des espaces publics actuels. Il pourrait s’apparenter au décor simulacre, normatif et contrôleur du village de la série télévisée de Georges Marstein et Patrick Mac Goohan, Le Prisonnier. Laurence Liégeois décrypte la notion de disneylandisation de l’espace tout en la précisant, ainsi que les appauvrissements culturels et sociaux des espaces publics dans les récents projets d’urbanisme au risque de la thématisation de l’espace.
4Avec le second axe formes : espaces publics, métropolisation, Annick Germain, Jean-Pierre Augustin, Gilles Sénécal et Guy Di Méo nous font comprendre que toute superposition sémiotique entre le lieu dit « public » dans l’acte d’urbanisme et la vie publique des pratiques sociales est illusoire. La production d’espaces publics pensés en tant que tels par l’urbanisme « sélectif », sous l’influence conceptuelle et d’abstractions philosophiques sur l’espace public démocratique, ne suffit pas à rassembler les formes sociales fragmentées, ou qui se défont de la ville vécue. L’aporie d’une certaine sémiotique pourrait faire ignorer dans la production urbanistique les significations citadines nécessaires aux pratiques sociales de la ville. Pierre Sansot qui préférait le mot de ville à celui d’urbain présentait cette possible réification sémiotique.
5La nouvelle urbanité comme événement géographique travaille cachée comme un ordre de l’obscur, du dissimulé qui préfigure une recomposition de la ville dans ses spatialités et ses logiques d’action. Avec la thèse de la métropole de la « modernité trois », Jean-Paul Ferrier propose une nouvelle grille de lecture qui engage indissociablement l’espace en mutation et la géographie comme science contractualisante des nouveaux rapports société espace. C’est alors la recherche nécessaire d’un mode relationnel efficient entre les sciences humaines et sociales, le monde politique et la société, au sein des nouveaux systèmes d’actions des politiques urbaines. Jean-marc Offner cerne les ententes raisonnables et possibles pour valoriser les nouveaux rapports nécessaires entre le savant et le politique de la production de la ville. Toutefois les pensées sociales, publiques et savantes relèvent de représentations de la ville qui sont spécifiques. Cette diversité des sémiotiques et les risques des amalgames trompeurs sont un des enjeux de la recherche sur les représentations sociales dans l’agir spatial (Michel Favory). Parce que distinctes dans les logiques cognitives de leurs représentations, les pensées sociales, publiques et savantes ne sauraient s’ignorer sans se confondre. L’obscur et le dissimulé sont ainsi des sémiotisations que le savant mobilise pour découvrir les silences apparents et non moins opératoires de l’espace et de la décision. L’imprévisible au cœur des stratégies d’action, dont les avatars sont aussi des opportunités, peuvent enrichir la pensée sur le projet et l’action collective. Jean-Claude Margueritte, en soulignant la part du work in progress dans la pratique de l’aménageur, montre que le concret de l’action n’exclut pas, loin de là, la prise en compte des logiques multiples et cachées qui s’intègrent au projet. Les structures cachées enfin sont aussi constitutives d’une ville capable de mouvoir ses propres forces pour se reconstruire. Ces structures invisibles sont décelables pour Claire Parin dans les pratiques de déplacement et les usages sociaux des tracés comme révélateurs d’une sémiotique des langages des figures matérielles de la ville. S’affranchir de la forme socio-spatiale urbaine stigmatisante telle que celle des grands ensembles du logement social relève d’une stratégie discursive de justifications urbaines et idéologiques. Agnès Berland-Berthon, au travers d’une analyse des langages des acteurs de la politique de rénovation urbaine des quartiers prioritaires de la politique de la ville, montre qu’en mobilisant des sémiotiques distinctes la politique de rénovation des quartiers prioritaires repose encore sur des accords stratégiques très partiellement établis.
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