Les élites francophones au canada fin xixe siècle - fin xxe siècle
p. 213-224
Texte intégral
1Les études sur le personnel politique canadien en général, francophone et québécois en particulier, sont relativement récentes. Elles sont menées par les politologues ou les sociologues dans la lignée des travaux de la science politique américaine sur les élites.
2Dans le contexte très particulier de la Révolution Tranquille des années soixante, les chercheurs québécois se sont d'abord intéressés à l’étude des idéologies et des partis politiques avant celle du personnel.
3Les recherches prosopographiques sur les parlementaires et les ministres francophones s'inscrivent dans une quête identitaire pour ces représentants d'une minorité au Canada mais d'une majorité au Québec.
4Il s'agit donc ici de montrer l'importance des recherches québécoises sur le personnel politique, de présenter les outils de travail essentiels, soit de dresser un état des lieux et de donner les premiers résultats à partir d'études récentes sur le personnel parlementaire et le personnel ministériel dans une perspective chronologique comparatiste, fin xixe - fin xxe siècles.
5Cette étude est centrée sur les institutions provinciales, Assemblée législative provinciale, conseil des ministres du gouvernement provincial même si des apports intéressants relatifs aux institutions fédérales sont mentionnés.
I - UN ETAT DES LIEUX : L'EVOLUTION GENERALE
6L'étude du personnel politique est un champ relativement peu exploré jusqu’aux années soixante-dix. L’ouvrage classique de John Porter : The vertical Mosaic : an analysis of social class and power in Canada1 date de 1965. Beaucoup plus nombreuses sont les analyses électorales ou institutionnelles.
7Les politologues québécois appliquent au Québec la théorie des élites, ce qui dans le contexte particulier de l'affirmation de l'identité québécoise et de l’indépendantisme n'est pas dénué d'arrière-plan idéologique.
8Le texte de référence est celui de Robert Boily, professeur de sciences politiques à l'Université de Montréal qui a pour titre : « Les hommes politiques du Québec, 1867-1967 »2 et qui est publié en 1967 dans la Revue d'Histoire de l'Amérique Française. La revue Recherches sociographiques avait consacré un an auparavant, soit en 1966, un numéro spécial sur « Le pouvoir dans la société canadienne française »3 à la suite d'un colloque tenu à l'Université Laval. La revue publie assez régulièrement des articles sur ce thème. Citons également deux ouvrages de référence publiés à dix ans d'intervalle par Boréal Express. Le premier sous la direction de Richard Desrosiers date de 1972 et s'intitule Le personnel politique québécois4, le second sous la direction de Vincent Lemieux, professeur à l'Université Laval, a pour titre Personnel et partis politiques au Québec en 19825.
9Les approches théoriques sont complétées par des études prosopographiques. Citons celles de Robert Boily sur les parlementaires, réactualisées par Régent Pelletier, celles de Vincent Lemieux sur les membres des partis politiques, de Jean Hamelin et Louise Beaudouin sur les cabinets provinciaux, de Jean-Pierre Béaud sur les membres du Parti québécois, de Guy Bourassa sur les élites politiques municipales de Montréal. Bien d'autres travaux sont en cours et aucune université francophone n’a le monopole de ce type d'enquêtes.
10Les sources et les outils de travail posent problème dans le cadre d'une étude comparée entre deux fins de siècles. Robert Body regrettait en 1967 que des dépouillements systématiques n'aient pas été réalisés et fait lui-même des réserves sur la fiabilité de ses conclusions. Le chercheur dispose cependant de nos jours, d'instruments de travail utiles tel que Le guide parlementaire historique de la province du Québec de 1792 à 1902 de Desjardins, le Répertoire des parlementaires québécois 1867-1978 publié par l'Assemblée nationale, plus récemment L'Annuaire politique du Québec6.
11La multiplication des sources et l'utilisation des méthodes informatiques permettent ainsi la réalisation d'enquêtes de grande ampleur comme celles de Régent Pelletier sur les parlementaires, qui propose une codification des députés québécois de 1976 à 1981.
12Ces travaux proposent tout d'abord une périodisation.
13L'acte de l'Amérique du Nord britannique de 1867 est important car s'il confirme la mise en minorité des Francophones dans un espace britannique, il leur permet d'assurer leur pouvoir au Québec par la création d'un Etat provincial avec ses institutions propres. L’étude du personnel politique francophone s'inscrit donc dans une double structure, fédérale et provinciale. Si la représentation des Francophones croît dans les institutions fédérales depuis 1867, elle ne signifie pas pour autant réel pouvoir décisionnel et Robert Boily utilise le terme de « simple groupe de pression ethnique »7. Par contre les Canadiens français ont une représentativité qui dépasse les 90 % dans l'Assemblée législative provinciale depuis 1944. Il en est de même au Conseil des ministres. De 1867 à nos jours seuls deux premiers ministres provinciaux furent de langue anglaise, John Jones Ross en 1884 et Edmund James Flynn en 1896. Les Canadiens anglais représentent à peine 10 % des cabinets provinciaux depuis celui de Maurice Duplessis en 1936. L'appareil politique provincial est donc depuis le début du siècle très largement entre les mains des Francophones et le personnel politique canadien français s'identifie au personnel politique québécois d'où l'importance de l'histoire politique provinciale et des mutations économiques pour expliquer l'évolution de ce personnel jusqu'à nos jours.
141920 marque pour Robert Boily comme pour Jean-Charles Falardeau un tournant important. 1920 est marqué par le passage des élites dites traditionnelles (aristocratie, églises, professions libérales traditionnelles, médecins, juristes et notaires) aux nouvelles élites qui se sont imposées avec l'industrialisation du Québec et l'émergence des classes moyennes.
15A partir de 1920 les institutions politiques sont contrôlées par une nouvelle élite qui se substitue à la haute bourgeoisie, c'est-à-dire les représentants de la classe moyenne supérieure disons « l'homme politique de métier »8 et ce jusqu'à la fin des années soixante. L'étude de Robert Boily s'arrête en 1967. Il souligne la permanence de cette élite dans les régimes très différents de Maurice Duplessis (1936-1939 et 1944-1959) et de Jean Lesage (1960) et de Daniel Johnson (1966), les premiers ministres de la Révolution Tranquille.
16La professionnalisation du métier d'homme politique est directement liée à l'importance croissante des partis politiques depuis le gouvernement d'Alexandre Taschereau de 1920. Par ailleurs, l’ancienne élite traditionnelle incarnée par la haute bourgeoisie s'est détournée de la politique pour exercer un pouvoir tout aussi influent dans d'autres secteurs : « les conseils d'administration », écrit Robert Boily, « ont remplacé les conseils des ministres »9.
17Régent Pelletier, s'il accorde la même importance au tournant de 1920, constate une deuxième mutation à partir des années soixante qui se sont accélérées avec l'arrivée au pouvoir du Parti québécois de René Lévesque en 1976. Régent Pelletier explique le changement par la variable partisane.
18En effet si « le parti québécois est à peu près aussi élitiste que le parti libéral »10 — entendons peu représentatif de la société — il existe des différences dans la distribution. Le secteur public et le champ culturel sont bien représentés au parti québécois pendant que le parti libéral privilégie le secteur privé et le champ économique. Après 1970 le Parlement voit l'arrivée de députés péquistes qui sont majoritairement des intellectuels ou plus précisément des « communicateurs » soit des enseignants, des journalistes et des personnalités liées au monde culturel. Régent Pelletier écrit :
« A l'exemple de la IIIe République en France qui avait besoin de professeurs pour diffuser l'idéal républicain dans toutes les parties de la France, y compris dans les coins les plus reculés de la France rurale, le parti québécois peut compter sur un grand nombre de communicateurs pour diffuser dans le Québec l'idéal de la souveraineté »11.
19Ainsi les grandes mutations du personnel politique québécois sont liées aux dates importantes de l'histoire provinciale : 1867 avec l'instauration des institutions provinciales, 1920 avec les changements économiques du Québec, qui est marqué par l'industrialisation, et 1970 avec la transformation encore plus radicale de la société québécoise pendant la Révolution Tranquille et l'émergence d'un parti qui se veut l'expression d'une idéologie ou tout au moins défenseur de l'idéal souverainiste et indépendantiste.
II - PARLEMENTAIRES ET MINISTRES FRANCOPHONES
20Les travaux précis sur les parlementaires et les ministres permettent d'affiner les conclusions générales sur l'évolution du personnel politique.
21Robert Body pour la période 1867-1967 et Régent Pelletier pour la période plus récente à partir de 1976 ont mené des enquêtes prosopographiques sur les parlementaires. L'âge, la scolarité, l'occupation professionnelle sont les critères retenus. Régent Pelletier introduit davantage la variable partisane pour la période plus récente essentiellement pour comparer le député du parti libéral à celui du parti québécois. Robert Boily mais aussi Jean Hamelin, Louise Beaudouin ont mené des enquêtes sur les ministres. Des sources récentes telles que l'Annuaire politique du Québec et des travaux d'étudiants de maîtrise12 ont permis l'actualisation des résultats.
1 - Critère de la francophonie :
22A la fin du xixe siècle, le conseil des ministres provincial est majoritairement composé de Francophones. Les Canadiens anglais qui représentaient 25 % à la fin du siècle dernier tombent même à 12 % dans le gouvernement libéral d'Alexandre Taschereau en 1920. Le gouvernement libéral de Robert Bourassa du 11 octobre 1989 comprend 4 ministres anglophones sur 30. Les Francophones sont également bien représentés dans le gouvernement fédéral. L'étude de Corinne Doucet, qui porte sur les ministres francophones dans les gouvernements fédéraux du gouvernement Trudeau du 20 avril 1968 au gouvernement de Brian Mulroney du 17 septembre 1984, établit une moyenne de 26,5 % de ministres francophones (46 sur 173 ministres en 1968, 13 sur 50 dans le gouvernement Mulroney).
2 - La féminisation
23La composition des ministres fédéraux ou provinciaux fait apparaître une minorité de ministres femmes en même temps qu'une progression. Au gouvernement fédéral, 7 sur les 46 ministres francophones dans la période 1968-1984 sont des femmes mais 4 dans le seul gouvernement de Brian Mulroney. Dans le conseil des ministres provincial la présence de ministres femmes est plus élevée : 6 sur 30 dans le gouvernement de Robert Bourassa soit 20 %, ce qui est un record. Lise Bacon est notamment vice-Premier ministre et ministre de l'Energie et des Ressources. Le monde politique, semble-t-il, s'engage lui aussi dans la féminisation de ses élites sous l'influence des associations féministes très actives au Canada.
3 - Le critère de l'âge
24On constate globalement un rajeunissement du personnel politique à partir de 1975 avec une accélération dans les années quatre-vingts. L'âge moyen des députés est de 42 ans en 1867, 46 en 1904, 49 en 1960 et 1965 et retombe à 42 ans en 1976. En 1976 et 1981 aucun candidat de 65 ans ou plus n'a été élu et comme le souligne Régent Pelletier, l'élection de députés très jeunes comme Claude Charron, Michel Pagé à 23 ans, Gilles Baril à 24 ans, Denise Leblanc-Banley à 26 ans, s'ils constituent une exception, ne surprennent plus.
25Les élections du 25 septembre 1989 montrent qu'un seul député a dépassé les 65 ans (membre du parti Egalité) ; aucun n'atteint cet âge dans le parti libéral et le parti québécois et ce depuis 1976.
26Les moins de 45 ans constituent la majorité des députés environ 56 % entre 1970 et 1981. Le rajeunissement est cependant plus marqué dans le parti québécois qu'au parti libéral. Aux élections de 1981, les chefs de parti ont le même âge (René Lévesque a 59 ans et Claude Ryan 56 ans) mais le parti québécois recrute près de la moitié de ses députés dans la branche 35-44 ans et le parti libéral dans la tranche 45-54 ans. Le phénomène était encore plus net aux élections de 1976.
27Le rajeunissement global des députés contraste avec le vieillissement général de la population ; il s'explique par l’abaissement de l'âge électoral en 1966 de 21 à 18 ans, par l'instabilité politique (aucun gouvernement n'a pu conserver le pouvoir durant plus de deux mandats depuis 1960) qui provoque des remises en question et donc l'émergence de nouveaux leaders, par l'engagement des jeunes dans le parti québécois comme le montre le sociologue Jacques Lazure13. En effet, le parti québécois a recruté son électorat chez les moins de 45 ans et surtout dans la tranche d'âge 25-34 ans. Il a bénéficié donc en premier lieu du rajeunissement.
Age des députés selon le parti en 1981

Source : pelletier r., « Le personnel politique », Recherches sociographiques. XXV, I, 1984, pp. 83-102, p. 86.
28Par contre en 1989, il perd le monopole de la jeunesse au profit du parti libéral. Cette situation reflète l'usure du parti québécois, l'échec de l'idée d'indépendance et le vieillissement de ses cadres. Cette analyse peut être remise en question par l'évolution politique récente du Québec qui, après l'échec des accords du Lac Meech, pourrait devenir indépendant.
29En attendant, cet état de fait limite l'effet du rajeunissement constaté avant 1989. Pour l'ensemble des partis, le pourcentage des députés de moins de 45 ans tombe de 56 à 46 % et le parti québécois présente un profil légèrement plus âgé que le parti libéral. Mieux, le groupe des moins de 35 ans est plus élevé au parti libéral.
4 - Le critère de la formation
30Les parlementaires sont globalement plus scolarisés qu'avant. Il en est de même des parlementaires canadiens de la Chambre des communes à Ottawa14.
Niveau de scolarité des députés québécois à différentes périodes (en pourcentages)

Sources : a. gélinas, op. cit., p. 41, tableau 14 (jusqu'en 1965) : j. bernard, Mise à jour des caractéristiques des parlementaires de l'Assemblée nationale, mémoire de stage. Département de science politique. Université Laval, p. 45. tableau 3 (en 1975) ; recherche de Régent Pelletier pour 1976 et 1981.
31Les études de Robert Boily sur la période antérieure soulignent un contraste entre la scolarité du personnel politique et l’ensemble de la population du Québec au xixe siècle : 56 % des membres de l'Assemblée législative du Québec possédaient une instruction de niveau supérieur entre 1892 et 1900, 53 % entre 1908 et 1916.
32De nos jours, 83 % des députés de l'Assemblée nationale ont une formation universitaire. Comme le souligne Régent Pelletier à propos des élections de 1981 et de 1989 « la formation universitaire est pratiquement devenue une condition nécessaire pour être élu député à l'Assemblée nationale du Québec »15. Or en 1960, 43 % des députés n'avaient pas fréquenté l'université.
33Les différences entre le parti libéral et le parti québécois sont minimes. Seul le parti de l'Union nationale est en dessous de la moyenne.
Scolarité des députés selon le parti en 1981

34Par contre, on observe des distinctions sur la nature des études universitaires.
35Si le cursus universitaire des députés du parti québécois est diversifié, 35,7 % des députés du parti libéral ont reçu une formation juridique et perpétuent une tradition. Robert Boily constate que près de 70 % des députés de l'Assemblée législative de 1867 et de 1886 appartiennent au groupe des professions libérales, soit des avocats pour plus de la moitié. Avocats mais également médecins et notaires ont été pendant longtemps les leaders de la société québécoise.
36Les ministres québécois sont également instruits. De 1886 à 1900, 15 sur 16 ministres canadiens français ont une formation universitaire principalement juridique. Il en est de même de nos jours. Dans le cabinet de Robert Bourassa du 11 octobre 1989, 26 ministres sur 30 ont une formation universitaire, 11 en droit et 15 dans d’autres matières. 73,9 % des ministres fédéraux francophones ont suivi des études universitaires.
5 - Le critère de l'occupation professionnelle
37Le fort pourcentage des études juridiques se répercute dans la formation professionnelle des ministres :
38« Depuis 1867, le Conseil des ministres a été pratiquement sous le contrôle d'avocats originaires de la haute bourgeoisie ou de la classe moyenne supérieure » écrit Robert Boily. Jean Hamelin et Louise Baudouin estiment que les professions libérales traditionnelles, notaires, avocats, médecins représentent au moins 60 % des ministres depuis 1867. En 1897 seuls des avocats ont des portefeuilles dans le cabinet. En 1905 tous les ministres sont avocats. Le phénomène de dynastie est très marqué à la fin du xixe siècle comme le montre Richard Desrosiers en citant les exemples du cabinet conservateur Flynn en mai 1896 et du cabinet libéral Parent en octobre 1900.
39A contrario l’exemple d’Honoré Mercier fils de cultivateur et premier ministre libéral en 1887 reste exceptionnel. Par ailleurs Honoré Mercier a fait une brillante carrière d’avocat et d’homme politique qui l’a très vite lié à l’élite québécoise francophone et anglophone. La descendance d’Honoré Mercier fait de beaux mariages notamment avec la famille Gouin, vieille famille bourgeoise. Par contre, Sir Charles Boucher de Boucherville, premier ministre en 1874 et en 1891 est issu d’une grande famille ; son père Pierre Amable était seigneur de Boucherville et conseiller législatif. Louis Alexandre Taschereau, premier ministre en 1920 est quant à lui issu d’une ancienne famille de magistrat et d’homme politique.
40Les ministres actuels ont des occupations professionnelles semblables globalement mais avec une tendance à la diversification. Les professions juridiques restent importantes : 30,4 % chez les ministres fédéraux francophones entre 1968 et 1984 puis viennent les professeurs et dans une moindre mesure les milieux d’affaires. Dans le gouvernement provincial de Robert Bourassa de 1989, 9 sont avocats, 3 notaires, 7 des milieux d'affaires, 4 dans l'enseignement, 2 journalistes, 1 médecin, 1 syndicaliste, 2 fonctionnaires.
41La fin du xxe siècle est donc marquée par une diversification des carrières avec l'apport des enseignants mais surtout les milieux d'affaires ce qui n'est guère étonnant dans un gouvernement libéral plus impliqué dans le champ économique.
42Chez les parlementaires, on observe une certaine stabilité dans le type d'occupation soit une majorité de professions libérales et dans une moindre mesure du secteur des affaires à partir de 1900. Par contre la classe paysanne et ouvrière est sous-représentée. De 1867 à 1900 le taux moyen de la représentation de la classe paysanne si on prend pour critère d'occupation de cultivateurs est d'environ 13 % et encore ce sont en majorité des propriétaires terriens. Les élus de la classe ouvrière sont quasi absents.
43Régent Pelletier souligne l'émergence de nouveaux types de professionnels à la fin du xxe siècle. Il constate d'abord la quasi-disparition du milieu agricole (3,3 % en 1981) mais à la différence de la fin du xixe siècle, ce pourcentage correspond à la proportion de la population rurale agricole au Québec (soit 3,1 % en 1976). De même on constate la quasi-absence de la représentation ouvrière à la fin du xxe siècle comme à la fin du xixe siècle.
44Le changement souligné par Régent Pelletier concerne surtout les professions libérales traditionnelles, avocats médecins et notaires prépondérants à la fin du xixe siècle et dans une large moitié du xxe siècle. La proportion des avocats chute à 16,5 % entre 1970 et 1980 même s'ils restent nombreux au sein du parti libéral. Ils ont été remplacés par les professionnels de la culture, enseignants, journalistes, écrivains, particulièrement bien représentés au parti québécois. Le parti libéral est mieux représenté dans le secteur économique.
Champ d'activités professionnelles des députés selon le parti en 1981

Champs d'activités des député(e)s selon le parti en 1989

Source : L'Annuaire politique du Québec.
45On constate donc une évolution semblable à celle des ministres.
46Pour conclure, le profil type du député québécois à la fin du xxe siècle par rapport à celui de la fin du xixe siècle est celui d’un homme plus instruit qui a donc un niveau d'étude un peu supérieur mais surtout plus diversifié dans le cursus universitaire, il est sensiblement plus jeune et il a des occupations professionnelles plus orientées vers le champ culturel. Mais finalement les changements sont moins profonds qu'il n'y paraît ; le personnel politique est tout aussi peu représentatif de l'ensemble de la population : il a un niveau de formation supérieur à la moyenne, il est plus jeune et il appartient aux catégories socio-professionnelles de la classe moyenne supérieure. Les démocrates peuvent regretter cette sous représentativité qui tempère les effets que l'on a pu imputer à la Révolution Tranquille. Le personnel politique appartient donc bien à une élite à la fin du xixe comme à la fin du xxe siècle mais les élitistes se réjouiront de l'attraction qu'exerce encore la carrière politique sur les jeunes et les plus instruits.
47En fait le changement tient à l’importance de la variable partisane. On le voit pour les ministres. La composition des conseils de ministres est plus diversifiée qu'à la fin du xixe siècle où le conseil était dominé par les juristes. On a vu également que la croissance des intellectuels et des médiateurs ou celle des entrepreneurs va de pair avec les succès du parti québécois pour les premiers ou du parti libéral pour les seconds ; la variable partisane est au cœur de la composition des conseils des ministres. Les élites politiques sont moins les produits des classes dominantes traditionnelles comme à la fin du xixe siècle mais des partis politiques eux-mêmes, mieux organisés. Or les deux partis dominants se rejoignent autour des enjeux économiques. Le parti québécois en 1991 n'est plus celui de René Lévesque. Il est plus pragmatique, moins idéologue et accorde beaucoup d'importance à l'argument économique pour défendre son projet d'indépendance alors qu'avant il privilégiait l’argument culturel et linguistique. Cette uniformisation des partis ne peut qu'accentuer celle des élites politiques.
Notes de bas de page
1 porter j., The Vertical Mosaic : an analysis of social class and power in Canada, Toronto, University of Toronto Press, 1965, 626 p.
2 boily r., « Les hommes politiques du Québec, 1867-1967 », Revue d'Histoire de l'Amérique Française, XXI, 3a, 1967, pp. 599-634.
3 « Le pouvoir dans la société canadienne-française », Recherches sociographiques, Numéro spécial, VII, 1-2, janvier-août 1966.
4 desrosiers r., Le personnel politique québécois, Boréal Express, 1972, pp. 55-90.
5 lemieux v., Personnel et partis politiques au Québec, Montréal, Boréal Express, 1982, pp. 93-119.
6 desjardins, Guide parlementaire historique de la province du Québec de 1792 à 1902, Québec, 396 p.
Assemblée nationale, 1980, Répertoire des parlementaires québécois, 1867-1978, Québec, Editeur officiel.
L'Annuaire politique du Québec sous la direction de moniere d., 1° numéro 1987-88, édition Québec/Amérique.
7 in desrosiers r., op. cit., p. 64.
8 in desrosiers r., op. cit., p. 72.
9 Ibid., p. 82.
10 pelletier r., « Le personnel politique », Recherches sociographiques, XXV, 1, 1984, pp. 83-102, p. 92.
11 Ibid., p. 101.
12 Citons le mémoire de maîtrise de doucet c., Les ministres fédéraux francophones canadiens depuis Trudeau, TER, Bordeaux, Centres d’Etudes Canadiennes, 1987, 266 p. multig.
13 lazure j., La jeunesse du Québec en révolution, Essai d'interprétation, Montréal, Presses Université de Québec, 1970.
14 kornberg a., falcone d. j. et mishler w. t. e., Legislatures and Societal Change : The Case of Canada, Beverly Hills and London, Sage, 1973.
15 pelletier r., « La vie parlementaire », in L'année politique au Québec, 1989-1990, op. cit., p. 13.
Auteur
Professeur d'histoire contemporaine Université Michel de Montaigne-Bordeaux III
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