Le système élitaire britannique à la fin du xixe siècle et à celle du xxe : différences ou permanences ?
p. 193-212
Texte intégral
1Entreprendre, en quelques pages, la comparaison approfondie du système élitaire britannique de 1890 et de celui de 1990 relève de l'ambition excessive ou de la gageure. C'est pourquoi, plus qu'à l'énoncé de certitudes définitives, c'est à une série d'hypothèses que nous voudrions aboutir, invites à de nouvelles recherches sur ce champ interdisciplinaire fécond qu'est celui du Pouvoir. Champ fécond mais aussi complexe : il importe donc de bien situer méthodes et enjeux pour que la démarche et ses résultats gardent cohérence et intérêt.
2Notre analyse reposera ici sur deux prémisses essentielles. La première postule l'existence d'élites nationales correspondant aux grandes fonctions dirigeantes : élites politiques (représentatives, gouvernementales et partisanes), élites normatives (administratives, militaires, judiciaires), élites économiques (patronales et syndicales) et élites de socialisation (éducatives religieuses, culturelles et médiatiques). Corollairement, cette prémisse implique que ces diverses élites constituent ensemble un système de pouvoir national dont il faudra déterminer la nature, les modes et les objectifs d’action ainsi que les liens avec le reste du corps social. Or, même en réservant à la notion d'élite une définition purement opératoire1, on ne peut négliger le fait que toute analyse du pouvoir s'articule sur une conception théorique de l'organisation sociétale. Trois grandes thèses sont ici en présence : pluraliste, élitiste et marxiste. Nous aurons donc des choix à faire en tenant compte, seul critère possible, des réalités britanniques.
3La seconde prémisse tient précisément au caractère spécifique de notre domaine d'analyse : la Grande-Bretagne. La problématique, simple à formuler mais complexe à résoudre, consiste à savoir pourquoi la société britannique, qui a été historiquement la première à voir se constituer les structures élitaires modernes, a su assurer la stabilité et la légitimité de son système de pouvoir national sans rupture entre la fin du xixe siècle et celle du xxe, tout en sachant s'adapter en permanence aux évolutions économiques, sociologiques, culturelles et politiques de la période. La comparaison historique nous sera donc indispensable pour déterminer non seulement les mécanismes du système élitaire mais surtout ses finalités.
4Cette double interrogation, théorique et historique, nous conduira, d'abord, à mesurer ce qui différencie le système de 1890 de celui de 1990 avant de voir ensuite, s'il n'existerait pas, au-delà des différences visibles, une même logique élitaire sous-jacente qui rapprocherait les structures de pouvoir de ces deux « fins de siècles ».
I - 1890-1990 : DEUX SYSTEMES ÉLITAIRES EN APPARENCE DIFFÉRENTS
5Notre première approche sera fonctionnelle.
6En 1890, la structure du pouvoir national est avant tout dominée par le système politique. Le Westminster Model — la référence est à souligner — incarne la forme spécifique que le régime monarchique, constitutionnel et parlementaire revêt alors en Grande-Bretagne dans le cadre d'une pratique partisane pluraliste et d'une finalité démocratique, même si le suffrage n'est pas encore universel2. Si la souveraineté appartient toujours, selon l'adage, au « monarque en Parlement », c'est bien des élites de Westminster qu'elle relève dans la réalité. La Chambre des Lords avec ses quelques 580 Pairs et la Chambre des Communes avec ses 670 députés forment la base des élites représentatives. En sont issues les élites gouvernementales couronnées par l'organe décisionnel suprême, le Cabinet, lui-même dominé par le Premier Ministre. L'élargissement de la franchise électorale, ponctué par les réformes de 1832, 1867 et 1884-5 fait surgir, en cette fin du xixe siècle, une nouvelle structure élitaire, simultanément présente au Parlement, au Gouvernement mais aussi hors de Westminster, les élites partisanes, dont le rôle consiste à la fois à donner son sens et son mécanisme au régime parlementaire et à établir le lien entre élites politiques et base électorale3.
7Les élites de la norme et de l'autorité, relais indispensables des fonctions de souveraineté participent au système politique tout en en demeurant distinctes (élites judiciaires) ou dépendantes (élites administratives, diplomatiques et militaires).
8Par rapport à la zone du pouvoir politico-étatique aux élites bien identifiées, aux procédures de recrutement codifiées et aux relations de pouvoir de mieux en mieux établies, les deux grandes zones de pouvoir, celles de l'économie et de la socialisation, présentent en 1890 des contours nettement plus flous et une identité moins claire.
9Dans le système économique, le processus d'émergence élitaire est encore inachevé. En ce qui concerne la propriété et la gestion, les élites ne sont vraiment constituées que dans le secteur foncier du fait de l'ancienneté du rôle de la terre, une terre qui apporte à la fois la rente agricole, le revenu minier et le prestige social4. Par contre le faible degré de concentration capitaliste explique le manque de puissance et de cohésion des élites industrielles nationales. Quant aux élites de la finance et des services, elles bénéficient du renforcement du rôle national et international de la City de Londres pour se constituer en véritable pouvoir. Mais le processus n'est pas totalement accompli en 1890. Par ailleurs la persistance des règles libérales — individualisme, concurrence — a empêché les élites économiques de se constituer en une vaste élite capitaliste à l'instar de celles qui émergent en Allemagne, au Japon ou aux Etats-Unis5. De leur côté, les multiples efforts d'organisation du monde du travail ont abouti à l'apparition de véritables élites syndicales nationales auxquelles le Trade Union Congress donne une apparence d'unité. Mais ces élites restent encore, en 1890, trop dispersées et dépourvues de capacité globale d'action pour compter au rang des grands pouvoirs établis du pays6.
10Quant au pouvoir de socialisation qui regroupe les élites religieuses, les élites éducatives, les élites de la culture et de la presse, il apparaît, hormis l'épiscopat anglican, et dans une moindre mesure les dirigeants de la grande presse, dispersé et, à titre collectif, sans capacité d'influence cohérente sur les autres grands pôles du pouvoir national.
11Ainsi s'il existe bien des élites nationales dans chaque grande zone de pouvoir, la formalisation de leurs structures et de leur responsabilité dans la société tout entière n'est vraiment établie que dans le domaine politique, ce qui justifie l'extension de la référence au Westminster Model pour caractériser le système du Pouvoir national dans son ensemble. Tel qu’il se présente, tel aussi qu'il se légitime dans son propre discours, le système élitaire du Royaume-Uni de la fin du xixe siècle est bien conforme au schéma de l'analyse pluraliste dont les postulats peuvent se résumer ainsi : répartition des pouvoirs, concurrence des élites, primat du politique7.
12En 1990 le système est bien différent. Même s’il n'a pas connu la même prégnance en Grande-Bretagne que dans d'autres pays occidentaux (France, RFA, Japon...) le Corporate State ou Etat des technostructures a largement transformé les modes d'organisation du système élitaire sans pour autant faire disparaître son fondement pluraliste apparent8.
13Dans le domaine politique, les formes institutionnelles du Westminster Model ont subsisté mais, dans la pratique, la structuration idéologique a réparti le pouvoir entre l'élite dominante — la Majorité — et la contre-élite — l'Opposition. La démocratie parlementaire pluraliste reste la source de légitimité naturelle d'un système où l'exécutif, et en son sein le réseau de pouvoir du Premier Ministre, joue désormais le premier rôle. Parallèlement, le renforcement des élites administratives, diplomatiques et militaires a fait naître un véritable pouvoir d'Etat, relayé et pondéré par celui des élites judiciaires dans le cadre d'une conception « corporatiste » de la culture civique. Cette forte articulation entre l'exécutif politique et l'exécutif administratif, nettement centrée sur Londres, tend à faire émerger une conception unanimiste de « l'intérêt national » qui minimise, à tout le moins au cœur du système décisionnel, la compétition idéologique partisane. D'où, en retour, le risque d'une politisation des élites d'Etat nettement observable au cours de la période thatchérienne (1979-90). Quoi qu'il en soit on peut dire que la réorganisation « corporatiste » de la sphère politico-étatique a substitué au Westminster Model un nouveau et efficace Whitehall Model9.
14Favorisée par les transformations de l'appareil de production et de service, facilitée par l'évolution des mentalités, voire même encouragée par les pouvoirs publics (Rapport Donovan de 1968, création du National Economie Development Council en 1962), la réorganisation technostructurelle des élites économiques a été profonde, surtout depuis 1945 et plus précisément au cours des années 1947-79. Deux grandes « mécaniques élitaires » en sont nées. La première regroupe les élites de la propriété et de la gestion, de tout statut — public ou privé — et de toute nature (foncières, industrielles, commerciales, financières) dans le cadre d'une vaste élite capitaliste. La philosophie de base de cette élite, dont la Confederation of British Industries (CBI) constitue le porte-parole le plus connu, réside dans la mise en œuvre de la « démocratie sociale de marché », conception souple tentant de concilier croissance, prospérité et plein emploi10. Cet objectif est également celui de l'autre grande élite, représentative du monde du travail, l'élite syndicale. Fédérées par le Trade Union Congress, les élites syndicales ont atteint en 1979 leur représentativité maximale avec 55 % d'adhérents dans la population active. A cette légitimité socio-économique, les syndicats ajoutent leurs liens organiques avec le Parti travailliste, ce qui a accrédité l'idée d'un véritable pouvoir syndical, reconnu d'ailleurs par W. Churchill qui en parlait comme du « Quatrième Ordre du Royaume (Fourth Estate of the Realm) »11. Ce lien entre Labour et les trade unions ne doit pas occulter celui qui unit les élites capitalistes aux partis politiques, notamment le parti Conservateur. Ces liens soulignent d'ailleurs une autre des nécessités structurelles du Corporate State, à savoir le partenariat dans le cadre d'un rapport de force arbitré par la puissance publique. C’est le « tripartisme », version britannique de la politique contractuelle à la française.
15Indissociable de l'apparition de l'Etat des technostructures, le développement d'un pouvoir de socialisation national s'est articulé autour des élites éducatives, culturelles et surtout médiatiques. Il s'agit ici d'un pouvoir d'influence plus que d'un pouvoir d'action mais dans une société de culture de masse son rôle dans l'évolution des mentalités, des idées et des modes n'a cessé de s'affirmer. En outre l'apparition de « l'Etat-Spectacle », la médiatisation de la vie économique et sociale, le débat sur les grandes valeurs collectives ont fait du système de pouvoir de socialisation un des miroirs les plus fidèles du système de pouvoir national, mieux même, l'interface privilégié entre les élites nationales et leurs bases sociétales. D'où d'ailleurs le renforcement des liens entre les élites de socialisation et les autres élites nationales particulièrement visible dans le domaine de la presse, de l'audiovisuel, de l'université et de la création culturelle. Moins organisée que dans le cas du Whitehall Model ou du système économique, la relation corporatiste passe, dans le secteur de la socialisation, par un clivage idéologique entre élites de la tradition et élites de la réforme12.
16La restructuration corporatiste des différentes zones de pouvoir s'est naturellement accompagnée d’une réorganisation du système de pouvoir national respectant la logique pluraliste tout en lui surajoutant le principe d'une coordination fonctionnelle des diverses élites au sein d'un mécanisme inter-relationnel global. La philosophie de base de ce système repose sur le consensus élitaire et la défense collective de l'intérêt national13.
17Le bon fonctionnement du système suppose la convergence d'intérêts multiples : intérêt électoral et politique du parti majoritaire, intérêt idéologique du parti d'opposition, intérêt économique des élites capitalistes, intérêt social des élites syndicales, intérêt « culturel » des élites de socialisation. S'il est vrai que la conciliation de ces divers intérêts peut s'opérer dans le cadre des multiples instances de rencontre et d'arbitrage nationales, la définition globale de l'intérêt général n'est pas toujours aisée à déterminer, ce qui a eu d'ailleurs pour effet de favoriser la montée en puissance des élites administratives chargées de la conception et de la mise en œuvre des grandes politiques nationales et mieux à même, du fait de leur pérennité et de leur neutralité statutaires, d'assurer la sauvegarde de l'intérêt collectif. L'impact de la conjoncture, notamment idéologique et économique, est également important. Dans les périodes de consensus sociétal et de croissance économique, le tripartisme peut plus facilement aboutir à des résultats mutuellement satisfaisants pour ses diverses composantes, renforçant ainsi la légitimité de ces dernières. Par contre, en cas de clivage partisan et de difficultés économiques, le consensus élitaire cède souvent la place à la compétition voire à l'affrontement au risque de bloquer tout le système si une ou plusieurs des élites en cause s'estiment lésées ou déstabilisées, faisant alors jouer leur refus de participation (c'est le « corporate veto »). Or, si la mise en place du Corporate State a correspondu à la période d'adaptation du début des années 1960, sa maturité a surtout coincidé avec des phases délicates de l'histoire britannique voire même aux années de crise du « British disease ». Cette crise s'est répercutée sur le système rendant nécessaire le rétablissement de l'autorité du Whitehall Model au travers de l'expérience thatchérienne. D'où le caractère composite du Corporate State de 1990 qui juxtapose la permanence des structures corporatistes et le retour à des méthodes et un « esprit » politique proches de ceux du Westminter Model14. Cependant, malgré cette tendance au retour en arrière, le système de 1990 reste bien distinct de son homologue de 1890.
18A cette première approche, de type fonctionnaliste il convient d'ajouter une seconde analyse de type idéologique et social.
19En 1890 le parti Conservateur est au pouvoir, sous la houlette de Lord Salisbury. Vainqueur aux élections de 1886, il sera battu en 1892 par son grand rival, le parti Libéral conduit par Gladstone. Même si le parti irlandais exerce une influence non négligeable au Parlement, il est établi que le régime parlementaire britannique fonctionne surtout dans le cadre de l'alternance bipartisane. Mais le duopole Conservateur-Libéral, s'il garantit le pluralisme, n'implique pas un clivage idéologique profond. En effet, mise à part la Question d'Irlande, les deux grands partis sont d'accord sur les grands enjeux nationaux : défense des institutions, maintien des grandes libertés, défense de l'Empire, soutien à l'économie libérale, préservation du « splendide isolement » et de la grandeur diplomatique et militaire du pays, encouragement au progrès social, refus de la contestation violente et de tout extrémisme. Attachés aux traditions positives et conscients de la nécessité de réformes progressives, les deux partis diffèrent moins par la nature profonde de leurs idéologies que par leur conception du rythme des réformes et la nature de leurs clientèles électorales respectives. D'une certaine manière on pourrait parler de deux composantes d'une même élite politique dominante, l'absence de clivage idéologique expliquant — et justifiant — la structure déconcentrée du Westminter Model, le consensus élitaire fondamental autorisant tout à la fois le primat du politique sur les autres pouvoirs nationaux et la compétition des élites entre elles15.
20En 1990 le parti conservateur est également au pouvoir, après avoir remporté successivement les élections de 1979, 1983 et 1987. Il est également à deux ans d'une nouvelle échéance électorale que, cette fois, il gagnera. Mais la fin du xxe siècle n'offre pas le même panorama idéologique que celle du xixe siècle. Si les Tories sont toujours là, ils ont dû opérer à plusieurs reprises un aggiornamento idéologique rendu indispensable par le suffrage universel, la démocratie du Welfare State et le passage à une société de consommation et de culture de masse. Depuis 1979 et jusqu'en novembre 1990 sa variante thatchérienne tente une expérience volontariste d'infléchissement libéral de la mécanique corporatiste afin de restaurer la croissance, l'individualisme, la grandeur nationale et de lutter contre les effets « du consensus mou » des années 1950-1975. Par contre le parti libéral, désormais lié à une fraction scissioniste des Travaillistes au sein d'un nouveau parti — le SLD — n'occupe plus qu'une place très restreinte au Parlement même si son audience électorale et intellectuelle reste non négligeable. Mais sa place de grand parti national a été prise par le parti travailliste fondé au début du xxe siècle. Variante britannique du socialisme démocratique, le travaillisme présente dons une alternative « de gauche » au torysme. Attaché aux valeurs du solidarisme, du pacifisme, de la justice sociale et convaincu de la nécessité d'un important secteur public, le Labour, devenu parti naturel de gouvernement ne joue pas, dans la société politique de la fin du xxe, le même rôle que le parti Libéral dans les années 1890. Il ne constitue pas l'aile gauche d'une élite politique unique : il représente un projet de société différent sinon opposé à celui proposé par les Tories. Son émergence dans l'électorat d'abord, puis au niveau du système élitaire national a imposé une structuration idéologique de tout l'édifice décisionnel national tant dans le système politique que dans le système « économique » (cf. les syndicats et leurs liens organiques avec le Labour) que dans le système de socialisation (cf. la presse et les intellectuels de gauche, entre autres). On comprend de ce fait mieux l'apparition du Corporate State : celui-ci offre un cadre fonctionnel pratique permettant tout à la fois la compétition de vastes groupes d'élites liées par leur rôle institutionnel et leur parenté idéologique et la conciliation de leurs intérêts et positions dans le cadre d'une philosophie commune de l'intérêt général. La rigidité apparente de ce mécanisme explique la vigueur des enjeux électoraux puisque c'est de l'arbritage du politique que dépendent les choix de la stratégie nationale et la mise en œuvre des projets de société16. La situation de 1990 diffère donc nettement de celle de 1890. Cela ne tient pas seulement aux mécanismes fonctionnels et aux évolutions idéologiques : les modifications de la relation élites/corps social ont aussi leur part dans ce changement apparent.
21En 1890 le système élitaire bénéficie d'une légitimité peu contestée : « the rule of the betters » est admise comme une donnée de l'héritage national, comme la garantie d'une bonne gestion des intérêts supérieurs du pays. D'où la culture de la déférence qui entoure des élites au statut notabiliaire élevé. Il en découle, pour les membres de ces élites, une conscience profonde d'incarner l'aristocratie — au sens de « gouvernement des meilleurs » —, ce sentiment étant naturellement renforcé par l'appartenance aux couches les plus élevées de la hiérarchie sociale et par le partage d’une « même culture du commandement » (born to rule). En retour, ces élites, formées au « noblesse oblige », pratiquent un paternalisme bénévole, consacrant leur temps, leur argent et leur talent au bien public, n'hésitant pas à ouvrir leurs rangs aux hommes nouveaux susceptibles d'apporter de nouvelles idées et de renouveler, humainement et socialement, des élites qui, sans leur arrivée, eussent pu se transformer en caste. Au passage un tel processus d'ouverture et d'intégration permettait d'éviter la constitution de contre-élites potentielles, dangereuses pour le système : la naissance de l'Independent Labour Party en 1893, première étape avant la naissance officielle du parti travailliste, allait montrer que l'enjeu restait d'actualité17.
22En 1990 la légitimité élitaire ne repose plus sur l'hérédité et la déférence sociale. Une véritable méritocratie, consacrée par les compétences, s'est imposée. Si la reconnaissance par les pairs comme par la base demeure la règle, l'accès et le maintien aux postes élitaires nationaux nécessite une constante « vérification » par le biais des procédures d'élection et de promotion, par les sondages, l'analyse réputationnelle ou les interviews. Désormais, « l'élite spectacle » est offerte au jugement du public tant dans les domaines de la politique et de la culture que dans celui de l'économie, de l'administration ou de la religion. Cette médiatisation assure la notoriété mais elle fragilise également les carrières. De stable, le système de pouvoir devient plus mobile : la noria élitaire (« a come and go system ») s'est substituée à la continuité notabiliaire. De plus le système dans son ensemble a fait l'objet de critiques. De l'extérieur d'abord, notamment de la part de la jeunesse (des Angry Young Men des années cinquante aux hooligans des années quatre-vingt), des laissés pour compte de la croissance, des contestataires d'extrême gauche ou d'extrême droite, des nationalistes irlandais, écossais et gallois. Mais la contestation est aussi venue de l'intérieur, tant du milieu des média que celui de la politique y compris Mme Thatcher dont les critiques de l'Establishment, surprenantes pour le leader du party tory, rejoignaient celles issues de la gauche travailliste et syndicale18.
23Alors, entre 1890 et 1990, ce seraient les différences qui l'emporteraient ? Le pluralisme consensuel de la fin du xxe siècle serait-il totalement distinct du corporatisme compétitif de la fin du xxe siècle ? Deux mécaniques élitaires seraient-elles en cause, répondant à des logiques et des finalités différentes ?
24Ou bien, ne peut-on tenter de mettre en évidence, par delà les inévitables modifications de structure et de mentalités imposées par un siècle de mutations politiques, économiques, sociologiques et culturelles, une continuité plus profonde qui révélerait la nature réelle du phénomène élitaire en Grande-Bretagne ?
II - PAR DELA LES DIFFERENCES : UNE MEME LOGIQUE ELITAIRE ?
25Pour mieux mesurer ce qui rapproche les systèmes élitaires de 1890 et de 1990 trois paramètres sont à prendre en considération : les mécanismes du pouvoir, les fondements sociologiques du recrutement des élites et les fonctions organiques et idéologiques des élites elles-mêmes.
26En ce qui concerne les mécanismes du pouvoir, il faut rappeler, d'abord, que les fondements de l'appareil élitaire remontent haut dans l'histoire. C'est dans ce contexte que nous avons souligné que le Westminster Model de 1890 constituait un aboutissement historique logique. Ce qui est encore plus remarquable c'est que les soubresauts du xxe siècle n'ont pas, non plus, bouleversé ce mécanisme fondamental. Cette souplesse et cette stabilité exemplaires ne sont-elles pas à mettre en rapport avec une logique élitaire à tous égards exceptionnelle ?
27Pour paraphraser Huizinga19 qui qualifiait la classe dirigeante britannique de la fin du xixe siècle d'aristo-démocratie, on pourrait parler, d'une façon plus large et plus neutre, de la permanence à la tête du Royaume-Uni d'une élito-démocratie constituée au cours de la seconde moitié du xixe siècle et toujours en place à celle du xxe. En 1890 le pluralisme apparent de la mécanique ne doit pas masquer l'existence d'une véritable élite dominante issue, comme nous le verrons plus loin, des mêmes milieux sociaux et occupant par ses ramifications familiales et par le cumul des fonctions la grande majorité des postes les plus élevés de la hiérarchie du pouvoir national et même local. Ce système est avant tout fondé sur la cooptation et l'endogénie. L'élection est rare, avant tout réservée aux députés des Communes. Et si le processus électif concerne le dixième à peine des membres de l'élite nationale, cette élection ne vient en fait que consacrer des situations notabiliaires fondées sur la tradition. Pour le reste, l'examen des modes de sélection montre bien que les mécanismes en place favorisent la reproduction des élites plus que leur ouverture. Seules les élites syndicales, en cours de constitution, pratiquent une sélection démocratique. Mais précisément, la période voit naître, dans cette structure, des mécanismes oligarchiques qui rappellent ceux existant au sein des élites capitalistes. La démocratie parlementaire ne fait donc que légitimer aux yeux de la population britannique un système de pouvoir élitiste cohérent. Le pluralisme et la compétition des différents pouvoirs s'inscrivent en fait dans une répartition fonctionnelle des responsabilités au sein d'une vaste élite nationale. La distance relativement étroite entre les stratégies des deux grands partis Libéral et Conservateur et la continuité d’une pratique réformiste montrent bien cette solidarité organique des composantes de l'élite dominante. Dès lors le pluralisme s'explique : plus la force du système est grande plus il peut accepter une apparente compétition interne. En ce sens le Westminster Model ne représente ni un leurre ni un alibi mais la façade nécessaire d'un véritable Establishment.
28En 1990 la même logique est à l'œuvre mais ses formes ont dû s'adapter à des situations nouvelles. Le pouvoir reste toujours concentré : 5 à 6 000 personnes détiennent les principaux postes de commande nationaux. Le principe électif est tout aussi rare puisque seuls les députés des Communes continuent d'en dépendre et, dans une moindre mesure, les membres des élites partisanes. Pour les autres élites les procédures d'accès aux fonctions élitaires reposent toujours sur la cooptation et/ou la reconnaissance institutionnelle des talents. Il est d'ailleurs intéressant — et significatif — de constater que les élites des média audiovisuels, nées au xxe siècle, ont établi des mécanismes de recrutement de leurs dirigeants calqués sur ceux qui existaient déjà pour les élites d'Etat (compétence et notabilité). Il est tout aussi symbolique de souligner que des règles démocratiques d'élection ont été précisément imposées aux élites syndicales par la législation thatchériennne (lois de 1980, 82, 84, 87, 88) pour affaiblir leur autorité vis-à-vis de leur base et par conséquent, comme nous le verrons, pour réduire leur rôle « politique » au sein du système de pouvoir national. Ce qui a changé cependant par rapport à la fin du xixe siècle, c'est la distance idéologique entre les deux grands partis Conservateur et Travailliste. L'existence de deux grands projets de sociétés, distincts sinon antinomiques, a contraint les élites à se regrouper autour de pôles de pouvoir fonctionnels. C'est tout le sens qu'il faut donner à la réorganisation corporatiste à laquelle on a assisté depuis 1945. Cette recomposition du paysage élitaire s'est opérée aussi bien dans chaque zone d'activité politique, économique et culturelle. En outre elle a été complétée par une articulation renforcée entre groupes d'élites. Se sont identifiés ainsi le réseau conservateur rassemblant les élites partisanes et politiques tories, les élites capitalistes et les élites de socialisation favorables à l'ordre établi et le réseau Travailliste unissant les élites politiques et partisanes du Labour, les élites syndicales et la fraction progressiste des élites de socialisation. Statutairement neutres, les élites d'Etat se sont donc retrouvées, notamment les élites administratives et judiciaires, en position d'arbitres au cœur du système de pouvoir national. On comprend mieux ainsi les caractères du Corporate State en Grande-Bretagne : le regroupement dualiste des grands pouvoirs nationaux, l'aménagement d'instances et de procédures de conciliation et d'arbitrage et la reconnaissance du primat de l'intérêt national. Or précisément pour ce dernier point le rôle essentiel est désormais joué par les élites d'Etat qui échappent au grand reclassement fonctionnel. On en comprend que mieux l'articulation accrue entre les élites gouvernementales et administratives puisque c'est désormais au sein de Whitehall que s'élaborent les politiques nationales. A son tour, l'émergence du Whitehall Model entraîne une organisation dualiste du système élitaire. D'un côté on a une élite du pouvoir et de l'autre une contre-élite, le balancier électoral plaçant tantôt dans un camp tantôt dans l'autre chacun des grands partis nationaux.
29Mais cette alternance ne s'apparente pas exactement à celle prévalant à la fin du xxe siècle. En 1890, le balancier électoral affecte les partis et leurs élites mais n'a qu'une incidence minime sur le reste du système de pouvoir. En 1990 les mécanismes du Corporate State impliquent, de près ou de loin, chacun des « blocs d'élites » qui se trouvent dans la mouvance des deux grands partis. Or ces blocs n'ont pas le même poids dans l'ensemble du pays. Ainsi, au sein du système économique les élites de la propriété et de la gestion, plutôt favorables aux Tories, apparaissent comme une donnée incontournable, jouissant même de la légitimité d'un pouvoir établi. En revanche les élites syndicales, liées au Labour, sont perçues comme un pouvoir certes utile mais non indispensable et parfois même dangereux. De même au sein du pouvoir de socialisation, les élites de la tradition, plutôt proches des Conservateurs, l'emportent en influence, parce qu'elles véhiculent une culture nourrie des valeurs civiques, sur les élites de la réforme, plus alignées sur les thèses travaillistes et par là, perçues comme plus « déstabilisantes ». De ce fait les élites pro-Tories s'identifient à une sorte d'Establishment alors que les élites pro-Labour se rapprochent du statut d'une contre-élite. En d'autres termes le dualisme né du Corporate State ne repose pas sur l'équilibre mais sur l'inégalité. Si on tient compte, de plus, du fait que sur les cent ans qui séparent nos deux fins de siècles les Conservateurs ont été au pouvoir, seuls ou en association, 66 ans (dont 27 sur la période 1945-92), cette inégalité prend un caractère quasiment structurel que seul le respect de la démocratie et du suffrage universel empêche de contester mais qui n'en pèse pas moins sur le fonctionnement profond du système de Pouvoir national20.
30Si le dualisme n'opère pas dans le même cadre, on peut cependant affirmer que la logique élitaire fonctionne en 1890 comme en 1990 selon des principes proches : il importe de dégager des élites nationales, de leur offrir un mode d'articulation susceptible d'assurer la continuité de la politique nationale, de conserver à une structure élitiste du pouvoir une légitimation démocratique suffisante pour garantir sa stabilité. Ce qui ressort aussi de la comparaison des deux fins de siècle c'est l'adaptabilité du système : les élites élaborent l'organisation qui convient le mieux à leur maintien au pouvoir, le Westminster Model d'une part, le Corporate State d'autre part. Mais pour quelles finalités ?
31L'analyse sociologique du recrutement élitaire offre un premier élément de réponse à cette question.
32En 1890 les neuf-dixièmes des membres des élites nationales proviennent du quart supérieur de la société britannique, la grande majorité étant issue des 10 % composant le sommet de l'édifice social. En ce sens on peut affirmer que l'élite sociologique et l'élite du pouvoir se recoupent. Seules les élites syndicales, une partie des élites libérales et des élites de socialisation viennent soit des classes moyennes — pour les secondes —, soit du monde du travail — pour les premières. En revanche l'aristocratie est tout entière incluse dans la pyramide élitaire : soit directement par le biais de la Chambre des Lords, de la majorité des élites foncières, des élites d'Etat et des élites du mécénat soit indirectement en servant de base sociale à la représentation élitaire notamment par le relais des élites des Communes. La haute bourgeoisie est également sur-représentée au sein des élites financières, industrielles et commerciales mais également par celui des élites politiques et de l'appareil d'Etat. L'osmose sociale favorisée par l’intermariage, le processus permanent de « gentryfication » et le système des honneurs (le cursus honorum passe par les titres de chevalier, baronet et pair) assure la stabilité de cette strate élitaire tout en ménageant des possibilités constantes d’ouverture. Cette capacité d’intégration explique la facilité avec laquelle les éléments nouveaux venus des classes moyennes ou les rarissimes représentants du monde du travail ont pu être accueillis. Prolongement naturel pour les classes supérieures, consécration sociale pour les « hommes nouveaux » l’appartenance élitaire constitue dans tous les cas un aboutissement : au terme de leur carrière plus de 95 % des membres des grandes élites nationales restent dans la mouvance élitaire en occupant des fonctions sociales ou une position notabilaire, au niveau national ou au niveau local. Seuls quelques syndicalistes ou politiciens à la carrière brève quittent l'Establishment à ce moment là21.
33En 1990 la situation n’est guère différente. Alors même que l'accès aux fonctions élitaires est légitimé par le mérite et la compétence, on constate que 78 % des membres des élites nationales britanniques de 1990 appartiennent au quart le plus élevé de la population. Bien sûr la hiérarchie sociale est moins forte à la fin du xxe siècle qu'à celle du xixe et les filières de mobilité ascendante apparaissent nettement plus larges, ce qui signifie que l'écart réel entre le sommet et la base du corps social est, en termes d'identité, de revenus et de prestige, moins grand mais la permanence de cette adéquation entre pyramide sociologique et pyramide du pouvoir n'en demeure pas moins remarquable. Il convient donc de la mesurer et de l'expliquer22.
34On notera tout d’abord que la continuité du recrutement n’est pas seulement due à l'endogénie mais aussi à une tendance « naturelle » à l'élitisme. L'exemple des années 1945-70 est, en ce domaine, tout à fait révélateur. En effet, il y a eu, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, une ouverture sensible du recrutement sociologique des élites britanniques, particulièrement visible au niveau des élites politiques et partisanes, mais également notable au sein des élites patronales, des élites administratives et des élites de socialisation. L'arrivée massive des députés travaillistes, pour beaucoup issus du monde ouvrier ou de la petite bourgeoisie, l'élargissement de la base de recrutement des députés tories, le renforcement du rôle des élites partisanes ont rendu les élites politiques plus représentatives de l'électorat tandis que le desserrement régulier du carcan aristocratique sur la Chambre des Lords s'accentuait. Le renforcement du rôle des élites syndicales favorisait l’accès de représentants du monde ouvrier au sein des élites économiques, phénomène marqué parallèlement par le développement de la place des classes moyennes au sein des élites patronales touchées par la révolution managérielle. Simultanément, le brassage opéré pendant la guerre et une certaine volonté de démocratisation ouvraient les portes des élites d'Etat aux méritocrates venus de la petite et moyenne bourgeoisie, situation que l'on pouvait également observer au sein de l'ensemble des élites de socialisation. Le renouvellement conjoint des postes et des générations, au cours des années 1960, n'a pas abouti à une accentuation de cette ouverture sociologique. Bien au contraire, on a assisté à une tendance à la fermeture au cours des années soixante-dix et quatre-vingt. Le monde ouvrier, déjà très sous-représenté au sein de l'élite locale, a été laminé au sein des élites politiques, notamment travaillistes et même dans son fief des élites syndicales où les classes moyennes ont fait une nette percée, directement liée à la progression des syndicats de cols blancs et au déclin parallèle des syndicats de cols bleus. C'est en fait au sein de la moyenne bourgeoisie et des classes supérieures que l'évolution du recrutement a été la plus marquée par rapport à 1890. L'aristocratie a incontestablement perdu du terrain même si avec 20 % de représentants au sein des élites nationales sa part est cent fois supérieure à celle occupée par les familles de la pairie et de la gentry au sein de la population. Ce repli, tout relatif, de l'aristocratie a été compensé par la montée de la haute bourgeoisie et encore plus par celle de la solid middle class qui a, dans toutes les zones du pouvoir, bénéficié du principe de la « carrière ouverte aux talents ». En outre, le mécanisme du « corne and go » élitaire, lié à la rotation fonctionnelle des postes ne favorise pas une réelle noria des personnes puisque les quatre cinquièmes des membres des élites restent dans la mouvance élitaire au terme de leur carrière. Un autre exemple permet de vérifier ce processus d'élitisme dans le recrutement des élites britanniques c'est celui des élites de l'audio-visuel. La naissance de ces élites au cours de l'entre-deux-guerres et leur développement fondamental après 1945 aurait pu aboutir à la mise en place de nouvelles filières et de nouveaux profils sociologiques d'identité. Or l’on contate que les procédures mises en vigueur (cooptation, nomination) n'ont conduit qu'à un alignement sur les modèles classiques. Ici encore professionalisme fonctionnel et élitisme sociologique se rejoignent.
35Le critère de l'appartenance sociale n'est pas le seul. On peut y ajouter le critère éducatif, tout à fait significatif dans le cas britannique où le dualisme public/privé dans l'enseignement primaire et secondaire et l'identité sociale du diplôme universitaire permettent de souligner l'existence de filières particulières de distinction.
36Le premier clivage s'opère à l'échelon du passage du primaire au secondaire. Si l'élévation de l'âge de la scolarité obligatoire, notamment après le Butler Act de 1944, ne rend plus pertinent l'arrêt des études au terme du primaire pour les élites de la fin du xxe siècle alors qu'il était déterminant à la fin du xixe, en revanche le passage par l'enseignement secondaire privé (les fameuses public schools) ou par l'enseignement public (lui-même différencié selon filières classiques et filières modernes ou techniques) a toujours été, depuis 1850 et même avant, un facteur déterminant de sélection. Même si la part des anciens élèves des public schools dans l'ensemble de la société britannique s'est élevée de 1 à 5 %, cette proportion est infiniment supérieure au sein du système élitaire puisqu'elle se situe aux environs des deux tiers, en 1990 comme en 1890. Or par leur sélectivité sociale, leur type de formation, leurs réseaux d'anciens, les public schools contribuent de façon décisive au premier stade de la socialisation élitaire, créant un maillage d’une prégnance considérable au sein de tout le système de pouvoir, élites syndicales mises à part. Certes on ne peut en déduire une identité de conception politique ou d'engagement idéologique ultérieur mais le partage d'une même vision du monde, hiérarchisée et solidariste, n'est pas étranger à la solidité du réseau élitaire, transcendant les clivages fonctionnels et facilitant l'osmose et la circulation des élites au sommet. Le diplôme universitaire constitue également un signe de reconnaissance esssentiel surtout marqué par l’existence de la voie royale représentée par les Universités d’Oxford et de Cambridge. Si l'augmentation du nombre global des diplomés — moins de 50 % en 1890, 70 % en 1990 — exprime l'émergence du critère méritocratique, il est encore plus significatif de souligner la prééminence du passage par Oxbridge : la proportion s'est même accrue de 1890 à 1990 passant de 70 à 78 %. En 1990, 55 % des membres des élites britanniques avaient acquis leur formation universitaire à Oxbridge. De ce fait on peut réellement parler d'une filière élitaire, itinéraire naturel pour les enfants des milieux favorisés, « seconde chance » indispensable pour ceux des classes moyennes, voire même du monde pour du travail (cf. pour les élites travaillistes et depuis la fin des années 1960 pour certains membres des élites syndicales)23. Les parcours professionnels, avant et après le passage aux fonctions élitaires, témoignent également de la capacité des membres des élites britanniques à établir un vaste réseau destiné à renforcer le contrôle social sur les « bases élitaires » et à intégrer les « hommes nouveaux ». Dans le premier cas ce processus permet d'expliquer la permanence de la déférence entourant les détenteurs du pouvoir et dans le second, la prégnance d'une culture des élites que viennent encore accroître le partage de modes de vie particuliers dont les clubs constituent un des vecteurs symboliques. S'ajoute le rôle des processus de cumul des fonctions. En effet la répartition du pouvoir national en grandes zones distinctes ne doit pas masquer le fait que, à titre personnel, les membres des élites cumulent le plus souvent plusieurs positions dans l'appareil décisionnel. Les liens traditionnels entre les partis politiques et les milieux économiques, patronaux ou syndicaux, sont bien connus mais il ne faudrait pas non plus négliger l'interpénétration qui peut exister entre le pouvoir politique et celui de la culture et des média, les liens entre élites patronales et le monde de la culture sans oublier le rôle intégrateur de certaines positions élitaires comme la pairie. Depuis 1890 on peut remarquer que la Chambre des Lords est devenue l'un des lieux de rencontre les plus importants des élites britanniques où se côtoient tous les représentants de l'élite dominante et de la contre-élite, y compris les membres de la gauche travailliste ou des élites syndicales. Cette interpénétration est également de type social. En 1890 les grands réseaux familiaux irriguent les sommets du pouvoir. En 1990, les réseaux familiaux ont moins de place mais ont été remplacés par un maillage interindividuel non moins efficace. La socialisation scolaire, universitaire, professionnelle, joue ici un rôle tout à fait décisif dans la formation de cette culture élitaire à laquelle la monarchie, par le biais du système des honneurs et de l'anoblissement, confère une aura suprême de légitimité. La « reproduction » forme, enfin, un dernier test de la solidité du réseau social élitaire du Royaume-Uni. Elle aboutit d'une part à favoriser le maintien au sommet de la société des descendants des membres des élites traditionnelles : en 1990 on retrouve un grand nombre de noms déjà célèbres un siècle plus tôt. D'autre part ce mécanisme enclenche, pour les hommes nouveaux, la possibilité de créer de nouvelles dynasties. Le cas est net pour certains membres des élites travaillistes dont les enfants se sont retrouvés naturellement à des positions d'élite, au risque, parfois, de changer d'allégeance idéologique ! Réel au niveau fonctionnel, le « corne and go » ne constitue pas une règle impérative au niveau personnel.
37Il apparaît ainsi qu'au mécanisme fonctionnel dualiste déjà mis en évidence s'ajoute un processus sociologique qui vient renforcer la distinction entre Establishment et contre-élite. Ce second paramètre semble bien confirmer l'existence, derrière la façade pluraliste, nécéssaire à la légitimité du système, d'une structure élitiste du pouvoir. Il s'agit maintenant d'en déterminer le rôle organique et les fonctions idéologiques24.
38La fonction essentielle du système élitaire semble être, en 1890 comme en 1990, d'assurer la pérennité de la structure nationale du Pouvoir. Cette fonction suppose d'abord l'établissement et le maintien du consensus élitaire proprement dit. Pour ce faire, l'organisation des zones de pouvoir et la définition de leurs rapports est fondamentale. Ensuite le mécanisme implique le permanence d'un recrutement social élitiste. Enfin la stabilité du système tout entier repose sur sa capacité à « contrôler » le consensus sociétal de telle sorte que l'ensemble de la hiérarchie élitaire soit légitime et efficace. Il est bien évident que le terme pérennité ne signifie ni fermeture ni immobilisme. Précisément, la force du système britannique réside dans sa capacité constante d'adaptation. En 1890 le Westminster Model en est la traduction institutionnelle la mieux adaptée : l'élite dominante forme un ensemble global suffisamment solide pour accepter un pluralisme actif. En 1990 la situation a évolué. L'Establishment de la fin du xixe siècle s'est mué en un Néo-Establishment qui s'identifie au parti conservateur, aux élites patronales, à la fraction traditionnaliste des élites de socialisation. En face est apparue, surtout depuis 1945 une contre-élite rassemblant les dirigeants travaillistes et syndicaux. Stabilisée grâce au Corporate State qui en régule les relations fondamentales, cette structure a permis de limiter les modifications de la base du régime, possibles au vu des enjeux de 1945. Mieux même, en sachant s'identifier à l'intérêt national et aux valeurs fondamentales de la culture civique, le Néo-Establishment a pu disposer de deux atouts supplémentaires. D'une part le relais des élites d'Etat, idéologiquement neutres mais socialement, culturellement et organiquement proches. D'autre part le Néo-Establishsment a entrepris d'intégrer à sa mouvance les fractions les plus modérées du Labour et de la contre-élite. La cassure du Parti travailliste en 1981 et la naissance de l'Alliance, devenue en 1988 le SLD, en constituent un signe notable, de même que la quadruple victoire tory aux élections de 1979, 1983, 1987 et 1992. Cette permanence d'une structure élitiste duale, de plus en plus dominée par le Néo-Establishment, peut expliquer le retour lent, observé sous le gouvernement Thatcher, aux méthodes du Westminster Model, puisque le Néo-Establishment tendrait à redevenir, comme en 1890, l’élite dominante et unique du Royaume-Uni.
39Le principe posé, il convient d'en estimer le rôle et les finalités. L’objectif du système élitaire britannique consiste d'abord à définir les grands enjeux nationaux, à les mettre en œuvre et, parallèlement, à fixer les limites de la « contestation autorisée », « le legitimate dissent ». Certains enjeux sont démeurés constants entre 1890 et 1990. Le premier concerne les institutions. La monarchie et la Chambre des Communes étant au dessus de toute discussion, le débat n'a pu porter que sur le mode de scrutin et le statut de la Chambre des Lords. Sur le mode de scrutin la logique démocratique s'est imposée lentement, le suffrage ne devenant universel qu'en 1918 (avec des élargissements complémentaires en 1928 et en 1969). Par contre le duopole des deux grands partis, quelles que soient leurs idéologies, a empêché toute remise en cause du vote à un seul tour, garant du dualisme élitaire. Pour la chambre des Lords l'abaissement de ses pouvoirs, en 1911 et 1949, n'a pas signifié la fin de son rôle. Bien au contraire, l'échec des projets de réforme proposés par le Labour, notamment en 1968, lui a conservé son rôle de chambre de réflexion tandis que la création de la pairie viagère en 1958 et les mesures d'ouverture prises en 1963 lui ont conféré une place nouvelle de lieu de rencontre des différentes élites nationales. Le dualisme scolaire, et tout particulièrement le maintien des public schools, a également été assuré malgré les offensives du Labour, principalement au cours des années 1960 et 70. De même le fondement spiritualiste de la culture civique a été préservé permettant le maintien des élites religieuses, singulièrement celles de l'Eglise anglicane, dans le cœur décisionnel du pays mais aussi soulignant la nature particulière du pouvoir du monarque — Chef des Eglises établies — et le caractère légitime de l'obéissance à l'autorité. La continuité est un peu moins linéaire en ce qui concerne les politiques économiques et diplomatiques. L'évolution de la conjoncture et des structures de production ont amené les élites patronales à accepter l'interventionnisme croissant de la puissance publique jusque et y compris à la nationalisation. Mais la pratique a montré que, malgré les efforts du Labour, la nationalisation ne constituait pas un instrument idéologique de transformation de la Grande-Bretagne en pays « socialiste », mais bien plutôt un outil de gestion. Le retour aux principes de l'économie de marché ainsi que la vaste opération de privatisation inaugurés par le gouvernement Thatcher ont bien montré que, volens nolens, la majorité des élites nationales étaient d'accord sur la préservation du système capitaliste. Le rôle des média dans la célébration de la société de consommation, corollaire social du système de l'entreprise, témoigne de la capacité des décideurs patronaux à établir le consensus élitaire sur cette base comme à légitimer la place du secteur économique vis-à-vis du public même si la recherche de la performance économique s'accompagne de difficultés sociales (chômage) ou de distorsions régionales. Dans le domaine diplomatique l'heure n’est plus en 1990 au splendide isolement et au prestige impérial en faveur à la fin du xixe siècle. Le consensus élitaire a donc profondément évolué acceptant le démantèlement progressif de l'Empire et l'arrimage du Royaume-Uni à l'OTAN et à la CEE. Les soubresauts de cet ajustement diplomatique — et militaire — ont été multiples mais depuis les années 1980 un nouvel équilibre a été trouvé qui préserve ce qui a, semble-t-il, toujours été l'objectif des élites nationales, à savoir l'affirmation d'un rôle mondial autonome pour le Royaume-Uni. L'aggiornamento des thèses travaillistes dans les secteurs de la défense et de la politique extérieure, notamment sous la houlette de N. Kinnock, est à cet égard révélateur.25
40Bien entendu l'accord sur ces grands enjeux ne s'est pas réalisé de façon constante ni harmonieuse. Ni en 1990 ni en 1890, le consensus n'a été systématique et l'une des vertus du pluralisme idéologique a été de permettre les confrontations et les débats. Mais ce qui constitue la force du « système » c'est sa capacité à limiter la zone de controverse et à résoudre les conflits sans trop se déchirer lui-même ni se couper de l'opinion publique nationale. Finalement le principal objet de discussion, vu sur la longue période, a résidé dans le partage social de la richesse et du revenu du pays. Et encore, dans ce domaine, on constate qu'après l’ouverture rendue nécessaire par la mise en œuvre du Welfare State, surtout après 1945, on en revient à une société hiérarchisée somme toute assez proche de celle existant à la fin du xixe siècle.
41Cette forte stabilité de la conduite des affaires publiques nous amène à envisager un autre aspect du pouvoir des élites de l’Establishment, à savoir leur capacité à contrôler toutes les formes de « déviance ». Les diverses tactiques de la « séduction », de l'intégration ou de la confrontation ont pour but d'empêcher toute remise en cause fondamentale du statu quo. Acceptant au nom du respect des libertés et de la démocratie l’arrivée du travaillisme au rang de grande idéologie nationale, l'Establishment s'est toujours efforcé d'en limiter l'impact, l'utilisant par contre pour accomplir les réformes indispensables. Certes il ne faudrait pas substituer au libre jeu de l'électorat et de l'alternance partisane un quelconque mécanisme secret et machiavélien, mais on ne peut négliger de mettre en relief la manière dont le Labour a été intégré à la mouvance de l’Establishment. L'aggiornamento doctrinal de l'ère Kinnock acceptant l'économie de marché, l'intégration à l’Europe, le maintien de la force nucléaire et la réduction du pouvoir syndical, sous l'aiguillon des thèses thatchériennes, tendrait à prouver l'efficacité de cette stratégie. Il en est de même pour les élites syndicales. Acceptées comme interlocuteur social, tolérées comme interlocuteur économique, elles ne sont pas véritablement admises comme interlocuteur politique d'où à intervalles réguliers — fin du xixe siècle, début du xxe, 1927, années 1980-8 — de multiples offensives de la part des pouvoirs établis : parti conservateur, milieux patronaux, média, le tout avec l'appui du bras de l'Etat et notamment de la justice. C'est à nouveau le rappel des excès du pouvoir syndical des années 1960-70 qui a permis la victoire tory de 1992. Or cette offensive syndicale était plus une lutte de survie contre la contrainte exercée par le Corporate State (la première législation de contrôle syndical a été proposée par le Labour en 1968-9) qu'un véritable assaut contre le système du Pouvoir : le double effet du jeu de contrôle du consensus élitaire et du consensus sociétal est parfaitement prévisible dans cet exemple ! On pourrait ajouter d'autres éléments à cette liste : contrôle des extrémismes de tout bord, refus de la violence organisée, etc... Est-ce à dire que le pouvoir de l'Establishment soit sans limites ? Non, bien entendu. Il ne peut oublier que le fondement de sa propre légitimité réside dans le respect de la démocratie et dans celui des libertés fondamentales. La revendication actuelle d'une véritable charte des citoyens souligne cet attachement de l'opinion aux principes de la culture civique. En outre, le système doit rester perméable aux idées et aux mouvements nouveaux, à la mobilité sociale. De plus des risques potentiels existent : la Question d'Irlande toujours aussi présente en 1990 qu’en 1890, la poussée des nationalismes gallois et écossais, les inégalités et l'incivisme en progression depuis les années 1960, sans oublier les risques dûs à la critique explicite ou implicite favorisée par l'exposition médiatique. Sur ce dernier point la situation de l'Establishment est plus fragile en 1990 qu'elle ne l'était en 1890. La fin du xxe siècle permettra de juger de la capacité du système de pouvoir à gérer ces risques avec la même efficacité que son homologue de la fin du xixe.
42On peut donc conclure de cette étude comparée des deux fins de siècles que la structure du pouvoir en Grande-Bretagne combine deux dynamiques. La première, de type pluraliste, légitime le système. La seconde, élitiste, lui fournit son armature institutionnelle, sociologique et ses finalités. Ainsi ces deux grandes thèses, loin de se contredire, se complètent l'une l'autre. Quant à la théorie marxiste, elle peut servir à vérifier le concept de domination mais elle ne saurait rendre compte des facteurs, sociaux, culturels et politiques si importants pour comprendre la nature profonde du Pouvoir Outre-Manche. Ainsi tracé, le cas britannique constitue-t-il un système original ou un « modèle » ? La rupture qui s'est produite dans bien des pays européens entre 1890 et 1990, notamment du fait des deux guerres mondiales, semble, a priori, exclure tout parallèle avec la situation du Royaume-Uni. Pourtant quand on analyse l'évolution des mécanismes de pouvoir et des idéologies dans la plupart des Etats d'Europe occidentale, on ne peut que constater des similitudes avec la situation anglaise. La comparaison est encore plus évidente quand on s'intéresse au cas des Etats-Unis. Peut-être y a-t-il là un certain archétype anglo-saxon ? Mais ce qui demeure, pour la Grande-Bretagne, c'est la force historique de ses élites et leur capacité à conduire, en s'adaptant sans cesse, le destin du pays. Plus encore qu'avec la fin du xixe siècle, c'est avec celle du xviie qu'il faudrait comparer la situation de 1990. Par delà les changements inévitables, le pacte social né de la Glorieuse Révolution de 1688-89, théorisé par Locke en 1690, conserve toujours, trois siècles plus tard, sa pertinence et son efficacité26.
Notes de bas de page
1 Nous reprendrons ici la définition utilisée dans notre thèse, à savoir qu'une élite correspond à « un petit groupe relativement cohérent dans son organisation, son recrutement et sa socialisation, le plus souvent à la tête d'un groupe social plus large lui servant d'assise et exerçant une fonction de pouvoir ou d'influence au sein d'une société donnée ». Cf. mougel f.-ch., Elites et système de pouvoir en Grande-Bretagne, 1945-87, Bordeaux, Presses Universitaires de Bordeaux, 1990, p. 20. Voir aussi bibliographie sur l'ensemble des questions élitaires, ibid, pp. 24-29.
2 Ibid, pp. 206-10 ; cf. aussi mackintosh j. p., The Government and Politics of Britain, London, Hutchinson, 1978, pp. 16-22.
3 guttsman w. l., The British Political Elite, London, McGibbon and Kee, 1964.
4 thompson f. m. l., English Landed Society in the XIXth Century, London, Routledge and Kegan Paul, 1963.
5 crouzet f., L'économie de la Grande-Bretagne victorienne, Paris, Sedes-CDU, 1978.
6 baumann z., Between Class and Elite : the Evolution of the British Labour Movement, Manchester U.P, 1972.
7 mougel f. ch., Elites et système de pouvoir, ouv. cité, pp. 288-291.
8 schwartzenberg r. g., Sociologie politique, Paris, Montchrestien, 1971, pp. 468-71 ; harris n., Competition and the Corporate Society, London, Methuen, 1972 ; middlemas k., Politics in Industrial Society, the Experience of the British System since 1911, London, Deutsch, 1975.
9 kavanagh d., Thatcherism and British Politics : the End of Consensus ?, Oxford U. P, 1987 ; leruez j., Gouvernement et politique en Grande Bretagne, de Wilson à Thatcher, Paris, Presses FNSP, 1989 ; charlot c., L'énarchie à l'anglaise, Lille, Presses universitaires de Lille, 1989.
10 mougel f.-ch., Elites et système de pouvoir, ouv. cité, pp. 288-291.
11 Ibid. pp. 291-293.
12 Ibid. pp. 293-295.
13 Ibid. pp.295-313.
14 leruez j., Le phénomène Thatcher, Bruxelles, Complexe, 1991, pp. 103-201.
15 bedarida f., L'angleterre triomphante, 1832-1914, Paris, Hatier, 1974, pp 121-34.
16 mougel f.-ch., Elites et système de pouvoir, ouv. cité, pp. 313-327 ; bedarida f., La société anglaise du XIXe siècle à nos jours, Paris, Seuil 1990, pp. 413-52.
17 bedarida f., La société anglaise, ouv. cité, pp. 215-223.
18 jowel r., withespoon s. w. et brook l. Eds, British Social Attitudes, the 1987 Report, Aldershot, 1987.
19 huizinga j. h., The Confessions of an European in England, 1958, cité dans bedarida f., La société anglaise, ouv cité, p. 286.
20 mougel f.-ch., Elites et système de pouvoir, ouv. cité, p. 418-25.
21 stone l. et fawtier-stone j. c., An Open Elite ? England, 1540-1880, Oxford, Oxford U.P., 1986, pp. 277-308.
22 daudy p., Les Anglais, Paris, 1989.
23 mougel f.-ch., Les élites et système de pouvoir, ouv. cité, pp. 337-68.
24 Ibid., pp. 369-417.
25 Ibid., pp. 418-25.
26 Ibid., pp. 10-19.
Auteur
Professeur à l'Institut d'Etudes Politiques de Bordeaux
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