Avant-propos
p. 5-9
Texte intégral
1Cette publication est le premier résultat d’une réflexion de l’ensemble des membres de l’Equipe de Recherche en Histoire Politique Contemporaine créée en 1991. Le titre de l’ouvrage, qui est aussi le thème de la Journée d’études du 31 janvier 1992, organisée par l’équipe : « Les élites fins de siècles, xixe-xxe siècles » mérite précisions. Il est le reflet de travaux antérieurs à la création de l’équipe.
2Pendant longtemps, le thème des élites, lié au concept de pouvoir fut le champ réservé aux politologues comme Robert Dahl et aux sociologues comme Ezra N. Suleiman, Pierre Bourdieu ou Pierre Birnbaum. Les historiens ont apporté leur contribution, souvent à partir d’études prosopographiques. Citons Quarante ans de cabinets ministériels de René Rémond, Aline Coutrot, Isabel Boussard, Les ministres de la République, 1871-1914 de Jean Estèbe ou encore Les élites de la République, 1880-1900 de Christophe Charle.
3La thèse d’André-Jean Tudesq sur les grands notables a ouvert la voie aux travaux d’historiens qui raisonnent sur le long terme et à partir de fiches prosopographiques pour dégager ensuite les conclusions sur le pouvoir et sur le renouvellement ou non des élites. On peut également citer l’enquête menée par Georges Dupeux sur les élites politiques de l’ensemble des départements français. Plus récemment, il y eut aussi les enquêtes sur les maires de Maurice Agulhon et Louis Girard. Nombreux sont également les membres de notre équipe qui participent à l’enquête nationale sur les parlementaires de la IIIe République, du Centre de Recherche sur l’Histoire du xixe siècle, dirigé par Jean-Marie Mayeur (Paris IV-Sorbonne) et Alain Corbin (Paris I-Sorbonne).
4Le champ d’étude de cette journée consacrée aux élites est volontairement large. Ont été successivement analysées les élites régionales qui font l’objet de la majorité des communications, les élites nationales et enfin trois exemples d’élites étrangères. A l’ouverture géographique s’ajoute la multiplicité structurelle. Les élites politiques constituent le champ d’investigation privilégié mais ne sont exclues ni les élites économiques, ni les élites culturelles. L’ensemble des communications témoigne de l’ampleur des travaux menés à partir des sources d’archives classiques (État civil, statistiques électorales, documents notariés etc...) mais également des sources orales pour les périodes plus récentes.
5Deux problématiques communes aux différentes interventions se dégagent de cet ensemble. La première porte sur la notion de vivier, de réseaux favorables à la formation des élites. La seconde tente de répondre au problème de la permanence ou du renouvellement des élites, tout particulièrement entre la fin du xixe siècle et la fin du xxe siècle.
6Les réponses à la première question sont relativement homogènes. Parmi les viviers les plus connus ont été cités le barreau par Pascal Plas, les facultés de droit et de médecine par Jean-Claude Drouin et Bernard Lachaise, l’université par Christine Bouneau. Le rôle des réseaux est souligné par Jean-Paul Jourdan qui insiste sur l’enracinement des notabilités locales, tout comme Joël Dubos et Gilles Le Béguec qui, par ailleurs, montre l’interpénétration des élites par la formation de lobbies. L’identification des élites culturelles est cependant plus floue, comme le souligne Françoise Taliano-Des Garets à cause de la polysémie du concept de culture. Mais dans l’ensemble, les élites sont identifiables à partir de l’étude de réseaux et de repères sociologiques spécifiques. Mais ceux-ci sont-ils pour autant constants ? Le système élitaire a-t-il des structures permanentes qui transcendent le renouvellement des hommes ?
7Le débat autour de la permanence et du renouvellement des élites apporte des réponses plus contrastées. L’ampleur du renouvellement des élites est souligné dans la majorité des communications. Jean-Claude Drouin et Bernard Lachaise montrent à partir de l’exemple des parlementaires d'Aquitaine occidentale la montée d’une nouvelle génération d’élus républicains à la fin du xixe siècle. Dans les années quatre-vingts, ce sont les parlementaires socialistes qui dominent. Le renouvellement est particulièrement marqué pour les élites économiques de la fin du xixe siècle. Christophe Bouneau montre comment l’innovation électrique s’est accompagnée de mutations des acteurs, entrepreneurs, responsables politiques locaux et consommateurs. Hubert Bonin souligne le rôle des « parvenus des affaires », mais ce changement paraît moindre à la fin du xxe siècle malgré l’influence des cadres dirigeants salariés. Guy Pervillé analyse dans sa contribution sur l’Algérie l’émergence de nouvelles élites intermédiaires favorisées par le système éducatif, ce qui pose par ailleurs le problème de leur accession à la citoyenneté française. Ainsi, les mutations économiques, la démocratisation de la vie politique, expliqueraient le renouvellement des élites mais les discussions ont montré que ce schéma mérite d’être nuancé. En fait ce sont les hommes qui ont changé plus que le système élitaire en soi et plus que les fonctions opératoires des élites. François Charles Mougel en fait la démonstration pour la Grande-Bretagne, Sylvie Guillaume pour le Canada mais ce phénomène est également sensible pour les élites régionales en France et il est accentué par leur professionnalisation.
8Ce constat explique les parentés entre la fin du xixe siècle et la fin du xxe siècle, moins différentes qu’on aurait pu le croire a priori. Les deux fins de siècles, plus que des tournants, sont en réalité des aboutissements d’un processus antérieur. En fin de siècle, les systèmes élitaires ont intégré les mutations qui ont affecté les élites à la suite de transformations économiques, sociales et politiques.
9Cette capacité d’intégration de tout système élitaire donne ainsi à l’historien un tableau plus nuancé que contrasté entre les deux fins de siècles.
Auteur
Professeur d’histoire contemporaine Université Michel de Montaigne-Bordeaux III
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