Chapitre 1. Les pratiques sportives de pleine nature en montagne
p. 25-70
Texte intégral
1L'appellation "Pleine Nature" est aujourd'hui contrôlée c'est-à-dire dotée d'un label reconnu. Elle fait référence aux activités physiques s'exerçant en milieu non urbain, moins policé, moins soumis à des règles arbitraires qui défient bien souvent l'efficacité ou la logique.
2Ces activités sont communément désignées par le sigle a.p.p.n.1. Cette dénomination est le fruit de la dérive historique des rapports entre tes concepts de Santé, de Nature et tes pratiques sportives associées des individus et nécessairement des institutions qui les gèrent.
I. L'ÉVOLUTION HISTORIQUE
A. le capital santé : du biologique au sociologique
3La santé se présente comme principe organisateur de la vie sociale quand, associée à un certain hygiénisme de fait, elle est souvent citée dans les motivations principales d'une pratique physique régulière. L'intérêt actuel "porté au corps, l'aspiration à la beauté physique, les réflexions sur le bon usage du temps libre et des vacances (Y. Barel, M. Butel, 1988) justifient un ensemble diversifié d'exercices. Le capital corporel, significativement identifié, est l'objectif avoué. Il s'agit selon les cas de le constituer, de le conserver ou de le restaurer par l'exercice promu au rang de moyen.
4Si définir a priori cette notion d'exercice physique par une forme de pratique soumise à un entraînement relativement méthodique ne soulève pas d'opposition, saisir le concept de santé est plus difficile. En effet, il renvoie à un certain nombre de valeurs comme la durée de vie, la capacité de travail, la force, la résistance à la fatigue, l'absence de douleur etc. (Jaspers, 973).
5Ces différentes valeurs, au sens de G. Rocher2, sont les manières d'être, d'agir, qu'une personne ou une collectivité reconnaissent comme idéales et qui rendent désirables et estimables les êtres ou les conduites auxquels elles sont attribuées. Inscrites dans la réalité des mentalités, mises en évidence dans les pratiques sportives, ces valeurs évoluent nécessairement d'un groupe à l'autre et d'une époque à l'autre.
6Trois étapes parmi d'autres paraissent éclairer la dilatation progressive du concept de santé et sa diffusion continue à travers les champs disciplinaires de la physiologie, de la psychologie et de la sociologie.
7En 1936, la santé ou "la vie dans le silence des organes" (Leriche, 1936) va se définir dans le quotidien, par opposition à la maladie dont les effets principaux, douleur et infirmité, se traduisent objectivement par une réduction des potentialités individuelles et collectives.
8En 1968, elle devient "une disposition active, une disponibilité du corps pour l'effort et le progrès" (Bouet, 1968).
9Enfin, en 1973, le terme signifie la conduite de "relations personnelles et sociales satisfaisantes" (Belbenoit, 1973).
10Ces définitions mettent l'accent, progressivement, sur la notion de demande sociale. L'expression des exigences collectives conscientes ou non, définit bien, par la normalisation des moyens techniques de santé ou d'éducation, "la structure d'une société vis-à-vis de ce qu'elle estime être son bien singulier" (Canguilhem, 1975). Les pratiques sportives, à leur niveau, gardent le rôle de moyen dans un rapport de subordination aux objectifs d'une santé évoluant avec la sensibilité de son groupe de référence.
B. le capital nature : du besoin d'air à la pleine nature
1/ Le besoin d'air
11La pleine nature de son côté actualise l'aboutissement d'une démarche hygiénique ambiguë que l'on peut faire débuter au xviiie siècle avec la poussée conjuguée des forces sociales et scientifiques. Il s'agit à cette époque, par conviction philosophique et médicale ou par opposition politique, d'offrir la possibilité aux individus et notamment aux enfants de prendre de l'exercice et de s'aérer activement même si cet air naturel recèle toujours en certains endroits comme la campagne, des "odeurs putrides ou morbifiques" (Corbin, 1982).
12Plus tard, au milieu du xixe siècle, se développe une période de mécanique des échanges qui évalue le volume d'air nécessaire à la santé3. Ce besoin vital correspond à une conscience sensibilisée aux miasmes produits par la promiscuité des corps. L'air doit circuler dans les milieux clos.
2/ De l'air au "grand air"
13Dès 1880, les avancées de la physiologie bousculent4 cette fonction purement mécanique et mettent en évidence le rôle de l'oxygène dans le fonctionnement cellulaire. Ce n'est plus le volume qui importe mais le mode d'utilisation, le rendement. Le bio-mécanique cède devant le bio-énergétique.
14Parallèlement, avec la création des premiers clubs sportifs d'inspiration anglaise, comme la Société Nautique en 1859, le Club Alpin en 1874 et le Touring Club à la fin de ce siècle, les bourgeois "circulent" à l'air libre et le grand air5 est associé à la nature, à la liberté, à une certaine re-naissance.
3/ Du "grand air" au plein air
15Concurremment, en 19136, deux promoteurs originaux, Hebert avec sa méthode naturelle et Carton avec le naturisme, vont développer conjointement une méthode et des "pratiques corporelles fonctionnelles harmonieuses", alternatives aux excès sportifs et aux raideurs gymniques. L'importance accordée au soleil, la recherche de purification au contact "d'éléments naturels" et le milieu social privilégié touché, permettent de parler, à l'occasion du glissement du grand air vers le plein air, du "destin psychique de l'hygiène".
4/ Du plein air à la pleine nature
16Quand l'accès au loisir se démocratise7, quand la sensibilité à la qualité de la vie s'affine, quand le mythe du progrès se relativise, le souci de la production d'une énergie s'estompe, au profit d'une meilleure gestion du "potentiel humain". Cela devient possible grâce à une meilleure prise d'information sur soi, les autres et le milieu.
17Le pilotage interactif (Paillard, 1980)8 qui en découle est moins agressif, plus économique, en un mot plus harmonieux. On assiste à l'avènement d'un autre système de référence : le bio-informationnel. Privilégié dans les "activités de glisse" de pleine nature, ce dernier donne à la nature le rôle entier de partenaire privilégié avec lequel doit s'effectuer un dialogue permanent.
C. le capital sportif : de l'hygiène à la performance sportive
18L'évolution des mentalités et des connaissances scientifiques transforme également, de façon progressive, le statut et le rôle dévolus aux pratiques sportives. À la fin du xviiie siècle prendre de l'exercice "qui secoue modérément la machine" (Ballexserd, 1762) fait référence à la mécanique corporelle et à un souci pédagogique, la libération des contraintes sociales auxquelles ce corps est soumis. Mais l'intensité de l'activité physique produit encore, selon qu'elle est modérée ou excessive, un délassement ou une usure.
19Son caractère facultatif et volontaire dans le sport ou obligatoire et nuisible à la santé dans le travail, distingue un public car "la sueur est le signe d'un excès qui est lié à une organisation sociale (Defrance, 1976). Cependant la nouvelle confiance dans la nature (Rousseau, 1762) et l'adhésion à l'idée de perfectibilité humaine (Verdier, 1792) donnent le premier rôle à l'entraînement : "contrairement à la machine, le corps qui s'entraîne ne s'use pas, il se régénère" (Rauch, 1982). Ainsi dès 1813, à l'aide de la gymnastique et grâce à la création de l'Institut Central de Stockholm, Ling lutte contre les effets de l'alcoolisme et de la tuberculose au sein de la population suédoise. Médecins et pédagogues de l'époque, en tentant de sauver de la dégénérescence des collectivités défavorisées, visent la restauration d’une norme, norme que l'on souhaite dépasser dans une période marquée aussi par la théorie de Lamark et le courant évolutionniste. Ce courant adopté par les zootechniciens et les "trainers" anglais prône notamment, grâce à l'exercice, l'amélioration de la performance et le dépassement de la norme.
20Les pratiques sportives vont constituer rapidement l'essentiel des moyens de ce dépassement du quotidien (plus haut, plus vite, plus fort dans la devise olympique des Jeux rénovés de 1896). À ces conditions, la santé au sens premier n'est plus l'objectif de l'exercice mais la condition d'une pratique.
21De ce survol historique nécessairement rapide et donc incomplet, on retiendra que les différentes dimensions abordées, à savoir l'air, le grand air, le plein air, la pleine nature, soulignent dans l'ordre la prépondérance accordée successivement à l'élément, à l'activité, à l'espace, aux relations et donc à quatre fonctions : consommation, production, expression et communication.
22On serait alors tenté de dire que les activités de Pleine Nature telles qu'elles se développent aujourd'hui par le biais de ces nouvelles pratiques de loisir sportif, sont de véritables Activités Physiques de Pleine Culture. En effet les techniques sportives, définies comme l'ensemble des moyens transmissibles mis en œuvre pour effectuer le plus efficacement une tâche motrice donnée (Vigarello, 1988), font partie des techniques du corps (Mauss, 1950), fruit incontestable d'une culture donnée.
23Les modes d'accès à ces activités physiques de pleine culture (a.p.p.c.) portent l'empreinte de leur civilisation.
D. le capital vacances : de la performance sportive à la détente / plaisir et à l'informel. l'exemple de la montagne
24Le temps des vacances est aujourd'hui un temps primordial pour se valoriser, mettre à profit la coupure dans le rythme annuel.
25On voit apparaître la volonté de bénéficier d'une valeur ajoutée9 liée à la culture, à une formation ou à un apprentissage personnel, mais aussi à une pratique sportive. Mais là aussi l’approche a fortement changé, puisque les gens qui pratiquent un sport en vacances pour leurs loisirs et leur plaisir ne sont pas, pour la majorité d'entre eux, à la recherche de performances liées à une pratique techniciste de haut niveau.
26La perte des repères et de valeurs sociales liée à la crise actuelle des pays développés, crée aussi un phénomène intéressant de restructuration sociale, qui s'oppose de plus en plus aux valeurs d'individualisme des vingt dernières années. Le sport bénéficie de ce retournement de tendance qui, sans revenir aux valeurs de solidarité sociale mises en avant par nos aînés d'après-guerre, tend à favoriser la pratique en petit groupe, avec quelqu'un pour encadrer, montrer et faire progresser plutôt que, à la manière traditionnelle des écoles du sport, enseigner. La recherche d'une plus grande authenticité et de convivialité est aujourd'hui de plus en plus exprimée chez les jeunes, associée à une plus grande autonomie et à une plus grande liberté dans l'organisation des pratiques.
27Pour les générations plus âgées, qui ont acquis une bonne pratique sportive, il reste la volonté de maintenir leur potentiel physique pour préserver leur capacité à faire des choses, à vivre de nouveaux projets ou connaître plus longtemps des sensations physiques à travers le sport : la santé s'installe ainsi au cœur de leurs motivations.
28Enfin, il convient de rappeler ici l'importance des modes de vie urbains, qui ont fortement modifié l'approche du sport. Le sport est devenu un exutoire au stress des grandes villes, une manière d'utiliser son temps disponible près de chez soi ; le retour aux espaces naturels ne se faisant qu'à l'occasion d'événements particuliers comme les vacances, qu'il est possible alors de valoriser grâce aux entraînements et aux progrès réalisés le reste de l'année.
29Les études relatives aux vacances des Français10 montrent, d'une manière assez étonnante, que très peu d'entre eux souhaitent des vacances sportives. Les personnes interrogées préfèrent avant tout, pendant leur temps de vacances, "se reposer sans avoir d'activités précises" (35,6 %), voir des parents ou des amis (27,2 %), faire du tourisme culturel (10,8 %), plutôt qu'exercer une activité sportive (4,9 %).
30La montagne arrive en seconde position des destinations (41 %), après la mer qui reste, pour 58 % d'entre eux, la destination de vacances la plus attirante et devant la campagne (30 %). D'une manière générale, les "montagnards" affichent une préférence pour la moyenne montagne (44 % pour les Alpes de moyenne montagne, 41 % pour les Pyrénées), jugée plus "rassurante". Cette préférence croît avec l'âge.
31Les "montagnards" apparaissent comme les plus sportifs (10,8 % des Français qui choisissent la montagne déclarent avoir pour but principal de pratiquer une activité sportive), assez loin devant les "itinérants" (6,2 %) sportifs, ceux qui ont choisi la mer (4,5 %), la campagne (2,8 %) ou la ville (1,4 %).
32Mais si le sport n'apparaît pas comme la première préoccupation des vacanciers, on sait cependant que de nombreux estivants profitent de leurs vacances pour découvrir ou redécouvrir la pratique sportive, le plus souvent sous une forme ludique.
33Leur demande s'oriente plus vers une consommation de loisirs, où le sport n'est qu’une composante et non une fin en soi. Or, l'offre des producteurs reste souvent centrée sur la pratique sportive, négligeant ainsi une part essentielle de marché : le "tout public" séduit par l'ambiance sportive de la montagne.
34Les vacances à la montagne sont donc plus une demande pour un tourisme de destination plutôt qu'un tourisme de produit avec une évolution des styles de vacances orientée vers moins de contraintes et plus d'exigences. Parmi la diversité croissante des aspirations individuelles vis-à-vis de la destination, semblent dominer :
- La recherche d'un environnement naturel, riche, varié et protégé aussi bien pour les paysages que la faune et la flore.
Cet environnement doit permette de découvrir des paysages authentiques, s'opposant aux paysages urbains quotidiennement vécus.
A. Lebègue11 décrit cette variété et cette richesse pour les montagnes pyrénéennes, qui restèrent, plus longtemps que leur grande sœur, les Alpes, des montagnes "fermées", difficiles d'accès et de ce fait aujourd'hui plus "sauvages" et naturelles tout en ayant gardé un héritage humain et culturel fort et vivant. - La recherche de l'épanouissement physique par la pratique d'activités corporelles libérées de tout esprit de compétition et de toute contrainte et donc le plus souvent individuelles et à faible technicité, pour compenser l'inactivité et le stress liés aux emplois tertiaires.
- La quête de la couleur locale, architecture, coutumes, arts et traditions populaires, costumes et accents du terroir..., motivée par la recherche d'un cadre de vie inhabituel12.
- Le désir de récréation et de distractions familiales ou collectives (jeux de société, lieux de rencontre publics, fêtes et réjouissances populaires, en réaction contre la grisaille et la solitude de la vie quotidienne. Le tout dans une ambiance socialement ouverte, débarrassée de tout dirigisme sportif ou socioculturel mais offrant, en libre service, des prestations d'accueil et d'animations de loisirs diversifiées.
35Même si les montagnes communiquent beaucoup en s'appuyant sur leurs activités sportives et de découverte (dépliants, campagnes médias...) cette communication déclenche, au-delà de quelques stages sportifs (5 % de l'ensemble des nuitées sur l'été pour les Pyrénées par exemple), une consommation directe essentiellement liée à la destination, au séjour lui-même (hébergement.). Ce n'est qu'une fois sur son lieu de séjour que le touriste séduit va chercher à consommer des loisirs sportifs. Il se trouvera souvent démuni car les produits, spécialement conçus pour lui, sont peu nombreux. Il lui restera alors à bâtir lui-même son produit, en saisissant les opportunités auprès des offices de tourisme, bureaux des guides... (Lesgarde, 1992). On s'aperçoit qu'il n'y a pas toujours de lien logique, de relais, entre la communication d'images et la déclinaison des produits sur le terrain, mais plutôt une mauvaise relation entre l'offre et la demande. Il y a un décalage entre d'une part, la préoccupation des institutions qui "focalisent" sur une communication grand public et les réalités et les contraintes qui s'imposent aux producteurs.
LA MONTAGNE, MEMOIRE DE LA NATURE ET DES HOMMES
Gardien de la mémoire des Pyrénées, le berger connaît la genèse de la chaîne. Il sait que Pyrène, la fille du roi de Cerdagne, était trop belle. Si belle qu'Hercule ne put s'empêcher de la séduire avant de repartir vers son dixième travail, le rapt du bétail de Géryon. Désespérée, la princesse se lança à sa poursuite. Mais elle fut attaquée et dévorée par des fauves dans la grotte de Lombrives où une stalagmite marque sa sépulture. De retour en Catalogne, le héros, envahi par le remords et le chagrin, décida de se rendre sur le tombeau de la malheureuse princesse. Là, pris de colère, il éleva un mausolée en empilant tant de rochers qu'ils donnèrent naissance aux Pyrénées.
Moins romantique que la légende, l'explication scientifique de l'origine des Pyrénées n'en est pas moins fascinante. Toute la lumière est loin d'être faite sur les causes du soulèvement de la chaîne et ce qui vaut pour les Pyrénées occidentales n'est pas obligatoirement vrai pour la partie orientale. Toutefois, plusieurs constatations s'imposent : les Pyrénées ne constituent que l'un des maillons du vaste ensemble orogénique s'étendant de l'Atlas marocain à la Nouvelle-Guinée et leur naissance s'est effectuée en plusieurs étapes.
L'érosion et les grands glaciers quaternaires se chargèrent de finir le travail en dessinant les vallées. Loin d'émousser les reliefs, ils ont accentué ses irrégularités, creusé de petits bassins au fond plat, barré les vallées par des verrous, suspendu des terrasses et corniches, taillé des gorges, tracé des cirques, cependant que de son côté le gel aiguisait les cimes. Les modelés pyrénéens doivent tout aux grandes glaciations.
"Aqué los mountagnos
qué tant haoustes sount,
M'empachian de bèse
Mas amours ou sount."
"Ces belles montagnes,
Qui tant hautes sont,
M'empêchent de voir
Mes amours où ils sont."
Devenue le véritable chant national dans tout le Sud-Ouest, le « Se canto que canto", la célèbre cantilène, composée au xive ou xve siècle, peut-être par Gaston Fébus, le dit bien : les Pyrénées sont un obstacle, une gigantesque barrière sans faille qui n'admet d'autres bornes que la mer et l'océan. Mais faut-il espérer avec l'auteur de la chanson qu'un jour elles s'abaisseront.
Certes la muraille, en s'effondrant, le laisserait enfin voir l'objet de son amour.
Mais quelle perte ce serait, car derrière la façade apparemment impénétrable, qui se dresse d'un coup au dessus de la plaine, se cache un univers varié et attachant.
Des paisibles mamelons du Pays Basque aux rochers ciselés et sculptés des Albères, des sombres gorges de Soule ou de la Fou aux paysages inondés de lumière de Cerdagne ou de Luz, des verdoyantes vallées du versant nord aux arides canyons aragonais, la nature revêt mille visages dans les Pyrénées.
Pourtant ce n'est peut-être pas là, ni dans des sites grandioses comme Gavarnie ou les Riglos que réside l'originalité première de la chaîne. Sa personnalité tient aussi dans sa forte humanisation. L'héritage humain est aussi riche et varié que celui de la nature. L'archéologie, avec Niaux, l'histoire, avec Roncevaux, la science, avec le pic du Midi de Bigorre, et la religion, avec Lourdes, ont trouvé de hauts lieux dans les Pyrénées, une montagne d'où est partie la Reconquista et qui a été une pépinière de dynasties.
Antoine Lebègue - Connaître les Pyrénées (extraits)
Sud-Ouest
LES PYRENEES, CONSERVATOIRE DE LA NATURE
Le milieu naturel des Pyrénées présente une grande richesse. Avec un millier de variétés il abrite environ un tiers du patrimoine végétal français. Quant à la faune, elle possède de si nombreuses espèces endémiques qu'elle apparaît « comme une sorte de conservatoire génétique » (Pierre Minvielle).
Comme dans toutes les montagnes du monde, la végétation s'ordonne en une succession d'étages. Traditionnellement les botanistes en comptent six :
L'étage collinéen (jusqu'à 800-900 m) est le domaine du chêne et, dans les régions les plus basses, du bocage défriché par l'homme.
Au-dessus, l'étage montagnard (jusqu'à 1500-1600m) a été colonisé lui aussi par la forêt avec la hêtraie-sapinière.
L'étage altimontain (jusqu'à 1 800m) est la terre d'élection des bouleaux et sorbiers.
Vient ensuite l'étage subalpin (jusqu'à 2 100m) où les forêts discontinues de pin à crochet laissent progressivement la place aux landes et pelouses.
L'étage alpin (jusqu'à 3 100m) évolue des pelouses rares et discontinues (jusque vers 2 600m) vers les rocs et éboulis.
Enfin l'étage nival voit régner les neiges et glaces avec des formations végétales marginales, principalement des mousses et lichens.
L'un des principaux charmes de toute promenade dans les Pyrénées est la découverte des fleurs qui ornent les villages ou parsèment les prairies : le rhododendron et la jonquille... l'edelweiss qui pousse dans les montagnes au-dessus de 1 000 mètres, le lis des Pyrénées., l'androsace ou de la ramondie des Pyrénées qui fleurit sur les rochers au bord des torrents et qui a été dédiée à Ramond, l'explorateur du Mont-Perdu.
Les Pyrénées ont aussi de quoi séduire les amateurs de faune sauvage :
L'isard, cousin du chamois alpin, est l'animal montagnard par excellence. Il s'est remarquablement adapté au milieu montagnard, allant jusqu'à s'acclimater du contexte forestier où il se réfugie l'été lorsque les troupeaux occupent ses pâturages.
Le grand tétras, ou coq de bruyère, qui est issu de la hêtraie primitive, se distingue par son dimorphisme sexuel, le mâle (noir) et la femelle (rousse) et par son chant.
Le lagopède, lui, est un oiseau particulièrement original par ses capacités mimétiques. Aussi blanc que la neige en hiver, il prend ensuite les couleurs, fauve gris et noir, de la roche.
Les vautours sont aujourd'hui rarissimes mais leur vol que l'on peut admirer dans les centres d'élevage comme Beaucens est toujours un spectacle d'une rare beauté.
Le gypaète est comme le vautour un rapace. Mais il se nourrit d'os qu'il casse et possède un plumage très coloré qui fait penser à un oiseau exotique.
L'ours brun, puissant animal, est devenu très rare (10 à 15 individus pour l'ensemble de la chaîne) et pratiquement invisible. Mais on peut parfois observer ses traces, qu'il s'agisse d'empreintes sur le sol ou de griffures sur les arbres. Ses derniers bastions sont cantonnés dans les vallées d'Aspe et d'Ossau, dans le Luchonnais et en Couserans.
Le desman est le fleuron de l'endémisme pyrénéen. Surnommée - rat trompette-, cette étonnante taupe aquatique est aussi rare à observer que l'ours. Sorte de triton au ventre jaune, l'euprocte est lui aussi un animal aquatique. Bien que discret, sa présence est révélatrice de la qualité des eaux car il fuit la pollution.
Antoine Lebègue - Connaître les Pyrénées (extraits)
Sud-Ouest
LES PYRENEES : UNE MEMOIRE VIVANTE
La vie dans la montagne s'est construite autour de la notion d'équilibre avec la nature.
L'un des meilleurs exemples de l'adaptation de l'homme au milieu est fourni par l'habitat. Il n'existe pas un type unique de maison pyrénéenne, mais plusieurs, chacun correspondant à des conditions climatiques et topographiques spécifiques.
Ainsi dans le Pays Basque le souci majeur est de se protéger des vents d'ouest qui apportent la pluie. Les maisons forment donc un bloc présentant au couchant une façade presque nue.
Dans les vallées, notamment béarnaises et bigourdanes, les nombreux galets charriés par les gaves et les nestes ont fourni un matériau de construction particulièrement solide.
En revanche, le sol étant rare et précieux, l'habitation comme ses dépendances sont ramassées et évitent la place perdue. Les maisons qui donnent directement sur le torrent ne sont pas rares, faisant le charme de plusieurs villages, de même que les galeries de bois ouvertes sur le sud pour permettre aux habitants de profiter pleinement des rayons du soleil.
Dans le piémont les constructions tendent plutôt à s'étaler et les toits très pentus d'ardoise, rendus nécessaire en montagne par la neige, laissent la place à la tuile, que l'on retrouve, à l'est, dans les Pyrénées méditerranéennes au climat plus sec.
La proximité de la nature et les zones de mystère qu'a longtemps laissé subsister l'exploration de la montagne a permis aussi aux Pyrénées de conserver vivants des rites et des croyances remontant dans la nuit des temps.
Certains villageois voient encore le monde de l'obscurité peuplé de bêtes pharamines et d'êtres surnaturels, qu'ils aient pour nom fées, sorcières ou laminak (lutins velus du Pays Basque).
La richesse des traditions dans les Pyrénées se traduit notamment par l'importance des fêtes et des processions. D'un bout à l'autre de la chaîne, les habitants savent extérioriser leur appartenance à la communauté.
En juillet, pour les fêtes de la Saint-Firmin, Pampelune connaît toujours l'exultation que décrivit Hemingway. Et à Perpignan les frontières entre le passé et le présent s'effacent lorsque la procession de la Sanch parcourt les rues de la ville.
Mais rares sont les célébrations aussi chargées de signification que les pastorales de Soule. A chaque fois c'est la tradition médiévale des mystères qui revit...
Ce sont aussi les forces du Bien et du Mal qui se heurtent lorsque, du début janvier au mardi-gras, de village en village les mascarades se mettent en marche au son de la txirula la (flûte à trois trous). Tous ces rites, très hauts en couleurs, ont conservé une grande authenticité.
On pourrait presque parler d'un endémisme culturel, tant certains aspects de la civilisation traditionnelle sont liés à la personnalité pyrénéenne. Son fait marquant est le maintien d'usages, rites et croyances préchrétiens.
L'un des exemples les plus parlants à cet égard est l'intervention de l'ours, sous la forme d'un homme déguisé ou au visage noirci, dans le rite carnavalesque. L'animal se jette sur une jeune fille, la Rosetta, pour l'enlever et la violer. Les chasseurs, qui essaient de l'en empêcher, l'accompagnent en un cortège bruyant à travers les rues de la ville. Sur la place principale, ils font semblant de tirer sur lui.
La symbolique de cette fête est très chargée : dans un pays où le cycle des saisons se traduit par un changement total des paysages et des modes de vie. L'ours, en sortant de sa tanière pour mourir, personnifie la fin de l'hiver et le retour du printemps, mais en se relevant à plusieurs reprises il garantit par un lien magique avec la nature que l'année nouvelle succédera bien à l'ancienne...
Antoine Lebègue - Connaître les Pyrénées (extraits)
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E. les équipements sportifs de pleine nature en montagne
36L'exemple des Pyrénées montre la richesse mais aussi l'imparfaite connaissance des sites sportifs en relation directe avec la pleine nature (cf. carte). En effet l'importance des équipements et des pratiques sportives dans les Pyrénées ne peuvent se résumer au seul relevé des zones d'activités. D'une part les informations disponibles à l'échelon national ou local, au niveau des structures publiques, fédérales ou privées sont partielles et dispersées et, d'autre part, les pratiques "sauvages", par définition insaisissables de l'extérieur, ne peuvent pas être prises en compte.
37En ne retenant, pour des raisons de lisibilité, que les principaux sites de pratique sportive "labellisée" par les fédérations compétentes (canoë-kayak, escalade, parapente) ainsi que l'ensemble des stations de ski, nous touchons cependant la majorité des pratiquants sensibles aux contraintes spécifiques des ces différentes activités.
38L'implantation et la pérennité d'un site propice dépendent de nombreux facteurs. Mais la facilité et la rapidité d'accès restent les conditions essentielles du succès dans un premier temps, puis jouent un rôle de filtre entre les catégories d'usagers de la montagne. L'histoire de l'ouverture des espaces montagnards aux urbains se confond avec celle de l'exploitation puis la défense de ses ressources : du bois à l'hydroélectrique puis à "l'or blanc" en passant par les thermes.
39Le ski a été et reste la première pratique de masse13. Les 28 stations de ski des Pyrénées sont en général installées sur les pentes à dominante nord, au fond des grandes vallées, perpendiculaires à l'axe est/ouest de la chaîne des Pyrénées.
40Ces vallées, d'origine glaciaire pour la plupart, disposent de cours d'eau de plus en plus difficilement navigables vers l'amont. Le canoë-kayak, quand les caractéristiques s'y prêtent, cède le pas au canyoning.
41Les parois équipées pour l'escalade (47), exposées en majeure partie au soleil, sont situées, sauf pour quelques vallées suffisamment larges, en grande partie dans le piémont. Ces équipements respectent en cela la partition escalade/alpinisme, chère à l'imaginaire comme aux dispositions réglementaires régissant les différentes catégories des métiers de la montagne.
42Le parapente officiel (61) s'est installé de préférence sur des crêtes accessibles, proches donc d'une route, d'une station. Ces décollages surplombent des aires d'atterrissage dégagées. L'orientation est à dominante nord à la fois pour éviter de subir les flux de vent de sud perturbés par le passage de la chaîne et pour profiter aux mieux des brises de vallées.
43La densité remarquable de l'ensemble des implantations témoigne de l'intérêt des activités sportives en montagne. Elle fait cependant apparaître, par contraste, une partie centrale curieusement "vierge". Située d'ouest vers l'est, entre les villes de Fos et de Seix, entre la vallée de la Garonne et celle du Salat, ce "désert sportif" épouse la remontée de la frontière franco-espagnole vers le nord.
44Cette zone ne recèle pourtant aucun espace protégé de type parc national, réserve naturelle, site classé ou même réserve nationale de chasse qui s'articulent en haute montagne, le long de la frontière14. Sans doute, et cela conforte les propos de Dendaletche, le besoin n'est pas encore apparu "de créer des espaces protégés comme mesure compensatoire d'aménagement d'autres espaces".
45Ressources à exploiter ou à protéger, patrimoine naturel ou culturel, qu'il faut sauvegarder ou développer, autant de contradictions qui agitent les acteurs de la montagne.
46Avec un slogan comme "le salut vient de la montagne" c'est le "capital nature" qui est mis en avant comme la première richesse de la chaîne. Face aux revers économiques subis par la plaine et le piémont, l'espoir de développement vise les hauteurs. La montagne reste victime d'une représentation qui entretient la confusion entre nature et culture dans un climat de culpabilité propre aux urbains et liés au constat de la surfréquentation des sites, de leur urbanisation et de la régression des espèces animales. "Dans l'imagerie habituelle c'est un refuge préservé, réceptacle d'archaïsme et refuge pour la faune et la flore"15.
47Les hautes altitudes sont des espaces reliques, c'est-à-dire pas encore investis, transformés et détruits, sanctuaire d'une vie sans hommes, qu'il faut à tout prix préserver.
48Dans l'histoire des rapports ambigus à la montagne, la nature a menacé l'homme jusqu'au xixe siècle avant d'être mise, en retour, en danger. Le naturel devient alors une catégorie supplémentaire au même titre que le foncier et le financier. Ce patrimoine, un territoire dont l'usage exclusif est retiré aux locaux, va être confié à gérer aux ingénieurs (des Eaux et Forêts entre autres), puis investi par les "touristes".
49C'est l'origine de conflits qui opposent alternativement ou ensemble :
- les chasseurs à l'Office national des forêts et aux parapentistes ;
- les pêcheurs à Électricité de France et aux kayakistes et autres rafteurs ;
- les cueilleurs de champignons aux gardes du parc national et aux randonneurs ;
- les écologistes aux campeurs et aux promoteurs immobiliers ;
- les professionnels aux amateurs, etc...
50Dans ce territoire surpeuplé par endroit et par moment, dont chacun veut jouir seul ou presque, les sommets demeurent un mythe, un espace initiatique, l'accès qui se mérite à un autre monde et à un statut qu'il décerne.
Les équipements : Pyrénées occidentales

Les équipements : Pyrénées centrales ouest

Les équipements : Pyrénées centrales est

Les équipements : Pyrénées orientales

II. LES NOUVELLES PRATIQUES DE LOISIR SPORTIF : ENTRE INNOVATIONS ET TRADITIONS
A. le cadre
51Le qualificatif de "nouveau" qui est souvent associé à des pratiques sportives récentes met le plus souvent l'accent sur la nouveauté des modes de pratiques, ou de leur diffusion que sur celle de l'activité elle-même qui tire le plus souvent son origine ou s'inspire d'activités anciennes ou toujours actuelles. Par exemple le vtt et la bicyclette, le surf des neiges, le ski de randonnée ou le ski de fond et le ski aipin, le rafting et l'aviron ou le canoë, le deltaplane et l'ulm...
52L'intérêt à observer ces "nouveaux sports" ne réside pas tant dans l'analyse de l'activité dont on a vu qu'elle faisait plus ou moins référence à des activités déjà connues et pratiquées, ni même dans le caractère récent de leur diffusion, de leur démocratisation... Il réside dans la nouveauté d'un certain nombre de caractéristiques fondamentales qu'ils ont en commun et qui les différencient assez totalement des loisirs "traditionnels". D'une certaine manière si elles se confirment, elles sont alors annonciatrices d'une évolution fondamentale de la société globale.
53Ce qui frappe tout d'abord, c'est la place privilégiée accordée dans la majorité des cas aux activités dont la technique nécessaire donne la possibilité d'une pratique individuelle hors de toute insertion ou adhésion obligatoire à une collectivité (clubs), à un groupe et hors de la présence indispensable d'une structure d'accueil aménagée. On n'a pas assisté, depuis plus d'une vingtaine d'années... à la naissance de "nouveaux sports collectifs".
54Par ailleurs, lorsque les adeptes de ces pratiques individuelles cherchent à s'insérer dans un groupe il s'agit le plus souvent d'adhésion à un groupe de taille réduite, informel, qui minimise les contraintes et les structurations imposées ou proposées de l'extérieur. La seule structuration acceptée est celle qui se fait en fonction (et le temps) d'un projet (traversée en randonnée d'un massif...), pour lequel l'esprit de compétition et de concurrence dans les relations aux autres sont rarement mis en avant.
55L'adhésion à ces groupes assez peu formalisés induit d'autres formes de sociabilité s'appuyant plus sur la convivialité que sur les positionnements et les rôles professionnels ou familiaux habituels.
56Ils cherchent, dans la souplesse de l'organisation et de l'usage du temps, la taille réduite du groupe, l'absence (sans doute apparente) de références à la structuration sociale et parfois familiale, l'usage de valeurs autres que celles du reste de la vie quotidienne...
57Une autre caractéristique fondamentale de ces nouvelles pratiques sportives, est que, dans la totalité des cas, le type même de la pratique implique toujours une participation active de l'individu. Elles sont de ce fait, au-delà d'une fonction de détente ou de divertissement, valorisantes pour l'individu et valorisées par la place qu'il leur accorde.
58Le dernier élément qui caractérise fondamentalement ces nouvelles pratiques de loisir et qui les différencie des loisirs traditionnels, concerne les nouvelles relations du pratiquant à l'espace qui se constituent à l'occasion d'une pratique.
59Tous ces nouveaux sports ont comme support la pleine nature. L'espace et plus particulièrement l'espace naturel, de support ou cadre des activités de loisir devient un élément prioritaire et constitutif de la pratique, partie intégrante de ses objectifs. Les perceptions et les représentations que se faisaient les individus de l'espace se sont modifiées. Pour des pratiques "douces" (randonnées, deltaplane...) le spectacle, la contemplation mais aussi la communion avec la nature préservée, sont l'un des objectifs de la pratique.
60Pour des pratiques plus "dures" (surf, ski de fond, escalade...) l'espace est alors véritable partenaire de la pratique qui parfois peut se montrer hostile (pentes abruptes, vent fort, neige, froid,...). L'objectif est alors la maîtrise individuelle de cet espace en utilisant certes un matériel spécifique (ski, canoë-kayak, planche...), mais pour laquelle la participation, la force et l'habileté corporelle sont essentielles.
61Dans la relation rétroactive individu / espace, la pratique de loisir est le plus souvent un acte gratuit au sens strict du mot mais aussi parce qu'il n'y a pas compétition avec d'autres adeptes, pas de règles strictes à respecter. C'est une pratique qui n'est valorisante que pour soi-même dans une relation directe entre l'individu et l'espace sans médiation obligatoire d'un groupe, des pouvoirs publics ou des acteurs marchands et sans référence obligatoire aux autres ou à des normes pré-établies.
1/ Les acteurs
62Les principales recherches sur révolution des nouvelles pratiques sportives situent autour des années 1970-75 (Université Sportive d'Été 1996 Montpellier) l'apparition d'une masse critique d'acteurs qui témoignent de la transformation des mentalités.
63Si tout semble pouvoir être mesuré, il faut cependant être vigilant devant l'inflation des estimations et des sondages relatifs aux modes de vie et aux caractéristiques de ces acteurs. Leur recensement, objet de multiples questionnements, a fait l'objet d'un tableau général vague où se confondent souvent les envies et les pratiques, les engagements réels et imaginaires.
64On sait depuis la première enquête de l'insee de 1967 et les travaux de J. Dumazedier sur les loisirs que les effectifs de licenciés fournis par les Fédérations Sportives donnent une image réductrice de la diversité des pratiques.
65L'enquête de l'INSEP de 1988 sur les pratiques sportives des Français a fait éclater la définition univoque classique du sport et de ses catégories. Le découpage proposé de la population active : licenciés (19,3 %), non licenciés (41,2 %), pratiques d'agrément et d'hygiène (13,4 %), ouvre d'autres perspectives sans permettre malgré tout de saisir les activités quantitativement faibles et par définition confidentielles, dont l'intérêt est justement l'atomisation, le bouillonnement, le foisonnement.
2/ Les envies
66Les motifs de pratique sont aussi variés que les individus eux-mêmes mais il semble que l'exercice d'une liberté, l'expression d'un pouvoir avec la capacité à fixer ses propres règles, à choisir ses modes, ses moments et ses espaces d'évolution comme ses partenaires soient constitutifs de ces nouvelles formes d'expressions sportives. Un service public comme la sncf "c'est possible", une entreprise de loisirs comme le Club Méditerranée "si je veux" ou un fabricant comme Nike "just do it" (tu fais juste ce que tu veux, ou tu veux, quand tu veux), l'ont bien compris et proposent à chacun d'user de son libre arbitre ou du moins, le laissent croire. En axant leur communication sur la potentialité plus que sur l'effort nécessaire, ces pratiques s'inscrivent dans une autre culture qui satisfait l'imaginaire à meilleur compte. Au cœur des rapports entre vouloir et pouvoir ces envies proposent une alternative entre la fatalité : "être libre ce n'est point pouvoir faire ce que l'on veut mais vouloir ce que l'on peut (J.-P. Sartre, 1951), et la nécessité : "quand on veut, on peut", en réintroduisant la disponibilité au plaisir déjà évoqué par Rousseau "l'homme vraiment libre ne veut que ce qu'il peut et fait ce qui lui plaît" (J.-J. Rousseau, 1762). Le pratiquant éventuel est ainsi théoriquement et jusqu'à un certain niveau d'engagement, dégagé de toute obligation d'objectifs, d'efforts et de résultats.
3/ Les pratiques
67Marginales, sauvages, libres, informelles sont les principaux qualificatifs utilisés par la presse spécialisée qui occupe très rapidement chacune des niches ouvertes en prolongeant le rêve d'une pratique, en créant un lien virtuel par la constitution d'une mémoire collective, d'une culture valorisant un système de valeur différent (Loret, 1996)16.
68Les média comme la télévision ou la presse quotidienne régionale revendiquent une mission d'information générale17. Ils relaient la diffusion à partir du moment où ils estiment que le seuil critique est atteint et développent parfois et pour leur compte une véritable "insolation médiatique" (Louveau, 1996). Ils donnent souvent à penser à partir d'instantanés photographiques grossissants du réel social que des pratiques sont très répandues. La familiarité créée par la présence a pu laisser croire que "tout le monde" fait de la planche à voile (4 % de la population) ou possède un micro-ordinateur.
69Faisant office de caisse de résonance, ils contribuent à cristalliser des envies diffuses, à modeler l’imaginaire.
70En ne retenant que la part susceptible d'intéresser le grand public, les média mettent en scène l'exceptionnel, le sensationnel, le dramatique. Pierre Tardivel est un skieur extrême, héros d'une séquence d'Ushuaia. Il regrette que l'émission passe sous silence l'effort de la montée, le repérage des passages dangereux, la possibilité toujours présente de s'arrêter et de s'encorder. Si l'activité n'est pas banale, car l'accident est toujours possible, il ne s'agit jamais d'un acte de pure folie.
71Cette mise en scène de l'exploit, ce "gommage" sélectif fausse, dans l'esprit du public, la réalité de la pratique. Participant au processus d'enchantement ou de désenchantement du monde selon les cas et les besoins, ces productions pèsent lourd dans la constitution de l'imaginaire et les taux de passage à l'acte et d'abandon.
72Dans un domaine où le geste créateur, l'idée originale sont par définition insaisissables, les logiques de diffusion, les modes de contagion ou de rejet sont à analyser. C'est dans cet esprit qu'il faut s'intéresser à la notion d'école. Rejetée quand elle signifie enseignement collectif, programme obligatoire et étapes imposées, elle peut aussi définir un style, une communauté de pensée qui procède par rupture. La confusion est cependant à éviter quand, parfois véhiculés par les médias18 certains discours peuvent laisser à penser que les pratiquants ne veulent pas avoir "le sentiment d'apprendre" alors que c'est l'enseignement classique tel que pratiqué dans les écoles de sport, de ski, de parapente et autres, qui est refusé. L'envie d'essayer, de progresser, de réussir est, elle, bien présente. Le rôle et le statut des personnes varient ainsi selon les activités et leurs histoires respectives.
B. les logiques
73Les axes qui organisent aujourd'hui les pratiques sont en définitive plus originaux que les pratiques elles-mêmes. C'est dans ce sens qu'il faut examiner le fonctionnement des processus d'innovation mais également l'établissement de règles et les tentatives de pérennisation des savoirs et des savoir-faire. Le balancement entre le respect de l'ordre établi et la déréglementation met en lumière un point limite, un seuil dont la fréquentation pour les individus comme pour les organisations, est digne d'intérêt.
1/ L'innovation
74L'ensemble des concepts de nouveauté, innovation, rénovation aussi bien que ceux qui insistent sur les ruptures, les changements de perspectives, les révolutions, sont à utiliser avec précaution dans le champ des mises en jeu du corps quand une approche historique simple souligne la permanence de productions originales.
75La propension à définir comme nouveau tout ce qui par définition apparaît différent, inaccoutumé dans le champ social n'est pas le privilège de notre époque même si l'accélération de l'apparition de ces conduites inusitées est remarquable. On peut citer pêle-mêle, à titre d'illustration et pour le seul secteur de la montagne, quelques-unes des plus anciennes comme des plus curieuses pratiques :
- le tobogganing, de l'algongin tobaakum (le futur bobsleigh) ;
- la ramasse ou glisse sur peau de bœuf dans les Alpes ;
- le curling daté de 1510 en Ecosse ;
- le bandy apparu à la fin du xixe en Écosse (futur hockey) ;
- la course de traîneau à chien (de retour avec le pulka) ;
- le skeleton suisse de 1884 (précurseur de la luge moderne) ;
- le saut de baril sur glace de Hollande ;
- le ski jœring (attelé à un cheval) ;
- le ski-bob sorte de vélo à ski de 1951 (avec une Coupe du Monde en 1978) ;
- le broomball on ice (hockey sans patins avec un balai et un ballon) ;
- le bird sail en 1980 (voile à ski ou en patin).
76Certains ont disparu, d'autres se sont pérennisés et institutionnalisés même confidentiellement à l'image du curling (sport de démonstration aux Jeux olympiques de 1988 et 1992). Mais la créativité demeure avec, pour ne citer que les plus récents :
- le monoski, le surf des neiges, le télémark (une reprise), le ski sur herbe et sur éboulis ;
- le deltaplane, le parapente ;
- le vélo tout terrain ;
- le kayak de descente, le rafting, la nage en eaux vives (l'hydrospeed) ;
- la plongée sous glace et l'escalade sur glace ;
- la descente de canyon ;
- la motoneige...
77Ce qui semble donc important aujourd'hui dans ce concept de "nouveaux" loisirs sportifs ce n'est pas tant la date récente de leur apparition et de leur diffusion19, ni même l'originalité de leur technique qui font toujours plus ou moins référence à des techniques déjà éprouvées20, ni encore leur nombre mais essentiellement :
- les processus de création et de "traditionnalisation" ;
- l'homogénéisation des goûts et la fragmentation des pratiques ;
- l'évolution des éthiques.
78L'innovation s'exprime plus particulièrement dans la conquête inédite et la maîtrise d'espaces originaux. Elle doit pour s'imposer proposer séparément ou de façon concomitante des réponses mieux adaptées à la sécurité, à la performance, au plaisir...
79Les initiateurs sont par définition ceux qui souffrent le plus des conditions de vie imposées par un conformisme général. La déviance et la marginalité sont les conditions de départ des pratiques différentes car cette innovation se heurte à des résistances plus ou moins marquées selon qu'elle touche des domaines historiquement colonisés ou non... Elle repose sur l'expérimentation des modes de déplacement les plus aptes à provoquer des ruptures, des désadaptations avec les systèmes en vigueur en mélangeant les genres, en visant d'autres buts que la production d'éléments objectivement quantifiables, sensés traduire une efficacité et un progrès. Elle s'impose ainsi chaque fois que des phénomènes tels que la rationalisation, la standardisation et la banalisation excessives des activités sportives, provoquent un déséquilibre trop important entre les envies et l'offre (Diénot, Theiller, 1991).
80Il semble qu'actuellement les excès soient plus vite atteints et plus sensibles. L'innovation va procéder, dans ce cas comme dans les autres, par réajustement, régulation et réorientation des forces en introduisant dans le système des loisirs des éléments de rupture, qui agitent aujourd'hui comme hier le champ particulier de la montagne. Les modifications que l'on peut observer ont le mérite de mettre l'accent sur ces formes "d'exubérance vitale" révélatrices d'autres envies. On sait que l'individu est voué par ses capacités adaptatives à un progrès obligatoire (Piaget, 1974) mais également que la seule répétition d'une situation jugée identique entraîne déjà des habitudes. Entre routine et nouveauté, l'action humaine se décline au nom des deux principes essentiels à la vie, l'économie et le plaisir.
81La connaissance, fruit de l'expérience individuelle, se transmet. La formalisation et la diffusion des savoirs normalisent les moyens d'accès à l'efficacité. Cette standardisation répond à la massification de la demande. L'économie est "loisible" pas le plaisir.
2/ La tradition
82Etymologiquement "tradition" renvoie à l'acte de transmettre plus qu'à la chose transmise. L'écriture, sans commune mesure avec la parole, fixe les comportements dès lors qu'elle les décrit. Le processus de transmission de la culture sportive, notamment par l'acquisition de savoir-faire reconnus, de techniques normalisées voire "décontextualisées", s'inscrit dans une logique de reproduction.
83Des traditions s'établissent chaque fois que des groupes homogènes trouvent l'occasion de fixer dans la mémoire collective les règles d'un jeu qui s'avère satisfaisant.
84L'exemple des clubs21 sportifs peut être éclairant à ce sujet. Espace social, convivial par excellence à l'origine, ils se sont d'abord caractérisés par les particularités locales ou régionales de leurs publics et de leurs pratiques. Ils se sont ensuite développés en se normalisant et en organisant méthodiquement leurs activités ou bien ils se sont marginalisés et ont disparu de la scène sportive officielle sous la poussée de la concurrence nationale.
85L'institutionnalisation, qui est un des critères de définition de la pratique sportive, uniformise nécessairement les activités, les espaces et les règlements. Les effets induits, positifs et négatifs en terme de valeurs sociales, s'équilibrent de plus en plus. Ainsi quand une pratique nouvelle devient suffisamment diffusée, elle rejoint une fédération parente et perd en originalité et en intérêt ce que l'institution gagne en puissance.
86Se licencier auprès d'une fédération, s'inscrire dans un club aujourd'hui pour avoir la possibilité de pratiquer, au grand dam des responsables encore bénévoles, représente davantage l'achat d'un service ou d'un produit, avec ce que sous-entend l'affiliation forcée à un groupe, comme attitude consommatoire et critique. Cette démarche n'intéresse plus aujourd'hui qu'une assez faible part des pratiquants des nouveaux loisirs sportifs (de 19 % à 37 %) surtout si l'on admet avec A. Loret (op. cit.) qu'un président de fédération sportive vend de la règle.
3/ Les seuils
87La notion de seuil nous a paru ainsi intéressante à examiner comme cadre de réflexion. En effet elle peut signifier à la fois le point limite de l'avancée dans l'inconnu d'un individu ou d'une société et le point de départ de l'aventure c'est-à-dire du futur, par définition incertain, d'une personne ou d'un collectif. Dans un cas comme dans l'autre ce lieu réel ou imaginaire, symbolique ou concret révèle à tout coup une intensité émotionnelle dont le groupe, il faut le rappeler, pourra mieux renvoyer l'écho et garder la trace.
88On retrouve bien évidemment sur ce seuil, le classique héros désireux d'en repousser la limite en s'inscrivant dans la marche du progrès de l'espèce (cf. encart pages suivantes "Voyage au Pic du midi de Pau").
89Mais on y distingue depuis moins longtemps, mais de façon plus massive, des acteurs modestes intéressés par la simple fréquentation de ce qu'ils estiment être le seuil de leur connaissance intime. Basé prioritairement sur le sensible, cette forme de jeu se situe pour la majorité davantage en deçà qu'au-delà de la limite estimée.
90Pourtant chaque nouvelle expérience est l'occasion de découvrir d'autres seuils à des niveaux d'engagement acceptables c'est-à-dire sans renoncement déchirant, sans abandon définitif, sans risque important.
91L'idée de seuil se décline dans trois types de direction :
- la relation à soi s'exprime de l'hédonisme à l'ascétisme. Le plaisir recherché peut être facile et immédiat ou différé et mérité ;
- la relation aux autres s'exprime dans le degré d'ouverture. En choisissant de faire partager sa passion, en entraînant l'adhésion du plus grand nombre, le prosélyte développe, avec l'activité, la mémoire collective. En préservant son espace "intime" le xénophobe pense s'assurer l'exclusivité et la durabilité de la pratique. La densité des acteurs sur les sites, l'histoire individuelle de chacun expliquent en partie l'orientation retenue ;
- la relation au monde peut prendre la forme du respect ébloui pour l'environnement comme celle d'une lutte qui doit voir céder le plus faible.
92Selon que le pratiquant attribue à la nature un rôle de support, de moyen, de partenaire ou de but, il développe un sentiment qui va de l'indifférence absolue à la sensibilité la plus exacerbée.
93"L'accoutrement", le comportement, le langage sont autant d'indices qui permettent très rapidement de classer les individus sur un lieu de pratique. On se jauge, on se reconnaît, on se compare, on s'oppose. La constitution des groupes s'appuie autant sur le niveau de compétence reconnue que sur le respect de valeurs non formulées.
94Au cœur d'oppositions radicales les échelles de valeurs ne portent pas tant sur les mises en jeu du corps, somme toute identiques, que sur les formes d'apprentissage des connaissances et sur les fonctions qui leur sont dévolues. De la glisse au sport proprement dit, il y a autant de différence qu'entre la création et la copie, entre le jeu et le travail.
95Le rapport à l'environnement peut être de complicité ou de force et varier du dialogue à la maîtrise. Cependant au niveau de chaque individu impliqué, les limites sont minces entre innovation et tradition.
96C'est pourquoi la notion de seuil est intéressante à examiner (Griffet)22 car elle se situe tout à fait dans la perspective de la symbolique du pont et de la porte dégagée par G. Simmel (1988). Lier et délier, réunir et diviser, associer et séparer articulent deux activités propres à l'homme.
VOYAGE AU PIC DU MIDI DEPAU
Quand il arrive au sommet de l'OSSAU (2 884 m) alors nommé Pic du Midi de Pau, le 13 Octobre 1796 Guillaume DELFAU a 30 ans. C'est un ancien député à l'Assemblée législative, futur secrétaire général de la Dordogne, en villégiature aux Eaux-Bonnes.
Il sait qu'il n'est pas le premier. Son guide MATHIEU, lui a fait part d'une ascension préalable d'un berger Aspois, le 19 août 1790, en relation avec les campagnes du géodésien JUNKER. L'ascension de DELFAU nous vaut le bonheur de deux textes qui comptent parmi les plus rares de la littérature pionnière pyrénéenne. Jamais réédités, très peu de gens les ont lu. Ce texte est composé de 2 lettres23.
La première lettre, du 3 octobre, est écrite au sommet du Pic :
"Je vous écris mon ami d'un endroit d'où il n’est pas certain que je revienne ; je donnerai en ce moment tout au monde pour n'y être pas venu ; mais j'y suis, songeons à nous retirer. Si j'y reste et que mon guide plus heureux puisse descendre du lieu où nous sommes, vous recevrez le dernier adieu de votre
ami".
La seconde lettre, rédigée des Eaux-Bonnes le 17 octobre.
"J'avais entrepris ce voyage moins pour observer que pour faire un tour de force...
J'ai fait l'action la plus téméraire que je puisse imaginer : pour tout l'or du monde je n'essaierais pas de revenir du lieu d'où je vous ai écrit les quatre mots avec mon crayon...
Depuis longtemps j'étais extrêmement curieux de connaître une montagne que tous les voyageurs ont regardé jusqu'à présent comme inaccessible...
Je n'osais m'avancer ni reculer ; ma situation était affreuse...
Je restais fixé à la même place ; j'étais épuisé, excédé de soif et de fatigue. Le froid commençait à me pénétrer et les forces m'abandonnaient : que n'aurai-je pas donné dans ce moment de n'être pas venu dans les Pyrénées".
Le berger, sûr de lui, le rassure. "Le peu de mots me rend la vie... Le reste ne m'effrayait plus... le berger, monté avant nous, avait dit que le plus mauvais était au milieu ; ce pas était franchi.
Je tombais...et me relevais aussitôt. J'éprouvais dans ce moment un frisson et senti une sueur froide couler sur tout mon corps... Après m'être avancé...je reste suspendu ; cette manœuvre épuisait mes force et je sentais que mes mains allaient lâcher prise"...
"Le plaisir qu'on éprouve de se voir dans le port après de semblables périls : cette situation ne peut se décrire. Il semble qu'il ne faille à notre esprit pour lui rendre son ressort et à notre corps toutes ses forces, qu'une jouissance vive et instantanée...Les fatigues qu'on essuie dans un voyage qui fait grand plaisir et dont le but intéressé, et fortifient plus qu'elles n’épuisent...
C'était pour nous un besoin de passer ensemble la soirée et de nous délasser le verre à la main en nous rappelant nos plaisirs et nos dangers communs...
C'est ainsi qu'avec mes bras et mes seules forces je suis arrivé au sommet où ne put parvenir M. de Candale au moyen de ses échelles, de ses crocs et de ses grappins. Je suis bien éloigné de croire que toutes ces machines puissent être d'un grand secours...J'ai quelques peines à concevoir le bonheur de ceux qui n'ont pu escalader cette montagne chargé de pareils fardeaux".
"C'est le plus grand et le plus formidable rocher qui ait été mesuré dans les Pyrénées... Cet abîme, vu du sommet, est peut-être une des plus belles horreurs qui soient dans la nature".
Guillaume DELFAU – 1796
TRACES ET SEUILS
Vivre physiquement et symboliquement l'expérience de milieux encore riches de forces peu domestiquées resserre un lien entre les personnes24. Deux thèmes suffisent à faire ressortir la présence de cette fonction de liaison : la trace et le seuil. La trace, gardée par les choses et la mémoire traduit la pluralité des impressions nées au contact de la nature. Le seuil montre que l'épreuve vécue en montagne possède une forte intensité émotionnelle.
TRACES
Faite d'une empreinte, d'une succession de marques qui existent sous des formes diverses, la trace subsiste d'un passé auquel elle relie l'observateur mais ouvre sur le futur en suscitant des envies, des vocations. Pour le néophyte, son spectacle fait naître le sentiment de partager les mêmes aspirations. Pour l'initié, elle établit une communication fondée sur les sensations internes : l’image visuelle d'une trace extérieure à soi réactive des images intérieures qui appartiennent à la sensibilité du corps propre.
Quand les expériences sensibles de la nature se massifient et se multiplient, le nombre de petits groupes, qui partagent des moments par définition singuliers augmente.
La différenciation de la société augmente et son homogénéité diminue au profit d'une solidarité communautaire. En même temps l'élévation du nombre d'initiés à une technique corporelle, à des formes d'usage d'un espace, crée la base commune d'une véritable culture sensible, c'est-à-dire un cadre qui donne forme à la plupart de nos pratiques sportives. Les idéaux d'évasion, de liberté, du dépassement de soi se fixent dans les images éprouvées au contact des eaux indisciplinées, des forêts inexplorées et des abîmes vertigineux.
Inversement, les impressions se cristallisent dans les idées. Par ce processus réversible, les productions de l'esprit s'objectivent dans l'espace et la nature stimule la formation de l'idée.
Le temps est aujourd'hui à la diversité des formes générales de comportement à l'égard de la nature et de l'autre. L'ère est à la pluralité des itinéraires.
L'attitude essentiellement conquérante, préoccupée de laisser la trace d'une action victorieuse contre la nature25 se double de tentatives soucieuses de maintenir l'équilibre des forces entre protagonistes.
La trace qui atteste la difficulté d'une épreuve passée n'est désormais plus appréciée séparément des moyens déployés pour l'inscrire dans le temps et l'espace.
Dans l'expression d'une réalité complexe et plurielle des modes de perception et des attitudes contradictoires à l'égard de la nature, ces traces fournissent néanmoins les occasions d'activer collectivement un sentiment qui possède tant d'éternité et d'universalité : l'impression qui accompagne le partage des mêmes réalités.
SEUILS
Le seuil est le point d'interruption du cheminement attesté par la trace. C'est l'endroit où une personne, un groupe, une société prennent la mesure de leurs limites et celle de leur propre dépassement. C'est un moment intense, parfois tragique de la vie lorsque l'exposition au danger fait dépasser le point de non-retour.
Chaque fois que l'on se met en demeure de franchir un obstacle nouveau, chaque fois que la consultation de nos expériences nous laisse indécis, la mesure nécessairement imprécise des actes et des situations à venir occasionne un climat de forte émotionalité.
L'histoire des seuils, en laissant deviner la multitude d'essais et d'échecs dont on parle peu, est la reconstitution des temps forts d'une conquête. Le regard rétrospectif est aussi un parcours intellectuel. Saisir le déplacement des seuils qui ont ralenti "les vagues successives d'appropriation de la terre"26, percevoir la somme des victoires qui ont toujours fini par succéder aux échecs, c'est projeter sur les événements une conception positiviste qui transforme des indices en signe de progrès,
Il se trouve encore quelques adeptes pour jouer à la domination de la nature, une représentation du monde qui a servi de ciment aux générations précédentes.
Mais la majorité, semble-t-il, est surtout préoccupée à jouer sur les seuils. Ce n'est pas pour s'y faire distinguer, mais pour le plaisir particulier à se laisser flotter, partager entre l'envie d'avancer et la peur de franchir le pas.
Cette expérience, tout à fait personnelle et individuelle, touche à la subjectivité. Pourtant elle peut être commune à plusieurs personnes car les situations vécues sur le mode contradictoire constituent, par la forme, la base de la communication entre acteurs.
Les réseaux de communications établis et la circulation dense des informations permettent le repérage des lieux, facilitent l'approche et augmentent la vitesse d'accès à la pratique, favorisant ainsi la réalisation sensible des aspirations de l'individu et du micro-groupe.
Les formes de liaison changent mais leur principe commun demeure.
Le savoir échangé et partagé sert d'intercesseur entre la nature et une forme sensible d'expérience.
Quelle que soit la valeur accordée par chacun à l'interface entre les savoirs établis et les images floues, toujours l'esprit se tend à cet endroit-là.
En bordure d'un monde inconnu pour nous, on "voudrait voir et on a peur de voir. C'est là le seuil sensible de toute connaissance. Sur ce seuil, l'intérêt ondule, il se trouble, il revient"27.
Il arrive même que l'apparition d'un tel complexe de sentiment envahisse tellement l'esprit du spectateur, qu'il en vienne à douter de l'authenticité de la voie ouverte par les prédécesseurs. Celui qui se tient aux limites et se laisse gagner par l'incrédulité, ensauvage la nature et réenchante le monde.
Les multiples expériences librement vécues en montagne incarnent la qualité et l'intensité d'une existence qui ne semble trouver sa forme pleine que si de tels moments sont partagés.
Jean Griffet
Faculté des Sciences du Sport
Université de la Méditerranée
97Il est seul capable d'extraire de l'espace continu, de l'unité naturelle ininterrompue, des objets, des formes, des structures, du sens, L'essentiel est qu'il puisse se donner des limites mais librement "c'est-à-dire de la sorte qu'il puisse de nouveau supprimer ces limites et se placer en dehors d'elles" (Simmel, 1988).
98Dans les activités physiques de pleine nature l'espace est vite gradué, les seuils sont formalisés très rapidement par et pour les initiés puis pour les autres avec l'émergence d'une masse critique de pratiquants, avec l'institutionnalisation de la discipline, avec sa commercialisation.
99Le bouche à oreille laisse la place au topo-guide puis au dépliant touristique. Ainsi les pistes de ski ont leurs couleurs (de verte à noire), les rivières ont leurs classes (de 1 à 6), l'escalade a ses sites (école à aventure), etc. Cette façon de procéder en utilisant de tels repères permet de classer des lieux et de forcer des liens (le pont) en coagulant le mouvement (Simmel, 1988) mais également matérialise des possibilités de briser ces limites pour gagner la liberté (la porte).
C. essor et conflits
100Les pratiques sportives liées à la nature et au milieu montagnard s'appuient sur une forte et longue tradition d'activités physiques de pleine nature. La randonnée pédestre par exemple se pratique depuis longtemps, de la même manière l'utilisation des rivières pour le tourisme de nature. Le canoë-kayak s'est développé il y a maintenant plus de 30 ans et la pêche en rivière se fait depuis infiniment plus longtemps. Ces pratiques anciennes ont tendance à évoluer. En revanche des pratiques plus récentes se développent, comme le rafting, le parapente, le surf des neiges...
101Toutes ces activités de plein nature nécessitant un déplacement, ont changé progressivement de nature. Le culte de l'effort a laissé la place au culte du plaisir. Ce que recherche d'abord la majorité, c'est souvent l'inconciliable : le frisson sans risque, le dépaysement dans les habitudes, l'aventure dans des lits confortables et avec une nourriture abondante...
102Parallèlement à l'évolution des mentalités et des besoins, à l'accroissement des effectifs, une pratique plus massive produit un certain nombre de conséquences qui accompagnent le développement... L'ouverture d'un marché réel de consommateurs, les enjeux commerciaux et techniques associés mais également la pression sur des sites fragiles s'expriment par l'alternance de formes sociales distinctes. Des mécanismes visibles comme les phénomènes d'innovation et de tradition engendrent des logiques et déclenchent des conflits révélateurs des modes d'intégration sociale.
103Ils se cristallisent sur un axe conservateur / innovateur avec deux enjeux principaux.
- les modes d'accès et les conditions de pratique ;
- les espaces de pratique.
104Le respect des traditions et des anciens détermine des temps d'initiation longs, des efforts préparatoires à la maîtrise de projets à long terme caractéristiques d'une relation à la nature qui se mérite, qui se gagne par l'effort et le travail, par la connaissance profonde que donne l'expérience.
105Des espaces jusque-là préservés s'ouvrent à un nombre trop important d'individus pour être absorbé par les voies traditionnelles. Les batailles autour d'une technique ou d'un territoire caricaturent les efforts que les passionnés produisent pour imposer leur valeurs et maîtriser leurs loisirs. Il s'agit de conquérir ou de préserver un espace de liberté, la liberté du choix de la pratique, du terrain, du degré d'engagement.
106Les exemples qui suivent sont éclairants du processus.
1/ Le vélo tout terrain
107La bicyclette, engin de déplacement, de transport et de sport est "un exemple d'intrication entre la motricité et ses instruments" (Vigarello, 1988, p. 17), entre les influences de la culture et de la mode sur la technique. Inventé vers 1880, cet engin révolutionnaire rencontre de multiples résistances dans l'itinéraire qui le conduit jusqu'au vtt actuel. Le grand Bi impose longtemps, contre toute logique, sa roue avant motrice hypertrophiée (Vigarello, op. cit.). Les écoles de vélocipède qui se créent au siècle dernier empruntent à la logique de la discipline mère, l'équitation, les étapes d'une méthode :
- se placer debout à gauche de l'engin, les mains sur le guidon ;
- poser le pied gauche sur la pédale correspondante placée en position basse ;
- assurer le déplacement de l'ensemble corps / engin par des impulsions du pied droit, jambe droite croisée derrière la gauche ;
- enfourcher l'engin par un mouvement circulaire de la jambe droite au-dessus de la partie arrière dès que l'équilibre dû à l'effet gyroscopique est obtenu ;
- conserver une position très verticale pendant le déplacement ;
- descendre en procédant de façon inverse.
108Le dérailleur, inventé vers 1927 attendra dix ans avant de faire son apparition en compétition officielle (le tour de France de 1937). On l'accuse à l'époque de "dénaturer" l'activité en réduisant les efforts du cycliste et donc de s'inscrire contre l’éthique d'un sport réputé dur.
109Actuellement le vélo tout terrain, né d'un bricolage destiné à explorer de nouveaux espaces démultiplie les déplacements ; il possède en moyenne trois plateaux, et sept pignons. Avec ses 21 rapports, sa fourche télescopique et ses freins surdimensionnés, il permet de mieux réguler ses efforts et d'accéder presque partout. La dextérité dans la gestion du déplacement et l'anticipation supplantent souvent la seule puissance physique et reculent les limites des efforts nécessaires à l'ascension de la montagne. À la différence du cyclo-cross, l'équilibre est plus important que la puissance et à l'inverse du trial il n'est pas dévalorisant de poser pied à terre.
110On comprend que cette nouvelle approche puisse faire éclater les publics et les modes de pratique en élargissant le recrutement des amateurs potentiels. Le marché commercial du vélo est relancé (800 000 vtt vendus en 1992) même s'il s'agit, pour la majeure partie, de rouler en ville (la réglementation des transports rend obligatoire, dans ce cas, un système d'éclairage absent pour cause d'inutilité sur les premiers modèles : le vtc est créé). L'enseignement de l'activité a également évolué. Intégré à la culture cet apprentissage, comme bientôt sans doute celui de la natation et de la conduite automobile (cf. les dispositions du permis accompagné qui redonnent aux parents une part active), est laissé à l'initiative de la famille et du groupe de pairs. Les spécialistes prennent le relais pour le petit nombre que tente la compétition.
2/ La randonnée pédestre
111La rareté des sources exploitables n'est guère à la hauteur d'une activité que tout le monde pratique plus ou moins occasionnellement. Les vrais randonneurs (c'est-à-dire les utilisateurs d'un matériel spécifique) sont estimés à environ 7 millions.
112On sait qu'en France la randonnée pédestre attire au moins 1 200 000 pratiquants assidus, 3 millions de pratiquants occasionnels et 5 millions de pratiquants potentiels. Ce qui veut dire qu'il y a plus de 9 millions de Français qui sont susceptibles de pratiquer la randonnée pédestre, ce qui représente un chiffre d'affaires de 1,44 milliards de francs.
113Il faut y rajouter la clientèle étrangère : environ 10 millions d'occasionnels et de pratiquants assidus en Angleterre, autant en Allemagne et un nombre plus restreint aux Pays-Bas, en Belgique et en Suisse. En d'autres termes, la clientèle potentielle pour la randonnée en France est de l'ordre de 40 millions de personnes, ce qui représente une part non négligeable. Mais le plein air supporte mal la pratique de masse. La "démocratisation" met en danger "la poule aux œufs d'or" en faisant souvent disparaître l'intérêt dont elle s'alimente.
114Les itinéraires sont extrêmement nombreux, variés et bien entretenus, notamment dans les régions et les massifs où existent des associations dynamiques qui ont pris la création et l'entretien à charge. On doit citer ici pour leur rôle exemplaire la Grande Traversée des Alpes, Chamina, les Randonnées Pyrénéennes et l'abri. D'autre part, de nombreuses structures d'hébergement ont été créées dans les 15 dernières années. Mais on observe, pour ces dernières, une obsolescence rapide liée à l'exigence croissante de la clientèle et à la concurrence étrangère. Cette faiblesse constitue aujourd'hui le principal handicap au développement de cette activité, à l'accueil des étrangers et à la commercialisation des produits.
3/ Le ski de fond
115L'utilisation du ski de fond comme instrument de loisir sportif se réalise vers 1936 quand il se différencie du ski alpin. Il faut attendre 1968 et les Jeux olympiques d'hiver pour que la télévision le révèle à un public de plus en plus important (10 000 en 1970, 1 000 000 en 1980, 3 000 000 selon les dernières estimations).
116En compétition la lutte entre les tenants du pas glissé et ceux du pas du patineur marque également un moment entre les partisans de l'orthodoxie et ceux de l'efficacité. Ce débat est actuellement dépassé, l'efficacité prime en compétition et le plaisir dans les loisirs.
117Ce plaisir immédiat est intimement lié à l'aménagement des pistes en circuit damé, de déclivité régulière. Cette préparation coûteuse induit celle de péage. Le choix entre la facilité, la sécurité et la liberté dépend de la forme donnée à son engagement. Le ski de fond rejoint dans le partage de ses adeptes l'opposition qui existe entre le ski alpin et le ski de randonnée. La différence se situe autant dans les conditions de pratique que dans l'imaginaire des objectifs visés.
118L'association nationale des centres écoles et foyers de ski de fond (créée en 1971 à Autrans) est la première structure de coordination nationale à avoir vu le jour. Elle établit aussitôt une charte qui est un ensemble d'orientations et d'idées directrices qui se résument en trois points principaux :
- la limitation des possibilités d'accueil par unité ;
- la garantie de prestations minimales dans les domaines de l'accueil, de l'enseignement, de l'entretien des pistes et du matériel ;
- une conception culturelle et éducative du ski de fond.
119Le skieur ne doit pas être considéré comme un simple consommateur. La pratique, qui est "l'aboutissement d'une longue tradition bien intégrée à la culture des villages de montagne, ne doit pas être réduite à une technique (le pas du patineur). Les rapports à l'activité ne doivent pas être "dégradés" par l'utilisation d'un système anti-recul (peau de phoque ou écaille) qui donne trop rapidement la possibilité à un débutant d'accéder seul à davantage d'itinéraires.
4/ La raquette à neige
120La randonnée en raquette prend une ampleur qui se confirme chaque saison. Ce succès populaire confirme l'intérêt porté à la liberté individuelle en matière de parcours enneigé. Cette activité se pose ainsi en concurrent direct du ski de fond dans le rapport agrément / facilité, coût. Elle ne nécessite, mis à part une aptitude à la marche, aucune technique particulière et donc pas ou peu d'apprentissage. Paradoxalement cette nouvelle clé de la montagne ouvre trop facilement, au dire des spécialistes, la porte sur le risque réel né de la confrontation de sujets mal préparés avec un milieu parfois ou soudainement "hostile". Les fédérations concernées comme celle de Montagne et Escalade (ffme) ou le Club Alpin Français (caf) et le Ministère de la Jeunesse et des Sports ont lancé l'offensive des formations diplômantes essentiellement centrées sur la sécurité (connaissance de la neige et des avalanches, conditions météorologiques, etc.). Les randonneurs qui représentent la plus grande partie du public visé, se satisfont pourtant du seul topo-guide. Seuls les néophytes ont recours à un spécialiste et acceptent ponctuellement de payer ce service.
5/ L'escalade
121Il y aurait en France (Bourdeau, 1995) environ 800 000 pratiquants d’escalade dont 70 % occasionnels, parmi lesquels de nombreux vacanciers.
122Ils auraient à leur disposition près de 2 500 sites de pratiques, naturels ou artificiels, dont plus de 1 400 sites d'escalade naturels, soit 66 % de plus qu'en 1986.
123À ces sites naturels viennent s'ajouter environ un millier de structures artificielles (sae), gérées le plus souvent par les collectivités locales. "La France s'est dotée d'un parc de sites permettant une escalade agréable et sûre" estime le rapport. Il s'agit maintenant de le gérer et d'en assurer la promotion, en tenant compte de la demande, notamment touristique.
124Les sites, école, sportif ou aventure, sont classés par la Fédération Française de Montagne et d'Escalade selon leur niveau de difficulté, leur degré d'équipement et le public visé. Les voies équipées sont cotées de 3 à 8 (et plus). Les critères d'évaluation restent toutefois subjectifs. Ils sont établis par comparaison par des spécialistes reconnus de la discipline, souvent les ouvreurs de la voie. Ce moyen est actuellement le seul retenu face à la variété des supports, la différence d'itinéraire, bref, la complexité toute naturelle des parois. Cette cotation permet néanmoins d'insérer l'escalade comme la plupart des Activités Physiques de Pleine Nature dans un système de classification hiérarchisée, sensé renseigner les initiés sur un niveau de pratique et la valeur sociale d'une performance.
125La clientèle des grimpeurs individuels, souvent d'un bon niveau sportif, ne favorise pas la rentabilité touristique : ces grimpeurs sont souvent jeunes et disposent d'un budget limité. Les gestionnaires des sites comptent donc attirer une clientèle plus familiale et s'efforcent de diversifier leur offre, par exemple en équipant des voies pour l'initiation, et en favorisant la découverte des espaces naturels limitrophes.
126Les relations entre l'escalade et l'environnement ne sont pas évidentes et certains prônent une escalade "écologiquement supportable", en présentant les solutions pour concilier le développement de l'activité et la protection du milieu.
127L'escalade libre date des années 1970/75. Comme son nom l'indique et dans le souci de se détacher de l'alpinisme, cette pratique s'est résolument engagée dans l'utilisation d'un matériel minimum afin d'assurer la seule sécurité des grimpeurs. L'affrontement actuel concerne le degré souhaitable d'équipement des voies. Les nouveaux "traditionalistes" ne veulent pas "aseptiser" les sites en installant des dispositifs lourds ou fixes. À plus forte raison les voies ouvertes et signées ne doivent pas être transformées ni re-équipées. À ce tournant, au moment ou Berault et Edlinger ont réinventé l'escalade, le registre classique qui utilisait le bestiaire animalier, la flore environnante ou le nom du grimpeur a fait place à d'autres noms plus ambigus comme "over coolbabadose", "orange mécanique", "j'irai cracher sur vos tombes", "easy reader", etc., (Loret, 1996).
128Sensés protéger les débutants, ces aménagements ouvrent plus largement la porte des voies délicates. Les grimpeurs confirmés, seuls capables par expérience de juger du niveau de difficulté et de risque perdent le monopole des sites intéressants par définition peu nombreux.
129Ces prises de position paraissent aux yeux de la nouvelle garde, issue entre autre des structures artificielles d'escalade, comme autant de tentatives pour conserver des quartiers réservés.
6/ Le canyoning
130Partagée techniquement au départ entre l'escalade et la spéléologie, la descente des cours d'eau de montagne s'est constituée rapidement en activité autonome par la mise en place de clubs, d'une fédération et de diplômes d'enseignement.
131C'est l'importance grandissante mais difficilement mesurable des pratiquants de cette nouvelle discipline, qui allie les sensations propres à trois éléments (eau, air, terre), ainsi que des raisons de sécurité28, qui justifient de restreindre la liberté d'improviser. En même tant que l'accès routier s'améliore, l'ouverture de ces nouveaux espaces ne devient possible pour les débutants que dûment accompagnés. La propagation sportive sort du réseau limité d'amis. Le prosélytisme des débuts fait place au commercial pour contribuer à faire à terme de la Sierra de Guarra une nouvelle Ardèche. C'est un combat à l'envers que mènent la fédération et les clubs de spéléologie pour limiter la demande d'accès au petit nombre de terrains d'évolution, en menant une politique de discrétion exemplaire qui évite pour l'instant à un nombre restreint d'adeptes passionnés d'être victimes du succès. Partager une passion devient synonyme de partager un espace et de réduire sa liberté et son plaisir. Il n'existe que deux solutions : créer de nouveaux sites et réglementer le développement.
7/ Le snowboard ou surf des neiges
132Le surf inventé en 1970 sur la côte ouest des USA débarque en 1984 en France grâce à la passion de pionniers comme Régis Rolland. Ce dernier développe des techniques "sans personne pour montrer", du matériel et produit un film culte "Apocalypse Snow". La mise en scène de descentes infernales dans des couloirs d'avalanche à plus de 80 km/heure, enthousiasme une génération d’adolescents à travers les projections de "nuits de la glisse" et clips vidéo des bars branchés et des discothèques.
133En 1996, ce sont entre 450 000 (Emission T.V. M6 Capital du 19/1/97) et 600 000 pratiquants (quotidien Sud-Ouest du 7/3/96) qui donnent une nouvelle énergie à la montagne, c'est-à-dire un snowboardeur pour huit skieurs dans un marché prévu pour doubler d'ici à l'an 2000 (aux USA une vente de surf sur 4).
134Avec un look rebelle parfois "extra bouffon" qui évolue vers plus de sobriété et une discipline qui sera olympique en 1998 à Nagano au Japon, le surf des neiges est à la fois un phénomène social et économique.
135Les responsables de la station alpine de Tignes dont les surfeurs représentent 40 % de la clientèle, proposent un terrain de jeux, un "snowpark", et des pistes spécialement aménagées qui mobilisent une dameuse sur cinq et quatre employés sur vingt-sept. Ainsi ils règlent, à la satisfaction de tous, les risques d'incompréhension et de collisions entre les deux populations d'usagers.
136Rossignol, fabricant no 1 mondial de ski a vu ses ventes chuter de 15 % depuis trois ans. Depuis, nécessité oblige, il essaye de saisir l'opportunité du développement de ce marché. Cela se traduit par la création d'une division snowboard, d'un budget de 4 MF pour trente coureurs de compétition et la production de 600 surfs/jour depuis un an et demi dans son usine de Voiron.
137On peut apprendre à surfer sur la neige en étant un médiocre skieur et même sans être un skieur du tout. Imaginé pour jouer ailleurs que sur des couloirs aménagés, pour utiliser autrement des espaces vierges, le surf a évolué techniquement et s'est progressivement approprié les pistes classiques. Apprécié autant pour sa liberté gestuelle que pour les sensations procurées, il s'est néanmoins doté, du moins pour l'infime partie qui a choisi la compétition, des mêmes épreuves et des mêmes règlements. C'est peut-être le début d'une intégration difficile et le prix à payer pour une reconnaissance.
138Avec 1 500 adhérents mais 600 000 pratiquants (quotidien Sud-Ouest, op. cit.) dont 20 % "d'assidus" et 80 % "d'essayistes", la pratique du surf des neiges dépasse désormais le niveau confidentiel. Avec 25 000 planches vendues en France en 1995, soit 5,5 % du marché du ski en volume, il représenterait un marché de 120 millions de francs (planches + chaussures + fixations).
139Selon l'Association française de surf des neiges, les snowboardeurs seraient surtout des hommes (pour les trois quarts), jeunes, d'origine géographique double (urbains et montagnards), multisportifs de glisse (planche à voile, surf de vague, skateboard...) et en majorité issus de catégories socioprofessionnelles supérieures. Ils affichent une ''volonté de différenciation", un "esprit d'aventure et de liberté", et un "esprit tribal".
140Les 6/30 ans sont quatre sur dix à essayer le surf, 20 à 25 % des skieurs se tournent actuellement vers une pratique qui devrait concerner 50 % de la clientèle dans 5 à 10 ans (journal Libération du 10/03/96 "Le snowboard sans maître d'Ecole") L'accroissement rapide de ses adeptes provoque, au nom de la sécurité, un débat qui annonce une cohabitation délicate sur les pistes damées.
141Moins visible mais plus profonde, la différence essentielle concerne l'accès à la pratique. Les écoles traditionnelles de ski et les moniteurs qui y enseignent ont été débordés par la nouveauté et la quantité d'une demande qui a pris des raccourcis. Le ski ça s'apprend, ça se mérite au prix d'une progression clairement étalonnée. La technique se réfère à la théorie (le mémento). Le surf se vit. Le savoir-faire des surfeurs évolue avec chaque individu. C'est le résultat qui compte, et le résultat c'est le plaisir. Le plus expérimenté sert de modèle tant que sa compétence en évolution permanente est utile aux objectifs que chacun se fixe. L'envie du moment dicte l'espace de jeu et la règle éphémère. La généralisation des snowparks (zones réservées) est bien accueillie mais en réalité une désaffection rapide de la majeure partie des pratiquants les menace et rappelle l'échec urbain des pistes de skate.
8/ Les sports d'eau vive
142Les enquêtes menées de 1991 à 1993 par les Ministères du Tourisme, de la Jeunesse et des Sports, de l'Environnement et de l'Agriculture auprès des pratiquants, des prestataires et des institutionnels (Lettre de l'Economie du Sport, no 266, juillet 1994), dressent un tableau précis du marché de l'eau vive de loisir. Canoë-kayak en eau vive ou en eau calme, raft, nage en eau vive, canyoning, "hot dog" (canoë gonflable à deux places) séduisent de plus en plus. Si l'on regarde le seul canoë-kayak, il y a en France 25 000 pratiquants chevronnés, 1 000 000 pratiquants occasionnels et 800 000 pratiquants potentiels.
143On ne peut plus, comme au début des années 1980, associer ces sports à des disciplines "extrêmes" réservées à quelques audacieux. Ces "sports-aventure-loisir" sont aujourd'hui, sous certaines conditions, "à la portée de tous".
144Il y avait, en 1993, 585 établissements prestataires de services dans le domaine des sports d'eau vive de loisir (l'activité associative "traditionnelle" telle la pratique régulière et la compétition dans les clubs fédéraux par exemple n'a pas été prise en compte dans l'étude). Ces établissements ont réalisé en 1993, 2 295 000 "journées embarquement" (Centre de droit et de tourisme de la montagne Université de Grenoble).
145Les pratiques se répartissent ainsi : le canoë et le kayak, les plus anciennes et les plus connues des disciplines d'eau vive représentent 64 % de l'activité, le raft 29,5 %, la nage en eau vive 6 %.
146Malgré une offre atomisée, celle-ci s'est professionnalisée. Les prestataires, sollicités à l'origine par des "aventuriers" à la recherche de sensations fortes, se sont adaptés aux demandes d'un public de plus en plus large : jeunes ou plus âgés, sportifs ou non, dont les motivations et les exigences se distinguent de celles des pionniers. "L'aventure, l'émotion et l'action" restent encore les principales motivations des rafteurs (pour 36 %), des nageurs en eau vive (37 %) et des amateurs de canyoning (36 %), tandis que les amateurs de canoë ou de kayak (eau vive, eau calme ou en mer) se montrent surtout intéressés par la découverture de la nature (Ministère du Tourisme, de la Jeunesse et des Sports, de l'Environnement et de l'Agriculture 1995).
147Même ces clivages tendent à s'estomper. Comme ailleurs dans le sport, les professionnels de l'eau vive notent un regain d'intérêt pour la "multiactivité". "Ils veulent des sensations et un plaisir immédiat, sans avoir à subir les pesanteurs d'un apprentissage, et souhaitent aussi se sentir en sécurité". Ceci expliquerait le succès de certains types d'embarcation, comme le hot dog, conçu pour répondre aux exigences de plaisir-sécurité.
148Selon l'une des enquêtes post-activité réalisées, les clients de l'eau vive seraient plutôt satisfaits des prestations : 60 % des personnes interrogées jugent que l'accueil et l’encadrement sont satisfaisants ou excellents. Les clients se montrent plus sévères sur la qualité des locaux (d'accueil ou technique) et sur la qualité de l'eau, puisque 20 % se disent insatisfaits ou moyennement satisfaits.
149L'eau vive séduit, semble de plus en plus accessible, mais la distance est longue entre la première descente encadrée et la pratique autonome. Beaucoup semblent donc se satisfaire d'une pratique très occasionnelle, exceptionnelle même.
150Ces pratiques d'une fois sont liées à la simplicité et à la facilité de mise en œuvre. Elles conduisent inévitablement et régulièrement la plupart des amateurs au "même endroit et à la même heure" c'est-à-dire les mêmes week-ends sur les mêmes cours d'eau. On assiste alors aux défilés ininterrompus d'attelage sur les routes et de bateaux sur des rivières transformées en autoroute, au grand dam des autochtones ou des amateurs de solitude, pêcheurs, chasseurs, randonneurs. L'alternance est de plus en plus arbitrée par arrêté préfectoral.
9/ Le vol libre
151Certaines activités ont un impact plus réduit en terme de pratique, tel le vol libre qui touche en France un public relativement restreint. Ce petit nombre s'intéresse en priorité au parapente (trois quarts des adeptes), au détriment de l'aile delta, sport plus ancien, dont les conditions d'apprentissage et de coût sont moins favorables. Deltaplane et parapente séduisent environ 40 000 pratiquants et ont donné naissance à 200 clubs.
152En effectif (la Fédération française de vol libre déclare plus de 29 000 adhérents) le parapente regroupe 79 % des licenciés des pratiquants de vol libre en France29.
153Après 20 ans d'existence il se taille la part du lion en reprenant à son compte, grâce à des caractéristiques techniques particulières, le rôle de défenseur de la liberté individuelle et de l'autonomie. En effet, l'évolution du matériel permet de voler facilement. La réalisation du vieux rêve humain se réalise avec un compromis comportant les couples ressources/contraintes, avantage / inconvénients, plus avantageux que dans d'autres disciplines. Le faible poids du sac à dos (une dizaine de kilos), la facilité de mise en œuvre, les surfaces réduites de décollage et d'atterrissage, les performances en vol, et le relatif petit prix (de 5 à 20 000 F) autorisent toutes les audaces. Les conditions aérologiques sont les seules limites à respecter.
154Cette activité se développe malgré tout lentement, car il lui faut dépasser les barrières imposées par le risque, le coût, le temps et surtout l'espace de pratique. Il semble, en la comparant aux autres activités sportives de plein air que son terrain de jeu, le ciel, soit immense. Mais les zones d'évolution vraiment favorables à la discipline sont réduites. Il est nécessaire pour une pratique régulière, de disposer "à proximité" d'un site aérologiquement intéressant pourvu d'un décollage d'accès facile et d'un atterrissage sûr. Les conditions difficiles à réunir près des zones urbaines, transforment parfois certains sites connus en redoutables volières.
155L'objet des efforts de la Fédération Française de Vol Libre (ffvl) et des clubs affiliés est de s'assurer l'utilisation de ce point-clé de la pratique. Dans ce processus qui conduit de la création (négociation avec les responsables locaux et les propriétaires terriens, achat ou location des surfaces, aménagement des lieux...) et à l'exploitation d'un site, il est "logique" de réglementer, voire d'interdire l'accès au site, pour des raisons de sécurité, aux pilotes isolés comme aux clubs (mise en place de navette de transport pour assurer le retour des pilotes vers le sommet). En région lyonnaise, le maire de Soudin, ferme le site de sa commune pour cause d'accidents répétés... Le "maître des lieux" de Port refuse des pratiquants "étrangers".30
156Il se constitue ainsi à l'instar des aéroports, des lignes de trafic et des zones réglementées, une carte de territoires soumis à autorisation. Il se crée progressivement une double appropriation de l'espace terrestre et aérien. Cette emprise sur les espaces reste encore le plus souvent symbolique, elle favorise également une certaine forme de hiérarchie chez les volants. Elle est subtile et s'appuie sur les pratiques présentes et passées, sur la performance jugée et l'expertise admise.
157Le parapente est caractérisé par un matériel dont les innovations sont toujours accueillies favorablement même si la surenchère technologique et financière est l'occasion de décrochage. Le moteur avec le paramoteur et l'ulm (ultra léger motorisé) ont du mal à dépasser un cercle restreint. Le portrait de l'homme volant de 1993 (Budillon, 1993) confirme que les éléments les plus visibles dans l'excès de "frime" et de la compétition sont des cas atypiques. Avec un certain nombre de valeurs fondamentales telles que la recherche de bonheur au sein de la nature, la curiosité et l'ouverture à autrui, au monde et à la technique, se profilent les tendances "petit bourgeois discipliné et casanier" d'une population de cadres d'âge moyen (41 % ont entre 31 et 40 ans, chiffres issus de l'enquête Jorand, op. cit.) sensibles au mouvement écologique (88 %, op. cit.) mais favorables à la compétition (73 %) et satisfaits de la réglementation en vigueur 81 %).
158Les conflits internes sont essentiellement liés au sentiment de propriété lié à la proximité ou à l'usage de sites devenus familiers.
D. les tendances : l'exemple du snowboard et du parapente
159Assimilées à des pratiques aventureuses, liées à un futur indéterminé, les nouvelles pratiques sportives de montagne sont révélatrices d'un "hédonisme irrépressible". Elles se caractérisent à la fois par l'intensité de l'expérience et la vitesse à laquelle les individus adhèrent à une pratique, se l'approprient et s'en détachent, de façon provisoire ou définitive. La recherche du plaisir immédiat, éprouvé dans le contact avec la nature s'accompagne d'une reviviscence collective des moments forts et des émotions vécues en petits groupes qui s'exprime, à l'occasion, dans les "petites bouffes" ou les "soirées vidéo". Cette absence de stabilité et de régularité place ces nouveaux loisirs à l'opposé des activités fondées sur un projet défini par la volonté d'atteindre un but à long terme, de maîtriser une technique compliquée et de développer des capacités physiques incontournables. Cette jouissance en différé qu'implique un tel projet n'a plus cours, ce qui rend caduc le modèle systémique classique de l'offre et de la demande.
160Ces pratiques nouvelles sont construites par un groupe humain cimenté par des émotions vécues ensemble. L'expérience subjective de cette réalité dans sa présence immédiate sera donc faite de choix, d'efforts et, en conséquence, de tensions de la conscience qui ne s’apaiseront, par l'accoutumance et l'habitude, que dans la typification des conduites. De cette façon, l'ensemble des situations rodées et organisées par l'expérience collective, ritualisées par la culture populaire, signent des habitudes et fixent des connaissances, qui sont autant de tentatives pour enraciner le temps dans un espace et constituent le véritable support de la mémoire du groupe. L'essentiel dans la constitution d'une forme particulière d'activité, est l'état d'esprit d'une constellation fluctuante de micro-groupes.
161Leurs sensibilités aux images et à l'identification ou leurs représentations surgissent de façon concomitante avec des pratiques spécifiques, des passions mais aussi un certain bon sens.
162Dans cette attente active de concrétisation de besoins mal définis, on assiste au paradoxe du fonctionnement social des loisirs sportifs, à savoir des envies (et non pas des demandes) diffuses et multiformes, associées à des offres par définition imparfaites et inadaptées globalement.
163Pourtant, malgré le risque simultané de l'usure ou de la surenchère absolue contenue en germe dans la recherche de sensations toujours "extraordinaires" et d'émotions toujours renouvelées, malgré l'impossibilité à prendre en compte les aspirations de chacun, l'aventure qui flotte dans l'air du temps se concrétise réellement, s'actualise en continu dans la plupart des expériences de nature.
164D'une part parce que le concept de nature, ainsi que le confirme notre travail sur les représentations, est très fortement associé à ceux de liberté, d'évasion, de beauté, de plaisir, d'émotion, et d'autre part parce que la majorité des acteurs de la montagne d'aujourd'hui n'est pas constituée de héros solitaires ni de sportifs de haut niveau désireux d'accomplir des performances.
165Deux exemples, celui du surf et du parapente, nous paraissent illustrer à leur façon la tentation du Fun. Alain Loret (1995) en donne la définition suivante : un registre de comportements de nature juvénile propre aux personnes atteintes d'un mal de vivre, de la peur de vieillir. Le Fun est un système de valeurs, une contre-culture qui privilégie l'instant, le plaisir, l'émotion, le rejet des règles. C'est en fait un nouvel art de vivre bien représenté par ces sports de glisse qui s'exprime pourtant de façon très diversifiée dans les deux activités retenues.
1/ Le snowboard
166Cette nouvelle glisse qui émerge entre le monoski et le vélo-ski prouve que l'innovation technique seule ne suffit pas à développer durablement une pratique. L'adhésion véritable traduite par un développement quantitatif obéit à d'autres forces.
167La catégorie large des surfeurs paraît, aux regards extérieurs, un groupe compact cohérent :
- qui repousse le vulgum pecus à cause de l'image relayée par les médias d'une pratique folle, loin de la tradition, très technique dans les termes : "il ne fait que quelques grabs de base comme l'indy ou le backside air, souvent en late ou dans une rotation front-side, le top du new school style"31 : et les types d'évolution, donc doublement réservée à des jeunes "branchés" (comme ce fut le cas pour le ski alpin au début de son histoire) ;
- qui attire par l'évocation de liberté, de fluidité, de plaisir ressenti et donné à voir "si c'est beau à regarder, ce doit être agréable à faire" ;
- qui retient la majorité de ceux qui lassés du ski, ou initiés à des pratiques proches comme le skate board, se laissent prendre au jeu de la découverte, à celui de l'apprentissage rapide, du progrès gratifiant, des sensations immédiates.
168Il existe pourtant à l'intérieur de la population des surfeurs presque autant de groupes distincts que d'individus, les poudreurs, les pistdrds, les puristes, les compétiteurs (dans la catégorie half-pipe, boardercross, vitesse, slalom, bosse), qui utilisent des engins différents (alpin, freeride, freestyle) et des signes extérieurs de reconnaissance (clean, fluos, trash).
169Dans ce secteur, l'innovation est réduite à l'amélioration de la qualité des surfs au plan de la maniabilité. Elle est donc toujours favorablement accueillie malgré la surenchère financière. Cette innovation technique vise la facilitation de la conduite, du déclenchement des virages.
170La recherche porte sur la taille, la forme et le profil des planches les plus susceptibles d'apporter agrément et confort en distinguant deux formules qui s'excluent dans les modes de pratique comme dans le "look" et l'état d'esprit :
- le surf alpin étroit et spatulé à l'avant, avec plaques de fixation et chaussures rigides ;
- le surf de figure ou de saut spatulé aux deux extrémités (surf "banane") avec système de coques plastiques et chaussures souples.
171La première intéresse les pratiquants qui ont un passé de skieur et la seconde les autres, nécessairement plus jeunes.
172Il semble que pour les premiers, malgré l'envie de changer et les promesses de plaisirs inédits, les logiques installées parfois difficilement en ski, résistent avec succès. Elles orientent ces pratiquants vers des formes encore relativement rigides, corsetées.
173La précision de la conduite du surf dans des courbes superbes s'obtient, en appui sur une seule carre, au prix du maintien étroit du pied et de l'articulation de la cheville.
174Les seconds dont les références sont plus inspirées du surf aquatique et du skateboard vont naturellement vers des modes de contrôle plus souples. L'indépendance plus marquée entre le corps et la planche privilégie les déplacements. Le positionnement des pieds parallèles et en travers permet, presque indifféremment, associés à la forme symétrique de la planche qui ne distingue pas l'avant de l'arrière, d'aller dans les deux sens, d'effectuer des figures et des sauts originaux.
175La sécurité passive et l'évolution du système de fixation ne sont pas fondamentalement à l'ordre du jour. Comme à l'aube du ski, chaque surfeur est quoiqu'il arrive rivé à sa planche. Bien sûr les deux pieds sont dissociés et la longueur du surf permet un certain nombre de cabrioles sans risque mais les articulations du genou sont les premières victimes des torsions et blocages forcés.
176En haute saison, la densité de pratiquants augmente sur les pistes, de même que les risques de collision. Cependant si les chocs entre skieurs et surfers sont rares, ils font l'objet d'un certain tapage médiatique.
177En effet, les trajectoires des surfeurs sont impressionnantes par leur vitesse, leur netteté et leur bruit même si elles sont aussi plus précises à partir d'un certain niveau de compétence.
178Compartimenter les populations des skieurs et des surfeurs est parfois une tentation qui affleure dans certaines stations. De-ci de-là, on voit apparaître des pistes réservées ou interdites, des petits stades privés de snowboard.
179C'est oublier, comme dans le cas du skateboard, les principes fondamentaux du fun : le non respect des règles et le besoin de liberté.
180L'accueil offert aux uns comme aux autres en matière d'installations et de remontées dans les différentes stations (pourcentage relatif de télésièges ou de téléskis par exemple) joue plus sûrement la carte de l'incitation pour un usage différencié.
181L'imaginaire se nourrit d'espaces vierges, de courbes au couteau, de bonds spectaculaires, d'équilibres périlleux dans une neige poudreuse. Cette communion parfaite entre l'air et l'eau est consacrée par l'expression symbole " à dont dans la dreupou" (à fond dans la poudre), le plaisir ressenti est doublé par la signature d'une pente.
182Une seule trace marque incontestablement un territoire par des pleins et déliés harmonieux d'une virtuosité évidente. Par définition éphémère sujette à l'oubli mais aussi à la récidive, cette appropriation fugace nécessite la présence de témoins et de spectateurs dont le premier est l'acteur lui-même.
183Il reste une pratique en progression lente mais sûre, un état d'esprit aventureux qui s'affiche ostensiblement sous forme contestataire, qui s'exprime sans risques physiques notables dans des styles particuliers.
184Il reste des groupes libres constitués par des relations aussi fortes et ponctuelles qu'imaginaires évoluant au protectionnisme frileux en protégeant son "spot" au prosélytisme le plus affirmé.
2/ Le parapente
185On peut schématiquement distinguer différentes catégories de volants. Jorand (enquête citée) distingue quatre groupes homogènes de pilotes :
- les touristes : ce sont les débutants ou pilotes occasionnels ;
- les performeurs qui regroupent les compétiteurs et les professionnels ;
- les intermittents, pilotes brevetés réguliers mais pratiquant par période d'une semaine 2 à 4 fois par an ;
- les tribaux ou groupes d'amis adeptes de la montagne et partisans d'une forme particulière de sociabilité en réseau préservant indépendance et autonomie.
186Nous avons préféré retenir les quatre modes d'utilisation de l'espace sur les plans vertical et symbolique correspondant à au moins autant de types de pratique, chacune satisfaisante à son niveau, à son seuil :
- les "râpe la pente" sont les débutants ou les pratiquants qui se satisfont de vols courts, près du relief, dont la trajectoire relie le point haut directement au point bas : un "Plouf" ! La voile, comme dans le cas du parachute, a pour fonction essentielle de ralentir la descente. Les deux préoccupations essentielles de ces pilotes sont le décollage et surtout l'atterrissage (il faut des navettes de transport entre les deux endroits, organisées selon les cas par l'école, à tour de rôle pour les groupes organisés ou pour les rampants de service en l'occurrence les épouses au début tout au moins).
Le pratiquant reste en contact visuel avec l'expert qui peut éventuellement le guider par radio. Les autres pratiquants en vol constituent une gêne dans la mesure où leur présence réduit l'espace d'évolutions, par définition mal maîtrisées. - les adeptes du surplace ou "soaring". La technique plus délicate consiste, en jouant avec les flux d'air dynamique à effectuer des aller-retour en huit, à peu de distance du sol. La performance se juge par la capacité à rester le plus longtemps possible en l'air en profitant au maximum des effets ascendants et de se reposer au décollage. Les sites favorables sont rares et la promiscuité mais aussi le spectacle (faire des Wagas c'est-à-dire des balancement de grande amplitude au ras du sol sont une preuve de virtuosité) font partie du jeu, les autres sont au mieux des concurrents, au pire des obstacles.
- les "inconditionnels du plafond". Leur préférence va à l'ascension. Il faut savoir repérer et profiter d'une colonne d'air chaud pour décrire des spirales ascendantes, à l'image des oiseaux ("enrouler un thermique" ou à l'inverse et par erreur "une dégueulante"), pour atteindre la hauteur max. La performance est vérifiée à l'instrument, l'altivario, qui affiche l’altitude et la vitesse verticale. Le résultat est souvent annoncé à la radio, pour information aux amis, et aux rampants... Dans le cas d'un ciel couvert, il est excitant de toucher les "barbulles" (filaments de vapeur d'eau à la base des nuages) et de "flirter avec les nuées".
- les "grands voyageurs" sont attirés par le Cross. Ils n'envisagent la pratique qu'itinérante. Seule compte la distance parcourue même si le circuit peut être en boucle (toujours à cause de la récupération du véhicule). L'atterrissage s'effectue souvent en bout de course dans un espace de fortune. On appelle cela se "vacher" sans doute à cause du plancher du même nom, le retour s'effectue parfois en stop.
Cette pratique est celle d'un petit groupe relié par radio. Le plus haut ou le plus motivé décide à un moment de "transiter" c'est-à-dire de quitter la zone favorable pour en rejoindre un autre.
Cette décision lourde de conséquences pour la réussite de l'opération est le signe d'une expertise affirmée. Elle distingue le décideur du ou des suiveurs (il existe une compétition : la Coupe Fédérale de Distance). Le bivouac est la forme ultime de cette activité qui réunit alors randonnée ou alpinisme et parapente pour des périples de plusieurs jours en autonomie totale.
187Bien entendu l'occasion fait le larron pour les sportifs les plus expérimentés. L'aérologie impose parfois les choix. Mais au-delà du plaisir personnel ressenti, l'intérêt suscité est proportionnel à la hauteur atteinte et à la distance parcourue, la compétition est amicale mais réelle entre élus. L'ouverture d'itinéraires vierges, loin des "pompes de service" (ascendance habituelle répertoriée) reste gravée dans la mémoire collective aussi précisément qu'une voie d'escalade et fait souvent l'objet d'une description écrite détaillée. La compétence des "maîtres des lieux" (souvent compétiteurs ou intervenants dans les clubs proches) est reconnue et transmise aux nouveaux. Elle fonde des rapports de respect et de priorité qui organisent la pratique.
188Mais que l'on soit expert ou débutant, l'imaginaire autant que la fréquentation des mêmes espaces, sert de lien en s'alimentant à deux grandes peurs :
- monter ou plutôt de ne plus pouvoir redescendre, aspiré comme un fétu de paille par un phénomène aérologique majeur, le cumulo-nimbus. Le "cunimbe" occupe la première place dans les causes des faits divers dramatiques et nourrit toute une abondante littérature (situé à une hauteur compris entre 300 m et 7 000 m, formé de courants ascendants de plusieurs mètre/seconde, il provoque des turbulences à plus de 20 km).
- tomber ou plutôt de ne pas pouvoir amortir suffisamment son retour de vol. Des différences de température, des cisaillements de flux d'air ou des erreurs de pilotage peuvent provoquer des fermetures partielles ou totales, momentanées ou durables de la structure "molle" qui tient lieu "d'aile".
189Ces deux dangers sont les pôles extrêmes d'une même dimension verticale du risque sur lesquelles s'appuie la plupart des récits d'aventure.
190La sécurité, le plaisir grisant de cette forme de "glisse" avec les oiseaux, et le désir d'améliorer sa performance sont donc les thèmes dominants de cette pratique. Chaque progrès technique favorisant un ou plusieurs de ces trois domaines est donc favorablement accueilli.
191Il faut savoir que le comportement aérien d'un parapente est toujours un compromis sécurité / performance ; l'Association des Constructeurs de Planeurs Ultra Légers (acpvl) est créée en 1987. Elle impose un garde-fou mettant en place des règles de sécurité avalisées par l'organisme d'état afnor.
192L'exigence des tests a hissé l'ensemble des parapentes à un niveau de sécurité très rassurant (Parapente Magazine, no 27, mai-juin 1993) car l'amélioration de la finesse (notée 2 à 8, c'est le rapport entre la hauteur vol et la distance parcourue) du taux de chute, de la vitesse, s'obtient parfois au prix d'un pilotage plus difficile.
193On considère qu'il existe trois catégories de voile : école, intermédiaire ou standard, compétition ou performance. À chacun de choisir, en tout connaissance de cause, la voile dont la surface correspond à son poids et les performances à son niveau.
194L'innovation ne pose véritablement un problème qu'à partir du moment où elle peut remettre en cause profondément l'expertise des "maîtres des lieux" comme dans la mise en œuvre d'un concept original. Un exemple est actuellement fourni par le système de cage de pilotage mis au point par Jean Louis Darlet et la Société Nervure32.
195Ce nouveau concept situe les caractéristiques du nouvel engin entre le Deltaplane et le Parapente. Toutes les suspentes relient homothétiquement la voile à une grille rectangulaire sous laquelle s'accroche le pilote par un seul point. Avec un parapente conventionnel on pilote la traînée, en agissant par des commandes sur les parties arrières droite ou gauche de voile, les sensations sont transmises par la sellette.
196Avec la cage, véritable interface rigide, on modifie l'incidence de la voile complète, les informations arrivent aux mains. Dans le premier cas on gère le frottement, dans le second cas on glisse (Vol Libre, janvier 1991). Cela transforme radicalement le comportement du couple aile / pilote en s'attaquant à la fois au plaisir, à la sécurité et à la performance, en bousculant les idées reçues et surtout les compétences acquises.
197Les réactions sont directement ou par revue spécialisée interposée, vives et diverses. Elles vont de la condamnation radicale d'une "usine à gaz" qui "complique un engin pas fait pour ça"33 à l'enthousiasme pour une autre glisse qui est au parapente ce que le surf est au ski, en passant par de la curiosité plus ou moins malsaine, ou de l'indifférence simulée.
198Les trois catégories de problèmes sont aussi plus ou moins clairement abordées. Du pôle négatif au positif, on peut citer les propos les plus fréquents qui concernent :
- la sécurité : "et quand ça ferme, qu'est-ce qui se passe"..."pas de risque de tour de sac dans les suspentes" ;
- la performance : "la cage n'a pas fait ses preuves en compétition"... "l'exploitation des gradients verticaux est facilitée" ;
- l'agrément "c'est lourd et encombrant"..."le confort de pilotaqe est total".
199Actuellement, une vingtaine seulement de parapentistes sont entièrement acquis à cette nouvelle forme de vol. Cela témoigne de la résistance développée depuis cinq ans, que ce concept est expérimenté, par les "experts" qui font autorité, mais cela promet également un avenir durable quand on sait que ceux qui l'ont essayé, l'ont adopté et que la vague des débutants "cagés" commence.
200Le comportement de la Fédération française de vol libre (ffvl) est révélateur de l'ambiguïté d'une fédération sportive. Apparemment ouverte à l'innovation, les responsables fédéraux ont créé une commission "cage" et ont rempli leur rôle d'information en faisant figurer une photo de l'engin sur la plaquette nationale à côté du parapente classique, du deltaplane, du swift et du système de treuil en plaine. En 1997 les "cervolistes" (3 000 licenciés) rejoignent la fédération et apparaissent en lieu et place sur la nouvelle plaquette, la formation des cadres techniques ne fait l'objet d'aucune volonté affirmée ni d'aucun budget. La pratique de ce que les militaires appellent une "veille technologique" fonctionne à plein. Tout en phagocytant sans véritablement chercher à comprendre ou même à accompagner les transformations, la structure en place table davantage sur les gros effectifs (à quand les lanceurs de boomerang ou les joueurs de bilboquet à la ffvl).
201En comparant le snowboard au parapente, on peut noter les points de convergence et divergence des types de pratique et de l'état d'esprit des publics concernés. Ces points significatits sont, à notre avis, les modes d'accès à la pratique et à l'autonomie ainsi que la notion d'engagement. Ils passent par les modalités d'apprentissage autant que par les conditions nécessaires à la pratique étudiée plus tard comme le temps, le coût et la présence de structures.
202• Les surfeurs revendiquent et pratiquent une démarche autogérée qui fait alterner l'observation des autres et l'échange de conseils avec l'expérimentation directe et la comparaison. Chacun développe son habileté avec, pour moteur et principal risque, l'émulation collective d'un groupe parfois trop hétérogène.
203Cette méthode pragmatique et naturelle rappelle celle développée pour apprendre à marcher. L'objectif à atteindre, les bras de la mère, suffit à déclencher, quand les conditions sont réunies, une série d'opérations progressivement ajustées. Les précurseurs des années quatre-vingt ont appris seuls par tâtonnement et essai-erreur autant pour le matériel que la façon de faire dans un mouvement / développement alterné visant la satisfaction du seul plaisir.
204Les résultats obtenus plus qu'une quelconque méthode ont fait émerger des envies et ont favorisé la diffusion. L'apprentissage actuel échappe toujours en grande partie aux écoles du ski français (le mémento du surf FFS est édité à l'image de celui du ski) qui s'intéressent pourtant de plus en plus à ce succès public. Les cours proposés mobilisent les débutants en fonction de leur âge. Les plus jeunes, les adolescents s'ils n'appartiennent pas à un groupe, prennent à la rigueur une heure de cours pour débuter. Les adultes constituent l'essentiel du public prêt à retourner à l'école pour des temps d'apprentissages plus longs mais encore sans comparaison avec le ski. L'autonomie est très rapidement au rendez-vous (avec les qualités des surfs actuels, il ne faut pas plus d'une demi-journée pour un individu moyennement sportif) pour peu que l'on se contente du milieu aménagé voire aseptisé des pistes modernes.
205Ce sont précisément ces étapes obligatoires, ces méthodes imposées, ces parcours balisés qui ne correspondent plus à l'esprit Fun. L'évolution technologique permet de s'en affranchir.
206Le dernier obstacle objectif est la culture. Cet obstacle concerne deux aspects, quantitatif par la masse des gens concernés et qualitatif par la répétition des expériences de même genre. Isolé du milieu des pratiquants ou enfermé dans des comportements habituels, le prétendant aura recours au système traditionnel, l'école, le club, la fédération.
207• Le parapente est une pratique récente. On peut dire qu'il existe deux générations, indépendamment de l'âge des pratiquants. La première est venue du deltaplane ou de la montagne. Elle a construit son expérience et sa compétence à coup de génie et d'audace sur une route jalonnée d'accidents.
208La seconde a gagné en sûreté et en facilité en œuvrant presque exclusivement au sein d'écoles. Comme pour les conducteurs, ces dernières fixent les conditions de pratique, les étapes et délivrent des brevets de pilote qui attestent d'une autonomie théoriquement acquise.
209Il faut dans l'ordre :
- maîtriser le gonflage de voile, pieds au sol, dans des conditions de vent de plus en plus fort ;
- gérer sur le plat, le déplacement du couple engin / pilote ;
- automatiser les manœuvres de décollage et d'atterrissage lors "de saut de puce" sur des pentes de faible hauteur (20 à 80 m) et de déclivité à peine supérieure à la finesse de l'aile.
210Ceci, avant d'espérer être lâché pour un premier vol, contact visuel et radio permanents.
211La prise de conscience digne d'être "suspendu à un drap" quelques centaines de mètres au-dessus du sol crée une émotion légitime qui peut perturber les automatismes les plus développés (confusion entre la droite et la gauche par exemple) et justifie une assistance psychologique et technique.
212L'autorisation de décoller est, pour les vols suivants, encore longtemps du ressort de l'expert car l'analyse de l'aérologie est un exercice complexe. L'autonomie s'acquiert donc très progressivement (parfois jamais) dans le cadre d'un club ou au contact des plus expérimentés. Sur un site, il n'est pas rare d'attendre qu'un premier se décide et joue le rôle délicat mais valorisé de "fusible".
213Cette patience vitale malgré l'envie, cette capacité à renoncer ("il vaut mieux regretter un vol que l'on n'a pas fait, plutôt qu'un vol que l'on a fait") sont indispensables à la pratique d'une spécialité dont la caractéristique essentielle est une forme aiguë de soumission aux éléments.
214On ne choisit pas le moment de son envol mais on décide de partir quand on estime que les conditions sont favorables. On ne s'arrête pas quand on veut (ni parfois où on veut) mais quand c'est possible ou souhaitable.
215Les limites et leurs seuils ne sont pas toujours franchis délibérément, l'aventure ou sa promesse, est présente en permanence. Ce jeu que l'on choisit contient une "délicieuse menace" dans l'exploration poussée de soi, des autres et du monde.
216La notion mathématique de réversibilité c'est-à-dire la capacité à retrouver l'état initial éclaire bien les différences vécues dans les différentes pratiques de plein air. La "loisibilité" c'est-à-dire pouvoir choisir de commencer, de s'arrêter à tout moment, de revenir au quotidien, n'est pas assurée de la même façon. Les pratiques nouvelles bénéficient en général à la fois de l'élan technologique et commercial simplificateur nécessaire au développement populaire et d'une certaine virginité des milieux de pratique. Elles se structurent progressivement en renforçant les formes de cœrcition spécifique constitutives des logiques développées et des populations qui s'y sont engagées. Les efforts déployés à l'occasion de la journée nationale du sport par le Comité Olympique Sportif Français consacrent une seule forme de pratique ; "le sport c'est mieux en club". Cette tentative vaine est un contresens culturel pour le Fun.
E. les clienteles
217Dans le choix des types d'aménagement touristique et de style de vie de vacances en montagne, il existe deux grandes familles, assez exclusives l'une de l’autre :
- la grande majorité vient pour séjourner en milieu montagnard. Ces personnes, une fois installées, cherchent à pratiquer des activités qui leur sont offertes.
- celle qui vient à la montagne pour pratiquer des activités spécifiques.
218Mais il y a aussi celle de vacanciers que l'on peut qualifier de "stationnistes" et celles de "naturophiles" :
- Les "stationnistes" apprécient l'atmosphère urbaine, les résidences collectives. Ils sont souvent en famille, et aiment l'animation, la foule et la convivialité ; ils pratiquent les sports à la mode et préfèrent la haute saison.
- Les "naturophiles" apprécient la montagne authentique, l'atmosphère nature et l'arrière-pays, les maisons individuelles, les gîtes, le camping. Ils sont souvent seuls ou en couple ; ils aiment le calme, l'indépendance, les promenades dans la nature, la visite du patrimoine. Ils préfèrent la basse saison.
219Cependant "Stationnistes" et "Naturophiles" ont besoin de vivre leurs vacances au milieu d'une population locale, résidente, active et diversifiée, d'où la nécessité d'associer tourisme et autres activités économiques dans le concept des programmes.
220À chaque activité correspond une gamme de clientèle qui peut différer d'une activité à l'autre. Cette gamme se décline en quatre segments :
- des techniciens ;
- de simples pratiquants ;
- des pratiquants occasionnels ;
- des pratiquants potentiels.
221Ces trois dernières catégories de clientèle sont de loin les plus nombreuses quel que soit le sport pratiqué. Leurs attentes, leurs motivations ne sont pas totalement identiques et ce type d'approche est à prendre en compte dans la façon d'appréhender ces clientèles et dans la façon de monter les produits. On est passé d'une période où tes pratiquants étaient quasiment des militants, à une période dans laquelle l'activité devient beaucoup plus marchande et le secteur professionnel est souvent mal armé pour répondre à cette variété d'attentes sur un même produit. Il existe donc un réservoir de clientèles qui souhaitent pratiquer des activités douces en étant dégagées de toutes contingences matérielles souhaitant également trouver confort, prestations de qualité même lorsqu'il s'agit d'une activité sportive régulière et assidue.
222Les besoins généraux de la clientèle évoluent et pour faire face à cette variété de clients, à ces nouvelles demandes, tes produits doivent également évoluer. Mieux comprendre les motivations, les comportements, les aspirations, les rêves... des pratiquants de ces nouveaux sports et qui le plus souvent sont des non-dit, doit permettre de mieux adapter l'offre à la demande. La prise en compte des représentations associées à ces pratiques est l'une des clés pour mieux saisir ce qui est du domaine du rêve et ce qui appartient à la réalité et donc identifier d'éventuels dysfonctionnements.
Notes de bas de page
1 Activité Physique de Pleine Nature,
2 G. Rocher, L'Action Sociale, Paris, 1968, Points.
3 Leblanc, en 1842, calcule qu'il faut une moyenne de 6m3 d'air/heure/individu/classe. Guirette préconise, lui, des exercices redresseurs pour lutter contre la tuberculose.
4 Avec notamment les expériences de Chauveau sur le muscle releveur de la lèvre supérieure du cheval.
5 Il a même son journal en 1900 La vie au grand air dirigé par A. Laffitte.
6 La méthode naturelle est présentée officiellement en 1913 aux instances éducatives.
7 À partir notamment des lois sociales du Front Populaire de 1936.
8 Au sens neurobiologique de J. Paillard (1980).
9 G. Ruiz, Les évolutions des pratiques sportives depuis 10 ans, Cahiers Espaces, no 52. Éte 1997.
10 Les vacances des Français, (1995, insee).
11 Cf. encarts pages suivantes.
12 Cf. encart page 35 sur quelques traditions du massif pyrénéen.
13 Les sports que les Français ont envie de pratiquer à la montagne : ski de fond 39 %, ski alpin 35 %, marche en raquette 32 %, chiens de traîneaux 29 %, motoneige 20 %, surf 10 %, patin à glace 9 %. Source sondage Louis-Harris réalisé du 12 au 13 avril 1996 sur un échantillon de 1 003 personnes publié dans le mensuel QUO, no 14, décembre 1997.
14 C. Dendaletche, P. Palu, Pyrénées, pays d'hommes et de hautes altitudes. Échographie du patrimoine. Acta Biologica Montana. Ed. Espaces d'altitudes, 1995.
15 Dendaletche, op. cit., p. 7.
16 13e Université sportive d'été, Montpellier, cf. Les Cahiers de l'Université sportive d'été, no 11, "Un autre sport ?", 1997. Bordeaux : Maison des Sciences de l'Homme d'Aquitaine.
17 J. Kouchner, directeur du cfpj (Centre de Formation Professionnel des Journalistes de Montpellier in USE 1996).
18 B. Estrade, "Le snowboard sans maître d'école”, Libération du 10/03/96.
19 Certaines d'entre elles n'étant souvent que le renouveau de pratiques anciennes.
20 Le ski alpin et le ski surf.
21 Le mot club est un nom masculin anglais daté de 1702 qui désigne des réunions ou des cercles. Ces derniers ont été successivement des sociétés ou l'on s'entretenait de questions politiques, comme le club des Jacobins, un lieu loué et organisé à frais commun pour passer des heures de loisirs, des sociétés constituées pour aider leurs membres à exercer diverses activités désintéressées comme le Club alpin, le Touring club en 1874.
22 J. Griffet, Traces et seuils (cf. encart page suivante).
23 Ce texte a été publié par Claude Dendaletche, édition Cairn, 1997.
24 M. Maffesoli, Au creux des Apparences, Paris, Plon, 1990, p. 82, se demande "Si le sensible que je vis, sur un lieu donné, ne sera l'histoire de la post-modernité".
25 G. Chinard, L'homme contre la nature, Paris, Hermann, 1948.
26 M. Serres, Jouvences sur Jules Verne, Paris, Minuit, 1974, p. 12.
27 G. Bachelard, La poétique de l'espace, Paris, Puf, 1984, 4ème édition, p. 109.
28 30 morts en 1992 dans le massif des Pyrénées.
29 Dominique Jorand, Mémoire DEA - Paris Sud Orsay.
30 Parapente, no 40, juillet-août 1995, p. 5.
31 Snow Surf, no 5, mars 1993, p. 26.
32 Nervure. ZI POINT SUD. 65260 - SOULOR France.
33 D. Mathurin, Parapente Magazine, no 43, janvier-février 1996, p. 25.
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