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Introduction

p. 9-24


Texte intégral

1Dans nos sociétés modernes en crise, crise économique mais aussi et surtout crise de sens, l'homme, à la recherche du "paradis perdu", est en quête d'un "ailleurs" plus porteur de sens que "l'ici" du quotidien, (X. Piolle, 1992), d'identités sociales nouvelles, de nouveaux territoires... qui donneraient sens à sa vie quotidienne. Or cette quête du "bonheur", il ne peut la réaliser aujourd'hui qu’imparfaitement dans la quotidienneté urbaine du travail, de l'habitat ou de la vie familiale et sociale. Dans ce contexte, le champ du Temps Libre et celui des loisirs sportifs sont devenus particulièrement pertinents pour donner sens à cette quotidienneté. Cette évolution est le résultat d'une longue histoire, celle de la mobilité du système des valeurs qui organise toute société et qui a fait migrer la valeur loisir (comme les autres valeurs) alternativement d'une position centrale à une position plus périphérique et sans que jamais une localisation ne soit définitivement acquise et fixée.

I. DU LUDIQUE AU LOISIR

LE LUDIQUE

2C'est le caractère de ce qui touche au jeu, c'est la propension à laisser le certain pour l'incertain en risquant la tranquillité d'une situation établie, en abandonnant la sécurité du rôle habituel, en engageant des efforts sans avoir la certitude d'être gagnant.1

3Il n'existe pas d'activité humaine spécifiquement ludique mais plutôt une attitude (J. Henriot, 1969) c'est-à-dire une prédisposition à agir en vivant pleinement la liberté de l'instant sans arrière-pensée. Toute forme de jeu et par extension d'activité gratuite, peut être considérée comme une tentative pour "piéger" le ludique ou, du moins, pour le susciter. Quand l'intérêt ou la passion l'emporte, le sérieux revient et avec lui les règles inventées deviennent des lois, les hypothèses des dogmes et les pratiques des obligations.

4"Le ludique et le sérieux ne s'opposent pas mais s'engendrent dialectiquement l'un l'autre" (Bousquet, op. cit., p. 27). Cette dialectique, qui constitue l'axe de réflexion de nombre de penseurs passés et contemporains (Schopenhauer, Heidegger, Nietzsche, Huizinga, Bataille, Sartre, Finck, Argelos...) et nous incite à retenir la "Vie-Jeu" comme une réponse logique à un univers sans rime ni raison, sans autre fin que lui-même.

5L'évolution du concept de jeu dans la culture occidentale éclaire les attitudes actuelles. Au vie siècle avant notre ère, pour Héraclite, "l'univers est un enfant qui joue". Cette conception du monde s’efface devant les tentatives réitérées de justification : "il n'y a rien sans raison" d'Aristote à Leibniz en passant par Saint Thomas. Dieu, puis les lois de la nature, vont remplir cet office. Le jeu demeure toléré uniquement chez l'enfant.

6C'est seulement au début du xixe siècle que le ludique réoccupe progressivement le devant de la scène. Pour Schopenhauer (1788-1860) "Dieu est mort" et il faut se détacher de la vie qui n'a pas de sens. Nietzche (1844-1900) revendique, par un acte de volonté de puissance, un destin sans signification.

7Heidegger (1889-1976)2 accepte d'être au monde sans raison et surtout sans besoin de raison. "Le parce que disparaît dans le jeu. Le jeu est sans pourquoi. Il joue cependant qu'il joue".

8Aucun mot ne peut définir ce qui est au-delà de tout et l'expérience la moins éloignée est sans doute le jeu (Finck, 1969)3. Mais dans ces jeux de l'homme comme dans le jeu du monde, il est impossible d'isoler l'élan de la retombée, deux images majeures des activités physiques de pleine nature. L'élan symbolise la création propre au risque de la nouveauté vraie et la nécessaire retombée représente la pesanteur de l'habituel, de la routine. Les deux sont le tout qui constitue l'aventure ludique. Et même si l'élan est rare et la contingence du réel majeure, l'un est nécessaire à l'autre.

9Compte tenu du rôle déterminant que le ludique semble tenir dans la constitution de la culture, on peut affirmer que l'activité, gratuite à tout point de vue, qui en résulte, est fondamentale. Elle appartient à un mode d'existence ne cherchant pas de justification. Le jeu du monde comme jaillissement sans raison du Temps et de l'Etre est une aventure à l'état pur. La participation des jeux de l'homme à celui de l'Etre conduit à la fois à un désengagement momentané des règles habituelles de comportement, à l'acceptation et à la recherche du risque et de l'incertain. Elle produit, par l'exercice des ressources nécessaires à la résolution des problèmes concrets, l'acquisition de connaissances profondes.

10Pour susciter l'attitude ludique et l'énergie qui l'accompagne, l'époque actuelle propose des activités nouvelles dans le secteur des loisirs sportifs de plein air. L'association de la découverte de paysages et de la maîtrise du corps, le mélange de l'exaltation de l'effort et du défi de la peur présentent un intérêt grandissant. L'écueil réside pourtant toujours dans la valorisation, la sacralisation de la pratique qui fixent des règles et figent un apprentissage méthodique sclérosant et vidant à terme, le jeu de son intérêt. Seules l'expérience intime, l'exploration et la découverte garantissent une adaptation réussie et un apprentissage véritable et provoquent une émotion vitale qui peut se décliner jusqu'à l'extase.

11Le souci premier des formations scolaires, techniques, professionnelles, sportives est toujours guidé par l'objectif plus ou moins avoué de l'insertion sociale Cette hypertrophie des fonctions de transmission, de reproduction et de conservation s'oppose à ce que pourrait être un "entraînement à exister", une "construction permanente de la personne".

12La supériorité du jeu loisir sur le jeu social reste alors la possibilité de l'abandonner quand le ludique disparaît.

13Cet intérêt pour le jeu ainsi que l'importance individuelle et collective de l'enjeu expliquent sans doute en grande partie le développement, jusqu'à présent marginal, de ce secteur de l'activité humaine.

LE LOISIR

14On a pu observer que le loisir était, dans les sociétés traditionnelles préindustrielles et pour des groupes sociaux à fort enracinement spatial (villages, domaine seigneurial, quartiers urbains aux fonctions artisanales spécifiques...), un temps fort pour l'affirmation d'identités territoriales et de confirmation des rôles sociaux. Il s'agissait par exemple, par des veillées familiales et de voisinage, des fêtes nombreuses dans l'année qui trouvaient leur enracinement dans le travail quotidien, des processions religieuses, de célébrer l'identité collective d'un groupe qui se reconnaissait dans l'appartenance à un même espace dont les usages et les fonctions en faisaient un véritable territoire de la vie quotidienne. Ces manifestations, marquées par une forte convivialité, rassemblaient la totalité des membres d'une même communauté familiale, de voisinage, villageoise, seigneuriale, de quartier urbain. Le loisir confirmait alors la structuration sociale de cette communauté en la mettant en scène de façon publique tout en proclamant l'identité territoriale de ce groupe ou se côtoyoient, à l'occasion de ces fêtes, les différentes classes sociales (noblesse, clergé, peuple) solidaires par cette appartenance à un même territoire.

15Le loisir, dont les manifestations se déroulaient à l'intérieur de ces territoires restreints du quotidien, n’était pas véritablement créateur d'espaces spécifiques. Mais en utilisant un territoire déjà constitué le loisir avait un rôle actif dans le renforcement de la territorialisation des groupes sociaux ayant déjà tissé des liens étroits avec leurs lieux d'habitat.

16Dans ce contexte, qui peut apparaître assez contraignant et rigide pour le développement de loisirs "spontanés", "libres ou librement choisis", quelques déviances étaient cependant possibles permettant, l'espace d'un jour ou d'une fête, de chercher un "ailleurs" ou un "autrement" et de contester les règles sociales. On peut donner comme exemple celui du carnaval qui autorisait un échange des rôles sociaux voire un franchissement des normes et des règles sans pour autant marginaliser leurs auteurs. Mais c'était là une situation exceptionnelle et de courte durée.

17Le capitalisme industriel en forgeant une société où les identités de classe vont primer sur les identités territoriales, en plaçant le travail et la réussite sociale au cœur de la dynamique sociale, va profondément modifier la finalité du loisir dans ses relations à la société et à l'espace.

18Certes, il ne s'agit pas d'une révolution brutale, se développant parallèlement à la révolution industrielle mais d'une évolution complexe et ambiguë, annoncée bien avant, avec la lente ascension de la bourgeoisie au pouvoir économique puis politique.

19Cette évolution va se précipiter au cours du xixe siècle même si, parallèlement, se maintient souvent et parfois jusqu'à une date récente, la fonction "ancienne" du loisir, celle qui privilégiait la fête collective, conviviale, territorialisée.

20Dans la première phase du capitalisme industriel "libéral" tel qu'il se développe jusqu'à la grande crise de 1929, les relations loisir-travail deviennent antinomiques. En 1899 le théoricien Théodore Veblen dans une critique de la société américaine (Veblen, 1970, pour la traduction française) considère le loisir comme une "consommation de temps, improductive" sans valeur économique au regard du travail productif, base fondamentale de l'accumulation du capital. S'interrogeant sur la survivance du loisir dans une société tournée vers le travail, il l'explique par une justification sociale : le loisir était le signe distinctif de la classe dominante (la noblesse) et va devenir celui d'une bourgeoisie qui a supplanté la noblesse mais va en adopter les valeurs. Le maintien du loisir dénote alors un besoin d'intégration dans la classe dominante et de reconnaissance sociale (Marie-Françoise Lanfant, 1972).

21Pour les classes populaires qui se sont déterritorialisées en quittant le travail de la terre pour celui des nouvelles villes industrielles et qui se savent exclues de toute intégration possible à la classe dominante, le loisir, en perdant ses fonctions "traditionnelles" et une partie de son temps, ne retrouve pas toujours un nouveau sens ni un nouveau territoire pour des pratiques dans le temps du hors travail utilisé presque exclusivement à la reproduction biologique de la force de travail. Pour la classe dominante qui détient le pouvoir économique et politique, le loisir prend une nouvelle finalité, celle de valoriser et de confirmer ostensiblement les appartenances et les privilèges de la classe dominante. Le loisir devient alors objet de consommation ostentatoire parce que signe extérieur de richesse et symbole de classe.

22Ainsi, en même temps que se modifient les territoires "traditionnels" du quotidien et que se structurent de nouveaux espaces urbains, la fonction sélective et ségrégative du loisir, en relation avec une consommation ostentatoire réservée à une minorité, se précise et s'accuse. L'espace du quotidien ne joue plus qu'un rôle secondaire dans les manifestations de loisir et dans le renforcement d'une territorialité qui semble avoir perdu de son sens.

23Dans la phase qui suit la crise économique de 1929, l'intervention de plus en plus fréquente de l'État dans la gestion sociale et économique de la nation, la multiplication des grandes sociétés par actions et la généralisation du salariat, la hausse irrégulière mais continue du niveau de vie des populations mais aussi la pression et l'action des forces populaires (1936), vont permettre à une population de plus en plus importante d'accéder à des loisirs plus longs, plus variés et réservés jusque-là à une minorité.

24De ce fait les rapports entre Loisir, Société et Espace vont de nouveau profondément se modifier.

25En effet, après une recherche de justification sociale, le loisir, dans un contexte de prospérité va trouver sa justification économique devenant "un cadre privilégié de consommation forcée ou choisie" (Riesman, 1950). De "temps libéré de la production" il est progressivement perçu comme un temps disponible pour la consommation mais en corollaire les comportements de loisir tendent de plus en plus à se confondre avec les comportements des consommateurs. Il n’est alors plus incompatible avec une société centrée sur le travail car il prend une valeur économique en s'intégrant de façon massive dans le système de production. Cependant les "verrous" ségrégatifs et sélectifs ne sautent pas tous pour autant et si l'on ne peut plus parler de "classe de loisir" l'appellation "loisirs de classes" reste justifiée. Les pratiques de loisir sont alors et toujours un moyen de confirmer la structuration sociale et les identités collectives générées par le système de production économique. Elles semblent jouer un rôle beaucoup plus secondaire dans l'affirmation d'identités territoriales.

26Cette situation est cependant loin d'être figée car, à la fois pour répondre à une demande sociale et pour appliquer des stratégies qui leur sont propres, les acteurs politiques et économiques vont intervenir de plus en plus souvent "popularisant" et diffusant des loisirs pratiqués jusque-là par une "élite". Les stratégies des acteurs publics semblent répondre à la nécessité d'assurer un consensus et une paix sociale en favorisant des loisirs plus nombreux et plus variés. Celles des acteurs économiques sont autres : tenus par la contrainte de rentabilité ils ont perçu les avantages économiques de vendre des loisirs valorisés et valorisants par leurs références aux pratiques des classes sociales de statut élevé et le mimétisme des classes modestes à imiter le genre de vie des classes plus aisées.

27Dans le contexte de démocratisation "institutionnelle" du loisir et de prospérité économique qui suit l'après-guerre, ces acteurs vont jouer un rôle essentiel dans la production, l'organisation, l'aménagement, la réglementation, la normalisation... des pratiques de loisir. Parallèlement à la production massive de biens de loisir (télévision, chaîne hi-fi, disques, matériel sportif...) ils mettent en place des structures d'accueil institutionnalisées et aménagées, des réglementations plus ou moins rigides.

28La nécessité d'un support spatial pour ces pratiques de loisir en plein essor va inciter ces acteurs politiques et économiques à produire des espaces spécifiques. Stimulés par une forte demande ils vont créer, en les aménageant par des équipements plus ou moins lourds et sophistiqués, des stations balnéaires ou de ski, des campings, des stades, des piscines, des courts de tennis, des salles de cinéma, des bibliothèques... Ces nouveaux espaces aménagés pour le loisir font l'objet d'une marchandisation au même titre que n'importe quel autre bien consommable même si, parallèlement, une action sociale est entreprise pour en permettre l'accès au plus grand nombre.

29Ainsi le loisir, dans cette deuxième phase du capitalisme industriel, n'utilise plus uniquement pour ses manifestations, un espace donné qui auparavant était le plus souvent celui des territoires de la vie quotidienne. Il devient, de façon importante et nouvelle, créateur d'espaces dont la fonction principale et dominante n'est plus liée directement aux pratiques de l'habitat mais de permettre en priorité des pratiques de loisir. Sur ces espaces le loisir devient une fin "en soi".

30Si les territoires du quotidien suscitent toujours certains loisirs qui renforcent alors le sentiment de territorialité, ces "nouveaux" espaces de loisir semblent au contraire déterritorialiser les pratiques. D'une part ils sont géographiquement localisés en dehors des limites des territoires traditionnels du quotidien même si la distance entre les lieux d'habitat et ces nouveaux espaces est parfois de proximité. D'autre part ces espaces étant ouverts à un grand nombre d'individus qui n'appartiennent pas forcément à un même territoire, leur appropriation et leur défense4 (réelle et symbolique) restent très aléatoires. Enfin, dans un contexte qui valorise la société de consommation, la relation homme / espace reste très "productiviste" et "aménagiste". L'espace est perçu surtout comme un support ou un cadre pour la production et les pratiques de consommation, y compris celles de loisir.

31Dans l'usage de ces nouveaux espaces à des fins récréatives, ce qui semble attirer et motiver leurs usagers, c'est beaucoup plus leur degré d'aménagement, l'importance et la qualité de leur équipement, la façon dont est organisée la pratique sur cet espace que l'espace en lui-même. Ainsi par exemple, l'attraction d'une station de ski dépend moins de la beauté du site que de l'importance de son équipement en remonte-pentes, en télésièges, de ses possibilités d'hébergement, du nombre de ses services commerciaux... Dans les villes, les espaces de loisir qui attirent le plus d'usagers sont ceux qui proposent des équipements lourds (piscines, stades, courts de tennis...) et parfois sophistiqués (patinoire, salles polyvalentes...). Aucune relation dynamique et "affective" ne semble prévaloir entre la pratique d'un loisir et l'usage d'un espace à cette fin même si souvent la beauté d'un paysage ne laisse pas indifférent.

32Ainsi la période de croissance de la société industrielle (années 1945-70) correspond à l'essor d'un temps libre associé à la consommation. "Le temps libre était vendu au consommateur et cette consommation permettait l'émergence de nouvelles forces productives" (Baudrillard, 1978) même si la consommation des loisirs était à l'époque très inégalitaire malgré le faible pourcentage de chômeurs5.

33Au seuil des années quatre-vingt, la crise économique s'enracine avec la montée du chômage mais on espère encore que le taux de productivité qui ne cesse de s'améliorer, permettra à ceux qui ont un emploi de travailler moins... On pense, malgré les deux millions de chômeurs, que le temps libre deviendra prééminent et le travail résiduel (Sue, 1982). Le mouvement général de progression de la consommation de loisirs semble le confirmer car il affecte toutes les catégories sociales et toutes les générations. Ces années ont vu l'apparition de nouvelles disciplines de loisirs et plus particulièrement de loisirs sportifs de nature qui ont bouleversé les habitudes et valeurs sportives jusqu'alors dominantes : VTT, descente de canyons, escalade libre, parapente, surf des neiges (snowboard) ou hydrospeed sont devenues des branches très prisées de loisirs anciens ayant acquis au cours de leur histoire titres de noblesse et codes d'apprentissage : randonnée, cyclotourisme, alpinisme, sports aériens, ski alpin, kayak, etc.

34Aujourd'hui la persistance de la crise dans ses aspects culturels et sociaux a un impact de plus en plus marqué sur les comportements individuels et collectifs des personnes, dans et hors du cadre du travail (entreprise, habitat, vie familiale, loisirs...).

35Les modes de consommation de loisirs semblent hésiter entre l'entreprise devenant le centre de l'organisation économique et sociale et la recherche de nouvelles sociabilités au sein d'un nouveau tissu social. Dans la crise du mode de croissance, c'est-à-dire la façon de produire et de distribuer, les avancées technologiques, qui peuvent être considérées comme partiellement responsables de la crise, touchent nécessairement au domaine des loisirs.

36La palette des loisirs sportifs s'est considérablement élargie et cette multiplicité permet de satisfaire tous les goûts. Autrefois réservée à une "élite militante", les sports de nature se découvrent et s'offrent maintenant au grand public. Cette vogue présente un caractère plus diversifié, plus multiloisirs que monoproduit, davantage éclaté que concentré, plus intime que standardisé. "Le sport apparaît aujourd'hui comme un ‘fait social total' qui peut mettre en branle la totalité de la société et de ses institutions, qui engage toutes ses dimensions (politiques, économiques, culturelles, sociales, technologiques, etc.) et qui implique, en même temps, les diverses formes de la vie quotidienne (pratiques, représentations, styles de vie, esthétiques, éthiques)" (Pociello, 1995).

37Dans la multiplicité de ses formes et la variété de ses fonctions il fait l'objet d'un processus incessant de légitimation sociale... et pour être compris il faut l'inscrire dans le système des relations qu'il entretient avec la culture et la société qui lui donnent aujourd'hui son sens (Pociello, 1995).

II. LE LOISIR, "LIBRE" CHAMP DES VALEURS

38Crise économique, chômage, évolution des techniques, élargissement du temps libre... ont conforté une évolution profonde des mentalités, des comportements et des pratiques des loisirs. Mais ces changements sont fondamentalement induits par l'émergence de valeurs nouvelles qui concernent tous les temps sociaux et donc toute la société (J. Dumazedier, 1988) et qui composent une nouvelle éthique sociale et une nouvelle société à l'horizon 2000.

39Elles se traduisent par l'envie croissante d'autonomie et de liberté, la recherche du plaisir immédiat et optimum, la préférence pour l'informel et l'immédiat, le désintérêt pour des projets trop structurés, la gestion "moralisée" de ses ambitions de loisir et vacancières (Raynouard, 1989). Elles se concrétisent par la recherche de nouveaux rapports de la nature à soi, de soi à autrui, à l'entreprise, à la ville :

  • une valorisation de soi par une expression plus libre, plus personnelle, plus spontanée, plus ambitieuse du corps, du rêve, de l'imaginaire, par le déconditionnement des contraintes, des normes, des barrières et des clivages. Mais aussi par la recherche de vitalité qui prend des formes corporelles et physiques, des prises de conscience du corps, du plaisir que l'on peut en tirer, et de la satisfaction et du dynamisme qu'il fonde.
  • un autre rapport à autrui. Ce n'est pas l'égoïsme, ce n'est pas l'individualisme comme on peut le dire parfois rapidement. Simplement, il y a un nouveau rapport entre individualité et groupement, entre individualité et institution qui se négocie, en commençant par la famille, en finissant par les entreprises ou le travail. Les formes imposées sont plus douces, plus souples et relèvent davantage du choix des individus.
    C'est la recherche d'un nouveau tissu social à travers de nouvelles sociabilités. On accède maintenant au sentiment d'appartenance à une citoyenneté "ouverte" par de petits groupes, au niveau de son quartier ou de son entreprise (Raynouard, 1989).
  • un autre rapport à la nature. Ce n’est pas la fin du productivisme, car la compétition féroce continue à exister. Mais on veut bien envisager de transformer la nature à condition de la respecter, de ne pas la violer. On la respecte pour elle-même et pour nous-mêmes comme cadre de vie (Cofremca, 1988).

40Le temps et les espaces de loisir sont alors l'occasion de découverte d'une autre vérité par l'action personnelle et d'expérimentation de nouveaux rapports à soi, aux autres et à son environnement. Les comportements, dans ce champ, obéissent alors à d'autres logiques avec des préoccupations plus existentialistes, plus individualistes et plus environnementalistes.

41Cette recherche de son identité et de sa reconnaissance par les autres est fondée sur un double processus d'intégration et de différenciation. Mais l'évolution dans le choix des moyens utilisés pour y parvenir se traduit par la transformation profonde de ses pratiques sociales : Traditionnellement la génétique, la filiation, l'histoire familiale ont joué et jouent encore le premier rôle, "je suis le fils de..." La modernité a mis en avant la situation, les compétences professionnelles et les signe extérieures de réussite sociale.

42L'actualité lui substitue des formes de reconnaissance qui se démarquent insensiblement des références familiales et professionnelles pour s'ancrer plus fortement sur la culture de soi.

43Les signes extérieurs de richesse font place aux signes extérieurs de vitalité (Cofremca, 1990).

III. MONTAGNE ET NOUVELLES PRATIQUES SPORTIVES : UN ESPACE DE LIBERTÉ

44Les années quatre-vingt ont vu l'émergence de "nouvelles" pratiques sportives et plus particulièrement de "nouvelles" pratiques sportives de montagne (rafting, deltaplane, canyoning, parapente, escalade, surf des neige...) encore appelées "sports californiens" (Pociello, 1981) par opposition aux sports "anglo-saxons" plus traditionnels et plus anciens, constituant un champ d'observation particulièrement pertinent.

45Le concept de "nouveau" peut être discutable au sens où une approche historique souligne les tentatives constantes d'innovation dont certaines se pérennisent et s'institutionnalisent et d'autres disparaissent comme le ski joering (ski attelé à un cheval). Il a néanmoins le mérite de mettre l'accent sur les forces qui agitent le champ particulier de la montagne, même s'il écarte provisoirement de nos préoccupations, les activités classiques à succès comme le ski alpin et la randonnée.

46La mode des nouveaux sports de nature est à replacer aussi dans le contexte de croissance des sports individuels. Les comportements qui en résultent vont de la valorisation personnelle de chaque pratiquant (recherche d'une activité moins banale que les loisirs plus traditionnels), à "l'esthétisation" des pratiques (comprise par tous les équipementiers et autres industriels de l'habillement sportif), au regroupement "affinitaire" des pratiquants au sein de "groupes de pairs" extérieurs aux institutions sportives (Pujos, 1995).

47Il est facile d'associer à toutes ces pratiques naturelles, globalement éloignées de l'idée de compétition (une méfiance croissante frappe la morale sportive de l'effort et fait de plus en plus préférer le sport-plaisir au sport-effort), une utilité en termes de bien-être et de santé.

48Un des points communs à toutes ces nouvelles pratiques est d'être, pour la plupart, des sports de pleine nature, de type individuel, présentant des risques plus ou moins importants avec une plus ou moins grande connotation "d'aventure".

49En devenant, le temps d'une activité sportive de week-end, de ponts, de petites ou grandes vacances, non "des Aventuriers au long cours" mais des "Aventuriers du quotidien", les pratiquants font des loisirs, et en particulier du tourisme sportif de nature en montagne, un champ d'expérimentation.

50La montagne n'est plus aujourd'hui un espace privilégié réservé à une minorité d'initiés. La période romantique avait brusquement mis en honneur les paysages montagnards, dont la bourgeoisie prit conscience à partir des stations thermales. Le tourisme estival apparut en montagne dès la fin du xixe siècle et les premières stations de luxe se créérent soit sur les villes thermales mêmes, soit dans des sites aux paysages séduisants, proches des grands sommets, des glaciers et des lacs d'altitude. Le premier pôle d'attraction était toujours un "grand hôtel", parfois un palace. Apparurent alors les premiers équipements propres à la montagne de loisir : funiculaires et crémaillères pour gagner les stations, téléphériques pour se rendre sans fatigue aux "points de vue". En même temps progressait l'alpinisme, pour lequel on construisit en montagne de nombreux refuges. Mais l'impulsion principale viendra du développement des sports d'hiver, timide après 1930, explosif depuis 1950 et elle s'est ouverte alors aux skieurs de masse qui ont développé leurs activités sur des espaces délimités et fortement aménagés. Elle est devenue l'objet d'une consommation "grand public".

51Antoine Lebègue6 rappelle cette évolution, pour les Pyrénées, qui a vu le passage "des monts affreux aux plus belles montagnes" et l'ouverture à l'activité touristique dont la vision d'une petite bergère à Lourdes va créer involontairement un tourisme de masse, (cf. encarts pages suivantes) Aujourd'hui elle s'ouvre encore plus largement à de "nouveaux aventuriers du quotidien" qui, le temps d'une pratique sportive, investissent ses sites les plus sauvages par des pratiques sportives plus "aventureuses", plus "émotionnelles" et plus "libres" traduisant des comportements sportifs qui s'appuient sur de nouvelles modalités de fonctionnement individuel et collectif, de nouveaux rapports socio-spatiaux, opérant ainsi un passage de plus en plus marqué "des loisirs de masse aux pratiques de la culture de soi".

52Si les départs massifs aux sports d'hiver restent le fait d'un grand nombre, ils ont perdu leurs caractères de norme sociale et de référence spatiale : "ce qui rassemble aujourd'hui le plus les Français c'est leur désir commun d'être différents, de partir en dehors de la foule, hors des sentiers battus, de refuser les conformismes pour développer leur singularité, leur style propre, de vivre des expériences rares..." (Cofremca, 1990).

53La montagne devient un vaste terrain de jeu au travers d'une multitude d'activités nouvelles. Son attractivité s'appuie sur son authenticité, sur le fait d'être accueilli par des personnes qui y vivent. Elle permet de trouver un milieu vivant, différent, original, par sa richesse culturelle, son patrimoine, ses paysages, l'abondance de l'eau...

54Mais le milieu montagnard est un milieu naturel fragile et un espace économique souvent déstabilisé. L'activité touristique et l'activité sportive accessibles et consensuelles doivent s'y conjuguer car, quelque part, les valeurs humanistes, les valeurs culturelles qui sont portées par l'un et l'autre secteur, retrouvent ici leur cohérence.

IV. NOUVELLES PRATIQUES SPORTIVES DE MONTAGNE ET REPRÉSENTATIONS

55L'objet de cette étude est, au delà des pratiques, d'identifier quelques-unes des variables explicatives de l'évolution de ces comportements en considérant que les pratiques sportives ne sont pas déterminées par des variables simples mais par des filières de variables explicatives, combinatoire complexe de déterminants multiples en interaction.

56Dans cette approche explicative de l'évolution des comportements et au-delà de la prise en compte des variables classiques sociodémographiques, nous avons privilégié l'analyse des représentations qui sous-tendent les pratiques.

57Les représentations, c'est-à-dire la perception du réel et sa transformation en images, constitueraient l'une de ces variables explicatives, sans doute parmi les plus significatives, des comportements, de leur évolution et des pratiques. Autrement dit les individus "pratiqueraient" moins des activités sportives que les symboles qui leur sont attachés. Ces représentations auraient alors "un pouvoir révélateur du réel. Elles outrepassent la réalité mais la rendraient saisissable. Elles ne reproduisent pas le visible mais le produisent" (Fischer, 1983).

58Elles amènent ainsi les individus et les groupes à déterminer des attitudes, des envies qui vont définir des comportements puis des pratiques (passage à l'action) en fonction de cette construction (Saarinen, 1976).

59En prenant en compte les représentations, en essayant de mettre à plat les contradictions à l'œuvre dans l'ensemble des envies de pratiques, des passages à l'acte et des abandons, nous avons tenté de cerner la logique de fonctionnement des loisirs sportifs en vogue dans le secteur particulier de la montagne.

60En mesurant le poids respectif de l'engagement personnel dans ces activités et donc la part et les formes de la demande, nous avons également essayé de faire apparaître les enjeux spatiaux, sociaux et économiques induits.

V. LES ENJEUX

61Les enjeux du développement des loisirs sportifs et touristiques sont sociaux, économiques et politiques. Les études de marché font état d'une évolution des mentalités et ces transformations interpellent fortement, dans ces conditions, les acteurs institutionnels, associatifs et économiques qui ont en charge le développement, la gestion, l'animation du sport, face à la multiplication de l'offre, dans la dispersion des pratiques et la versatilité des goûts.

DES « MONTS AFFREUX » AUX PLUS BELLES MONTAGNES
Vues des plaines et de leurs villes les Pyrénées restent longtemps un monde secret et inquiétant. Au xvie siècle encore les uns les considèrent comme des « montagnes incultes où nulle beauté ne se peut rencontrer que celle d'une affreuse solitude » ; pour d'autres ces « monts affreux » sont le pays de tous les dangers : « il faut être mort ou avoir envie de mourir bientôt pour s'aller cantonner en ces pays d'ours et de loups où les premiers suivent les habitants par leur passe-passes et se nourrissent de leur viande quand ils les peuvent attraper ».
Pourtant, malgré cette méchante renommée, les Pyrénées vont attirer. Car la chaîne possède un atout majeur : les vertus de ses eaux. Connues des montagnards depuis des temps immémoriaux, elles provoquent au xvie siècle la venue de personnages en vue comme Marguerite de Navarre ou Montaigne. La première choisit Cauterets comme cadre pour l'une des nouvelles de son Heptaméron. Le second séjourne à Bagnères. Par la suite Madame de Maintenon et Louvois mettent à la mode Barèges.
Au delà de leur côté mondain, les stations thermales ont le mérite de contribuer à faire disparaître l'image des montagnes tristes et laides. Le séjour aux bains se double généralement d'excursions qui révèlent aux promeneurs la beauté des paysages pyrénéens et aiguisent leur curiosité.
L'esprit préromantique et encyclopédique du xviiie siècle aidant, quelques savants aventuriers se font les « inventeurs des Pyrénées ». Le plus célèbre d'entre eux est Louis Ramond de Carbonnières, plus connu sous le nom de Ramond. Né à Strasbourg en 1755, il découvre la chaîne à 32 ans en montant d'emblée au sommet du Pic du Midi de Bigorre. La séduction est si forte qu'il publie en 1759 ses - observations faites dans les Pyrénées - et décide de consacrer sa vie à la recherche de leur point culminant.
Après le temps des Lumières et des scientifiques vient, au xixe siècle, celui des romantiques. La figure de proue de ces marcheurs contemplatifs est Henry Russell. Né à Toulouse d'un père irlandais et d'une mère gasconne, il découvre les Pyrénées grâce à la lecture du Voyage pédestre de Chausenque, pyrénéiste de la première génération. Grand voyageur ayant visité le monde, des Andes à l'Asie en passant par l'Océanie, il décide de se consacrer intégralement à l'exploration de ces montagnes si proches et si lointaines. Recevant ses amis pour le thé devant sa grotte du Vignemale et se rendant célèbre pour ses foulards mauves et son originalité, Russell va devenir le personnage le plus pittoresque de cette époque où la découverte de la montagne se fait en guêtres et chapeau mou.
Avec Henri Brulle, à la fin du siècle, le pyrénéisme prend une nouvelle dimension, celle du sport. L'heure est désormais à l'ascension et à l'escalade.
Bien d'autres figures, célèbres ou presque inconnues, qui ont jalonné cette découverte des sommets mériteraient d'être citées. Mais l'aventure du pyrénéisme est aussi celle de l'exploration des profondeurs. Ici les personnages marquants sont Edouard Martel et Norbert Casteret. Père de la spéléologie, le premier visite sa première grotte (Gargas) dans les Pyrénées à l'âge de sept ans.
Mais c'est par ses découvertes dans le Massif central qu'il va surtout se rendre célèbre. Casteret en revanche est authentiquement pyrénéen. C'est lui qui va explorer la plupart des gouffres de la chaîne et qui découvrira la vraie source de la Garonne en colorant ses eaux.
Antoine Lebègue - Connaître les Pyrénées (extraits)
Sud-Ouest, 1990

L'HEURE DU TOURISME
Grâce au thermalisme puis aux pionniers du pyrénéisme, la chaîne s'ouvre au tourisme au xixe siècle. Les nombreuses rééditions du guide Joanne, l'ancêtre du guide bleu, en sont la preuve.
Mais le succès de la montagne s'explique aussi par le développement du pèlerinage de Lourdes. Tout débute le 11 février 1858. Trois petites filles pauvres, Antoinette-Marie et Bernadette Soubirous et une de leurs amies partent ramasser du bois mort dans la forêt communale. Lorsqu'elles passent devant la grotte de Massabielle, une « Dame merveilleuse » apparaît à Bernadette. Par la suite l'Apparition, « Aquero » (cela) comme l'appelle Bernadette, reviendra 17 fois. Toute la ville vit à l'heure de l’événement, le curé et le commissaire de police s'en mêlent et les parents Soubirous sont invités à garder leur enfant éloignée de la grotte. D'abords incrédules, les autorités civiles et ecclésiastiques finissent par se ranger derrière l'avis de l'impératrice Eugénie qui demande à Napoléon III d'autoriser les dévotions. En 1862 l'évêque de Tarbes reconnaît officiellement l'existence des Apparitions. A partir de là les choses vont très vite. Dès 1867 la renommée de Lourdes dépasse les limites de la région pour devenir le premier centre de pèlerinage de France et de la Chrétienté qu'il est toujours avec cinq millions de fidèles par an qu'amènent 700 trains et 400 avions spéciaux.
Connaissant dès le xixe siècle les foules touristiques, grâce à Lourdes, les Pyrénées n'ont plus qu'à se mettre aux sports d'hiver. Ceux-ci font leur apparition en 1903 grâce à un Palois, Henri Sallenave, qui est le premier à chausser des skis. Quatre ans plus tard on compte à Barèges... 12 skieurs. C'est dans l'entre-deux-guerres qu'apparaissent les stations : Gourette, Cauterets, Barèges, La Mongie, Luchon, Montlouis et Font-Romeu. En 1931 le premier téléski est ouvert mais les « vrais sportifs » le boudent car il les prive du plaisir de la montée. Le démarrage est lent mais solide. Le dynamisme des 39 stations que compte le versant nord et les multiples formes de ski qui y sont pratiquées (alpin, de fond, monoski, surf...) en sont la preuve.
Antoine Lebègue - Connaître les Pyrénées (extraits)
Sud-Ouest, 1990

62Le grand public est à même de répondre en masse à une mode sportive pour en faire une mode touristique. Mais cette demande n'existe qu'à partir du moment où peuvent être identifiés et promus un contenu touristique fiable, un minimum de services courants et un moyen simple d'accès pour le consommateur potentiel.

63Or on est aujourd'hui dans une période de désadaptation de l'offre par rapport à la demande qui se traduit de plus en plus par une consommation "en miettes" aussi bien sur le plan du temps, des lieux que des produits : grandes vacances, courts séjours, week-ends, loisirs de proximité, loisirs de vacances, à l'étranger... induisant des pratiques extrêmement diversifiées.

64Les décideurs, comme les prestataires potentiels de nouveaux services, s'interrogent sur ces tendances, ces évolutions possibles, sur les motivations de leurs futurs clients. Par ailleurs la publicité accordée aux exploits originaux, l'intérêt porté à l'aventure sous toutes ses formes donnent une valeur sociale à la notion de risque.

VI. CHAMP D'ÉTUDE ET MÉTHODOLOGIE

65Pour vérifier nos hypothèses une enquête par questionnaire a été menée auprès de 355 pratiquants de ces nouveaux sports, en prenant l'exemple de la montagne. Elle a été complétée par une soixantaine d'interviews.

Les nouvelles pratiques sportives de montagne

66Treize sports qui semblaient plus particulièrement représentatifs de ces nouvelles pratiques, ont été retenus : canoë-kayak, deltaplane, hydrospeed, rafting, escalade, escalade sur glace, vtt, parapente, ski de randonnée, surf des neiges, canyoning, motoneige, ski sur éboulis.

Les lieux de l'enquête

67L'enquête a été effectuée en 1991, 1992 et 1993, sur les lieux de pratiques suivants :

  • 48 % dans les Alpes françaises
  • 42 % dans les Pyrénées françaises
  • 10 % dans les Pyrénées espagnoles

L'enquête par questionnaire

68Le questionnaire comprend 44 questions classées en 6 thèmes :

• Des questions d’ordre général

69Elles concernent l'identification des sujets (âge, profession...), les lieux de vacances, les raisons de ces choix. Elles permettront de définir un "profil" des pratiquants et, dans un deuxième temps, d'affiner ces premiers résultats par l'établissement de tableaux de contingence et le calcul de corrélations.

• Des questions sur leurs pratiques sportives en général

70Elles portent en particulier sur le type, la fréquence et le lieu de ces pratiques.

• Des questions sur leurs pratiques sportives de pleine nature en montagne

71Elles visent à faire le point sur le type, la durée, les abandons des pratiques ainsi que sur les souhaits, l'intensité de la demande, les obstacles éventuels, le niveau de technicité atteint, la nature des relations sociales issues de ces pratiques mais aussi celles développées à cette occasion avec l'espace et la nature, l'investissement consenti (financier, familial...), les résultats attendus et obtenus au plan de la santé ou du bien-être...

• Des questions sur leurs représentations associées à leurs pratiques sportives

72Dans le but d'identifier les représentations qui sous-tendent les pratiques nous avons proposé aux personnes enquêtées une liste de 63 mots comme par exemple : aventure, performance, émotions, famille, mode, aménagement, corps, etc...

73Nous leur avons ensuite demandé de se positionner par rapport à ces mots en fonction de leurs pratiques sportives, sur une échelle des valeurs (encore appelée échelle d'attitude) en terme de plus ou moins grande intensité (cf. infra détail de la méthode).

Les entretiens semi-directifs

74Ils ont concerné une soixantaine de personnes engagées dans ces pratiques. Le surf des neiges et le parapente ont fait l'objet d'un travail plus approfondi.

75Ce choix est en rapport avec les hypothèses de la recherche ; il s'appuie sur l'apparition de caractères distinctifs et permet de vérifier le bien-fondé de nos hypothèses en donnant aux acteurs de la montagne la possibilité de s'exprimer à propos de six thèmes bipolaires :

- artificiel / naturel

- ennui / émotions

- individualité / relationnel

- contrainte / liberté

- tradition / innovation

- effort / plaisir

L'échantillon : disparité des données et difficultés d'appréciation

76L'essor de ces nouvelles pratiques est difficilement quantifiable de façon précise et globale : les données statistiques sont en la matière éparses, imprécises, d'une fiabilité douteuse et délicates à comparer. Discipline par discipline, il est possible cependant de disposer de quelques indicateurs.

77En 19907 un million de personnes (pour les seules pratiques d'eaux vives, d'escalade, de vélo tout terrain et de vol libre) ont investi, à des degrés divers, les "sports nature". En 1993 on compte une vingtaine d'activités de montagne à caractère sportif allant du plus classique (ski alpin) au plus récent (plongée sous glace) en passant par le parapente, la moto neige, le pulka... L'augmentation du nombre de pratiquants est attestée par les chiffres fournis par les fédérations concernées, par le Ministère du Tourisme et par celui de la Jeunesse et des Sports (tableau 2).

78Sur l'ensemble de l'année, indépendamment des partitions climatiques hiver / été et en dehors des espaces aménagés, un nombre semble-t-il considérable d'individus explore l'espace montagnard à sa façon.

79Cependant les enquêtes successives du Ministère du Tourisme, des Fédérations sportives concernées et des organismes spécialisés (Irlinger, Louveau, Métoudi, 1987) font apparaître des disparités dans le recensement des pratiquants. Elles sont relatives à la définition du concept, à la difficulté d'approche des individus non licenciés et donc peu ou mal répertoriés, ainsi qu'au choix des méthodes de calcul et des modes de regroupement.

80L'impossibilité de ce fait à construire un échantillon représentatif (par la méthode aléatoire ou celle des quotas) en l'absence de connaissances suffisamment précises de la masse des "acteurs" de la montagne, nous a conduit à enregistrer, sur les sites mêmes des activités, dans des structures différentes, les discours des pratiquants.

81Le pourcentage de pratiquants selon le type d'activités est indiquée dans le graphique 1.

Graphique 1 - Répartition selon le type de pratiques

Image

82Cette répartition recoupe globalement celle des populations totales déclarées ou estimées par les organismes officiels si l'on procède aux regroupements rendus obligatoires par la difficulté d'accès à des sources précises et fiables.

83On peut également remarquer, par rapport à notre enquête, que :

  • il n'y a pas eu d’évolution remarquable dans les pourcentages des résultats enregistrés entre les 100 premiers questionnaires et les suivants ;
  • les chiffres obtenus sont globalement à l'échelle des "estimations officielles" ;
  • nos objectifs sont, compte tenu des moyens engagés, de dégager les tendances fortes plutôt que de prétendre à l'exhaustivité et à la représentativité statistique.

84Le tableau 1, comparatif des effectifs connus et estimés, permet de se faire une idée des zones d'ombre bien sûr mais également des rapports de force.

Tableau 1 - Tableau comparatif des effectifs sportifs

Image

Source : QUID 1992 (chiffre des licenciés fournis par les Fédération) et statistiques du Ministère du Tourisme et Jeunesse et Sports

85Le profil de ces "aventuriers du quotidien" tel que peut le faire apparaître notre échantillon se présente ainsi :

  • Entre 30 et 50 ans (61 %)
  • Mariés ou concubinage (59 %)
  • Hommes (56 %), femmes (44 %)
  • Nombre moyen d'enfants (0,2)
  • Elèves ou étudiants (28 %), employés (20 %), cadres supérieurs ou professions libérales (16 %), cadres moyens (18 %).

86À travers ces constats recule l'image ancienne associée aux sports de nature, celle de disciplines marginales n'intéressant que des individus à "forte implication" (généralement jeunes et désargentés). Ces premières "recrues" qui ont effectivement marqué l'apparition de certaines disciplines, ont ouvert la voie à un éventail beaucoup plus large d'âges et de classes sociales (clientèle plus âgée, plus féminine, plus aisée...).

Notes de bas de page

1 M. Mauriras Bousquet, Théorie et pratique ludiques, Paris, édition la vie philosophique, 1984, p. 24.

2 M. Heidegger, Le principe de raison, Paris, Gallimard, 1962, p. 240.

3 E. Finck, "Le jeu comme symbole du monde", in Axelos Le jeu du monde, Paris, éditions de Minuit 1969.

4 Appropriation et défense sont les deux caractéristiques essentielles pour la constitution d’un territoire.

5 Presque un Français sur deux ne partait pas en grandes vacances et parmi la population active, très peu d'ouvriers ou d'employés sortaient des villes pour le week-end.

6 A. Lebègue, Connaître les Pyrénées, Sud-Ouest, 1990.

7 Tourisme et Nature, Ministère du Tourisme, 2 mai 1991.

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