Introduction
p. 13-16
Texte intégral
1Métaphore corporelle de l'excellence nationale sur la scène mondiale, le sport de haut niveau cristallise de multiples enjeux et résulte d'un construit social et institutionnel de plus en plus sophistiqué.
2À mi-chemin entre libéralisme et étatisme, le modèle français d'organisation du sport repose en grande partie sur l'articulation originale – mais fragile et sans cesse négociée – des actions des collectivités publiques et du mouvement sportif associatif. Il met donc en correspondance deux ensembles caractérisés par leur hétérogénéité et leur fragmentation – le système politico-administratif et le système sportif –, contraints de réaliser en permanence des façades d'accords pour rechercher la cohérence optimale1.
3Le « séisme »2 institutionnel provoqué à partir de 1982 par les lois de décentralisation, avec, notamment la création des régions comme collectivités territoriales de plein droit, a déplacé les équilibres dans le domaine des politiques publiques sportives, en multipliant les acteurs, les initiatives, et en différenciant les pouvoirs, avec le risque constant d'émiettement, de concurrence et de superposition des actions3.
4Parce qu'il relève de la représentation nationale, le secteur du sport de haut niveau est du ressort de l'État et de son partenaire « central », le Comité National Olympique et Sportif Français. Mais son caractère éminemment symbolique l'expose aux amalgames de toutes sortes.
5Dans le contexte d'émulation amplifiée par la décentralisation, les interprétations et les reformulations de la politique nationale du sport de haut niveau ne manquent pas, alors que le cadre législatif de l'organisation et de la promotion des activités physiques et sportives invite les collectivités territoriales – et les entreprises – à concourir à son développement4.
6Dernières-nées des collectivités territoriales, les régions sont entrées dans le concert au moment où les autorités centrales déclenchaient la régionalisation du sport de haut niveau, dans ses versions technique et administrative.
7L'analyse des politiques publiques5 trouve ici un terrain d'observations et de recherches particulièrement pertinent pour identifier et apprécier les diverses dimensions de l'interpénétration des logiques nationale et locales.
8C'est cette approche, appuyée sur nos pratiques professionnelles « administratives6 » qui a été privilégiée, lorsque nous avons été associés au programme de recherche Sport de la Maison des Sciences de l’Homme d'Aquitaine7.
9À partir du cas de l'Aquitaine, l'opportunité était offerte de compléter nos travaux personnels, de questionner nos archives respectives, de mettre en relation les données dispersées dans plusieurs institutions, et de réaliser des enquêtes, en dirigeant de surcroît des étudiants en Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives8 (STAPS) dans le labyrinthe d'un dispositif complexe, parfois opaque, et en tous cas peu exploré à partir de son entrée régionale.
10Le parti-pris méthodologique a consisté à compléter le passage obligé de l'analyse diachronique des textes officiels et des documents budgétaires par l'appréhension du champ cognitif des différentes catégories d'acteurs sportifs (cadres techniques, présidents de ligues, présidents des clubs) et des perceptions des destinataires des actions (sportifs présélectionnés pour les Jeux olympiques d'Atlanta 1996).
11C'est sous l'angle des relations centre-périphérie d'un côté, et des interactions entre les diverses formes de régionalisation – technique, administrative, politique et olympique – du sport de haut niveau de l'autre, qu'a été élaborée la problématique d'ensemble des travaux.
12Quelles sont concrètement la part, la spécificité, voire l'exemplarité de l'Aquitaine dans le processus de constitution de l'élite olympique nationale ?
13Comment les relations trilatérales État, mouvement sportif, région se sont-elles engagées et se transforment-elles au quotidien ? Quelle est la configuration des réseaux de pouvoirs ?
14De quelles façons s'entrecroisent, pour les sportifs concernés, cadre institutionnel et cadre de vie ?
15Enfin, quels sont les modes d'appropriation de la politique nationale du sport de haut niveau par les différents acteurs aquitains ?
16Pour apporter des éléments de réponse, l'ouvrage distingue trois parties.
17La première présente les cadres pratiques de cette politique localisée.
18Enjeu crucial, la conciliation des formations sportive et scolaire de l'athlète sollicite la coopération des Ministères de la Jeunesse et des Sports et de l'Éducation nationale. L'évolution des dispositifs globaux depuis 1973 permet de repérer les diverses étapes de la construction du statut du sportif de haut niveau et le démarrage de la régionalisation de sa double préparation en 1984. (Chapitre 1).
19Cette déconcentration structurelle, opérée en particulier dans les établissements du Ministère de la Jeunesse et Sports localisés en région, s'est accompagnée d'un retournement de logique, l'organisation des études étant à partir de 1985 déterminée par les contraintes de l'entraînement.
20Le chapitre 2 analyse les effets structurants de ce double changement pendant les dix premières années de mise en oeuvre au Centre d'Éducation Populaire et de Sport (CREPS) de Talence.
21L'autre volet de la déconcentration porte sur la définition du rôle des Directeurs Régionaux de la Jeunesse et des Sports, chargés, sous l'autorité du préfet, de la coordination des actions et du suivi social des sportifs de haut niveau, mais aussi de veiller à la cohérence des interventions des partenaires publics et privés au regard de la loi. Les ambiguïtés et les vicissitudes de la régulation d'ensemble font l'objet du chapitre 3, en même temps que sont évalués les contributions respectives et le potentiel aquitain en 1997.
22La deuxième partie est consacrée à son application effective en Aquitaine.
23Quels ont été au bout de dix ans les effets de la régionalisation du sport de haut niveau sur le secteur scolaire ? Comment se réalise chaque jour pour les (très) jeunes champions en devenir l'ajustement délicat des temps de vie ? Sur quoi porte l'action des metteurs en oeuvre les plus proches des sportifs ? Quel est l'impact de la taille des structures sur les adaptations spécifiques du Pôle de Talence et du Pôle Côte Basque ? Le chapitre 4 rend compte des éléments constitutifs de l'imbrication sport et études au quotidien.
24Les transformations structurelles et normatives ont eu des effets sur les pratiques et les représentations des techniciens et des élus sportifs. Quelle est la portée de l'appropriation des changements par les acteurs régionaux en situation de médiation ? Comment le cadre unitaire élaboré par les pouvoirs centraux est-il utilisé en fonction des caractéristiques culturelles et matérielles des diverses disciplines sportives ? Enfin, comment l'action des clubs d'affiliation des sportifs de haut niveau s'articule-t'-elle avec le dispositif actuel ? Le chapitre 5 apporte des réponses « de terrain ».
25Si la relation sport-études scolaires a fait l'objet de mesures nationales périodiquement remaniées dans un souci d'efficacité, le contexte d'action universitaire est beaucoup plus flou, en partie pour cause d'autonomie des établissements. Le cas des universités bordelaises, durant la période 1973-1995, permet en particulier d'observer le processus de constitution de réseaux ponctuellement innovants et d'identifier les intersections institutionnelles, notamment à partir de la situation des sportifs de haut niveau-étudiants dans la filière spécialisée des STAPS. (Chapitre 6).
26La troisième partie examine l'assemblage des éléments de la façade olympique régionale.
27Ce sont d'abord les conditions de préparation de la régionalisation politique du sport de haut niveau qui sont étudiées à travers l'action de lobbying du Comité Régional Olympique et Sportif depuis 1973. L’entrée en lice de la région Aquitaine dans le secteur du sport de haut niveau correspond à la montée en puissance des nouvelles collectivités territoriales. L'intervention d'un joueur supplémentaire, le conseil régional provoque une redistribution des certes où l'atout olympique devient un support de valorisation du dynamisme aquitain. (Chapitre 7).
28La création du Club Olympique Aquitain, sur l'initiative du conseil régional, permet d'observer les modalités de la coopération des collectivités publiques. Elle fournit également l'opportunité de repérer rétrospectivement l'itinéraire des sportifs de niveau mondial dans les différentes structures aquitaines ou « extérieures », et de recueillir leurs appréciations sur les diverses formes d'aides au moment où, pour certains d'entre eux, se précise le problème de l'après-carrière sportive. (Chapitre 8.) Si les recherches s'attachent à débroussailler les relations entre les institutions qui s'emploient à accompagner les sportifs sur « les chemins de lexcellence9 »,'nous avons jugé indispensable de ne pas occulter la question de l'autodestruction du sport de haut niveau, liée à l'usage de produits dopants. Comment la législation française s'oppose-t'-elle à ce qui s'apparente souvent à la loi du silence ?
29La lutte contre le dopage fait l'objet d'une politique nationale dont les dispositifs et la concrétisation en Aquitaine sont présentés en fin d'ouvrage.
Notes de bas de page
1 Dumas Jean. Institution sportive et jeu du pouvoir. In Sport et changement social. Actes des premières journées d'études. Société Française de Sociologie du Sport. Bordeaux : Maison des Sciences de l'Homme d'Aquitaine, 1987, p. 172-178.
2 Rémond Bruno, Blanc Jacques. Les collectivités locales. Paris : Presse de la FNSP et Dalloz, 1989.
3 Sport et collectivités locales. Sous la direction de Jean-Pierre Théron. Paris : Dalloz, 1993. Sport et décentralisation. Sous la direction de Pierre Collomb. Nice : Économica, 1988.
4 Loi no 84-610 du 16 juillet 1984 modifiée par la loi no 92-652 du 13 juillet 1992 relative à l'organisation et à la promotion des activités physiques et sportives. Article 1.
5 Meny Yves, Thoenig Jean-Claude. Les politiques publiques. In Traité de science politique. Sous la direction de Madeleine Grawitz et Jean Leca. Paris : PUF, 1985, Volume 4. Meny Yves, Thoenig Jean-Claude. Politiques publiques. Paris : PUF, 1989.
Muller, Pierre. Les politiques publiques. Paris : PUF, 1990.
6 Le Dû Francis. Directeur du CREPS Aquitaine de 1984 à 1994. Reneaud Martine. Directrice-adjointe de la Faculté des Sciences du Sport et de l'Éducation Physique de l'Université Victor Segalen Bordeaux 2 de 1991 à 1997.
7 Programme coordonné par Jean-Pierre Augustin, Professeur de géographie à l'Université Michel de Montaigne-Bordeaux III et Jean-Paul Callède, Chargé de recherche au CNRS (GEMAS/MSHA), co-responsables.
8 Osseux Marius, Salomon Hélène. Alors étudiants en Maîtrise STAPS. Dal-bo Denis, Prahecq Hélène. Alors étudiants en Diplôme d'Études Approfondies (DEA) STAPS. Le traitement informatique des données a été effectué par Jean-Luc Médina, pofesseur au Lycée Technique Alfred Kastler de Talence. La structuration de la recherche à la Faculté des Sciences du Sport et de l'Éducation Physique à partir de 1992, avec notamment la création du Laboratoire Vie Sportive Locale – composante de l'Équipe d'accueil Vie sportive, tradition, innovation, intervention (UPRES 498) – a amplifié la dynamique de coopération.
9 Plaquette Filières du Haut Niveau. Ministère de la Jeunesse et des Sports. Octobre 1996.
Auteur
Maître de conférences en Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives (STAPS)*. Diplôme d'Études Approfondies Collectivités locales (Gouvernement local et Administration locale) de l'Institut d'Études Politiques de Bordeaux.
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