Des gymnastiques psychologiques à la fin du xixe et au début du xxe siècle
p. 241-247
Texte intégral
1Sous le thème "Des gymnastiques psychologiques à la fin du xixe et au début du xxe siècles", un double travail peut être envisagé. L'un, épistémologique, se fixe sur un moment particulier de l'histoire des médications psychiques. Il découvre alors les signes de cette particularité en étudiant les représentations thérapeutiques des dispositifs corporels utilisés pour guérir l'esprit, Qui sont ces malades soumis à de minutieuses gymnastiques ? Des dégénérés, idiots et imbéciles, des tiqueurs et des bègues, des hystériques, des obsédés et des psychasténiques. Dans la rigueur des mouvements du corps, les uns s'humaniseront, les autres retrouveront le rythme normal de la parole et du contrôle musculaire, les derniers enfin recouvreront la raison. Or la question est là : dans la diversité des traitements corporels, y a-t-il une communauté et une permanence théoriques ?
2Au xixe siècle, le cadre asilaire fut riche en expériences où le corps devait ramener le fou à la raison. Les bains, les douches, les saignées, les lavements, les purgatifs et les vésications, etc., autant de remèdes dont l'action se conçevait alors en référence aux thèses souvent antinomiques de l'irritation, de la moralisation et, plus tard, de l'intégration fonctionnelle.
3Avec les gymnastiques systématisées à la fin du xixe siècle, l'explication de l'effet thérapeutique devient "psychophysiologique" : étude du rôle de l'écorce cérébrale dans la commande des mouvements voulus ; dialectique sensation-mouvement ; construction des réflexes, des automatismes et des actions volontaires. C'est sur cet aspect du savoir que s'ordonne notre présentation.
4Au siècle de l'aliénisme, la description et la classification des idiots et des imbéciles a fait l'objet de nombreux traités. Mais dans la dernière décennie, les étiologies s'affinent et font explicitement référence à la notion de dégénérescence dont B.A. Morel (1857) fut un des plus illustres théoriciens. Magnan (1893) classe les dégénérés en trois catégories : les déséquilibrés de l'intelligence — des idiots, les plus inférieurs, en passant par les imbéciles et les arriérés jusqu'aux faibles d'esprit et aux simples arriérés — ; les déséquilibrés de la sensibilité, encore appelés fous moraux ; les impulsifs chez qui seule la volonté est lésée. Les deux dernières catégories sont celles des dégénérés supérieurs.
5Les stigmates de la dégénérescence sont visibles au niveau de la forme et des volumes du crâne, de la face, des oreilles, des yeux, etc., mais ils sont perceptibles surtout dans les conduites, le plus souvent asociales, et les mouvements "diminués jusqu'à l'immobilité presque complète [ou], au contraire, exagérés dans une incohérence désordonnée et une continuité mécanique. Immobile, [le dégénéré] vit comme un végétal inerte, agité, c'est le mouvement d'un vibrion" (Thulié, 1900). La nature et la qualité des mouvements sont traduites dans tous les comptes rendus d'éducation des jeunes idiots, d'Itard (1801) à Séguin (1846), jusqu'à Bourneville (1895) : comment ces mouvements s'organisent-ils et quelle est la force qui les inspire ? La sensation ou la volonté ? Objet de débats, la réponse est toujours d'actualité quand se systématisent les gymnastiques destinées à dissiper les stigmates de l'arriération1. Ces gymnastiques sont conçues et dirigées par des médecins et, quelquefois, par des instituteurs, On entre dans l'ère médico-pédagogique. Dans la perspective d'une éducation des fonctions du mouvement et, plus encore, des fonctions intellectuelles, les exercices du corps jouent un rôle déterminant.
de la sensation au mouvement
6L'éducation des fonctions du mouvement consiste à doter les dégénérés de l'usage de la marche et de la préhension, fonctions indispensables à leur autonomie. Tout commence par un massage : "pour préparer les membres inférieurs aux exercices qui apprennent la marche", on les soumet à des frictions stimulantes et à un léger massage des muscles, [qui donnent] une plus grande vitalité aux parties appelées à fonctionner, [et développent] la sensibilité locale absolument nécessaire pour la station debout comme pour la marche" (Thulié, op. cit., 117). Cette préparation, dont l'incidence est à la fois psychophysiologique (l'éveil sensitif) et physiologique (la stimulation de la circulation), est complétée par une gymnastique passive faite de mouvements de flexion et d'extension dans le but d'assouplir les articulations. Ces préalables sont indispensables au bon déroulement et à l'efficacité des exercices qui suivent.
7Il y a d'abord le "fauteuil tremplin", Inventé par Séguin au milieu du siècle pour augmenter la force des jambes, il est utilisé par Bourneville et par Thulié pour masser les articulations, refoulant les surfaces articulaires les unes contre les autres et préparant ainsi les jambes à lutter contre les forces de la pesanteur, En outre, les chocs répétés sur la plante des pieds éveillent le "sens musculaire", sensibilité spéciale qui indique la position du corps dans l'espace, assurant ainsi son équilibre. Le travail se poursuit dans des barres parallèles où se déplace le malade. La position debout est plus assurée quand les pas s'enchaînent avec moins d'hésitation. C'est enfin l'utilisation du chariot, sorte de barres parallèles roulantes qui offre une leçon d'initiative. Permettant au malade d'avancer dans la direction qu'il désire (sollicité par la vue d'une friandise) le chariot est donc, indirectement, une école de volonté. Au terme des précédentes étapes, les exercices à l'escabeau (monter, descendre, sauter de plus en plus haut, conserver l'immobilité) constituent une révision des acquisitions antérieures : ils affinent les déplacements et enseignent le contrôle de soi.
8Comme celle de la marche, l'éducation de la préhension relève de situations qui, progressivement, se complexifient. Tout commence par des leçons d'opposition du pouce. Debout entre deux échelles de cordes, l'idiot exécute "différents mouvements qui concourent tous à développer cette initiative du pouce opposant" (Thulié, op. cit, 125). Effectuée dans différentes positions, la gymnastique "enseigne au malade un certain nombre de notions : assis, debout, en avant, en arrière, etc." (Bourneville, op. cit, 219).
9Il est clair que l'éducation des fonctions du mouvement n'aborde que de manière ponctuelle et parcellaire le registre psychologique. Il s'agit en vérité d'une psychophysiologie de la sensation, assise de la statique corporelle. Quant aux notions fondamentales, elles sont acquises au hasard d'apprentissages centrés, d'abord, sur les efficacités corporelles. Psychologies sommaires en vérité, sans allusion à des modèles théoriques très élaborés.
gymnastique et controle psychologique
10C'est pour développer les fonctions intellectuelles que l'exercice du corps est sollicité dans ses visées psychologiques. Le constat peut sembler paradoxal, mais il s'agit-là d'une perspective traditionnelle dans l'histoire des thérapeutiques mentales qui, durant le xixe siècle, ont imaginé divers rapports entre le mouvement et l'esprit. La gymnastique a donc "une influence sérieuse sur le moral […]. Elle donne à celui qui la pratique, en même temps que l'agilité de la pensée, la présence d'esprit, le sang-froid, la confiance en ses propres forces" (Thulié, op. cit., 167). Quelle est la forme de ces usages qui promettent l'éclosion de tant de vertus ? Non pas la gymnastique acrobatique qui développe des "idées vaniteuses", entraînant chez certains malades une surexcitation dangereuse" pour eux-mêmes et leur entourage, mais une gymnastique constituée de mouvements d'ensemble, exécutés au commandement, suivant des rythmes méthodiques, dans une salle largement aérée. Car l'aération est d'autant plus nécessaire que la vitalité de l'idiot est insuffisante. Ainsi exécutés, les mouvements deviennent des exercices d'attention imposés "par l'autorité du commandement, par l'action de toute la troupe et par la cadence [d'exécution]" (Ibid., 172). Comme le dégénéré est un être inattentif, il faut l'obliger à se concentrer en permanence : "Au commandement, l'élève fléchit, étend, déplace dans diverses directions la tête, les bras, les jambes, le torse, en comptant à haute voix avec le maître chaque phase du mouvement" (Ibid., 172). Assurant la discipline de l'appareil musculaire, ces exercices développent en même temps celle du cerveau puisque, de celui-ci, partent les ordres moteurs. L'ordonnance extérieure induit un contrôle interne. Ce schéma explique l'utilisation systématique des marches, des déplacements et des formations, authentiques manœuvres militaires que Napoléon Laisné (1865) utilisait déjà dans le traitement de la danse de Saint-Guy.
11Sur les plans moral et psychologique (termes souvent très proches dans la littérature médicale et pédagogique de l'époque), la gymnastique a donc plusieurs modes d'action. Outre sa fonction disciplinaire des muscles et donc des centres qui les commandent, elle substitue la volonté aux manifestations instinctuelles anarchiques et amorales : "Il faut que tous les mouvements [...] soient exécutés avec méthode, en rangs alignés, aux pas mesurés ; et pour que la cadence de la marche ne se trouble pas et n'entraîne pas en se rompant le désordre physique qui amène toujours le désordre intellectuel, il est nécessaire qu'elle soit marquée par le son du tambour ou de la musique, ou ce qui est mieux, par des chansons appropriées qui ont l'avantage d'être à la fois un entraînement rythmé, un exercice de parole, et une leçon de patriotisme ou de morale" (Ibid., 178). Les bains prolongés et les mouvements d'assouplissement avaient une fonction émolliente du caractère, l'exercice construit et commandé crée le réflexe à l'obéissance, "car le rythme des mouvements physiques entraîne le rythme du fonctionnement cérébral et, à sa suite, la régularité méthodique" (Ibid., 176). Le caractère et, plus généralement, le fonctionnement de l'esprit, se sont amendés et améliorés dans la régularité et la soumission aux contraintes extérieures, L'obéissance automatique qui en résulte est le décalque psychique d'un ordre musculaire.
12Ces perspectives théoriques se placent dans le droit fil des enseignements psychologiques du temps. Pour Ribot (1888) en effet, le mécanisme général de l'attention est toujours moteur. La gymnastique appliquée au dégénéré est une adaptation pratique de ce principe-là, mais elle se conçoit egalement à partir d'une représentation hiérarchisée des fonctions cérébrales. Le mouvement a des incidences psychologiques car, en des lieux précis du cerveau, il crée et organise les forces de la volonté. Les régulations musculaires sont à la fois signes et causes de la bonne marche de l'esprit.
13Peut-être est-ce Magnan (1893) qui, le plus clairement, a exposé les éléments théoriques permettant de comprendre les inférences psychologiques du mouvement commandé, dirigé et discipliné. D'après le médecin de l'Asile de Saint-Anne, il faut imaginer trois régions cérébrales. La région postérieure, archaïque, règle les appétits et les instincts. Les actes qui en émanent sont sensorimoteurs. La région moyenne, psychomotrice, déclenche les mouvements conçus par la région frontale antérieure. Celle-ci est le lieu des déterminations ideo-motrices à l'origine des actes voulus. Or, de ce territoire cérébral, part non seulement la volonté transmise aux muscles par les centres psycho-moteurs, mais également des ordres de modération des appétits et des instincts. Que manque-t-il aux idiots ? Précisément des possibilités de contrôle et de volition sans lesquelles il n'y a pas de comportement socialisé, Le rôle de la gymnastique est de soumettre les régions postérieures à la dépendance d'une instance disciplinaire.
les ruptures de l’automatisme
14Le traitement des tics et du bégaiement, troubles souvent associés à la dégénérescence et aux maladies mentales et nerveuses, offre un deuxième exemple de gymnastique psychologique. C'est en 1885 que Gilles de la Tourette isole définitivement le tic de la chorée et en fait une maladie psychique véritable. Cette conception est confirmée par Charcot (1886, 1888) qui classe les tics au nombre "des maladies du doute". En fait, seuls les tics convulsifs entrent dans cette catégorie. Ce sont des contractions musculaires, brusques et involontaires, qui se présentent sous forme de secousses cloniques. Ils s'interrompent durant le sommeil et peuvent être prévenus par la volonté, ne serait-ce que quelques instants.
15Les tics affectent de préférence les sujets "dont l'attention est faible, [l']esprit changeant et frivole, la volonté débile, [qui] ne savent ou ne peuvent pas plus résister à un plaisir ou à une douleur, à un amour ou une haine, à une joie ou une tristesse […], à une des mille formes de l'émotion ou de la passion, pas plus qu'ils ne peuvent ou ne savent réfréner leur imagination désordonnée" (Cruchet, 1902). Le tic est donc une habitude vicieuse qui s'exprime au lieu du corps mais n'est matérielle qu'en apparence. Il est, en effet, de même nature que les idées fixes, les obsessions, les manies et les phobies. C'est une névrose motrice, résultat "d'un très grand engourdissement des centres corticaux, supprimant la volonté, l'attention, les fonctions de synthèse plus que les fonctions automatiques" (Raymond, Janet, 1898). Les traitements médicaux qui lui sont opposés sont conçus, là encore, pour rétablir la prédominance de la volonté sur l'automatisme et les mauvaises habitudes motrices. Cependant, deux écoles s'opposent quant aux conceptions curatives.
16Pour Brissaud (1894) et ses élèves Meige et Feindel (1901), la gymnastique thérapeutique est constituée de trois étapes. La première consiste, par divers moyens de suggestion, à obtenir l'immobilité des muscles affectés par le tic. Ce travail repose sur le préalable d'une éducation générale de l'immobilité totale obtenue au repos, puis maintenue progressivement lors de l'exécution de mouvements simples : circumductions, adductions, extensions, flexions, etc. Le contrôle doit persister au cours de déplacements. Il s'agit de dériver la commande nerveuse vers des muscles contrôlables et de supprimer ainsi les stimulations anarchiques qui alimentaient inlassablement le tic. La leçon d'immobilité rompt les hérésies de l'automatisme. Dans une seconde phase, la gymnastique corrige directement les muscles affectés par l'habitude vicieuse : mouvements lents, réguliers, exécutés au commandement : "Dans le clignement par exemple, on fera lever et baisser les paupières au commandement, et on s'adressera tantôt à un seul, tantôt à l'autre, tantôt aux deux yeux en même temps ; dans le tic des lèvres, on fera ouvrir et fermer la bouche, faire des mouvements de diduction de la machoire, siffler, faire la moue, rire, parler, chanter." (Cruchet, op. cit., 97). La troisième étape est une combinaison des deux précédentes : les exercices d'immobilité alternent avec des mouvements de contrôle volontaire.
17Quels sont les principes d'action de telles gymnastiques ? Ils sont pluriels, On trouve, nous l'avons dit, le principe de dérivation à la fois énergétique et neurologique. Mais celui-ci se double d'un authentique travail psychologique par contention de l'attention et de la volonté qui, à terme, casse les perversions de l'automatisme pathologique. Dans la sourde lutte de l'esprit contre l'instinct, c'est la force de la commande nerveuse enfin voulue et maîtrisée qui l'emporte, L'écorce du cerveau, et plus précisément les "centres psychomoteurs", reçoivent de l'immobilité l'image d'un possible repos. Cette image n'est pas une photographie, mais "une réviviscence des éléments sensoriels et moteurs qui ont constitué la perception" (Ribot, op. cit., 78). Sur ce fond d'apaisement, le mouvement voulu vient se greffer, induit par la volonté qu'en retour il développe.
18Avec la méthode de Pitres (1901), directeur de clinique des maladies nerveuses à Bordeaux, le travail psychologique correcteur du tic résulte d'une gymnastique respiratoire. En fait, l'action de celle-ci est double : physiologique car elle active la circulation, les combustions, et l'élimination des toxines du système nerveux ; action psychologique ensuite par l'apprentissage du contrôle volontaire qu'elle induit. La guérison des tics et des bégaiements relève donc de la conjugaison de ces deux types d'effets. Les spasmes disparaissent d'autant mieux que les mouvements respiratoires donnent l'image du rythme à tous les centres psycho-moteurs. La suggestion initiale — la commande du thérapeute — est vite relayée par la conscience du malade dirigée par les volitions retrouvées. La respiration qui, initialement, agit pour détourner l'attention du malade de l'acte vicié, sert ensuite d'exercice psycho-physique car elle ordonne l'activité dans le temps — le flux rythmique — et promeut une qualité psychologique indispensable au gouvernement du corps et de la pensée.
19Une question théorique reste en suspens : quel rapport existe-t-il entre l'attention volontaire et les mouvements respiratoires ? Partant d'observations cliniques, Tissié a répondu : "L'intensité de l'attention est en raison inverse de l'intensité de la respiration" (Tissié, 1899). En faisant respirer le tiqueur ou le bègue, on ramène à l'étiage l'activité cérébrale. Les mauvaises habitudes viennent mourir dans l'inertie du fonctionnement des centres nerveux. Alors la gymnastique constituée de mouvements simples, combinés à la respiration, reconstruit sur des fondements sains l'activité du cerveau et les actions qui en résultent.
du mouvement à l’idée : dialectique thérapeutique
20Dans la période qui nous intéresse, il reste à étudier une troisième figure de médication psychologique offerte par les thérapies corporelles des maladies mentales : l'hystérie, les obsessions, les aboulies, la psychasténie. Les études cliniques de Charcot, de Janet et de Tissié, combinées à des investigations expérimentales, démontrent l'étroite collusion de l'idée et du mouvement, découvrant aussi le support matériel de certaines qualités psychiques.
21Qu'est-ce, par exemple, qu'une paralysie hystérique ? Ni plus ni moins qu'une "idée fixe d'impuissance motrice", répond Charcot. Elle a pour origine le dysfonctionnement de l'écorce cérébrale. Pour estomper l'idée malsaine, le mouvement peut être d'un grand secours, comme l'attestent certaines expériences réalisées sous hypnose : par un geste, une attitude que le médecin fait prendre au malade, c'est toute la sphère affective qui est modifiée : "Ferme-t-on, par exemple, au malade, les poings dans un geste agressif, on voit la tête se porter en arrière, le front, les sourcils et la racine du nez se plisser avec une expression menaçante, Approchez au contraire de sa bouche ses doigts étendus (comme dans l'acte d'envoyer un baiser), alors les lèvres s'écartent, [la malade] sourit, toute la face prend une expression bien opposée à celle qu'on avait tout à l'heure" (Charcot, 1887.) Le geste, l'attitude, ont induit la mimique et donc les pensées et les sentiments qui lui correspondent, Inversement, en stimulant un muscle précis, traducteur d'une pensée, on conforme la totalité du corps à l'idée suggérée. La gymnastique expérimentale promue par Charcot est un stimulateur d'idées. Ne pourrait-elle, de même, éveiller la fonction volitive dont l'absence explique la plupart des maladies mentales ? C'est l'hypothèse qui servit de guide à de nombreuses expériences effectuées à la Salpêtrière, Si Janet, confronté lui aussi aux mêmes interrogations, a recommandé parfois l'usage de la bicyclette ou de la course à pied pour restaurer les volontés perdues chez les phobiques et les psychasténiques, ces techniques demeurent marginales dans son travail de clinicien. En fait, le problème qui le préoccupe, c'est la rupture des automatismes caractéristiques de l'idée fixe. Pour cela, il préconise une gymnastique de l'esprit : des exercices d'écriture, de lecture, de calcul, bref toutes les activités susceptibles de stimuler les centres cérébraux où naissent les actions volontaires (Janet, 1898).
22La position de Tissié, est, en matière de thérapie mentale, encore différente. Non pas sur le plan théorique mais dans les applications pratiques. La gymnastique psychologique promue par Tissié est autre chose qu'un simple prétexte à l'exercice intellectuel. Pour traiter, par exemple, un cas d'instabilité mentale avec impulsions morbides (Tissié, 1894), il recommande la pratique d'activités très éclectiques : les sauts au trapèze volant ou à la corde, la course à pied, la boxe et les longues promenades à bicyclette. Mais il oblige surtout à effectuer des mouvements simples, précis, sans cesse soumis aux emprises volontaristes. Ce sont là les clés du traitement psycho-dynamique qui agit de deux manières : l'une, par dérivation des forces dans des activités organisées et non plus dans les exubérances de l'impulsivité ; l'autre, par un travail musculaire qui éveille la conscience en stimulant les centres psycho-moteurs. Ces dernières transmettent aux organes de la vie de relation les influx nécessaires à la bonne marche de l'organisme. Travail physiologique et moral, neurologique et psychologique, les gymnastiques de Tissié résument, en les simplifiant, les représentations scientifiques de leur temps.
conclusion
23Au premier regard, les gymnastiques psychologiques conçues entre la fin du xixe et le début du xxe siècles ne semblent pas s'ordonner à un unique paradigme. Pourtant, au-delà de leurs formes et des pathologies auxquelles elles s'adressent, ces gymnastiques sont régies par un principe thérapeutique suggéré par la neurologie : il faut que les actes instinctifs et les automatismes soient dominés par l'idéation et les qualités qui lui sont associées : l'attention et la volonté. Pour cette raison, seuls les mouvements commandés, contrôlés et rythmés, sont efficaces, Sous les auspices de l'intégrationnisme et du volontarisme, les exercices du corps ont atteint leur but : discipliner les fonctions archaïques du cerveau en les soumettant aux emprises de la raison.
Bibliographie
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Bibliographie
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Notes de bas de page
1 C'est dans le cadre asilaire où existent des “classes spéciales" pour les arriérés dans les premiers instituts médico-pédagogiques, dans les cliniques des maladies mentales et du système nerveux que s'élaborent des gymnastiques s'intégrant à l'arsenal traditionnel de l'éducation des dégénérés.
Auteur
Maître de Conférences, Faculté des Sciences du Sport et de l'Education Physique, Université de Bordeaux II
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