Surf et néo-territorialité
p. 213-216
Texte intégral
1Toute pratique humaine et sociale qui revendique une appropriation de l'espace met en jeu la territorialité. C'est ainsi que des territorialités sociales produisent des rapports particuliers à l'espace qui structurent des modes de vie. Trois types de satisfactions sont alors en jeu, dans ces processus de valorisation de l'espace et des lieux : l'identité, la sécurité et la motivation ou le désir d'animation.
2Tout mode de vie articule des pratiques socio-spatiales qui lui font attribuer un sens territorial aux lieux associés à ces pratiques. Face aux territorialités dominantes qu'on peut qualifier d'urbaines, les pratiques des "nouveaux" sports tels que le surf permettent de poser différemment la problématique territoriale.
1 - LE SURF : STYLES DE VIE ET TERRITORIALITÉS PÉRIPHÉRIQUES
3Le rapport à l'espace du surfeur s'inscrit dans une logique nettement différenciée des logiques sociétales dominantes. Les valeurs individuelles, avant tout, mais aussi de groupe, fondatrices du style de vie "surfeur", procèdent d'une simplification et d'une recomposition de la socialité1. Evasion et liberté à la fois jeu et activité incertaine dictée par l'élément naturel (la vague), individuel et théâtral, le surf produit des tribus sociales éphémères en même temps que des territorialités provisoires fortement éprouvées par l'individu. La relation intériorité/extériorité du corps comme expression d'un style de vie est immédiate, et recherchée en tant que telle.
Production territoriale des groupes du surf dans l'espace littoral (modèle géographique)

4C'est donc une géographie mouvante surtout dans ses territorialités, qui serait celle du surf. Inscrits dans les espaces des annexes touristiques et hédonistes des régions métropolitaines, telles que la Côte Aquitaine, ces territoires n'ont pas a priori de point fixe. La territorialité du surfeur est celle d'un "nouveau nomade". Son identité, celle de l'individu et du petit groupe, relève d'un refus de la contrainte sociale dominante. Elle est celle d'un acteur de l'illusion, d'un acteur de la mise en scène de la glisse, comme extériorisation d'une idéologie douce. C'est dans cette mise en scène et dans le vécu du "spot" que le surfeur trouve ses motivations d'attachement aux lieux. Quant au sentiment de sécurité, il est produit par la rupture géographique et imaginaire entre le "spot" et son rivage immédiat, et l'espace de vie extérieur et ordinaire.
5Le "spot" apparaît alors comme le lieu central de ces territorialités floues. C'est le super-territoire, en quelque sorte le lieu sacré et totémique par rapport à l'espace vulgaire et profane situé hors du champ du surf. Il ravive les motivations et les stratégies de la logique territoriale de l'individu et du petit groupe. Lieu exceptionnel, tenu secret, convoité, et contrôlé d'où le petit groupe tend à refouler l'intrus. Il génère ces territorialités provisoires, appelées à se reporter sur d'autres "spots", d'ici ou d'ailleurs. Comme les solitaires de l'escalade, les surfeurs sont en potentialité des nouveaux nomades. Des hédonistes aventureux de l'errance.
2. SOCIALITÉ RESTREINTE ET SOCIO-GÉOGRAPHIE SOFT
6La pratique du surf est porteuse d'une socialité qui relève du néo-tribalisme. Elle est un monde du petit groupe, convivial et sélectif ; la territorialité du clan ou de la tribu se fonde, on l'a vu, sur des ruptures assez nettes avec les espaces territoriaux de la vie quotidienne. Ainsi la distinction sociale dominante ne joue plus, et seule la logique du champ s'impose. Antoine Maurice2 remarque que la « sociabilité se construit du centre (du groupe d'amateurs) vers la périphérie ». L'existence communautaire du groupe repose alors sur des signes et symboles territoriaux produits par les effets du champ (jargons, expressions, perceptions partagées des conditions littorales...). Elle repose aussi sur des valeurs ludiques, écologiques et libertaires qui se structurent en une idéologie "soft", qu'Antoine Maurice qualifie de « l'illusion, du faire semblant, de l'esquive. (...) idéologie douce comme l'écologie ».
7Ainsi, malgré l'attractivité sur les populations citadines, et l'irruption de lieux fixes à "dominante" surf3, dans sa logique, le surf en tant que style de vie provisoire ou définitif, fait apparaître à la périphérie des territorialités sociales stables et fixes, des géographies floues. Ce sont celles de groupes provisoires et renouvelables, qui tendent à produire des nouveaux lieux d'autant plus incertains ou éphémères qu'ils sont associés à des pratiques superficielles. On pourrait qualifier cette géographie sociale de "soft".
Notes de bas de page
1 Sur la territorialité et sa géographie : M. FAVORY. La territorialité sociale dans l'espace urbain de l'agglomération bordelaise, 1982, Thèse.
2 MAURICE, Antoine. Le surfeur et le militant, valeurs et sensibilité politiques des jeunes en France et en Allemagne des années 60 aux années 90, Ed. Autrement, 1987.
3 L'évolution récente des manifestations de masse, liée à la compétition sportive, tend à sédentariser les pratiques. Il en va de même pour certains “nomades" qui choisissent de se fixer et de s'intégrer dans des structures sociales liées aux activités littorales. (Formation sportive, organisation, commerce...).
Auteur
Institut d'études politiques de Bordeaux.
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