La côte basque : l'aménagement d'un espace surf
p. 113-119
Texte intégral
1Balayée par une houle nord-ouest qui s'engouffre dans une multitude de criques, de baies et autres plages protégées, la Côte Basque réunit les conditions idéales pour la pratique du surf. La variété des types de vagues s'accompagne d'un échelonnement spatial de leur difficulté, donnant ainsi la possibilité au pratiquant d'avoir le choix du site.
2Berceau de ce sport en France depuis les années cinquante, le littoral basque fut très tôt sensible à l’augmentation importante du nombre de surfeurs. Cependant, ici plus qu'ailleurs, le taux majoritaire de pratiquants à l'année permet d'appréhender plus justement la fréquentation occasionnelle de la période estivale. L'appréciation qualitative du phénomène met en évidence l'investissement d'un espace et l'appropriation d'un territoire par une population très mobile, développant peut-être plus que dans d'autres disciplines des facultés d'adaptation.
3Favorisées par une desserte et un accès aisé aux "arènes sportives naturelles", les conditions de pratique nécessitent néanmoins une amélioration qui passe en priorité par la définition des besoins des sportifs. L'enjeu de l'aménagement et de la gestion de l'espace doit être conçu en terme d'augmentation du niveau de satisfaction de ses usagers.
4Pour comprendre pourquoi ce littoral attire et fascine les surfeurs depuis presque deux générations, nous tenterons de définir "l'entité Côte Basque" ainsi que les flux qui l'animent et les sites qui font sa renommée. Nous nous attacherons également à l'observation de ses aménagements. Enfin, nous tenterons de déterminer les attentes des surfeurs dans ce domaine. Dans chacun des champs énoncés, la part de l'appréciation propre à chacun est importante. Bien que reflétant l'opinion dans sa grande majorité, l'interprétation peut être différente, autant que le sont les motivations, les perceptions et les sensations qui animent les pratiquants de ce sport hors du commun.
1 - PRÉSENTATION DE "L'ENTITÉ COTE BASQUE"
A. Une définition à la fois physique et psychologique
5Dans le monde du surf, "l'entité Côte Basque" est une réalité qui s'inscrit dans l'espace et dans l'esprit. Dépassant le cadre de la côte rocheuse, elle se prolonge sur la zone sableuse caractéristique du littoral landais. L'obstacle physique que représente l'embouchure de l'Adour détermine la limite nord du secteur. Aux quatre kilomètres et demi de cordon dunaire succèdent trente kilomètres de côte rocheuse découpée où plages, criques et baies dessinent le paysage.
6L'analyse géologique fait apparaître trois ensembles distincts : la bande côtière formée de sables marins et de dunes s'étendant de la barre de l'Adour à la Chambre d'Amour à Anglet ; la "zone biarrote" de la pointe Saint-Martin où est implanté le phare, au sud de Bidart constituée de plateaux d'alluvions anciennes ; la "zone de flysch", plus accidentée que la précédente, caractéristique de Guéthary à Hendaye. Bien que les abrupts de la côte rocheuse soient plus imposants lorsque l'on progresse vers le sud, ces trois ensembles ont une continuité dans l'espace.
7Cependant, l'investissement du littoral par les surfeurs se heurte à une barrière, pouvant être qualifiée de psychologique, au niveau de la baie de Saint-Jean-de-Luz-Socoa. Au sud de cette limite, aucune arène sableuse n'interrompt le linéaire de la falaise. La route dite "de la corniche" qui surplombe l'océan, débouche sur la large baie d'Hendaye. C'est entre Socoa et Hendaye que la distance à parcourir entre deux espaces de pratique est la plus importante. En effet, jamais plus de deux kilomètres ne séparent les trente-cinq plages qui ourlent le littoral.
8La proximité d'une côte rocheuse et d'une côte sableuse, la diversité de la forme et de l'orientation des plages ont donné naissance à une typologie variée d'arènes, au sens sportif du terme, idéales pour le surf. Lieu précis où déferlent les "séries" de vagues avec leurs caractéristiques dues au site, le "spot" définit dans le langage des surfeurs le lieu de pratique.
B. Une typologie variée de "spots"
9Des trente-cinq plages jalonnant l'entité définie précédemment, vingt-deux sont reconnues comme lieux de pratique. Cependant, des conditions météorologiques particulières permettent d'augmenter le nombre. Les nombreux spots de la Côte Basque offrent de multiples possibilités au surfeur quel que soient la saison, les conditions, son niveau ou enfin ses goûts. Cette palette de vagues dans un espace aussi restreint est unique en Europe.
Localisation des spots de la Côte Basque

2 - LES FLUX ET L'INVESTISSEMENT DE L'ESPACE
A. l'accessibilité aux "spots" : une triple logique de desserte
10Contrairement à l'exemple des Landes et de la Gironde où les plages correspondent à la projection récente d'un bourg situé en arrière, l'urbanisation du littoral basque est ancienne. Accélérée au Second Empire par l'engouement pour les stations balnéaires, elle a donné naissance à un réseau de voies de communication qui privilégiait, bien avant la naissance des sports nautiques, l'accès aux plages, lieu des enjeux de concessions. Héritage du passé mêlé aux aménagements récents, la desserte du front de mer se fait selon trois logiques qui justifient la trame urbaine et le relief du littoral basque.
11L'enchaînement des séquences routières de la D-405, D5, D-911, N-10 et D-912 constitue l'épine dorsale des déplacements vers les plages. Cette voie dessert directement deux zones : la partie sud/sud-ouest de la baie de Saint-Jean-de-Luz, Ciboure, Socoa ; la baie d'Hendaye. Dans son principe de contournement-desserte propre aux baies, elle se rapproche du réseau du Bassin d'Arcachon.
12Deux autres configurations complètent le schéma. L'urbanisation dense des stations balnéaires anciennes constitue des quartiers de ville dont la traversée s'impose pour rejoindre le bord de mer. A Biarritz, Saint-Jean-de-Luz et dans une moindre mesure à Guéthary, circulation et stationnement de ville et de plage se confondent, à l'instar des usagers des plages qui deviennent par périodes usagers de la ville et vice versa. Ces deux espaces forment en réalité un tout indissociable, l'un mettant l'autre en valeur.
13Les zones non desservies par les départementales ou la voirie urbaine, appartiennent au schéma classique de l'accès par "cul-de-sac". Les secteurs de Bidar, du sud de Guéthary et du nord de Saint-Jean-de-Luz caractérisent l'enchevêtrement d'un réseau de type "lotissement" qui, après avoir desservi zones d'habitat et camping débouche sur le parking de la plage. Mais, l'exemple se rapprochant le plus des configurations landaises et girondines reste Anglet où une succession régulière de voies partant de la départementale pénètre le cordon dunaire.
14La variété des conditions naturelles associée à ces différentes logiques induit une facilité de déplacement et de fréquentation pour le baigneur et le surfeur, la présence du premier influençant dans une certaine mesure le choix du second.
B. La mobilité différentielle des surfeurs basques
15De par son comportement de large investissement et appropriation des espaces de pratique, le surfeur basque se distingue de ses homologues landais ou girondins. La proximité des spots, le singularisme des types de vagues ainsi que l'accès aisé aux plages, se traduisent par une mobilité importante à l'intérieur de l'entité. La zone de rayonnement, qui varie selon la saison, s'étend de la plage de la Barre à Anglet au Fort de Socoa, et dans une moindre mesure au lieu-dit des Deux jumeaux d'Hendaye. La descente vers le sud se justifie généralement les jours de forte houle, lorsque les spots du nord sont impraticables.
16Bien que les déplacements soient fréquents, l'existence du localisme sur la Côte est un fait reconnu par tous. Cependant, il traduit davantage l'attachement du surfeur à un type de vague que son appartenance géographique à la commune comme cela est le cas en Gironde ou dans les Landes. Il s'en trouve donc plus pénalisé lorsque l'effet du week-end ou de saisonnalité l'oblige à émigrer. De ce fait, les conséquences relationnelles entre usagers de la mer provoquent des tensions qui ne peuvent être estompées par les larges possibilités du milieu comme sur le cordon dunaire.
17Si le surfeur basque n'hésite pas à investir l'ensemble des spots de son littoral, son attitude diffère hors entité. Contrairement au Landais ou au Girondin qui a l'habitude de parcourir de nombreux kilomètres pour atteindre son lieu de pratique, ses déplacements vers le nord restent rares. La difficulté des conditions est sans doute à l'origine de cette attitude, car les incursions sur la côte espagnole sont fréquentes alors que la distance à parcourir est plus importante.
18Ainsi, la notion de groupe social et spatial structure l'ensemble du territoire et des pratiquants qui assimilent leur sport à une manière, voire un art de vivre, et l'intègrent au quotidien.
C. Les modes d'accès et de déplacement
19De par la proximité du lieu de pratique pour le surfeur basque, les modes d'accès et d'investissement de l'espace se caractérisent par leur originalité et leur diversité. Contrairement au littoral dunaire où l'automobile reste le moyen de transport le plus largement utilisé, la Côte Basque est parcourue essentiellement par des véhicules plus légers. La faible distance des trajets ainsi que l'encombrement limité que constitue une planche de surf ou de bodyboard expliquent le choix du vélomoteur ou de la bicyclette comme mode de déplacement. Ce fait n'est pas suffisamment pris en compte dans les aménagements.
20Autre originalité, un service gratuit de desserte a été mis en place par le S.T.A.B. pour relier les plages d'Anglet à Biarritz, de juin à septembre. La "navette des plages", autobus peint aux couleurs de l'été, dispose d'un espace ouvert à l'arrière qui permet au surfeur d'entreposer son matériel. Cette initiative fort appréciée du public, traduit une volonté intercommunale de prendre en compte l'existence d'un sport, d'un mode de vie, d'une culture qui par leur aspect emblématique représentent un enjeu économique non négligeable.
21Mais le rapport du surfeur à la ville se mesure d'abord en terme d'investissement et d'appropriation de l'espace. La zone urbaine, de par sa proximité du site de pratique, devient un lieu "annexé". Ainsi, qu'il soit motorisé ou à pied, le surfeur la traverse avec sa planche sous le bras, parfois déjà vêtu de sa combinaison de néoprène pour de courts déplacements.
22Mais la ville n'est pas seulement un lieu de passage, elle est aussi le point de rencontre des pratiquants, là où la notion de groupe s'exprime. Ainsi, les surf shops et quelques bars reconnus drainent une partie de la population des surfeurs. Cette réalité met en évidence un problème structurel ancien, devenu récemment conjoncturel pour les biarrots : la création de locaux pour les clubs de surf. Cette question, essentielle pour le développement et l'encadrement de ce sport, s'insère dans la problématique plus générale de l'aménagement idéal pour le surfeur.
III. L'AMÉNAGEMENT-SURF : L'EXISTANT, LE SOUHAITABLE
A. La gestion des espaces naturels
23La question de l'aménagement, qui dans ce cas appartient au problème de la gestion d'espaces restreints convoités, s'envisage à trois niveaux. Individualisés spatialement, ils correspondent à des besoins différents hiérarchisés temporellement. On détermine ainsi les ensembles suivants : le lieu de pratique et son espace de proximité ; la zone d'accès à l'ensemble précédent ; le lieu précédant ou prolongeant la pratique. A cause de l'insuffisance des aménagements spécifiques, ce dernier se confond parfois avec le second.
24De par la définition même de la pratique du surf, le premier ensemble ne se conçoit pas en terme d'aménagement mais plutôt de gestion. La totale dépendance du surfeur à la vague, et plus particulièrement au lieu de déferlement des séries, fait de lui un pratiquant mobile, parfois tenté de transgresser l'ordre établi par les règles de surveillance en période estivale. L'article 1384 du Code Civil, législation sur les utilisateurs d'engins, rend responsable le surfeur heurtant un baigneur. De plus, l'article L. 131-2-1 du Code des Communes délègue au Maire l'exercice de la police des baignades et des activités nautiques pratiquées à partir du rivage avec des engins de plage et des engins non immatriculés. Le danger des interférences entre baigneurs et surfeurs a amené depuis quelques années certaines municipalités à délimiter une zone de surf. De forme triangulaire, de couleur verte avec un rond rouge en son centre, le fanion flotte sur quelques plages dont l'étendue permet de séparer les différents usagers de la mer. Mais le surf est à l'image de l'océan qui le fait vivre, difficilement cloisonnable.
B. La protection et l'équipement des sites
25Si la sécurité est un problème important l'été, l'enjeu de l'aménagement se situe plus en amont et commence modestement sur la plage. Le surfeur, au même titre que l'estivant mais avec une fréquence plus importante est un "consommateur d'espace". Bien que moins sensibles et évolutifs que les cordons dunaires, les lieux investis régulièrement par les surfeurs doivent posséder des aménagements spécifiques pour la protection des sites. Pour que la fréquentation n'induise ni pollution, ni détérioration, des ouvrages de confortement de l'arène sableuse sont indispensables ainsi que du mobilier de collecte des déchets. De plus, sans trop artificialiser le site, la présence de douches répond à une nécessité trop souvent considérée par les municipalités durant les seuls mois d'été.
C. Le rôle du parking pour les pratiquants
26Lorsque l'on considère la seconde aire de notre schéma, parking et voie d'accès au bord de mer, une question se pose. L'aménagement de cet espace conditionne-t-il, même modestement, la venue des surfeurs ? La souplesse des modes de déplacement et quelques exemples de site comme Lafiténia (qui, bien que d'accès peu aisé est un haut lieu du surf sur la côte) permettent de répondre négativement. L'affirmation de fait se justifie durant l'été où le surf devient pour le pratiquant occasionnel une activité d'agrément au même titre qu'un sport de plage et qu'il pratique généralement sur son lieu habituel de villégiature. Le choix de la plage ne se fait donc pas en fonction des conditions du milieu mais est plutôt induit par les commodités du site. Parkings et services de proximité jouent alors un rôle important. Difficilement quantifiable, ce comportement reste marginal sur la Côte Basque.
27En fait, le problème de l'aménagement de l'espace d'accès à la plage doit être pris en compte non pas comme catalyseur de la venue, comme pour la population touristique, mais plutôt en terme de confort, notion moins présente que dans d'autres sports mais néanmoins non négligeable.
D. Le confort comme enjeu de l'aménagement
28En effet, le pratiquant apprécie particulièrement un parking en front de mer. Outre le fait qu'il puisse visualiser immédiatement le déferlement des vagues, il peut également se changer à proximité de l'eau, possibilité particulièrement appréciée les jours de pluie. Bien que le surfeur sache se contenter de ce que lui offre le milieu, le réel enjeu de l'aménagement est là : dans l'amélioration des conditions de pratique. Celle-ci passe d'abord par la création de locaux. Certains peuvent penser que l'essence du surf symbolisée par la liberté, la santé et la magie de l'éphémère, s'accommode mal d'une bâtisse — à l'insertion paysagère plus ou moins bien réussie. L'équipement devient structurant, il se propose de rassembler les pratiquants d'un sport farouchement individualiste. Ses défenseurs y voient leur seul moyen de se faire entendre et d'être reconnus. Mais le débat doit-il être posé en ces termes ? Doit-on associer systématiquement local à fédéralisme ? Pour le surf, l'enjeu de l'aménagement doit être avant tout une réponse à la nécessité. Il ne doit pas conditionner un comportement mais au contraire favoriser sa liberté.
29En ce sens, une structure légère reste la plus appropriée. Pour être efficace et appréciée, elle doit répondre à trois impératifs : une situation en front de mer, un minimum de confort et d'hygiène, un accès à tous. Ainsi, un local sur le bord de plage où chacun puisse prendre une douche et entreposer son matériel, peut être considéré comme l'aménagement idéal pour le surfeur indépendant. Cependant, la rareté des espaces vierges en bordure du littoral et le coût élevé du foncier, exclut en grande partie la possibilité de construction de bâtiments spécifiques. En général, les municipalités mettent à la disposition des clubs un local qui, souvent loin de satisfaire les pratiquants, a le mérite d'exister. Ces surfeurs se contentant du minimum, les collectivités locales se limitent à "gérer l'urgence" et prêtent des locaux annoncés provisoires. Dans cette logique, la ville de Biarritz, a proposé au Marbella Surf Club de s'installer dans le local MNS inoccupé neuf mois sur douze. Des vingt-et-un clubs de la côte basque affiliés à la Fédération Française du Surf et Skate, rares sont ceux disposant d'un local.
30Il apparaît assez justifié que l'investissement des villes pour le surf soit à la hauteur de l'utilisation qu'elles font de ce sport pour asseoir leur image de marque. En ce sens, la municipalité biarrote, qui affirme que la politique du surf (grands événements, formation, équipements) est l'une de ses priorités, a trois grands dossiers de l'étude : la Maison du surf, le Musée du surf et le Centre de formation des jeunes surfeurs. Pour des raisons budgétaires, il est peu probable que d'autres communes la suivent dans cette politique. Cette démarche, louable à beaucoup d'égards, risque donc de concentrer la population vers cette zone qui sera alors la mieux équipée.
31Une nouvelle dynamique des territoires de l'entité est-elle à prévoir ? Si cela est le cas, la seule possibilité de rééquilibrage consistera en un développement des structures d’accueil, même légères, sur les autres communes. Cette hypothèse favorisera à terme l'augmentation du nombre de pratiquants. Mais sur la Côte Basque, les possibilités du milieu sont restreintes. Les limites sont déjà dépassées durant certaines périodes de l'année.
32L'enjeu de l'aménagement de l'espace se transformera-t-il en enjeu de la gestion des populations ?
Auteur
Université Michel de Montaigne-Bordeaux III.
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