Le littoral aquitain, de la station balnéaire à la station surf
p. 97-112
Texte intégral
1Le développement récent des sports de glisse sur la Côte Aquitaine, et en particulier du surf et de ses dérivés, a modifié les modes d'usage du littoral. Les représentations des stations balnéaires ont été transformées avec l'arrivée de jeux favorisant l'émergence de nouveaux sports, de nouvelles images et de nouvelles stations qui s'opposent aux anciennes et les complètent. L'étude de la spécialisation des sites, de leur organisation comme de leur architecture permet de suivre les tendances actuelles et de s'engager dans une prospective vis-à-vis des tendances futures.
2Le concept de station balnéaire utilisé depuis plus d'un siècle pour évoquer les villes littorales dont la croissance est relative aux bains de mer ne correspond plus qu'en partie à la situation d'aujourd'hui. Les termes de station et port de plaisance sont aussi mal adaptés à la Côte Aquitaine où le nautisme est limité par les conditions naturelles. Le concept de station surf paraît alors mieux tenir compte des nouvelles pratiques qui s'intensifient sur la Côte de Gascogne. Ces pratiques, pour la plupart importées et diffusées en France depuis trente ans, se sont imposées par rapport aux sports traditionnels normés et standardisés dans le temps et l'espace. Elles se caractérisent par un nouveau rapport au corps, à la nature et aux autres, et bénéficient d'une valorisation croissante. Soutenus par les collectivités locales, par les promoteurs de matériel et d'espace, par les institutions, le surf et ses dérivés transforment les représentations et les réalités des stations océanes.
3Afin de suivre l'évolution en cours, nous rappellerons d'abord la spécificité du littoral atlantique, puis nous analyserons les nouvelles perceptions de la mer et la promotion du surf aquitain ; enfin, nous préciserons la préfiguration des nouvelles stations et le processus de "surfurbia" en cours.
1 - UN LITTORAL SPÉCIFIQUE TARDIVEMENT OCCUPÉ
4Le littoral aquitain correspond à une entité bien individualisée où les Landes de Gascogne rejoignent l'océan. De Soulac à l'embouchure de l'Adour, sur plus de deux cents kilomètres, la côte océane est une des plus rectilignes du monde. Uniformément constituée par une plage de sable, elle a été baptisée ''Côte d'argent" en raison du déferlement incessant des vagues. La côte sableuse se prolonge au-delà de Bayonne par le piémont pyrénéen où, sur une trentaine de kilomètres, la montagne et la mer composent des paysages plus variés1.
5Le paysage côtier des Landes de Gascogne donne souvent l'impression d'être un espace naturel immuable. Sa constitution est cependant récente puisqu'il faut attendre le début du xixème siècle pour que l'Etat prenne en charge l'ensemencement systématique des dunes littorales. Le décor n'a pas été totalement modifié par la conquête forestière mais l'importance des opérations lancées entre 1801 et 1876 a renforcé l'idée de la création d'un nouveau paysage. Celui-ci a précédé de peu la naissance des premières cités balnéaires porteuses d'un essor régional.
6Cette côte sauvage qui s'étend sur 230 kilomètres de la Pointe de Grave au nord à l'Adour au sud n'est interrompue que par l'échancrure du Bassin d'Arcachon s'ouvrant sur une profonde baie triangulaire. Cinq éléments qui, en donnant son originalité à la côte seront les fondements de l'organisation touristique, se succèdent d'est en ouest (fig. 1).
7Les vagues, par leur mouvement de flux et de reflux, sont le premier attrait du littoral. Façonnées par les houles dominantes du nord-ouest qui abordent obliquement l'estran sableux et par la pente du plateau continental, elles constituent une barre formée de rouleaux déferlant sur la plage. Elles sont plus ou moins fortes selon les conditions du moment et atteignent une hauteur de 0,5 à 4 mètres, leur plan d'inclinaison varie selon la direction et l'intensité du vent. Le vent de terre est le plus propice au maintien d'un plan liquide incliné qui permet aux surfers les plus longues évolutions. Lors des forts coefficients de marée, ces rouleaux atteignent le pied de la dune et modèlent dans le sable des replats et des creux. Le déferlement des vagues est favorisé par le relief du sol, qu'il s'agisse du cordon prélittoral immergé ou des langues de sable bordant les baïnes (fig.2).
8La plage de sable se situe entre l'élément liquide et la dune. A la différence des plages normandes généralement plates, l'estran sableux est constitué d'une succession de reliefs changeant au gré des saisons. La houle dominante favorise la formation de langues de sable formant des croissants de plage qui ont une orientation nord-ouest, oblique, par rapport à la ligne de côte. Entre les langues de sable se constituent des chenaux qui portent le nom local de "baïnes". Ces baïnes se remplissent avec la marée montante et créent un fort courant de sortie à la marée descendante. Peu visible par les baigneurs non avertis, ce courant reste le plus grand danger de la côte et le principal facteur de noyades.
Figure 1 - LES ÉLÉMENTS DU LITTORAL AQUITAIN

Cartographie : J.P. AUGUSTIN - CESURB.
Figure 2 - LA DYNAMIQUE LITTORALE : les vagues, le sable, les courants

D’après Louis Papy et Pierre Barrère. (op.cit).
9Le troisième élément est constitué par les dunes côtières qui, en limitant l'accès à la plage, la valorisent et la protègent. Leur hauteur varie de quelques dizaines à près de 115 mètres pour la dune du Pyla, considérée comme la plus haute d'Europe. Le cordon dunaire est en réalité une montagne mouvante de sable qui se déplace vers l'intérieur des terres. Le tracé de la falaise dunaire est légèrement sinueux en raison de l'érosion marine qui sape sa base par endroits et de l'érosion éolienne qui ouvre des brèches appelées "caoudeyres". La maigre végétation naturelle est insuffisante pour ralentir l'avancée des sables, et les techniciens de l'Office national des forêts (ONF) tentent de limiter leurs déplacements en profilant la dune, en plantant des oyats et en posant des barrières d'arrêt. La dune vive est également protégée par l'interdiction de circulation libre et l'organisation de passages piétonniers.
10En arrière des dunes côtières se situe la lette prélittorale. Il s'agit d'une plaine herbeuse où se sont installées la plupart des petites stations balnéaires maritimes d'Aquitaine. Ce site naturel a l'avantage d'être protégé des vents océaniques par le cordon dunaire et se prête aux divers types d'aménagement nécessaire au développement touristique. En désolidarisant la plage et l'océan de la lette, les dunes bordières valorisent cette dernière tout en maintenant le caractère de nature grandiose des paysages.
11Enfin, au-delà de la lette se déploient les grands massifs boisés où se succèdent les dunes anciennes peuplées de vieux pins, de chênes tauzins et d'arbousiers, et les dunes modernes au boisement organisé par le découpage de pare-feu. Les étangs s'établissent derrière les dunes anciennes qui arrêtent l'écoulement des eaux vers la mer. Leur forme est largement déterminée par celle des dunes paraboliques qui créent des pointes et des baies en eau profonde et navigable sur la côte ouest, alors qu'ils se terminent en marais peu profonds sur la côte est.
12La présence humaine dans ces espaces naturels a été tardive. Les historiens considèrent que c'est à partir du mésolithique (l 0 000 ans avant notre ère), avec l'adoucissement du climat que les hommes s’établissent sur les rives orientales des étangs médocains, à Lacanau et Hourtin notamment. Plus tard, au néolithique (6 000 ans avant notre ère), des chasseurs-pêcheurs s'implantent entre l'estuaire de la Gironde et l'étang de Cazeaux. A Soulac, le port antique de Noiramagus connaît un temps de prospérité avant d'être englouti par l'océan au vième siècle. Au xème siècle, un port s'ouvrant sur la Gironde est reconstruit ainsi qu'une basilique romane à laquelle est donné le nom évocateur de ''Notre Dame de la fin des terres". Mais rien n'empêcha son ensevelissement progressif par les dunes de sable ; en 1 757, le clocher dépassant du sable servait encore d'amer, mais en 1 774 il avait complètement disparu.
13Cette présence humaine reste longtemps faible et localisée ; ce n’est qu'au Moyen Age que les pélerins de Saint Jacques de Compostelle utilisent le chemin romain et établissent une route littorale entre Soulac, La Teste et Bayonne qui facilite la fixation de noyaux de peuplement. Cette route, jalonnée de quartiers et de prieurés, sert la mise en valeur des terres. En dehors du Pays Basque, le littoral aquitain est cependant isolé et participe peu au développement économique de l'époque moderne. De vastes landes à ajoncs et à bruyères liées au climat humide favorisent une vie pastorale et la formation du système de l'airial à partir du xviième siècle. Durant toute cette période et jusqu'au xixème siècle, l'espace compris entre les étangs et la côte est délaissé au profit de l'intérieur. La préservation de ces espaces de nature est une chance pour la Côte Aquitaine, d'autant que l'occupation humaine tardive n'a pas véritablement transformé les paysages naturels et que les aménagements en cours vont chercher à les maintenir et à les valoriser.
2 - UN ESPACE EN AMÉNAGEMENT
14A partir de la fin du xixème siècle, le littoral devient un espace convoité dont l'aménagement progressif peut être résumé en trois étapes emboitées, celle des stations balnéaires, celle de la Mission Aquitaine et celle des stations surf à l'œuvre aujourd'hui.
15La première étape des stations balnéaires s'inscrit dans un processus qui amène les Occidentaux à se tourner vers les côtes et les plages. Ce désir de rivage analysé par Alain Corbin2 a commencé au milieu du XVIIIème siècle en Angleterre et aux Pays-Bas avant de se manifester sur les côtes françaises. Les stations du littoral de Gascogne sont plus tardives que celles du nord de la France. Arcachon se développe grâce à l'arrivée du chemin de fer à La Teste en 1841, puis à son prolongement jusqu'à la station où les villas du front de mer et de la ville d'hiver se multiplient. La visite de Napoléon III en 1859 en fut la consécration. Au nord, la station de Soulac est créée en 1846 et s'agrandit après la construction de la voie ferrée du Médoc inaugurée en 18 7 53. Au sud, Cap Breton a été un port important aussi longtemps que l'Adour eut là son estuaire. A partir du xème siècle, sous l'influence des sables, le fleuve se déplace vers le sud, provoquant le déclin du site qui ne connaît un renouveau qu'avec le tourisme balnéaire et la construction d'immeubles et d'un port de plaisance.
16Entre ces trois stations, à l'histoire plus ancienne, la plupart des villes nouvelles du bord de mer peuvent être considérées comme des projections sur la Côte Aquitaine des bourgs anciens. Ces petites stations océanes ont des caractéristiques communes. Implantées au point d'aboutissement sur la mer, de la route ou de la voie ferrée venant du bourg, elles sont nées de la volonté des notables locaux, grands propriétaires ou commerçants pour la plupart. Construites dans la lette prélittorale selon un plan en damier, elles favorisent une architecture nouvelle de chalets et de villas à laquelle succèdent les premiers lotissements. Au chalet balnéaire, construit sur le modèle du chalet montagnard, succèdent les villas édifiées à partir de plans architecturaux conçus dans la région parisienne puis diffusés dans le reste de la France. Faites de briques et de pierres, recouvertes de toiture à forte pente et agrémentées de balcons, de galeries et de porches, elles se régionalisent progressivement. Les premiers lotissements annoncent la démocratisation et proposent des habitations diversifiées généralement de plus petites dimensions4.
17Le développement des stations balnéaires maritimes ou lacustres s'est prolongé jusqu'à la fin des années cinquante où l'essor du tourisme estival a posé de nouveaux problèmes d'aménagement et a entraîné une intervention publique dans une perspective d'ensemble.
18Avant les débuts de la Mission interministérielle d'aménagement de la Côte Aquitaine (MIACA), diverses études avaient été entreprises afin de coordonner le développement touristique du littoral mais les projets disparates et parfois contradictoires justifièrent la création de la Mission le 20 octobre 1967. L'objectif de la MIACA est de favoriser l'aménagement côtier en évitant une extension inconsidérée et anarchique du tourisme. Pour cela, des mesures de protections foncières sont prises (180 000 hectares de zones d'aménagement différé) et le schéma directeur est approuvé par le gouvernement en 1972 et 1974. Ce schéma institue un équilibre entre les sites d'urbanisation appelés Unités principales d'aménagement (UPA) et les zones d'espaces naturels dénommés Secteurs d'équilibre naturel (SEN). Une des idées principales est de refuser le développement touristique ex nihilo comme cela avait été le cas sur la côte du Languedoc-Roussillon, et de favoriser l'aménagement des installations touristiques à partir des stations existantes (fig.3). Pour cela, trois orientations sont proposées ; d'abord la définition d'un produit touristique aquitain où les notions de nature et d'espace sont valorisées ; ensuite, anticipant les effets de la décentralisation de 1982, la responsabilité du rôle des collectivités locales est affirmée ; enfin, la vocation sociale du tourisme aquitain est clairement avancée. Le département de la Gironde avait lancé, dans le cadre de la loi de 1964 sur les bases de plein air et de loisirs, l'expérience de Bombannes ; en 1976, le CIAT demande que 30 % des hébergements créés soient à vocation sociale, et en 1982 le premier ministre inaugure la station de Carcans-Maubuisson présentée comme un exemple de tourisme social. Cette perspective n'a cependant pas gêné le développement commercial de l'ensemble des stations de la Côte.
19Au-delà des opérations d'aménagement touristique, la MIACA a initié diverses actions dans le domaine de la protection des espaces naturels, dans l'organisation de la fréquentation des plages océanes (les programmes "plan-plages") et dans la construction d'un réseau régional d'itinéraires cyclables de découverte du littoral. Ainsi, en préservant les sites, en aménageant les stations et en organisant les moyens d'accès au littoral, la MIACA a participé à la sauvegarde d'un patrimoine qui correspond aux attentes, aux perceptions et aux pratiques nouvelles liées à la mer, déterminant l'émergence des stations surf.
3 - UNE NOUVELLE PERCEPTION DE LA MER
20Les représentations de la mer n'ont cessé d'évoluer depuis le XVIIIème siècle où, après une longue période de répulsion inspirée par les grèves sans attrait s'est éveillé un désir collectif de rivage. La plage est alors associée à des rêves où l'individu, confronté aux éléments, contemple avec un regard neuf les paysages marins. La bourgeoisie urbaine délaisse le thermalisme pour se tourner vers les stations balnéaires dans une perspective d'abord hygiénique puis ludique5. À la contemplation de l'océan succèdent les premières baignades et les jeux de plage alors que sur les plans d'eau intérieurs ou dans les baies protégées le nautisme fait de plus en plus d'adeptes. Les étapes du déploiement des pratiques nautiques depuis les clubs réservés jusqu'à la démocratisation des dériveurs légers ont été étudiés par ailleurs6 et il convient d'insister ici sur les changements récents des pratiques liées à l'apparition des nouveaux sports de glisse.
21Ces pratiques font partie d'un ensemble connaissant une forte diffusion en France depuis les années soixante-dix et que l'on désigne par l’expression générique de "sports californiens"7. Il s'agit en particulier pour les bords de mer du surf et de la planche à voile ; mais aussi de la planche à roulettes (skate-board) et du vol libre (delta-plane) et de leurs multiples dérivés. Ces sports exploitent des énergies extérieures au corps (vagues, vent, pentes...) extraites des éléments naturels et nécessitant une nouvelle gestualité fondée sur le traitement d'informations pertinentes et le pilotage d'engins sans gouvernes. Ils nécessitent un nouveau rapport du corps à la nature qui valorise la spontanéité, l'imagination et la liberté8.
Figure 3 - STATIONS OCÉANES ET AMÉNAGEMENT DE LA CÔTE LANDAISE

D'après les travaux de M. Cassou-Mounat (op.cit.)
22Cette diversification des lieux sportifs correspond à des changements où les pratiques traditionnelles se déprécient socialement. Les agents économiques et notamment les fabricants d'équipements, de matériel et de vêtements sportifs amplifient cette dévalorisation par le biais de la publicité qui suscite la demande et modèle artificiellement les goûts. On assiste à un glissement vers un hédonisme consommatoire lié à des pratiques informelles libres et sauvages. Pour les pratiquants des sports de glisse et en particulier pour ceux qui ont acquis un bon degré technique, le qualificatif de "sport libre" a des résonances multiples9. Ce sont des sports libres par rapport à l'espace ; ils refusent le balisage et revendiquent des espaces vierges et sans limites. Libres par rapport au temps : ils souhaitent choisir l'heure et la durée des pratiques en rejetant les programmes contraignants ou trop organisés. Libres par rapport aux risques ; ils acceptent d'en prendre pour acquérir progressivement la capacité d'évaluer leur engagement. Libres enfin par rapport aux individus : ils souhaitent s'affranchir des contraintes institutionnelles et profiter de l'observation sur le tas et de l'apprentissage dans un groupe de pairs. Ce dernier point caractérise les processus identitaires propres aux loisirs qui s'appuient sur des groupes affinitaires et de nouvelles territorialités. L'élément facilitant est alors l'accroissement de la mobilité quotidienne de fin de semaine et de petites vacances qui favorisent un processus de délocalisation. Les facilités de communication, l'attrait des zones maritimes suscitent le déplacement des citadins investissant la nature, support d'activités.
23Ces tendances qui s'amplifient durant les années quatre-vingt trouvent un exutoire exceptionnel sur la Côte Aquitaine dont les espaces libres et naturels correspondent aux attentes alors que les effets de surpopulation se font sentir sur nombre de côtes urbanisées. Elles expliquent le succès du surf comme pratique mais aussi comme soutien publicitaire pour valoriser une région, ses stations et son littoral.
4 - LA PROMOTION DU SURF EN AQUITAINE
24Les origines du surf sont encore peu connues et il est difficile de situer dans le temps les débuts de cette pratique. Il est convenu d'admettre qu'elle s'est développée dans le Pacifique et en particulier dans les îles Hawaï. Le capitaine Cook décrit en 1 778 des scènes locales où les indigènes se déplacent au moyen d'une planche sur des vagues qui les propulsent sur le rivage. A la fin du XIXème siècle le surf, pratiqué par quelques Américains, devient un sport et se répand d'abord en Californie puis en Australie. Les progrès techniques, permettant la construction de planches légères et performantes, favorisent progressivement sa diffusion.
25Si l'on en croit certains témoignages10, les premières tentatives de surf en France auraient eu lieu sans grand succès à la fin des années trente sur la Côte Basque. Les débuts véritables se situent à partir de 1956 où Peter Viertel, surfeur et scénariste de Hollywood, s'installe à Biarritz pour adapter à l'écran le livre d'Hemingway The sun also rises. Séduit par les vagues de cette côte, il fait venir des planches de Californie et initie ses amis locaux à cette pratique. Un petit groupe divulgue le sport, favorisant ainsi la création des premiers clubs. En septembre 1959 le Waïkiki surf club est ouvert à Biarritz ; en 1962 la France est représentée pour la première fois au championnat du monde qui a lieu au Pérou et en mars 1964 la Fédération française de surf riding est créée. L'Aquitaine devient un centre d’attraction pour les surfeurs étrangers, principalement américains et australiens qui apportent avec eux des films, des revues, des photos, des techniques et des planches.
26La progression est rapide après 1970 et s'accentue à partir de 1980. Le nombre de clubs est multiplié par 5 et celui des licenciés par près de 10 (tableau 1). Les pratiquants sont estimés à 40 000 mais aucune statistique ne permet de préciser avec rigueur leur nombre tant les lieux et les heures d'exercices sont divers et difficilement contrôlables. Longtemps limité à la période estivale, le surf est pratiqué actuellement toute l'année par une minorité d'initiés grâce au port de combinaisons isothermiques.
Tableau 1 - Clubs de surfs et pratiquants en 1975 et 1982 en Aquitaine

(*) Estimation
27Une autre tendance est à la multiplication des dérivés du surf avec en particulier le bodyboard, petite planche sur laquelle on surfe couché (100 000 planches vendues en France en 1992), le body surf, le kneeboard et le skimboard. Un comptage effectué à 9 moments de la journée du 9 août 1992 sur les plages de Lacanau, lors d'un dimanche ensoleillé, a permis de dénombres 723 planches de surf et 373 body boards11. Le nombre d'engins sur l'eau progresse de 9 heures à 15 heures 30 où il passe par un maximum de 160 surfs et 134 body boards puis décroît jusqu'à 21 heures (tableau 2). Ce premier comptage présente l'avantage de mesurer les flux de pratique lors d'une journée de grande affluence mais ne dit rien des niveaux et des temps de pratique qui varient considérablement selon les individus. Des recherches devront se multiplier pour une évaluation plus fine. Il reste évident que la progression des adeptes du surf et de ses dérivés est très forte depuis quelques années ; elle pose de nouveaux problèmes de zones de navigation et de sécurité.
Tableau 2 - Surf et body board à Lacanau, le 9 août 1992
HORAIRES | SURF | BODYBOARD | TOTAL |
9 h | 26 | — | 26 |
10 h | 43 | 8 | 51 |
11 h | 71 | 18 | 89 |
12 h | 92 | 71 | 163 |
14 h 30 | 136 | 58 | 194 |
15 h 30 | 160 | 134 | 294 |
17 h | 122 | 78 | 200 |
19 h | 45 | 6 | 51 |
20 h | 28 | — | 28 |
723 | 373 | 1 096 |
28L'image du surf en Aquitaine a été renforcée par l'organisation depuis 1979 d'une compétition internationale, le Lacanau Pro. L'objectif des organisateurs est de rassembler chaque année les surfeurs de l'Association des surfeurs professionnels (ASP, l'équivalent de l'ATP en tennis), pour une rencontre médiatique qui soit un événement de la saison. En 1986 l'objectif est atteint avec la présence de 120 professionnels, de la presse nationale et internationale et de plus de 100 000 spectateurs. Une enquête réalisée en 1989 sur le public de l'épreuve12 donne des éléments sur l'impact de la manifestation et sur ses retombées pour le tourisme local et régional. Face au succès du Lacanau Pro, les villes de Biarritz et d'Hossegor se sont inscrites sur le circuit des compétitions internationales de l'ASP, si bien que les trois étapes européennes du Mondial surf se déroulent en août et septembre sur le littoral aquitain.
29Ces manifestations ne sont possibles qu'avec le support financier des sponsors qui sont généralement des entreprises de matériel et de vêtements spécialisés pour le surf et ses dérivés. L'enquête sur le Lacanau Pro établit que les trois premiers sponsors de la manifestation de 1989 sont effectivement les premiers à bénéficier de l'impact publicitaire (QUIKSILVER 326 citations ; POIVRE BLANC, 315 citations ; DOCKSIDES, 269 citations). L'événement résulte de la volonté d'un club et des synergies qu'il crée entre les entreprises de sponsors, les média et les collectivités locales. La stratégie de communication associe le journal Sud Ouest qui couvre largement l'ensemble des manifestations, la presse nationale (Libération, Le Monde...) et la presse spécialisée (Surf Session, Surf Mag et Wind...) ; les radios, en particulier NRJ et les télévisions sont présentes sur le site.
30Les collectivités locales sont également concernées par la promotion du surf et le Conseil régional d'Aquitaine s'est engagé depuis 1990 dans le soutien des activités de glisse au point de faire du surf le sport le plus subventionné en 1992. Trois raisons officielles expliquent ce choix. L'idée d'abord de renforcer l'attraction de la Côte en valorisant le contexte géographique et climatique qui fait de ce littoral un espace privilégié. La volonté ensuite de favoriser les entreprises locales qui sont engagées dans le florissant marché de la glisse ; plus d'un tiers des PME du secteur surf s'est déjà implanté dans le Sud Ouest et l'ensemble du commerce et du tourisme local bénéficie de ce marché. Enfin, l'image empreinte de liberté, de bien-être et de respect de l'environnement véhiculée par le surf est jugée profitable à la région en même temps qu'un exemple pour la jeunesse. La Fédération française de surf, installée à Hossegor, a proposé un Plan surf pour l'Aquitaine qui a obtenu le soutien du Conseil régional pour la formation des cadres et pour le développement du surf dans les milieux scolaires et universitaires en 1993.
31Le surf nanti d'une popularité croissante, soutenu par les collectivités locales, garant de marchés promoteurs pour les entreprises, devient un vecteur du dynamisme territorial. L'image des stations océanes se trouve transformée par cette promotion et explique la préfiguration de nouvelles stations surf et le processus de "surfurbia" en cours.
5 - SURFURBIA ET STATIONS OCÉANES
32L'évocation de l'urbanisation du littoral californien amène à réfléchir sur les processus en cours en Aquitaine, même si les moments historiques et les contextes sont différents.
33C'est au début du siècle que les premiers centres de villégiatures, auxquels on donne le nom de beach towns, s'établissent aux abords de Los Angeles13. Ainsi est conçu Venice-by the Pacific, lotissement construit le long d'un canal reliant l'intérieur des terres à l'océan et réplique de la ville italienne avec un hôtel Saint Mark et un théâtre. Puis Santa Monica, créée par les Britanniques et les Américains de la Nouvelle Angleterre, ou encore Manahattan beach, Hermana beach ou Redonda beach s'édifient à proximité de la ville. L'appropriation de la frange maritime est favorisée par le réseau de transport de l'agglomération qui compte 300 000 habitants en 1910. Le mouvement de création des sites balnéaires amplifié par l'apparition du surf engendre ce que l'architecte Raynar Banham intitule la "surfurbia" pour désigner le début de l'intégration des beach towns à Los Angeles.
34La représentation de la ville se transforme avec l'apparition de nouveaux référents liés au soleil, au sable et au surf et de nouvelles formes de sociabilité. Le point fort de ce mouvement se situe en 1960 avec la promotion par les média télévisés du roman de Gidget racontant l'histoire d'une petite américaine et d'un groupe de surfers sur les plages de Malibu. Le mythe des surf stars s'élabore et contribue dans les années soixante, alors que les campus s'agitent, à l'engouement d'une génération pour le défi des vagues. Les fabricants de matériel ont vite compris l'intérêt du phénomène, et aidés par le système mass-médiatique, ils répondent aux demandes tout en multipliant les offres de nouveaux produits. H. Verlomme parle d'une "wet set revolution" et estime qu'en 1967 des dizaines de milliers de surfeurs se retrouvent durant les week-ends d'août rien que sur la Côte est, entre Cap Kennedy et Rhode Island. Toutes les plages ont leurs clubs, leurs champions et des milliers de voitures se déplacent en fonction des indications météo transmises en permanence par les radios. Après avoir touché l'ensemble des Etats, le phénomène a des répercussions internationales. Hawaï, l'Etat du Pacifique, toujours perçu comme le berceau du surf, connaît un nouvel attrait ; les îles de l'archipel offrent une gamme de possibilités étendues et l'urbanisation littorale s'y intensifie. L'Australie, où le surf est pratiqué depuis 1915, dispose de conditions propices, puis l'Afrique du sud, et quelques lieux d'Asie et d'Europe sont à leur tour touchées par le phénomène.

La multiplication des engins dérivés du surf sur une plage de Lacanau en août 1992. (Photo J.-P. Augustin).

Aux limites d'une des baignades surveillées de Lacanau, les surfeurs cherchent leur place parmi les baigneurs. (Photo J.-P. Augustin).
35C'est dans ce contexte que le surf s'établit en Aquitaine et qu'il est possible, une trentaine d'années après son apparition d'en étudier les effets. Quatre tendances résultant de sa diffusion locale peuvent être repérées (fig.4).
36Un processus de "surfurbia" est en cours autour des agglomérations de la Côte Basque et des stations océanes proches de Bordeaux. À Biarritz, Bayonne, Saint-Jean-de-Luz et dans les communes environnantes, le surf s'intègre aux institutions, influence les aménagements et l'urbanisme littoral. Plus au nord, les sites de Lacanau, les plages océanes du Bassin (La Salie, le Cap Ferret) et de Biscarosse favorisent la constitution d'un marché du logement où s'établissent à l'année des résidents qui travaillent à Bordeaux.
37La notion de station surf prend corps d'abord dans les zones évoquées, et notamment à Biarritz et Lacanau mais aussi à Hossegor où les clubs locaux et les municipalités se sont engagés dans des politiques de marquage sportif. De nouveaux équipements sont édifiés avec en particulier les maisons de la glisse qui, à proximité des vagues, offrent des services aux surfeurs. La première, celle de Lacanau, située sur l'aplomb de la dune côtière, permet un accès direct à la plage. Inaugurée en 1991, elle est le centre d'informations et de décisions concernant le surf. Les stations surf se caractérisent surtout par des aménagements urbanistiques lourds : fronts de mer, postes de surveillance, accès à l'océan et résidences littorales.
38D'autres stations sont touchées à un degré moindre par la multiplication des clubs de surf. Quatorze clubs existaient en 1975 ; ils sont 60 en 1992 répartis entre Soulac et Hendaye. Les premiers ont été longtemps de simples cabanes sur la plage où se regroupaient quelques adeptes ; installés en dur, ils deviennent des centres d'initiatives qui négocient avec les municipalités les moyens de favoriser la pratique. Regroupés dans des fédérations départementales et dans la fédération nationale, ils sont l'élément essentiel du développement local du surf.
39Enfin, entre les stations surf établies et les stations en formation, il reste de multiples lieux dont l'accès plus difficile constitue une réserve pour les pratiquants en quête de sites plus sauvages, de "spots secrets", dont l'appropriation est toujours recherchée14.
Figure 4 - CLUBS DE SURF ET STATIONS SURF EN 1992

Cartographie : J.P. AUGUSTIN - CESURB.
Notes de bas de page
1 Le lecteur pourra se reporter aux travaux des géographes bordelais et en particulier : BARRERE, P. nombreux travaux exécutés pour le Conservatoire du littoral.
BARRERE, P. et CASSOU MOUNAT, M. Tourisme et environnement sur le littoral des Landes de Gascogne. Revue de géographie des Pyrénées et du Sud Ouest. 4, 1986.
CASSOU MOUNAT, M. La vie humaine sur le littoral des Landes de Gascogne. Thèse d'Etat, Bordeaux 1975.
LABORDE, P. Biarritz, huit siècles d'histoire, 200 ans de vie balnéaire. Biarritz : Ferrus, 1984.
PAPY, L. Le Midi Atlantique, Paris : Flammarion, 1982.
2 CORBIN, A. Le territoire du vide. L'occident et te désir du rivage. 1750-1840. Paris : Aubier, 1988.
3 CHAUNUC, L. Le chemin de fer du Médoc. Bordeaux : Biscaye, 1973.
4 WAGON, B. Le littoral aquitain, paysage et architecture. CAUE des Landes. Bordeaux : DRAEA, 1987.
5 VAILLEAU, D. Baigneurs et nageurs à La Rochelle. Thèse de l'Université de Bordeaux II, 1992.
6 AUGUSTIN, J.-P. Pratique de la mer et territoires urbains : de nouveaux espaces de loisirs sportifs pour l'agglomération bordelaise. RGPSO, 4, 1986.
7 POCIELLO, C. et coll. Sport et société. Paris : Vigot, 1981.
8 BESSAS, Y. La glisse. Paris : Fayard, 1982.
9 LACROIX, G. Les activités de pleine nature et le thème de la glisse. Thèse, Paris VII, 1984.
10 Notes sur l'histoire du surf. Fédération française du surf, 1991.
11 AUGUSTIN, J.-P. et coll. Recherche sur les pratiques de bord de mer. Maison des Sciences de l'Homme d'Aquitaine, 1992.
12 DAUGER, T. Lacdndu Pro. Mémoire du département des techniques de commercialisation. IUTA, Université de Bordeaux I, 1989.
13 GHORRA-GOBIN, C. Los Angeles, l'image maritime renouvelée. Colloque La maritimité à la fin du xxème siècle. Université de Paris I, 1990.
14 VERLOMME, H. Cowabunga ! Surf saga. Paris : Chêne, 1976.
Auteur
Université Michel de Montaigne-Bordeaux III.
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