Le club omni-sports du S.B.U.C. et son rayonnement (1920-1939)
p. 107-142
Texte intégral
1A plusieurs égards, la guerre de 14-18 marque une rupture radicale dans l'évolution de la société française, au niveau de l'activité économique, des mentalités, des modes de vie... Elle a eu une incidence majeure sur le développement du S.B.U.C. et, plus globalement, sur la diffusion du sport dans la région du Sud-Ouest. La jeunesse épargnée par la guerre et les adolescents manifestent un intérêt accru pour la compétition sportive.
2Entre 1919 et 1921, les statistiques nationales des principaux sports montrent un taux d'accroissement spectaculaire. Les installations sportives se développent. Les clubs se multiplient. En trois ans, par exemple, les associations pratiquant le football passent de 400 à 2400. La presse sportive diversifie ses titres et augmente régulièrement ses tirages.
3Les structures se transforment. Les Commissions de l'U.S.F.S.A. acquièrent une autonomie qui va conduire à la constitution des fédérations. L'Etat marque son intérêt pour le sport en créant, sous les auspices du Ministère de la Guerre, un Commissariat à l'Education Physique, au Sport et la Préparation Militaire. Peu après, les comités sportifs d'Académies contribuent à dynamiser le sport des jeunes en supervisant les associations scolaires et en établissant dans ce domaine les calendriers des épreuves. Pour la première fois, mention est faite du sport scolaire féminin.
4Les associations de sport des collèges et des lycées rassemblent de nombreux adeptes, aussi bien dans les établissements publics que dans les institutions privées et confessionnelles. Les meilleurs éléments se retrouvent dans les principaux clubs de Bordeaux qui connaissent alors un regain d'animation.
5Le Stade Bordelais U.C. est conduit à se structurer progressivement selon le modèle d'un grand club omni-sports.
I. L'APRES-GUERRE ET LE RENOUVELLEMENT DE L'ÉQUIPE DIRIGEANTE (1919-1924)
6Au lendemain de l'Armistice, la jeune société sportive, anglaise ou anglophile, liée aux activités du port — celle-là même qui avait contribué à l'organisation du club et à ses succès sportifs — a comme disparu1... Le « monde » du négoce bordelais et des activités économiques se restructure probablement selon d'autres fondements. Et puis, il y a eu la terrible décision de l'Union sanctionnant le S.B.U.C. La grande époque du « Stade Bordelais » des Shearer, Vandercruyce et autres Hutchinson, est-elle à jamais révolue ? Par ailleurs, en 1913 et en 1914, la grande section de rugby paraissait quelque peu sur le déclin.
Un Président de transition
7En 1919, André Cassagnau, négociant et agent de marques, est élu à la présidence du club. Le Bureau du Comité du S.B.U.C. rassemble les personnalités suivantes :
Président : | M. André Cassagnau, | négociant en gros - commissionnaire, |
Vice-Présidents : | M. James Maxwell, | propriétaire viticole et négociant en vins, |
M. François Artre, | avocat à la cour d'Appel, | |
M. René Cruchet, | docteur en médecine, | |
Secrétaire Général : | M. Henry Berthereau, | |
Trésorier général : | M. Louis Jouany, | |
Secrétaire et Trésorier adjoint : | M. Henri Rousseau, | courtier en grains. |
8Il s'agit, semble-t-il, d'une présidence de transition. André Cassagnau, négociant en gros installé place d'Aquitaine (l'actuelle place de la Victoire), succède au président intérimaire qu'est Lajoux (ou à James S. Shearer ?). Nous avons évoqué plus haut les sanctions prononcées par l'U.S.F.S.A. à l'encontre des dirigeants du club... Les responsables du Stade ont été pris au dépourvu lorsqu'il s'est agi de procéder au remplacement de plusieurs dirigeants officiels. Né en 1880, André Cassagnau était auparavant secrétaire adjoint du club et Président de la commission d'athlétisme (Côte d'Argent) de l'U.S.F.S.A. avant la Guerre. Fait Officier des Palmes Académiques depuis mars 1913, pour services rendus à la noble cause de l'éducation sportive, il reçoit une Lettre de Félicitation du Ministre de la Guerre en 1920. On reconnaît deux autres noms : ceux de James Maxwell et de René Cruchet, Professeur agrégé à la Faculté de Médecine de Bordeaux.
9En fait l'équipe dirigeante est à la recherche d'un notable bordelais susceptible de s'intéresser à la grande cause du Stade Bordelais et du sport. Cette option marque sans doute l’attachement des responsables de club à un « modèle notabiliaire », qui a déjà fait ses preuves pendant plus de vingt ans...
10On constate cependant un manque significatif. Le Bureau du Comité directeur du club ne compte plus aucun représentant des "nouvelles" élites économiques impliquées dans les affaires maritimes et/ou coloniales. Sans doute s'agit-il d'un indice des transformations que connaît l'activité de Bordeaux dans les années vingt. André Cassagnau, tout comme son frère Henri, s'apparente plutôt au monde économique des « Rousselins » de la vieille ville qui possèdent des comptoirs en produits alimentaires de gros et de demi-gros. Installé rue SainteColombe, Henri Cassagnau (membre du Comité et ancien athlète stadiste de valeur) est agent de marque pour les produits suivants : lessive, confiture, poivres et épices, fromages, morues...
Les sports se démocratisent
11Pourtant, les temps ont changé. Dans ces années d'après-guerre, le sport tend à se démocratiser, à se diffuser, et l'accès à la pratique compétitive est plus ouvert. Les clubs se multiplient et les spécialités sportives se diversifient au sein des associations, sous la forme de sections bien structurées.
12Ce développement du sport n'est pas sans conséquence sur l'organe central qui administre les sports athlétiques. En 1920, l'U.S.F.S.A. compte 1 525 sociétés rassemblant de 180 000 à 200 000 membres. Certains dirigeants pensent que la situation n'est plus vivable. Le rugby, par exemple, veut accéder à l'indépendance. Le 24 avril 1920, à Bordeaux, la veille de la finale une réunion rassemble soixante délégués des comités régionaux. Henry Hoursiangou, président du comité directeur du rugby à l'Union, se rend à l'évidence : la création d'une Fédération nationale de rugby prend forme. Le 11 octobre suivant, la F.F.R. est fondée. L'Union va éclater et donner naissance aux grandes Fédérations sportives. Elle prend l'appellation d'Union des Fédérations Françaises de Sports Athlétiques (U.F.F.S.A.). Mais, déjà, les jeunes fédérations volent de leurs propres ailes...
13A Bordeaux comme ailleurs, les appartenances sportives définies autour d'un prétexte confessionnel (les patronages catholiques...), laïque (les amicales...) ou patriotique (les sociétés de préparation militaire et sportive...) ont moins de prise sur une jeunesse qui cherche d'abord à pratiquer les sports de son choix dans les meilleures conditions possibles2. Autant de faits qui expliquent l'augmentation des effectifs du S.B.U.C. dans les années 1919-21 et suivantes. Une demande d'agrément ministériel, au titre de l'Instruction du 7 novembre 19083, déposée par le club, donne une vue assez précise de son importance. Voici un extrait de la présentation fournie par le Préfet de la Gironde à Monsieur le Ministre de l'Intérieur.
« J'ai l'honneur de vous faire connaître que cette société, qui est une des mieux organisée et dirigée de la région, compte plus de 1 600 membres, dont 300 suivent les cours de préparation militaire. Son but est uniquement la pratique des sports (football-rugby, association, athlétisme, tennis, natation) et la préparation militaire ».
(lettre du 18 janvier 1922, A.D. série 1 R 110).
14Le chiffre avancé : 1 600 membres, est sans doute quelque peu exagéré (le S.B.U.C. ne compte que 1 200 membres en 1955 !). D'ailleurs, un rapport de police daté du 18 novembre 1924 précise : « 1 520 membres dont 1 180 suivent les cours ». En clair, 1 180 membres sont des sportifs actifs !
La nouvelle équipe dirigeante
15En 1924, le Bureau du club a connu d'importantes modifications. Le S.B.U.C. s'est donné un autre Président général en la personne d'Edouard de Luze4. Celui-ci est une des grandes figures du puissant négoce traditionnel dont s'enorgueillit Bordeaux. Le Bureau du Comité directeur se compose comme suit :
Président : | Edouard de Luze, | Négociant en vins et propriétaire viticole |
Vice-Présidents : | M. James Maxwell, | propriétaire viticole et négociant en vins, |
Jean Bazot, | Négociant en tissus et capitonnages, | |
Louis Rocher, | docteur en médecine, chargé de cours à la Faculté de Bordeaux, | |
Secrétaire Général : | Fernand de Zngronitz, | Négociant en vins, |
Trésorier : | Louis Jouany, | ? |
16Dans le courant des années vingt, le Stade Bordelais U.C. va se structurer selon le modèle du grand club omni-sports. Les dirigeants expriment encore leur attachement à un mode de direction et de gestion qui a réussi au club dans le passé. Il semble bien, cependant, que le groupe des élites économiques auquel appartenaient le Président Shearer, le Vice-président Vandercruyce et les membres de l'ancien B.A.C. n'existe plus en tant que tel. De même, le contexte propre à l'activité sportive de compétition est en train de changer. Il n'y a plus vraiment une disciplinephare comme le rugby l'avait été dans les années d'avant-guerre.
La concurrence du Parc des Sports de Lescure
17Par ailleurs, le nouveau Parc des Sports de Bordeaux-Lescure vient concurrencer « Sainte Germaine » en accueillant de grandes rencontres sportives. Cet ensemble majestueux installé sur 100 000 mètres carrés est né de la ténacité de Robert Hüe, architecte de formation et homme passionné de sports. Le nouveau « Parc des Sports » est situé sur le boulevard, à l'extrémité de la rue d'Ornano, sur l'emplacement du parc de Lescure, propriété de la famille Johnston. Hüe est parvenu à convaincre un groupe de riches amateurs de sports. Une société anonyme du Parc des Sports de Bordeaux-Lescure est fondée en septembre 1922, au capital de 1 250 000 francs divisé en 12 500 actions de 100 francs. Plusieurs personnalités bordelaises apportent leur concours financier : Daniel Guestier, Albert de Luze, Daniel Lawton, le marquis du Vivier, de Rancourt (cognac Chabanneau), Henry Frugès, Gustave Chapon, Fernand Philippart, maire de Bordeaux (de 1919 à 1925), etc., ainsi que des personnalités issues du monde universitaire telles le doyen Sigalas ou le docteur B. Mothe, ou du monde sportif comme le journaliste Charles Bidon ou le photographe Fernand Panajou.
18La bataille pour faire admettre cet ambitieux projet a été dure... Conçu dans son principe dès 1917, le complexe sportif ne sera inauguré qu'en 1924.
« Pendant sept années s'engagea une véritable lutte contre des sociétés sportives qui avaient alors pignon sur rue et qui n'acceptaient pas le projet sans amertume »,
19précisera, bien plus tard, Robert Hüe.
20Il est vrai que les responsables du Stade Bordelais U. C. ne se montrent pas des plus favorables à la réalisation de ce vaste complexe sportif, le premier du genre à Bordeaux : un bâtiment pour la direction, un stade de grand jeu avec tribunes et gradins, un piste cycliste et un quartier des coureurs, un terrain d'athlétisme avec piste en cendrée, cinq courts de tennis, un petit bassin de natation, une salle de culture physique, une piste de bowling, des aires d'entraînement... Les dirigeants Stadistes peuvent craindre à juste titre des changements préjudiciables pour le club et une désaffection progressive des Bordelais pour le stade de Sainte-Germaine.
21La réalisation du complexe sportif de Lescure relève de l'initiative privée, avec le soutien direct et financier des élites économiques de Bordeaux. Il s'agit de favoriser l'ouverture sociale des sports. Ces points méritent d'être soulignés. D'une part, la conception de Lescure est caractéristique d'un "premier âge du sport" antérieur à l'intervention de la municipalité dans le domaine de l'action sportive et, d'autre part, elle témoigne d'une volonté d'ouverture des sports au plus grand nombre, à l'initiative des élites locales. Le fait qu'Edouard de Luze soit porté à la présidence du S.B.U.C. s'explique peut-être en relation avec la mise en service du Parc des Sports de Lescure. En cas de concurrence dommageable, le nouveau Président saura garantir, le cas échéant, le patrimoine du club et le rayonnement de l'institution sur la ville.
22« Lescure » est l'œuvre d'un ancien Stadiste, l'architecte Cyprien Alfred-Duprat, qui a bénéficié de l'aide de son confrère Robert Hüe. L'établissement est inauguré le 30 mars 1924, par deux matches de rugby : Sport Athlétique Bordelais bat Bordeaux Etudiants Club par 22 points à 6 ; Club Athlétique Béglais bat Stade Bordelais U.C. par 14 points à 3. Cet événement illustre assez bien la configuration du rugby bordelais au milieu des années vingt. Au sud, le C.A.B. cher aux frères Loche et à Gaston Martin fait connaître au public du rugby son Stade de Musard, implanté dans une banlieue ouvrière... Champion du Sud-Ouest de deuxième série en 1913, le club avait pu accéder l'année suivante à la première série.
23Pour sa part, le Sport Athlétique Bordelais dispose depuis 1917 d'un vaste stadium rassemblant diverses installations sportives, aménagé à Talence, non loin du boulevard, à l'initative de son Président Jules Loze, avec le soutien financier et enthousiaste des marchands des Capucins...
24L'appartenance à tel ou tel grand club de l'agglomération bordelaise reflète, en partie tout au moins, les contours des identités sociales, culturelles, économiques et géographiques. Les divers championnats permettent leur mise en scène symbolique, suscitant émotions et passions.
25Au lendemain de la Guerre, le « Stade » retrouve ses propres murs : le vaste immeuble, avec cour intérieure, au numéro 147 de la me du Palais-Gallien acquis peu de jours avant la déclaration de guerre. Cette remarquable implantation géographique du siège et de certaines activités sportives qui y sont abritées va contribuer à entretenir son rayonnement sur la cité.
II. LES BONS RÉSULTATS SPORTIFS DES ANNÉES VINGT
26C'est peut-être en rugby que la rupture de la Guerre est la plus sensible. Le cœur n'y est pas et le paysage des clubs sportifs est en pleine transformation, tant dans l'agglomération bordelaise qu’au niveau du grand Sud-Ouest.
Une section de rugby qui se chercher
27En rugby, la 1ère finale du championnat – nouvelle formule – de Côte d'Argent de l'après guerre se joue à Sainte-Germaine, par un beau dimanche de février 1920. Elle oppose l'équipe du S.B.U.C. à celle du Club Athlétique Béglais, un nouveau venu parmi les "grands". Les Béglais, à la surprise générale, triomphent sur le score de 8 points à 3 et ils inscrivent à leur palmarès un premier titre de « Champion de la Côte d'Argent »... Cette même année, dans le championnat national des équipes 2èmes, le S.B.U.C. parvient en finale mais il doit s'inciner par 6 points à 0 contre le Stade Tarbais.
28L'année suivante, en 1921, le Stade Bordelais U.C. voit ses efforts récompensés et il conquiert le titre de champion de la Côte d'Argent. L'équipe victorieuse se compose de : Pascuaud, Laussat, Broquart, Thoumazeau, Bouchereau, Blondel, Hebrard, A. Meilhan-Bordes, Germain, Bène, Délias, Arnaudin (capitaine), Gay, Allien, Magret, Dedieu et Philippi.
29André Meilhan-Bordes, le frère cadet de Paul, par ailleurs excellent rameur, n'est autre que le futur président de la Société Nautique Bordelaise. Il exploite un important magasin d'objets d'art situé cours Georges Clemenceau.
30Le S.B.U.C. parvient à nouveau en finale du championnat de France des équipes 2èmes en 1927. Il dispute la finale des équipes 3èmes en 1921 et en 1925 (avec un match gagné contre l'U.S. Perpignan par 5 points à 3). Le club est également présent en finale des équipes 4èmes en 1920, en 1922 (avec un match gagné contre l'A.S. Biterroise par 8 points à 3) et en 1924. Les deux dernières compétitions sont supprimées par la F.F.R. à partir de 1931.
31Le Stade Bordelais va rester un bon club de rugby mais il ne sera jamais en mesure de retrouver la place qu'il occupait dans le passé.
« Le S.B.U.C., pendant dix ans, resta à la pointe du rugby français. Cette place, il semble que depuis la grande hécatombe de 14-18, le S.B.U.C. l'ait perdue »
32observe avec regret, bien plus tard, un des héros de la grande époque du « Stade », le docteur Jacques Dufourcq, installé à Salies-de-Béarn. C'est en partie exact. Plusieurs grands joueurs du S.B.U.C. ont payé de leur vie : Marc Giaccardy, Maurice Boyau, Conilh de Beyssac, Lacassagne, Dufau, Tachoires et bien d'autres. L'explication n'est pas suffisante. Tous les clubs ont payé un lourd tribut à la France. Il conviendrait de s'interroger plutôt sur les raisons — sociales et culturelles — qui ont permis à l'esprit du rugby de s'épanouir plus au Sud, vers Bayonne, Pau, Tarbes, Perpignan, Toulouse ; irrémédiablement !
Une série d’internationaux en rugby
33Toutefois, dans le courant des années vingt, le « Stade » reste une des bonnes équipes de rugby du Sud-Ouest, s'appuyant sur un effectif nombreux et bénéficiant d'un prestige intact. Le S.B.U.C. fournit encore quelques internationaux : Barthe (1925), Graciet (1926, 1927, 1929), Descamps (1927) et Larrieux (1927). Des internationaux, comme Billac ou Clément Dupont, le grand demi de mêlée (14 sélections), portent les couleurs du « Stade ». Ce dernier est d'ailleurs retenu en qualité d'international à six reprises comme « Stadiste ». Soixante ans plus tard, toujours alerte, le stratège des années vingt assiste au Centenaire du Stade Bordelais. Ce jour-là, dimanche 22 octobre 1989, c'est le club qui lui rend un vibrant hommage, à Sainte-Germaine.
34Fernand Barthe est entrepreneur en tonnellerie. Descamps est employé. Billiac occupe un emploi d'agent comptable. Larrieux est artisan plâtrier. Seul Graciet a une profession plus en vue : il est ingénieur des Arts et Métiers. En une quinzaine d'années, on peut penser que le recrutement du rugby s'est considérablement popularisé.
35Durant les années vingt, en rugby, le meilleur représentant local est sans nul doute le Sport Athlétique Bordelais. Sous la présidence de Jules Loze (patron imprimeur installé dans le quartier Saint-Pierre), le S.A.B. connaît une période faste. De 1920 à 1932, dans son ancien Stadium, puis bien installé dans son fief du « Parc de Suzon », situé tout prêt du Vélodrome de la Côte d'Argent, le S.A.B. joue les premiers rôles en championnat de France de rugby avec ses nombreux internationaux : Raoul Bonamy, Albert Dupouy, Jean Jardel, Jean Duhau, etc.
36L’esprit sportif qui anime la section de rugby du S.B.U.C. contraste nettement avec l'attitude affichée par plusieurs clubs qui opèrent également au plus haut niveau du championnat. De fait, en cette fin des années vingt, l'ambiance générale du rugby français s'est considérablement détériorée.
37Dans l'ensemble du pays, le nombre des clubs pratiquant le ballon ovale s'est fortement accru. Il est passé de quelques 280 sociétés en 1920 à 894 en 1924. Le jeu s'est popularisé en gagnant les petites villes et les bourgades. Il y a aussi gagné en vigueur ! Ces années sont d'ailleurs tristement marquées par la brutalité scandaleuse ou la moralité approximative de certains joueurs.
« La violence gagne les clubs à qui les supporters ne laissent d'autre choix que la victoire »,
38souligne l'historien Jean-Pierre Bodis (1987, p. 202-203).
39Le S.B.U.C. sait se montrer bien au dessus de ces mêlées douteuses, qui ne doivent rien à l'esprit du jeu. Fort, sans doute, de son expérience déjà respectable et de sa sobre philosophie du sport.
Une section de football bien structurére
40En ces années d’après guerre, le football (le terme d''association" tombe en désuétude) obtient de très bons résultats. Le S.B.U.C. retrouve une section importante et bien structurée dès 1919. A titre de comparaison, signalons que les patronages catholiques, qui privilégient la pratique du ballon rond, possèdent généralement entre deux et quatre équipes. Pour leur part, les Girondins disposent de trois équipes et le B.E.C. en a quatre. Le S.B.U.C. n'aligne pas moins de six équipes, durant la saison 1919-20 et la suivante, dans les divers championnats. Les équipes 4, 5 et 6 rassemblent les "jeunes" et les "benjamins" du club.
41A partir de 1919, le Stade Bordelais U.C. enregistre des succès en finale du « Championnat de la Ligue du Sud-Ouest ». En 1919-20, il est champion de la Ligue du Sud-Ouest (3 F.A.) équipes 1, 2 et 3. Il est vainqueur du Stade Toulousain (par 1 but à 0) en 1919-20 ; des Basques d'Ann Luzien (par 7 buts à 2) en 1923-24 ; des Girondins (par 3 buts à 0) en 1925-26 et du S.C. de La Bastidienne (par 2 buts à 1) en 1928-29. En outre, le S.B.U.C. parviendra deux fois en huitième de finale de la Coupe de France, dans ces mêmes années. Entre 1925 et 1930, il dispute également quelques rencontres contre de grandes équipes de clubs étrangers et contre des sélections nationales : Uruguay, Checoslovan de Prague, Amateurs de Vienne, Rapid de Prague, Stuttgart... De nombreux footballeurs du « Stade » sont qualifiés dans les sélections de la L.S.O. qui rencontrent d'autres sélections, à partir de 1920 : Ligue de l'Ouest, Ligue de Paris, Ligue de Catalogne, Ligue de Guipuzcoa, Middlesex...
Les footballeurs sont premiers de la Ligue du Sud
42En 1920, le S.B.U.C. est champion de la Ligue du Sud : Lassalle, Arnaud, Saint-Gaudens, Delor, Bonnange, Christophe, Aussel, Mimaud, Darthez, Hauret (capitaine). Le dimanche 2 mai 1920, un match France du Sud-Ouest-Catalogne rassemble plusieurs sbucistes : Aussel, Hauret, Arnaud, Delor et Lassalle.
43En janvier 1921, le « Onze » de football du S.B.U.C., "champion du Sud-Ouest 1919-20", accède au quatrième tour de la « Coupe de France ». Il est éliminé par le Racing Club de France. La photographie de l'équipe stadiste est publiée en demi-page du Miroir des Sports (no 30, 27 janvier 1921, p. 63). L'article joint rappelle que Lassalle a fait partie des 22 sélectionnés français qui ont disputé le tournoi des Jeux olympiques de 1920 (Anvers).
44L'équipe 1ère du S.B.U.C. rassemble les joueurs suivants :
« Calpena, Lautier, Aburto, Poulain. Isambert, Fort, Winter, Paquet, Saint-Gaudens, Delord, Lassalle ».
45Au tournant des années trente, au niveau national, le S.B.U.C. se signale surtout par quelques coups d'éclat. La formule du club omnisports, qui lui a permis jusque-là d’obtenir de bons résultats, n'est plus appropriée. L’amateurisme n'est plus de mise, tout au moins pour pratiquer le football avec des prétentions sérieuses au niveau du championnat national ou dans les diverses coupes inter-clubs. Les bons joueurs bordelais sont dispersés dans différents clubs locaux5 et, ailleurs, le professionnalisme est déjà de règle. En 1932, le football professionnel est officiellement institué. Dans cette discipline, la spécialisation s'impose. Le S.B.U.C. refuse cependant d'adopter la formule. Les dirigeants du rugby et ceux de l'athlétisme y sont fermement opposés. Plus tard, un autre club local se lancera dans l'aventure en 1937 : les Girondins Bordeaux Football Club.
46Ceci étant, au vu des résultats, le S.B.U.C. reste toujours le meilleur club de football engagé en Ligue du Sud-Ouest (L.S.O.). Entre 1920 et 1930, il dispute quatre des onze finales et en gagne trois. De même, à plusieurs reprises, il réalise de belles performances en Coupe de France.
47En 1923, Fernand de Zangronitz, qui dirigeait la section, cède la présidence à Roger Gomez-Vaëz. A un négociant succède un autre homme d'affaires. Le nouveau dirigeant appartient à une grande famille bordelaise. Il a de nombreux engagements dans la vie sociale bordelaise et il est le futur Président-directeur général de la Banque Gomez-Vaëz. Il reste à la tête de la commission de football jusqu'en 1928. Durant la saison 1924-25, il exerce également la charge de Président de la Ligue du Sud-Ouest. R. Gomez-Vaëz reste à la tête de la Commission de football du Stade Bordelais U. C. jusqu'en 1928. Sous sa gouverne, la section de ballon rond est particulièrement bien organisée. Elle occupe le devant de la scène dans le championnat régional mais, bientôt, le développement du professionnalisme va modifier sensiblement le classement des clubs... Cette question explique le renouvellement radical des membres composant le bureau de la Ligue régionale. Fernand de Zangronitz (S.B.U.C.), Secrétaire général durant de longues années, se retire en 1922. Henri Gasqueton (V.G.A.M.), négociant, Président de 1920 à 1924, cède la place à l'avocat Camille de Rocca-Serra (B.E.C.). Lui succède la saison suivante Roger Gomez-Vaëz (S.B.U.C.). Ensuite, à partir de 1925, commence le long règne de Roger Roujean, commerçant en articles de sports. Le ballon rond s'impose comme un sport populaire et l'idée d'un football professionnel fait son chemin, dès lors que les grands notables et négociants bordelais ne sont plus à même d'imposer leur conception du sport — et du football — amateur...
48Ce changement intervient à un moment où le socialisme municipal du député-maire de Bordeaux : Adrien Marquet est en train de s'imposer. Ce dernier est élu député S.F.I.O. en 1924 et maire en 1925. Le président Roujean, qui tient une chronique dans le journal Athlétic-Tribune Sportive, prend fait et cause pour la gauche, à l'occasion des élections municipales de 1929, tandis que l'Athlète Moderne, plus modéré, soutient la liste adverse.
Une bonne section de tennis
49Le tennis reste une section prospère, dans le courant des années vingt, sans doute un peu « fermée sur elle-même », ainsi que le regrettent les habitués de Sainte-Germaine et ceux du siège de la rue du Palais-Gallien. Elle dispose des belles installations situées sur le territoire de la commune de Caudéran, non loin des courts de tennis de la S.A.V. Primrose (à l'emplacement actuel d'une partie de la Cité Administrative). L'équipement comprend sept courts de tennis, un vestiaire et des douches, un chalet qui abrite le logement du gardien. L'entrée est située avenue de la République. La section de tennis rassemble 180 sociétaires. Si l'on s'en tient à ce critère, elle occupe le troisième rang de la Ligue, derrière la S.A.V.P. (740 licenciés) et la Section Sportive de l'Association Générale des Etudiants de Bordeaux (238 licenciés).
50Dès 1919, Neau s'affirme comme le meilleur joueur du Stade Bordelais U.C. En 1920, le club réédite son exploit de 1914 : il est vainqueur des Critériums nationaux messieurs (interclubs par équipes). A partir de 1925, une « Coupe-challenge » est disputée annuellement entre le S.B.U.C. Tennis et la S.A.V. Primrose. Le trophée mis en jeu6 est une fort belle sculpture en bronze représentant un couple de perdreaux (la passion du tennis recouperait-elle la passion de la chasse ?). L'équipe du « Stade Bordelais » ne remporte l'épreuve qu'en 1933. Le challenge est disputé pour la dernière fois en 1934.
51En 1929, Edouard de Luze préside la Commission de lawn-tennis du S.B.U.C. avec, à ses côtés, messieurs J. Neau et C. Vaquié (viceprésidents), H. Munzer, Maurice Bruneau et A. Lavalette. Neau est conjointement trésorier de la Ligue de Côte d'Argent dont le Président n'est autre qu’Albert de Luze, secondé par Daniel Lawton, vice-président.
52C'est également Neau qui va permettre au tennis de se développer à Pessac, dès 1930, sur le petit court en ciment existant au Parc des Sports de cette commune. Il fonde d'ailleurs le premier tournoi de "Pessac", avant de se retirer, deux ans plus tard. Il serait intéressant d'étudier la diffusion de cette discipline sportive au sein de l'agglomération bordelaise grâce à l'action déployée par divers ex-sbucistes.
53Nous disposons de peu d'informations concernant la section de natation. Vers 1920 Léonce Gimeaux en est toujours le Président d'Honneur, de même qu'il est Président d'Honneur du Comité de Côte d'Argent. Dans ces années, sept clubs se partagent l'effectif des nageurs de compétition. Pour l'agglomération bordelaise, le manque de piscine se fait cruellement sentir. On nage à la piscine de l'American Park (53 x 10 m) et au bassin à flot (100 x 12 m ; 1 000 mètres de longueur). Les sbucistes fréquentent également l'établissement des Bains Girondins, en Garonne, tenu par le truculent Arthur Planes. Ardichen obtient quelques bons résultats en natation et c'est le meneur de jeu de l'équipe de water-polo du Stade. Il signe ensuite une licence à la Société Bordelaise de Natation (S.B.N.) et au milieu des années trente, il s'impose comme un des meilleurs spécialistes régionaux du 100 mètres-dos avant de retrouver son club d’origine. Il deviendra président de la section dans les années d'après-guerre. Il exerce alors la profession de secrétaire au Consulat de Grande-Bretagne installé à Bordeaux.
54Dans l'ensemble, le recrutement social des nageurs est relativement populaire. Si le S.B.U.C. est affilié à l'U.S.F.S.A., rappelons que plusieurs groupements fédéraux se disputent toujours l'organisation locale de la natation.
55Le cyclisme de compétition a disparu du club, si ce n'est sous la forme du cyclotourisme et de la "randonnée", deux conceptions du "vélo" qui sont en train de prendre de l'essor un peu partout en France. Au Stade Bordelais, le plus fervent adepte du « naturisme sportif » est sans conteste l'athlétique Joachim Subercazes, né en 1897, véritable "figure" du club. Il sillonne les routes du Sud-Ouest, le long du littoral Atlantique, prêchant à qui veut l'entendre la bonne parole naturiste.
56La section de Préparation Militaire rassemble sans doute plus de 200 sbucistes. Un rapport — favorable — de la Préfecture, daté de 1922, annonce le chiffre de 300 membres inscrits à la P.M. On ne sait pas s'il s'agit en fait de licenciés sportifs suivant occasionnellement la formation militaire ou de jeunes se spécialisant dans les épreuves de préparation militaire. Les premiers doivent être à notre avis largement majoritaires.
57L'athlétisme reste une pièce maîtresse du Stade Bordelais U.C. C'est incontestablement le meilleur club du Sud-Ouest dans cette discipline7. La Fédération Française d'Athlétisme est constituée à Paris le 20 novembre 1920. L'U.S.F.S.A. a vécu. A partir de cette époque, on dispose de résultats sportifs détaillés.
Les champions d’athlétisme
58Arnaudin est champion de France du 400 mètres haies en 1921 (57 sec 8/10). Il est conjointement le capitaine de l'équipe de rugby du « Stade ». Dartigues est également champion de France du 3 000 mètres steeple en 1928 (9 min 38 sec). Cette année-là, il est sélectionné pour les Jeux olympiques d'Amsterdam et termine cinquième de la finale.
59En 1927, Dartigues était déjà vice-champion de France sur cette distance. Plusieurs sbucistes se distinguent dans le courant des années vingt. Callède (saut en hauteur) en 1921, Etchandy (saut en longueur) en 1923, Lasserre (disque) en 1928 sont également vice-champions de France dans leur spécialité. Le lanceur du S.B.U.C. Lasserre, international, obtient de bons résultats au poids (4ème aux championnats de France en 1927), au marteau (4ème en 1926, 5ème en 1927, 3ème en 1929), et au disque (3ème en 1927, 2ème en 1928, 4ème en 1929). Etchandy (longueur, 1922), Ladoumègue (5 000 mètres, 1926), Duthil (perche, 1926) et le relais 4x400 mètres : Betriat, Hameon, Schmitt, Roussillon (1928) montent sur la troisième marche du podium. Enfin. Ribot (4ème au saut en hauteur en 1922), Hourcau (4ème au 110 mètres haies en 1927), Couderc, Duprat, Schmitt et Roussillon (4èmes au 4 x 400 m en 1925), Coudire, Philibert, Couteaut, Cailleteau (4èmes au 4 x 100 m en 1926), Callède (5ème au saut en hauteur en 1924), Duthil (4ème au saut à la perche en 1924) figurent encore aux places d'honneur. Le dernier nommé participe aux Jeux olympiques de Paris (1924).
60Jusqu'au tout début des années vingt, les sauteurs du Stade Bordelais remportent diverses épreuves de hauteur et de longueur sans élan. Ils sont qualifiés pour disputer les championnats de France. Ces deux spécialités cessent définitivement de figurer au programme des réunions d'athlétisme vers 1922-1923.
61Un des meilleurs Sbucistes de la période est sans nul doute Antoine Etchandy. Il est à quatre reprises en équipe de France. Il gagne magistralement l'épreuve de saut en longueur du match France-Angleterre de 1922. A son sujet, Géo André, passant en revue les ressources vives de l'athlétisme français, note pourtant : « très bon à Bordeaux, mais irrégulier à l'extérieur ». Jusqu'au milieu des années vingt, les meilleurs athlètes du S.B.U.C. souffrent un peu de leur isolement. Géo André fait allusion à cet état de fait dans son compte rendu des championnats de France de 1922 ("les concours des championnats de France d’athlétisme", Le Miroir des Sports, 20 juillet 1922, p. 48). Par ailleurs, certains "sélectionnés" en équipe de France, n'ont pas toujours la possibilité de participer à des rencontres internationales. Prenons le cas d'Alexandre Callède, Vice-champion de France de saut en hauteur et champion inter-régional en 1921.
« Tout en suivant les cours de l'Ecole des Beaux-arts de Bordeaux, j'étais à ce moment-là sculpteur dans l'entreprise Tuffet, à Bordeaux. Celui-ci me disait toujours : "Ton sport, tu sais, petit, moi je m'en f... !" Si tu t'absentes, ça ne sera plus la peine de revenir" (...). Le lundi matin, il fallait être là, à l'heure. Les athlètes parisiens étaient avantagés, de ce point de vue ».
62Les obligations professionnelles, le temps nécessaire aux longs déplacements, l'image du sport que peuvent avoir les générations plus âgées ont sans doute limité ou même abrégé bien des carrières sportives, en province plus encore qu'à Paris.
63L'année 1924 mobilise toutes les ardeurs sportives. Les Jeux olympiques se déroulent cette année-là à Paris. La liste des athlètes qualifiés aux championnats de France permet de se faire une idée plus précise de l'importance du S.B.U.C.-Athlétisme dans le contexte aquitain. Vingt et un athlètes appartenant au Comité Côte d'Argent sont qualifiés : douze sont licenciés au S.B.U.C. Il s'agit de : Couteaut, Cailleteau, Callède, Dachary, Donat, Duthil, Etchandy, Labade, Lumeau, M. Roussillon, Segurel et Cany. Quatre sont du B.E.C. et les autres clubs représentés n'alignent qu'un seul athlète : le S.A.B., le S.C. Libournais, Austerlitz-Sports, Girondins Guyenne, et un dernier qualifié est "individuel". Pour le "grand prix des jeunes", sur neuf athlètes présentés par le Comité de Côte d'Argent, on trouve encore quatre sbucistes : Baraduc, Donat, Garbay et H. Roussillon.
Un certain Jules Ladoumègue
64En 1926, un nom fameux apparaît sur les tablettes du club : Jules Ladoumègue, qui vient de signer au « Stade Bordelais ». Cet athlète doué participait jusque-là à des courses sur route, avec un statut de "professionnel". Tout jeune, Ladoumègue a découvert la course à pied au patronage catholique Les Jeunes du Cypressat, de la Bastide (Bordeaux-rive droite) avant de se licencier à l'Union Athlétique Bordelaise, présidée par Robert Cazeaux. Ce club a également son siège à la Bastide, avenue Thiers, au Café Mazarin. Ladoumègue se distingue dans diverses courses. Remarqué par les dirigeants du Stade, ces derniers vont le convaincre de rallier le club et de reprendre évidemment le statut d'amateur. Ladoumègue rejoint ainsi la grande équipe des coureurs de fond. Il ne restera que deux saisons à Bordeaux (voir document annexe no VI, p. 179 et suivantes). Après son service militaire effectué au "Bataillon de Joinville", il devient parisien en intégrant le Stade Français. Il a eu le temps de donner au S.B.U.C. deux records de France (2 000 et 3 000 mètres) et des sélections internationales en athlétisme et en cross-country.
65La section d'athlétisme du Stade se taille de beaux succès collectifs dans divers challenges. En 1926 et 1927, les athlètes du club remportent le challenge Duvignau de Lanneau, réservé aux équipes de province. Le distingué Président de la section, James Berthereau, est un homme comblé.
66Un des plus beaux titres de gloire du « Stade Bordelais » est à mettre à l'actif des coureurs de fond dont certains vont compter parmi les meilleurs Français.
III. L'ÉQUIPE DE CROSS-COUNTRY EST CHAMPIONNE DE FRANCE (1927)
67Pendant de longues années, l'équipe de cross du Stade Bordelais va rester la meilleure du Sud-Ouest et elle connaîtra son apogée avec sa victoire en championnats de France interclubs, obtenue en 1927.
68Huc et Ségurel disputent le XVIIIème « Lemonier » au mois de janvier 1924 et le « Joyeux Bordelais » Donnat se classe quatrième du « National ». Mais on ne sut jamais si le sbuciste fantaisiste avait fait le nombre exact de tours...
« Donnat avait-il, oui ou non, couru le cross national de bout en bout ? »
69s'interroge Géo André, étonné de sa mauvaise prestation d'international, quelques jours plus tard. Dans le doute, la Fédération le sélectionna dans l'équipe de France, pour le cross des Cinq Nations, disputé à Newcastle-on-Tyne. L'"inimitable Tartarin sportif", grand chasseur de casquettes, devait se signaler par son bavardage, tout au long de la course et pour avoir perdu l'une de ses chaussures au cours de l'épreuve.
Une prestation magistrale
701927 est incontestablement la grande année du Stade Bordelais U.C. en cross. Le club enlève l'épreuve par équipe du championnat de France, devançant largement le Red Star Olympique et le Club Athlétique des Sports Généraux (C.A.S.G.). L'équipe victorieuse est composée de Lahitte (4ème), Boué (6ème), Ladoumègue (8ème), Mauriès (15ème), Dartigues (16ème), Segurel (24ème), Laborde (136ème), Cottin (168ème). Auparavant, Ladoumègue, déjà international stadiste sur 5 000 mètres, a remporté le championnat du Sud-Ouest et les Interrégionaux de cross. Le 2 avril, Lahitte et Ladoumègue contribuent au succès de l'Equipe de France, qui remporte le classement par équipe du cross des Cinq Nations (à Newport, Pays de Galles).
71En janvier 1928, les Sbucistes Boué, Lahitte et Dartigues remportent la "course des as" du cross de l'« Intran ». La France réédite son exploit par équipe, aux « Cinq Nations ». Boué, Dartigues et Lahitte se classent respectivement 4ème, 9ème et 15ème. Georges Boué a fait une grosse impression.
Stade Bordelais contre C.A. Béglais
72L'année 1929 amorce un certain déclin de la section « cross » du Stade Bordelais U.C. La victoire de G. Boué aux Interrégionaux ne doit pas faire oublier que le Club Athlétique Béglais gagne ce jour-là l'épreuve par équipe.
73Les malheurs du S.B.U.C. ont commencé par la mutation de Ladoumègue au Stade Français, celle de Dartigues aux Sports Généraux, de Lahitte appelé sous les drapeaux et du jeune Boué qui signe à l'Association Sportive du Midi... L'aîné, Georges Boué est vicechampion de France de cross-country en 1929, et Lahitte confirme son retour en forme dès janvier 1930, en enlevant le cross de « l'Auto », disputé à Vincennes. Ces deux stadistes auront été les grands animateurs de l'équipe de cross du Stade Bordelais et des épreuves de fond en athlétisme, placées sous la direction d'Albert Lacombe.
74Boué est international de cross-country en 1928, 1929, 1930 ; Lahitte en 1927, 1928, 1930, 1931, 1932, 1933. On retrouve leurs noms parmi les internationaux d'athlétisme8.
75La notoriété du Stade Bordelais dans le domaine des courses de fond et dans les épreuves hivernales de cross-country est grande. Elle suscite ainsi des vocations parmi les plus jeunes.
« Je voulais faire du fond. je décidais, à la fin de l'automne, de me rendre sur le stade du S.B.U.C., un soir d'entraînement. La saison précédente, en 1927, les crossmen du Stade Bordelais avaient enlevé le championnat de France (...). Quand j'arrivais sur le terrain de Saint-Germaine éclairé par des lanternes vénitiennes, au bout de piquets jalonnant le parcours, et tous ces athlètes qui couraient, tantôt éclairés, tantôt plongeant dans l'ombre, j'ai été impressionné, presque ému »,
76se souvient Gérard Duprat en 1984, marqué à jamais par cette vision quasi-féerique.
IV. DE NOUVELLES SECTIONS SPORTIVES AU SEIN DU S.B.U.C. (1920-1930)
77Dans le courant des années vingt, plusieurs sections vont se constituer dans le cadre du club. Certaines d'entre elles sont directement liées aux opportunités qu'offre désormais le vaste ensemble immobilier de la rue du Palais-Gallien.
78En 1920, une section de boxe (anglaise) voit le jour. Le ring est aménagé au premier étage de l'immeuble de la rue du Palais-Gallien. Osmin Lurie, le jeune frère d'Albert (champion de France, dans la catégorie poids lourds en 1913) anime la section. Une vingtaine de jeunes sbucistes participent aux activités pugilistiques.
79La culture physique est installée dans ce même immeuble. Une salle avec haltères, espaliers et appareils. Elle est utilisée par la plupart des sections du club, pour la musculation et la préparation physique des athlètes. Au fil des années, un groupe d'adeptes de la culture physique va se constituer. Il est significatif de la réhabilitation symbolique que connaît cette discipline dans les milieux sportifs, à la veille des années trente.
80L'escrime compte parmi les activités nouvellement mises en place. Un "cercle d'escrime" est fondé rue du Palais-Gallien. Il regroupe une trentaine d'adeptes dans une salle aménagée à cet effet, au rez-de-chaussée. Le recrutement est relativement aisé et cette caractéristique n'échappe pas à certains membres du club.
« Les gens de l'escrime étaient un peu à part. Les escrimeurs ne s'intéressaient qu'à leur discipline et ils fréquentaient rarement les sociétaires des autres sections du Stade »,
81souligne Gérard Duprat, licencié en athlétisme.
82Plusieurs Sbucistes atteignent en escrime un très bon niveau de compétition. L'étudiant en médecine Jacques Grondeau, qui sera plus tard adjoint au maire de Bordeaux, conseiller général et député de la Gironde, a fréquenté la salle du S.B.U.C. Il est champion de France universitaire et international dans cette spécialité.
Les pilotaris du Stade
83La pelote basque a toujours existé au Stade Bordelais, grâce aux Basques, aux Landais et Béarnais qui sont venus grossir régulièrement les rangs de la section de rugby. La vaste cour de l'immeuble du siège, avec son mur aveugle, est le théâtre de rencontres acharnées, disputées à main nue.
84Sous l'impulsion de la Fédération Française de Pelote Basque, fondée en janvier 1921, cette discipline sportive se structure rapidement au sein du club. Le premier championnat fédéral de Côte d'Argent se lient à Bordeaux en 1924. Six clubs bordelais y prennent part, dont la section du S.B.U.C. placée sous la responsabilité de M. Saint-Jours. Les rencontres en trinquet se déroulent dans l'établissement privé situé à la "barrière d'Arès", sur le boulevard. Inauguré l'année précédente, l'équipement est tenu par le Basque Séverin Barneto. Le jeu en place libre est disputé au petit fronton de l'école Saint-Genès, mis à la disposition du comité. L'équipe du Stade Bordelais s'incine en demi-finale du championnat contre le S.A.B.
85En 1926, à l'occasion du tournoi inaugurant le fronton du C.A.B., au stade de Musard, le S.B.U.C. présente une bonne équipe composée de Dorisbourg, Doyhenart et Eyartz. A la même époque, on trouve également la mention des noms de Carricaburu et de Martinon. Le Stade Bordelais ne dispose pas d'installations propres, en matière de pelote basque, mais son fameux "mur", dans la cour de l'immeuble de la rue du Palais-Gallien, est un des points de ralliement pour la pratique du « grand sport régional ».
86Ce vaste "ensemble" polyvalent, acquis par le club, qui comprend plusieurs salles d'activités sportives spécialisées, préfigure les grands équipements sportifs construits à partir des années trente, à l'initiative des municipalités. Dans ce domaine également, le S.B.U.C. a inventé à Bordeaux — et expérimenté — un type original de structure d'équipement.
Les fameux rink-hockeyeurs du S.B.U.C.
87Le patinage à roulettes et le rink-hockey sont apparus très tôt au Stade Bordelais, sans doute avant la Première Guerre, dans le prolongement des distractions de la Belle Epoque. Avant la guerre, le Skating-Palace de la rue Capdeville, somptueuse salle de 1 600 mètres carrés, est fréquentée par bon nombre de Sbucistes. Toutefois, la constitution d'une véritable section est bien plus tardive.
88Un championnat de France de rink-hockey est disputé à partir de 19109. Vers 1925, la disparition de nombreux équipements destinés au patinage à roulettes compromet le développement de ce sport. C'est alors que plusieurs dirigeants des clubs du Sud-Ouest décident de fonder une nouvelle fédération en 1926. Ceux du S.B.U.C. tiennent le premier rang pour que l'initiative aboutisse. La jeune fédération a son siège à Bordeaux. Sous l'égide de la F.F. de Rink-Hockey, le S.B.U.C. va remporter la finale du Championnat de France en 1927, 1929, 1930, 1931, 1932, 1934, 1937, 1943...
89En 1929, l'équipe championne de France est composée de Lagoardette, Legendre, Fetler (capitaine), Sabourin et Rossignol. Elle est entraînée par M. Saumabère. L'équipe se produit habituellement à l'Alhambra ou à l'American Park.
90Le Stade Bordelais contribue largement à la promotion de cette spécialité sportive très spectaculaire, surtout au plus niveau de pratique, et cependant mal connue du grand public. Camille Fetler va jouer un rôle déterminant dans les succès obtenus par la section.
91Le hockey sur gazon fait son apparition au S.B.U.C. dans le début des années vingt. A l'époque, les sbucistes s'entraînent surtout sur le terrain de la Vie au Grand Air du Médoc10, le Parc des Sports du Jard, à Mérignac. Un premier aménagement de terrain avait été tenté à « SainteGermaine » sur un terrain libre, le long de la ligne de chemin de fer, sans grand succès. Rozès, du S.B.U.C., est international en 1924. On peut en conclure que le « Stade » possède à cette époque une bonne équipe au moins de niveau inter-régional.
92Le basket-ball est introduit à Sainte-Germaine vers 192811. Des anciens de l'athlétisme fondent cette section dirigée par le populaire Amédée Hosteins. Le fait n'est pas étonnant si l'on ajoute que le basketball est rattaché à ses débuts à la Fédération Française d'Athlétisme. On retrouve les noms d'Etienne Philibert, de Lagrave, d'Alexandre Callède, etc., en 1929-30. E. Philibert est représentant de commerce en tissus pour les Etablissements J. Bazot & Cie. A. Callède est sculpteur statuaire, avec un atelier situé rue Porte Basse (et futur Professeur à l'Ecole des Beaux-Arts de Bordeaux). On le retrouve quelques années plus tard entraîneur de la section.
93Le basket-ball est probablement connu à Bordeaux dès 1917-18, grâce aux soldats américains. Cette spécialité est d'ailleurs mentionnée au chapitre "sports" dans l'édition américaine du Guide Delmas : Americans in Bordeaux (A practicle guide-book with colloquial sentences), édité en 1917. Il faut attendre une dizaine d'années avant que cette spécialité ne s'impose dans les clubs de la région.
Un grand club omni-sports
94A la fin des années vingt, le S.B.U.C. est sans nul doute le principal club omni-sports de l'agglomération bordelaise. Il ne compte pas moins d'une quinzaine de spécialités sportives. Elles sont organisées pour la plupart sous la forme de la pratique compétitive de type fédéral. Le « Stade Bordelais » rassemble environ 1 500 membres, avec une équipe dirigeante composée de deux niveaux distincts : d'une part, le comité directeur proprement dit (le Président général et son bureau élu, assistés d'une trentaine de notables bordelais et/ou de personnalités sportives), d'autre part les responsables de sections, entraîneurs et autres techniciens, à l'échelon de chaque discipline sportive. Le club possède un siège, rue du Palais-Gallien, qui abrite le secrétariat, les foyers et plusieurs disciplines sportives. Il dispose également du vaste Stade de Sainte-Germaine, au Bouscat12, où se déroulent les matches de grand jeu (rugby, football) et/ou de plein air (basket-ball), et les activités d'athlétisme et de cross-country. Il possède aussi un "stade" de tennis, à Caudéran, non loin du boulevard.
95Le S.B.U.C. semble avoir réalisé, à son maximum d'expression, le modèle du "grand club sportif" amateur.
96Pourtant, à la veille des années trente, les difficultés financières se précisent. Pour liquider ses dettes et pour faire face au coût grandissant de la pratique sportive à la charge du club, le S.B.U.C. est contraint de revendre son bel immeuble de la rue du Palais-Gallien, pour une somme dérisoire : 3 000 francs ! A l'époque, la décision suscite de vives discussions, au sein du club. Le Stade Bordelais serait-il devenu simplement un club omni-sports parmi d'autres, dans l'agglomération bordelaise ? Aujourd'hui, l'immeuble conserve encore les signes de sa destination sportive du temps jadis. L'appellation « Stade Bordelais Université Club » est gravée dans la pierre, au-dessus de l'entrée. Deux lions stadistes, sculptés dans une pose héraldique, veillent toujours sur les lieux, occupés aujourd'hui par un garage "Renault".
97Le "doyen" des clubs sportifs de Bordeaux, au palmarès impressionnant, s'apprête à fêter amèrement ses quarante ans d'existence et de succès sportifs ; un peu comme si le développement du sport contenait en lui-même sa propre négation ou comme si les lauriers sportifs engendraient inévitablement les soucis financiers...
V. LES ANNEES TRENTE : LA PRESERVATION DE L'IDENTITE STADISTE
98En France, cette décennie est jalonnée par des événements majeurs qui vont bousculer l'ordre habituel du monde sportif, en particulier celui du rugby et du football. L'histoire du S.B.U.C. recoupe en partie l'histoire plus globale du sport dans l’Hexagone.
99La concurrence, qui s'exerce localement du fait de la multiplication des clubs au sein de l'agglomération bordelaise, contrarie parfois les espérances et les ambitions des dirigeants stadistes. Par ailleurs, le nombre croissant des licenciés doublé d’un développement des spécialités sportives pose de réels problèmes aux responsables de chaque section. Sur ce point, les dirigeants du Stade Bordelais ont fait un choix qui s'avère judicieux pour assainir les finances : se séparer de l'immeuble de la rue du Palais-Gallien afin de préserver l'ensemble des installations sportives de Sainte-Germaine et les courts de tennis de Caudéran. En 1930, le secrétariat du « Stade » est installé au numéro 12 du cours de Verdun, à Bordeaux.
100« Sainte-Germaine » représente un repère majeur dans la mémoire du club autant que dans les références collectives des milieux sportifs, dans la grande agglomération bordelaise. L'ancrage géographique et symbolique du S.B.U.C. est des plus précieux dans le climat pour le moins agité des années trente. En effet, « Sainte-Germaine » représente tout à la fois l'héritage de l'époque héroïque du Stade, la continuité de l'action menée par le club en faveur du sport et la permanence de valeurs culturelles partagées.
101L'effectif du Stade se stabilise du fait de la multiplication des clubs omni-sports dans l'agglomération bordelaise. Le S.B.U.C. doit désormais affirmer sa spécificité face à d'autres associations sportives multisports : le S.A.B., le B.E.C., la V.G.A.M., les Girondins, l'A.S.P.T.T., le C.A.M. La "concurrence" entre clubs est devenue importante. Compte tenu de cet environnement nouveau, le Stade Bordelais est sur le point d'ouvrir une autre page de son histoire déjà bien remplie.
102Insistons sur quelques péripéties sportives ponctuant les années trente, quitte, peut-être, à ne pas détailler les succès sportifs obtenus par les sbucistes durant la période considérée13. La ligne de conduite fixée par les responsables du club, du président général jusqu'aux plus modestes bénévoles impliqués dans la vie des sections, permet au S.B.U.C. de ne pas vraiment souffrir des crises qui vont ébranler le sport français, et en particulier le rugby à quinze. Pour autant, les résultats sportifs obtenus par les Sbucistes ne s'en trouvent pas directement affectés.
La mise en place de l’U.F.R.A.
103Le rugby français se développe alors dans un climat plutôt malsain : violences sur les terrains de jeu, racolage des joueurs, attitudes peu recommandables de certains dirigeants... Les responsables du Stade Bordelais U.C. et ceux d'autres clubs prestigieux optent pour une solution radicale. Les équipes dont ils ont la charge font officiellement sécession de la Fédération Française de Rugby (F.F.R.) le 18 décembre 1930. Sept clubs, tous anciens champions de France, s'élèvent résolument contre la formule du championnat inter-clubs qui exacerbe les chauvinismes. Il s'agit de l''Aviron Bayonnais, du Football Club de Lyon, de la Section Paloise, du Stade Français, du Stade Bordelais U.C., du Stade Toulousain et de l'Union Sportive Perpignanaise. Ils consignent leur projet commun dans une brochure — devenue par la suite introuvable ! — intitulée : Pour améliorer le rugby Français (Imprimerie Coopérative de Bordeaux, 1930).
104Le Président général du S.B.U.C., Edouard de Luze, prend la tête du mouvement dissident. Cinq autres clubs importants ne vont pas tarder à les rejoindre au sein de la nouvelle Union Française de Rugby Amateur (U.F.R.A.) : l'A.S. Carcassonne, le F.C. Grenoble, le Biarritz Olympique, le S.N.U.C. et le S.A.U. Limoges. Les "Douze" se rencontrent dans le cadre d'un « tournoi » doté d'un challenge qui porte le nom du grand joueur du R.C.F. : Yves Du Manoir, mort dans un accident d'avion en 1928.
105Les deux fédérations rivales — l'U.F.R.A. et la F.F.R. — se combattent avec âpreté, essayant chacune, par tous les moyens, d'avoir les Anglais avec soi. La manœuvre manque évidemment de distinction... Ces épisodes assez peu reluisants de l'histoire du rugby à l'insigne du coq tricolore conduisent rapidement à l'inévitable. Les quatre Unions britanniques adressent le 13 février 1931 une résolution à la F.F.R. l'informant qu'elles rompent les relations et qu'elles les reprendront seulement lorsque l'ordre règnera à nouveau sur l'Hexagone, La France vient d'être privée de matches internationaux avec ses voisins d'outre-Manche.
106Un congrès extraordinaire placé sous l'égide de Roger Dantou, Président de la F.F.R., chef de division de la Préfecture de la Dordogne, se tient à Bordeaux le 25 avril 1931. Il ne permet pas de résoudre la question du rugby français. Par ailleurs, la grande erreur des dirigeants de l'U.F.R.A. a bien été de prendre à témoin les Britanniques pour renforcer la légitimité de la nouvelle union, en dénonçant les manquements à la règle sportive des clubs de la F.F.R.
107Jean-Pierre Bodis (1987, p. 206) insiste fort justement sur cette maladresse des dirigeants de l'U.F.R.A. coupables d'avoir porté « l'affaire » du rugby Français « où il ne fallait pas, devant les Home Unions ».
108Le rugby français prend enfin la mesure de son isolement. Mais il lui faut d'abord restaurer l'unité de la discipline, au sein de l'Hexagone. C'est par le fameux « Accord de Bordeaux », en date du 5 mai 1932, que les Douze14 amènent leur pavillon. R. Dantou et Edouard de Luze y vont chacun d'un discours très honorable. L'accord est signé à Talence, une commune de l'agglomération bordelaise, au domaine de Peixotto, une beauté architecturale dont le propriétaire n'est autre que le Président de Luze. Le 29 mai 1932, tous les clubs sont revenus officiellement dans le giron fédéral. Il s'agit désormais de donner aux Britanniques des preuves de bonne conduite.
109Comment peut-on interpréter ces événements rugbystiques et le rôle joué par les dirigeants du S.B.U.C. dans le cadre de l’éphémère U.F.R.A. ? Le toulousain Paul Voivenel donne les raisons de fond.
« Jadis les "passionnés" du rugby formaient, comme les joueurs, une certaine aristocratie. Aujourd'hui, des villes entières s'excitent avec une âme de populace »
(Mon beau rugby, 1942, p. 96).
110Il va même jusqu'à dénoncer un "rugby de muerte" ! Alors en pleine expansion, le rugby connaît une véritable mutation socioculturelle. Désormais, la discipline recrute dans des milieux assez modestes. Comme c'est souvent le cas en pareille situation, la crise de croissance s'accompagne d'une « crise » des valeurs et d'une crise d'« identité ». Diverses personnalités du monde sportif, dont le Président du S.B.U.C. Edouard de Luze, partagent ce point de vue. Ce dernier propose un programme de réforme qui part d'un constat peu contestable formulé sur la réalité sociale du sport. Ses détracteurs se gardent bien de lui porter la contradiction sur ce terrain.
111Pourtant, ils lui feront par la suite le reproche d'avoir idéalisé le passé de la discipline, au point de l'interpréter rétrospectivement comme un âge d'or, aux accents nostalgiques. Ils vont exagérément mettre en relation un idéal sportif "aristocratique", soit-disant défendu par le Président du club, avec les origines sociales aisées de l'intéressé.
112Incontestablement, le raisonnement mantiquera d'élégance. Saisir un mauvais prétexte ne fournit jamais la bonne solution à un problème ! Et c'est bien mal connaître l'effet de mobilisation collective qu'a eu l'engagement des dirigeants du S.B.U.C. sur les athlètes du club, toutes sections confondues, issus de milieux sociaux diversifiés15. En outre, cette franche prise de position a recueilli l'assentiment de plusieurs grandes équipes sportives. De même, les dirigeants successifs du club bordelais ne se sont jamais fermés les yeux sur la réalité sociale du sport de haut niveau, depuis l'époque des titres acquis en championnat de rugby. Le véritable débat reste en suspens.
113D'ailleurs, sitôt les critiques formulées dans le cadre des instances dirigeantes de la F.F.R. à l'encontre du Président de Luze sont-elles oubliées que, déjà, un schisme se dessine : l'introduction du rugby à treize en France.
L'implantation du rugby à treize
114Dès 1933, Jean Galia, un très grand joueur de rugby à quinze (ayant opéré à Quillian, puis à Villeneuve-sur-Lot), disqualifié, décide d'implanter en France cette spécialité. Le rugby à treize est officiellement consacré en France le 15 avril 1934. C'est en effet ce jour-là, au stade-vélodrome Buffalo (à Paris), qu’une équipe française dispute pour la première fois un match officiel contre l’Angleterre. Une tournée est organisée. Le S.A.B. va s'attirer les foudres de la Fédération Française de Rugby. Il possède à l'époque un magnifique terrain de sports. Son vieux Stadium a été rasé vers 1925 pour satisfaire à un plan d'urbanisme et, au tournant des années trente, les dirigeants du club se sont associés pour créer une société par actions qui leur a permis de faire construire, non loin du précédent, un stade moderne baptisé Suzon.
115Un match de rugby à treize — contre l'équipe du Yorkshire — est disputé à Bordeaux, au Stade de Suzon, loué pour la circonstance à son propriétaire M. Jules Loze, Président du Sport Athlétique Bordelais. La F.F.R. prend de sévères sanctions : radiation du Président Loze et suspension du terrain de Suzon. Contre toute attente, la majorité des sabistes, fidèle à son président, opte pour le rugby à treize. Il reste pourtant une poignée d'hommes qui restent fidèles au rugby à quinze : Jean Jardel, Labeyrie, Lescarret, Fernand Sampiéri (futur secrétaire général du club et arbitre international), Bonnin. Avec l’appui de nombreux jeunes, ils vont parvenir à maintenir le vénérable S.A.B. en première division.
116Le S.B.U.C. n'est pas directement affecté par l'apparition de cette nouvelle spécialité. Cependant, compte tenu de la voie dans laquelle s'engage le S.A.B., il risque de perdre son plus vieux compagnon bordelais, à l'emblème des trois croissants, fondé en 1892. Quant au S.A.B., il est sur le point de perdre son terrain et son âme... Il saura néanmoins se ressaisir à temps. Toutefois, l'équipe de rugby regroupant les dissidents se constitue en section autonome et prend l'appellation de Bordeaux XIII. Les treizistes conquièrent le titre de champion de France en 1937 et en 1939. Ils remportent la Coupe en 1938. Bordeaux s’impose ainsi comme un des grands foyers du rugby dissident...
117Le rugby du pays traverse une assez mauvaise passe durant ces années d'Entre-deux-guerres. Si la France compte 894 clubs de rugby en 1924, ils ne sont plus que 471 en 1939. Le Lion Bordelais a su éviter le pire dans le difficile parcours des années trente.
118Durant ces années-là, au demeurant fort mouvementées, le Stade Bordelais U.C. reste un des tout premiers grands clubs omnisports de la région. Il obtient des résultats très honorables dans les grandes spécialités.
L'équipe de rugby du S.B.U.C. revient au premier plan
119En rugby, la section est sur le point de retrouver une place d'honneur parmi les grands clubs. En 1935, l'équipe fanion rassemble les joueurs suivants : Desplans, Landes, Rozès, Figué, Lalanne, Clerc, Gouaux, Fort, Comte, Bouey, Catusse, Gibert (capitaine), Garnier, Caunègre, Rapin et Rozès. Trois saisons plus tard, l'équipe première accède aux demi-finales du championnat de France. En 1938, privé de plusieurs bons joueurs, (Gibert, Darkes, et Serres), le S.B.U.C. frôle l'exploit et ne s'incline que par 8 points à 3 devant les Perpignanais, sacrés champions de France en finale, quelques jours plus tard.
120L'équipe comprend les joueurs suivants : Samon, Chadeau, Gombaud, Rapin, Caunègre, Garnier, Guillem, Landes, Pannebiau, Figué, Dufourc, Fort, Minvielle, Seintin et Clerc.
121Cette année-là, Robert Caunègre et Rapin étrennent également leurs galons d'internationaux. Les occasions sont rares puisque la France est toujours privée de rencontres contre des équipes britanniques.
122Quelques membres de l'équipe de rugby occupent des professions importantes. Guy Rozès est négociant-importateur de vins, de liqueurs et portos. C'est probablement son père, Edmond (1877-1936), qui avait intégré le club dès 1895. Roger Gibert et André Rapin sont ingénieurs des Arts et Métiers. Comte est également ingénieur. Il occupe un poste dans l'industrie. Caunègre est un industriel. Il possède une brûlerie de café. Léo Figué est professeur de mathématiques. Après avoir débuté au B.E.C., et obtenu un titre de champion de France universitaire en 1932, Figué signe au Stade Bordelais. Par la suite, il retournera au B.E.C. en qualité de joueur, puis d'entraîneur. Garnier est docteur en médecine. Entré au Stade en 1927 pour pratiquer l'athlétisme, André Allemandou est professeur d'éducation physique. Plus tard on le retrouve médecin, installé dans la région parisienne, et responsable de la médecine du sport à la Fédération Nationale des Offices Municipaux des Sports. L'Anglais Darkes est étudiant. Landes dirige une entreprise de miroiterie. Serres est chef de service à la direction des Impôts indirects. Gombaud occupe un poste dans l'administration préfectorale. Chadeau est cadre administratif à l'hôpital. Bouey est dans la police. Fort est à l'époque cadre technique dans une entreprise de produits pharmaceutiques. Minvielle est employé dans l'entreprise dirigé par Marcel Krebs, Président de la commission de rugby du Stade. Desplans est employé par les magasins Bazot, appartenant à un autre dirigeant du club. Originaires de La Teste, en Gironde, Pannebiau et Samon sont marins-ostréiculteurs. Seintin est ouvrier, de même que Larbre.
123La composition sociologique du groupe constitué autour de l'équipe première montre une certaine prédominance des ingénieurs en poste dans l'industrie. Seul Rozès peut être considéré comme un représentant de la "grande bourgeoisie bordelaise". Il est également sociétaire de la S.A.V.P., de l'A.C.S.O. et du Golf-Club Bordelais. Grâce à son soutien financier et à ses relations au sein du monde économique local, la section de rugby du Stade affiche un train de vie confortable. Les fonctionnaires et les cadres moyens sont assez bien représentés.
124La section de rugby rassemble plusieurs employés et ouvriers en poste dans des entreprises dirigées par des responsables du club ou des sympathisants. Quelques "enveloppes" permettent à de bons joueurs d'extraction modeste d'améliorer sensiblement l’ordinaire. Et de ne pas "passer au treize" ! Diverses entreprises embauchent des joueurs du Stade. Parmi leurs ouvriers, les imprimeries Delmas emploient ainsi plusieurs rugbymen stadistes des équipes réserve. Ajoutons que pareille situation place parfois de tels salariés dans un contexte de dépendance idéologique directe par rapport au patronat. Le fait est assez caractéristique dans le climat social et politique des années trente...
125La section de rugby dispose d'une situation relativement enviable. Les résultats sportifs sont satisfaisants, et les dirigeants sont aux petits soins pour les vedettes du ballon ovale qui ont toujours contribué à la renommée du Lion bordelais. Le restaurant L'Aiglon, situé place Puy Paulin, accueille régulièrement les repas et banquets des rugbymen du S.B.U.C. Son propriétaire n'est autre que le restaurateur béarnais Foussat, beau-père de Roger Gibert, capitaine du "quinze" stadiste.
Des sections actives
126La place nous manque pour donner un aperçu détaillé des activités sportives de chaque section. Présentons toutefois quelques éléments indispensables pour l'étude.
127En football, les Sbucistes comptent toujours parmi les bonnes équipes de la région engagées en Ligue du Sud-Ouest (L.S.O.). Forts des leçons tirées à propos de l'évolution hasardeuse que prend le rugby à la même époque, les dirigeants du club refusent catégoriquement d'engager la section de football sur la voie risquée du sport professionnel.
128Roger Gomez-Vaëz s'étant retiré de la présidence de la commission de football en 1928, M. Beydts, maître-tailleur installé rue Judaïque, assure l'intérim. Quelques saisons plus tard, il est remplacé par Maurice Hauret, agent de change et futur Président général du club. Sous ses directives, la section connaît un regain de dynamisme. Maurice Roussillon est chargé de la préparation physique des footballeurs. Le suivi médical des joueurs, et plus particulièrement des jeunes, est assuré par le docteur Gérard Lacoste. Quelques "anciens", de la grande époque du Stade, dont Roger Monlezun (coéquipier de M. Hauret), permettent d'assurer la continuité. Pujol, Penetro, Capdeville, Girardeau, Delcampo, Henry Roussillon, entre autres, mettent leur expérience au service des jeunes joueurs. A la fin des années trente, la section de football rassemble un effectif important, de l'ordre de 90 licenciés, qui se répartit entre les cinq équipes engagées dans les diverses compétitions. L'équipe première évolue en division d'honneur du championnat régional et elle dispute également la Coupe de France. Deux ou trois autres équipes seniors opèrent dans le championnat des séries inférieures. Une équipe de juniors, conduite par Jacques Monlezun (futur professeur d'E.P.S. à l'Université de Bordeaux I), domine le championnat des jeunes H. Mauvillain, Guy Magne (par la suite marchand fromager aux halles des Capucins), Lassalle, etc., préparent la relève. Les responsables de la section envisagent même de constituer une équipe de minimes.
129En athlétisme, les Sbucistes figurent honorablement dans diverses compétitions, mais la concurrence des grands clubs parisiens et du Bordeaux-Etudiants-Club est devenue des plus fortes.
130En 1934, le Stadiste André Ducos (futur journaliste sportif à Sud-Ouest) participe au "400 mètres historique" du championnat de France remporté par Raymond Boisset. Deux autres Bordelais : le Béciste Skawinski et Robert Paul disputent également cette finale.
131En 1936, le S.B.U.C. gagne la première édition des « relais » de la Petite Gironde (le grand quotidien régional de l'époque). Cette course à travers la ville connaît un vif succès. Plusieurs années de suite, le public se presse très nombreux le long des boulevards pour encourager les athlètes. Sous l'occupation, ces relais deviendront des épreuves de vitesse sur piste, disputées au stade municipal, et ils seront moins populaires.
132Plusieurs noms figurent au tableau d'honneur de l'athlétisme « stadiste » des années trente : les anciens, bien sûr, avec Boué, Lahitte, Vassal, Roussillon, Morande, Krebs et Lasserre, et les plus jeunes, dont Schneider, Moulinier, Vielle, Ducos, Kornikoff, Héraud, Bernard, etc. Tous ces athlètes possèdent le niveau national ou international. C'est dire la place importante que tient toujours cette spécialité au sein du club.
133On assiste à une diversification des classes d'âge de pratiquants qui s'explique par le développement de l'éducation physique et sportive scolaire. A côté des catégories de seniors et de juniors apparaissent en 1936 celles des cadets et des minimes. Ces dernières nécessitent des éducateurs spécialisés et des programmes individualisés.


Le S.B.U.C. (journal mensuel du Stade Bordelais Université Club)
134L'équipe de hockey sur gazon est sacrée championne du Sud-Ouest à deux reprises, en 1934 et en 1938. Le Président M. Vigier, entrepreneur en bâtiment, déploie une activité soutenue pour développer cette discipline sportive. Trois équipes évoluent dans les divers championnats. De nombreux hockeyeurs se distinguent sous les couleurs du S.B.U.C. : J. Bernard, Berthet, Haget, Monchy, Beis, Léglu, Dupuy, Herry, Bousquet, Croué, Laplace, Dubois, Roland Pascarel, Rigoux, Blanloeil, Baudelin, Fournier, Bonne, Charrouin, Marot, Vigier, Thore, etc.
Le rink-hockey : un niveau européén
135La section de rink-hockey domine largement le championnat de France. Elle conquiert le titre en 1930, 1931, 1932, 1934, 1937 et même en 1943. Fetler, Legendre (plus tard sélectionneur de l'équipe de France) et l'arbitre international M. Saumadère sont responsables de la commission. Le Stade possède quatre équipes engagées dans les compétitions. Les rencontres se disputent à l'American Park puis, à partir de 1935-36, à la patinoire de la place Simiot. Ce "temple du patinage" est fondé et exploité par Camille Fetler et Marcel Legendre. Il est fréquenté par tous les club de l'agglomération dont le S.B.U.C., l'A.S.P.T.T., l'A.S.P.O.M., le Burdigala Hockey Club... Camille Fetler est cadre à la raffinerie Say, responsable du dédouanement des sucres bruts déchargés au port de Bordeaux. Marcel Legendre est rentier. Il possède une soixantaine de garages et des appartements loués à des étudiants. Sabourin tiend une droguerie industrielle située cours de la Marne. Albert Haget est agent dans une compagnie d'assurances. Comte n'est autre que le concepteur éditeur de l’annuaire des professions qui porte son nom. Robert Couturas est employé dans l'atelier paternel de carrosserie. Guy Tournoux est commerçant (quincaillerie Bejottes, place des Grands Hommes).
136A elle seule, l'équipe du « Stade » possède le niveau européen. En 1931, sur huit hockeyeurs sélectionnés pour disputer la Coupe d'Europe des nations, on ne compte pas moins de six sbucistes : Legendre, Sabourin, Fetler, A. Haget, Sebire et Comte. Camille Fetler, international, six fois champion de France avec le S.B.U.C., est le grand animateur de cette section. Il est correspondant du journal L'Athlète (puis de L'Athlète Moderne) pour la rubrique rink-hockey. En outre, il occupe la fonction de secrétaire du comité de la Fédération internationale dont les meilleures équipes européennes appartiennent à l'Espagne, au Portugal et à l'Italie.
137Certaines disciplines jadis hébergées dans l'immeuble de la rue du Palais-Gallien ont quasiment disparu. Seule la pelote basque, qui bénéficie de l'accès à diverses installations bordelaises nouvellement édifiées, échappe à cette perte de patrimoine immobilier. En 1932, Barneto fils et Dorisbourg disputent une finale du championnat national contre l'équipe de Biarritztarrak, mais ils doivent s'incliner contre les Biarrots. Cependant, à partir de 1934, cette section du Stade Bordelais se fait plus discrète. Elle perd son meilleur élément en la personne du jeune champion Barneto, qui décide de tenter sa chance comme pilotari professionnel. La section s'ouvre aux jeunes scolarisés, conformément aux directives définies par la Commission scolaire de la Fédération Française de Pelote Basque.
138Deux tendances caractéristiques de la transformation des mentalités culturelles dans le domaine du sport sont perceptibles au sein du club : d'une part l'attrait croissant pour les sports de pleine nature, d'autre part la structuration des sections sportives féminines.
L'essor des sports de pleine nature
139Plusieurs sbucistes découvrent les sports de nature, et en particulier le canoë-kayak. Maurice et Henry Roussillon, qui tiennent un important Comptoir de toiles et tentes situé rue Saint-Rémi, se spécialisent également dans la vente de matériel de camping et canoës. Bientôt, les adeptes de la pagaie, pour beaucoup des anciens champions du club, vont constituer un "groupe" reconverti dans les sports de plein air et de loisirs.
140Un autre groupe, particulièrement actif, se forme autour de la Société Nautique Bordelaise avec André Meihlan-Bordes, le docteur J. Lafage, Henry de la Tombelle, Michel de Saint-Denis, Pierre Boyreau (hockeyeur de la V.G.A.M.), Jean Samazeuilh (Tennisman de la S.A.V. Primrose), etc.
141Tous ces émules bordelais du canoë-kayak en eau vive contribuent à mieux faire connaître cette discipline sportive contrôlée jusque-là par le trop sérieux Canoë-Club de France...
142De même le cyclotourisme gagne de nombreux adeptes parmi les sociétaires du Stade Bordelais U.C. A la fin des années trente, cette activité sportive est devenue très populaire.
Les féminines du S.B.U.C.
143Les premières "sections" féminines se mettent en place à côté de celle, déjà très ancienne, du tennis : le basket-ball en 1937-38, puis le hockey sur gazon en 1939. En tennis, l'équipe féminine du S.B.U.C. remporte la version féminine des Critériums nationaux de 1936 (interclubs disputés sur terre battue). Dans les compétitions individuelles, madame Viot, mesdemoiselles Darmuse et Magot obtiennent également de bon résultats.
144Le club s'ouvre plus largement aux féminines grâce à la création d'une section de basket-ball avec, à l'origine, mesdames et mesdemoiselles Lestage (responsable et capitaine de l'équipe), Velmond, Merle, Rozier, Farail, Tapis, Ranque, Darieusec, Daubigeon, M. et L. Defrance.
145Deux ans plus tard, la section féminine de hockey sur gazon voit le jour. La première équipe inscrite en championnat régional est composée de mesdames et mesdemoiselles Lacroix (capitaine), Tersat, Gaudelon, Rousseau, Roubet, Vigier, Montagne, Tarride et des quatre soeurs Hauret...
146Le sport féminin de compétition devient une réalité sociale. Il traduit une émancipation progressive des jeunes filles. Le Stade Bordelais U.C. apporte sa contribution à ce changement dans les mentalités culturelles.
Aperçu sur la vie sociale et politique
147Quelques-uns des problèmes qui agitent le sport des années trente ont été évoqués. Il convient également de dire quelques mots du climat social et politique marquant la période considérée. La ville de Bordeaux est touchée par la crise économique internationale. Les premières difficultés sont apparues dès 1930 avec la baisse progressive des activités portuaires, commerciales et industrielles. En 1934, la situation locale devient franchement critique. L'année suivante et en 1936, plus de 5 000 chômeurs sont officiellement recensés. Réunions politiques ou syndicales, grèves, manifestations diverses mobilisent des effectifs imposants. Au mécontentement des ouvriers et à l'immobilisme du patronat s'ajoute l'inquiétude de la municipalité. Le maire de Bordeaux, Ministre du Travail dans le Cabinet Doumergue de 1934, met en route une politique de grands travaux ; il s'agit autant d'engager une politique de prestige que de résorber le chômage en ouvrant de vastes chantiers16. L'équipement sportif y tient une place importante : les piscines et le bâtiment d'éducation physique, regroupés "dans un ensemble aux dimensions grandioses", le Parc municipal des sports, le stade de La Bastide, les installations sportives de la cité universitaire...
148Les élections d'avril-mai 1936 marquent une nouvelle orientation politique du pays. Les partis de gauche demandent une politique de développement du "sport pour tous". Léo-Lagrange, né le 28 novembre 1900 à Bourg-sur-Gironde, est nommé sous-secrétaire d'état à l'éducation nationale, chargé des loisirs et des sports. Par ailleurs, la proximité géographique de l'Espagne a une incidence sur la vie bordelaise. Avec la guerre civile, les réfugiés espagnols commencent d'affluer. Ils dépassent le millier au début du mois de septembre 1936. Bordeaux est un centre de transit entre Irun et Barcelone. En juillet et août 1937, 52 000 exilés passent par Bordeaux.
149Tous ces éléments contribuent à définir un "esprit de 36" propre à Bordeaux17. Le sport n'y est pas étranger. La presse locale lui accorde une grande importance, et la foule se déplace en nombre pour chaque manifestation annoncée. L'exhibition du populaire Jules Ladoumègue, ex-sbuciste, organisée par le journal La France au moment des grèves de juin 1936, rassemble une foule immense qui se presse sur les 2 500 mètres du parcours. Le spectacle sportif n'est-il pas un dérivatif aux soucis qu'engendre le malaise économique ? En 1937, Jean Mermoz et Maryse Bastié se produisent à l'aéroport de Bordeaux. L'image de la femme sportive devient réalité.
150Le climat social, politique et économique des années trente a des effets plus ou moins directs sur la pratique des sports à Bordeaux. A la fin de la décennie, l'organisation des activités sportives est en train de se transformer. Bientôt, les diplômes du fameux Brevet Sportif Populaire contribuent à l'augmentation des effectifs de sportifs et de sportives. Le Stade Bordelais U.C. reste cependant l'un des principaux foyers de la compétition sportive, sinon le principal. Le sport féminin tend à s'imposer progressivement au sein du club.
Trois grands Présidents
151Terminons cette approche du Stade Bordelais U.C. des années trente en insistant sur un point important relatif à la direction du club.
152Durant cette période, trois présidents généraux se succèdent à la tête du « Stade Bordelais ». Entré en fonction au mois d'octobre 1923, Edouard de Luze préside aux destinées du club jusqu'en avril 1935. Son successeur est Gabriel Maderay. Un grand notable du négoce bordelais, passionné de sport, est remplacé par un industriel non moins connu. Né en 1883, G. Maderay cumule plusieurs charges de responsabilité publique, économique ou sociale : membre de la chambre de commerce, conseiller de la banque de France, Président de la Fédération de l'enseignement technique, etc. Il n'est pas pour autant issu de la grande bourgeoisie bordelaise. D’abord jeune apprenti, puis représentant, enfin patron et industriel, il a gravi tous les échelons de la vie professionnelle. Et c'est lui qui va véritablement renouer le dialogue avec la municipalité socialiste de Bordeaux conduite par le député-maire Adrien Marquet.
153Au début de son mandat municipal, en 1925, Marquet s'était montré pour le moins réservé à l'égard d'un club dont la composition du Comité directeur lui paraissait mal cadrer avec ses propres idées politiques. En outre le nouveau député-maire socialiste entend développer une politique municipale d'équipement sportif. En clair, au modèle sportif de type patrimonial, tel que l'incarne par exemple le S.B.U.C., A. Marquet souhaite substituer un modèle municipal supposant des équipements sportifs de grand rayon et des installations de proximité. Ainsi, en 1930, lorsqu'un clan se forme au sein du Conseil d'administration du Parc des Sports de Lescure, qui envisage la démolition du complexe pour en faire un lotissement, la municipalité de Bordeaux se rend acquéreur du vaste ensemble sportif. Par la suite, le maire de Bordeaux fait procéder à l'élaboration d'un plan urbain d'équipements sportifs et de réservations foncières pour la pratique des sports.
154Après un assez bref mandat, Gabriel Maderay est remplacé en juillet 1937 par Maurice Hauret, gloire sportive du club entre 1910 et 1920.
155Maurice Hauret possède une forte personnalité. Excellent sportif formé aux valeurs du Stade Bordelais, il a été le capitaine efficace de la grande équipe de football du S.B.U.C. pendant plusieurs saisons d'avantguerre. Elu Président général, il s'emploie à renforcer le rayonnement du club bordelais. Père de quatre jeunes filles en âge de pratiquer les activités sportives, Maurice Hauret est préoccupé par la question du sport féminin qui tend alors à s'affirmer en France. Il envisage résolument d'encourager l'essor de sections féminines notamment en basket-ball, hockey sur gazon et athlétisme.
La bonne image du club
156L'appareil dirigeant (par la composition du bureau directeur du club et celle des bureaux de sections) témoigne d'un recrutement qui s'opère surtout parmi des chefs d'entreprise et des négociants bordelais. A partir de 1939, la section de rugby est dirigée par M. Krebs. Ce dernier est épaulé par Régis Grenouilleau, directeur commercial, lié aux Etablissement Aurélien Grenouilleau (négoce des vins). En sa qualité de Vice-président du S.B.U.C., il a su maintenir autour du rugby du Stade un important cercle de notables et de membres honoraires. On note, par exemple, la présence de Michel Hanappier (de la Maison Hanappier, Peyrelongue et Cie, vins et spiritueux), consul de Suède depuis 1933, Richard Chapon, Directeur de La Petite Gironde, de divers commerçants des quartiers chics du centre-ville, etc., sans parler des anciennes « gloires sportives » du club.
157Le S.B.U.C. a traversé sans encombre le cap difficile des années trente. Il a su préserver son identité et garder intact l'esprit qui anime ses membres adhérents. Le Stade de Sainte-Germaine demeure comme le lieu obligé, matériel et symbolique, qui nourrit le sentiment d'appartenance à une même communauté de culture. L'écrivain-journaliste Jean Lacouture exprime bien l'émotion ressentie vers 1935 au contact de la pelouse de « Sainte Germaine ». La réminiscence des exploits de "la grande équipe" du temps passé se superpose à l'appropriation personnelle de ces prestigieux arpents. Bien des années plus tard, le souvenir reste, intact :
« (...) sur la pelouse bordelaise de Sainte-Germaine (où j'ai pour ma part, trente-cinq ans plus tard, vainement tenté de devenir trois-quarts centre), le Stade Bordelais devenait champion de France en battant le Stade Français par 5 à 3 »
(J. Lacouture, 1979, p. 33-34).
158L'expérience est sans nulle autre pareille ; elle donne une première mesure aux actes d'une vie responsable, orientée vers le futur, et elle marque aussi la fidélité à un groupe d'élection.
159Le club peut s'enorgueillir d'avoir accueilli plusieurs brillants athlètes qui ont occupé par la suite des postes de premier rang dans la vie publique, locale ou nationale. Tous ces sbucistes n'ont pas oublié la bonne ambiance du Stade Bordelais et de « Sainte-Germaine », en cette fin des années trente. Un certain Daniel Doustin commence à s'affirmer dans la ligne des trois-quarts du S.B.U.C. Il s'agit du futur Préfet de la région Aquitaine et directeur de cabinet du Premier Ministre Raymond Barre. Robert Héraud pratique l'athlétisme et le basket-ball sous les couleurs du Stade, à partir de 1939. Plus tard, on retrouve son nom dans l'équipe de hand-ball du club, championne de Guyenne. Professeur d'E.P.S., docteur en médecine, puis inspecteur général de l'E.P.S., R. Héraud sera appelé comme conseiller technique auprès de Jean-Pierre Soisson, alors secrétaire d’Etat à la Jeunesse et aux Sports.
160Il serait possible de citer d'autres personnalités. Au delà de ces quelques itinéraires biographiques, retenons simplement une grande leçon de la vie de club et de sa sociabilité sportive. Le rayonnement d'un grand club s'évalue en partie à la mesure de ses membres qui savent — ou ont su — concilier les exigences de l'esprit sportif avec celles, non moins strictes, d'une réussite sociale reconnue.
161Juillet 1939 : le « Stade Bordelais » affiche un demi-siècle d'activités et de réussites sportives. Il doit à nouveau transporter son siège en un autre lieu, situé désormais au Café Lafayette, 19 rue Mably. Les sbucistes vont s'y familiariser avec un nouveau sport : le tennis de table.
162Pourtant, les préoccupations liées à la conjoncture politique internationale n'incitent pas aux réjouissances. Le doyen des clubs français de la province entend cependant marquer l'anniversaire comme il se doit, à l'automne. Le président Maurice Hauret, Henri Délias, Paul Dabat, Jean Lubet, Henri Sainte-Marie et bien d'autres membres se concertent, à la recherche de la meilleure formule possible. Ils décident également de faire appel à la mémoire des anciens stadistes et de lancer un journal du Club18
163Le Lion Bordelais n'a pas le temps de souffler les cinquante bougies. Ses athlètes sont appelés pour se préparer à d'autres engagements, sur le front autrement plus dramatique de la guerre. La section de préparation militaire, dirigée alors par M. Bourrieu, assisté de plusieurs instructeurs et du Président — Capitaine de réserve — Maurice Hauret, va connaître une intense activité... Bien vite oubliées les bougies de la fête, puisqu'il s'agit désormais de défendre la flamme, toujours fragile, de la liberté.
Notes de bas de page
1 Sur ces aspects, une analyse de Joseph Lajugie permet d'avancer une hypothèse : "L'essoufflement de la vie économique, l'industrie et le port au lendemain de la guerre", Bordeaux au XXème siècle, Bordeaux, 1972, p. 115-141.
Pendant la guerre, "le trafic du port change de nature et voit ses courants traditionnels bouleversés" (p. 115). Pourtant, au lendemain du conflit, "le nombre de lignes maritimes desservant Bordeaux est impressionnant" (p. 137). Visiblement, les nouveaux responsables bordelais de ces entreprises ne nourrissent pas le même enthousiasme que leurs aînés à l'égard du Stade Bordelais et du rugby.
2 Nous en voulons pour preuve les "mutations" de plusieurs athlètes de bon niveau qui quittent le Peloton de l'Austerlitz Sport, les patronages d’Arlac-Sport ou des Bons Gars (de Saint-André), pour intégrer le S.B.U.C.
3 Le sport dépend encore du Ministère de la Guerre. Les sociétés sportives sont toujours soumises à l'agrément du Ministère de la Guerre, aux termes de l'instruction du 7 novembre 1908...
4 Né en 1880, Edouard de Luze appartient au « monde » des Chartrons de Bordeaux. En 1930, il va se trouver à la tête d'une véritable « croisade sportive », dont l'objectif est de retrouver l'idéal sportif dans une pratique rénovée du rugby.
5 Outre le S.B.U.C., mentionnons la V.G.A.M., la Bastidienne, les Girondins, le S.A.B., le Real Club Deportivo Espanol, le B.E.C. Dans le milieu des années vingt, le renouvellement des membres du Bureau de la Ligue du Sud-Ouest reflète la popularisation que connaît la pratique du football. Plus qu'une nouvelle génération, c'est une nouvelle mentalité sportive qui se dessine dans le football.
6 Nous sommes redevables à Daniel Lawton, Président en exercice de la S.A.V. Primrose, de cette précieuse information qui vient éclairer une époque encore mal connue du tennis bordelais.
7 Rappelons que le B.E.C. aura aussi ses titres de gloire dans l'Entre-deux-guerres avec le "règne" de Gabriel Sempé (11 fois champion de France du 110 mètres haies, de 1923 à 1933), et les performances de Skawinski, d'Etcheverry, de Jourdian.
8 Sous-officier d'aviation, Georges Boué est également champion de France militaire du 5 000 mètres en 1928 et 1931. Sérugel conquiert ce titre en 1923. Jules Ladoumègue, appelé sous les drapeaux alors qu'il est sbuciste, remporte le titre de Champion de France militaire du 1 500 mètres en 1927. Avant la guerre, d'autres sbucistes comme Labat et Hauret ont été des champions militaires.
9 A Bordeaux, en 1914, on trouve surtout mention des équipes du Hockey-ClubBordelais et du Patin Bordelais, qui se produisent au Skating Palace.
10 Le hockey est apparu d'abord à la V.G.A.M.,en 1916, grâce à l'action dévouée de Henri Gasqueton. La section possède même une équipe féminine dès 1917-18. Le club est champion de France en 1922. Fort de ses internationaux, il domine largement cette spécialité. La S.A.V. Primrose s'affirmera surtout vers la fin des années trente.
11 Les patronages catholiques bordelais disputent des rencontres de basket-ball dès 1924. Cette spécialité est déjà présente dans plusieurs grands clubs parisiens depuis 1921-22.
12 Jusqu'en 1950, le S.B.U.C. est locataire de Sainte-Germaine. A cette date, Maurice Hauret, Président général du club, permet au « Stade Bordelais » de devenir propriétaire des terrains, un an avant de quitter ses fonctions.
13 A ce sujet, le lecteur se reportera à l'excellente étude réalisée par André DUCOS : Le Stade Bordelais U.C. : an club centenaire, archives du club et La Mémoire de Bordeaux, 1990, document dactylogr.
14 Les "Douze" sont au nombre de quatorze en 1931, avec le ralliement plus tardif du Stadoceste Tarbais et de l'U.S. Narbonnaise.
15 C'est également dans ces années qu'est remise au goût du jour la célèbre « Marche du S.B.U.C. » : paroles de M.F. Lamothe, ancien vice-président du club, et musique de Jules-Louis Watelle, chef de musique du 57e R.I. de Bordeaux. Cf. p. 135. La cohésion symbolique du club est intacte.
16 Adrien MARQUET, Bordeaux, grande cité moderne, Bordeaux, Le Sud-Ouest Economique, no 256-257, mars-avril 1935 (p. 87-91).
17 MARTIAL A.-M., Le Front Populaire à Bordeaux, D.E.S. d'Histoire, Faculté des Lettres et Sciences Humaines de Bordeaux (p. 101 et suivantes). Voir également les chapitres consacrés à "La vie politique entre les deux guerres" (p. 21-50) et à "L'essoufflement de la vie économique" (p. 115-197) de l'ouvrage Bordeaux au XXe siècle, 1972.
18 Le premier numéro du SBUC (journal mensuel du Stade Bordelais Université Club) paraît effectivement en novembre 1939. Notre étude fait le lien avec la mémoire écrite du club, consignée à partir de cette date dans le mensuel du « Stade Bordelais ». Après la Seconde Guerre, le secrétariat change encore de lieu et se fixe au café Tortoni, 8 cours du 30 juillet... Autant de déménagements qui vont être fatals aux archives du club.
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