Préface
De la résilience du plan directeur
p. 12-15
Texte intégral
1Le volume Genèse de la série ABC porte à connaissance, à l’issue d’un travail de recherche de longue haleine coordonné par l’équipe ARPEGE au sein de l’ENSAPBx, les décisions politiques et les choix architecturaux qui ont présidé à la mise place d’un des plus grands campus de France sur le territoire de l’agglomération bordelaise entre 1930 et 1967.
2Gilles Ragot procède ici à une archéologie des projets qui se sont succédés au service d’un dessein ambitieux et qui ont progressivement donné naissance à un îlot de rationalité singulier au cœur d’une banlieue dont le développement fût par ailleurs avant tout tributaire de l’offre foncière et de l’accessibilité automobile et qui échappa à tout principe de composition d’ensemble au cours de la même période.
3Mené de façon systématique à partir de plans et de documents issus principalement des archives du rectorat, le travail de collecte et d’analyse effectué par l’historien pointe une multitude d’éléments donnant à lire, en filigranes, la mise en œuvre d’une politique d’aménagement du territoire qui se situe au point de convergence d’une double révolution : la première, décidée au sommet de l’État, est liée à l’avènement d’une nouvelle conception de l’enseignement supérieur résolument tournée vers le progrès et la démocratisation de l’accès au savoir1 ; la seconde, impulsée par les architectes et leurs commanditaires, renvoie à une nouvelle vision de l’architecture à la grande échelle et à l’opportunité unique offerte par le grand chantier du campus de concrétiser les principes d’architecture moderne formulés dans le cadre des CIAM2 durant l’entre-deux guerres.
4Ainsi, le projet du campus T.P.G. apparaît-il, au fil des pages du volume Genèse, comme un véritable laboratoire des pratiques contemporaines de l’architecture publique sur le territoire de l’agglomération bordelaise. Le travail de Gilles Ragot met tout particulièrement en évidence la complexité de la maîtrise d’ouvrage qui a défini les programmes et fixé le cadre de la maîtrise d’œuvre des constructions universitaires, et la diversité des postures des concepteurs qui sont intervenus à différentes étapes de la mise en place du projet d’ensemble. Restituant les allers-retours entre la démarche de composition à la grande échelle et le travail de conception à l’échelle de chaque édifice, il témoigne de l’énergie créatrice et de la générosité des intentions à l’origine des dispositifs spatiaux et architecturaux du campus T.P.G..
5De fait, en déployant simultanément dans ses grandes lignes et dans le détail le processus de gestation de l’espace du campus, l’approche historique permet d’appréhender la force et les maillons faibles de la grande utopie moderniste qui a traversé le projet dans la durée. Il permet également de comprendre la façon dont les concepteurs ont été amenés à composer avec des réalités politiques et opérationnelles mouvantes au fur et à mesure de la formalisation et de la réalisation du projet, et la manière dont leur travail a contribué à préciser, voire à infléchir, le dessein initial.
6Le volume Genèse met en outre à disposition des étudiants, des enseignants et des chercheurs un matériau unique pour capter et évaluer les résonances entre les doctrines et les pratiques architecturales et urbanistiques telles qu’elles se sont manifestées sur le territoire de l’agglomération de Bordeaux au cours d’une période qui marque un basculement de l’Art urbain vers l’Urbanisme moderne3. On identifie bien, en particulier, les étapes d’une évolution vers un nouveau langage architectural à partir du moment où le choix est fait de déplacer le campus sur le territoire de la périphérie, et le rôle déterminant que va jouer la gouvernance présidant aux destinées universitaires dans ce processus.
7Force est de constater que la voie est étroite vers l’affirmation d’une identité spatiale et architecturale du campus, du fait que les décisions de caractère stratégique reposent sur des compromis souvent difficiles entre administrations d’État, élus et techniciens locaux, et que la maîtrise d’ouvrage mobilise pour concevoir les plans à la grande échelle des concepteurs de réputation nationale dont les visions s’opposent sensiblement à celles des architectes locaux. L’histoire du projet du campus T.P.G. se trouve jalonnée de nombreux points de blocage qui ont contraint les maîtres d’œuvre à « rebondir » sur la base de logiques programmatiques de plus en plus quantitatives, mais également à formaliser certains principes d’ordonnancement spatial et architectural qui se sont avérés résistants à l’épreuve du temps.
8En revenant sur les trois grandes phases de l’évolution du plan masse directeur du campus T.P.G., correspondant respectivement au projet avorté de faculté des sciences sur le site du cours de la Marne, puis à la mise en place d’une première tranche de cette même faculté à Talence face au Château Bonnefont, et enfin au déploiement d’un ensemble englobant les facultés de droit et de lettres vers l’ouest sur près de 200 hectares, on constate qu’une figure urbaine récurrente se retrouve à chaque étape : celle d’une « nasse » orientée du centre vers la périphérie qui imprime fortement sa marque sur le territoire à l’aide de principes immuables - la trame constructive de 6m et la grille d’implantation des bâtiments orthonormée - et subit des déformations successives tout en continuant de maintenir en son sein un espace commun protégé des influences extérieures.
9Au cours de la dernière phase, on note qu’une dilatation du plan s’opère sous le double effet de l’amplification du programme universitaire et de l’extension de l’assiette foncière qui lui est dévolue. Et alors que le plan de la tranche est du campus T.P.G. se caractérise par une figure statique où les constructions universitaires massives définissent un cœur introverti, ceux des parties développées ultérieurement au centre et à l’ouest décrivent une figure dynamique où l’espacement domine et se dévide « sans lieu ni bornes4 » entre les volumes bâtis. Notons que sur l’ensemble du site T.P.G., mise à part la « coulée verte » qui traverse le site d’est en ouest, les espaces interstitiels générés par le plan seront perçus comme des vides et en grande partie affectés au stationnement au cours des quarante premières années de vie du campus. Mais la mise en place d’une desserte centrale par le tram au tournant des années 2000 va modifier le regard sur l’espace non bâti, et les étudiants architectes et paysagistes appelés à imaginer des projets dans le cadre de l’Atelier campus de l’École d’architecture et de paysage de Bordeaux entre 2008 et 2010 vont relire les figures initiales et suggérer de multiples façons de décliner les espaces interstitiels et de les connecter aux quartiers riverains en lien avec l’introduction de nouveaux services : gestion différenciée du végétal dans la percée centrale, affirmation de traversées fluides en partie médiane, enchaînement d’espaces réticulés dans le secteur ouest...
10La connaissance de l’histoire des projets qui se sont succédés sur le territoire du campus T.P.G. et le processus d’anamorphose5 mis en évidence par Gilles Ragot permet de mieux comprendre la spatialité ambigüe, entre porosité et intériorité, qui caractérise les lieux à l’heure actuelle, et elle vient corroborer les conclusions des analyses conduites dans le cadre des volumes Structures et Perceptions6. Mais à la lecture de l’ouvrage Genèse, il apparaît évident que ce sont les systèmes de trames qui ont permis de maintenir ces fragiles équilibres et ont servi de fil conducteur entre les différentes échelles de mise en place du plan sur le très vaste territoire du campus. Ces structures invisibles ont été l’objet de négociations entre les multiples acteurs impliqués dans le projet et elles se sont imposées à travers le temps comme un cadre de référence garant de l’identité de ce morceau de territoire « hors normes » au sein de la métropole bordelaise. Ainsi que les récentes constructions érigées sur le parcours du tramway7 commencent à l’esquisser, gageons que ce cadre sera pleinement pris en compte dans le processus engagé dans le cadre de l’opération campus qui vise à redéployer ce vaste territoire comme un lieu de vie composite et solidaire, en prise sur les réalités urbaines d’aujourd’hui.
Notes de bas de page
1 F. Dubet et alii, Universités et ville, Paris, l’Harmattan, 1994.
2 CIAM : Congrès internationaux d’architecture moderne, initiés en 1928 dans le but de promouvoir un urbanisme et une architecture fonctionnels.
3 « De l’Art Urbain à l’Urbanisme : Les bâtisseurs de la cité moderne », Les Cahiers de la Recherche Architecturale, avril 1981, n°8.
4 Cf. Melvin Webber, L’Urbain sans lieu ni bornes, Paris, Éd. de l’Aube, 1998.
5 Anamorphoses, Catalogue, Musée des arts décoratifs, 1976.
6 Claire Parin, Jacques Robert, Hocine Aliouane-Shaw, Stuctures. Campus Talence-Pessac-Gradignan, MSHA, 2011 ; Hélène Soulier, Sylvie Salles, Perceptions. Campus Talence-Pessac-Gradignan, MSHA, 2012.
7 Cf. les bâtiments de l’Institut d’Optique et du pôle polytechnique ENSEIRB-MATMECA.
Auteur
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