Ouverture du Colloque
p. 13-18
Texte intégral
1Nous voudrions ici, à partir de notre connaissance des cités-jardins françaises proposer quelques pistes de débat à l'ouverture de ce colloque. Il s'agit de mieux connaître la diversité et la richesse de ce patrimoine urbain européen, de sa création et de son devenir patrimonial afin de contribuer à la réflexion sur le devenir de la ville en cette fin de siècle, période de mutation profonde comme celle qui présida à la création des cités-jardins.
2Se pose tout d'abord un problème de définition du terme "cité-jardin". Cette appellation a connu dans la première moitié du siècle un succès qui dépasse l'ampleur des réalisations pour en faire une référence incontournable voire un argument publicitaire.
3Ce succès est d'abord la conséquence de ce que le terme implique de rêve de conciliation entre ville et campagne, entre modernité et tradition, entre utopie et réalité, dans une période de crise urbaine et sociale.
4Au-delà de la référence obligée de E. Howard, la cité-jardin devient une référence incontournable :
- référence critique positive chez André Lurçat qui dans les années quarante veut, avec son unité d'habitation "créer dans la ville même des cités-jardins aérées et ensoleillées mais sans les inconvénients que ces dernières doivent à leur isolement" ;
- repoussoir chez Le Corbusier qui qualifie les cités-jardins d'"utopie pré-machiniste" mais propose une "cité-jardin verticale" ;
- semblablement, l'appellation "cité-jardin" est utilisée pour valoriser des manifestes architecturaux (la cité du Werkbund de Vienne ou Pessac de Le Corbusier par exemple) ;
- le terme "cité-jardins" n'est pas une appellation contrôlée et sera ensuite utilisée indifféremment, et sans exhaustivité, pour parler de quelques barres des années soixante, d'un lotissement balnéaire ou récemment d'un ensemble golfique.
5Si le terme fut ainsi galvaudé une première approche de définition pourrait être en négatif de dire ce qu'elles ne sont pas.
- les cités-jardins peuvent être distinguées des cités ouvrières, lieux de fixation et de contrôle d'une main-d'œuvre ouvrière dans le cadre d'une stratégie patronale. Il importe cependant de n'en pas méconnaître les filiations et héritages comme le colloque le montrera ;
- les cités-jardins ne sont pas des lotissements de maisons individuelles, fussent-ils bien lotis et abondamment arborés, qui ne sont pas des opérations spéculatives. Cependant elles participent, comme eux, d'une urbanisation périphérique dans laquelle la maison individuelle joue un rôle important.
6Nous avançons ici l'hypothèse fondamentale définissant la cité-jardin comme associant un projet social et un projet urbain, dans les idées comme dans la morphologie et ce dans un contexte historique précis, s'appuyant sur des références identifiées.
7Peut-on qualifier de cité-jardins une réalisation qui ne correspondrait qu'en partie à cette définition ?
- cités patronales destinées au logement des ouvriers de l'usine maître d'ouvrage mais pour laquelle a été adoptée l'appellation et une composition urbaine et architecturale référencée aux cités-jardins ;
- cités correspondant à un objectif social proche des conceptions de Howard mais sans référence morphologique aux premières cités anglaises ;
- banlieues jardins empruntant à la fois mais partiellement au modèle au plan social comme au plan morphologique.
8Le problème de la définition est incontournable et tout ne peut être qualifié de cité-jardin. Cependant, il nous semble qu'une définition trop restrictive risquerait de clore trop brutalement la rencontre des approches.
9Ainsi, apparaît-il peut-être que, dans la tradition pragmatique et réformiste des cités-jardins, une voie moyenne puisse être recherchée, porteuse de réflexions et d'interrogation plus que de certitudes achevées. Et ce d'autant que, rappelons-le, nous cherchons aussi par la connaissance de ce passé riche et divers, à alimenter une réflexion contemporaine sur la ville.
10La référence première est à l'évidence celle de Howard. Une des grandes questions en débat dans notre colloque est précisément la place de cette référence, son rapport avec d'autres influences et avec la nécessaire adaptation aux réalités locales.
11Cette question poursuit celle de la définition si l'on considère par exemple que, à la différence du modèle théorique de cité satellite de Howard intégrant l'ensemble des fonctions urbaines productives, on a parlé avec Henri Guerrand à propos des cités-jardins françaises de "banlieue jardin" ou selon K. Burlen de "banlieue-oasis". Cette question était déjà centrale au début du siècle puisque la 8ème conférence internationale des H.B.M. demande en 1914 le dépôt de projets de lois visant à la création de "cités, villages ou banlieues jardins".
12Les cités-jardins ont été conçues au début de ce siècle pour répondre à une mutation sociale et urbaine profonde.
13Il faudrait à notre sens bien mesurer la spécificité de chaque pays d'Europe par rapport à cette deuxième révolution industrielle, particulièrement décisive dans une France tardivement urbanisée.
14Les caractéristiques principales pourraient en être ainsi schématiquement résumées :
- installation de nouvelles industries à proximité des marchés et de la main-d'œuvre urbaine, nouvelle organisation du travail ;
- crise urbaine marquée par l'expansion incontrôlée des banlieues et des phénomènes de taudification de l'habitat ancien, profonde crise quantitative et qualitative du logement ;
- mutation sociale par le début du déclin du monde rural et l'essor de ce que Gambetta appelait en 1872 les "couches nouvelles", couches moyennes urbaines.
15Les cités-jardins paraissent dans ce contexte ne pouvoir être dissociées d'une projet global de modernisation dans lequel on pourrait identifier des composantes réformistes, planistes, hygiénistes et d'initiative locale :
- réformisme d'abord parce que semble être commun le souci de transformer les sociétés des pays démocratiques en profondeur par la lutte et la négociation tout en préservant leur cohésion de ruptures brutales de type révolutionnaire ; souci en fait de préserver et de favoriser un consensus social, considérant que les membres de société sont nécessairement liés entre eux.
16Les spécificités sociales et politiques de chaque pays sont ici décisives et surgiront sans doute dans le colloque : si en France les réformistes, minoritaires mais actifs, qui sont à l'origine du mouvement se trouvent à la fois dans la gauche et la droite politique, c'est un courant social démocrate sur une ligne pluriclassiste qui domine, en particulier parmi les élus locaux. Il s'agira donc de loger avec les cités-jardins toutes les couches sociales actives et non les seuls ouvriers.
17On peut supposer que, quels que soient les objectifs initiaux, la situation d'affrontement violent classe contre classe qui prévaut par exemple en Autriche et en Allemagne n'a pas été en ce domaine sans conséquence.
- Le "planisme" traverse aussi tous les courants politiques et les références à Staline, Roosevelt et Mussolini se côtoient non sans ambiguïté, mais s'impose parmi ces modernistes ce que E. Herriot appelle en 1934 "l'impérieux besoin d'un ordre selon la science substitué aux fantaisies de la politique d'imagination ou du verbalisme démagogique". Quelle en est la part dans les différents pays étudiés dans ce colloque ?
- l'hygiénisme composante essentielle de la modernité se veut volontiers dans la première moitié du siècle efficace, rentable, planifié ; il se donne pour mission la protection du corps social qui justifie l'intervention et le contrôle dans la sphère du privé : ainsi les "infirmières visiteuses" de l'Office Public d'Hygiène et de Salubrité présidé par Henri Sellier disposent-elles d'un droit de visite à domicile sur mandat.
18Ainsi, comme le dit Hazzemann, collaborateur de Sellier, "si l'urbaniste et l'hygiéniste assainissent une cité, les travailleurs sociaux dotent la ville d'un plan de vie".
19Ici peut être ouverte d'ailleurs une piste de réflexion essentielle, celle de l'influence américaine ; il semble d'abord que le terme de Garden City apparaisse pour la première fois aux États-Unis vers 1878. On sait aussi l'enthousiasme avec lequel G. Benoît-Levy rend compte du voyage qu'il fit aux États-Unis en 1895 pour le Musée Social, et par ailleurs le rôle d'influence en France de la fondation Rockefeller. Cette influence est-elle comparable dans d'autres pays européens ?
20Rôle enfin des initiatives locales ; des élus locaux se voulant compétents (selon le modèle allemand) recherchent une légitimité scientifique primant sur la politique (Henri Sellier : "le verbe s'efface devant le chiffre"). Rôle aussi des coopérations locales (cf. Charpentiers toulousains...), voire d'un patronat moderniste local.
21Ainsi se pose donc le problème des rapports de la réalisation de cités-jardins avec les politiques étatiques dans les différents pays européens.
22Les cités-jardins apparaissent comme le lieu de convergence privilégié de ces influences.
23En regroupant et mélangeant dans des entités complètes, autonomes, identifiées, des catégories sociales variées, la cité-jardin est considérée comme un laboratoire social, un creuset de la cohésion sociale.
24C'est la poursuite du rêve conservateur de G. Benoît-Levy qui rêve en 1904.
Ainsi nous assistons à ce spectacle caractéristique ; des industriels empreints du plus pur esprit individualiste, des coopérateurs aux mœurs essentiellement solidaristes, des Trade-unionistes aux tendances de plus en plus socialistes se concertent et s'entendent pour venir défricher et habiter ce même coin de terre de Garden City qui aura du moins cet avantage sur le Paradis perdu, celui de ne pas contenir en ces jardins le serpent, esprit du mal, agent de désordre, mais de produire cette fleur belle entre toutes par laquelle on a coutume de symboliser la divine Paix Sociale.
25Dernier volet, indissociable selon nous du projet social, les cités-jardins posent le problème de l'innovation urbaine :
- d'une part, elles se veulent à partir de Howard, un projet alternatif, un modèle urbain scientifiquement élaboré et mis en place ;
- d'autre part, face à la croissance désordonnée des banlieues et à l'inadaptation des centres anciens, la cité-jardin semble souvent être devenue un instrument privilégié de restructuration des agglomérations ou de maîtrise de leur croissance. De manière fort différente : c'est le cas en région parisienne et à Toulouse.
26Dans ce cadre se pose la question décisive de l'existence ou non de politiques foncières comme condition fondamentale de la réalisation des programmes de cités-jardins : ainsi Émile Béria, président de l'O.P.H.B.M. de Toulouse, s'il considère les cités-jardins comme idéales, les trouve irréalistes par le poids de la charge foncière demandé par ce type de programme.
27En ce sens nous souhaitons soumettre au débat l'hypothèse d'un lien entre l'ampleur des programmes de cités-jardins et les politiques de socialisation ou de municipalisation des sols dans les pays européens.
28Autre question, celle du rapport avec les avant-garde architecturales, à lire en cohérence avec les objectifs sociaux des maîtres d'ouvrage.
- du refus de l'habitat de grande hauteur réservé en France au rôle exceptionnel de Beffroi à Chatenay-Malabry à la cité linéaire de Soria y Mata, ou la prédominance de l'individuel en Angleterre, quelles sont les positions à ce sujet en Europe ?
- comment peut-on interpréter le recours à des langages architecturaux divers dans les cités-jardins, du néo-rural-néo-régional au modernisme : comme une volonté de concilier modernité et tradition nationale ? ou peut-on l'attribuer à une différence de culture architecturale des concepteurs ? ou à une prise de position théorique par rapport à la modernité ?
- les cités-jardins posent aussi la question d'un rapport nouveau entre la ville et la nature, rapport maîtrisé par le dessin architectural dans une composition urbaine rigoureuse. Le rôle du jardin dans le dispositif social, idéologique et morphologique est aussi essentiel ;
- les cités-jardins posent enfin la question de la maîtrise d'œuvre :
- quels furent les rapports entre les architectes et les maîtres d'ouvrages ? On sait la mutuelle estime qui unissait Henri Sellier, élu compétent à "ses architectes", chacun maîtrisant sa partie en professionnel ;
- la conception des cités-jardins en France est très liée au travail collectif et cumulatif d'architectes spécialisés dans la mouvance H.B.M. Quels furent les modes d'exercices professionnels : agence salariée des collectivités locales ? architectes libéraux intervenant ponctuellement ? concours ?
- quels furent enfin les rapports avec les habitants, les évolutions et appropriations ?
29Ceci renvoie profondément à la question patrimoniale et à l'actualité des cités-jardins qui nous apparaissent comme un compromis entre une ville nouvelle où le concepteur s'affranchit des contraintes de la ville ancienne et le souci tant dans la composition que dans la forme architecturale de se rattacher au territoire et à une réalité locale.
30Cette introduction ne prétendait qu'ouvrir un débat, défricher quelques pistes qui nous paraissent les principales vues de France, mais que l'ensemble des interventions enrichira voire remettra en cause, c'est bien le moins que l'on peut attendre d'un sujet si riche et complexe par sa diversité.
Auteur
École d'Architecture de Toulouse
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