1. Le schéma d’armature urbaine en Gironde
p. 5-11
Texte intégral
1A la suite des travaux de J. Hautreux, R. Lecourt et de M. Rochefort1 qui devaient servir de base à une réflexion sur le schéma général de l’armature urbaine française, les responsables de la DATAR ont lancé dès 1964, une politique destinée à corriger la croissance pléthorique de l’agglomération parisienne et à renforcer l’influence de quelques grandes villes promues « métropoles d’équilibre ». Bordeaux fut choisie comme l’une des huit métropoles d’équilibre. Sa zone d’influence probable allait de La Rochelle aux Pyrénées et englobait outre les cinq départements de la région Aquitaine, la Charente maritime, la Charente et une partie du Gers2. Ces villes devaient pouvoir soutenir la comparaison avec les métropoles des pays voisins et animer la vie économique, sociale et culturelle des régions. Pour assumer ce rôle, ces métropoles ont bénéficié d’aides diverses visant à y développer les activités industrielles et tertiaires ainsi que les moyens de liaison avec les autres grandes villes ou l’étranger. Certains équipements ont été réalisés et quelques opérations d’urbanisme lancées3. Ainsi l’agglomération de Bordeaux classée comme tertiaire en 1954 et qui s’était encore tertiarisée entre 1954 et 1968, s’est industrialisée dans la période 1968-1975. La typologie des déplacements différentiels permet de placer l’agglomération bordelaise dans un processus de surtertiarisation qui accentue le poids des fonctions tertiaires pour une agglomération déjà spécialisée dans ce domaine. Cependant, il s’y ajoute des substitutions au profit d’activités industrielles en croissance, ce qui a un effet dynamisant4.
2De nombreux auteurs se sont appliqués à définir les métropoles selon des critères divers, tant économiques (fonctionnels) que démographiques (taille)5. Ainsi l’évolution démographique récente va dans le sens d’une croissance rapide des communes périphériques des agglomérations, donc d’un étalement du phénomène de métropolisation et d’une urbanisation nouvelle, alors que les grandes villes continuent à voir leur population baisser, mais à un taux ralenti et que les agglomérations immédiates composées de banlieues anciennes augmentent moins que durant la période précédente ou même stagnent6.
3Il est utile de rappeler le cadre de l’aménagement du territoire prévu pour la Gironde. Dans le schéma d’armature urbaine de 1964, où Bordeaux est définie « Métropole d’Equilibre », d’autres niveaux ont été déterminés qui correspondent à des fonctions et des logiques d’attraction et de rayonnement spécifiques. Ainsi pour la Gironde, Libourne et Arcachon ont été désignés comme centres secondaires et au-dessous Langon, Pauillac, Blaye et Ste-Foy-la-Grande comme petits centres relais. L’évolution démographique de 1968 à 1982 permet de voir comment ce schéma s’est réalisé. Sur un graphique partant en abscisses les variations annuelles de la population totale (en pourcentages) sur la période 1968-75 et en ordonnées les variations 1975-82, cinq grands types de situations peuvent être trouvés7 :
- la situation la plus favorable comprend les agglomérations à évolutions nettement positives sur les deux périodes même si la dynamique se ralentit dans la deuxième période. Ce sont : Bordeaux, St-André-de-Cubzac, Biganos, St-Médard-de-Guizières, Portets, Camblanes-et-Meynac, Martignas-sur-Jalle, Podensac, Parempuyre, Le Teich, Ambès, Castelnau-de-Médoc, St-Jean-d’Illac, Soulac, Lanton, Créon ;
- une situation « porteuse » qui regroupe les agglomérations en augmentation pour 1975-82, après une période 1968-75 moins favorable. Ce sont Arcachon, Libourne, Langon, Coutras, Lesparre, Arès, Andernos, St-Macaire, Langoiran, St-Ciers-sur-Gironde et Blaye en situation particulière ;
- une situation « fragile » qui inclut les unités urbaines à évolutions faibles ou stables sur les deux périodes et qui est représentée par Castillon-la-Bataille et Bazas ;
- une situation « préoccupante » due à des renversements brutaux : autant la croissance sur 1968-75 fut importante, autant la chute sur 1975-82 fut aussi grande, se traduisant par des taux négatifs. Elle se retrouve à Ste-Foy-la-Grande, Pauillac et La Réole ;
- une situation inquiétante avec des soldes négatifs sur les deux périodes à Cadillac.
4Le rôle polarisateur du schéma d’armature urbaine n’est pas à négliger. Il a fait apparaître autour du bassin d’Arcachon une concentration urbaine avec Andernos et Arès. Deux petits centres émergent : St-André-de-Cubzac et Coutras, qui mieux que Ste-Foy joueraient le rôle de petits centres relais. Le schéma prévoyait également trois petits centres relais : Langon, Pauillac et Blaye. Très proches de ces centres et non prévus au schéma, ont émergé St-Macaire et Lesparre. La métropolisation se renforce aussi avec l’apparition d’une troisième couronne de banlieues autour de Bordeaux et la croissance le long des axes routiers et autoroutiers Bordeaux-Arcachon, Bordeaux-Paris, Bordeaux-Toulouse8.
5L’examen de l’évolution démographique de la période 1982-1990 permet de préciser l’évolution la plus récente (tableau 1).
Tableau 1 - L’evolution des agglomerations en Gironde depuis 1975
CODE INSEE | AGGLOMÉRATIONS | VARIATION 75-90 | VARIATION 82-90 |
4 | Ambès | 0,9 | -5,5 |
5 | Andernos-les-Bains | 39,7 | 19,7 |
9 | Arcachon | 16,6 | 9,0 |
11 | Arès | 35,9 | 18,0 |
36 | Bazas | -7,8 | -6,9 |
51 | Biganos | 28,0 | 22,4 |
58 | Blaye | 9,4 | -5,0 |
63 | Bordeaux | 10,3 | 7.1 |
81 | Cadillac | -16,4 | -6,8 |
85 | Camblanes-et-Meynac | 16,2 | -1,6 |
104 | Castelnau-de-Médoc | 29,1 | 5,8 |
108 | Castillon-la-Bataille | 08, | -1,6 |
138 | Coutras | 10,7 | 5,3 |
140 | Créon | 36,2 | 13,7 |
226 | Langoiran | 14,5 | 0,8 |
227 | Langon | 12,6 | 2,3 |
229 | Lanton | 123,9 | 47,3 |
240 | Lesparre-Médoc | 26,5 | 12,9 |
243 | Libourne | 1,5 | -1,5 |
273 | Martignas-sur-Jalle | 302,5 | 53.8 |
312 | Parempuyre | 155,2 | 54.8 |
314 | Pauillac | -10,9 | -7,7 |
327 | Podensac | 20,0 | 4,3 |
334 | Portets | 16,6 | 10,8 |
352 | Réole (La) | -12,8 | -2,2 |
366 | St-André-de-Cubzac | 27,2 | 20,9 |
389 | St-Ciers-sur-Gironde | 44,5 | -0,4 |
402 | Ste-Foy-la-Grande | -6,7 | -3,0 |
422 | St-Jean-d’Illac | 158,9 | 52,8 |
435 | St-Macaire | 7,6 | 1,6 |
447 | St-Médard-de-Guizières | 12,2 | 0,7 |
514 | Soulac-sur-Mer | 16,9 | 10,0 |
527 | Teich (Le) | 65,8 | 22,4 |
Source INSEE
6Ce sont les agglomérations de Parempuyre, Martignas-sur-Jalle, St-Jean-d’Illac, et de Lanton qui présentent l’augmentation relative la plus forte (supérieure à 45 %), mais aussi un accroissement annuel très fort durant 1975-82 et 1982-90. Cela est dû à la construction massive de lotissements sur leur territoire, nécessitée par l’arrivée de nombreux migrants. Un deuxième groupe qui comprend les agglomérations du Teich, de Biganos, de St-André-de-Cubzac, d’Andernos et d’Arès, a une croissance relative au moins égale à 15 % et une croissance annuelle forte depuis 1975 et surtout depuis 1982. Un troisième groupe qui a un accroissement relatif compris entre 4 et 14 %, englobe Créon, Lesparre, Portets, Soulac, Arcachon, Bordeaux, Castelnau-de-Médoc, Coutras et Podensac. L’augmentation annuelle y est moyenne (de 0,5 à 3 %) pour les deux dernières périodes intercensitaires. Au total toutes les agglomérations du bassin d’Arcachon ainsi que les plus proches de Bordeaux sont dans les classes de plus fort accroissement. Quatre agglomérations (Langon, St-Macaire, Langoiran et St-Médard-de-Guizières) ne s’accroissent que très faiblement (moins de 0,4 % par an, depuis 1982) et ont donc vu leur position se fragiliser depuis 1982. Il est à noter que contrairement à ce qui semblait se dessiner dans la période précédente, l’axe Bordeaux-Toulouse n’a pas entraîné jusqu’ici une métropolisation poussée. Les autres agglomérations déjà dans une situation difficile dans la période précédente (hormis Blaye, St-Ciers-sur-Gironde et Libourne) ont toutes perdu de la population depuis 1982 ; ce sont St-Ciers-sur-Gironde, Libourne, Castillon-la-Bataille, Camblanes-et-Meynac, La Réole(-2,2 %), Ste-Foy-la-Grande (-3 %), Blaye (-5 %), Ambès (-5,5 %), Cadillac (-6,8 %), Bazas (-6,9 %) et Pauillac (-7,7 %). La situation de Libourne, définie comme l’un des deux centres secondaires relais de la Gironde au Schéma d’armature urbaine, est assez préoccupante puisque si l’agglomération a diminué de -1,5 %, la ville elle-même a décru de -5 % entre 1982 et 1990. Pour les 15 dernières années l’agglomération n’a inscrit qu’une croissance de +1,5 %, ce qui est faible.
7Une synthèse de l’évolution départementale pour la période 1975-1990 peut être obtenue à partir de la carte 1 représentant la variation de la population des 15 dernières années pour chacune des communes de la Gironde. Cette carte montre un effet d’agglomération à proximité de la métropole. Tout se passe comme si la métropole entraînait dans sa croissance une grande partie des autres communes du département de la Gironde. Ceci est un fait général : les zones de métropole du sud et de l’ouest de la France, favorisées par un fort excédent migratoire, ont désormais, une démographie dynamique9. Ainsi apparaissent clairement des poussées vers l’Ouest (bassin d’Arcachon et Médoc), vers le Sud (Haute-Lande girondine), vers l’Est (en bordure de l’Entre-Deux-Mers) et vers le Nord (Cubzacais et Nord du Liboumais). Seuls l’Est et le Sud-Est du département, y compris la vallée de la Garonne et celle de la Dordogne semblent complètement en perte de vitesse : ce sont des secteurs à l’écart des grands axes de circulation tant routiers que ferroviaires. Les communes du Médoc viticole, ainsi que celles du cœur de l’agglomération bordelaise (Bordeaux et les vieilles banlieues) sont aussi en diminution sensible.
Carte 1 - ÉVOLUTION DE LA POPULATION EN GIRONDE 1975-1990

Cartographie Françoise Rollan, C.E.S.U.R.B
(d’après INSEE : recensement de la population 1975 et 1990)
8Le département de la Gironde apparaît entièrement dominé par la métropole régionale, ce qui n’est pas une exception dans l’espace national, puisque les zones de métropole concentrent, en moyenne, 26 % de la population régionale et que cette part tend à augmenter10. L’effet chef-lieu serait d’ailleurs responsable de la polarisation des départements. Sur une carte représentant l’influence des chefs-lieux de département dans la monopolisation de la synergie ville-campagne, la Gironde apparaît totalement polarisée par l’unité urbaine de Bordeaux11.
9Les villes d’Arcachon et de Libourne, villes-centres des unités urbaines secondaires, sont en situation préoccupante avec des taux annuels fortement négatifs depuis 1982. De même les villes-centres des petits centres secondaires (4 sur 9 pour toute l’Aquitaine sont en Gironde) décroissent aussi nettement, sauf Langon qui se maintient A côté de ceux-ci, trois des quatre petits centres secondaires qui avaient émergé entre 1975 et 1982 (St-André-de-Cubzac, Coutras, Lesparre) ont renforcé leur position. Seul St-Macaire a du mal à se maintenir.
10La croissance démographique de la métropole bordelaise et la métropolisation du département va justement dans le sens de l’évolution rendue nécessaire par l’ouverture des frontières et ce n’est donc pas la région qui devrait en souffrir mais bien au contraire en bénéficier, puisque Bordeaux est au cœur de l’arc Atlantique et entend bien y jouer un rôle moteur.
11En effet, la mise en place du grand marché intérieur européen modifie les échelles : les régions françaises sont devenues trop étroites et faibles, les villes dispersées. Ce constat a entraîné, en juin 1990, la définition d’une nouvelle politique d’aménagement du territoire. Celle-ci doit promouvoir le développement des villes dans le but de faire acquérir aux plus importantes d’entre elles un véritable rayonnement international et de renforcer les solidarités, afin que l’ensemble des cités grandes et moyennes participe à la recomposition spatiale et démographique du territoire12.
12Une approche par grandes zones, (les « sept chantiers » d’étude), que sont le Nord, la façade atlantique, le Bassin parisien, l’Est, le Massif Central, Saône et Rhône et la façade méditerranéenne, plus vastes que les régions, ne remet pas en cause le découpage existant. Elle doit, selon la DATAR, fournir aux services de l’Etat et des collectivités, une vision stratégique homogène de l’ensemble du territoire national au regard des enjeux européens. Dans ce cadre, c’est le développement prioritaire des métropoles et l’aménagement des infrastructures de transport qui sont visés.
13Chaque ville doit fixer des objectifs à sa mesure indique toujours le Rapport présenté au nom du Conseil Economique et Social par M. Fabre. Pour les villes de la façade atlantique, il faudra chercher à valoriser leurs atouts spécifiques, notamment espace disponible et qualité du cadre de vie.
14Si Bordeaux est l’une des capitales mondiales du vin, la 5ème agglomération française par sa population, un des grands ports français de l’Atlantique, le carrefour des axes Paris-Madrid et Alantique-Méditerranée, le 2ème bassin d’emploi français de l’aéronautique, la grande cité de l’Arc Atlantique souffre de son isolement urbain dans la grande région Aquitaine et surtout de son éloignement des centres d’affaires européens (dorsale Londres-Francfort-Milan). Dans le classement « RECLUS » des villes européennes, Bordeaux n’apparaît qu’au 47ème rang, juste avant Hanovre, Grenoble et Montpellier. Pourtant ni les critères relatifs à la qualité de la vie, ni les spécificités ne sont pris en compte dans ce classement. Or les potentialités tant du point de vue recherche qu’espace sont immenses. De plus la qualité de la vie avec ses forêts, ses lacs et l’océan (qui offre des possibilités immenses aux nouveaux sports de glisse), le désenclavement de l’aire métropolitaine (TGV, nouveaux ponts...) font de Bordeaux une métropole qui doit devenir le centre de gravité de la façade atlantique13.
Notes de bas de page
1 hautreux j., lecourt r., rochefort m., 1963.
2 lajugie j., delfaud p., lacour c., 1979.
3 noin d., 1984.
4 pumain d., saint-julien t., 1978, p. 54-64 et 90.
5 baratra m., 1966 ; rochefort m., 1965 ; repusard m., 1966.
6 lacour c., 1983, p. 171.
7 lacour c., puissant s., 1985.
8 lacour c., puissant s., 1985, ibidem.
9 fontaine f., 1990, p. 18.
10 fontaine f., ibidem.
11 laurent l., 1991, p. 27.
12 fabre j., 1991.
13 fabre j., p. cité.
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