Intervention de M. Gérard Perreau-Bezouille
p. 185-188
Texte intégral
M. Gérard PERREAU-BEZOUILLE
Co-président de la Fédération Française des Clubs Omnisports (F.F.C.O.)
1Je voudrais tout d'abord remercier l'UNCU et l'USJSF de m'avoir demandé d'intervenir dans le cadre de cette 14ème Université Sportive d'Été. Pour en avoir été plusieurs années, auditeur, je connais la qualité des travaux menés ici. Vous me demandez aujourd'hui de faire un exposé alors que je m'étais préparé, avec quelques notes, pour participer à une table ronde... Aussi, connaissant la rigueur des universitaires, je plaide dès maintenant pour votre indulgence et votre écoute bienveillante. J’interviendrai donc plutôt pour préciser ma pensée, résumer les quelques idées exprimées dans le débat d’hier soir, donner quelques pistes pour définir des objectifs communs.
2Ma problématique est centrée autour du club comme outil, comme organisation, et non sur ses finalités, ses objectifs. Les mutations du sport ont été analysées, identifiées lors de précédentes U.S.E. De plus, je ne partage pas les visions trop économistes basées uniquement sur l'analyse de l'offre et de la demande d'un "produit" sportif. L'activité sportive ne peut être réduite à une prestation dans une vision par trop rationaliste, a-culturelle, a-historique, technocratique. Le sport produit du sens social, il structure. Sa forme organisée, à savoir le club, aussi. Autrement dit, la justification sociale du sport ne peut se poser uniquement en terme de rentabilité économique ou de coût d'autant que nous revendiquons qualité et compétence, et cela a un prix.
3Il y a dans la société plusieurs mouvements contradictoires : deux exemples :
- on parle de désengagement, de recul du bénévolat, mais, dans le même temps, les gens aspirent à intervenir dans tout ce qui les concerne, ils veulent être partie prenante de l'élaboration de solutions aux problèmes qu'ils rencontrent. Il en est ainsi dans le club ;
- les attentes fortes liées aux effets de la crise se traduisent par un besoin de pragmatisme, en prise avec la réalité (réponses précises, solutions concrètes) plutôt que de grandes idées ou des projets globalisés.
4Comment faire pour, dans le club et pour le club, favoriser, dynamiser, cette intervention de manière à pousser ensemble plus loin les limites du possible ?
5Je ne sais pas s'il faut un autre club, un club en mutation... ou un club revivifié ou encore un club dans le respect de ses traditions, ou un retour aux sources... mais il faut sûrement un club qui bouge, qui sorte de sa fonction "organisation des pratiques", qui s'ouvre et dialogue avec les autres, dans le sport, dans la ville, dans la société.
6Je voudrais aborder plusieurs axes de réflexion.
1. Citoyenneté / concertation
7Le club est au carrefour de politiques fédérales (d'en haut) et locales (horizontales). Mais quelle place pour les gens, les sportifs, les acteurs ?
8À mon sens, il ne s'agit pas de quitter le terrain du sport pour se consacrer uniquement à l'urgence du champ social, il ne s'agit pas d'un phénomène de mode, il ne s'agit pas seulement de valoriser les aspects éducatifs. Le sport offre déjà dans ce domaine des avancées importantes ; le club, quand il fonctionne bien, est une école de civisme, de gestion pour le bien collectif. D'ailleurs, dans bien des villes, une grande partie des élus municipaux sont issus de cette formation associative. Tout cela n'est pas négligeable.
9Mais il faut voir aussi les freins importants qui se sont développés dans le sport : cooptation, élection à plusieurs niveaux éloignant le sportif de la prise de décision... importante tradition de délégation de pouvoir... le sport est à la fois lieu et enjeu de pouvoirs.
10La citoyenneté des sportifs, c'est-à-dire leur intervention favorisée, développée, chacun dans le domaine qui le concerne, est devenue un "outil de gestion" indispensable, un levier pour débloquer les choses, pour dépasser certaines scléroses.
11Cela correspond à une aspiration forte des gens, des jeunes tout particulièrement.
12À tous les niveaux, du local à celui de l'État, le sport a besoin de débats. Débats sur ses finalités, son projet, ses moyens. Ces débats doivent aboutir concrètement à des projets. Les outils existent souvent, du C.N.A.P.S. au niveau national dont nous demandons tous ici, depuis longtemps (A.N.S. de Montpellier !) la mise en place aux Offices du Sport au niveau local.
13En ce qui nous concerne, à la F.F.C.O., nous voulons co-organiser, avec l'O.M.E.P.S de Nanterre, pour janvier 1998, une 2ème journée d'étude : "Citoyen dans la ville, citoyen dans le sport, citoyen dans le club".
14Tous ces aspects de pratique démocratique sont liés avec les problèmes de transparence car de plus en plus s'affirme la volonté de donner son avis, d'être écouté, mais aussi d'être entendu et de participer à la mise en œuvre des solutions construites ensemble.
2. Transparence / Argent dans le sport
15Il faut s'appuyer sur l'image de proximité, d’honnêteté et de respectabilité des clubs associatifs, des dirigeants (je ne parle pas de Tapie mais des bénévoles) pour redonner sens à l’action, mobiliser pour obtenir les moyens, rendre des comptes.
16On peut dire les sportifs, mais on peut dire plus largement le pays, peuvent-ils se contenter d’un budget des sports à son niveau actuel ?
3. Emploi / bénévolat, "travail" dans le sport (au sens "activité")
17Notre fédération est à l'initiative. Notre première journée d'études à Nanterre "Sport, travail, emploi "a été novatrice dans la volonté de créer les conditions d'une large rencontre des acteurs concernés.
18D'autre part, je tiens à saluer ici la mission sur l'emploi donnée par le Ministre à Yves Lair, président de la Fédération Nationale des Offices Municipaux du Sport (FNOMS), homme de terrain s'il en est.
19Plusieurs chantiers sont en cours :
- celui sur les conventions collectives auquel nous participons dans le cadre du Conseil Social du Mouvement Sportif, sous l'égide du CNOSF ;
- celui du statut — ou tout autre terme qui aboutisse à la reconnaissance de son rôle par l'attribution de moyens — du bénévole pour lequel, je crois, le Ministre se prépare à des propositions.
20Mais il faut aller plus loin : les immenses possibilités scientifiques et techniques de notre époque autorisent sans doute une nouvelle conception du travail, des activités hors temps salarié, des rapports entre ces différents temps. Tout le monde s'accorde à regretter les drames humains, l'énorme gâchis financier que constitue le chômage. Le champ sportif peut être un beau terrain d'investigation, d'expériences, pour travailler à plus long terme à un type nouveau de pleine activité, articulée autour d’une réduction significative du temps de travail, et permettant de garantir, d'organiser le passage du salarié, au cours de sa vie, dans différentes activités : emploi, formation initiale et continue, participation à la vie associative, à la formation des autres, recherche...
4. Positionnement du club, du sport associatif, par rapport aux missions de service public
21La situation française est spécifique à cet égard. Or cette originalité doit être un atout.
22À côté d'un secteur commercial envahissant, un pôle fondé sur le désintéressement, l'engagement personnel et responsable, le bien commun peut être renforcé autour des services publics concernés (ils sont plus nombreux qu'on ne le croit, d'Etat, territoriaux...) et des associations. Mais cela nécessite la clarification des rôles, places et moyens de chacun.
23Un des thèmes abordés dans la semaine évoquait un "club bon à tout faire" mais que penser du "club passoire" lié au fait que, face au recul de l'enseignement et de la découverte des Activités Physiques et Sportives à l'école, les parents inscrivent leurs enfants chaque année dans une section différente ?
24Devons-nous continuer, sous prétexte de réalisme par rapport à la situation actuelle ou pour gonfler abusivement les effectifs, pour se rendre indispensable, à cautionner des situations dans lesquelles l'enfant ne trouve pas forcément son compte ? Nous sommes réunis ici pour faire de la prospective, avec, sans aucun doute, une petite dose d'utopie. Aussi me paraît-il indispensable de répéter, de souligner le rôle essentiel de l'école, avec des enseignants qualifiés et spécialisés, puisqu'il faut bien constater les limites de la polyvalence dans ce secteur. L'E.P.S. est une composante à part entière de la culture et de l'éducation.
25Partenariats divers ? projets communs ? oui mais clarifions les responsabilités... et les financements !
26Je voulais encore aborder trois points. Je serai plus bref non parce que ces aspects ne sont pas importants, mais parce que ces axes de réflexion ont déjà été évoqués dans d'autres sessions de l'université.
5. Le rapport aux jeunes
27La place des jeunes est l'enjeu de la période pour beaucoup de structures qui doivent initier un changement "générationnel "tant dans leur fonctionnement que dans leurs formes de direction. Nous avons à réconcilier tous les jeunes avec le Sport, aider à faire apprécier ce qui peut être vécu comme contraignant mais surtout inventer, innover pour leur permettre de s'intégrer.
6. Le rapport aux pratiques de loisirs, à l"'autre sport"
28Là, je renvoie directement aux travaux de l'an dernier consignés dans l'ouvrage : "Un autre sport ?".
7. Accroître la visibilité du club
29Le club associatif dans un contexte de débauche de médiatisation, souffre d’un déficit d'image. Par delà une communication sur les performances, les résultats et faits divers techniques, il doit produire du sens : montrer sa place dans la vie locale, comme lieu d'identité, affirmer ses valeurs, afficher son éthique.
30Il y a à s'approprier les nouvelles technologies de l'information pour favoriser la circulation de l'information.
31Un club citoyen, transparent, ouvert, concerté, concertant — et déconcertant ! — communiquant, plus visible, plus attentif à ses adhérents, aux mouvements des pratiques comme de la société, à son environnement, à sa "population d'accueil" ; un club porteur et fier de ses valeurs, de sa culture, de son projet ; plus compétent, plus efficace, moins rigide et plus jeune. Un club qui parle de lui-même et des autres, à lui-même et aux autres.
32Ce club-là continuera de jouer le rôle essentiel dans le sport vivant de demain.
Auteur
Co-président de la Fédération Française des Clubs Omnisports (F.F.C.O.)
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Les sports en eaux vives
Enjeux pour le xxie siècle et les territoires
Jean-Paul Callède (dir.)
2016
Les nouvelles cathédrales du sport
Monuments du futur, emblèmes des villes et des nations ou fardeaux ?
Jean-Paul Callède (dir.)
2017
Les logiques spatiales de l’innovation sportive
Conditions d’émergence et configurations multiples
Jean-Paul Callède et André Menaut (dir.)
2007
Le sport saisi dans son évolution récente
Fidélité ou infidélité à ses fondements
Jean-Paul Callède (dir.)
2012
Du sport sans artifice au sport bionique
Amélioration ou condamnation ?
Jean-Paul Callède (dir.)
2015
Le Sport, l’Université, la Société
En finir avec les espérances déçues ?
Jean-Paul Callède (dir.)
2008