Contribution de Jean-Louis Boujon

Jean-Louis Boujon

p. 137-144


Texte intégral

Jean-Louis BOUJON

Directeur de l'Union Nationale du Sport Scolaire, Ministère de l'Éducation Nationale

1Je suis très honoré d'être parmi vous, à titre personnel et au nom de l'institution que je représente, et en même temps embarrassé parce qu'un tel sujet naturellement nécessiterait de longs exposés et de longs débats. Vous m'excuserez d'avance du caractère peut-être sommaire à vos yeux et par là, sans doute insuffisant de ce que je vais vous dire.

2Éducation... Sport, ne constituent-ils pas tout simplement le point de départ et le point d'arrivée d'une logique qui indique le sens d'une démarche culturelle et qui donne une signification à une authentique, solide et véritable éducation de l'Homme. Ne plaide-t-elle pas ainsi en faveur de son épanouissement dans une société en mouvement et en mutation ?

3Nous pourrions, sans nul doute, débattre les uns et les autres, sur ce vaste chantier, et chacun, j'en suis sûr, parviendrait à susciter l'intérêt de tous, par bon nombre d'arguments savamment éclairés.

4Mais il est bon de retenir cette sage affirmation de Napoléon Laisné :

"Tout passe dans la vie, et pour entretenir l'usage des choses, même les plus utiles, il faut les rappeler souvent à la mémoire des hommes si l'on ne veut pas en voir diminuer l'importance".

5Se poser la question de la continuité ou de la mutation à propos du club sportif, c'est aujourd'hui clairement s'interroger sur les pratiques sportives fédérales et les pratiques sportives scolaires ; c'est une manière aussi d'aborder la question sensible de la précision des identités respectives du sport civil et du sport scolaire ; c'est enfin reconnaître que le modèle traditionnel n'est plus exclusif, que de nouvelles modalités apparaissent (licences non compétitives, affiliation loisir, mode d'affiliation, carte découverte, nouvelles pratiques "écologisantes", urbaines,...).

6Des réponses sont attendues, par tous ceux qui, toujours, font l'unanimité sur les constats sans jamais faire de propositions.

7Des solutions doivent être recherchées pour recadrer les paramètres de cette situation dite de crise que l'on pourrait identifier très facilement, tellement ils reviennent fréquemment : l'argent, l'encadrement bénévole et volontaire, la gestion du temps, l'essence de sport oscillant entre loisir, compétition, performance, spectacle... Les effets se traduisant par une lente mais sournoise mutation du club pluriactivités à dominante vie associative vers le club mono-activité à dominante consommation performance.

8L'absolu, le parfait n'existent pas dans ce domaine ; seule la volonté des hommes dans l'exercice de leurs responsabilités tracera le chemin du renouveau, du progrès, du rapprochement et d'une nouvelle identité. En ce sens, ne confondons pas les époques, n'ayant pas une vue qui ne tienne pas compte de la réalité, mais créons le contexte de demain sur des bases solides, démocratiques, évolutives, ouvertes au plus grand nombre.

9En effet, c'est en assurant le passé et en laissant l'avenir ouvert que les éducateurs donnent aux enfants la possibilité la plus large d'exercer, une fois devenus adultes, leur liberté d'innover et de construire un monde qu'ils ne peuvent imaginer à leur place. Ce que les jeunes attendent des adultes, ce n'est pas qu'ils leur dictent leur conduite à venir, c'est qu'ils leur disent comment eux, les adultes, et plus généralement les générations passées, ont construit le monde dont ils héritent. Éduquer les enfants dans une utopie revient à tenter de fabriquer l'avenir, à chercher à les enfermer dans un avenir clos. C'est le propre des totalitarismes de chercher à asservir l'histoire à l'utopie. L'éducation démocratique consiste à transmettre d'abord un héritage, une tradition car l'enfant ne peut acquérir cette mémoire que par son apprentissage. Cet héritage une fois connu et assumé, permet d'accéder à la liberté que donne un avenir ouvert. En éducation, la tradition serait donc libératrice et l'utopie conservatrice. Voilà un des paradoxes éducatifs.

10Ceci ne fait qu’appuyer le sens de l'histoire, qui, dès 1888 a vu apparaître les Associations Scolaires pour la pratique du sport, puis en 1986 a confirmé dans l'article 1 des statuts de l'UNSS la nécessité d'organiser et de développer l'apprentissage de la vie associative par les élèves ayant adhéré aux AS des établissements.

11Le Sport Scolaire désigne en France le rassemblement volontaire des élèves qui, au sein de l'association multisports de leur établissement, souhaitent pratiquer régulièrement des activités physiques et Sportives sous quelque forme que ce soit.

Il occupe une position originale et privilégiée :
originale, car il est institutionnellement encadré par des enseignants, organisé et contrôlé par des fédérations particulières,
privilégiée car bien qu'occupant une place à part dans le mouvement sportif associatif, il représente encore de nos jours un "enjeu de pouvoir autour d'un territoire convoité par le sport civil".

12Sa spécificité est marquée par un double positionnement pleinement intégré au système éducatif, tout en étant ouvert à l'environnement associatif et sportif.

13Sa force réside principalement dans son attachement à une certaine idée du sport, respectueux de ses valeurs fondatrices et à l'apprentissage de la vie associative par la prise de responsabilités des jeunes.

14Sa caractéristique est, sans aucun doute, dans cette offre de pratique d'activités sportives diversifiée répondant à des buts aussi différents que la compétition, la détente, l'expression, l'entretien...

15Sa structuration s'appuie principalement sur l'AS d'établissement qui est une organisation unique, originale et ouverte à tous, susceptible de :

  • répondre aux demandes des élèves ;
  • offrir des APS variées dans des formes adaptées durant toute l'année scolaire ;
  • permettre à tout élève d'atteindre son meilleur niveau de pratique ;
  • favoriser la prise de responsabilités ;
  • jouer la carte de l'ouverture de la communauté éducative sur la cité.

16L'AS est non seulement un lieu de pratique, mais aussi un centre de vie où l'on échange, où l'on communique, où l'on vient à la rencontre de l'autre. À ce titre, elle peut constituer un élément de la formation d'une identité sociale, un régulateur des phénomènes de société, au regard de la cohésion sociale.

17C'est pourquoi, il faut toujours avoir à l'esprit le rôle que doit jouer l'AS dans un établissement et qui en fait sa spécificité :

  • l'AS répond-elle à la mission de service public qui lui est confiée ?
  • l'AS forme-t-elle à la vie associative ?
  • l'AS permet-elle l'accès à une culture sportive ?

18Enfin, l'AS se doit, plus que jamais, de s'ouvrir sur son environnement :

  • pour offrir au plus grand nombre de jeunes une organisation cohérente de la pratique sportive ;
  • pour organiser la complémentarité de tous les acteurs concernés au plan local et éviter la concurrence ;
  • pour optimiser l'ensemble des moyens humains, financiers, matériels, chacun limitant autant que possible son rôle à son champ de compétence ;
  • pour permettre l'utilisation prioritaire des équipements sportifs le mercredi après midi, l'AS étant une composante de la vie sportive locale.

19Ainsi sur la base de recommandations minimales, des conventions pourront être signées avec la collectivité locale et / ou les partenaires du mouvement sportif précisant :

  • les conditions du partenariat ;
  • le respect des champs de compétences ;
  • les aides matérielles ;
  • la disponibilité des installations ;
  • les initiatives communes...

20Les enseignants d'EPS seront alors les garants de l'ouverture de l'AS, de la qualité de l'encadrement et du contenu des activités.

21organisons la complémentarité

22évitons la concurrence

23marquons nos actions du timbre de l'éducation

24garantissons l'encadrement par la formation

25Le Sport Scolaire est riche de son histoire par le cheminement de la pensée collective et la permanence des valeurs et des principes dont l'œuvre commune tire sa force. Ouvrir des voies nouvelles pour l'avenir, en tenant compte du temps qui passe et du contexte qui change, constituera, j'en suis convaincu, le meilleur choix pour éviter l'immobilité, voire la régression.

26Le projet national de l'UNSS, adopté à l'unanimité par l'Assemblée Générale du 20 Mai 1996 à Paris, a fixé le cadre dans lequel doivent s'inscrire les orientations de notre Union.

27Ce texte de portée générale a délibérément pris le parti d'approfondir la réflexion sur l’avenir et l'évolution du Sport Scolaire dans le contexte de la déconcentration, de la décentralisation et de l'évolution du système éducatif.

28Il ne s'agit plus de s'arc-bouter sur le passé. Il faut redéfinir notre bien commun sans prendre de position qui soit nostalgique ou défensive. Aujourd’hui, plus que jamais, l'innovation pédagogique est une exigence. Pour s'adapter à un nouveau public, à ces enfants et à ces adolescents différents, parfois en grande difficulté, il reviendra aux enseignants de développer de nouvelles attitudes se situant indistinctement sur les trois pôles de l'UNSS : Animation - Formation - Compétition. Les méthodes étant laissées à la discrétion de l'enseignant dès lors qu'elles respectent les objectifs et les orientations nationales, il est nécessaire de rappeler que la réalité de la pratique sportive n'est pas exclusivement la compétition dans sa forme traditionnelle.

29L'Education Physique et Sportive est une voie, l'Association Sportive une autre, différente, les deux concourent, chacune avec leurs moyens propres, à atteindre les buts généraux de l'Education. En ce sens, l'AS permet aux objectifs assignés à l'enseignement de l’EPS de mieux se réaliser.

30Et si, réussir n’était pas la seule voie qui s'imposait à nous pour que vive et perdure l'UNSS et le Sport Scolaire à l'approche du 3ème millénaire.

31L'UNSS entend ainsi assurer son avenir et répondre à l'attente de tous ceux qui se reconnaissent dans cette démarche sportive originale et spécifique.

32N'est-ce pas ici le rôle d'une école rénovée que, de compter avec sérieux et sans réserve, sur l'EPS et l'AS pour préparer les jeunes à la compétition de la vie en forgeant leurs mentalités en conséquence et en leur inculquant le respect des règles et des autres ? Dans une école où l’individualisme est roi, alors que l'époque exige le travail d'équipe, quelle autre discipline privilégie autant le travail collectif ? Aucune, sans doute.

33Mais que peut signifier "Sport Scolaire" ? Nullement la scolarisation d'une pratique, bien plus l'adaptation des pratiques sportives aux modalités voulues par les jeunes, adaptation qui correspond aux désirs de convivialité, d'échanges, de multi-activités visant aussi bien à l'initiation, à la découverte, à la compétition, aux loisirs, à l'entretien... Enfin, l'AS et la pratique sportive, noyaux durs de la formation civique et du développement personnel devraient constituer la passerelle vers une citoyenneté active dans le cadre de pratiques au sein de la cité... (programme Jeunes Officiels).

34Reste un problème toujours d'actualité : comment organiser dans la pratique et de manière cohérente, cette éducation sportive ? Car la vieille opposition entre l'école et le club demeure vivace : à l’un, le sport, à l'autre l'EPS. Les prérogatives des uns et des autres constituent toujours un obstacle, si ce n'est un blocage.

35Dans un contexte général qui évolue en permanence, la question du Sport dans et hors de l'école impose à ceux qui en ont la responsabilité une adaptation qui, en aucun cas, ne veut dire abandonner les principes, les valeurs de référence qui fondent notre action, mais plutôt comprendre les mutations qui caractérisent notre époque.

36Énoncer ceci en préalable, c'est reconnaître l'absolue nécessité pour le sport à l'école de mieux se définir et de répondre par une identité plus forte aux enjeux de notre temps en explorant toutes les voies du souhaitable, du possible et du réalisable.

37Crise d'identité ? Peut-être. À rapprocher de la crise actuelle des valeurs ? Sûrement. Les structures sont-elles encore adaptées ? Ne rentrent-elles pas dans un ensemble si complexe au niveau des enjeux qu'elles ne perçoivent plus l'intérêt de leurs actions ? L'homme, bien qu'étant au centre de nos préoccupations, n'est-il pas souvent pris en otage ? Le sport, comme tout fait social, doit demeurer une création perpétuelle des hommes qui le pratiquent et l'organisent. Il revient à l'éducateur de définir les formes d'un sport éducatif en gardant ce qu'il y a d'essentiel dans le sport et qui a contribué à son évolution.

38Sans aucun doute, le concept du sport à l'école a souffert durant de longues années d'un positionnement ambigu, voire d'une représentation populaire, qui en faisait l'objet d'une discipline d'enseignement obligatoire donné durant le temps scolaire dans un espace réservé. Le cadre, c'est l'institution scolaire ; l'encadrement, ce sont les enseignants ; le public, ce sont les élèves ; on reste très scolaire avec tout ce que ce mot peut comporter aux yeux d'un environnement qui voit dans ce public un territoire convoité représentant à coup sûr un enjeu de pouvoir ; certains en parlent même d’une manière par trop péjorative, le prenant davantage pour un sous-produit d'un sport fédéral plus valorisant et plus identifiant, sous-évaluant à l'évidence sa valeur éducative.

39Il n'en reste pas moins que le sport ne peut plus être considéré comme un phénomène marginal dans notre système d'enseignement et que l'école est appelée à jouer un rôle essentiel pour favoriser l'éducation sportive de tous les enfants.

40Élément fondamental de l’éducation, de la culture et de la vie sociale, il est reconnu aujourd'hui que les activités physiques et sportives constituent un facteur important d'équilibre, de santé et d'épanouissement de chacun.

41C'est pourquoi nous somme convaincus que le sport à l'école peut occuper une place privilégiée en permettant, non seulement l'accès des jeunes aux responsabilités, mais aussi l'apprentissage de la vie sociale par les élèves, et enfin l’investissement des enseignants dans l’organisation de la vie associative. C’est dans ce cadre-là que le système éducatif générera l'apprentissage de la citoyenneté. C'est grâce à cette vie associative que les jeunes découvriront les valeurs indispensables à la vie de tous les jours. C'est cette voie qui les conduira à devenir propriétaires de leur avenir au-delà de l'école.

42Phénomène socio-culturel le plus important de notre époque, le sport ne cesse de nous interpeller au prétexte que certains n'hésitent pas à rappeler que notre pays n'a pas de culture sportive. Faut-il y voir l’effet d'une pesanteur culturelle, d'une allergie idéologique au sport, à la rémanence inavouée d'un dualisme millénaire ?

43Si la culture est un ensemble de comportements acquis par l'homme au sein d'une société donnée, comportements qui lui sont transmis par elle et grâce auxquels il s'adapte au milieu extérieur et au milieu humain, alors l'Education Physique doit être enseignée parce qu’elle agit sur l’individu conçu dans sa totalité et contribue en l’aidant à s'épanouir physiquement, intellectuellement et moralement.

44Si l'on voit dans le couple Education-Culture, deux moments du processus grâce auquel l'individu parvient à la fois à construire son autonomie et à s'insérer dans son milieu de vie en participant à des pratiques sociales reconnues, alors la problématique du sport est incluse dans celle de la culture. À ce titre, le sport véhicule et incarne des valeurs qui contribuent à construire le monde et les représentations des jeunes d'aujourd'hui.

45Dans ces conditions, le sport à l'école doit se poser un certain nombre de questions fondamentales qui, si elles restaient sans réponse ferme, ouvriraient ce champ à des perspectives douloureuses.

46Quelle doit être la signification précise du sport dans le système éducatif ? Son utilité est-elle reconnue ? Est-il considéré à sa juste valeur par les différents partenaires de la communauté éducative ? Est-il reconnu dans ses fondements en dehors de l'école ?

47En répondant solidairement à ces questions, nous entendons ainsi donner une véritable dimension publique au sport à l'école.

48Face aux mutations qui ont pris corps ou se profilent, des voies vont s'imposer et la mission qui nous incombe aujourd'hui n’est pas seulement de recueillir un héritage mais de le faire fructifier en essayant de cerner tous les possibles de la pratique sportive et de dépasser la vérité d’hier.

49Les désirs d’appropriation manifestés ici et là ne témoignent-ils pas de la richesse de cet outil ?

50À l’heure où l'argent, la violence et le dopage portés par les médias en haut de l'affiche, constituent autant de fléaux contre lesquels le sport doit lutter, affirmons haut et fort la nécessité de maintenir, voire d’accroître les moyens d'une véritable éducation sportive des jeunes et de conforter dans ses missions le sport scolaire, véritable prolongement de l'EPS, accessible à tous.

51À l’heure où l'on constate la multiplicité des objectifs assignés au sport, et par voie de conséquence la multiplicité des partenaires, affirmons haut et fort notre identité et notre unité sans rejeter toute complémentarité, fruit de notre volonté d'ouverture. Mais il ne faut jamais oublier que dans le domaine du sport, tout dépend de l'usage qu’on en fait, des mains dans lesquelles il se trouve, de la forme sous laquelle il est pratiqué.

52Plus que jamais, réaffirmons le sens de notre devoir envers les jeunes par la pratique sportive : c’est inscrire les enseignants d'EPS dans la culture sportive contemporaine et donner au sport scolaire une dimension publique.

53N'est-il pas nécessaire d'anticiper et de diriger le sport dans et hors de l’école sur une voie où il pourra prendre tout son essor ?

54Le sport doit occuper la place qui lui revient dans l'ordre des valeurs. Cette place est primordiale, elle est celle de l'avenir. Il y va de l'avenir sportif de notre pays, il y va aussi de la santé morale et physique de notre population.

55"N'entrons pas dans l'avenir à reculons" (Paul Valéry) à condition d'"aller à l'idéal et de comprendre le réel" (Jean Jaurès).


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