Débats
p. 58-62
Texte intégral
Jacques Marchand
1Je rappelle brièvement comment nos travaux sont organisés. En fin de séance, Jean-Paul Schneider présentera la synthèse de ce débat, mais dès maintenant nous devons nous prononcer sur les définitions des thèmes donnés par nos deux conférenciers, et vous pouvez évidemment apporter soit des témoignages ou des compléments d'information, soit poser des questions ou formuler des critiques.
Jean-Pierre Lefebvre,
Directeur du SUAPS de l'Université de Rouen
2Je voudrais simplement poser une question qui est aussi une remarque. Monsieur Michel Clare, tout à l'heure, nous parlait d'abandon de méthodes naturelles, en posant la problématique de ce rapport à l’environnement comme le témoignage, peut-être, d'un abandon, du renoncement d'un contact plus large à la nature. Il semble que cela pose des problèmes plus larges sous l'angle nature culture. Les professeurs d'éducation physique que nous sommes, pour beaucoup d'entre nous, n'ont pas échappé à l'évolution des savoirs qui nous ont fait un peu abandonner ces méthodes naturelles. C'est vrai ! Mais, aujourd’hui, on retrouve la musculation naturelle, dans les jambes par exemple, etc. On y revient peut-être aussi dans le respect des cycles naturels de récupération. Pour lutter contre le dopage, on passe à 120 jours de course au lieu de 250 dans le cyclisme, par exemple ; c'est une manière de revenir à la nature. Je ne vais pas désigner des coupables, mais les journalistes et les architectes me paraissent avoir leur part de responsabilité : les journalistes qui ont déniché ces grands champions et qui les ont mythifiés, les architectes, qui ont inventé des espaces spécialisés, hyperfonctionnels.
Jacques Marchand
3Les intervenants vont répondre aux questions qui ont été posées. Il y en a une qui concerne la presse. J'y réponds tout de suite avant de passer le micro à l'un des conférenciers.
4Hélas, nous sommes parfois, nous les journalistes, des assassins. C'est vrai que la presse pousse un peu à la consommation de l'exploit, mais la presse est loin d'être seule responsable. Il y a un besoin de la société et je dois dire que ce sont d'abord les institutions sportives qui poussent à la consommation. La répétition des rencontres et la répétition des exploits répondent tout simplement à un besoin économique et de rentabilité. On charge les calendriers. Aujourd'hui c'est celui du basket-ball qui est révélateur du processus. Là où on devrait faire un match, on en programme trois, quatre et même cinq parce qu'il faut multiplier les recettes. Les besoins ont augmenté, il est vrai que nous avons tous poussé à la consommation de l'exploit spectaculaire, y compris les journalistes, c'est vrai parce que les journalistes font partie du fameux "triangle diabolique", à savoir le "sponsor", le "média" et L'organisateur", que les trois marchent ensemble, et qu'il y en a toujours un qui entraîne les deux autres, et qu'inévitablement l'organisateur a besoin du média pour valoriser son événement et pour que le troisième partenaire, c'est-à-dire le sponsor, soit intéressé par l'événement, il faut qu'il soit valorisé par le média. Et c'est le cercle infernal. Le média a besoin lui d'événements, il a donc besoin de compétitions et il soutient le sponsor, parce que le sponsor à son tour soutient le média en lui apportant sa publicité. C'est vrai, en particulier avec la télévision. Depuis que la télévision est entrée dans le jeu, elle a accéléré considérablement ce système, et puis il y a ce que vous évoquiez tout à l'heure ; le problème des athlètes auxquels on demande quelquefois plus qu'on ne devrait. Vous avez parlé de cyclisme, c'est vrai que le cyclisme a été, vous le savez, l'un des premiers sports atteint par le dopage. Il a été normal que les premières réactions viennent du cyclisme, et je vous assure que le terme "nous sommes tous des assassins", encore une fois est une image, et une image un peu exagérée. Mais c'est aussi un terme justifié, et je l'ai utilisé pour les organisateurs du Tour de France. On ne peut pas reprocher à des gens de se doper et en même temps multiplier les étapes, les épreuves et les rendre de plus en plus longues et difficiles. Inévitablement pour suivre l'escalade, l'athlète est obligé de faire appel au dopage. Ce qui pose un problème aux organisateurs qui sont responsables. Voilà un des aspects que vous avez soulevés, les journalistes sont-ils responsables ? Oui, je pense que vous avez raison, mais nous ne sommes pas seuls responsables.
5(...)
Michel Bouet
6(...)
7Il y a un problème qui se pose dans les environnements naturels, et pas seulement les environnements naturels, puisque lorsqu'on fait du patin à roulettes en plein Paris, on utilise le trottoir. (...) On peut coller à la notion d'environnement les notions d'environnement "naturel" et d'environnement "humain" (...). Dans beaucoup de problèmes qui vont nous faire réfléchir ces jours-ci, ce n'est pas la pratique sportive elle-même qui est responsable, c'est l'appropriation de la pratique sportive par des gens qui ont intérêt à vendre des produits. J'ai pensé aussi, en réfléchissant à notre thème, qu'il fallait prendre en compte dans les rapports du sport avec l'environnement, le monde économique. Le monde économique s'est intéressé à la vente de produits. Donc, environnement économique. C'est bien clair, je crois, que les problèmes sont accentués certainement par leurs impacts économiques. Il y a également l'environnement scientifique et l'environnement des applications techniques liées au sport. Dans le domaine des sciences, on a les chercheurs d'une part, mais aussi des gens qui utilisent des esprits scientifiques et des méthodes scientifiques en analyse du sport. En soi, ce n'est pas mauvais, mais cela peut-être pesant parce que c'est l'indexation du sport par d'autres environnements que celui des sportifs eux-mêmes. On peut alors reposer la question suivante formulée lors des Assises Nationales du Sport. Un sport qui cesse de s'appartenir à lui-même et qui, du fait de son développement, devient dépendant de toutes sortes de nouvelles puissances est-il encore le Sport ?
Robert Denel,
Secrétaire Général de l'U.N.C.U.
8Je souhaite vous soumettre une autre question. Je crois qu'il y a un conflit ouvert entre les sportifs et les écologistes. On s'aperçoit que le développement d'un certain nombre de sports de plein air faisant appel à la nature est satisfaisant, mais dès que le sport de plein air se développe, on voit arriver des conflits entre ceux qui prétendent défendre l'environnement et les pratiquants de ce sport. Je prends l'exemple des plans d'eau et de la planche à voile. Il y a des conflits entre ceux qui défendent la faune de ces plans d'eau et les pratiquants de planche à voile. C'est la même chose pour les descentes de rivières. Les sorties en V.T.T., c'est pareil. Il y a des gens qui font de la randonnée, qui n'apprécient pas ce genre de circulation qu'est le V.T.T. Je voudrais que l'on développe ce thème : troublons-nous effectivement, dès que nous voulons pratiquer le sport dans la nature ? Je voudrais savoir si c'est un faux débat ou un vrai débat ? Le conflit est-il dû aux comportements des gens, et dans ce cas, comment peut-on l'éviter ou le régler ?
Jacques Marchand
9J'ai là un numéro de mon confrère du journal Le Dauphiné Libéré datant d'avant hier, et ce titre me paraît intéressant puisqu'il entre tout à fait dans le thème de l'Université d'Eté. Il annonce deux millions et demi d'adeptes de vélo tout terrain et un accroissement du mouvement, mais également un accroissement du nombre d'accidents. Cela répond à l'une des pistes que vous avez ouverte tout à l'heure sur l’utilisation de l'environnement...
Michel Bouet
10Je suis d'accord avec vous. J’ai évoqué tout à l'heure l'aspect "terre-à-terre" de ces genres de problème, devenus nombreux et variés, et on peut observer aussi que des conflits existent entre différentes techniques mises en œuvre par des sportifs de nature. Quant à la réaction des écologistes, ceux qui défendent la flore et la faune, la nature. Si c'est bien d'être un défenseur de la nature, il y a aussi une sorte de complexe. Mais ce sont des gens qui doivent certainement ressentir des atteintes qu'ils projettent sur la nature, mais ce n'est pas toujours très clair, cette défense de l'environnement. Ils ne peuvent pas empêcher la pollution de l'atmosphère, alors on s'en prend aux sportifs. Il y a une psychanalyse du sportif bien sûr, mais aussi une psychanalyse de l'écologiste et de l'écologisme, à faire.
Jacques Marchand
11A la suite des deux conférences qui ont été données, et je renouvelle mes remerciement aux orateurs, on a aperçu toute la complexité du thème associant les questions de pratiques sportives avec celles de l'environnement. Déjà les premiers échanges esquissent des pistes de réflexion sur lesquelles nous aurons à revenir au cours de nos travaux. Merci à tous.
L'invocation de la nature
"Les choses de la nature, la cause de la nature, sont de plus en plus souvent invoquées dans les relations entre humains. Quelles sont les conséquences de la convocation de ces êtres naturels sur le commerce des êtres humains en société ? N'y a-t-il qu'un nouvel habillage masquant des intérêts bien établis : des chasseurs défendent leur terrain de chasse sous couvert de « maintenir l'équilibre d'un écosystème » ; des pêcheurs à la ligne assurent la pérennité de leur passetemps en réclamant haut et fort « qu'un droit à l'environnement prenne place parmi les droits de l'homme » ? On pourra reconnaître les intérêts de groupes sociaux plus larges, ou d'acteurs institutionnels, les ressources de la nature étant exploitées dans le cadre des luttes qui les opposent. Les sciences sociales inclinent d'autant plus à une lecture de ce type que la suspicion y est grande à l'égard de toute explication recourant à des phénomènes naturels. L'enjeu est alors de procéder à un examen des processus sociaux de naturalisation, en ayant soin d'emprunter un langage débarrassé des références à un environnement mythique" (...)
Extrait tiré d'un article de Claudette Lafaye et Laurent Thévenot : "Une justification écologique ? Conflits dans l’aménagement de la nature", Revue Française de Sociologie, vol. XXXIV, 1993, p. 495-524 (cit. p. 495 et suivante).
Auteurs
Directeur du SUAPS de l'Université de Rouen
Secrétaire Général de l'U.N.C.U.
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