Allocution
p. 151-155
Texte intégral
1Il m’était difficile aujourd’hui de contourner la question bien actuelle du syndicalisme des sportifs, puisqu’étant auteur d’un ouvrage sur le droit social du sport. C’est donc dans l’optique du partage du sport entre le professionnalisme et le bénévolat que je vous propose mon éclairage.
2Pour ma part, l’Union Syndicale des Dirigeants Sportifs est à réinventer. Examinons d’abord quel est le contexte dans lequel cette question se pose. Quelques facteurs clés, caractéristiques de l’évolution du mouvement sportif méritent d’être soulignés :
- une tendance déjà ancienne au regroupement collectif ou corporatif (maîtres d’armes du siècle dernier par exemple) ;
- une professionnalisation “rampante” de l’ensemble des disciplines sportives dans la plupart des pays, qu’ils soient à économie de marché ou à économie dirigée. Elle existe actuellement chez les basketteurs, cyclistes...
- une concurrence de plus en plus sévère entre le pouvoir sportif et le secteur commercial, qu’il s’agisse de sponsors ou de parrainage, pour la maîtrise, voire le leadership du mouvement sportif et surtout de ses enjeux ;
- une propension à la syndicalisation qui reste inégalitaire. Elle touche en effet moins les dirigeants que les salariés du sport. Depuis 1968, beaucoup d’organisations syndicales ont été créées, tels le Syndicat National des basketteurs, le Syndicat des Brevetés de Parapente. Sans compter la pétanque...
- enfin, cette question de syndicalisation est à relier avec une désaffection générale à l’égard des syndicats.
3Pour répondre précisément au problème, encore faut-il s’entendre sur la définition du dirigeant sportif. Elle est nécessaire pour cerner la réalité du marché sportif dans son fonctionnement. En effet, quels dirigeants ? Quelle catégorie de dirigeants privilégier dans notre réflexion ? Si l’on en croit le Petit Robert, le dirigeant “c’est la personne qui dirige” évidemment ; mais peuvent diriger l’administrateur, le directeur, le gérant, ou l’animateur, le chef, le meneur, le responsable. Alors une fois encore, quelle catégorie de dirigeants faut-il privilégier ? Le président élu ou le président de droit (souvent le sponsor), l’organisateur de compétitions, l’entrepreneur de spectacles sportifs ? Peut-être faut-il partir de la notion du lien de subordination : est dirigeant celui qui ordonne, qui gère, qui rémunère parfois.
4La question est également différente selon qu’il s’agit d’un dirigeant de club amateur ou professionnel. Le club professionnel réunit les critères d’une entreprise : il a ses effectifs, son budget, ses salaires. En est-il d’ailleurs autrement pour l’association ? Dans ce dernier cas, l’identité association = entreprise se vérifie amplement et est confirmée par le droit positif, qu’il s’agisse du Code du Travail, du Code Général des Impôts ou du Code de la Sécurité Sociale : une association a les mêmes contraintes, les mêmes droits, les mêmes obligations légales et réglementaires qu’une entreprise. Ces contraintes obligent donc les dirigeants à une approche plus “manageriale” des clubs et associations. En quelques décennies, on constate une évolution sociologique de la fonction du dirigeant : dirigeant-pratiquant ou ancien pratiquant, ensuite notable, puis dirigeant-technicien sportif, enfin technicien-gestionnaire. Dans ce cadre nouveau, le gestionnaire et son club ne peuvent plus vivre longtemps au-dessus des lois, ni à l’écart de la règle de droit, pas plus qu’au-dessus de ses moyens.
5Quelle est la situation actuelle ? C’est la mise en jeu de la responsabilité des dirigeants qui fait souvent problème. Les risques encourus par ces derniers sont de plus en plus larges, et atteignent même à leur patrimoine personnel. Les exemples jurisprudentiels le prouvent : il a été jugé par le Tribunal de Commerce de Rennes (13 janvier 1978) qu’un groupement sportif, malgré son statut d’association, accomplissant de manière habituelle des actes de commerce dans le but d’une recherche et d’une répartition de bénéfices entre joueurs professionnels, est une société commerciale. Cela a évidemment des conséquences lorsqu’il s’agit de liquidation judiciaire ou de redressement. Autre exemple, le comblement d’insuffisance d’actifs est applicable aux membres du comité directeur d’un club dès lors que l’association comprend des entraîneurs disposant d’une rémunération importante, ou de joueurs professionnels salariés1. On pourrait ainsi multiplier ces décisions, confirmées par la loi du 25 juin 1985, notamment dans son article 182 qui énumère les conditions ouvrant une procédure de redressement judiciaire.
6Il est vrai que le dirigeant, dans la situation actuelle, a un rôle de plus en plus technique, de gestion, de démarchage de sponsors, mais aussi sur le plan sportif, recherche de résultats, donc prospection de spectateurs supplémentaires. Le coût du bénévolat devra alors être posé un jour, le statut de l’élu permettra peut-être de répondre à cette question. En tout cas, affirmer qu’un président de fédération ou un président de club a autant d’obligations qu’un chef d’entreprise ne surprend plus et ne choque plus. C’est là un fait nouveau.
7Le syndicalisme sportif est d’apparition récente. Quelles sont les spécificités du syndicalisme sportif ? Il est vrai qu’il est presque naturel que des sportifs professionnels, compétiteurs ou éducateurs, n’aient pas éprouvé le besoin de se regrouper, jusqu’à une date récente, pour défendre leurs intérêts professionnels et moraux à l’aide d’un syndicat. La compétition encourage, en effet, davantage l’individualisme, l’affirmation de soi que l’altruisme ou le sentiment d’appartenir à une communauté de travail. A priori, pour les éducateurs mais aussi pour les dirigeants, la pratique libérale ou bénévole d’une activité met davantage en valeur l’esprit d’entreprise et la concurrence que les valeurs syndicales. Pour se convaincre de ce qui précède, il suffit de comparer pour quelques disciplines, l’apparition tardive du syndicalisme sportif :
- Fédération Française de Football : professionnalisme en 1932 ; création de l’Union Nationale des Footballeurs en 1961.
- Fédération de Cyclisme : il faut attendre 1963 pour qu’un Syndicat des Coureurs Professionnels se constitue, et beaucoup plus tard, 1974 pour les Organisateurs des Compétitions Cyclistes.
- Il en va de même pour la Fédération Française de Tennis aujourd’hui représentée au moins par deux associations : l’Association du Tennis Professionnel (A.T.P.) et Tennis Pro.
8On le voit bien, la démarche syndicale n’est donc pas systématique et est pour le moins tardive. Inégalement répartie selon les disciplines, elle progresse malgré tout. Les causes de cette syndicalisation croissante diffèrent selon qu’elle concerne le dirigeant, le compétiteur ou l’éducateur diplômé d’Etat.
9Un fait marquant qui concerne également les dirigeants : on note une certaine réticence de la part des sportifs professionnels dans l’attribution de l’appellation de syndicat à leur organisation syndicale. On parlera plus volontiers d’association professionnelle, d’union des joueurs professionnels, des anciens de la discipline ou même d’amicale. Cette approche réservée, voire timide du syndicalisme est symptomatique d’un milieu qui donnait jusqu’à présent la préférence au règlement amiable, avec toutes les imperfections que peut connaître cette forme de dialogue sur le juridisme. Avec la professionnalisation rampante, les intérêts à défendre sont moins diffus, les contraintes se réglementent et l’exigence des employeurs croît avec l’arrivée de la sponsorisation.
10Quels sont les exemples étrangers ? Aux Etats-Unis, dans la période 1948-1961, on a assisté à une forte concurrence entre les clubs qui s’est traduite d’abord par la guerre des primes, entraînant des hausses salariales, des déficits de clubs et des faillites. Les Américains ont mis fin à ces pratiques de concurrence sauvage en réalisant des cartels, des groupements d’employeurs, puis de joueurs qui interviennent notamment pour l’achat de joueurs et pour la vente du spectacle proprement dit. Désormais, la concurrence est réglementée entre les clubs, qui offrent des spectacles de sport. Dans les pays de l’Est, le dirigeant n’est pas indépendant de la société civile.
11Tout se passe comme s’il existait et coexistait trois logiques : une logique du sport capitaliste à l’américaine - les clubs sont objets de sociétés privées et la stratégie de cartel rentabilise les actifs - ; une logique de fiction économique dans laquelle nous vivons, en France - maintien de clubs professionnels ou semi-professionnels dans des structures associatives de la loi de 1901, malgré les apports de la loi de 1984 sur le sport - ; enfin, un modèle mixte (Grande-Bretagne, Espagne) où les clubs sont propriétaires d’actifs matériels et de leurs joueurs2.
12En France, apparaissent certaines structures syndicales, l’Association Internationale des Organisateurs de Courses Cyclistes, la F.O.C.A., la Ligue Professionnelle de Football (qui a pour but de réguler le marché du travail et les contrats des joueurs). Ce qu'il importe de privilégier, c’est l’idée nouvelle qui se fait jour : l’entrée en scène de partenaires sociaux en milieu sportif. Pour dialoguer, il faut être deux. L’intrusion de l’économie dans le sport tend à rendre beaucoup plus juridiques qu’auparavant les rapports de travail ; le salariat sportif et en contrepartie l’activité économique des dirigeants de clubs, longtemps contestés en tant que tels - car on valorisait et on valorise heureusement encore le bénévolat - semble inciter à une représentation étoffée des partenaires socio-sportifs et en particulier des dirigeants. Quels en sont les avantages ? Une représentation élargie aurait pour avantages de moraliser les contrats et d’accroître leur transparence souhaitée par Nelson Paillou dans son rapport “Sport et Economie”, de moraliser les revenus et les transferts des compétiteurs (tentative d’ailleurs faite par la Fédération de Rugby à XIII qui essaie de trouver une entente entre les présidents de clubs afin que les transferts se déroulent dans de meilleures conditions), d’éviter aussi que le pouvoir commercial confisque le pouvoir sportif. Réguler les recrutements (cf. le problème du Marché Unique Européen), il faudra se mettre à l’écoute de cette attente, stabiliser les relations sociales. Et pourquoi ne pas faire en sorte que de véritables recommandations salariales, notamment pour les brevetés d’Etat et pour les éducateurs, soient mises en place ?
13Voilà les quelques avantages de la formule. On parle beaucoup du statut de l’élu associatif, mais, comme Pierre Collomb, je ne crois pas qu’il puisse représenter une réponse unique à la question posée. D’une part, la formation de dirigeants existe, cogérée par le C.N.O.S.F. et le Secrétariat d’Etat à la Jeunesse et aux Sports dans le but de bonifier la formation de dirigeants. D’autre part, il ne faut pas pour autant précipiter le déclin du bénévolat : rémunérer en effet tant soit peu les bénévoles revient à en faire des salariés, au sens de l’article L-242-1 du Code de la Sécurité Sociale et donc de l’U.R.S.S.A.F. Le “manque à gagner” ne peut être apprécié en fonction du seul nombre de licenciés, il peut être plus important pour le président d’une petite fédération qui aura immanquablement des efforts de promotion plus importants à consentir. Il résulte donc qu’il n’est pas opportun ni équitable d’enfermer des rémunérations dans des catégories toutes préparées. Il faut prendre garde également à ne pas recréer des féodalités, de nouvelles inégalités entre de petites, moyennes et grandes fédérations ou clubs.
14C’est donc selon moi le développement du droit social - conventions collectives, à l’instar de ce qui existe dans l’animation socio-culturelle, de recommandations patronales - qui permettra sans doute de réinventer une union syndicale des dirigeants. L’apprentissage de la règle de droit (droit social, droit fiscal du sport) devrait assurer la protection si attendue du monde des dirigeants.
Auteur
Chargé de mission du Secrétariat d'Etat à la Jeunesse et aux Sports
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