Débats
p. 99-106
Texte intégral
1Pierre Collomb Jean Houël a noté dans son exposé la présence de stratégies individuelles dans le club ; or, je crois que c’est une réalité hélas assez fréquente que ce manque de cohésion du club, car s’il y a stratégies divergentes en son sein, c’est peut-être qu’il n’existe pas communion d’idées sur la finalité, la politique du club.
2Autre remarque qui va dans le même sens, l’élu représente la légitimité du club. Certes, élire c’est choisir, mais aujourd’hui, choisit-on véritablement ? Une politique est-elle proposée lors des réunions d’assemblée générale ? Je n’en ai pas l’impression. Il n’y a pas de possibilités de choix entre des projets différents. Ainsi, dans cette situation là, l’élection, qui doit être la légitimation du pouvoir, si elle est formellement légitimée, ne l’est pas fondamentalement. (...)
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4Georges Joubert Jean Houël a également parlé des personnes détachées auprès d’organismes sportifs. Du moment qu’ils restent indépendants, aucune incidence n'est à craindre sur le partage du pouvoir. Mais il existe un danger considérable des lors qu’une nomination de président de club sera faite, car elle entraîne l’idée qu’on aura autorité sur le dirigeant nommé. Cela crée alors une situation très différente de celle des gens mis à disposition, mais qui ont été librement choisi, car cet état de nomination représente une volonté de répondre à des envies de pouvoir.
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6Jacques Forestier Une différence me paraît essentielle entre l’élu et le permanent, quels qu’ils soient ; c’est que le premier embauche le second (et le licencie éventuellement), or ce n’est pas vrai en sens inverse ; c’est une relation de patron à employé, comme c’est le cas dans toute entreprise, y compris dans le club sportif... (...)
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8André Augé Parmi ces diversités de situations de permanents et/ou d’élus, un aspect doit être examiné par ailleurs : parmi les permanents, se trouve aussi le technicien, et des conflits peuvent se présenter entre le responsable administratif et le responsable technique, donc des problèmes potentiels entre permanents mêmes.
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10Jean Houël Il faut en revenir aux procédures, car elles sont fondamentales. Il ne peut y avoir de droit sans procédures pour les exercer. Si on laisse une situation se développer en fonction des relations interpersonnelles, on se situe dans un cadre où l’on ne peut fonctionner de façon durable. Les procédures et les statuts, même s’ils sont modifiables, sont indispensables. Ils ne paralysent pas, au contraire, ils facilitent les rapports.
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12Ernest Gibert Jean Houël a rappelé que la situation normale entre permanent et élu était celle de la tolérance et de la coexistence réciproque, et que l’éventualité la plus intéressante à examiner était celle des tensions. Il s’est attaché à en dégager les causes. Ainsi, nous savons tous que la réalité des rapports, contrairement aux statuts, est bien plus complexe. Car avec le temps, l’importance de l’expertise devient croissante et le mode de désignation des dirigeants des clubs devient contestée.
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14Pierre Collomb Il semble également qu’une évolution se fasse vers une demande croissante de salariés désirant être présents dans les conseils d’administration. Il n’existe juridiquement aucune interdiction, c’est toléré, bien que non conseillé.
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16Jean Houël Ce qui pourrait permettre, au sein de l’organe collégial dirigeant, l’expression de permanents et peut-être un meilleur resserrement de la direction du club.
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18Pierre Collomb Une précision, il peut y avoir deux situations de rémunérés au sein d’un conseil d’administration : le rémunéré élu et le rémunéré non élu, le premier de droit en tant qu’élu, le deuxième admis à titre consultatif, sans voie délibérative.
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20Robert Denel Et quelle peut être la position d’un président de droit ?
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22Pierre Collomb Dans les statuts, il n’existe rien à son encontre, la loi de 1901 ne dit rien à son égard.
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24Maurice Jacqueline Je voudrai revenir sur les rapports de tous les jours avec les permanents. En particulier dans le cas de permanents de petits clubs, ceux-ci étant administrativement soumis à la compétence du ou de la secrétaire unique permanente salariée, que faire quand il ou elle est absent(e) ? Quelles peuvent être les solutions pour l’assister ou le (la) remplacer sans que la marche du club en soit affectée ? Cela pose alors le problème de la formation de rémunérés à mi-temps ou en contrat temporaire à durée déterminée, car si l’on est favorable à une telle solution, il faut trouver les moyens financiers nécessaires pour son bon fonctionnement. Pourtant nous avons besoin de ce genre de salariés permanents ou temporaires qui font fonctionner le club quotidiennement et peuvent souvent faciliter les rapports intérieurs, entre les responsables des sections, les adhérents et les dirigeants, ou avec l’extérieur, sponsors, universités, etc... Le plus souvent, cette catégorie de salariés fait bien plus pour la cohésion du groupement sportif que pour son éclatement par des conflits.
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26Gérard Enault Je voudrais quant à moi faire une remarque générale sur ces potentialités de conflits entre permanents et élus.
27Avant tout, je veux préciser qu’en même temps que chargé de mission à la F.F.F., je suis aussi président de la section football du P.U.C., club universitaire ; je suis donc à la fois élu en tant que dirigeant, et salarié permanent à la fédération...
28Le sport est actuellement dans une situation qui paraît fondamentale et qui, à mon sens, est inévitable : c’est devenu un enjeu politique. Aucune municipalité ne peut aujourd’hui avoir d’image sans se référer au sport et sans se positionner par rapport au sport en général ou à certains sports en particulier. Le sport est aussi enjeu économique, vecteur de publication essentiel pour des sociétés, également activité économique à part entière pour les salariés du sport. Enfin, quoiqu’il arrive, le sport est de plus en plus professionnel.
29Il est alors indispensable que les responsables du sport se positionnent envers cette nouvelle donne. Ils doivent définir, quel que soit le niveau de structure, quel est le projet de leur sport. Au niveau de la fédération, va-t-on développer la pratique du sport de haut niveau ? Au niveau des clubs, va-t-on appliquer la politique de la fédération ? Ou bien vont-ils faire de la formation, voire du sport de masse ? En fonction de ces choix, ils devront aller voir les collectivités publiques, territoriales... Donc avec un projet clair qui se traduise par un objectif à atteindre ainsi que son financement à mettre en place.
30Or, le choix de ce projet incombe incontestablement aux élus. Et les permanents doivent se mettre au service de ce projet avec leur compétence et leur technicité, afin de le rendre effectif. Ils doivent être les conseillers techniques des élus, les artisans, aux différents niveaux de responsabilité, de la mise en œuvre des objectifs à atteindre et des mesures à prendre. A partir du moment où les choses sont clairement définies, les relations permanents à élus ne doivent pas être conflictuelles. Si elles le sont, alors c’est le permanent qui doit partir. Il faut donc organiser une responsabilité répartie entre les permanents et les élus.
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32Robert Denel Mais lorsque les permanents considèrent que les élus ne sont pas compétents, on peut parfois le voir au fil du temps, le permanent doit quand même s’en aller ; la situation du groupement en est-elle pour autant meilleure ? Par ailleurs, les permanents demandent parfois la possibilité d’être consultés et de pouvoir participer à l’élaboration d’un projet...
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34Gérard Enault A partir du moment où le débat a été tranché par une assemblée collective, les permanents ne peuvent que s’y tenir. D’ailleurs, les clubs sportifs ressemblent de plus en plus à des sociétés : et quand la direction générale d’une société rentre en conflit avec le conseil d’administration, c’est celui-ci qui démissionne. Le sport a ses règles, et au niveau du fonctionnement interne des fédérations et des clubs, ceux-ci doivent les accepter.
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36Jacques Touzeau Mais la majorité des associations est-elle réellement concernée par les problèmes posés ? Bien sûr, on a transposé le thème évoqué pour les fédérations au personnel de secrétariat des clubs, mais je ne crois pas que dans la plupart des cellules de base que sont les petits clubs, la secrétaire considère avoir un véritable statut de salarié. C’est une présence qui est plutôt très proche de celle du bénévolat, et qui se traduirait en cas de conflit par un départ rapide de la personne, car il me semble que ces cellules de la vie sportive fonctionnent sur une base que j’appelerai fusionnelle.
37Plus on avance dans des organisations qui sont investies de responsabilités, de moyens financiers, de missions, plus les problèmes prennent des formes qui sont les formes classiques de toute organisation. L’intervention de Jean Houël a bien mis en avant les zones intermédiaires où naissent la plupart des problèmes : il y a dysfonctionnement lorsque les élus n’ont pas pris la peine de définir clairement quels étaient les objectifs assignés à l’association, les missions à remplir par les employés du club. Chacun se trouve alors dans une situation de malaise permanent. (...)
38La carence du retour de l’information - contrôle, compte rendu, bilan des actions du club - vers les adhérents suscite également des interrogations, car elle peut influer sur l’apparition de conflits potentiels. S’il y a une ligne d’action à rendre effective, c’est de sensibiliser les adhérents d’une association à ces aspects de procédures, de comptes rendus qui permettent d’apprécier les résultats d’actions entreprises par le groupement.
39Je voudrais vous faire part aussi d’une réflexion sur les cadres techniques de l’Etat. Lorsqu’ils se sentent peu soumis à la responsabilité du président de club, ils font valoir dans certains cas leur situation de fonctionnaire de l’Etat vis-à-vis du président, pour ne pas faire autre chose que ce qu’ils ont envie de faire. Cette réaction aboutit à une inversion complète de l’ordre des facteurs de pouvoir et de décision. (...) Le dirigeant bénévole est, d’une manière éthique, irremplaçable ! Je reste profondément attaché à un modèle de société où des responsables d’associations au sens large puissent exercer leur mandat en étant non-professionnels. En ce qui concerne en tout cas la relation élu/permanent, il doit exister une déontologie professionnelle du salarié envers l’élu.
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41Robert Denel Dans les associations, les membres ne s’associent pas toujours réellement à la vie du groupement. Ils deviennent ainsi plus consommateurs qu’autre chose. Or, dans l’esprit de la loi de 1901, ils n’en sont pas ! Le pouvoir légitime de l’élu en est alors amoindri vis-à-vis des personnes pouvant créer un contrepouvoir, car celles-ci, avec une fonction dans le club les rendant proches des adhérents, et une situation de membres consommateurs ne déterminant plus une politique du club, se sentent plus “légitimés” que l’élu. Le permanent technicien, par exemple, qui “fabrique le produit” vis-à-vis des consommateurs, semble parfois considérer que c’est lui qui détient le vrai pouvoir.
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43Colette Andrusyszyn Cela nous ramène à l’intervention de Jacques Ferran sur l’éventualité de faire tomber le mythe d’une ancienne conception de la vie associative. Ne faudrait-il pas faire une fois pour toutes la constatation de cet état de fait de membres consommateurs et non plus membres militants, au lieu d’aller contre ? Ne pas les considérer péjorativement mais les respecter autant que d’autres ? Et surtout, ne faudrait-il pas intégrer cette catégorie de membres dans la définition d’un projet sportif ?
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45Jean Houël On peut effectivement assister à une évolution vers une structure de prestation de services. On ne peut refuser cette réalité. La volonté d’un projet humain est alors plus difficile à mettre en place, mais ce n’est pas impossible. Même les entreprises commerciales cultivent aujourd’hui un certain sentiment d’appartenance pour valoriser leurs projets... Mais une fois un projet sportif mobilisant élaboré, encore faut-il poser le problème des moyens pour l’atteindre, non celui des moyens financiers, mais la façon dont il faut faire fonctionner la structure afin que le projet soit mis en place efficacement, afin que les différents responsables, élus et permanents, puissent travailler ensemble à partir du projet, étape essentielle et fondamentale du partage du pouvoir : faire un découpage de ce projet en de multiples tâches diverses pour savoir qui va les remplir et de quelle manière.
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47Gérard Enault C’est vrai, mais au niveau du club, il ne faudra pas oublier que dans tous les cas, c’est à l’élu qu’il appartient de définir le produit...
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49Robert Denel Un autre problème peut être soulevé entre permanents et élus : en cas de conflits sur le plan de la législation du travail, de quels moyens dispose le dirigeant face à l’organisation possible et la législation qui couvre le permanent ? Car des antagonismes de ce type paraissant chaque jour dans la presse et les revues spécialisées, c’est donc une question concrète et vitale qui se présente. Or, il semble que le dirigeant n’ait actuellement aucun moyen légal de se faire aider, il n’a aucune représentation, il est seul. Même si nous débattrons de ce problème dans la discussion sur une “union syndicale de dirigeants sportifs”, je voulais au moins poser la situation car elle appartient aussi au thème d’aujourd’hui.
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51Jean Houël A ce sujet, Jacques Forestier a rappelé tout à l’heure que seul l’élu peut licencier le permanent salarié et non l’inverse. Si je suis d’accord sur le principe, je crois que la réalité montre bien que ce n’est pas si évident dans sa mise en œuvre.
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53Bernard Repellin Mais comment peut-on demander à un permanent salarié d’appliquer un projet pour lequel il n’a pas été concerté et ne se sent donc pas concerné ?
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55Gérard Enault Mais le permanent doit être consulté, toutes les forces vives du club doivent l’être dans l’élaboration du projet ; je voulais simplement dire qu’une fois le projet établi, le permanent ne doit plus le contester, mais l’appliquer.
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57André Augé Il faut aussi dire que les relations élu/permanent administratif et élu/permanent technicien sont différentes. Le permanent administratif est souvent compétent, mais il ne le revendique pas publiquement, contrairement au permanent technicien, conscient de sa compétence, et qui revendique son pouvoir en voulant que cela se sache, et en son nom. C’est là une autre possibilité de conflit de pouvoir.
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59Pierre Collomb Dans les conflits potentiels qui peuvent se présenter, il faut faire la différence selon la taille des clubs. Plus un club est important, plus les procédures normales juridiques sont respectées et le pouvoir tel qu’il est défini juridiquement exercé. En revanche, dans les petits clubs, où le pouvoir se pose effectivement entre le président et le technicien surtout, c’est là que la répartition juridique et théorique du pouvoir n’est pas respectée. C’est là aussi que le terme de permanent prend tout son sens, car il veut rester en place, il joue sa place de rémunéré. D’ailleurs, le plus souvent c’est l’élu bénévole qui partira en cas de conflit. Autre raison de l’inversion du pouvoir, dans le petit club, le technicien rémunéré n’est pas toujours déclaré, et ce peut être une forme de chantage sur l’élu. Ensuite, à ce niveau-là, on en vient à la primauté du technique sur le philosophique : le consommateur - qui est aussi un électeur - est en contact avec le technicien, c’est celui-ci qui a prise directe sur lui, qui a le charisme dans le club et va influencer les votes ; d’où le renversement du pouvoir.
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61Jacques Marchand Dans ce prolongement d’idées, nous devons évoquer un pouvoir également important, le pouvoir médiatique. C’est pourtant un sujet possible de frictions, car c’est un enjeu de priorité médiatique entre le technicien et l’élu, qui ne veulent ni l’un ni l’autre en laisser la publicité à “l’adversaire”.
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63Robert Denel Dans de nombreuses associations, des permanents salariés revendiquent une place, ou de droit, ou consultative, etc... dans les structures délibératrices du club. Comment apprécier cette adhésion aux décisions, au projet sportif ? Dans ou hors des structures délibératives ?
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65Jean Houël Jusqu’à preuve du contraire, il semble reconnu qu’ils puissent avoir voix consultative et participer aux débats à l’intérieur des instances dirigeantes ; mais il n’est pas encore admis qu’ils puissent avoir voix délibérative. Pourtant, si une association l’admettait statutairement, je ne sais pas si l’on pourrait juridiquement aller contre.
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67Bernard Repellin Cela dépend de la qualité du permanent. Par exemple, avec un statut de profession libérale, aucun problème. Par contre, si c’est un fonctionnaire de l’Etat, c’est alors impensable, car l’Etat a défini clairement qu’il ne peut ni par voix consultative ni délibérative participer aux délibérations d’un conseil d’administration.
68Mais, à l'instar de Jean Houël, dans le cas d’un permanent salarié du club, je ne vois pas ce qui pourrait l’interdire, je dirai même plus : à partir du moment où les statuts de l’association ne l’interdisent pas, même s’ils ne l’affirment pas, le permanent salarié du club peut participer aux décisions du conseil collégial dirigeant avec avis consultatif ou délibératif.
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70La fin des débats s’oriente vers les problèmes de représentation et de protection des élus par rapport aux permanents dans les situations de conflits, thème qui sera évoqué un peu plus loin, avec la journée réservée au sujet : ‘‘Quelle union syndicale pour les dirigeants sportifs ?". C’est pourquoi nous n’en ferons pas plus état dans la discussion présente.
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