Les rapports entre permanents et élus
p. 79-97
Texte intégral
En guise d’introduction...
1Aujourd’hui, dans ce que certains appellent la société civile, le temps est devenu une ressource rare. Rare, donc chère, et par conséquent de moins en moins “gratuite”. Or, acquérir une compétence, un savoir-faire dans un domaine quelconque de la vie sociale, cela demande du temps.
2Evoquer les rapports entre élus et permanents dans les groupements1 sportifs s’inscrit dans cette toile de fond, composée de trois éléments : juridique (l’élection), technique (la compétence) et financier (la rémunération).
3Mais évoquer les rapports entre l’élu et le permanent conduit tout naturellement à une question plus générale, si délicate qu’on évite de la poser : qui dirige vraiment le mouvement sportif aujourd’hui ? Cette question ne sera abordée qu’en filigrane, car notre sujet est tout de même plus limité.
4Restons donc sur l’idée avancée en commençant : pour exercer un pouvoir efficace à la tête d’un groupement sportif, il faut d’abord du temps, et de l’argent. Plus précisément, il faut de l’argent pour avoir du temps, le temps d’exercer des responsabilités, c’est-à-dire d’assumer un pouvoir de direction.
Quelques précisions de méthode
5Il ne s’agit pas de traiter ici, d’une part de l’élu, d’autre part du permanent, mais bien des rapports qu’ils entretiennent, entre eux et avec leur environnement.
6Or, étudier ces rapports nécessite de ne pas s’arrêter à l’apparence des choses, à leur appellation formelle, mais bien d’examiner la réalité. Ce qui signifie qu’en parlant de “dirigeants”, il faut prendre en compte ceux qui exercent, de fait et concrètement, un pouvoir de direction au sein du groupement sportif. En effet, une chose est de constater la réalité de l’exercice du pouvoir, autre chose de s’interroger sur sa légitimité. Nous reviendrons plus loin sur cette idée essentielle, mais on peut déjà en retenir une conséquence : de fait, l’élu et le permanent peuvent tous deux être considérés comme des dirigeants.
7En parlant d’élu et de permanent, nous aurons en tête, pour simplifier, les deux fonctions classiques que sont celles de président d’une part, et de directeur (ou secrétaire) administratif rémunéré, d’autre part. Mais il s’agit là d’une simplification qui devra être nuancée.
8Les termes employés manquent d’ailleurs de rigueur : le président est certes un élu, mais il peut être aussi un “permanent”, si l’on s’arrête au seul critère du temps passé dans l’exercice de sa fonction. En revanche, le directeur permanent, dans cette problématique, n’est pas élu, car il aurait alors un statut comparable au président, mais il est rémunéré. C’est justement parce qu’ils sont dans une situation “formellement” différente (élu/non élu) au sein du groupement sportif, que vont naître entre l’élu et le permanent des rapports particuliers.
9Ces rapports sont à la fois complémentaires et conflictuels dans l'exercice du pouvoir dirigeant. En effet, affirmer que le directeur, le permanent - qu’il soit d’ailleurs technique ou administratif - n’est pas un dirigeant, cela ne correspond pas à la réalité. D’abord dans les termes mêmes : dans “directeur”, il y a “direction”, donc fonction dirigeante. Qu’elle ne soit pas la seule, c’est un autre problème. C’est même un problème central par rapport à une autre fonction dirigeante, celle de l’élu.
10Jusqu’où et pourquoi ces deux fonctions dirigeantes sont-elles différentes ? Jusqu’où et pourquoi peuvent-elles entrer en concurrence ou en conflit ? Jusqu’où et pourquoi peuvent-elles en arriver, parfois, à une apparente fusion, ou confusion ? C’est ce que nous allons tenter d’analyser dans les pages suivantes, en trois étapes.
11Nous ferons tout d’abord ce constat : les rapports entre élu et permanent sont essentiellement ambigus et, de ce fait, potentiellement conflictuels. Nous essaierons ensuite de rechercher les causes de cette ambiguïté, avant de proposer, pour en terminer, sinon “LE” remède, au moins des palliatifs. Ceci afin que l’énergie dépensée par chacun puisse le plus possible s’additionner, être complémentaire, au bénéfice du groupement sportif et de son développement.
LE CONSTAT : DES AMBIGUITES POTENTIELLEMENT CONFLICTUELLES
12Au niveau des principes et du discours, il est facile de faire des distinctions nettes et séduisantes, gages de relations harmonieuses. Mais les rapports entre l’élu et le permanent ne sont pas des abstractions : ils s’établissent toujours à l’occasion de tâches concrètes, à travers une multitude de décisions à prendre tous les jours. Cet ensemble de prises de décisions manifeste l'exercice d’un pouvoir.
13C’est alors que l’ambiguïté apparaît entre les dirigeants, tant vis-à-vis des partenaires externes au groupement sportif qu’à l’occasion de ses relations internes.
Elu et permanent dans leurs rapports avec l’extérieur
14Ils peuvent concerner des interlocuteurs privés ou publics, à propos de décisions financières, ou d’une autre nature.
Les interlocuteurs privés
15Il peut s’agir de tous les fournisseurs du club qui entrent en contact avec lui : commerçants, entrepreneurs, banquiers, ou intéressés à son activité sportive : parents, supporters, dirigeants ou techniciens, clubs adverses.
16Très souvent à cette occasion, on s’aperçoit que la question suivante peut se poser : qui a pris la décision, le permanent ou l’élu ? Et surtout, bien sûr - car sans cela il n’y aurait guère de problème ! - dans les cas d’une mauvaise décision... Que l’on songe par exemple aux engagements financiers. Il n’est pas rare, et même assez fréquent, que le permanent rémunéré ait la signature sur le compte bancaire ou postal du groupement sportif. Nous avons même connu le cas d’une association sportive où, pour respecter les apparences, le permanent signait les chèques en imitant la signature de l’élu, avec l’accord de celui-ci. On perçoit donc les problèmes qui peuvent surgir à l’occasion de travaux d’entretien ou de transformation d’équipements, et la multitude de décisions à prendre vis-à-vis des fournisseurs.
17La question s’élargit d’ailleurs avec les interlocuteurs sportifs extérieurs au club : futurs adversaires, fédérations, nationales ou internationales. Bien souvent, c’est le “dirigeant permanent” - directeur ou secrétaire administratif, peu importe son titre - qui sera l’interlocuteur principal, négociera certaines clauses ou modalités, et sera donc perçu comme le véritable “patron”, celui par qui il faut passer. On constate d’ailleurs parfois des confusions, des personnes extérieures au club s’étonnant : “ah bon, M. X, ce n’est pas le président ?”
Vis-à-vis des autorités publiques
18Ici, la confusion est plus rare, car les fonctionnaires qui s’occupent de sport, au niveau national ou local, connaissent bien la structure associative, et s’adressent en principe au président. Mais celui-ci se fait souvent accompagner du dirigeant rémunéré, ou même le mandate pour le représenter. Si bien que les administrateurs du ministère ou des services extérieurs se rendent compte assez vite que le permanent connaît parfois bien mieux les dossiers que l’élu.
19Les choses peuvent prendre une tournure même un peu “explosive” dans certaines situations, le permanent ayant établi des liens un peu privilégiés avec divers représentants des pouvoirs publics, ceux-ci en viennent à tenir compte, d’abord et essentiellement, des choix et orientations du permanent du club ou de la fédération. N’oublions pas en effet, que ledit permanent peut être quelquefois lui-même un fonctionnaire territorial, ou d’Etat, ce qui crée des affinités. Cela n’est nullement une hypothèse d’école : nous avons connu par exemple un petit club, dans une municipalité, où le président était devenu vis-à-vis de la mairie “persona non grata” et la mairie “jouait” en fait très subtilement le permanent administratif - qu’elle connaissait bien - contre le président, et cela a fini par aboutir au changement de président...
20Au niveau national, des phénomènes de cet ordre ne sont pas rares non plus, car certains permanents de fédérations - directeurs techniques ou administratifs - étant très liés à l’autorité ministérielle, celle-ci sera parfois conduite - explicitement, ou très discrètement - à influer sur les élus par l’intermédiaire des permanents. Tout ceci, encore une fois, du fait du champ d’action très large du permanent, et de sa connaissance des dossiers. A tel point que des interrogations vont naître dans certains comités directeurs (de club ou de fédération) : “qui dirige vraiment ici ?”. Mais nous entrons là dans le domaine interne au groupement sportif.
Elu et permanent dans les relations internes
21L’ambiguïté entre les fonctions de l’élu et du permanent est fréquente, leurs champs respectifs de pouvoirs se recouvrant peu ou prou, qu’il s’agisse des rapports avec les adhérents, avec les autres élus et bénévoles, ou avec les autres permanents.
22En fait, la question sous-jacente à cette ambiguïté peut se résumer ainsi, pour les interlocuteurs internes : qui détient - réellement - le pouvoir “d’affectation des ressources” entre les multiples composantes du club ?
Rapports avec les adhérents
23Il faudrait distinguer entre les adhérents “de base” le plus souvent simples “consommateurs” de services sportifs, et les athlètes titrés, porte-drapeau du club. On peut penser que les premiers ont surtout affaire au permanent (technique ou administratif) et les seconds à l’élu. Mais il n’en va pas toujours ainsi, et l’ambiguïté peut être lourde de conséquences pour les athlètes : qui va - réellement - les engager, voire les “débaucher”, et à quel prix ? Sur ce dernier point, par exemple, lequel est le mieux à même de connaître les possibilités du club ? On voit qu’entre l’élu et le permanent, l’adhérent sera amené à se poser cette question : qui détient le pouvoir effectif ?
Rapports avec les autres bénévoles
24Si l’on peut penser, avec un solide optimisme, que les rapports doivent être simples et sans ambiguïtés entre un président et le responsable administratif ou technique permanent, les choses se compliquent encore avec les autres bénévoles. Ceux-ci peuvent être élus ou non. S’ils ne le sont pas, on peut penser qu’ils devraient se conformer aux directives du permanent. Mais jusqu’où a-t-il autorité sur eux ? Ces bénévoles “de base” (accompagnateurs, etc...) ne sont nullement ses “employés”. Certes, il y a les autres élus bénévoles, mais, par définition, ils ne sont pas toujours là, et parfois seul le permanent est à même de distribuer des tâches précises aux bénévoles occasionnels.
25Le maximum d’ambiguïté se trouve sans doute dans les rapports du dirigeant permanent, non élu, avec les autres élus bénévoles, au-delà du président. Ces élus ont en principe un “secteur de compétence” dont ils doivent s’occuper dans le groupement. Comment concilier cela avec la compétence globale du permanent ? Qui va décider de quoi ? Il faut ici s’en remettre surtout à de bonnes relations interpersonnelles.
Rapports avec les autres permanents
26La question est un peu comparable à la précédente. Outre un directeur, ou un secrétaire administratif, le groupement sportif peut employer d’autres permanents pour des tâches d’exécution. Les rapports des élus avec ces autres permanents ne sont pas simples : qui est habilité à leur donner des directives, des tâches à exécuter : le directeur salarié, le président, les autres élus ?
27Finalement, on se trouve, avec le groupement sportif associatif, dans un schéma comparable à celui des collectivités locales : une commune fonctionne aussi avec deux catégories de personnes : des élus et des fonctionnaires territoriaux. Et l’on y retrouve une partie des ambiguïtés précédentes. Avec une différence importante cependant : les pouvoirs du maire, fixés par la loi, sont très étendus, ce qui lui confère une grande autorité.
28Mais en rester à ce constat de l’ambiguïté des rapports entre dirigeant élu et dirigeant rémunéré est insuffisant, il faut essayer d’en analyser les causes.
LES CAUSES DE L’AMBIGUITE DES RAPPORTS ELU/PERMANENT
29Ces causes sont évidemment multiples. On peut tenter de les résumer dans la formulation suivante : entre l’élu et le permanent, la distinction apparemment tranchée entre les deux statuts ne correspond pas au recouvrement constant des fonctions qui s’opère dans la réalité. Nous allons examiner ces deux aspects.
Formellement, élu bénévole et permanent salarié ne relèvent pas du même champ juridique
Les conséquences de l’élection et du bénévolat
Une conséquence d'ordre “politique"
30L’élection du dirigeant a, en principe, un objet précis : la représentation des membres du groupement sportif. On ne peut pas “parler” avec cette personne morale qu’est un club. Comme pour toute association ou société, il faut qu’une personne physique la représente. En France, dans le monde associatif, cette représentation passe par l'élection du dirigeant, c’est-à-dire sa désignation par l’ensemble des membres.
31Cette élection du dirigeant induit une autre notion, fondamentale : la légitimité de son action, donc des décisions qu’il prend à la tête du groupement sportif. Agir “légitimement”, cela veut dire que les autres membres vous reconnaissent “le droit” de prendre certaines décisions, même difficiles, et en acceptent par avance les conséquences. Ayant été élu, le dirigeant peut donc légitimement “représenter” le club, et agir en son nom.
Des conséquences d’ordre juridique
32C’est là un aspect déjà bien connu. Inutile de s’y étendre trop longtemps, mais il est évidemment essentiel : le dirigeant élu, qui représente le club et agit en son nom, devient du même coup responsable juridiquement. Mais attention, n’exagérons tout de même pas : en principe, il ne s’agit pas de sa responsabilité personnelle, en tant qu’individu (“M. Dupont”). Il s’agit de la responsabilité de la personne morale qu’il représente. M. Dupont, président du club, ne peut donc être personnellement responsable des actes effectués au nom du club ? En principe non, SAUF - et c’est ce “sauf” qui inquiète nombre de dirigeants - s’il est prouvé qu’il a commis personnellement une faute, une négligence grave, qui ne peut être rattachée à la gestion normale du club.
33On connaît ainsi un certain nombre de décisions de justice où les dirigeants élus se sont trouvés personnellement impliqués, que ce soit dans le domaine civil, fiscal, pénal ou social. Ce dernier point nous permet une transition. En effet, le dirigeant élu bénévole, en l’occurrence le président, représente la personne morale du club en tant qu'employeur. Un peu comme dans une société commerciale, le président est le “patron” des salariés, c’est celui qui les embauche et, le cas échéant, les licencie. Ce qui place, formellement, l’élu dans une position très différente du permanent salarié.
Les conséquences du salariat
34On peut dire que, par symétrie avec l’élu, le dirigeant salarié n’a pas de fonction de représentation, ni de responsabilité (mais nous sommes ici, rappelons-le, sur le terrain purement juridique et formel).
Le permanent salarié ne représente pas le club
35Tel qu’est conçu en effet notre système associatif, le permanent est l’employé du club, il a été engagé par lui, et non pas désigné par le vote d’une assemblée générale. Le plus souvent, son engagement est d’ailleurs signé par l’élu qui représente le groupement, c’est-à-dire le président. Ceci entraîne pour le salarié l’existence de liens de subordination juridique : il est soumis à des directives qu’il doit appliquer. C’est là une caractéristique essentielle du contrat de travail, entre employeur et employé.
36Il faut cependant se méfier d’une ambiguïté (encore une !) dans la notion de “représentation” : le permanent salarié ne “représente” pas le groupement au sens juridique et politique, mais, dans le sens courant du terme et pour un tiers extérieur, il est perçu comme celui qui “agit pour”. Il n’empêche, sa responsabilité propre est très réduite.
Le permanent salarié n’est pas personnellement responsable d'éventuels dommages à des tiers
37C’est encore une différence formelle, et fondamentale, avec l’élu : le permanent salarié, dans le cadre de son activité, ne sera pas tenu pour responsable d’éventuels dommages qui pourraient subvenir de son fait. Etant, selon le terme consacré, le “préposé” de l’association, ce n’est jamais - sauf cas très particulier - sa responsabilité personnelle qui sera mise en cause, mais celle de son association-employeur. En retour, celle-ci dispose d’une prérogative très importante à son égard : la possibilité de le licencier. Cet acte sera le fait du représentant du groupement, le président.
38Sa qualité de salarié permet également au permanent de bénéficier de toute la protection sociale liée à son statut. Citons notamment l’assurance maladie, mais aussi l’assurance relative aux accidents du travail.
39Il y a donc tout un exemple de règles, d’obligations juridiques, de conséquences dans le domaine civil et social, qui sépare radicalement l’élu du permanent, d’un point de vue formel. Or, dans la réalité, le recouvrement des deux statuts est difficilement évitable.
Les origines d’un inévitable recouvrement fonctionnel
40Le mélange des genres, et l’ambiguïté qui en résulte, a été décrit dans la première partie de cet exposé. Nous venons de voir que, sur le plan des principes, les deux statuts sont très distincts. Pourquoi donc ce recouvrement, décrit précédemment ? Deux grandes catégories de raisons l’expliquent, que l’on peut qualifier, faute de mieux, de “socio-politiques” d’une part et de “socio-historiques” d’autre part.
Les causes socio-politiques du recouvrement
41Il faut distinguer des influences externes aux groupements sportifs, qui agissent sur lui, et des mécanismes internes, propres à l’exercice du pouvoir en général, en sport comme ailleurs.
Les pressions externes
42Les groupements sportifs, par les nombreuses personnes qu’ils touchent, peuvent constituer des instruments d’influence politiques (notoriété, contrôle social...) ou des champs de profit économiques. Tout cela est très connu. D’où la tentation, bien naturelle, d’agir sur le domaine sportif de l’extérieur, par exemple, en “contrôlant” plus ou moins les dirigeants. Et cela quels que soient d’ailleurs leur niveau (local ou national) et leur statut (élu ou permanent).
43Nous n’allons pas nous étendre sur cet aspect, pourtant très intéressant, pour deux raisons. D’abord, cela nous entraînerait un peu loin de notre sujet initial. Il y aurait beaucoup - trop - à dire sur les techniques de contrôle des “organisations de masse” par les formations politiques (de tout bord), qu’il s’agisse d’associations, de mutuelles, de syndicats, etc. Il s’agit toujours, bien sûr, de placer à leur tête des dirigeants qui soient des “camarades”, des “amis”, des “copains”, bref, quelqu’un qui soit “des nôtres”, politiquement parlant.
44Sur ce terrain, peu importe que le dirigeant soit un élu ou un permanent : l’essentiel est qu’il dirige, c’est-à-dire détienne un pouvoir au sein du groupement. A partir de là, et selon les circonstances, la “puissance externe” pourra exercer une influence par l’intermédiaire du dirigeant acquis à sa cause. Les exemples ne sont pas rares où apparaissent des désaccords, voire des conflits entre l’élu et le permanent, dont une puissance “externe” - municipalité, Etat, entreprise - est en fait partie prenante, sinon l’instigatrice. Tant est si bien qu’à un certain moment, on ne sait plus qui est ‘‘le vrai patron” du groupement...
45Mais ce point sera, indirectement, illustré dans une typologie des dirigeants exposée plus loin, ce qui constitue un autre motif pour ne pas s’y arrêter plus longtemps.
L'exercice du pouvoir dirigeant
46C’est une autre cause de recouvrement fonctionnel “de fait”, entre l’élu et le permanent.
47On a vu plus haut que l’élu, par définition, détenait son pouvoir de l’élection, dont il tire la légitimité de sa fonction, et en assume donc la responsabilité. Mais il faut se rappeler que l’élection n’est pas, loin s’en faut, le seul mode d'exercice du pouvoir, dans les groupements sportifs comme ailleurs.
48Puisque nous sommes dans le monde associatif, il faut rappeler que NULLE PART DANS LA LOI DE 1901 IL N’EST QUESTION DE L’ELECTION DES DIRIGEANTS... Si la loi impose de faire connaître quels sont “les administrateurs”2, elle ne prévoit aucune obligation quant à leur mode de désignation. Dans l’abstrait, ils pourraient être par exemple désignés par tirage au sort, ou bien cooptés à vie, comme les actuels dirigeants du C.I.O...
49Ceci étant rappelé, il existe au moins deux arguments en faveur de l’élection : en premier lieu, la “tradition démocratique”, bien ancrée dans notre pays, qui privilégie ce mode d’accès au pouvoir dans les groupes sociaux. En second lieu, surtout les textes spécifiques au monde du sport, imposent en fait le système électif : par exemple pour les fédérations unisport recevant l’agrément et la délégation ministérielle (statuts types obligatoires). De même, un club sportif pourra difficilement être “agréé” (donc recevoir des subventions du FNDS) sans dirigeants élus.
50Mais si l’élection des dirigeants s’impose donc dans les faits, comme principe de légitimité, encore faut-il qu’elle soit incontestable. Non pas seulement “régulière” en la forme (convocation, scrutin, etc...) mais surtout dans le fond, à savoir quelle soit vraiment la conclusion d’un grand débat et d’un vrai soutien de l’ensemble des adhérents.
51Or, là aussi, on sait bien que l’élection de nombreux dirigeants s’effectue très souvent de manière non satisfaisante. Pas toujours par leur faute d’ailleurs, mais c’est un fait : la “légitimité représentative” des élus est affaiblie, soit par des assemblées d’adhérents trop peu nombreuses, et où les candidats à l’élection ne se bousculent pas, soit, au contraire, parce que l’équipe au pouvoir ne se maintient que par d’habiles manœuvres dont personne n’est dupe.
52Que reste-t-il alors, en dehors de l’élection, pour fonder la légitimité d’un pouvoir de direction ? Il reste la compétence, le dévouement, la technicité. Mais ces qualités, on peut les trouver - aussi - chez le permanent rémunéré. Quoique “non-élu”, il peut alors bénéficier d’un grand soutien moral de la part des membres du groupement sportif. Si d’autre part l’élu, pour les raisons évoquées ci-dessus, n’est pas réellement représentatif, il se produira plus ou moins subrepticement une sorte de “transfert de légitimité”, la caution élective se voyant supplantée par la compétence technique et/ou administrative.
53Ce processus de recouvrement des rôles dirigeants entre l’élu et le permanent n’est d’ailleurs pas étonnant si on le rapporte à l’histoire même du mouvement associatif en général.
Les causes socio-historiques du recouvrement
La notion de “permanent"
54Il faut s’arrêter un instant en effet sur la notion de “permanent”. On en trouve l’origine dans l’histoire des partis politiques, des syndicats et des mutuelles. Le “permanent”, c’était le travailleur à qui - en raison de son dévouement et de ses qualités personnelles - son organisation demandait un jour d’abandonner son travail salarié, pour se consacrer “à plein temps” au groupement. Pour cela, celui-ci le rémunérait, souvent modestement d’ailleurs, afin qu’il s’investisse totalement pour la cause qu’il défendait. Dans ce sens, le permanent était d'abord un militant, au dévouement sans faille. On en trouve évidemment de très nombreux exemples dans le mouvement syndical.
55Mais dans le mouvement sportif, ce phénomène se rencontre aussi, de telle sorte que le “permanent” du club ou de la fédération n’est pas seulement défini par son statut de “salarié”. S’il a un poste dirigeant, il est - ou devrait être - avant tout un “militant sportif’. Dans ce cas, le permanent est tout aussi dévoué et passionné que l’élu bénévole, en dépit du fait qu’il soit rémunéré, et non élu. la présence ou l’absence de rémunération n’est donc pas un critère suffisant pour permettre de décerner, ipso facto, un “label” de dévouement, tout au plus un indice parmi d’autres. Mais là encore, on perçoit bien, d’un point de vue psychologique, que l’exercice des responsabilités dirigeantes, et l’engagement qu’elles demandent, ne peut pas passer par le seul clivage permanent/élu bénévole. D’autant plus que l’élu ne voit guère son statut renforcé par l’évolution des modes de vie.
56Des modes de vie qui tendent à remplacer l’adhérent par le consommateur
57On peut en effet se demander si l’élu, dans le monde sportif comme en d’autres domaines, ne constitue pas une espèce menacée.
58Dans sa pureté d’origine, l’association est, d’abord, une structure “participative”, où des gens se réunissent pour accomplir quelque chose ensemble. Chaque adhérent constitue donc un élément actif (on parle d’ailleurs de “membres actifs”). La réalité est désormais bien différente. On se trouve aujourd’hui, en majorité, en présence de. consommateurs ou d’usagers d’un équipement sportif. On peut le déplorer, mais après tout, lorsque l’un d’entre nous se paie des cours de guitare ou apprend une langue étrangère, doit-il pour autant être obligé d’adhérer à un projet collectif ? On peut comprendre qu’il en soit de même pour acquérir certains savoirs-faire, comme le judo ou le tennis. Je reçois un service, et je le paie, comme lorsque je vais chez mon coiffeur...
59Mais dans un tel contexte de “service marchand”, le rapport et les attentes du “client” au dirigeant de ce service sportif devient très différent : ce que le “client-pratiquant” souhaite désormais, c’est d’abord un dirigeant efficace et compétent, et peu lui importe qu’il soit ou non élu... Est-ce que les adeptes du Club Med ou du Gymnase club élisent les dirigeants ? Non, mais ils “votent” pourtant à leur manière : avec leurs pieds et leur portefeuille : ils y vont ou n’y vont pas...
60On conçoit alors combien la perception du “dirigeant” sportif s’en trouve perturbée, et l’ambiguïté entre “élu” et “permanent” renforcée. Est en quelque sorte “reconnu” (et donc “légitime”) comme le “vrai” dirigeant celui qui est efficace, et peu importe son statut juridique. Il est alors intéressant de tenter de dresser un panorama schématique qui illustre en partie ce recouvrement fonctionnel entre élu et permanent.
Typologie des différents statuts de dirigeants sportifs
61Elle va apparaître dans le tableau à la page suivante, dont on commentera ensuite les différentes cases.
Compétence croissante, en fonction du temps passé
Dépendance financière croissante par rapport à la fonction | A | B |
I Dirigeant non rémunéré du fait des fonctions occupées (revenus totalement indépendants de ses fonctions) | 1 | 2 |
II Dirigeant rémunéré pour la fonction, mais pas par le groupement sportif qu’il dirige | 3 | 4 |
III Dirigeant rémunéré par le groupement sportif qu’il dirige | 5 | 6 |
Commentaire du tableau
62Il est divisé en deux colonnes, A et B, et trois niveaux horizontaux, I, II et III.
63Les deux colonnes (A et B) distinguent les dirigeants sportifs selon leur disponibilité temporelle. Soit ils consacrent tout leur temps au groupement, et deviennent ainsi, de ce point de vue., des permanents. Soit ils ne sont pas totalement disponibles, et ne consacrent qu’un temps partiel au groupement. Toutes choses égales par ailleurs, ce critère de la disponibilité est un élément essentiel de compétence. Peu importe, à cet égard, que le dirigeant soit ou non élu : plus il est disponible, plus il a la possibilité d’être (ou de devenir) compétent, de bien connaître les dossiers, etc.
64Quant à la distinction des trois niveaux horizontaux, elle repose sur la rémunération. Le niveau I est le plus classique, mais peut-être pas le plus fréquent dans les groupements sportifs importants : le dirigeant, élu, a des revenus totalement indépendants de ses fonctions. Examinons chaque possibilité du tableau :
1) Niveau I.A
65Cette catégorie recouvre deux sous-groupes, l’un très classique, l’autre qui l’est moins.
Le dirigeant élu traditionnel
66Il a une activité professionnelle, plus ou moins absorbante, source de ses revenus. D’un point de vue économique, il est donc totalement “libre et indépendant” vis-à-vis du groupement. Mais sa compétence, par son manque de disponibilité, risque de n’être pas très élevée. Des tensions, voire des conflits, sont potentiellement assez probables avec les cadres permanents rémunérés.
Le dirigeant de droit
67Catégorie assez surprenante, mais finalement pas si rare : certains groupements sportifs, d’ailleurs importants, ne sont en fait que l’émanation d’autres structures, publiques ou privées : communes, universités, entreprises publiques, grandes administrations (PTT, finances, police, défense nationale...). En acceptant de créer (et de financer) en leur sein un groupement sportif, ces organismes prévoient souvent qu’un de leurs dirigeants sera, de droit, membre de l’association sportive. Citons deux exemples parmi les plus connus : le maire de la ville président de droit du club, ou le président de l’université pour les A.S. universitaires.
68Ces dirigeants ne sont donc ni élus, ni rémunérés, mais ils ont, juridiquement, un pouvoir de direction. Cependant, comme ils assument en même temps d’autres fonctions, leur disponibilité est faible, et les tâches concrètes, quotidiennes, de direction du club sont assurées par d’autres.
2) Niveau I.B
69Nous sommes toujours dans le cas d’un dirigeant élu et non rémunéré, totalement indépendant financièrement, mais cette fois totalement disponible. Distinguons encore deux catégories, une principale, l’autre pour mémoire.
L'élu au statut social particulier
70Ce statut lui permet en effet d’avoir des revenus en dehors d’un lien professionnel classique. Trois exemples viennent à l’esprit : d’abord l’élu bénéficiant d’une fortune personnelle, ou familiale, et dont les revenus lui permettent de vivre ; ensuite le retraité ou pensionné (qui n’est pas forcément très vieux, voir les militaires) ; enfin, les hommes ou femmes mariés dont le revenu est assuré par le travail du conjoint.
71Ce statut particulier présente un énorme avantage pour ces dirigeants élus : ils n’ont, financièrement, aucune “dépendance” en relation avec leur fonction et ils peuvent s’y consacrer entièrement, donc devenir en réalité des “permanents”. D’où la possibilité de très bien connaître les dossiers et de travailler en bonne coordination avec le ou les permanents salariés.
Les permanents bénévoles
72On ne les cite que pour mémoire car ils ne sont pas des dirigeants élus. C’est par exemple le retraité qui va prendre l’habitude de se consacrer à certaines tâches, et deviendra de ce fait un auxiliaire précieux du groupement sportif. Il peut aussi figurer dans la catégorie précédente des “non-permanents”. Bref, il s’agit là de toute cette armée de bénévoles du mouvement sportif qui n’ont même pas de mandat électif. Il fallait tout de même les évoquer dans ce tour d’horizon.
73Tout ce premier niveau I (A et B) concernait des dirigeants totalement indépendants financièrement du groupement sportif, mais avec une disponibilité - donc une compétence - plus ou moins élevée. Il existe aussi des dirigeants dont les revenus, sans être versés directement par le groupement sportif, ne sont pas sans rapport avec la fonction exercée.
3) Niveau II.A
74Ces dirigeants sportifs présentent la particularité d’être rémunérés par un organisme tiers, extérieur au groupement sportif, mais qui accepte de les payer pour qu’ils puissent assumer leur fonction dirigeante dans le groupement. Nous distinguons les non-élus et les élus.
Non-élus
75On peut contester cette catégorie dans notre typologie, puiqu’elle a pour objet, d’abord, de répertorier des catégories de dirigeants au sens traditionnel, c’est-à-dire élus. Mais on a vu, d’une part que l’élection pouvait être un critère fragile, d’autre part qu’il existe des dirigeants “de droit”, non élus.
76On s’aperçoit aussi que dans certains groupements sportifs, c’est le cadre technique (D.T.N., C.T.R.) qui est le véritable “patron”. Dans ce cas, sa rémunération par l’Etat lui permet de s’investir totalement au service du groupement sportif. On a vu d’ailleurs des cadres techniques franchir un pas décisif dans le recouvrement des rôles, en se faisant élire à la tête d’un groupement sportif. Autre exemple intéressant, une présidente de fédération (en l’espèce la gymnastique volontaire) qui, à la suite de son mandat présidentiel, a été nommée D.T.N. de cette même fédération.
77Ce recouvrement commençant d’ailleurs à soulever quelques problèmes, le Ministère des Sports vient de diffuser une circulaire interdisant formellement à ses cadres techniques d’assurer en même temps des fonctions électives au sein des clubs. On peut d’ailleurs s’interroger sur l’étendue de cette interdiction.
78Mais les circulaires étatiques ne s’appliquent pas en l’espèce aux collectivités territoriales, et l’on peut voir des cadres communaux, rémunérés par la municipalité, dont l’activité consiste essentiellement à s’occuper d’un club, y compris en s’y faisant élire (le plus souvent cependant, il existe un président, purement formel). Nous connaissons ainsi le cas d’un grand club omnisports d’une commune des Hauts-de-Seine, dont les statuts ont été élaborés par le maire-adjoint chargé des sports, et dans lequel le maire, président de droit, nomme les présidents des différentes sections du club...
Dirigeants élus
79Il s’agit d’une catégorie particulière, d’ailleurs assez discrète et mal connue. Dans ce cas, le dirigeant, tout en se consacrant entièrement à son mandat électif, est par ailleurs rémunéré, mais à un tout autre titre, par un organisme tiers dont il est, formellement, l’employé. Exemple ancien, bien connu : celui de Fernand Sastre qui, lorsqu’il était président de la F.F.F., percevait de l’Etat un traitement de directeur départemental des impôts, sa profession d’origine. De même, actuellement, Nelson Paillou, président élu du C.N.O.S.F., perçoit son traitement de professeur de lettres, comme lorsqu’il était à la tête de la Fédération de Hand-ball. Attention : il ne s'agit absolument pas ici de “dénoncer” quoi que ce soit, mais simplement de prendre conscience de certaines réalités du mouvement sportif.
80Car les exemples ci-dessus ne sont nullement exceptionnels, il y en a d’autres. Leur nombre est assez faible venant de “l’Etat-employeur”, mais il existe d’autres organismes payeurs (publics ou privés) qui acceptent ainsi de “mettre à disposition” d’un groupement sportif l’un de leurs employés, qu’ils continuent de payer, afin qu’il puisse se consacrer entièrement à son mandat électif à la tête dudit groupement. On connaît ainsi le cas d’un des clubs omnisports parmi les plus prestigieux de France, et dont le président - à plein temps - est rémunéré pour cela par la grande entreprise privée dont il est issu. Il n’y a rien de “honteux” dans tout cela, et on ne voit pas pourquoi il faudrait cacher ces situations.
4) Niveau II.B
81Il s’agit d’une catégorie proche de la précédente, mais avec cette différence que le dirigeant élu n’est pas totalement “à plein temps” à la tête du groupement. Formellement, ses revenus proviennent d’une autre activité, à laquelle il consacre aussi une partie de son temps, étant en principe rémunéré pour cela. Mais il s’agit le plus souvent d’une activité qui possède des liens étroits avec son mandat d’élu sportif. Le dirigeant parvient alors sans trop de difficultés à concilier les deux aspects, voire à les rendre très complémentaires. Divers exemples viennent à l’esprit : l’élu qui est en même temps salarié (ou dirigeant) de la S.A.R.L. gérant la revue fédérale ; ou bien promoteur (à titre privé) de spectacle sportif, et aussi élu fédéral. Citons encore l’exemple original du président de la Fédération de Ski, également président du syndicat des moniteurs. Sans oublier enfin les cas assez nombreux et variés, des enseignants d’éducation physique assumant en même temps des responsabilités d’élus dans le mouvement sportif. Dans tous ces cas, la complémentarité est telle qu’elle permet un grand investissement dans le mandat électif.
82Il nous reste enfin à examiner le niveau III, assez rapidement, car ce niveau ne devrait pas exister : c’est celui de l’élu rémunéré par le groupement sportif qu’il dirige. Il faut tout de même s’arrêter un instant sur cette catégorie “anormale”.
5) Niveau III.A
83Il est bien établi, semble-t-il que le dirigeant élu d’une association ne peut être rémunéré par elle, c’est-à-dire être en même temps son employé. Certes, nous avons vu que le dirigeant salarié, permanent non élu, peut parfois devenir en réalité le véritable dirigeant de fait. Mais il a toujours besoin de faire apparaître un président élu, même si celui-ci ne joue qu’un rôle secondaire. Dans un avis déjà ancien, le Conseil d’Etat a estimé qu’il était contraire à l’esprit de la loi de 1901 que les principaux dirigeants d’une association soient rémunérés par elle. Mais en même temps, il a reconnu que rien dans la loi ne l’interdit formellement.
84L’information disponible est actuellement insuffisante pour citer de nombreux exemples de cette situation. Il semble que ce fut le cas de M. Cuny, l’ancien président du club de football de Nancy. Mais peut-être existait-il un “montage” juridique qui sauvegardait les apparences. De même peut-on s’interroger sur la situation de M. Piette à la tête du Matra Racing, mais sans doute est-il simplement l’employé de la firme Matra en tant que telle.
6) Niveau III.B
85Il s’agit simplement d’une variante de la catégorie précédente, on ne s’y étendra donc pas. Ici, le dirigeant élu n’est pas totalement disponible et il a des revenus qui lui viennent d’une autre source. Mais, pour une partie au moins du temps qu’il consacre au groupement, il perçoit une rémunération. Souvent, ces versements sont dénommés “indemnités”, mais ils ont en fait les caractéristiques d’un salaire. Là aussi, pour sauver les apparences, on “gonfle” parfois les divers remboursements de frais.
86Toutes ces ambiguïtés conduisent finalement à se poser une question cruciale : pourquoi semble-t-il aussi inconcevable d’accepter le double statut de dirigeant élu et rémunéré ? Le Président de la République l’est bien... Exemple extrême, non significatif ? Certes. Prenons donc un autre exemple, beaucoup plus proche du monde associatif, celui des syndicats. Voilà des organismes sans but lucratif, qui élisent régulièrement leurs dirigeants, lesquels sont rémunérés tout à fait normalement. Le seul problème, là comme dans toute organisation, c'est d’avoir des mécanismes efficaces de contrôle du pouvoir dirigeant, et qui permettent, le cas échéant, de le remplacer. Quant à la rémunération, il vaudrait peut-être mieux qu’elle soit clairement affichée et officialisée, sans être pour autant obligatoire. Cela éviterait sans doute bien des “montages”, finalement assez désagréables, dans lesquels on s’efforce de “sauver les apparences” : des dirigeants élus, non rémunérés tout en l’étant sans l’être vraiment...
87Cette typologie est certes très schématique et évidemment pas exhaustive. Mais elle éclaire essentiellement notre propos de départ : si les rapports entre “élu” et “permanent” sont ambigus, c’est que ces deux statuts, apparemment tranchés, sont essentiellement flous dans la réalité, et vont parfois jusqu’à se recouvrir presque totalement.
88Il ne faut pas pour autant tout bouleverser immédiatement : nous trouverons pour longtemps encore, dans le mouvement sportif, cette dualité entre l’élu et le permanent salarié. Il n’est donc pas inutile d’indiquer des palliatifs à l’ambiguïté des rapports entre les deux fonctions. Actuellement, le bon remède réside dans une meilleure définition des tâches respectives, afin de mieux reconnaître leur complémentarité.
POUR DES RAPPORTS MIEUX DEFINIS ENTRE ELUS ET PERMANENTS
89Dans beaucoup d’établissements publics, par exemple les offices d’H.L.M. ou les hôpitaux, il existe des organes de direction comprenant un président élu et un directeur nommé et rémunéré. Les rapports entre les deux ne sont pas toujours simples, là non plus. Les choses fonctionnent à peu près correctement cependant, car le législateur a pris soin de définir avec précision les champs de compétences respectifs, et les procédures à respecter.
90Les groupements sportifs pourraient s’inspirer de ce système, à travers leurs statuts et surtout leur règlement intérieur. Chaque groupement sportif, club ou fédération, ayant ses particularités, nous n’indiquerons que quelques principes à respecter.
Déterminer avec précision les compétences respectives de l’élu et du permanent
91Il s’agit de chercher à répondre par avance à la question essentielle : “qui fait quoi ?”, dans la direction du groupement sportif ? Quelles sont les décisions qui relèveront du permanent ou de l’élu ? Tout ceci peut être indiqué soit dans le règlement intérieur (ou une de ses annexes), soit encore dans le contrat de travail passé entre l’association et le permanent salarié.
92Il est nécessaire à cet égard de recenser les différents champs d'intervention respectifs. Il est souhaitable également d’énumérer les différentes fonctions existantes, et les décisions qui en découlent. A partir de là, l’élu et le permanent savent ce qui relève de leur compétence, et doivent s'efforcer de respecter cette répartition. Il peut cependant être introduit des clauses de souplesse, pour des situations imprévues.
93Dans ce sens, il est fort utile de prévoir des cas de transferts temporaires de compétences, en cas d’absences, pour maladies, vacances, empêchements divers ou urgences.
94Tout ceci peut paraître bien lourd, voire inutile. L’expérience montre pourtant qu’on peut ainsi éviter bien des conflits potentiels, car les situations floues ne paraissent confortables qu’à ceux qui peuvent en profiter pour s’approprier d’excessifs pouvoirs de fait, que rien ne justifie.
95Mais savoir “qui fait quoi” n’est pas toujours suffisant. Il est utile de prévoir certaines procédures de prises de décisions, gages d’une meilleure entente entre responsables.
Mieux s’informer pour mieux assumer les décisions
96Quand on analyse après coup certains conflits entre dirigeants dans des groupements sportifs, il apparaît souvent que l’information a mal circulé. D’où l’intérêt de prévoir les procédures précédant ou suivant certaines décisions. On aboutit ainsi à classer ces décisions selon la procédure - plus ou moins lourde, plus ou moins contraignante - qui les entoure, selon leur niveau d’importance.
Les décisions “discrétionnaires”
97Dans ce cas, l’élu ou le permanent décide seul, selon son unique appréciation. A condition, bien sûr, que cela entre dans son champ de compétence, tel que défini précédemment. Mais l’information à propos de cette décision, même discrétionnaire, ne doit pourtant pas être négligée. On peut donc prévoir que l’information se fera avant ou après la décision, voire après avis, cette “prise d’avis” étant obligatoire. Prenons le cas d’un achat d’équipement informatique pour le club, à l’intérieur d’un cadre budgétaire déjà prévu. S’il est convenu que cette décision relève de la seule compétence du permanent, il peut être tenu d’en informer l’élu, avant ou après l’achat : “je vais commander tel matériel”, ou “j’ai commandé tel matériel”. Même s’il est entendu que certaines décisions relèvent exclusivement de telle personne, élu ou permanent, il demeure fondamental que l’information circule entre eux deux, quant à leurs actions respectives.
Les décisions discrétionnaires mais “encadrées”
98Il s’agit de décisions que le dirigeant prend seul, mais à l’intérieur d’un cadre déterminé. Déjà, être obligé de “prendre l’avis” de quelqu’un - par exemple un Comité directeur - avant de décider, est déjà une contrainte, même si cet avis ne constitue pas un ordre. De même, il peut être prévu que l’élu, par exemple, doit prendre l’avis du permanent avant de prendre sa décision, laquelle relève ensuite de lui seul.
99Plus contraignante encore est la décision prise “sur proposition”. Prenons l’exemple de l’engagement d’un nouvel entraîneur. S’il est prévu que cette décision relève d’une seule personne (un élu ou un permanent), il peut être précisé que ce choix ne peut se faire qu’à l’intérieur d’un champ délimité par quelqu’un d’autre. Ainsi, le décideur ne pourrait - par exemple - choisir qu’un entraîneur français (ou régional), ou bien titulaire obligatoirement de certains titres ou diplômes, etc. On peut même prévoir que le décideur final choisira seul, certes, mais seulement parmi X candidats présélectionnés par un comité ad hoc.
100On voit que les possibilités “d’encadrer” une décision sont très ouvertes, pouvant aller d’une très grande liberté pour le décideur, à une marge de manœuvre très étroite, qui l’oblige à partager son pouvoir.
Les décisions “après avis conforme”
101Nous somme ici en fait dans le cadre d’une “co-décision”. L’élu et le permanent ne peuvent se passer l’un de l’autre pour décider. Reprenons l’exemple de l’engagement d’un nouvel entraîneur. Le règlement peut prévoir qu’il ne pourra être nommé par l’élu qu’après “avis conforme” du directeur. Ce qui signifie que “l’avis” en question constitue une sorte d’accord préalable et obligatoire. Dans ce type de décision, si le choix de l’élu ne convient pas au permanent, l’élu ne peut passer outre, il est lié par cet avis préalable. Bien que ce soit toujours l’élu qui prenne la décision en dernier ressort, on voit bien qu’elle nécessite en ce cas un accord et une collaboration très étroite entre élu et permanent.
102Il ne s’agissait là que de quelques indications pour organiser plus clairement, et donc plus efficacement, une complémentarité entre l’élu et le permanent. Certes, cela ne lèvera peut-être pas toutes les ambiguïtés que nous avons évoquées, mais pourra éviter qu’elles ne dégénèrent tôt ou tard en conflit. Encore une fois, il est toujours plus sain d’organiser par avance - même sans le faire de façon trop rigide ou trop méticuleuse - des rapports de pouvoir, dans les groupements sportifs comme ailleurs. Savoir à l’avance “qui fait quoi” est beaucoup plus constructif car, comme disait Sénèque, “il n’y a pas de vent favorable pour celui qui ne sait pas où il va”.
Notes de bas de page
1 J’emploierai à dessein l’expression “groupement sportif’, car cette étude peut s’appliquer tant à un club qu’à une fédération.
2 Là aussi, vieille légende : rien n’impose les sempiternelles qualifications de “président”, “secrétaire” et “trésorier”... D’ailleurs, deux personnes suffisent pour constituer une association.
Auteur
Magistrat de Chambre Régionale des Comptes Trésorier de la F F. de Boxe française-Savate
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