Débats
p. 69-73
Texte intégral
1Robert Denel Les rapports des dirigeants et techniciens sont un véritable problème, sinon l’essentiel, au niveau du club. Aujourd’hui, on constate de plus en plus que des techniciens créent une structure pseudo-club, paracommerciale, où ils jouent à la fois tous les rôles, de dirigeant, de technicien, etc... Ce phénomène s’étend de plus en plus. A l’opposé, des dirigeants veulent tout diriger et font le vide autour d’eux, y compris du technicien qui peut remettre en cause leur aura. L’un et l’autre ne veulent pas de dirigeants ou techniciens partenaires pouvant contester leur pouvoir. Or, cela ne contribue pas à l’éthique sportive et au bien-être des gens dont nous sommes censés nous occuper, qu’ils soient au plus haut niveau ou à un stade plus modeste de pratique de sport et de loisirs. Dans le premier cas, on aboutit à des manquements sur le plan de la gestion, de l’organisation, dans le second, cela transforme les pratiquants non pas en adhérents mais en consommateurs d’un produit mis en place.
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3Jean Houël Georges Joubert nous a parlé de l’aspect historique. Dans un domaine que j’ai connu, le judo, celui-ci s’est créé à partir des techniciens, les professeurs de judo, qui possédaient une structure qui était leur salle ; et en effet, le dirigeant, c’était le patron de la salle. Le technicien était donc aussi le dirigeant. Historiquement, il n’existait pas de notion de club, la dimension associative est venue ensuite, et s’est greffée autour.
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5Henri Courtine Le judo a effectivement démarré ainsi, de par son origine japonaise, qui ne s’apparentait pas à l’esprit anglo-saxon du sport, mais aussi pour des raisons financières : à l’époque, il n’y avait pas de contrôle des associations comme c’est le cas désormais, cela rendait les choses plus commodes... En outre, le professeur achetait sa salle, comme un commerce. Mais la tendance s’est depuis bien inversée.
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7André Augé Mais le judo est l’exception qui confirme la règle, car dans la plupart des créations de clubs, il n’y avait pas à l’origine de technicien, mais un dirigeant, un animateur. On y retrouve le technicien au fur et à mesure que le club évolue. (...)
8Je voudrais intervenir sur le corps des cadres techniques de l’Etat, né après l’échec des Jeux Olympiques de Rome en 1960. Nous avons en France une organisation tout à fait originale, tout le monde sait que l’épine dorsale du sport français est constitué par les D.T.N., C.T.R. et C.T.D. Ces gens connaissent des problèmes au même titre que les éducateurs de club. En tant que Directeur régional, il m’arrive d’avoir à arbitrer les conflits qui existent entre le président de club et le technicien. Je crois que c’est en terme de pouvoir que les choses se passent, c’est sur ce point qu’il faut insister. Est-ce l’un ou l’autre qui doit exercer le pouvoir, quels sont les pouvoirs du dirigeant, quels sont ceux du technicien ? Nous essayons au Secrétariat d’Etat à la Jeunesse et aux Sports de le résoudre par des conventions - nous en avons passé un certain nombre au plan régional-, en nous mettant d’accord sur une politique avec les D.T.N. Une fois que cette convention est signée par le Président de Ligue, s’il y a conflit, c’est à partir du respect de cette convention que nous pouvons résoudre le problème.
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10Claude Labrousse Le conflit dans le club éclate lorsque le dirigeant et le technicien ne sont pas d’accord. Peut-être la mise sur pied d’un projet éducatif sportif, devenant contrat entre les deux parties, serait également une solution envisageable.
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12Marcel Hansenne Le conflit dirigeant/technicien est avant tout une question d’homme avant d’être une question de système. On ne peut changer le système chaque fois que des dirigeants et techniciens ne s’entendent pas...
13En outre, il a été peu fait référence à la notion d’animateurs. Or ceux-ci ont fait beaucoup pour le sport. Ils peuvent d’ailleurs être compétents, dans certains sports d’instinct, tels l’athlétisme ou le cyclisme, sans posséder de diplômes. Est-ce qu’avec des gens en place bien structurés, comme c’est le cas aujourd’hui, on ne porte pas atteinte à ces personnes, qui auparavant trouvaient leur place dans l’animation du sport, et qui sont maintenant obligés d’emprunter des filières établies, ce qui les décourage parfois dès le départ ?(...)
14Par ailleurs, est-ce l’entraîneur qui fait le champion - ou l’inverse ? Si l’entraîneur n’a formé qu’un champion, on peut en douter. Par contre, s’il a fait accéder, au fil de sa carrière, des athlètes différents au sommet, on peut alors le dire, parfois même parler de “sorcier” du sport.
15On peut encore se demander qui sera demain le “patron” du sport en France. Si le pouvoir devait échapper aux autorités légitimes du sport que sont le C.N.O.S.F. et les Fédérations, au bénéfice d’une frange d’individus aux pouvoirs exorbitants, dits “efficaces” - c’est-à-dire arriver par tous les moyens-, le sport sera en danger.
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17Jacques Marchand La difficulté du problème se trouve dans les rapports au quotidien entre dirigeants et techniciens. Le dirigeant est le politique au sens noble du terme : il prend les décisions, fixe les objectifs. Mais il ne doit pas y avoir confusion des responsabilités : le dirigeant ne doit pas gêner le travail de l’entraîneur. Une absolue rigueur de leurs rapports, dans le cadre de l’objectif pour lequel ils travaillent, est nécessaire. Cette rigueur pourrait se traduire par une certaine déontologie, une convention morale, sinon écrite, à passer entre les deux.
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19Georges Joubert Pour clarifier le type de relations devant exister entre le dirigeant et le technicien, un contrat écrit doit être établi : le contrat moral ne suffit plus. Comme il est impossible de croire que dans chaque club, on va pouvoir penser ce contrat ; pourquoi ne pas créer un contrat-type dans lequel toutes les clauses envisageables existeraient, qu’il suffirait, de cocher ou non pour définir le caractère du contrat ?
20Idem pour un projet-type à soumettre aux clubs, couvrant aussi bien la pratique du sport de masse que le reste, visant à l’augmentation d’effectif comme l’organisation de l’enseignement, les prétentions possibles dans le domaine de la compétition, etc... Ce projet sportif dans lequel les clubs pourraient prendre des éléments de base pour établir leurs propres projets.
21Pourquoi nous-mêmes, clubs universitaires, n’irions-nous pas de l’avant en proposant ces “check-lists” à nos clubs ? Nous pourrions être intéressants pour le terrain d’une telle expérience.
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23Jacques Vandenbucke Je crois que l’adhésion à ce projet sportif est fondamentale à la bonne entente entre dirigeants et techniciens. Si l’adhésion est complète, je ne vois pas pourquoi ils ne s’entendraient pas, car on a un peu trop tendance à les opposer.
24Ensuite, on parle aujourd’hui beaucoup de dirigeants-gestionnaires : l’appellation est trop restrictive, car souvent dans l’esprit des gens, l’amalgame est fait avec la gestion financière, mettant dans l’anonymat la gestion générale du club, qui est pourtant ce qu’il y a de plus important. Cette confusion crée aussi des frictions entre dirigeants et techniciens, du fait de la polarisation sur le dirigeant gestionnaire financier.
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26Henri Courtine Il faut revoir également les définitions floues ou inexactes de certains techniciens - Coach, D.T.N. non techniciens... - qui font éclater les conflits avec les dirigeants.
27Ensuite, il est important qu’il existe des dirigeants pratiquants, de quelque niveau que ce soit, ce qui permet une meilleure entente et compréhension au niveau d’une fédération.
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29Robert Denel Parmi les solutions possibles, il est essentiel au niveau de la formation de ne pas apprendre aux dirigeants à être des techniciens de tout, mais plutôt à leur apprendre à savoir communiquer, à savoir déléguer et travailler en équipe. Or ce sont des aspects totalement négligés dans les programmes de formation. (...) De nos jours, la convivialité ne suffit plus. Si l’on y ajoute le phénomène d’ambition ou de projet, il faut adopter une méthode, faire des choix afin d’être efficace. Je souhaiterais que désormais les notions de communication ou de délégation soient inscrites au premier plan des formations.
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31Henri Courtine Cet élément n’a pas échappé au mouvement international sportif, puisque le C.I.O. a créé une école d’Administration du sport où sont rendues prioritaires les formes de communication.
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33Jacques Forestier (...) Le conflit dirigeant/technicien résulte aussi des aléas des résultats sportifs et des aspects économiques - pour les grands clubs - qui aujourd’hui en découlent : pression sur les dirigeants des sponsors intéressés par la valorisation de leur mise financière. Le problème d’argent y est donc capital, accentué par l’importance actuelle du rôle médiatique de la télévision dans la retransmission de certains sports. (...)
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35Maurice Jacqueline Ce problème est différent selon qu’il s’agisse de clubs unisport ou omnisports. Dans le cas de ces derniers, la décision appartient à la majorité des gens de l’assemblée, le président n’est donc pas le seul à pouvoir décider de la politique du club. La personnalité du président est surtout intéressante par son image représentative du club.
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37Colette Andrusyszyn Je crois que la compétence des uns et des autres, dirigeants et techniciens, et la structure dans laquelle ils évoluent sont importants pour leurs bons rapports. L’exécutif doit être fort dans la décision collégiale, pour ne pas être dénaturé par la lenteur ou un manque d’autorité de l’exécution de ces décisions. (...)
38La non-circulation de l’information est aussi pour beaucoup dans les conflits. Pour en éviter l'écueil, il est nécessaire de progresser dans la connaissance des droits et des devoirs de chacun.
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40Robert Denel La notion d’argent est primordiale. Partout, on parle d’objectif à atteindre, et sans lui, il n’est pas possible d’obtenir des finances. Mais il y a deux façons de le faire : ou le financeur détermine un objectif et le club est un simple exécutant, ou il y a discussion entre les deux pour voir quel est l’objectif à atteindre. C’est là une vraie source de conflits. L’incessante pression de l’argent élimine les propositions de techniciens compétents qui veulent faire une politique vis-à-vis des jeunes, elle existe même au plus bas de l’échelle du sport. Il n’existe plus de subventions du secteur public ou des collectivités locales qui ne fassent l’objet d’un contrat précis d’objectif. Il n’y a plus de subventions, il n’y a plus que des sponsors ! Il est indispensable aujourd’hui que le dirigeant discute avec le financeur - lorsqu’il le peut, car bien souvent, il ne le peut pas - mais surtout associe son technicien à ce genre de problème, pour que celui-ci sente les difficultés qui existent réellement. (...)
41De grands dirigeants ne peuvent s’exprimer que dans la mesure où leur est garantie une certaine indépendance ; or, de plus en plus, le dirigeant se sent otage, et il lui est impossible de s’exprimer totalement et de s’affirmer pleinement.
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43Ernest Gibert Les dirigeants et les techniciens se sentent otages. Mais n’en sont-ils pas responsables ? Pourquoi leurs rapports devraient-ils être conflictuels ? Et qui détient véritablement le pouvoir ? Le dirigeant ou le technicien ? Il est vital de définir la légitimité des pouvoirs pour que s’installent de bons rapports entre eux, qui les rendraient forts. Or nos associations n’ont pas de projets clairs. Les risques de conflits sont donc élevés dès le départ. La communication peut permettre d’améliorer leurs relations, mais ce n’est possible que s’il existe, à la base, une réflexion en commun sur un projet sportif. La conception et la mise en place de la réflexion, c’est la responsabilité des dirigeants. Alors, les techniciens ne seront plus des otages.
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