Dirigeants et techniciens
p. 55-66
Texte intégral
1Qui sont-ils ? Que font-ils ? Quels rapports améliorés pourrait-on souhaiter ? Que pourrait-on faire pour atteindre cet objectif ? Autant de questions auxquelles je vais essayer d’apporter une réponse, ou plus exactement ma réponse car, après avoir étudié ce problème durant trente années sur le terrain, je serai absolument “partisan”, voire même “provocateur”... Mais la discussion qui s’ouvrira entre participants à cette Université d’été, qui représente parfaitement toutes les catégories socio-professionnelles citées dans mon exposé, permettra d’ouvrir plus largement le débat.
DIRIGEANTS... TECHNICIENS... HOMMES DU CLUB...
Est dirigeant "toute personne placée à la tête d’un organisme quelconque" (Larousse)
Est technicien "toute personne qui connaît et met en œuvre une technique" (Larousse)
2Un entraîneur responsable de la commission sportive d’un club pourrait être considéré comme un dirigeant, et un président gestionnaire comme un technicien de la gestion.
3En fait, dans le club – et plus généralement dans le monde associatif-, le dirigeant est le responsable élu. En premier lieu, celui qui juridiquement représente la personne morale qu’est le club – le président.
4Egalement ceux qui sont élus pour l’assister – membres du Bureau, du Comité de direction ou du Conseil d’Administration-, enfin ceux qui reçoivent délégation de pouvoir pour animer bénévolement telle ou telle commission ou secteur d’activité de l’association. On ne trouve pratiquement pas, dans les clubs, de Directeurs dits “généraux” qu’il serait difficile de ne pas classer parmi les dirigeants. Par contre, on trouve beaucoup de Directeurs administratifs plus faciles à classer parmi le personnel salarié.
5Un sens un peu particulier est aussi donné au terme technicien. Il sous-entend “technicien du sport”. Celui-ci a une compétence de plus en plus étendue, dépassant largement les limites de la technique gestuelle et des comportements tactiques pour couvrir des secteurs aussi divers que la préparation psychologique, les programmations pluri-annuelles, les connaissances technologiques en matière d’équipement...
6Ainsi définies, ces deux catégories d’hommes du club semblent avoir à gérer des problèmes assez distincts. Mais dans les faits, leurs responsabilités et leurs actions se chevauchent souvent.
7Revenant aux définitions du Larousse, constatons que l’action de plus en plus déterminante des techniciens dans le monde moderne a donné naissance à des vocables qui tendent à devenir d’un usage courant. La techno-démocratie introduit des techniciens et des experts parmi les représentants élus des citoyens, et les associe dans l’exercice du pouvoir. Des techno-structures tendent à prendre le pouvoir dans le monde politique et économique. Un groupe de techniciens conquiert et exerce le pouvoir qui échappe ainsi aux homme politiques élus ou aux propriétaires de capitaux. Les technocraties sont des gouvernements de technocrates qui prennent leurs décisions en fonction de données techniques théoriques en oubliant souvent les réalités pratiques et les facteurs humains.
8Cette emprise grandissante des techniciens sur les politiques tend-elle à se manifester dans le club et d’une façon plus globale dans le milieu sportif ? Est-elle ou peut-elle devenir bénéfique ou maléfique ? Ce devra être l’une de nos conclusions.
LES DIRIGEANTS D’HIER ET D’AUJOURD’HUI
Leur évolution historique
9Dès que deux ou trois sportifs se sont retrouvés sur un terrain, l’un d’entre eux a du prendre certaines responsabilités. L’époque des dirigeants-pratiquants s’ouvrait. Tout naturellement, l’époque des dirigeants-anciens pratiquants suivit. Parmi les anciens, pourquoi ne pas choisir les plus représentatifs, au plan social, pour donner au sport un éclat qu’il n’avait pas encore. Ce fut l’époque des présidents-notables à laquelles succéda bientôt celle des notables-présidents à qui l’étiquette “sportive” apportait un certain plus social. Arrivant à maturité, le sport devint un véritable partenaire social et une certaine compétence technique devint un élément d’efficacité pour tout président défendant les intérêts de son club à l’intérieur et hors du milieu sportif. Survinrent des difficultés financières aiguës mettant en cause la vie même des clubs. Seule solution : trouver le président gestionnaire ayant fait ses preuves dans le monde économique.
Leur situation actuelle
10De par la loi et du fait de leur position d’élus, ils détiennent le pouvoir, y compris dans le secteur technique puisqu’ils peuvent choisir ou renvoyer leurs techniciens. Nous verrons cependant que ces derniers disposent d’armes non négligeables.
11La question essentielle me semble être celle-ci : les dirigeants et plus particulièrement les présidents ont-ils compétence pour juger leurs techniciens ?
12Je le pense s’ils réunissent les conditions suivantes : une certaine expérience dans leur fonction, un intérêt pour les choses techniques qui les pousse à devenir des observateurs attentifs, un minimum de connaissances en matière de techniques sportives associé à une grande modestie dans ce domaine. Les présidents ont généralement vu défiler dans leur club plusieurs techniciens différents, ils ont parfois constaté l’existence de modes passagères, ils ont recueilli les confidences d’adhérents contents ou mécontents, les appréciations flatteuses ou les récriminations d’autres dirigeants : il peuvent donc porter des jugements partiellement fondés. Reste à définir la forme que peuvent prendre les remarques adressées par un président à ses techniciens sportifs. Il ne peut s’agir que de remarques nuancées portant sur des points précis et s’inscrivant dans le cadre d’un partage de responsabilités bien précisé à l’avance. Mal reçues, ces remarques ou remontrances créent rapidement un mauvais climat et peuvent conduire le président à se séparer de son technicien. Que celui-ci soit un bénévole ou un professionnel ne change rien, bien que le technicien bénévole soit souvent mieux placé que le professionnel pour s’immiscer plus profondément dans le fonctionnement du club et pour susciter des révolutions de palais pouvant aller jusqu’à entraîner la démission du président.
13Une mention doit être faite des dirigeants devenant ce qu’on appelle dans le milieu sportif des officiels. Il s’agit de techniciens particuliers remplissant les fonctions d’arbitres, de contrôleurs, d’organisateurs... Leur compétence est attestée par l’obtention de brevets fédéraux hiérarchisés. Ces officiels qui sembleraient pouvoir établir un lien entre dirigeants et techniciens constituent souvent un corps assez fermé, très indépendant, parfois même hostile au corps des techniciens entraîneurs.
14Dans les petits clubs, il existe aussi des dirigeants - présidents compris - qui ont les titres fédéraux et qui remplissent les fonctions d’enseignants ou d’entraîneurs bénévoles. Leurs relations avec des techniciens professionnels salariés s’avèrent parfois très délicates...
LES TECHNICIENS D’HIER ET D’AUJOURD’HUI
15Considérant le poids que jouent la tradition et la routine dans le monde sportif d’aujourd’hui, je crois utile de faire quelques rappels historiques.
Le poids du passé
16Ce que j’ai dit au sujet des dirigeants est également vrai ici : dès que deux ou trois pratiquants se sont retrouvés sur le terrain pour pratiquer un jeu physique, l’un d’entre eux ayant un meilleur esprit critique a joué le rôle de technicien : j’appellerai cela le côté “libéral” de la fonction de techniciens et je devais le citer avant d’aborder un autre de ses aspects initiaux : son côté autoritaire.
17C’est à l'armée que revient le rôle historique d’avoir structuré le monde des techniciens sportifs. Les sports concernés visaient la préparation physique, virile et technique des soldats : escrime, boxe, gymnastique, natation, tir, ski... Amorcée dès le milieu du siècle dernier – certains disent depuis Napoléon 1er – cette action fut relativisée par la défaite de 1870.
18Certaines formations de techniciens spécialisés furent immédiatement mises au point de façon presque parfaite : je pense par exemple aux maîtres d'armes, aux moniteurs de gymnastique aux agrès... Les premiers réussirent même à constituer aussitôt un groupement à caractère corporatif dit Académie de Maîtres d'arme qui jouit encore aujourd’hui d’un grand prestige dans le milieu de l’escrime. Les seconds essaimèrent dans tous les villages de France où furent créés des clubs dits : la Fraternelle, l'Avant-garde, la Sentinelle...
19D’autres corps spécialisés s’intégrèrent moins bien dans le mouvement sportif moderne. En natation, les enseignants militaires débouchèrent sur la fonction de maître-nageur-sauveteur, mais pas sur celle d’éducateurs sportifs de natation.
20L’aspect formatif que prenait la pratique sportive à l’armée explique la très étroite imbrication des disciplines sportives et d’une éducation physique polyvalente. La méthode éclectique dite de Joinville perdura jusqu’à la première guerre mondiale.
21L’arrivée des universitaires, ou plus exactement du corps enseignant, dans le domaine des activités physiques entre les années 1930 et 1940 me semble avoir eu deux origines essentielles. Il s’est agi d’abord de remplacer dans les lycées les sous-officiers retraités anciens de Joinville, dont la conception de la discipline n’était déjà plus celle des enseignants de l’époque. Second souci fondamental : intégrer plus étroitement l’éducation physique dans les programmes d’enseignement, et pour cela former des enseignants en éducation physique aussi diplômés – donc en principe aussi respectables – que les enseignants d’autres disciplines. Ce souci d’intégration de l’éducation physique dans le programme éducatif de l’époque conduisait implicitement à rejeter l’idée de compétition, donc l’idée de sport. Ce n’est qu’après les années quarante qu’on transforma l’Education physique en Education physique et sportive. Mais cette addition fut plus motivée par le souci des professionnels de couvrir un secteur d’activité plus large, plutôt que par l’objectif de jouer dans l’avenir un rôle plus important au sein du mouvement sportif.
22Autre justification de la création de diplômes de moniteurs sportifs spécialisés dès le début du siècle : les besoins du tourisme. En alpinisme et plus encore en ski, la concurrence internationale fut à l’origine de la création de véritables diplômes professionnels.
23Ainsi donc, l’armée, l’éducation nationale, le tourisme ont secrété des techniciens sportifs professionnels avant même que le milieu sportif ne perçoive clairement leur nécessité. Ces professionnels ont créé des organisations corporatives avec lesquelles les dirigeants sportifs ont encore besoin de composer aujourd’hui.
Les techniciens sportifs bénévoles
24Des diplômes d’éducateurs sportifs bénévoles furent créés par la plupart des fédérations sportives pendant et après la guerre. Certains de ces diplômes comportent différents degrés de valeur. Dans certaines spécialités, ces éducateurs sont formés par les professionnels déjà en place – ski par exemple –, dans d’autres, les formations imaginées par les fédérations se différencient radicalement de celles précédemment mises en place – natation par exemple. Dans ces dernières, une influence directe ou indirecte des cadres en E.P.S. de l’Education Nationale semble s’être manifestée. Le corps des éducateurs sportifs bénévoles semble s’être très mal organisé : peut-être en raison d’un certain complexe d’infériorité vis-à-vis des professionnels, peut-être aussi en raison d’une confusion – et parfois même d’une certaine rivalité – qui semble s’être établie entre dirigeants animateurs et éducateurs bénévoles. Actuellement, le niveau de compétence attesté par la possession d’un diplôme de bénévole semble généralement se situer au-dessous de celui des Brevets d’Etat.
La création des Brevets d’Etat d’éducateurs sportifs marque une étape décisive
25Les premiers Brevets d’Etat créés le furent sous la pression des intérêts du tourisme (ski et alpinisme en 1948), ou dans un souci de sécurité de la pratique (judo en 1952).
26Ce n’est qu’en 1962 que furent pris en compte par l’Etat les besoins en éducateurs de l’ensemble du monde sportif – l’école, déjà servie, étant exclue. Ces Brevets d’Etat sont délivrés à trois niveaux :
- premier degré : droit d’entraîner ou d’enseigner.
- deuxième degré : qualification supérieure et aptitude à former les premiers degrés.
- troisième degré : aptitude à remplir des fonctions nationales et à former les deuxièmes degrés.
27De façon très globale, les compétences des “brevetés d’état”, et tout particulièrement celles des premiers degrés, les plus nombreux, semblent s’établir selon la hiérarchie suivante : -niveau de pratique : excellent.
- connaissances techniques : moyennes.
- compétence pédagogique : médiocre.
- connaissances et compétence en matière d’organisation du milieu sportif : insignifiantes.
28Dans les spécialités où furent créés les premiers Brevets d’Etat, ski et alpinisme en particulier, les brevetés s’organisèrent en syndicats. Ceux-ci, utilisant la carte politique, ont acquis un pouvoir nettement supérieur à celui des fédérations correspondantes. Ainsi, la F.F.S. lutta durant une dizaine d’années contre le syndicat des moniteurs de ski pour obtenir la création d’un brevet d’entraîneur permettant de remplir des fonctions pour lesquelles les moniteurs jugeaient inutiles d’être formés.
Le corps des D.T.N., C.T.R., C.T.D. : une technostructure type
29Avant même que ne soit mise en place la hiérarchie des brevets d’état, on assista à la création d’une structure très hiérarchisée de cadres placés à cheval sur les structures fédérales et celles des Directions Jeunesse et Sport. Auprès des Ligues départementales et des Directions départementales : un conseiller départemental (C.T.D.). Auprès des Ligues et Directions régionales : un ou plusieurs conseillers régionaux (C.T.R.). Auprès de l’échelon fédéral national : un Directeur Technique National (D.T.N.), patron – entre autres – d’une équipe d’entraîneurs nationaux généralement rétribués par l’Etat. La mise en place de cette structure fut le résultat de l’échec “saignant” que connurent les athlètes français aux J.O. de Rome en 1960. Sa mission essentielle se situa donc – et se situe encore – dans le domaine du sport de haut niveau aux trois échelons, départemental, régional et national. A ces trois échelons, et plus particulièrement à l’échelon national, la confusion entre le pouvoir théorique des instances fédérales et de leurs commissions sportives, et celui des conseillers fonctionnaires est totale. Quant au rôle de conseiller technique auprès des clubs que devraient jouer les C.T.D. et C.T.R., il est très négligé dans la plupart des cas.
30L’un des intérêts – non négligeable – de la création de cette nouvelle hiérarchie fut l’intégration officielle dans le mouvement sportif fédéral de professeurs d’E.P.S. spécialisés qui apportèrent un plus indiscutable dans le domaine des connaissances sportives théoriques, de la pédagogie et de la recherche. Cette situation est malheureusement dépassée car le corps des professeurs d’E.P.S. n’appartient plus à la Jeunesse et aux Sports, mais se trouve directement rattaché à l’Education Nationale. Un nouveau corps de Professeurs de Sport vient d’être créé, mais sa faiblesse en effectif le rend pratiquement inopérant.
31Autre conséquence fâcheuse de la création de ce corps de techniciens fonctionnaires directement responsables devant l’Etat : une déresponsabilisation partielle et parfois même totale des dirigeants sportifs dans le domaine technique. Je pense que cette amputation du pouvoir des dirigeants demeure une des causes essentielles de la difficulté de recrutement d’hommes de valeur pour la direction des clubs et fédérations.
Les professeurs d’E.P.S.
32Depuis les années de guerre déjà évoquées, leur situation a peu évolué. Leur compétence théorique dans les domaines des sciences de l’homme et de l’éducation, des techniques d’éducation physique et des techniques d’étude des spécialités sportives est indiscutable. Par contre, leur capacité à agir sur les terrains de sport et tout particulièrement au sein des clubs est très discutée. L’introduction d'options, c’est-à-dire de spécialités sportives à enseignement poussé et largement prises en compte dans les examens, a cependant constitué un pas en avant décisif. Hélas, au lieu de rechercher des équivalences entre ces options et les brevets d’état existant, on leur donna un contenu très différent. On alla plus loin encore, seuls dorénavant les brevetés d’état deuxième degré peuvent devenir C.T.R. ou C.T.D., ce qui exclut de ces fonctions les professeurs d’E.P.S. même optionnaires brillants. Il est d’ailleurs fortement question de supprimer les options dans les examens de recrutement des professeurs d’E.P.S...
33Ayant évoqué le poids et le rôle souvent négatif de certains syndicats de brevetés d’état, je dois aussi signaler que le syndicat des enseignants d’E.P.S. affilié à la F.E.N. n’a jamais manifesté le moindre intérêt pour l’action possible de ses membres hors de l’école, dans le mouvement sportif.
34Au-delà de la formation des enseignants en E.P.S., les Unités d’Enseignement et de Recherche (U.E.R.) des Universités sont habilitées à délivrer des D.E.U.G., des Licences et même des Maîtrises S.T.A.P.S. (Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives). Je ne connais aucun de ces nouveaux diplômés non titulaires d’un brevet d’état en fonction dans un club. S’ils exerçaient une fonction technique rémunérée sans être par ailleurs brevetés d’état, ils seraient dans l’illégalité...
35Le reproche généralement adressé par le milieu sportif au corps des professeurs d’E.P.S. est un excès d’intellectualisme et parfois même l’application de fausses données scientifiques. De leur côté, les professeurs d’E.P.S. jugent souvent le comportement des dirigeants sportifs comme rétrograde et irrationnel, et celui des brevetés d’état comme trop empirique et insuffisamment novateur... L’incompréhension entre ces deux corps de techniciens est flagrante et l’on voit mal dans ces conditions comment pourrait s’opérer le rapprochement tant souhaité du sport à l’école et du sport dans les clubs.
LE CHEVAUCHEMENT DES FONCTIONS DE DIRIGEANTS ET DE TECHNICIENS. LES CONFLITS
Une certaine bivalence est nécessaire pour les deux parties
36J’ai déjà évoqué l’utilité pour le dirigeant d’avoir une certaine compétence dans le domaine technique à la fois pour mieux choisir les techniciens et pour pouvoir éventuellement orienter ou réorienter leur action, également pour éviter de prendre hors du domaine technique toutes les décisions qui pourraient les gêner.
37Les techniciens, de leur côté, doivent chercher à s’intégrer au maximum dans la vie du club. Celui-ci étant un club sportif a intérêt à incorporer au maximum les techniciens dans toutes ses activités : recrutement, accueil, information, organisation, animation, voire même gestion...
Le technicien a généralement l’avantage du prestige
38C’est évident pour l’entraîneur vis-à-vis des compétiteurs. Cela devient de plus en plus vrai même hors de la compétition car le niveau de pratique des amateurs s’élève sans cesse et la virtuosité du technicien lui assure son prestige. Sa carence éventuelle au plan pédagogique passe souvent inaperçue aux yeux des pratiquants même si elle apparaît comme notoire au dirigeant averti.
39Ce prestige du technicien est évident au niveau des médias. Les succès de ses athlètes sont portés à son crédit. Leurs insuccès sont volontiers amputés à des fautes des dirigeants... Il existe une véritable cote locale, régionale ou nationale des entraîneurs. Le Directeur Technique d’un grand club français de football a, paraît-il, un salaire mensuel de l’ordre de 300 000 F ! Le vedettariat existe donc aussi du côté des techniciens. Notons cependant qu’il existe aussi quelques présidents-vedettes...
Le Président détient le pouvoir... à quelques nuances près
40Pour ses relations avec le technicien rétribué, le président fait jouer la règle “celui qui paie commande”. Mais il faut apporter à l’application de cette règle deux correctifs.
41Dans les grands clubs, le président doit composer avec l’opinion publique, fortement influencée par les médias. Le club est aidé par de nombreux membres bienfaiteurs, des entreprises, des collectivités publiques... Le président qui veut se séparer d’un technicien réputé doit justifier son acte sans nuire à ce dernier et c’est souvent difficile.
42Dans les clubs, grands ou petits, le technicien – fin politicien – peut opposer des dirigeants au président ou même convaincre une majorité des adhérents de l’incapacité de leur président. On s’aperçoit alors du rôle essentiel que peut jouer l’assemblée générale statutaire annuelle du club : questions insidieuses, vote de défiance, non reconduction en cas d’élection. On a souvent vu un technicien évincé – ou risquant de l’être – se retrouver dans le fauteuil de son président...
Les principales causes de conflit
43En premier, l’absence d’atomes crochus entre technicien et président. La cohabitation imposée, le chevauchement des fonctions multiplient les risques de friction même si les deux parties ont l’une pour l’autre une grande estime. Au-delà de l’estime, il faut que naisse une véritable amitié et je préciserai même une amitié à toute épreuve...
44Des rivalités de représentativité naissent fréquemment. On dit de tel ou tel président ou technicien “qu’il tire trop la couverture vers lui”, ou encore “qu’il porte trop d’ombre sur l’autre”. Pour les grands clubs, cela se passe au niveau des médias, pour les petits au niveau de l’opinion publique locale, des notables locaux, voire même au sein du club parmi les adhérents.
45Enfin, la cause de conflits la plus fréquemment évoquée est l’insuffisance des résultats obtenus par le technicien. Cela est surtout vrai dans les grands clubs : c’est la valse des entraîneurs en fin de saison dans les clubs ayant rétrogradé au classement national. Ne considérons pas les cas, heureusement fréquents, où entraîneurs et présidents se séparent de leur plein gré considérant qu’il y va de l’intérêt des deux parties et surtout de celui des joueurs. Approfondissons les cas où le technicien est rejeté par le président pour absence de résultats, c’est-à-dire, en fait, pour incompétence. Se pose-t-on toujours les questions suivantes : l’objectif assigné était-il réaliste ? Les moyens financiers et matériels mis en œuvre étaient-ils suffisants ? Des facteurs imprévisibles ne sont-ils pas intervenus ? La pression exercée par les dirigeants sur le technicien et les athlètes n’a-t-elle pas joué un rôle négatif ? Un insuccès momentané ne peut-il pas être une étape indispensable en direction d’un succès ultérieur ? L’effort réalisé en direction des jeunes ne compense-t-il pas momentanément l’insuccès d’une équipe première ? Cette question pose le problème du procédé d’évaluation du rendement du technicien sportif ; problème encore plus délicat dans les sports individuels.
46Je dois encore citer une cause de conflits qui pourrait devenir de plus en plus fréquente. Il s’agit de la réaction de l’une ou l’autre des parties devant un comportement moral du partenaire jugé inadmissible. On voit et on verra de plus en plus des dirigeants ambitieux et des entraîneurs ambitieux ou aimant trop l’argent, accepter ce que l’on appelle aujourd’hui les déviances du sport : la victoire à tout prix, la violence, le dopage, voire la malhonnêteté. Le divorce entre les deux parties est alors nécessaire et je souhaite, dans ce cas, qu’un très large éclairage soit fait même s’il porte atteinte à l’honorabilité d’un homme.
COMMENT EVITER LES CONFLITS ?
Ce qui peut être fait dans l’immédiat
47D’abord bien structurer les fonctions. Etant alors le responsable sportif national de la Fédération Française de Ski, j’avais proposé, en collaboration avec mon ami Jean Vuarnet, alors vice-président chargé du secteur sportif, une “checklist” récapitulant de façon détaillée toutes les actions à mener au sein d’un club, avec affectation de ces actions aux différents techniciens et dirigeants. Il suffisait de placer des croix en face des actions retenues, dans la colonne concernant chacun d’entre eux. Cette opération eut peu de succès et, après enquête, je fus persuadé qu'elle avait été perçue comme gênant la mise en œuvre de l’esprit d’initiative des dirigeants et techniciens français ; je pourrais tout aussi bien évoquer l’incapacité congénitale des Français à s’organiser pour travailler efficacement en équipe... Je pense qu’une "check-list" simplifiée pourrait être cependant proposée aux clubs par chaque fédération. Il serait aussi nécessaire de proposer aux clubs des organigrammes soulignant la place de chacun et prévoyant les instances de concertation et de coordination nécessaire.
48Seconde proposition essentielle : chaque club doit se définir des objectifs précis. Sans cela, comment dirigeants et techniciens pourraient-ils conjuguer leur action ? Cette définition d’objectifs concrets pourrait aussi aider dirigeants et techniciens à dégager les principes philosophiques de leur action. Le respect de l’éthique sportive doit figurer au premier plan du projet du club, non pas à des fins platoniques, mais pour “contrer” par anticipation toutes les déviances déjà citées. On a déjà parlé lors de la dernière Université d’été d’un projet éducatif pour les clubs.
49Troisième proposition : assurer des formations “mixtes" aux uns et aux autres. Dans les maigres programmes de formation proposés aux dirigeants, je pense que 50 % des enseignements devraient concerner l’aspect technique de la pratique sportive, peut-être en la voyant sous un angle particulier.
50De même dans les formations et les recyclages de techniciens, les problèmes que posent la vie des clubs, les relations dirigeants/techniciens bénévoles ou techniciens rétribués devraient être davantage étudiés. Il serait aussi nécessaire de demander aux C.T.D., C.T.R. et même D.T.N. de prendre davantage en compte la dimension du club. Leur action de conseillers devraient aussi s’exercer en direction des présidents et dirigeants actuellement oubliés dans la pyramide des responsables sportifs.
Ce qui pourrait être fait à plus long ternie
51Je vais présenter une liste non limitative de propositions à approfondir :
52– Chercher par tous les moyens à attirer des hommes de grande valeur dans le corps des dirigeants sportifs. Cela impose de donner aux clubs des moyens d’existence décents, en harmonie avec le mode de vie actuel. La remise au premier plan de la défense de l’éthique pourrait être motivante.
53– La reprise en main réelle des objectifs nationaux par la hiérarchie fédérale et, au bas de la pyramide, par les dirigeants de clubs pourrait, elle aussi, être motivante. Les fonctions de D.T.N., C.T.R., C.T.D. seraient à revoir.
54– Une documentation technique concise et suivant de très près l’évolution devrait être tenue à la disposition des dirigeants. Je crois plus à cette documentation qu’à une proposition de formation trop systématisée.
55– Unifier la formation et peut-être redéfinir une hiérarchie unique pour l’ensemble des cadres techniques sportifs.
56– Dans l’attente de cette unification, créer des passerelles entres les titres et les fonctions existants. Il faut que les hommes les plus efficaces puissent être placés là où l’on a le plus besoin d’eux, quelque soit leur ministère d’appartenance. Il faut aussi qu’après avoir donné le meilleur d’eux-mêmes pendant quelques années, ils puissent avoir des positions de repli honorables.
57– Dernière proposition : on sait que certains amateurs passionnés surclassent les professionnels dans de nombreux secteurs d’activité, pourquoi ne tenterait-on pas de pousser au maximum la compétence de techniciens bénévoles prêts à s’investir complètement dans le sport durant tout leur temps libre ? Aux plans de la compétence technique, de l’efficacité pédagogique, de l’innovation, voire même de la recherche, une saine émulation pourrait naître entre individus bénévoles et salariés ou peut-être même entre deux corps bien structurés de techniciens bénévoles et de professionnels salariés. De ce corps de techniciens bénévoles de très haut niveau pourraient en outre surgir des vocations de dirigeants et même de présidents...
58Ce qui nous aiderait à résoudre les problèmes dirigeants-techniciens que je n’ai fait qu’aborder au cours d’un exposé que je qualifierai sans hésiter de “trop long” et cependant très incomplet.
Auteur
Président du Grenoble Université Club Administrateur de l’U.N.C.U.
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