Évolution et situation de la presse écrite en France
p. 197-204
Texte intégral
1La communication existe depuis que l'homme est sur la terre.
2La radio a été précédée par les conteurs d’histoires.
3Les grands reportages commencent avec l'Iliade, l'Odyssée et se poursuivent avec les aventures de Marco Polo.
4Le journal a été écrit avant d'être imprimé. Les Egyptiens, les Romains, les Chinois avaient déjà créé des journaux recopiés à la main par les scribes.
5Quelques dates ont marqué des tournants dans la création et le développement de la presse en France. Cette évolution a toujours été tributaire, sans doute des progrès techniques de l'impression et de la diffusion, mais aussi de l'Histoire de France. La presse écrite a été le reflet de différentes sociétés et surtout des différents régimes politiques, qui lui ont accordé ou retiré la liberté d'expression.
1438 : | Gutenberg invente la typographie. Pourtant l'effet n'est pas immédiat sur l'édition. On publie quelques feuilles volantes, parfois imprimées, mais souvent encore manuscrites, appelées à l'époque des "occasionnels" ou des "canards". |
1631 : | Au mois de janvier, un imprimeur parisien crée une publication hebdomadaire, sous le titre : Les nouvelles ordinaires de divers endroits. Au mois de mai, ce journal est repris par Théophraste Renaudot, qui en change le titre et lance La Gazette. Docteur en médecine, né à Loudun, diplômé de la Faculté de Montpellier, Théophraste Renaudot est un protégé de Marie de Médicis, qui en fait le premier responsable de la communication, mais lui confie aussi le titre de Commissaire général aux pauvres du royaume, ce qui lui permet de faire édifier à Paris un dispensaire pour les indigents, initiative qui déplait au corps médical et lui fait beaucoup d'ennemis. Il se sert de sa plume, très brillante, pour défendre et renforcer ses positions. Mais en bon directeur de presse, Théophraste Renaudot a le sens commercial et un sens pratique du service à rendre au public. |
1777 : | Le premier quotidien : Le Journal de Paris, dont le succès sera difficile, d'abord parce que la concurrence de La Gazette même périodique persiste et aux XVIème et XVIIème siècles, la presse est assez méprisée par l'élite sociale et par les intellectuels. On lui reproche d'être soumise au pouvoir. Le Journal de Paris, contrôlé par la Maison Royale, le sera jusqu’en 1789. |
LIBERTE D’EXPRESSION ACCORDEE ET REPRIMEE
6La Révolution change tout, et surtout l'article Il de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789 :
"La libre communication de la pensée et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi".
7Il s'ensuit une floraison de nouveaux titres : 1500 entre 1789 et 1800.
8Mais la totale liberté pour la presse n'a qu'un temps, elle est déjà réduite sous la Terreur, parce que la "patrie est en danger", elle le sera encore bien plus après le 18 Brumaire, et Napoléon qui entend tout contrôler, n'autorise plus que dix journaux. Son opinion sur la presse est résumée par quelques lignes d’une lettre adressée à Fouché, son Ministre de l'Intérieur :
"Réprimez un peu plus les journaux. S'ils ne me sont pas utiles, je les supprimerai et n’en conserverai qu'un seul. Le temps de la Révolution est fini, je ne souffrirai jamais que les journaux disent ni fassent rien contre mes intérêts."
9Le retour des Bourbons, par rapport à l'empire, apporte un courant de libéralisation, bien que l'autorisation préalable soit maintenue. La Monarchie de Juillet tente aussi de réagir car elle n'est pas ménagée par la presse d’opposition et surtout par la presse satirique, les caricatures de Daumier sont impitoyables pour Louis-Philippe, qui en viendra à établir la censure sur les dessins.
10La Deuxième République (1848-1851) apporte un peu d'oxygène à la liberté de la presse, mais ensuite Napoléon III reprend les méthodes de son oncle, sans les pousser aussi loin, car il n'en a pas les moyens. Malgré la succession de restrictions, de tracasseries, de poursuites, d'interdictions et même d’emprisonnements et d’exils des journalistes, la presse s'est organisée et s'est fortifiée dans ses luttes avec les différents pouvoirs politiques. A chaque République, la presse a augmenté le nombre de ses titres et à chaque monarchie ou empire, elle l'a diminué, mais elle n'a cessé de faire progresser l'importance de son lectorat.
11Elle a bénéficié de plusieurs facteurs :
- L'industrialisation des méthodes de fabrication qui vont permettre d'abaisser le prix de vente des journaux.
- La conquête d'un nouveau marché en ralliant la clientèle bourgeoise.
- Le développement de l’Instruction, qui va encore s'accentuer sous la 3ème République.
- L’évolution des techniques : l'encre est de meilleure qualité, le papier de bois est remplacé par le papier de chiffon, les composeuses, les linotypes et les presses mécaniques font leur apparition dans les imprimeries avant la fin du XIXème siècle. Et en 1914, les rotatives permettront à Paris de tirer 50 000 exemplaires de 24 pages à l'heure.
- Le chemin de fer facilite le transport et la diffusion du papier de presse.
- La publicité (appelée réclame à l'époque) devient une ressource lucrative.
- Les transmissions des nouvelles sont facilitées par le télégraphe électrique mis au point par Morse (1845) et le transcripteur permettra dès 1866 de débiter 1000 mots à l'heure. Ce qui implique l'activité des agences de presse, et en particulier de l'agence française Havas (1835).
LE GRAND ESSOR DE LA PRESSE
12Dernier facteur qui n'est pas des moindres, la conception du journalisme s'est modernisée et mieux adaptée aux besoins du public, qui s'intéresse à l'actualité et aux mouvements des idées... depuis 1789.
13La presse prend sa place dans la vie sociale. Emile de Girardin l'a compris le premier et pour cette raison apparaît comme l'un des pionniers du journalisme moderne. Il n'a pas inventé la publicité, Théophraste Renaudot et d’autres y ont pensé avant lui, mais il a su en tirer des ressources suffisantes pour faire abaisser de moitié le prix des abonnements de son journal La Presse (1834) et de son principal concurrent Le Siècle. Il assure le succès relatif de sa nouvelle formule en créant la mode du feuilleton par sa publication dans La Presse des péripéties du "Capitaine Paul" d'Alexandre Dumas (1838). Le Siècle réplique par "Les Trois Mousquetaires" et "Le Comte de Monte Cristo" et Le Constitutionnel gagne 15 000 abonnements avec... "Le Juif Errant".
141863 est pourtant la date essentielle de l'avènement de la presse populaire, lorsque Moïse Millaud innove avec Le Petit Journal, premier quotidien vendu au numéro. En le proposant pour 5 centimes, il abaisse encore le prix de moitié par rapport à l'abonnement consenti vingt ans plus tôt par Le Siècle et La Presse, évalué à environ 10 centimes le numéro, ce qui était jugé à l’époque avantageux.
15La presse va conquérir au cours de la Troisième République une puissance politique, en exploitant toutes les affaires (Boulangisme, Panama, Dreyfus) et acquérir une puissance commerciale. En fait sur les 60 titres publiés à Paris en 1910, les quatre principaux, qui constituent la grande presse d'information et des faits divers, font monter les tirages considérablement. D'abord Le Petit Journal reste longtemps le leader, il conserve sa formule de journal populaire, retenant la fidélité de ses lecteurs par la publication de feuilletons en vogue et toujours un peu extravagants du genre "Rocambole" de Ponson du Terrail et "L'Affaire Lerouge" de Gaboriau. Il atteint ainsi en 1890 le million de numéros vendus quotidiennement.
16Cependant, il n'est pas le seul en compétition et Le Petit Parisien, fondé par Jean Dupuy, passera en tête, avant la guerre de 1914, en réalisant le plus fort tirage de toute la presse quotidienne mondiale : 1 500 000 exemplaires. Le Matin de Bunau-Varilla avec son style américain et Le Journal d’Eugène Letellier tiennent également le peloton de tête des tirages avec respectivement 900 000 et 1 million d'exemplaires.
17La presse politique, en raison de sa diversité et de son incontestable "pluralisme" n'a pas les mêmes résultats de vente, mais réussit à couvrir toutes les tendances et même les nuances de la politique républicaine. La gauche socialiste a son porte-drapeau avec L'Humanité, fondée en 1904 par Jean Jaurès, le radicalisme dispose de La Justice, L'Aurore où Zola publiera son célèbre "J'accuse", en pleine affaire Dreyfus. Le Figaro d'abord monarchiste, puis républicain modéré, perdra ses lecteurs en raison de ses positions dans l'affaire Dreyfus et perdra ensuite son nouveau directeur qui l'avait remis sur la voie du conservatisme traditionnel : Gaston Calmette est assassiné par Madame Joseph Caillaux en mars 1914.
18Dans la presse "centriste", on peut aussi classer Le Journal des Débats très académique et Le Temps qui disposait d'une grande audience à l'étranger, comme Le Monde aujourd'hui pour le sérieux de ses informations et de son style, et pourtant il ne vendait que 35 à 40 000 exemplaires.
19La droite classique ne manquait pas de plumes et de feuilles : L'Intransigeant de Rochefort, repris ensuite par Léon Bailby, La Liberté, La Patrie, La Presse et surtout L'Echo de Paris. Encore plus antiparlementariste : l'extrême droite monarchiste, dont la fameuse Gazette de France qui existait toujours et surtout L'Action Française animée par deux redoutables polémistes : Léon Daudet et Charles Maurras, organe des "camelots du Roi".
20La presse religieuse fut assez active à cette époque avec La Défense sociale et religieuse de Mgr Dupanloup (1876) et La Vérité (1893). Le Sillon de Marc Sangnier ayant été condamné en 1910 par le Pape Pie X, c'est La Maison de la Bonne Presse qui devient le fondement de la presse catholique moderne, avec Le Pélerin (1876) et La Croix, qui passera quotidien en 1883.
21La presse française s'est aussi spécialisée : le théâtre a son quotidien Comoedia (1907) et le sport en a deux : Le Vélo (1891) et L'Auto (1900).
22Si la grande province a gagné la province, surtout Le Petit Journal à ses débuts, la presse régionale s’organise dans le même temps, son premier quotidien Le Journal de Guyenne est imprimé à Bordeaux dès 1786. Les statistiques montrent ensuite la progression de la PQR (Presse Quotidienne Régionale) :
1812 :4 | quotidiens représentent | 3000 exemplaires |
1832 : 32 | quotidiens représentent | 20 000 exemplaires |
1860 : 60 | quotidiens représentent | 120 000 exemplaires |
1870 : 100 | quotidiens représentent | 350 000 exemplaires |
1914 : 242 | quotidiens représentent | 4 000 000 exemplaires |
(donc au moment où la presse nationale totalise 5 500 000 exemplaires) |
23Cette progression constante des tirages de la presse quotidienne française, qui atteint sa pointe en 1914, se recoupe avec une autre statistique portant sur le rapport entre le nombre d'habitants et le nombre d’acheteurs de la presse quotidienne.
24Il y avait en France, en :
1810 : 1 | lecteur pour 1000 habitants |
1830 : 3 | lecteurs pour 1000 habitants |
1860 : 25 | lecteurs pour 1000 habitants |
1870 : 73 | lecteurs pour 1000 habitants |
1914 : 244 | lecteurs pour 1000 habitants |
1939 : 261 | lecteurs pour 1000 habitants |
et en 1988, 185 lecteurs pour 1000 habitants. La France est tombée au 31ème rang mondial.
25Pourquoi le Français se détourne-t-il de sa presse quotidienne dans un monde de pleine communication ?
SITUATION ACTUELLE PREOCCUPANTE
26Quelle est la situation actuelle de la presse française ?
27Les évaluations les plus récentes du service juridique de l'Information recensent 2937 titres publiés en France dont 130 quotidiens, 898 hebdos, 1205 mensuels, 704 trimestriels ou autres parutions.
28Les 130 quotidiens se répartissent en :
- 15 Nationaux (dont les spécialisés : L'Équipe, Paris-Turf, Quotidien du Médecin...)
- 70 régionaux
- 45 départementaux
29Le tirage quotidien des 15 nationaux représente environ 2 800 000 exemplaires.
30Le tirage quotidien des 70 régionaux représente environ 7 000 000 exemplaires.
31Le tirage quotidien des 45 départementaux représente environ 1 200 000 exemplaires.
32Le tirage total de la presse quotidienne est donc d'environ 11 millions d'exemplaires. En comptant 20 % d'invendus, on arriverait à 8 ou 9 millions d’acheteurs de quotidiens. Ce qui, nous le rappelons, selon une statistique de l'UNESCO, place les Français au 31ème rang mondial avec 185 lecteurs de quotidiens pour 1000 habitants, alors que le Japon en compte 562, la RDA 550, la Finlande 535, la Suède 531, l'URSS 422, la Grande Bretagne 414, la RFA 350, les USA 268.
33On peut noter que dans le classement des dix premiers quotidiens français établi par l'OJD (Office de Justification de la Diffusion) sur la moyenne quotidienne de diffusion, c'est-à-dire de vente réelle, les quotidiens régionaux sont en bonne place et certains devancent même les nationaux.
1 Ouest-France | 736 423 |
2 Le Figaro | 443 006 |
3 La Voix du Nord | 377 219 |
4 France-Soir | 374 525 |
5 Le Monde | 363 663 |
6 Sud-Ouest | 360 766 |
7 Le Dauphiné | 359 489 |
8 Le Parisien | 357 776 |
9 La Nouvelle République | 272 724 |
10 Le Progrès | 271 036 |
34A titre indicatif : Libération est en 20ème position avec 165 539 exemplaires et L'Équipe en 15ème avec 254 327 exemplaires.
35La chute de France-Soir est assez spectaculaire pour être passée en 30 ans de 1 500 000 exemplaires par jour à 350 000... et certainement plus près de 250 000 aux prochaines statistiques.
36La situation de la presse régionale est meilleure que celle de la presse nationale, qui subit beaucoup plus les effets de la concurrence d'autres médias.
37D'abord dans la presse hebdomadaire et mensuelle spécialisée, quelques chiffres de tirage de magazines suffisent à apprécier l'importance de la clientèle :
Femme Actuelle | 1 835 000 exemplaires |
Modes et Travaux | 1 400 000 exemplaires |
38Mais le record appartient à la presse de télévision :
Télé 7 Jours | 3 137 000 |
Télé Poche | 1 769 000 |
Télé Star | 1 530 420 |
Télérama | 514 500 |
39Ensuite, la concurrence directe de la radio et de la télévision : un Français sur deux déclare suivre l'actualité au Journal télévisé et s'en contenter.
40Il y a d'autres raisons de la presse écrite, dont l'insuffisance de la modernisation technique de sa fabrication, un prix de vente encore excessif, une distribution qui n'est pas toujours adaptée aux exigences du lecteur et une rédaction qui n'a pas toujours su se remettre en cause et évoluer avec son temps.
41A-t-elle eu en particulier le bon réflexe et la bonne attitude face à la presse audiovisuelle ? En encourageant directement ou indirectement son lecteur à s’intéresser aux programmes de télévision, la presse écrite lui retire un temps de lecture et de ce fait se pénalise lourdement.
42Comment rendre indispensable et agréable à l'aube du XXIème siècle la lecture de la presse quotidienne, comme elle l’était à la fin du XIXème siècle et dans la plus grande partie du XXème siècle ?

Auteur
Président Honoraire de l'U.S.J.S.F.
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