Isaac Johannes Lamotius (1646 – c. 1718)
p. 37-59
Texte intégral
Origines d’Isaac Johannes Lamotius
1Les origines d’Isaac Johannes Lamotius peuvent être retracées à partir de la première moitié du seizième siècle (Figure 1) :
2Son arrière-grand-père. – L’arrière-grand-père d’Isaac Johannes Lamotius était Johannes (ou Jan) Lamotius, tisserand à Ieper et fils de Gheleyn Lamoot et de Vincence Melneyts. Le nom de famille s’écrivait aussi Lamoot (en Hollandais) ou Lamotte (en Français), avec quelques autres variantes. La forme latinisée Lamotius est la plus connue. La ville d’Ieper se trouve dans la province de West-Vlaanderen (Flandres occidentales), dans le sud-ouest de l’actuelle Belgique. Connue également en français sous le nom d’Ypres et en hollandais sous ceux de Ieperen ou Yperen, elle fut un tristement célèbre champ de bataille durant la première guerre mondiale. Johannes naquit vers 1530, de parents catholiques romains. Vers 1550 il devint protestant. Son choix pour cette nouvelle religion l’obligea à quitter son pays et, de 1554 à 1566 puis de nouveau de 1569 à 1574, il vécut en Angleterre. Là, il rejoignit l’Église des Réfugiés hollandais à Londres dont il devint rapidement un enseignant et un membre du conseil. En 1568, essentiellement pour des raisons religieuses, les Pays-Bas se révoltèrent contre leur souverain Philippe II d’Espagne, débutant ainsi la guerre de 80 ans contre l’Espagne. L’Église Réformée de Hollande fut officiellement reconnue aux Pays-Bas et, à partir de 1574, Johannes Lamotius exerça en tant que pasteur dans diverses villes hollandaises. Il mourut probablement avant 1592.
3Son grand-père. – Le grand-père paternel d’Isaac Johannes Lamotius, fils de Johannes Sr mentionné ci-dessus, s’appelait lui aussi Johannes et naquit vers 1570, probablement à Ieper. Johannes Lamotius Jr devint lui aussi pasteur. Durant sa jeunesse, il fut éduqué à Londres de c. 1576 à 1583 puis à l’université de Gand, alors dans le sud des Pays-Bas, actuellement en Flandres orientales en Belgique. En 1588, il entra à l’université allemande d’Heidelberg où il acheva ses études en 1590 avec la publication de sa thèse De Deo et essentia ejus (À propos de Dieu et de son essence). C’est le conseil de l’Église hollandaise de Londres qui paya ses études. Après son retour d’Heidelberg il officia en tant que pasteur dans divers endroits du nord des Pays-Bas. En 1604 il fut nommé pasteur à La Haye où il resta jusqu’à sa mort le 8 octobre 1627. Il prêcha à la fois en hollandais pour l’Église Réformée de Hollande et en français pour l’Église wallonne. Il se maria deux fois. Sa première femme, Marijken Van Hille, qu’il épousa en septembre 1592, lui donna deux enfants ; elle mourut avant 1604. Sa seconde épouse, Catharijne de la Planca (parfois écrit de la Planke ou même de la Prinze) lui donna au moins cinq enfants, dont Johannes (le père de Isaac Johannes) et Godefridus (né en 1617 à La Haye et mort en 1674 à La Haye). Ce dernier, comme son père et son grand-père, fut un pasteur bien connu.
4Son père. – Johannes Lamotius (le troisème du nom) naquit vers 1610 à La Haye. Contre la tradition familiale, il opta pour une carrière militaire au service de la V.O.C. (Vereenigde Oostindische Compagnie ou Compagnie néerlandaise des Indes orientales). Affecté aux Indes orientales (1634-1643) comme soldat mais rapidement promu Enseigne (1637), Capitaine (1639) puis Sergent-Major (1642), il devint par la suite membre du Conseil de Justice des Indes. Il servit aux Moluques, dans le nord de Sumatra, à Formose (Taiwan) et au Tonkin, et dirigea la prise de Malacca aux Portugais (1640-1641). En 1642 il épousa à Batavia (actuellement Jakarta, Indonésie) Catharina (ou Lijntje) Havers (parfois écrit Hagers ou Havart ou Havaert), née à Amsterdam quelque temps avant 1626, fille d’Isaac Havers (un marchand au service de la V.O.C. qui s’établit aux Indes en 1626) et de Catharina de Clercq. Catharina Havers avait été mariée deux fois auparavant : en 1634 à Daniel Van Vliet et, en 1639, à Mathijs Hendricksz Quast qui décéda le 5 octobre 1641. De ce second mariage, elle avait eu une fille. Le fils aîné de Johannes Lamotius (III) et de Catharina Havers fut prénommé Johannes ; né à Batavia en 1643 il étudiera vers 1660 à l’université de Leiden. Johannes Lamotius III, sa femme et son fils, quittèrent les Indes pour les Pays-Bas le 23 décembre 1643 à bord du Breda, de la flotte du retour, Lamotius commandant cette flotte. Le Breda arriva à Texel, aux Pays-Bas, le 19 août 1644. La famille Lamotius s’installa de toute évidence à Beverwijk, une petite ville au nord de Haarlem où naquirent trois autres enfants.
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Figure 1. La généalogie d’Isaac Johannes Lamotius telle qu’on la connaît.
Les premières années aux Pays-Bas (1646-1676)
5L’aîné de ces trois enfants, Isaac Johannes, personnage principal de ce livre, fut baptisé à l’Église Réformée de Hollande à Beverwijk le 29 mai 1646 sous le nom d’Isaac. Le prénom Johannes fut ajouté plus tard. Contrairement à celle de son baptême, la date exacte de sa naissance n’est pas connue. Le pasteur Godefridus Lamotius, son oncle et Catharina de la Planca, sa grand-mère, furent ses parrain et marraine. Deux autres enfants naquirent à Beverwijk : une fille, Anna Maria (baptisée le 18 novembre 1648) et un garçon, Jacob (baptisé le 3 septembre 1651). À part le fils aîné Johannes, né à Batavia, on ne connaît pas d’autres enfants de Johannes Lamotius III.
6On ne sait que relativement peu de choses des premières années d’Isaac Johannes. Des documents officiels de 1671 le mentionnent comme bailli (baljuw) et inspecteur des digues (heemraad) de Rhoon et Pendrecht, une région juste au sud de Rotterdam ; il occupa ce poste de c. 1669 jusqu’à vers 1672. De 1670 à 1673 environ il vécut à Charlois, qui fait actuellement partie de Rotterdam, mais en 1674 on le trouve à La Haye. Il vendit sa maison de Charlois en 1675. En 1673, il déposa une demande de brevet pour l’invention d’une pompe, mue par des chevaux, destinée à drainer les terres agricoles, les fermiers de son district s’étant plaints que l’eau qui restait dans leurs champs en début de printemps les empêchait de travailler la terre. L’invention de Lamotius visait à drainer les sols en un temps relativement court ; le 12 mai 1674 le bureau des brevets lui en accorda un pour 15 ans. D’autres inventions suivirent : en 1674 et 1675, il soumit une demande pour un second brevet, à savoir pour la soi-disant invention de modèles pour la fabrication de pièces de monnaie. Il inventa aussi une meilleure façon de scier l’ébène, méthode qu’il utilisa plus tard à l’île Maurice. De 1674 environ à 1676, Lamotius travailla comme apprenti chez un certain W. Van Mansvelt, marchand de gants, huile, épices et parfums, afin d’y être formé au commerce de la parfumerie. En juin ou juillet 1674, il se rendit en Angleterre avec Van Mansvelt pour acheter des gants. Il se maria probablement en 1675 et eut un enfant : dans un document du 22 novembre 1675, madame Lamotius est déclarée enceinte. Les documents relatifs au mariage de Lamotius et au baptême de cet enfant n’ont pu être retrouvés, ayant dû être détruits lors du bombardement de Rotterdam durant la seconde guerre mondiale.
7Le 16 octobre 1676, les directeurs de la V. O. C. (surnommés Heeren XVII, les 17 messieurs) décidèrent de maintenir, dans l’ouest de l’océan Indien, l’île Maurice en tant que station de ravitaillement pour la flotte des Indes orientales. Le commandant de l’île, Hubert Hugo, fut muté à Batavia et Isaac Johannes Lamotius fut nommé nouveau chef (opperhoofd) de l’île, leur attention ayant probablement été attirée par son invention sur la façon de scier l’ébène. Le 20 octobre 1676, Lamotius se présenta devant les directeurs de la V. O. C. et accepta volontiers le poste pour un salaire de 36 florins par mois. Il fut autorisé à emmener avec lui à Maurice sa femme et sa fille ainsi qu’une servante. Lors de cette réunion il fut décidé de placer Maurice sous le contrôle du gouvernement du Cap de Bonne Espérance.
8La famille Lamotius quitta la rade de Texel le 14 décembre 1676 à bord du Ceylon qui était le vaisseau-amiral de la « flotte partante ». Toutefois, probablement à cause du mauvais temps, la flotte fut forcée de se réfugier dans la rade de Wielingen, à l’extrême sud-ouest de la côte des Pays-Bas. Elle n’en repartit que le 11 mars 1677, arrivant au Cap de Bonne Espérance le 30 juin. Durant le voyage, Lamotius fut membre du conseil de bord et, lors de son bref séjour au Cap, il devint aussi membre du conseil de la ville du Cap. Le 27 juillet 1677, la famille Lamotius quitta Le Cap sur la hourque De Bode, n’arrivant à Fort Frederik Hendrik (Figure 2) à Maurice que le 17 septembre.
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Figure 2. Vue de Maurice avec le Fort Frederik Hendrik sur la côte.
Gravure de Johannes van Braam et Gérard Onder de Linden ; reproduite de François Valentijn, Oud en Nieuw Oost-Indiën, vol. 5, pt. 2, pl. 42, p. 152, 1726b. Avec l’aimable autorisation de la Bibliothèque du Congrès, Washington, D. C.
Chef de l’île Maurice (1677-1692)
9Le séjour de Lamotius à Maurice fut tragique à plusieurs titres. En 1679, au cours de la troisième année, les bâtiments et entrepôts de la Compagnie furent détruits par un incendie dû à la négligence de l’un des employés. La femme de Lamotius, enceinte, et leur fillette périrent dans le feu. Cette terrible perte est considérée par certains comme étant la cause d’un changement de l’état mental de Lamotius car, durant la seconde moitié de son séjour à Maurice, il eut beaucoup de problèmes avec les habitants de l’île.
10La population de l’île consistait en employés de la V.O.C. qui vivaient essentiellement dans la forteresse Frederik Hendrik (nommée en hommage à un frère du Prince Maurits d’Orange). Cette « forteresse », quelques bâtiments de pierre et de bois avec des toits de palmes, était le bureau central local de la V.O.C. (Figure 3). Elle était située sur la bordure sud-est de l’île à Warwijck Harbor, appelé aujourd’hui baie du Grand Port, au voisinage de la ville de Mahebourg. Plus au nord vivaient les vrijluiden (hommes libres) or vrijburgers (citoyens libres) qui étaient pour partie d’anciens employés de la V.O.C. restés sur place après l’expiration de leur contrat avec la Compagnie, et pour partie des gens venus essayer de faire fortune sous les tropiques dans l’agriculture et autres activités. Pitot (1905 : 210) détaille ainsi la population de Maurice de 1679 : 28 employés de la V.O.C., y compris le chef ; 63 esclaves de la Compagnie (39 hommes, 22 femmes, deux enfants) ; deux repris de justice exilés avec deux femmes et deux enfants ; 43 vrijluiden (16 hommes, neuf femmes et 18 enfants) possédant 13 esclaves (11 hommes et deux femmes). L’île n’avait pas de population autochtone. Quelques vrijburgers représentaient un atout pour l’île, tel Daniel Zaaijman qui était plutôt prospère, et vécut jusqu’en 1708 dans le nord de l’île (près de l’actuel Port Louis) avec sa femme et huit enfants, 10 esclaves et un troupeau de bétail de 37 têtes. Il partit au Cap de Bonne Espérance en 1708 où il mourut en 1714. Mais beaucoup des autres vrijluiden étaient inexpérimentés ou inintéressés par leur métier et se décourageaient aisément si les choses n’allaient pas bien ; et bien sûr il y avait un certain pourcentage d’aventuriers et de ruffians qui ne causaient que des troubles. La plupart vivaient dans le « Noortwijk vlakte », dans le district actuel de Flacq. La Compagnie n’avait pas de pouvoir juridique sur les vrijluiden et ne pouvait agir contre eux que s’ils menaçaient ses intérêts. Les inconduites très graves des habitants de l’île (tant vrijluiden que personnels de la V.O.C.) ne pouvaient être punies par le chef de l’île sans la permission du gouvernement du Cap de Bonne Espérance, sous la juridiction duquel Maurice était placée ; la plupart des personnes accusées de très graves délits étaient envoyées pour jugement au Cap. Lamotius portait le titre de opperhoofd (chef) de l’île et il devait prendre ses ordres du gouverneur du Cap de Bonne Espérance. Son rang au sein de la V.O.C. était celui de onderkoopman (second marchand). Son prédécesseur Hubert Hugo avait rang de coopman (marchand) et portait le titre de Commandeur de l’île laquelle ne tombait pas sous la coupe juridique du Cap, étant plus ou moins indépendante. Le salaire de Hugo s’élevait à 100 florins par mois. Lamotius en tant que oppperhoofd était d’un rang inférieur, de même que son salaire (36 florins par mois). À son arrivée à Maurice, le gouvernement du Cap avait donné à Lamotius des instructions très précises sur ses fonctions, ce qui lui liait fortement les mains. La personnalité de Lamotius était très différente de celle de Hugo qui, bien qu’employé de la V.O.C. de 1640 à 1655, avant ses fonctions à Maurice, avait été un corsaire au service de la France.
11La plupart des récits mentionnent qu’au début de son séjour à Maurice Lamotius faisait du très bon travail : « il commença comme un excellent commandant et fit tout son possible pour transformer Maurice en un établissement fructueux » (Moree 1998 : 84). Cependant, il y a des divergences de vue. Moree (1998 : 84) vante ses « sévères mesures contre les vrijluiden ». De son côté, Pitot (1905 : 195), basant son opinion sur les dires de Deodati, successeur de Lamotius, déclare qu’au début ce dernier se montra trop familier avec les vrijburgers qui tirèrent alors partie de la situation, de grandes réceptions auraient été données chaque jour : « on banquetait, on se grisait de compagnie, le matin lorsque le gouverneur tardait à paraître, les joyeux compères allaient même jusqu’à pénétrer dans sa chambre et l’arracher de son lit ». Cela est clairement exagéré mais, dans les instructions de Lamotius, il était mentionné qu’il devait se montrer amical vis-à-vis des vrijluiden afin d’attirer davantage de colons.
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Figure 3. Fort Frederik Hendrik.
Gravure de Johannes van Braam et Gérard Onder de Linden ; reproduite de François Valentijn, Oud en Nieuw Oost-Indiën, vol. 5, pt. 2, pl. 42A, p. 153, 1726b. Avec l’aimable autorisation de la Bibliothèque du Congrès, Washington, D.C.
12Beaucoup des vrijburgers, étant « un ramassis de ruffians » (Moree 1998 : 85), furent par la suite sévèrement (trop sévèrement ?) traités par Lamotius. Cependant, ce fut l’affaire Dubertin qui causa sa perte. Le lieutenant Jean-Baptiste Dubertin avait été commandant de la garnison du Cap de Bonne Espérance mais fut sévèrement puni pour détournement de biens de la V.O.C. et exilé du Cap pendant 25 ans. Avec sa femme Aletta Dubertin née Uytenbogaard1, il fut banni et envoyé à Maurice. Le couple y arriva vers janvier 1685 et s’installa au Noortwijk vlakte où demeuraient beaucoup de vrijburgers. Dubertin, que Lamotius désignait habituellement par Jean Baptista Dubbertin, était manifestement un beau parleur et un fauteur de troubles. Quand il arriva à Maurice, il prétendit être envoyé là en tant que membre d’une commission chargée de juger le gouvernement de l’île et Lamotius en particulier. Il ne resterait que quelques années et les autres membres de la commission arriveraient par le bateau suivant. Il affirmait également que Lamotius serait relevé de son poste et que selon toute vraisemblance c’est lui qui deviendrait le prochain chef. Pratiquement dès le début, Dubertin mena campagne contre Lamotius au sein des vrijluiden et du personnel de la Compagnie. En 1686, il fomenta même contre Lamotius une insurrection qui fut découverte à temps et étouffée dans l’œuf. Le conseil de Maurice décida alors d’arrêter et de bannir Dubertin et de l’envoyer à Tabaks Eijland (île du Tabac, probablement l’actuelle île Marianne, au large de la côte sud-est de Maurice). Quand on l’arrêta, Dubertin était caché dans un placard de sa maison mais, durant son transfert, il réussit à s’échapper dans les bois (d’autres récits disent qu’il s’échappa de l’île du Tabac, ou même qu’il fut ramené au fort pour y être fortement fouetté puis envoyé pour jugement à Batavia). Dubertin resta environ six mois dans les bois du nord de Maurice, secrètement aidé par quelques vrijluiden. Finalement il s’échappa de l’île sur un navire anglais. Mme Dubertin fut obligée par le conseil de vivre au plus près du fort afin d’y être plus facilement surveillée, mais elle aussi s’échappa secrètement sur un bateau anglais en 1689 et rejoignit les Pays-Bas (information fournie par Lamotius au conseil du Cap). Lamotius punit plutôt sévèrement les vrijluiden qui avaient aidé Dubertin et envoya un rapport détaillé de la situation aux autorités du Cap.
13Tout cela aurait pu n’avoir aucune conséquence pour Lamotius s’il n’y avait pas eu Mme Dubertin née Uytenbogaard. Quand elle fut en Hollande, elle convainquit son père, M. Joan Uytenbogaard, alors juge à la Cour de Justice d’Utrecht, qu’elle avait été très mal traitée et que Lamotius ne devait pas rester impuni. La famille Uytenbogaard était une importante famille patricienne aux Pays-Bas (et elle l’est toujours) et exerçait clairement une grande influence sur le directoire du V.O.C., ayant vraisemblablement des relations personnelles familières avec la plupart des directeurs. M. Uytenbogaard et plusieurs « amis d’Aletta Uytenboogaard » (lettre de Lamotius au Conseil du Cap défendant ses actions) portèrent contre Lamotius une accusation qui, par nécessité, n’était fondée que sur l’information fournie par Aletta Dubertin. Les accusations étaient si graves que le gouverneur général de Batavia ordonna au commandeur du Cap, Simon Van der Stel, et à son conseil d’arrêter Lamotius et les membres de son conseil mauricien, Abraham Steen et Jacob Ovaar, et de les envoyer à Batavia pour y être jugés. Les accusés furent transportés sur la flûte Duijf (pigeon), qui quitta Maurice en décembre 1692 et arriva à Batavia le 21 février suivant. Lamotius fut emprisonné au château de Batavia le 23 février 1693. Son procès n’eut cependant lieu que le 23 août 1695. Pour le moins étrange, le premier chef d’accusation fut que Lamotius s’était battu avec son co-accusé J. Ovaar qu’il aurait si méchamment blessé qu’un docteur aurait dû être appelé. De plus, il était dit que Lamotius, tout d’abord avec des cadeaux et des « amabilités » aurait essayé de séduire Mme Dubertin et que, comme elle ignorait ses avances, il serait devenu fort grossier. Toutefois, Lamotius montra une lettre datée du 6 octobre 1686 (neuf mois après l’arrivée des Dubertin à Maurice) qu’il avait reçue de Mme Dubertin et dans laquelle elle exprimait très fortement sa déception que Lamotius ne leur ait pas rendu visite en une certaine occasion. Lamotius expliqua cela en disant que ce n’était pas lui qui avait cherché à séduire Mme Dubertin mais plutôt l’inverse et que, pour échapper à ses avances, il l’évitait et que, lors de quelques unes de ses excursions dans l’île, il avait fait de longs détours pour éviter sa maison. Il expliqua aussi ses actions à l’encontre de diverses personnes de l’île qui avaient tenté de conspirer contre lui et le conseil. Les punitions qu’il leur avait infligées étaient bien sûr sévères mais toujours dans les limites de ce à quoi il était autorisé. Un des châtiments les plus durs était le leersen (un mot de l’ancien hollandais dérivé de leers, actuellement laars, signifiant « botte »). D’après le dictionnaire hollandais bien connu Groot Woordenboek der Nederlandsche taal de Van Dale (1914) (cinquième édition, p. 1008), le laarzen était une certaine punition infligée aux marins consistant à leur administrer une correction à l’aide d’un morceau de corde sur le pantalon mouillé (il n’est pas clair pour nous ce que cela a à voir avec les bottes). Au procès à Batavia l’accusation officielle était basée presque exclusivement sur le document d’Uytenbogaard. Dans cette accusation la peine de mort était requise contre Lamotius, et des peines plus légères pour les autres accusés. Le résultat du procès dut être une grande déception pour Aletta : au lieu de la peine de mort, la sentence à l’égard de Lamotius fut six années de banissement sur l’île de Rosengain dans l’archipel de Banda (en fait une sentence très légère comparée aux 25 années de banissement de Dubertin). Lamotius perdit également son poste à la Compagnie et se vit infliger une amende relativement lourde. À l’évidence sa défense avait dû faire bonne impression à la cour. Le fait qu’il avait déjà séjourné deux années en prison a dû également jouer. Les déclarations contradictoires sur le comportement de Lamotius à Maurice ne permettent pas d’établir clairement ce qui s’est réellement passé. L’explication qu’il serait brusquement devenu un tyran assoiffé de sang après avoir été un chef idéaliste et enthousiaste semble très insatisfaisante et irréaliste, et il est plutôt intéressant de noter que ce changement aurait manifestement débuté à l’époque où les Dubertin arrivèrent à Maurice. La sentence plutôt légère semble également montrer que les juges n’ont pas été très impressionnés par les accusations.
14Un aspect plus agréable du séjour de Lamotius à Maurice fut son étude de l’île elle-même et de ses produits (Pietsch 1991 ; Pietsch & Holthuis 1992). Pitot (1905 : 192) le décrit comme « un homme fort intelligent et fort instruit pour son époque, il possédait des connaissances assez étendues dans la plupart des sciences exactes ». Durant sa première année en tant que chef, il visita à pied les côtes de l’île et dressa une carte relativement détaillée (Figure 4). Il fut capable de déterminer, le plus précisément possible eu égard aux instruments imparfaits dont il disposait, la circonférence de l’île qu’il estima à environ 180 milles anglais (environ 290 km). Pour cela, il voyagea à pied durant 21 jours, suivant la côte et coupant dans les angles du rivage, par étapes de trois à six milles. Il entreprit aussi diverses explorations dans l’intérieur qui ne donnèrent pas grand-chose bien qu’il soit crédité de la découverte d’un grand plateau au centre de l’île.
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Figure 4. Carte de Maurice, peut-être dessinée par Isaac Johannes Lamotius.
Algemeen Rijksarchief, La Haye, Carte no 334. Avec l’aimable autorisation de R. T. Lachman de la Division des Cartes et Dessins.
15Lamotius porta toute son attention sur l’agriculture. Sa première action en tant que nouveau chef fut de restaurer le jardin de la Compagnie à Noortwijk que l’ancienne administration avait laissé à l’abandon. Il dégagea le site et y planta principalement du riz, de l’orge et du blé. À la fin de l’été de l’année suivante les cultures avaient si bien poussé – le riz était superbe quoique ne produisant pas encore ; l’orge produisait relativement bien, le blé était en herbe – que le 2 août 1678, Lamotius plutôt fier, invitait Wobbema, capitaine du navire Bode à venir voir le changement qui avait eu lieu. Malheureusement, avant que les récoltes puissent être faites, elles furent complètement détruites par les sauterelles et autres nuisibles. Lamotius essaya aussi de cultiver beaucoup d’autres plantes comme des cocotiers, de la vigne (pour produire du vin), de la canne à sucre, du maïs et du tabac, et il expérimenta sur leur culture. L’expérience avec le tabac ne mena à rien en raison de l’inexpérience et du désintérêt des colons et du fait que de grandes quantités pouvaient être obtenues relativement facilement auprès des bateaux anglais ; Lamotius demanda aux autorités du Cap d’envoyer quelqu’un connaissant la culture du tabac. Quant aux vignes, 20 000 à 30 000 pieds furent plantés et réussirent bien jusqu’à ce qu’un orage diluvien arrache la plupart d’entre eux ; ici encore Lamotius demanda de l’aide au Cap et suggéra qu’on lui envoie un assistant vigneron. Également, 1400 cocotiers furent plantés ainsi que de la canne à sucre et les deux réussirent bien : « à Lamotius revient l’honneur, non de l’avoir introduite [la canne à sucre], car [quand il arriva à Maurice] il s’en trouvait déjà dans l’île en petites quantités, mais de l’avoir propagée ; elle poussait remarquablement bien, les colons libres avaient fabriqué de petits moulins à bras au moyen desquels ils en extrayaient le jus, dont ils préparaient un sirop très doux et très blanc ; quant à la fabrication du sucre, toute personne au courant des procédés et pourvue d’un attirail convenable, pourrait en obtenir des quantités considérables qui feraient un sérieux objet d’exportation » (Pitot 1905 : 223 ; actuellement, environ 90 % des terres agricoles de Maurice sont dévolues à la canne à sucre qui constitue évidemment l’une des principales sources de revenus pour l’île). Mais tout ce bon travail arriva à sa fin quand, le 17 mars 1679, Lamotius reçut l’ordre du Cap de cesser les plantations, d’arrêter toute autre agriculture à Noortwijk et de partager toutes les terres entre les colons.
16Le 21 décembre 1677, peu après son arrivée, Lamotius commença la construction d’un barrage sur la rivière Nyon (nom actuel) qui se jette dans la partie nord de la baie du Grand Port. Le réservoir d’eau ainsi formé était destiné à faire fonctionner une scierie et une tannerie qu’il se proposait d’établir. Si le barrage fut complètement terminé le 27 février 1678, la construction de la scierie prit plus de temps en raison de la longue maladie de deux ouvriers et du décès du constructeur des suites d’une chute. De plus, la construction ne pouvait pas être légère, la scierie devant être aussi résistante que le barrage, diverses ferrures furent donc réclamées au Cap pour consolider l’arbre de couche. La scierie ne fut donc pas inaugurée avant février 1681. Établie principalement pour débiter des planches d’ébène destinées à l’exportation, elle donna d’assez bons résultats au début mais tomba vite en abandon à la suite d’une extraordinaire sécheresse.
17Le colon Ian Yser qui, à son arrivée sur l’île avait été affecté à la tannerie, avait lui aussi bien réussi au début : en 1681 il envoya au Cap 300 paires d’empeignes, 30 protège-chevilles et 52 formes, ainsi que 516 paires de chaussures de deux styles différents. Mais, passant outre la réglementation, il se mit à vendre en secret de grandes quantités de peaux et de chaussures aux équipages des navires anglais. Après une résolution du Conseil, Lamotius le somma de reverser à la Compagnie ce qu’il avait reçu en paiement des marins anglais. Peu après, la tannerie fut détruite par un ouragan et Yser l’abandonna pour se mettre à l’agriculture.
18Du temps de Lamotius quelques plantations subirent des déprédations par les insectes, les rats et même les cerfs. Ces derniers n’étaient pas indigènes à Maurice mais avaient jadis été introduits de Java et étaient devenus un fléau. Les cyclones, inondations et sècheresses s’ajoutèrent à ces déprédations. La plupart des vrijluiden étant inexpérimentés en matière d’agriculture, Lamotius demanda des spécialistes dans les divers domaines mais ceux-ci étaient manifestement difficiles à trouver. Une autre difficulté concernait les bateaux anglais auxquels, plutôt qu’à la Compagnie, les colons vendaient illégalement divers produits. Étant souvent à cours de main d’œuvre, ces bateaux prenaient aussi à bord les personnes qui souhaitaient quitter l’île pour échapper au châtiment pour inconduite. On ne pouvait pas grand-chose contre eux, l’Angleterre n’étant pas en guerre contre la République hollandaise (en fait, le Stadholder Willem III des Pays-Bas était à cette époque roi d’Angleterre, étant le William de William et Mary).
19Dans une lettre datée du 10 novembre 1690 à Simon Van der Stel, gouverneur du Cap, une description détaillée de l’île Maurice est donnée par Lamotius qui, comme l’a mentionné François Valentijn (1726b, vol. 5B, no 4, p. 155) dans son « Oud-en Nieuw Oost-Indiën », l’avait explorée à fond (« wel doorkropen »). Dans ce rapport, Lamotius montre la richesse en bois utilisable ainsi que la possibilité de préparer du vin de palme (aracq) et de faire du cuir à partir des peaux de chèvres et de cerfs, et que de la chaux peut être obtenue par calcination du corail. Il mentionne en outre les résultats de ses expériences sur diverses plantes comme les Pattattos (pommes de terre ?), « haricots » et « blé du Cap » (maïs ?) et qu’il a expérimenté sur les vignes, plantations de cocotiers et de canne à sucre, et bien d’autres choses. Il indique aussi que le bétail rend bien. Sur les pois sons de l’île, Lamotius écrit : « les montagnes ont d’utiles forêts et sont séparées les unes des autres par des vallées fertiles et par des rivières riches en poissons. […] [Ils] peuvent être pris dans les rivières et dans la mer autour de l’île en de telles quantités qui ne sont possibles ailleurs dans le monde que dans quelques sites. […] La viande et les poissons sont si abondants ici qu’il serait possible d’en embarquer chaque année une grande quantité vers le Cap de Bonne Espérance ou toute autre implantation de la Compagnie. […] Les rivières de l’île, et particulièrement […] la mer autour d’elle […] fournissent beaucoup de sortes de poissons qui, salés et séchés, peuvent être conservés pendant des années et transportés. Les plus appropriés à cette fin sont les poissons de mer qui sont ici si abondants que parfois un ou deux coups de filet avec une senne suffisamment grande peuvent emplir une chaloupe entière ». L’ambre gris se trouverait aussi en quantité sur la côte, apporté par les flots ; la difficulté étant qu’il y est mangé par les porcs et les crabes terrestres et ramassé par les vrijluiden pour être vendu aux bateaux anglais. À la fin de sa description de l’île, Lamotius liste « diverses herbes, graines et racines que l’on trouve ici sur l’île Maurice et qui sont utilisées en médecine contre diverses maladies et affections ». Il énumère ensuite 39 espèces de plantes, en leur donnant essentiellement des noms hollandais et/ou latinisés (pré-linnéens). Pratiquement toutes sont des espèces ouest-européennes probablement introduites ou des espèces indigènes ressemblant plus ou moins à des espèces que Lamotius connaissait de Hollande.
20Nous reproduisons ici dans son intégralité cette liste de plantes de Lamotius. Son texte pour chaque espèce est copié verbatim et placé entre guillemets. La traduction littérale en français des noms hollandais est donnée entre parenthèses, notre identification et autres remarques sont ajoutées entre crochets. Les identifications de Lamotius sont probablement basées sur le langage botanique en vieil hollandais de Rembert Dodoens (Rembertus Dodonaeus), le Cruijdeboeck publié à Anvers en 1554 (818 p. et plusieurs pages non numérotées avec des index et sommaires). Pour l’identité de ces vieux noms nous avons consulté le Woordenboek der Nederlandsche Volksnamen van Planten de H. Heukels (1907, Amsterdam, p. i-viii, 1-332). Nous avons reçu une aide fort précieuse pour les identifications de M. W. J. Holverda de l’Herbier national à Leiden et de Mme le Dr Gerda Van Uffelen du Hortus Botanicus, également à Leiden ; ils nous ont aidés pour les noms qui autrement nous auraient déroutés et nous leur sommes reconnaisants du temps qu’ils ont pris pour répondre à nos questions. Pitot (1905 : 193-194, note infrapaginale) a donné une traduction française de la liste de Lamotius avec ses propres identifications que nous donnons également. Lamotius énumère les espèces suivantes :
21- « Vesicaria alkakengi, krieken over Zee » (cerises d’outre-mer). [Physalis alkekengi L., Alkekenge, amour en cage, Poc-poc. Dodoens (1554 : 476, 477, fig.) appelle cette espèce en hollandais Criecken van over zee, en latin Vesicaria vulgaris ; sa figure est excellente et ne laisse aucun doute sur l’identité. Le nom hollandais actuel est Lampionplant (lampion chinois). Pitot (1905 : 193) l’appelle Vésicaire officinale mais le genre Vesicaria est à présent considéré comme un synonyme d’Alyssum, famille des Brassicaceae].
22- « Trifolium acetosum, koekoex suering » (oseille de coucou). [Oxalis acetosella L., Oxalis petiteoseille ou Pain de coucou, le nom hollandais actuel est klaverzuring (oseille-trèfle). Dodoens (1554 : 544, fig.) l’appelle en hollandais Coeckoecks broot (pain de coucou) et en latin Oxys ; sa figure ne laisse aucun doute sur l’identité. Pitot (1905 : 193) l’identifie comme Oxalis repens (Alleluia) ; cette plante est ainsi dénommée car elle fleurit à Pâques].
23- « Erigeron tertium, grijs kruyd » (herbe grise). [Ce nom est à l’évidence emprunté par Lamotius à Dodoens (1554 : 607, fig.) qui mentionne Erigeron tertium, Grijscruyt, étant la troisième espèce d’Erigeron après Erigeron primum & secundum, Groot ende cleyn Cruyscruyt (grand et petit séneçon). Actuellement Grijskruid est le nom hollandais officiel de Berteroa incana (L.) mais cette appellation vernaculaire a également été utilisée pour Filago minima (Sm.), Gnaphalium et Senecio ; M. Holverda déclare que Dioscorides utilisa le nom Erigeron pour désigner Senecio vulgaris, une espèce très commune aux Pays-Bas. Mme Van Uffelen a souligné que, d’après la figure de Dodoens, le grijscruyt pourrait être une espèce d’un quelconque des divers genres apparentés à Erigeron ou Senecio. Pitot (1905 : 193) l’a identifié comme Erigeron canadiense (Vergerette) ? qui est le même que Conyza canadensis (L.)].
24- « Portulaca sijlvestris ». [Portulaca oleracea L., Dodoens (1554 : 612, figs) décrit et représente deux espèces de Portulaca : Portulaca hortensis, Tamme Porceleyne (Portulaca cultivé) et Portulaca sylvestris, Wilde Porceleyne (Portulaca sauvage) qui sont à présent considérées comme la forme cultivée et la forme sauvage d’une seule espèce, Portulaca oleracea L. Lamotius se référait à la seconde forme. Pitot (1905 : 193) l’identifia comme Quadripeda pilos ; P. oleracea (Pourpier marron). Aux Pays-Bas, seule l’espèce Portulaca oleracea est reconnue, dans ses formes cultivée et sauvage].
25- « Semper vivum ». [Dans sa description de l’île, Lamotius écrit que « en beaucoup de places pousse en grande abondance le Sempervivum qui donne l’Aloé » ; il est donc possible qu’il s’agisse ici d’Aloe. Dodoens (1554 : 139-141, figs) désigne sous l’appellation Sempervivum plusieurs espèces de Sedum et de Sempervivum, il donne aussi (p. 393) une description et une bonne figure d’Aloe (utilisant Aloe à la fois en latin et en hollandais). Pitot (1905 : 193) identifie l’espèce de Lamotius comme Joubarbe, orpin (Herbe aux cors) ? qui est la même que Sempervivum tectorum L., famille des Crassulaceae. Rouillard & Guého (1999 : 556) pensent que Lamotius faisait allusion à Lomatophyllum purpureum (Lam.) Dur. & Schinz (Mazambron, Socotrine du pays) une Liliacée endémique réputée médicinale].
26- « Sinapi sylvestre, moostaard » (moutarde). [Sinapis alba L. ; pour cette espèce, Dodoens (1554 : 660-661, figs) utilise mostaert, reconnaissant deux formes : Sinapi hortense, Tamme Mostaert (moutarde cultivée) et Sinapi sylvestre, Wilde Mostaert (moutarde sauvage). C’est à cette dernière forme que Lamotius se réfère. Le nom hollandais actuel est mosterd ou witte mosterd (moutarde blanche ou Sénevé). Pitot (1905 : 193) l’a identifiée comme Sinapis chinensis, Brassica sinapistrum (Moutarde)].
27- « Cypres ». [Identité inconnue, mais Dodoens (1554 : 399) utilise les noms Tithymalus Cyparissias, Cypressen wolfsmelck pour Euphorbia cyparissias L. Pitot (1905 : 193) a lu le nom comme étant Cypris et donne pour identification Taxodium distichum (Cyprès chauve). Taxodium n’est pas un arbre hollandais, mais Lamotius ne donnant pas de détails une identification sûre est impossible. Mme Van Uffelen note que Dodoens (1554 : 808-809, fig.) liste Cupressus, Cypressenboom, qui est peut-être Cupressus sempervirens L.].
28- « Hedera nigra, swarte veijl » (lierre noir). [Hedera helix L. ; Hedera est bien sûr le lierre et le mot veijl est utilisé par Dodoens (1554 : 714) pour le lierre. Dodoens reconnaît deux espèces : Hedera nigra, Swerte Veyl (Lierre noir) et Hedera helix, Cleyne Veyl (Petit Lierre). Mme Van Uffelen souligne que Dodoens utilise Hedera nigra pour la forme grimpante, recouvrant les arbres, les murs, etc. et Hedera helix pour la forme qui couvre le sol. M. Holverda nous a informés que le nom nigra est actuellement utilisé par quelques jardiniers de serre pour une variété cultivée de lierre. L’identification de Pitot (1905 : 193) donne deux possibilités : Hedera helix et Glecoma hederacea (lierre) : le lierre grimpant et Glechoma hederacea L. le Gléchoma faux-lierre ou Courroie de Saint-Jean].
29- « Solanum solatrum ». [Atropa belladonna L. ; sous l’appellation Solanum lethale, Groote Nascaye (= Atropa belladonna L.), Dodoens (1554 : 478, fig.) dit : « Cette herbe est maintenant connue comme Solanum lethale. En pharmacie on la dénomme Solatrum mortale ». M. Holverda nous a fait remarquer que Solatrum minus a été utilisé par Saladin (1450) pour désigner Atropa belladonna L. Pitot (1905 : 193) identifie l’espèce comme Solanum nigrum (morelle noire, herbe à gale, brède martin). En français Belladone ou Herbe empoisonnée].
30- « Parietaria, glass cruijd » (herbe de verre). [Parietaria officinalis L., Dodoens (1554 : 58, fig.) utilise Helxine seu Parietaria, Glascruyt, pour cette espèce qui est clairement la plante que désigne Lamotius. Pitot (1905 : 193) propose aussi l’identification Parietaria off. (queue de rat) ?].
31- « Verbena recta, ijser cruijd » (herbe de fer). [Verbena officinalis L. ; Dodoens (1554 : 154, fig.) utilise le nom Verbena recta, Verbene, et (p. 156) remarque qu’en hollandais on l’appelle Verbene ysercruyt en yserhert (Verveine, herbe de fer et cœur de fer). Mme Van Uffelen nous a donné l’identification Verbena officinalis L. Pitot (1905 : 193) lui aussi arrivait à la même conclusion : Verveine off. (herbe à tous maux, herbe au foie)].
32- « Lamium, dove netelen » (ortie sourde). [Lamium sp., lamier ; le genre est indiqué Lamium, Doovenetelen, par Dodoens (1554 : 160, 161, fig.) qui ne distingue pas les espèces. Actuellement le nom vernaculaire hollandais dovenetel (ortie sourde) est toujours en usage pour les espèces du genre Lamium. Pitot (1905 : 193) identifie le Lamium de Lamotius à Lamium album (lamier, ortie blanche)].
33- « Ophioglossum natertongskens » (langues de vipères). [Ophioglossum officinale L. ; Dodoens (1554 : 166, 167, fig.) emploie Ophioglosson, Natertonghesken pour Ophioglossum officinale L. dont le nom hollandais officiel actuell est Addertong (langue de vipère) ; Pitot (1905 : 193) l’appelle O. ovatum (oreille de souris, l’un dans l’autre, herbe paille en queue)].
34- « Menta Wilde » (menthe sauvage). [Mentha spp. ; le nom hollandais Wilde munt (menthe sauvage) a jadis été utilisé pour deux espèces de Mentha. Dodoens (1554 : 279-282, figs) reconnaît six espèces de Munte (menthes), deux sauvages, les autres manifestement cultivées. Les sauvages sont appelées Mentastrum, Roode water Munte (Menthe aquatique rouge), i.e., Mentha aquatica L., et Sisymbrium, Witte water Munte (Menthe aquatique blanche), i.e., Mentha rotundifolia L. L’identification de Pitot (1905 : 193) est Menta [sic] viridis (Menthe)].
35- « Salvia Wilde » (sauge sauvage). [Teucrium scorodonia L. ; Dodoens (1554 : 288, fig.) a appelé cette espèce Sphacelus Theophrasti, Wilde Savie (voir Heukels 1907 : 252), elle est manifestement celle que désigne Lamotius. Dodoens utilise aussi Savie pour Salvia mais avec des adjectifs différents. Actuellement, Wilde Salie est le nom hollandais officiel de Teucrium scorodonia. Pitot (1905 : 193) donne Sauge écarlate (aigrette d’Egypte). Le nom français est Germandrée scorodoine ou Sauge des bois].
36- « Unifolium, eenblad » (une feuille). [Maianthemum bifolium (L.) ; Dodoens (1554 : 218, 219, fig.) utilise Unifolium, Eenblat pour Maianthemum bifolium comme l’indique clairement son illustration. Il s’agit manifestement de l’espèce désignée par Lamotius. Bien que le nom vernaculaire soit encore localement utilisé pour l’espèce, le nom hollandais officiel est Dalkruid (herbe de la vallée). Pitot (1905 : 193) emploie Uniole ? En français, c’est le Maianthème à deux feuilles].
37- « Melanthium nigella ». [Nigella damascena L. ; Dodoens (1554 : 306-308, figs.) reconnaît trois espèces de Nigella : Melanthium sativum, Tamme Nigelle (Nigelle cultivée) ; Melanthium sylvestre, Wilde Nigelle (Nigelle sauvage) et Melanthium Damascemum, Nigella van Damasco (Nigelle de Damas). Des trois, seule la dernière est citée avec certitude des Pays-Bas où elle est une plante de jardin populaire. Pitot (1905 : 193) donne Nigella sativa (cumin) ?].
38- « Peucedanus, verkens venkel » (aneth de porc). [Peucedanum officinale L. ; cette espèce est encore connue sous les noms vernaculaires hollandais de Varkensvenkel (Aneth à cochon) ou de Varkenskervel (Cerfeuil à cochon). Dodoens (1554 : 330-331, fig.) l’appelle Peucedanus, Verckens Venckel et en donne une bonne figure. Pitot (1905 : 193) donne lui aussi l’identification P. officinalis (Peucédan)].
39- « Arum palustre, water Aren » (oreilles ou pointes d’eau). [Calla palustris L. ; Dodoens (1554 : 359-360, fig.) utilise Arum palustre, Water Aron pour désigner Calla palustris dont il fournit une bonne figure. M. Holverda souligne que l’Aren de Lamotius est clairement une erreur de copiste pour Aron. Pitot (1905 : 193) donne l’identification Arum maculatum, Calla palustris (Gouet, herbe à pain) ? En français Calla des marais].
40- « Tithijmalus Characias, wolvs-melk » (lait de loup). [Euphorbia characias L. ; Dodoens (1554 : 397, fig.) décrit et figure cette espèce comme Tithymalus Characias, Wolfsmelck manneken (euphorbe mâle). Le nom Tithymalus Tourn. est parfois employé pour un sous-genre d’Euphorbia. Pitot (1905 : 193) identifie correctement l’espèce de Lamotius comme Euphorbia characias (Euphorbe, herbe de lait) ?].
41- « Latijris, spring kruijd » (herbe sautante). [Euphorbia lathyrus L. ; Dodoens (1554 : 403, fig.) appelle cette espèce Lathyris, Springcruyt. Pitot (1905 : 193) l’identifie aussi comme telle : Euphorbia lathyris (Herbe à l’épurge) ?].
42- « Peplos, duijvels kruijd » (herbe du diable). [Euphorbia peplus L. ; Dodoens (1554 : 405, fig.) appelle cette espèce Peplos, Duyvels melck (lait du diable). Pitot (1905 : 193) l’identifie comme Euphorbia peplus, Opuntia vulgaris. (dentelaire grimpante, raquette) ?].
43- « Snistax levis, klocxkens winde ». [Convolvulus sp. ; le nom klocxkens winde (liseron à clochettes) a été jadis utilisé pour diverses espèces de Convolvulus. Dodoens (1554 : 427, 428, figs) emploie Smilax lenis maior, Groote clocxkens winde (grand liseron) pour Convolvulus sepium L. et Smilax lenis minor, Cleyne clocxkens winde (petit liseron) pour Convolvulus arvensis L. L’orthographe Snistax levis est clairement une erreur de copiste pour Smilax lenis. Pitot (1905 : 193), qui reconnaît Snistax comme une erreur pour Smilax, identifie l’espèce comme Smilax anceps (Salsepareille, croc de chien)].
44- « Cassijtha of Cuscuta, Schorvte ». [Cuscuta sp. ; Dodoens (1554 : 434, 435, fig.) utilise Cassytha, Scorfte pour désigner le genre Cuscuta, et Lamotius l’emploie aussi dans ce sens ; le nom Schorfte est toujours utilisé dans quelques districts des Pays-bas. Pitot (1905 : 193) suggère Cassytha filiformis (cuscute, liane sans fin). La plante de Lamotius ne peut être identifiée qu’au niveau du genre].
45- « Felix mas, varen mannetjen » (fougère mâle). [Dryopteris filix-mas (L.) ; Dodoens (1554 : 437, 438, fig.) utilise Filix mas, Varen manneken (fougère mâle) pour cette espèce. La solution de Pitot (1905 : 193) est Nephrodium (fougère mâle)].
46- « Felix famina, varen wijfjen » (fougère femelle). [Athyrium filix-femina (L.) ; Dodoens (1554 : 437, 438, fig.) l’appelle Filix foemina, Varen wijfken (fougère femelle). Pitot (1905 : 193) l’identifie comme Davallia tenuifolia (petite fougère, tambavine) ? D’après Rouillard & Guého (1999 : 44), il pourrait s’agir de Sphenomeris chinensis (L.) Maxon var. chinensis, une Lindséacée indigène]. - « Felicastrum, groot varen » (grande fougère). [Osmunda regalis L. ; le nom vernaculaire Groot varen désignait autrefois en hollandais Osmunda regalis dont le nom officiel est actuellement Koningsvaren (Fougère royale). Dodoens (1554 : 438, 439, fig.) utilise Sideritis altera, Osmunda, Groot Varen pour Osmunda et remarque (p. 439) que certains l’appellent Felicastrum. Pitot (1905 : 193) lit comme Filices suum le nom écrit par Lamotius et l’identifie comme “Aspidium Sw. coriaceum” ?].
47- « Felicula polijpodium, boomvaren » (fougère arborescente). [Polypodium vulgare L. ; Dodoens (1554 : 440, 441, fig.) nomme cette espèce Polypodium, Boomvaren et remarque dans le texte “In Latijn Filicula en Polypodium” (en Latin Filicula et Polypodium). Pitot (1905 : 193) l’identifie Filices polypodium, P. Phymatodes (Polypode.). Le nom actuel hollandais est Eikvaren (fougère chêne)].
48- « Scolopendria honds-tongen » (langues de chiens). [Scolopendrium vulgare L. ; le nom vernaculaire hollandais est Tong varen (Fougère langue). Dodoens (1554 : 442, 443, fig.) utilise Phyllitis, Steen Hertstonghe (Langue-de-cerf de sol rocheux). D’après la figure de Dodoens, Heukels (1907 : 230) a montré que le Hertstonghe de cet auteur est identique à Scolopendrium vulgare. Pitot (1905 : 193) l’appelle Sc. officinale (scolopendre, herbe à la rate). Le nom de Hondstong est actuellement utilisé aux Pays-Bas pour Cynoglossum. Un nom français est Langue de cerf].
49- « Longitus aspera, gragt varen » (fougère canal). [Blechnum spicant L. ; Dodoens (1554 : 443, fig.) utilise le nom Lonchitis aspera, Gracht varen pour Blechnum spicant L., et c’est clairement l’espèce mentionnée par Lamotius. Pitot (1905 : 193) donne l’identification douteuse de Lonchitis ?].
50- « Asplenium, steenvaren » (fougère de roche). [Asplenium ruta-muraria L. ; cette espèce, qui pousse souvent entre les pierres des vieux murs est appelée Asplenum, Steen varen par Dodoens (1554 : 444-445, fig.) ; sa figure confirme l’identité. Pitot (1905 : 193) fournit l’identification Asplenium nidus (langue de boeuf)].
51- « Polutrijchon, wederdood ». [Asplenium trichomanes L. ; Wederdood ou Wederdoot est un nom vernaculaire hollandais jadis utilisé pour cette espèce. Dodoens (1554 : 447, fig.) la dénomme Trichomanes, Wederdoot et mentionne que le nom Polytrichon est utilisé pour elle en pharmacie. Pitot (1905 : 193) lui aussi l’identifie comme telle : Asplenium trichomanes, Polytrichum commune (capillaire) ? Le nom Wederdood est encore utilisé pour cette espèce dans certains secteurs des Flandres ; le nom hollandais officiel est Steenbreekvaren (fougère saxifrage)].
52- « Pulmonaria, longenkruijd » (herbe à poumons). [Lobaria pulmonaria (L.) ; cette espèce est un lichen, dont le thalle est en forme de feuille, qui pousse sur les arbres et les rochers. Dodoens (1554 : 449, fig.) l’appelle Pulmonaria, Longhen cruyt ; c’est une herbe médicinale bien connue et il s’agit bien de l’espèce mentionnée par Lamotius. Le nom latin Pulmonaria est également utilisé par Dodoens (1554 : 153, 154, fig.) pour une phanérogame à laquelle il donne le nom vernaculaire Onser vrouwen melckcruyt (l’herbe à lait de Notre-Dame). Cette espèce appartient à la famille des Boraginaceae étant actuellement connue comme Pulmonaria officinalis L. ; son nom hollandais officiel est Longkruid (Herbe à poumons). Dodoens (1554 : 154) mentionne l’emploi en pharmacie de ce nom vernaculaire pour cette espèce. Pitot (1905 : 194) arrive à la conclusion correcte : Pulmonaria off. (lichen, herbe aux poumons)].
53- « Pomum spinosum, doorn appel ». [Datura stramonium L. ; cette espèce est dénommée Stramonia, Doren appel par Dodoens (1554 : 472-473, fig.) qui note qu’en Italie elle est appelée Pomum spinosum. Actuellement elle porte le nom officiel hollandais de Doornappel, en français Datura stramoine, Pomme épineuse ou Herbe du diable. Pitot (1905 : 194) arriva aussi à cette conclusion en l’appelant Datura stramonium (herbe des démoniaques, herbe du diable)].
54- « Dufter ». [Le mot dufter nous est totalement inconnu. La possibilité qu’il fasse partie du dernier mot de la ligne précédente (car il y a un court trait horizontal après ce mot) est improbable car appeldufter n’a pas plus de sens. Il se peut que l’orthographe du mot relève d’une erreur de copiste, mais même comme cela on ne voit pas ce qu’aurait pu être l’orthographe d’origine. Pitot (1905 : 194) lit ce mot Dutter et dubitativement l’identifie à Detarium. (detar) ?, un genre de la famille des Leguminosae. Cela semble toutefois un peu tiré par les cheveux].
55- « Arachis of wilde visschen [le dernier mot est corrigé en “vitzen” par une main différente mais contemporaine] 2 a 3-derley soort ». [Vicia spp. ; la phrase originale dit Arachis ou poissons sauvages, ce qui n’a pas de sens ; la correction de visschen en vitzen, donne en revanche un sens : Vitsen est le nom hollandais utilisé par Dodoens (1554 : 524-527, figs) pour les espèce du genre Vicia L. Il reconnaît trois espèces : Vicia, Vitsen ; Arachus, Crock ; et Wilde Vitsen. La traduction de l’entrée de Lamotius serait alors “Arachis ou Vicia sauvages de 2 ou 3 espèces”. L’identification serait donc Vicia spp. Pitot (1905 : 194) opte pour Arachis (arachide, pistache de terre) ?].
56- « Claveren twee a 3derleij soort” (trèfle de deux ou trois espèces). [Trifolium spp. ; le nom hollandais actuel du trèfle, Trifolium L., est Klaver. Dodoens (1554 : 535-536, fig.) traite de diverses espèces, incluant les trèfles blancs et rouges, sous le seul nom de Trifolium pratense, Ghemeyn claveren (Trèfle commun). L’identification est donc Trifolium spp. Pitot (1905 : 194) s’est complètement fourvoyé car il pensait que le nom hollandais Claveren s’appliquait au champignon Clavaria ; d’où son identification de Clavaria (clavaire, champignon) ?].
57- « Corex ». [Ce nom ne signifie rien pour nous. M. Holverda a suggéré qu’il puisse s’agir d’une orthographe erronée de Carex, un genre qui compte beaucoup d’espèces aux Pays-Bas, dont au moins une, Carex arenaria L., est d’intérêt médical. Mme Van Uffelen nous a mentionné que Dodoens (1554 : 548, fig.) décrit un Carex, Rietgras, qui est clairement un Sparganium, probablement S. erectum L., au vu de la figure de Dodoens. Pitot (1905 : 194) l’identifie avec doute comme Corisen (coris, ginseng) ?, Coris étant un genre méditerranéen (famille Primulaceae)].
58- « Zeugdistel » (chardon à truie, lastron piquant). [Sonchus sp. ; le nom hollandais zeugdistel est utilisé localement pour des espèces du genre Sonchus L. ; le nom hollandais actuel du genre est Melk distel (chardon à lait)].
59Il est surprenant de voir combien Lamotius connaissait toutes ces plantes, dont neuf sont des fougères et trois ou quatre des Euphorbia, ce qui démontre que ses connaissances n’étaient pas superficielles. Il ne disposait manifestement pas de littérature botanique à Maurice ainsi qu’il l’insinue lui-même : « de plus, il y a ici beaucoup d’autres herbes hollandaises dont les noms ne viennent pas immédiatement à l’esprit ». Il avait dû prêter une grande attention aux plantes à l’époque où il vivait aux Pays-Bas. Il aurait alors utilisé le livre de Rembert Dodoens (Rembertus Dodonaeus 1554) comme cela est suggéré par son large emploi de noms vernaculaires et latins contenus dans cet ouvrage. La plupart des espèces qu’il cite étant d’importance médicale, ou du moins utiles pour une raison ou pour une autre, il est possible qu’il ait amené avec lui de Hollande des graines et des plants qu’il ait essayé de faire pousser à Maurice. Sa déclaration qu’il y avait « beaucoup d’autres herbes hollandaises » appuie notre supposition que les 39 plantes de sa liste provenaient également des Pays-Bas.
60Lamotius était en contact avec des naturalistes et des collectionneurs aux Pays-Bas ainsi qu’en atteste le fait qu’il envoyait des graines et des animaux à M. Joan Huydecoper van Maarseveen (21 février 1625-1er décembre 1704), bourgmestre d’Amsterdam, qui était l’un des directeurs de la V.O.C. et Commissionnaire du Hortus Medicus à Amsterdam. Lamotius envoya à Huydecoper des graines de Momordica charantia L. qui furent plantées au Hortus Medicus et fructifièrent en 1686 (voir Wijnands 1983 : 92, 211). Lamotius envoya aussi des animaux à Huydecoper : P. Smit (1986 : 132, 133) mentionne que, dans la collection Huydecoper, il y avait : « des poissons et un perroquet de Maurice donnés par Isaac Lamotius ». Dans les archives de la famille Huydecoper figure la copie d’une lettre datée du 7 décembre 1685 de Joan Huydecoper à I. J. Lamotius dans laquelle il le remercie pour trois lettres (datées des 28 novembre 1682, 29 février et 1er décembre 1683 et respectivement reçues les 1er novembre 1683, 29 août 1684 et 30 juin 1685). Dans cette lettre Huydecoper mentionne qu’il n’a reçu ni oiseaux ni dessins (par Lamotius ?) d’arbres et de poissons. De plus, il précise que son filleul, l’assistant Huybert Jongmaier, s’est noyé (de toute évidence à Maurice) en traversant une rivière et qu’avec lui ont été perdus les dessins d’oiseaux qu’il avait faits. Huydecoper espérait que Lamotius pourrait trouver un autre artiste et par conséquent il lui envoyait une boîte de peinture avec des pinceaux ainsi qu’un catalogue de diverses plantes que lui et M. Commelijn (C. Commelin) aimeraient avoir pour le Hortus Medicus. Le nom de l’artiste Huybert Jongmaier est mentionné par Pitot (1905 : 223) qui l’orthographie Hubert Jongmaayer. Pitot écrit aussi qu’en 1681 Jongmaier fut nommé membre du conseil de Maurice quand deux autres membres quittèrent l’île. Il ne dit rien sur les qualités artistiques du jeune homme ni même qu’il s’est plus tard noyé.
61Durant son séjour à Maurice, Lamotius non seulement étudia les animaux et les plantes mais il effectua aussi les dessins de poissons et d’animaux marins que nous publions ici. Il est très intéressant que plusieurs de ces planches soient datées. Nous savons ainsi qu’au moins sept d’entre-elles on été faites à Maurice : figure no 29, « Maurice, 13 novembre 1680 » ; no 57, « Maurice, 20 mars 1680 » ; no 59, « Maurice, 3 avri1 1680 » ; no 114, « Tabaks Eijland située 3 miles au large de Maurice, 19 octobre 1692 » ; no 124, « Tabaks Eijland, 20 octobre 1692 » ; no 125, « Tabacs Eijland, 17 octobre 1690 » ; no 171, « Paaij en Maaijs Eijland située à 3 milles au large de l’île Maurice, 26 novembre 1691 ». Bien que non datées, d’autres planches ont également dû être faites à Maurice si l’on en juge aux noms que leur a donnés Lamotius : no 103, Mauritius Voorn (Gardon de Maurice) ; no 109, Cabbelliauw van Mauritius (Cabillaud de Maurice) ; no 140, Mauritius Grundel (Goujon de Maurice) ; no 146, Sardijn Mauritius (Sardine de Maurice) ; no 149, Mauritius Bot (Flet de Maurice) ; no 153, Mauritius Braassem (Brême de Maurice) ; no 164, Mauritius Gulletje (Petite Morue de Maurice) ; no 170, Mauritius Knor Haantje (Rouget de Maurice) ; no 185, Mauritius Bliek (Sprat de Maurice) ; no 231, Mauritius Caantje (Carrelet de Maurice) ; no 237, Mauritius Schol (Plie de Maurice) ; no 239, Mauritius Grietje (Carrelet de Maurice) ; no 240, Mauritius Tarboth (Turbot de Maurice).
62L’intérêt de Lamotius pour les poissons est mieux démontré par le fait qu’après son arrestation, alors qu’il était en route pour être jugé à Batavia sur la flûte d’Duijf, il continua à peindre les poissons qu’il obtint durant ce voyage en mer : no 30, « capturé le 12 février 1693 par 5 degrés 31 minutes de Latitude, Longitude, 124 : 32, Latitude sud, naviguant vers Batavia sur la flûte d’Duijf » ; no 31, « capturé à la latitude S. 7 degrés 31 minutes, Longitude 116 : 34 le 24 janvier 1693, naviguant vers Batavia sur la flûte d’Duijf » ; no 126, « capturé par S. Latitude 7 degrés 3 minutes, Longitude 116 degrés 34 minutes le 24 janvier 1693 ». M. W. J. F. Mörzer Bruyns, conservateur en chef du Nederlands Scheepvaart Museum (Muséum maritime des Pays-Bas) à Amsterdam, nous a aimablement informés que, du temps de Lamotius, les cartes marines de la V.O.C. indiquaient les longitudes vers l’est (0-360°) à partir de Ténérife, îles Canaries. Le Pico de Teide, Ténérife, se trouvant à 16° 38’ouest de Greenwich, on doit déduire cette quantité des longitudes données par Lamotius. Ainsi, la position correcte est de 107° 54’E (nord de Jakarta) pour les poissons illustrés sur les figures 30 et 31, et de 99° 96’E (sud-ouest de Sumatra) pour celui de la figure 126. Ces données montrent aussi qu’il peignait lui-même : il est clair que durant son voyage à Batavia aucun artiste n’aurait été mis à sa disposition.
63Il est intéressant de noter que du temps de Lamotius une période de fermeture de la chasse avait été instaurée à Maurice. Dans un document du 4 septembre 1687, Lamotius mentionne que le « citoyen libre » Daniel Zaayman a eu une amende de 10 rijxds (10 rijksdaalders) soit 25 florins pour avoir chassé en dehors des dates d’ouverture : une protection de l’environnement sur Maurice en 1687 ! Deodati, le successeur de Lamotius en tant que chef de Maurice, se trompait à l’évidence complètement quand il disait que Lamotius n’avait rien fait pour renforcer ces lois et qu’il aurait même encouragé les chasseurs à tuer gibier et tortues (Pitot 1905 : 195). Comme beaucoup des informations de Deodati sur Lamotius, qui provenaient nécessairement d’ouï-dire, cela aussi est soit faux soit grossièrement exagéré.
64Dans les documents que nous avons consultés, Lamotius ne fait aucune mention expresse à l’avifaune de l’île. Toutefois, il est récemment apparu à propos de la date d’extinction du Dodo, Raphus cucullatus (L., 1758). Moree (1998 : 87) et Hume et al. (2004) déclarent que, dans ses journaux des années 1685 à 1688, Lamotius mentionne qu’en douze occasions ses chasseurs rapportèrent des dodaersen. Les auteurs cités sont évidemment enclins à accepter ces données comme se référant bien au Dodo même si ils citent Cheke (2001 : 348) qui a montré « qu’en 1668 l’appellation de dodo avait généralement été transférée au Râle rouge, Aphanapteryx bonasia ». De plus, le nom hollandais dodaers (ou plus moderne dodaars) n’est pas spécifique de Raphus et ne prouve pas l’appartenance à ce genre. De nos jours, dans la littérature ornithologique hollandaise, Dodaars est officiellement le nom vernaculaire hollandais du Grèbe castagneux, Tachybaptus ruficollis (Pallas, 1764). Nous n’avons pas vu les journaux de Lamotius des années 1685-1688 mais à l’évidence ils ne contiennent aucune autre information, description ou illustration, qui garantirait l’identité de ces dodaersen. Nous ne pouvons donc pas confirmer que Lamotius ai vu un vrai dodo ou que l’espèce existait encore à Maurice durant son séjour. Dans sa description de Maurice, Lamotius ne fait aucune mention du dodo ou d’un quelconque autre oiseau ; nous ne savons même pas s’il avait un intérêt pour les oiseaux, quoique cela puisse être vraisemblable.
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Figure 5. Carte marine des îles Banda.
La plus orientale des dix îles qui forment cet archipel est Rosingeyn, dénommée actuellement Rozengain, où Isaac Johannes Lamotius vécut en exil de 1695 à 1701. Gravure de Johannes van Braam et Gérard Onder de Linden ; reproduite de François Valentijn Oud en Nieuw Oost-Indiën, vol. 3, pt. 2, pl. face à la p. 6, 1726b. Avec l’aimable autorisation de la Bibliothèque du Congrès, Washington, D. C.
Exil aux Moluques (1695- ? 1702)
65On ne connaît pratiquement rien de Lamotius durant son exil sur l’île de Rosengein dans l’archipel de Banda (Figure 5). Rien ne montre qu’il exécuta réellement des travaux forcés avec mise aux fers. Valentijn (1726a, vol. 3B, no (2), p. 93) mentionne que Lamotius se lia d’amitié avec Balthasar Coyett, le gouverneur de Banda, qu’il avait rencontré à Maurice alors que celui-ci se rendait des Pays-Bas aux Indes orientales. Ils devinrent à l’évidence de très bons amis. Coyett avait été nommé « secunde » de Banda en 1691, puis gouverneur provisoire en 1694 et enfin gouverneur en 1697. Au vu des localités où il peignit ses planches, Lamotius était autorisé à circuler largement dans l’archipel de Banda et, comme le mentionne aussi Valentijn (1726a : 93), quand Coyett fut promu gouverneur d’Amboine en 1701, il emmena Lamotius avec lui. Toutefois, peu après, les autorités de Batavia ordonnèrent que Lamotius soit renvoyé à Banda. Sur Amboine Lamotius pourrait même avoir rencontré G. Rumphius. Ces indications et aussi les nombreuses planches qu’il fit durant son séjour aux Moluques, montrent clairement que l’exil de Lamotius ne fut pas une période très difficile pour lui et que sa vie y était plutôt agréable avec des quantités de poissons et autres animaux marins à peindre, et une grande liberté de mouvement.
66Comme pour celles de Maurice, quelques illustrations de poissons faites à Banda sont datées avec indication de la localité : no 50, « capturé à Neira dans la province de Banda, 16 octobre 1698 » ; no 129, « capturé à Neira dans les fossés du château de Nassau, 16 septembre 1698 » ; no 188, « capturé à l’île de Gunung Api [Gunung Api = volcan] à Banda le 22 octobre 1698 » ; no 203, « capturé dans un bobber [sorte de trappe à poissons, voir Beekman 1999 : 394, par. 8, fig.] à l’île de Pisang ou Parampouan dans la province de Banda, 9 octobre 1697 » ; no 220, « capturé à Neira dans la province de Banda dans un Ceri [une nasse à poissons ; voir Beekman 1999 : 394, par. 7, fig.] ». Les figures 165 et 166, toutes les deux indiquées Steur van Banda (esturgeon de Banda), et la 236, avec pour seule indication « Banda », ne sont pas datées. Les figures qui portent des noms malais, telles celles de tous les crustacés décapodes et stomatopodes, ont très vraisemblablement toutes été exécutées aux Moluques (i.e., île Banda, etc.)
67Il est fort vraisemblable que Coyett admira beaucoup les planches de Lamotius et que celui-ci lui en fit des copies. Cela est d’autant plus probable que, ainsi que nous l’a suggéré Christian Érard du Muséum de Paris, l’écriture des légendes de la planche du jeu de Coyett publiée par Pietsch (1995, p. 46, fig. 60) est quasi certainement celle de Lamotius. Quand il était à Amboine, Coyett ajouta à sa collection des copies de Lamotius de nombreuses planches réalisées par Samuel Fallours. Ce dernier, qui avait le titre de krankbezoeker (visiteur des malades), était curé du vicaire François Valentijn à Amboine. Il s’intéressait aux animaux marins dont il fit de nombreuses illustrations et copia aussi le jeu Coyett-Lamotius. Il réalisa plusieurs duplicata de ses planches qu’il donna (ou vendit) à diverses personnes intéressées comme F. Valentijn, B. Coyett et le successeur de ce dernier en tant que gouverneur d’Amboine, A. Van der Stel. Pietsch (1995) relate de manière exhaustive l’histoire de ces jeux de planches, dont plusieurs ont été publiés au 18e siècle. Des facsimilés en couleurs des jeux possédés par Coyett et Van der Stel, qui furent publiés par Renard en 1719, ont été reproduits par Pietsch. Les dessins de Fallours furent souvent rejetés comme étant fantasques, sauf par quelques ichtyologistes fort connus comme Peter S. Pallas (1770 : 19), Georges Cuvier (1828 : 86-88) et Pieter Bleeker (1856a : 63) qui, bien que reconnaissant la médiocre qualité de ces illustrations, soulignèrent qu’il ne s’agissait pas de simples produits fantaisistes mais qu’elles devaient toutes avoir été réalisées à partir de spécimens réels. Bleeker (1856b : 29) qualifia la figure d’Irona renardi publiée par Renard (1719) de « très défectueuse et outrée » mais néanmoins suffisante pour reconnaître l’espèce. Cela a aussi été discuté exhaustivement par Pietsch (1995).
Le séjour de Lamotius en Afrique du Sud (1702 ?-1718)
68On ne sait que peu de choses du séjour de Lamotius en Afrique du Sud après son exil à Banda. François Valentijn (1726b, vol. 5B, no (4), p. 153) qui, durant son voyage de retour aux Pays-Bas, rendit visite à Lamotius en 1714 en Afrique du Sud, mentionne son excellente collection de dessins de poissons, ressemblant aux peintures que lui-même (Valentijn) avait recueillies à Amboine. Apparemment, Valentijn ne réalisa pas qu’une grande partie de ses propres peintures, dues à Fallours, étaient des copies de copies de celles de Lamotius. D’après les archives du Cap de Bonne Espérance, nous savons que Lamotius résidait au Cap en 1709 : dans un document daté de septembre 1709 il signale le vol d’un kabaai (kabaja ou cabaya, le mot malais pour désigner une sorte de blouse ou de veste) et de quatre chemises. Le 1er février 1718, il sollicite du Gouverneur et du Conseil du Cap l’autorisation de rentrer en Hollande à ses propres frais sur un des bateaux de la Compagnie. Sa demande satisfaite, Lamotius quitte Le Cap le 7 avril 1718 à bord du Huys ten Donck qui arriva à Texel le 17 juillet 1718. Plus rien d’autre ne concerne Lamotius et il est tentant de supposer qu’il est mort en mer entre avril et juillet 1718, ce qui ne serait pas invraisemblable car il aurait eu 72 ans durant ce voyage. Malheureusement le journal de bord du Huys ten Donck n’a pas survécu de sorte que la possibilité de la mort en mer de Lamotius ne demeure rien d’autre qu’une intéressante supposition.
Histoire des planches de Lamotius
69La plus ancienne planche connue peinte par Lamotius est datée du 20 mars 1680 mais il est possible que quelques unes des celles non datées aient été faites avant. Il est cependant certain qu’il commença à peindre quelque part entre 1677 et 1680. La dernière peinture datée des Moluques l’est du 22 octobre 1698. Il se peut que quelques unes des non datées aient été réalisées plus tard, par exemple entre 1698 et 1702, ou n’importe quand avant son départ des Moluques.
70Comme nous l’avons écrit plus haut, Lamotius a dû faire, quand il était à Banda, des copies de ses propres planches et en donner un jeu à Coyett. Plus tard, ce dernier acquit de Fallours à Amboine des planches similaires mais d’une qualité bien inférieure qui furent toutes publiées par Renard (1719). De toute évidence, Fallours fit aussi des copies du jeu de planches Coyett-Lamotius et les intégra dans les nombreux jeux qu’il fit de ses propres dessins. L’histoire de ces divers jeux, publiés ou non, a été traitée de manière extensive par Pietsch (1995). Voir aussi le chapitre “Exil aux Moluques”.
71Lamotius emmena avec lui ses planches originales au Cap de Bonne Espérance où il s’installa après son exil aux Moluques. Quand Valentijn (1726b, vol. 5B, no (4), p. 153), lors de son voyage de retour, rendit visite à Lamotius au Cap en 1714, il vit sa collection de « 255 peintures de poissons » et remarqua que « Ces poissons avaient été extraordinairement bien dessinés par M. Lamotius lui-même et montraient une variété de couleurs différentes. Ils étaient souvent d’une forme semblable à celle des poissons rares illustrés dans mon chapitre sur Amboine, mais d’une couleur entièrement différente bien que remarquablement belle. De plus, je vis dans la collection de M. Lamotius plusieurs très beaux hippocampes, crabes marins, étoiles de mer, etc. dignes d’être conservés » [traduction libre]. Il est clair de ces écrits que Valentijn vit la collection reproduite ici. Entre 1714 et aujourd’hui, quatre peintures (peut-être une seule page) de Lamotius ont été à l’évidence perdues car il n’en reste que 250 (le dernier numéro du jeu est le 251 mais le Vliegende Zee-Uijl est, par accident, numéroté deux fois, 131 et 132, voir pl. 54 plus bas). La remarque de Valentijn selon laquelle la collection de Lamotius contenait des peintures d’« étoiles de mer » confirme que la collection reproduite ici est bien celle de Lamotius car aucun des jeux de copies ne contient une représentation d’échinoderme. Durant plus d’un siècle après les observations de Valentijn rien ne fut publié sur la collection de Lamotius. Ce n’est qu’en 1828 que les dessins furent de nouveau mentionnés dans la littérature, en l’occurrence par Cuvier (1828 : 86) qui fit état d’un manuscrit, détenu à la bibliothèque du Muséum d’Histoire naturelle de Paris, dont le titre hollandais complet est Zee Tooneel, verbeeldende een wonderbare verscheidenheit van zwemmende en kruipende Zee-Dieren, behorende tot de Geslachten der Visschen, Kreeften, Krabben en andere Water-Schepselen, die merendeels de Indische Zeen, of liever die wateren welleken de Eilanden der Moluccos bespoelen, opleveren. Zynde alle deze hier in afgebeelde Visschen enz., naar het leeven afgeteekent en geschildert door ordere en onder het opzicht van den Wel-Edelen Gestrengen Heere Cornelis de Vlaming ; Eertijds Raad en Equipage meester op de Kust van Bengaalen : naderhand de Retourvloot in den Jaare MDCCXV. als Admiraal begeleid hebbende [Catalogue Général des Manuscrits des Bibliothèques Publiques de France, Plon-Nourrit et Cie, Imprimeurs-Éditeurs, Paris, 1914, p. 68]. La traduction française de ce titre est donnée plus haut à la page 13.
72On sait que l’information de cette page de titre du manuscrit est incorrecte. Cornelis de Vlamingh est né sur l’île de Vlieland, dans la province de Hollande du Nord, et a été baptisé le 12 décembre 1678. Il fit partie, en tant que Commandant du vaisseau ’t Weseltje, de l’expédition en Australie occidentale conduite par son père Willem de Vlamingh. Cette expédition quitta la Hollande le 3 mai 1696 et, après avoir exploré la côte ouest de l’Australie, arriva à Batavia le 20 mars 1697. Peu après, Cornelis effectua à son compte une série de voyages à l’île Christmas, au Bengale et à Bantam ; mais le père et le fils rentrèrent ensemble en Hollande en 1698. L’année suivante Cornelis partit de nouveau en Orient, cette fois en tant que skipper du ’t Huys te Bijwegh, arrivant à Batavia le 28 janvier 1700. Le 11 septembre 1705, il fut nommé superviseur des équipements des bateaux de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales au Bengale ; en 1714 il fut nommé commandant de la flotte de retour qu’il rejoignit à Batavia le 16 octobre de cette même année, et arriva avec cette flotte en Hollande le 6 août 1715. Étant donné qu’au moins trois des figures des soi-disant dessins de Vlamingh furent faites avant que C. de Vlamingh ne soit âgé de deux ans, elles ne peuvent donc pas avoir été exécutées sous ses directives. De plus, la plupart du temps passé par Vlamingh aux Indes le fut en tant que maître de vaisseau ou de superviseur d’équipement au Bengale ; il n’existe aucune donnée qu’il se soit même installé à Maurice ou aux Moluques d’où sont connues provenir les soi-disant planches de Vlamingh. Holthuis (1959 : 85-88) a montré clairement que ces figures ne peuvent être que les peintures originales de Lamotius. On ne sait pas comment ce jeu est venu entre les mains de Vlamingh. Il se peut qu’il les ait acquises durant son voyage de retour de 1714-1715 quand il s’arrêta au Cap de Bonne Espérance. Le propriétaire suivant, après Vlamingh, fut évidemment le stadhouder (stathouder) des Pays-Bas, le Prince Guillaume V d’Orange, dont la collection d’animaux et la bibliothèque étaient à juste titre renommées. Quand en 1795 les troupes révolutionnaires françaises occupèrent les Pays-Bas et que le Prince et sa famille s’enfuirent en Angleterre, la collection du Prince fut confisquée par les français et envoyée en France en dépôt au Muséum d’Histoire naturelle. La première partie des envois, qui arriva en 1795, consistait en 150 caisses (« Le cabinet du Stathouder est arrivé en grande partie de la Hollande ; 150 caisses ont été portées au Muséum d’Histoire naturelle, et on en attend encore un grand nombre » ; voir Magasin encyclopédique ou Journal des Sciences, des Lettres et des Arts 2 : 419, Paris, 1795), les envois ultérieurs furent moindres. En 1815, après la chute de Napoléon, S. J. Brugmans, professeur d’Histoire naturelle à l’Université de Leiden fut envoyé à Paris pour récupérer la propriété du stathouder. L’opposition de certains scientifiques français (dont en particulier Lamarck) et la difficulté de reconnaître exactement quels spécimens avaient réellement appartenu à la collection du stathouder menèrent à un compromis dans lequel une partie de la collection restait à Paris en échange d’un grand nombre de duplicatas de la collection du Muséum. De toute évidence, les dessins de Lamotius (maintenant catalogués comme « Zee Tooneel » de C. de Vlamingh) firent partie du lot de la collection laissé à Paris. Mme Marie-Louise Bauchot du Muséum national d’Histoire naturelle, Paris, nous informa en 1995 que le manuscrit de Lamotius avait effectivement fait partie de la collection du stathouder, la preuve étant l’abréviation « Stath. », pour Stathouder, écrite directement sur le manuscrit, dans le coin supérieur gauche au dos de la page de garde. Il est intéressant qu’en dépit de beaucoup de complications, l’histoire de ce jeu de dessins a pu être presqu’entièrement reconstruite. Seule la période C. de Vlamingh demeure inconnue, la consultation de diverses archives n’a pas permis d’établir un lien entre Vlamingh et Lamotius.
La personnalité de Lamotius
73Il est difficile de se former une opinion correcte du caractère de Lamotius car la plupart de celles écrites à son sujet sont biaisées d’une manière ou d’une autre. Pitot (1905 : 194) qualifie Lamotius de « fort vilain hypocrite » car il était très religieux, disant ses prières du matin et du soir, et conduisant l’office du dimanche au fort. Toutefois, venant d’une famille avec autant d’ecclésiastiques, il n’est pas surprenant que Lamotius fût réellement religieux ; de même sa peur du diable sur laquelle Pitot fit des commentaires était tout à fait normale à cette époque. Ces sentiments étaient certainement sincères et non juste « pour la montre » comme le décrit Pitot. À bord des navires de la V.O.C., le capitaine célébrait l’office du dimanche si aucun ecclésiatique n’était disponible. Cette coutume s’observait probablement dans les petites colonies comme à Maurice. Nous ne voyons rien d’hypocrite dans le comportement de Lamotius, il était simplement un bon chrétien, faisant ce qu’il pensait être son devoir.
74Tous les auteurs s’accordent pour dire que Lamotius commença ses fonctions avec l’enthousiasme et l’énergie de la jeunesse (il avait 31 ans quand il arriva à Maurice). Plusieurs des projets qu’il lança réussirent au début mais beaucoup échouèrent pour des causes naturelles (cyclones, sécheresse, pluies torrentielles et dommages dus aux insectes et autres déprédateurs). Mais l’inexpérience des colons dans ces domaines joua aussi un rôle, de même que le fait qu’ils se décourageaient volontiers et/ou n’étaient simplement pas intéressés. Lamotius envoya des lettres aux autorités du Cap, réclamant de manière répétée de meilleurs outils, des instructeurs pour les divers projets agricoles et davantage d’aide, mais ces demandes ne pouvaient être que rarement satisfaites car les objets et les personnes n’étaient probablement pas disponibles au Cap ou n’y étaient pas en surplus. Beaucoup des colons le blâmèrent pour cela.
75Quand en 1682 une épidémie de fièvre maligne frappa l’île, Lamotius et un caporal furent les seules personnes à ne pas être malades. Ils prirent soin jour et nuit de tous les autres jusqu’à ce qu’un médecin soit envoyé du Cap.
76Manifestement, les habitants ne prenaient pas Lamotius au sérieux, peut-être à cause de sa jeunesse et du fait qu’il était d’un rang bien inférieur à celui de son prédécesseur Hugo. Ils ignoraient beaucoup de ses ordres ; par exemple, ils vendaient beaucoup de leurs produits aux navires anglais qui fréquentaient la baie au nord-ouest de l’île, qu’à l’époque on appelait Engelsche Baai (baie des Anglais), exactement à l’opposé des installations de la V.O.C. au sud-est de l’île. Les colons vivaient entre les deux zones, mais plus près de la baie des Anglais.
77Que Lamotius n’était pas un tyrannique despote mais plus souvent le contraire est démontré par le cas de J. Molijn, J. Geel et L. van Swaanswijk qui avaient volé 188 fl. dans la caisse de la Compagnie. Ils furent déclarés coupables mais pardonnés. La Compagnie vilipenda Lamotius pour cela mais celui-ci se défendit en expliquant que les trois hommes étaient davantage utiles à la Compagnie en travaillant plutôt qu’emprisonnés, en particulier face à la pénurie d’européens sur l’île et que tous les trois avaient sincèrement promis de devenir meilleurs.
78Également, dans sa lettre du 6 septembre 1690 au gouverneur général de Batavia, Lamotius annonçait qu’à bord du navire Het Haantje (le coquelet) il envoyait à Batavia deux femmes esclaves noires qui demandaient la liberté pour elles et leurs enfants. Lamotius n’ayant pas autorité pour accorder cette liberté, il les envoyait à Batavia. Il était à l’évidence favorable à leur requête car il mentionnait qu’elles s’étaient toujours très bien conduites et avaient atteint « un bon âge ».
79De même, dans son jugement des rebelles qui, poussés par Dubertin, avaient agi contre le gouvernement de l’île, il ne se comporta pas comme un exécuteur forcené des hautes œuvres : quand le soldat Hans Balthasar fut déclaré coupable d’avoir aidé Dubertin et d’autres délits, Lamotius aurait en fait dû l’envoyer au Cap pour sanction mais, comme aucun bateau n’était prévu dans le proche avenir, il fut décidé de le punir sur place dans le cadre des mesures que le conseil de Maurice était autorisé à prendre. Mais Lamotius remarqua « que la constitution physique du délinquant ne lui permettant pas d’être geleersd [voir plus haut], ce qui est la peine habituelle pour ce délit, il était donc condamné à être durement bastonné en public par quelques employés de la Compagnie dans l’enceinte de l’établissement ». Un autre inculpé, Ian Roelofsz, fut geleersd. On a l’impression que chaque cas fut soigneusement examiné par le conseil et que les peines infligées furent jugées raisonnables. Laurens Gabrielsz reçut ainsi une amende de 16 rijsdaalders au lieu de « la punition corporelle qu’il aurait vraiment méritée ».
80Le language de l’accusation portée par Uytenbogaard contre Lamotius était souvent fort extrême : à deux reprises sont employés les termes struykroovers en moordenaars (voleurs et meurtriers) pour qualifier Lamotius et son conseil. Il était fait aussi mention de ongehoorde persecutien en geweldenarijen (persécussions et tyrannie inouïes) et de woedende rasernijen (folies furieuses) par le groupe. Cependant, les sanctions dont les détails sont donnés dans l’accusation, n’étaient pas démesurées pour l’époque : Michiel Rodermond fut roué de coups et dut s’aliter tandis que Balthasar Pigt fut enfermé pendant six mois et si rudement battu qu’il y laissa sa santé. L’accusation dénonçait aussi Lamotius d’être trop amical avec les commandants des navires anglais qui venaient à Maurice mais, comme cela est dit plus haut, à cette époque les anglais n’étaient pas des ennemis mais plus ou moins des alliés, bien que compétiteurs. Une des principales accusations était que Lamotius aurait essayé de séduire Aletta Dubertin et que, quand elle afficha son désintérêt, il serait devenu injurieux et aurait tenté de lui rendre la vie difficile. Comme cela a été dit plus haut, c’est plus probablement Mme Dubertin qui fit des avances à Lamotius (voir la lettre qu’elle lui a adressée le 6 octobre 1686) qui s’efforça d’y échapper. C’est probablement la principale raison qui amena Aletta à obtenir de son père, le juge, qu’il rédige l’accusation, ce qui illustre le dicton « L’enfer n’a d’autre furie qu’une femme dédaignée ».
81Il est clair que le traitement infligé par le conseil aux rebelles qui avaient aidé Dubertin était très rude et que les méthodes utilisées sont de nos jours aborrhées mais, à cette époque, elles étaient généralement acceptées. Il est vraisemblable que quelques unes des punitions ne furent pas conçues par Lamotius mais par certains membres du conseil, mais cela ne gomme pas le fait que Lamotius était responsable de ce qui se passait. Le nombre et la qualité des mots d’injure utilisés dans l’accusation contrastent beaucoup avec l’expression plus modérée de la défense de Lamotius et sont très vraisemblablement fort exagérés. La cour de Batavia était à l’évidence elle aussi de cet avis et son jugement fut relativement clément. Globalement, nous pouvons admettre avec Pitot (1905 : 192) que Lamotius était intelligent et bien élevé. C’était certainement un idéaliste qui voulait faire au mieux pour le meilleur de l’île mais ce n’était pas une forte personnalité. Sa jeunesse, son caractère et le poste relativement peu élevé qu’il occupait ne l’ont pas aidé à devenir un leader respecté. Tous ces facteurs, plus la présence d’une personne sournoise et arrogante comme Dubertin, qui tira plein profit de la situation de Lamotius, contribuèrent à assurer son déclin. Sans le couple Dubertin et la position du père d’Aletta, il n’y aurait probablement jamais eu de procès.
82Le comportement amical du gouverneur Coyett durant l’exil à Banda, le fait que, quand il fut nommé gouverneur d’Amboine, il emmena Lamotius avec lui, et enfin, le fait que le révérend Valentijn lui rendit une visite spéciale en 1714 en Afrique du Sud, tout cela montre clairement que les autorités tant politiques que religieuses des Indes orientales n’ont jamais considéré Lamotius comme un vrai criminel. Finalement, en dépit des troubles, il convient de mentionner que des 13 chefs hollandais affectés à Maurice entre 1638 et 1710, c’est Lamotius, avec 15 années, qui demeura le plus longtemps sur l’île, les autres y étant restés de moins d’une année à 11 ans (voir Van Vliet 1973, appendice 1).
Notes de fin
1 Le nom de famille Uytenbogaard avait et a toujours une grande variété d’orthographes : Uitenbogaard, Uyttenboogaert, Uit den Boogaard, Wtenbogaard, etc. ; il signifie « hors du verger ». L’orthographe Uytenbogaard est utilisée ici.
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Les Planches inédites de poissons et autres animaux marins de l’Indo-Ouest Pacifique d’Isaac Johannes Lamotius
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