Présentation
Spécimens à l’aune des politiques muséales
p. 145-147
Texte intégral
1Les politiques et pratiques de collecte des spécimens ne peuvent être entièrement explicitées à partir d’une perspective focalisée sur les lieux de celle-ci. Les contributions réunies dans cette partie rendent aux institutions la place qui leur revient dans l’analyse du choix des objets collectés et des moyens employés pour canaliser leur trajectoire, depuis ces lieux jusqu’en métropole. En effet, les muséums, par leurs politiques d’acquisition, ont toujours fortement pesé sur ces orientations. Pour comprendre cela, il faut s’intéresser au moment de la fondation des musées et de la création de leurs collections, parfois, si ce n’est souvent, ex-nihilo. Les multiples voies d’acquisition évoquées dans l’introduction générale, allant de la confiscation à l’achat en passant par le don, entremêlant science, guerres de conquêtes et commerce, sont ici revisitées dans le contexte de l’exploration coloniale et de l’exploitation des colonies à la fin du xixe siècle et au début du xxe siècle. Les différents modes d’« enrichissement des collections », expression encore courante, ont souvent relevé d’une gestion essentiellement comptable, caractérisée par une stratégie basée sur l’accumulation de spécimens qui a perduré après leur constitution initiale et qui semble même s’être amplifiée durant la colonisation.
2Les muséums ont eu recours à différentes stratégies pour faire acheminer des spécimens jusqu’à eux. D’une part, ils ont pu se montrer opportunistes comme l’illustre Maxime Michaud, en révélant que nombre de spécimens d’animaux naturalisés et exposés dans les muséums sont à l’origine des trophées de chasse, ce qu’il décèle en restituant les relations nouées entre les chasseurs et leurs proies. D’autre part, des politiques d’acquisition plus volontaristes consistant à financer des missions aux colonies furent développées : un exemple extrême en est donné par Patricia van Schuylenbergh lorsqu’elle décrypte les tribulations du lieutenant Franssen, non exempt d’ambitions personnelles, envoyé au Congo Belge par le musée de Tervuren pour retrouver coûte que coûte les traces d’une espèce d’éléphant nain, dans le contexte d’une réduction des populations de pachydermes liée à la traite de l’ivoire, et mourant sur le terrain après avoir recueilli un spécimen.
3Une autre stratégie volontariste d’acquisition de spécimens s’exprime dans les interrelations entre différentes institutions : sociétés savantes, muséums, jardins, parcs zoologiques. Elles ont joué un rôle capital dans l’organisation pratique des collectes en fournissant matériel et guides d’instructions, en favorisant l’apprentissage des techniques de collecte par des néophytes, qu’ils soient citoyens ou sujets de l’empire. La formation d’intermédiaires locaux était nécessaire pour assurer un meilleur conditionnement et créer un réseau d’approvisionnement stable au-delà de la durée des missions.
4Certaines institutions se sont montrées d’autant plus actives dans la recherche de spécimens que leurs collections jouaient un rôle important non seulement en matière de recherche mais aussi d’enseignement et de formation. C’est la raison pour laquelle l’économie de la circulation des spécimens entre muséums et universités n’est pas à négliger : l’étude de ce rôle est ici approfondie par Santiago Aragon en s’intéressant à l’histoire des relations entre le Muséum national d’Histoire naturelle et la Faculté des Sciences de l’Université de Paris à partir d’un examen méticuleux des spécimens conservés dans la collection pédagogique universitaire et des archives institutionnelles. Les échanges s’observent aussi par la réciprocité des dons de parts d’herbiers et de semences entre des institutions scientifiques comme les jardins botaniques en métropole à Paris (Nogent-sur-Marne) et Bruxelles ou avec les colonies (Eala) comme le montre Lancelot Arzel. Les spécimens ont ainsi rempli une fonction de monnaie d’échange, pouvant aller jusqu’à jouer un rôle diplomatique entre les États comme le suggèrent les envois à Tervuren de doublons, depuis le Congo Belge, par une expédition de l’American Museum of Natural History de New York.
5L’intervention des muséums dans la politique des collectes se lit également dans l’organisation de chaînes de transfert destinées à parer aux difficultés de conditionnement du vivant rencontrées sur le terrain, et bien entendu abordées dans les manuels d’instructions aux voyageurs. Cette organisation s’est matérialisée par la création de jardins-relais déjà bien étudiés mais aussi par des zoos moins connus jusqu’à présent et dont Patricia Van Schuylenbergh nous fait découvrir un aspect, celui de l’élevage d’animaux par la Mission de Buta dans l’Uele au Congo belge.
6Enfin, on peut également retenir de cette seconde partie que les collections de musées furent constituées par des appels et des encouragements à multiplier les récoltes, même minimes, ainsi que par l’attribution de prix et de distinctions, par la reconnaissance d’un statut de correspondant ou d’associé (à celles et ceux qui bénéficiaient du statut de « citoyen »), voire par l’héroïsation de l’« inventeur » dont le nom sera attribué à l’espèce. Ces appels ne sont pas sans évoquer le recours, aujourd’hui, aux bénévoles de tous bords par les institutions de recherches telles que le MNHN pour prendre part à l’inventaire de la biodiversité, leur permettant de déléguer non seulement une partie de leurs compétences, mais aussi la prise en charge du coût des recherches de terrain, comme on peut l’observer dans le passé.
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