17. Reproduction (suite) & progrès en zoologie
p. 430-439
Texte intégral
1Messieurs,
2Pierre-Louis Moreau de Maupertuis1, qui a soutenu dans le dix-huitième siècle le système de l’épigénèse2, précéda Buffon3 de deux années. Né à Saint-Malo en 1698, il fut d’abord militaire ; il se livra ensuite à la géométrie, devint membre de l’Académie des Sciences, et se rendit surtout célèbre dans les sciences par le voyage qu’il fit en Laponie avec Clairaut4 et autres, pour vérifier si la terre était aplatie aux pôles, comme la théorie de Newton5 le voulait ; ou bien si elle était ronde, comme quelques savants le prétendaient alors. Il résulta de ses expériences, ainsi que de celles de Lacondamine6, de Bouguer7, que la terre était aplatie aux pôles. Après son retour à Paris, il fut appelé à Berlin par Frédéric II8, en 1740. Il se fixa en Prusse, et fut nommé président de l’Académie de Berlin. Cette fonction égalait presque celle de ministre ; car le président de l’Académie était son intermédiaire entre elle et le souverain. Mais Maupertuis s’attira alors une querelle avec Voltaire9, qui le couvrit d’un tel ridicule qu’en 1759, après son retour en France, il fut mourir de chagrin à Bâle, dans la maison de Bernoulli10.
3En 1744, il avait donné un petit ouvrage, intitulé : Vénus physique11, dans lequel il traite de la génération. Après avoir allégué toutes les raisons qu’on peut exprimer contre ceux qui ont attribué la formation des corps organisés à des forces génératrices, et contre ceux qui admettent la préexistence et l’emboîtement des germes, il propose un nouveau système fondé sur l’attraction. L’attraction était alors à la mode : comme elle avait eu du succès pour l’explication du système du monde, comme déjà on l’appliquait avec vraisemblance aux phénomènes de la chimie, il était naturel qu’on cherchât aussi à l’appliquer aux phénomènes de la physiologie. Maupertuis suppose donc une attraction élective, qui serait le principe de la formation du corps. De même que, dans un liquide où diverses matières sont en dissolution, les molécules de même nature s’attirent et produisent des cristallisations, en vertu d’une force que les chimistes nomment attraction élective, et qui est probablement une dérivation de la gravitation universelle ; de même, suivant Maupertuis, les molécules que chaque partie du corps fournit à l’organe génital, s’y placent, quand le moment en est arrivé, et quand la circonstance est favorable, précisément dans le même ordre où elles étaient dans le corps. Il résulte de cette disposition un petit corps organisé, semblable à celui dont toutes les molécules ont été mises à contribution12.
4Mais il existe une grande différence entre l’attraction élective telle que les chimistes la conçoivent, et l’attraction élective de Maupertuis. La première est extrêmement simple, puisqu’elle ne fait que rapprocher des molécules homogènes pour en former un ensemble dont la forme générale résulte de celle de ses parties, qui sont toutes semblables entre elles.
5L’autre attraction élective serait singulièrement étonnante, puisqu’elle consisterait à placer chaque molécule à côté d’une particule de nature différente, et cela uniquement parce que, dans le corps, ces molécules auraient occupé des positions semblables. Aussi Maupertuis reproduisit-il son idée sous une nouvelle forme, dans un ouvrage où il n’osa pas mettre son nom : ce fut dans une dissertation latine de 1751, qui fut soutenue à Altorf par un récipiendaire, et imprimée à Berlin en 1744, sous le titre de : Essai sur la formation des corps organisés13. Il y attribue à toute molécule de matière un certain instinct, une espèce de souvenir, au moyen duquel les molécules qui ont composé le grand corps se rendent, chacune de son côté, vers le point central où elles doivent former un corps nouveau : elles se disposent à ce point précisément dans l’ordre qu’elles avaient dans le corps d’où elles viennent. Maupertuis compare cette tendance des molécules à reprendre leur première position, à l’instinct qui porte certains animaux à faire certaines actions, quoiqu’il soit impossible qu’ils aient l’idée du but de ces actions. Mais quelle ressemblance y a-t-il entre l’instinct d’un être organisé, ayant une volonté pour agir, pour remuer des molécules extérieures, telles, par exemple, que celles de la cire dont l’abeille compose sa cellule, et celles du miel qu’elle y dépose ; quelle ressemblance, dis-je, y a-t-il entre cet instinct et celui qu’aurait une molécule inorganique qui ne concourt pas toujours à former un corps organisé ? La différence de ces deux instincts est telle que leur comparaison constitue évidemment un abus de mots. Cette comparaison devient même ridicule par les détails dans lesquels entre son auteur : ainsi, selon lui, lorsqu’il se forme des monstres, c’est que les molécules ont oublié leur première position ; alors elles se placent mal. Dans le croisement de l’âne et de la jument, l’être produit, ou le mulet, n’est pas fécond parce que les molécules n’ont pas su comment s’arranger ; participant de deux natures différentes, elles n’ont pas su si elles devaient s’arranger comme celles de l’âne ou comme celles du cheval, et, dans cette incertitude, elles ne se sont pas arrangées du tout. Ces détails de l’auteur sont peut-être ce qui le réfute le mieux.
6À peu près à la même époque, cependant, Buffon présenta, dans les premiers volumes de son Histoire naturelle14, un système qui ne diffère guère de celui de Maupertuis que par les termes. Il commence par examiner ce que c’est qu’une force, comment une force agit, et s’il ne peut pas y en avoir une qui agisse à l’intérieur des corps, tout en agissant à l’extérieur. Il donne comme exemple de ce genre de force la gravitation qui, étant proportionnelle aux masses, agit non seulement sur la surface, mais sur l’intérieur même des corps ; et il se demande s’il ne serait pas possible qu’il y eût dans la nature plusieurs forces de ce genre. Nous ne pourrions nous en faire une idée complète, car nous ne concevrions que l’action qui s’exercerait sur la surface ; nous ne concevrions pas l’action directe qui aurait lieu sur l’intérieur ; ceux qui ont voulu expliquer la gravitation d’une manière mécanique ont été obligés d’admettre que des corpuscules pénétraient au travers des corps, et allaient frapper leurs parties solides. Quoi qu’il en soit, Buffon admet cette idée qu’il peut y avoir une force qui agisse dans l’intérieur des corps ; et il nomme cette force moule intérieur. De même, dit-il, que le moule extérieur contourne les parties molles, les corps fondus, et les force à prendre une certaine figure dont la surface extérieure corresponde à sa surface intérieure ; de même on peut concevoir une force plus pénétrante qui disposerait non-seulement les molécules extérieures à la surface, mais qui déterminerait aussi l’arrangement des molécules à l’intérieur. Il est évident qu’il y a ici contradiction dans les termes ; car l’idée de moule nous donne celle d’un corps creux qui enveloppe la surface du corps qu’il doit mouler. On ne voit là, si l’on veut, qu’une image par laquelle l’auteur cherche à exprimer une force qui contraindrait les molécules à s’arranger entre elles ; cette force serait une cause plastique ; mais Buffon reviendrait ainsi à des idées abstraites, qui ne seraient que l’expression des faits, et qui n’en seraient pas l’explication. Sa théorie, que nous reverrons plus tard, ressemble à peu près à celle de Maupertuis ; il y a pourtant cette différence, qu’il suppose que les molécules qui peuvent composer les corps vivants sont de nature identique, et que les différences apparentes qu’elles présentent n’existent que dans leur arrangement. Car, selon Buffon, la nature, indépendamment de la matière brute, possède une espèce particulière de matière qu’il nomme matière vivante ; sa destination est d’entrer dans les corps vivants, de servir à leur développement, et d’en former de nouveaux quand les circonstances sont convenables. Les molécules de cette matière sont indestructibles de leur nature ; on peut les séparer, les faire disparaître en quelque façon, mais elles subsistent toujours sous une forme imaginaire, imperceptible pour nos sens. Lorsque le corps a pris le développement auquel il pouvait arriver, et qu’alors il y a du superflu dans la nourriture, les molécules vivantes sont envoyées de toutes les parties du corps vers les organes destinés à la reproduction. De leur première réunion il résulte les animalcules spermatiques qui se trouvent dans tous les êtres vivants. Mais comme les molécules vivantes sont parties de tous les organes, elles sont forcées par le moule intérieur, lorsqu’elles se retrouvent toutes ensemble dans l’intérieur de l’utérus, de prendre un arrangement semblable à celui qu’elles avaient dans le corps dont elles proviennent, et dont elles sont le superflu, comme nous l’avons déjà dit.
7Vous voyez qu’une fois cette force plastique, ou ce moule intérieur admis, il est moins difficile d’expliquer les phénomènes qui font difficulté dans le système de l’évolution.
8Au contraire, quand on a admis que les germes sont dans la femelle ou dans le mâle, la ressemblance que les enfants ont tantôt avec l’une, tantôt avec l’autre, est très difficile à expliquer. Certaines espèces de végétaux, fécondées par une autre espèce, peuvent produire des mulets féconds, et, ceux-ci à force d’être reproduits au moyen du pollen de la même espèce, se transforment complétement en cette espèce : la nicotiana tabacum et la nicotiana paniculata15 se changent ainsi l’une en l’autre16. Ce phénomène est aussi fort difficile à expliquer dans le système de l’évolution, tandis qu’avec celui de l’épigénèse, on s’en rend plus facilement compte. Les monstres, qui sont également difficiles à expliquer dans certains cas, par le système de l’évolution, ne le sont pas par celui de l’épigénèse. Il y a encore d’autres phénomènes qui s’expliquent par le système de l’épigénèse, en sorte qu’il n’a pas laissé que de reprendre assez de crédit vers le milieu du dix-huitième siècle, par l’influence de Maupertuis et de Buffon.
9Néanmoins, très peu de temps après que l’ouvrage de Buffon eut paru, il fut réfuté par de grands physiologistes et de grands naturalistes, tels que Haller17, Bonnet18, Spallanzani19, qui reproduisirent le système des germes, et l’appuyèrent de nouvelles preuves. Les plus concluantes sont celles-ci : d’abord le germe est évidemment lié d’une manière organique avec l’œuf, ainsi qu’il résulte des observations que j’ai citées dans la séance dernière, où nous avons vu aussi que le jaune de l’œuf diminue à mesure que le fœtus augmente ; secondement, avant que l’œuf ne soit sorti de la femelle, il est lié à son corps d’une manière organique, car c’est par les vaisseaux de la mère qu’il se nourrit ; les membranes dans lesquelles il est enveloppé sont elles-mêmes nourries par des vaisseaux qui communiquent avec ceux de la mère. Ceci est évident pour tous les ovipares ; et il est certain aussi que, dans beaucoup d’espèces, les individus n’ont pas besoin de fécondation propre, de liquide spermatique particulier ; les germes naissent, se développent et se détachent spontanément, comme on le voit dans les zoophytes, où certaines espèces produisent des germes comme les arbres des bourgeons. Ainsi donc, pour le plus grand nombre des animaux, la préexistence de l’œuf dans la mère, et en même temps la préexistence du germe dans l’œuf est démontrée ; d’où il suit que cette supposition que le fœtus pourrait naître du mélange des liqueurs spermatiques des deux sexes ; qu’il pourrait se former dans l’intérieur de l’utérus par ce mélange, et par le concours des molécules vivantes provenues des diverses parties du corps, ne serait utile que pour expliquer le phénomène de la reproduction des mammifères ; puisqu’il n’y a que les mammifères qui soient vivipares, ou du moins qu’on croye l’être ; car les reptiles vivipares commencent par avoir des œufs, et ces œufs éclosent dans leur corps. Chez les mammifères, il semblerait que l’œuf est couvé à l’instant où il est détaché. Cet œuf est aussi tellement petit qu’on ne peut presque pas le voir avant qu’il soit détaché, avant qu’il ait été amené à bien par la fécondation ; c’est cette difficulté d’observation qui a produit et soutenu le système de l’épigénèse ; mais comme parmi cent mille animaux il n’y en a peut-être pas cent qui soient mammifères, il en résulte, comme nous l’avons dit, que c’est pour la très minime partie du règne animal que l’hypothèse de l’épigénèse a été reproduite sous une nouvelle forme. Pendant la première moitié du dix-huitième siècle, on adopta alternativement l’un ou l’autre des systèmes dont nous venons de parler, suivant le crédit, l’éloquence ou l’ingéniosité des auteurs.
10Je clôrai ici cette première partie de la physiologie générale pendant le dix-huitième siècle, pour passer à la zoologie.
11La fonction et les usages de chaque organe étant bien déterminés, chaque animal en particulier devrait être considéré comme une machine spéciale susceptible de produire un effet variable, suivant que tel ou tel organe est plus grand ou plus actif que les autres. Mais en zoologie, comme dans les autres branches de l’histoire naturelle, avant d’arriver à l’étude des espèces, il faut distinguer ces espèces ; car autrement tout ce qu’on en dirait présenterait de la confusion. Or les espèces sont tellement nombreuses, leur distinction est tellement difficile, que ce travail a jusqu’à présent épuisé presque toutes les forces des zoologistes. Ils se sont jusqu’à nos jours consumés en efforts pour distinguer les espèces et les rassembler en divers groupes. Pendant la période de temps que j’ai à explorer plusieurs bons ouvrages ont paru sur cette matière. Mais ceux de Linnée20, qui datent du milieu du dix-huitième siècle, les ont tellement éclipsés qu’ils ont presque tous été oubliés de quiconque n’est pas zoologiste de profession.
12Au commencement du dix-huitième siècle, Jean Ray21, dont j’ai déjà parlé, était le méthodiste par excellence : sa division générale des animaux est, comme nous l’avons vu, en partie tirée d’Aristote22 ; il divise les animaux en animaux à sang, et en animaux dépourvus de sang ; ce qui correspond à la division de Linnée en animaux à sang rouge et en animaux à sang blanc ; car Ray savait bien que le suc blanc et transparent qui nourrit certains animaux, a à peu près la propriété du sang rouge. Sa division des animaux à sang, en animaux qui respirent par des poumons, comme l’homme, les quadrupèdes et les oiseaux, et en animaux qui respirent par des branchies, comme les poissons, est une division d’Aristote qui a été adoptée par Linnée. Mais ce dernier ne lui a pas conservé toute sa pureté, il l’a altérée à quelques égards, par exemple en ce qui concerne les poissons cartilagineux qui respirent par des branchies, et qu’il a classés cependant parmi les reptiles. Ce changement de Linnée n’est pas heureux ; on a été obligé de revenir à la distribution de Jean Ray. Ainsi, dans Gmelin23, les poissons cartilagineux sont reportés avec les raies, les squales. Les animaux qui respirent par des poumons sont divisés par Ray suivant qu’ils ont le cœur à deux ventricules et le sang chaud, ou le cœur à un seul ventricule et le sang froid, division qui a été adoptée par Linnée. Les animaux qui ont le cœur à deux ventricules et le sang chaud sont vivipares ou ovipares, comme les mammifères et les oiseaux. Il y a cette différence entre Linnée et Ray que ce dernier divise en deux classes les mammifères, ceux qui ont quatre pieds, et ceux qui ont des nageoires et pas de pieds, comme les cétacées ; tandis que Linnée a réuni les cétacées aux quadrupèdes parce qu’ils ont des mamelles. Les animaux à un seul ventricule, et à sang froid, par conséquent, ont été distribués sous les noms d’amphibies et de reptiles à peu près comme ils le sont dans Linnée.
13La division des animaux à sang blanc n’est pas si heureuse : elle est basée sur la grandeur des espèces ; les grandes sont les mollusques : les testacés, les crustacés ; les petites sont les insectes de Linnée. Celui-ci a mieux caractérisé cette division ; mais sa classe des vers le replace au niveau de Ray, et elle était si mauvaise que de son temps même elle a été attaquée et modifiée d’une manière plus conforme à la nature. Le reste de la distribution de Ray n’a pas nécessité de changements considérables.
14Dans sa distribution particulière des quadrupèdes vivipares, Ray suit Aristote à quelques égards. Il divise ces animaux suivant qu’ils ont des sabots, ou l’extrémité des doigts enveloppée d’une masse de corne, et suivant qu’ils ont des ongles à l’extrémité des doigts. Les animaux à sabots en ont un, deux ou quatre ; ceux qui n’en ont qu’un sont les solipèdes, comme les chevaux ; ceux qui en ont deux sont les ruminants à cornes, ou les cochons qui sont dépourvus de cornes ; ceux qui en ont quatre sont les hippopotames, et il y ajoute à tort le rhinocéros ; car il n’a que trois sabots. Ray classe ensemble les animaux qui ont les pieds bifides, comme les chameaux dont les pieds sont seulement fendus au bout et réunis en dessous par une semelle cornée qui garnit la plante postérieurement, et ceux qui ont plusieurs doigts et une seule semelle, comme les éléphants. Ce classement est mauvais, parce que le chameau est un ruminant.
15Les carnassiers sont caractérisés par plusieurs incisives : les rongeurs par deux longues incisives. Ray nomme anomaux les individus qui ne rentrent pas dans ses classes ; tels sont les taupes, les chauves-souris et ces animaux à formes extraordinaires, connus sous le nom de paresseux. Cette classe des anomaux est mauvaise.
16Ray a donné aussi une distribution des oiseaux que nous avons fait connaître l’année dernière24.
17Pendant la première moitié du dix-huitième siècle, et même quelques années après, les naturalistes anglais se sont obstinés à admettre les classes de Ray et de Willughby de préférence à celles de Linnée, qui sont beaucoup mieux faites.
18En 1767 il parut en français, sous le nom de Salerne, un ouvrage intitulé : Histoire naturelle éclaircie dans plusieurs parties principales25, qui n’est qu’une traduction du Synopsis de Jean Ray26 avec de nouvelles figures dessinées dans le Cabinet de Réaumur27. Ce savant était alors presque le seul homme en France qui possédât un cabinet d’ornithologie. On ne savait encore préparer les oiseaux que d’une manière grossière ; on se bornait à les faire sécher lentement au four, après leur avoir enlevé les entrailles, et on modérait assez la chaleur pour que la couleur du plumage ne fût pas altérée ; on remplissait ensuite la peau de matières aromatiques. Les oiseaux du Cabinet de Réaumur, ainsi préparés, étaient confiés à Brisson, et ils ont servi pour les ouvrages de Buffon. Le même artiste (Martinet) a été employé par Buffon et Salerne, ce qui explique l’identité des figures jointes aux ouvrages de ces deux auteurs.
19Ray et Willughby ont encore publié une classification des poissons dont nous avons donné l’analyse l’année dernière28.
20Enfin, Ray a laissé un ouvrage sur les insectes qui a été imprimé en 1710. Nous en avons donné l’analyse l’année dernière29 : nous ajouterons seulement que cet ouvrage n’a pas de planches ; mais il est si complet sous le rapport des descriptions, qu’il a servi de base aux travaux que Linnée a exécutés plus tard.
21Un Anglais, Martin Lister30, contemporain de Ray, l’a suppléé pour les coquilles et les mollusques, sur lesquels il n’a rien laissé. Son ouvrage, qui est encore classique et qui a servi de base à ceux qui ont été publiés depuis, se compose de tableaux synoptiques31. Le nombre des figures en est considérable : on y compte mille cinquante-neuf planches, et les figures sont beaucoup plus nombreuses. Cet ouvrage parut d’abord en 1693. On en a donné une autre édition avec les planches de la première, où les coquilles sont nommées d’après le système de Linnée32. Cette édition est plus commune que l’autre ; mais, les planches étant usées, elle est moins estimée.
22Lister divise d’abord les coquilles en terrestres, fluviatiles et marines. Cette première coupe est mauvaise ; car toute distribution doit reposer sur les caractères que les êtres portent avec eux. Quand on reçoit une coquille, on ne peut pas voir si elle est terrestre, fluviatile ou marine.
23Lister fait ensuite plusieurs autres divisions basées sur le nombre des valves ; puis il subdivise les bivalves selon que leurs coquilles sont égales ou inégales, et les univalves selon qu’elles sont ou ne sont pas en spirale, comme, par exemple, les patelles. Enfin, il subdivise les coquilles en spirale, suivant qu’elles sont symétriques, c’est-à-dire roulées dans le même plan, comme le sont les nautiles, ou qu’elles ne sont pas en spires symétriques. Dans ces dernières, les spires vont toujours en s’abaissant, comme il arrive dans le plus grand nombre des coquilles.
24Lister a établi d’autres divisions génériques qui ont été à peu près la base des genres de Linnée.
25L’ouvrage de Lister a été reproduit en 1770 avec les classifications de Linnée33.
26On voit qu’à la fin du dix-septième siècle et au commencement du dix-huitième, l’Angleterre possédait des ouvrages méthodiques sur toutes les parties du règne animal. Ce n’était plus comme au seizième siècle, où les animaux étaient rangés, tantôt par ordre alphabétique, tantôt d’après des motifs plus ou moins bizarres. Une pareille classification était tout à fait incapable de faciliter la détermination des espèces. C’est Ray qui est le véritable créateur des méthodes de zoologie.
27Nous verrons dans les leçons suivantes les méthodes supérieures aux siennes qui ont été faites longtemps après lui.
Notes de bas de page
1 [Sur Pierre Louis Moreau de Maupertuis, voir Leçon 14, note 77, ci-dessus.]
2 [Épigénèse, théorie selon laquelle un embryon se développe à la suite d’une différentiation successive à partir d’une structure indifférenciée au départ, opposée à l’idée de pré-formation.]
3 [Sur Georges-Louis Leclerc, comte de Buffon, voir Volume 1, Leçon 7, note 39 ; et Volume 2, Leçon 4, note 57.]
4 [Alexis Claude Clairaut (né le 13 mai 1713, Paris ; mort le17 mai 1765, Paris), mathématicien, astronome, géophysicien, intellectuel français de premier plan, il fut l’une des figures clés de l’expédition de Laponie au cours de laquelle il mit au point une formule (désormais appelée le « théorème de Clairaut ») pour calculer la forme de la terre. Il résolut durant sa carrière de nombreux problèmes scientifiques et philosophiques de son temps, ses trouvailles ouvrant la voie à des applications pratiques dans différentes disciplines.]
5 [Sur Isaac Newton, voir Volume 2, Leçon 11, note 37.]
6 [Charles Marie de La Condamine (né le 28 janvier 1701, Paris ; mort le 13 février 1774, Paris), explorateur, géographe et mathématicien français qui passa dix ans au Pérou à mesurer la longueur d’un degré de latitude à l’équateur et qui prépara la première carte de la région amazonienne sur la base d’observations astronomiques.]
7 [Pierre Bouguer (né le 16 février 1698, Croisic, France ; mort le 15 août 1758, Paris), mathématicien, géophysicien, géodésiste et astronome français, généralement salué comme le « père de l’architecture navale ». Il voyagea en compagnie de Condamine (voir note 5, ci-dessus) dans le cadre d’une mission scientifique au Pérou en 1735, afin de mesurer le degré de l’arc méridien près de l’équateur. En 1746, il publia le premier traité sur l’architecture navale, Traité du navire, de sa construction, et de ses mouvemens (Paris : Jombert, 1746, xl + 682 + [4] p. + 12 pl., in-4°), dans lequel, entre autres résultats, se trouvait la première explication sur l’utilisation du métacentre pour mesurer la stabilité des navires. La plupart de ses écrits ultérieurs traitèrent de théorie de navigation et d’architecture navale.]
8 [Sur Frédéric II, roi de Prusse, dit Frédéric le Grand, voir Leçon 1, note 30, ci-dessus.]
9 [Sur Voltaire, voir Volume 2, Leçon 9, note 36.]
10 [Sur la famille Bernoulli, de commerçants et de savants, voir Leçon 2, note 40, ci-dessus.]
11 [Vénus physique, contenant une dissertation sur l’origine des hommes, et des animaux ; et une dissertation sur l’origine des noirs, La Haye : [s. n.], 1745, 2 pt. en 1, [5] + 194 + [1] p.]
12 Voici les propres expressions de Maupertuis : « Qu’il y ait, dans chacune des semences, des parties destinées à former le cœur, la tête, les entrailles, les bras, les jambes, et que ces parties aient chacune un plus grand rapport d’union avec celle qui, pour la formation de l’animal, doit être sa voisine qu’avec toute autre, le fœtus se formera ; et fût-il encore mille fois plus organisé qu’il n’est, il se formerait. » Maupertuis fait remarquer, à l’appui de son hypothèse, que toutes les fois qu’un fœtus a deux têtes, elles sont placées sur le cou ; que lorsqu’un enfant a des doigts surnuméraires, ils sont toujours placés aux mains ou aux pieds ; que jamais un doigt ne s’est placé à la tête, pas plus qu’une oreille au pied ou à la main. [M. de St.-Agy]
13 [Essai sur la formation des corps organisés, Berlin : [s. n.], 1754, xii + 67 p.]
14 [Sur l’Histoire naturelle de Buffon, voir Volume 1, Leçon 7, note 39.]
15 [Deux sortes de tabac du genre Nicotiana, famille des Solanaceae : Nicotiana tabacum, une plante herbacée annuelle, que l’on trouve seulement cultivée, la plus commune de tous les membres du genre, mise en culture commerciale dans de nombreux pays pour être transformée en tabac ; Nicotiana paniculata, fréquemment appelée tabac en fleurs, tabac jasmin, ou tabac ornemental, est une grande plante annuelle à développement vertical, possédant de larges feuilles couleur bleu-vert, pourvue de tiges longues et collantes, qui produit de petites fleurs tubulaires attirant de nombreux insectes — sans grande valeur commerciale.]
16 Cette expérience a été faite par [Joseph Gottlieb] Kölrœter [voir Volume 2, Leçon 18, note 33]. [M. de St.-Agy]
17 [Sur Albrecht von Haller, voir Volume 2, Leçon 1, note 16.]
18 [Sur Charles Bonnet, voir Leçon 2, note 6, ci-dessus.]
19 [Sur Lazzaro Spallanzani, voir Volume 1, Leçon 8, note 7.]
20 [Sur Carl Linné, voir Volume 1, Leçon 7, note 34 ; et Volume 2, Leçon 2, note 112.]
21 [Sur John Ray, voir Volume 2, Leçon 3, note 94.]
22 [Sur Aristote, voir Volume 1, Leçons 7 et 8.]
23 [Sur Johann Friedrich Gmelin, voir Volume 1, Leçon 13, note 28.]
24 Deuxième partie, page 455 [Volume 2, Leçon 17, p. 656 et note 63]. [M. de St.-Agy]
25 [François Salerne (voir Volume 2, Leçon 17, note 95), auteur de L’histoire naturelle éclaircie dans une de ses plusieurs parties principales, l’ornithologie ; ouvrage traduit du Latin du Synopsis avium de Ray, avec des augmentations par Salerne, Paris : Guillaume de Bure, 1767, xii + 464 p.]
26 [Sur le Synopsis methodica avium de John Ray, voir Volume 2, Leçon 17, note 63.]
27 [Sur René Antoine Ferchault de Réaumur, voir Volume 2, Leçon 16, note 31.]
28 [Synopsis methodica avium & piscium], Deuxième partie, page 457 [Volume 2, Leçon 17, p. 682 et note 63]. [M. de St.-Agy]
29 [Historia insectorum, Londres : A. & J. Churchill, 1710, xv + 400 p., in-4°], Id. page 464 [Volume 2, Leçon 17, p. 687]. [M. de St.-Agy]
30 [Martin Lister, voir Volume 2, Leçon 16, note 47.]
31 [Historiae conchyliorum (Londres : aera incisus, Sumptibus authoris, 1685-1692, 4 pt. en un petit volume folio, illustré de 996 planches non numérotées — des planches additionnelles figurent dans les éditions ultérieures — représentant tous les coquillages anglais et étrangers connus à l’époque, travail réalisé par les deux filles de Lister, Anna et Susanna, qui gravèrent ces planches sur cuivre à partir de leurs propres croquis préliminaires), ouvrage qui constitue la première publication systématique sur les coquillages, à laquelle Lister consacra sa vie, et dont la somme fit date dans la manière dont les scientifiques pensèrent par la suite l’histoire naturelle.]
32 [Historiae sive synopsis methodicae conchyliorum (seconde édition de Historiae conchyliorum ; voir note 31, ci-dessus), Londres : Aere incisus, Sumptibus authoris impressa, c. 1692-1697, 4 pt. en 2 volumes folio, illustré de 1057 planches numérotés + 22 planches anatomiques, avec explications.]
33 [Historiae sive synopsis methodicae conchyliorum, editio tertia, recensuit et indice locupletisimo instruxit (troisième édition de Historiae conchyliorum ; voir note 31, ci-dessus), édité par William Huddesford (pasteur anglais, il fut le gardien du musée Ashmolean de 1755 à 1772, baptisé le 15 août 1732, Oxford ; mort le 6 octobre 1772, Oxford), Oxford : Clarendon Press, 1770, 4 pt. en un volume in-folio, illustré de 1059 planches numérotées + 22 planches anatomiques, avec explications.]
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