4. Les origines de la Terre et les progrès en géologie au dix-huitième siècle
p. 146-161
Texte intégral
1Messieurs,
2Dans la séance précédente, j’ai traité du système de la chaîne des êtres1 qu’on a rattaché, au moyen d’interprétations illégitimes, aux principes métaphysiques de Leibniz. Je l’ai considéré d’abord sous le point de vue logique, puis dans son application aux réalités, et nous avons vu que, de toutes manières, il était insoutenable.
3Maintenant, nous allons, comme je l’ai annoncé, commencer l’examen des systèmes de géogonie ou de géologie. Ces deux termes ne sont pourtant pas synonymes ; ils présentent seulement à l’esprit des idées analogues. La géogonie2 est comprise dans la géologie. Celle-ci se divise en géognosie et en géogonie.
4Par géognosie on entend la science toute positive qui s’attache à la description des couches du globe, à reconnaître l’ordre dans lequel elles sont superposées, leur inclinaison par rapport à l’horizon et la direction des saillies qu’elles forment à la surface.
5L’autre partie de la géologie, la géogonie, s’occupe spécialement de la théorie de la terre ; elle est la science explicative des faits constatés par la géognosie. Mais, pour arriver à ce résultat, elle a besoin du secours de la plupart des autres sciences naturelles. L’astronomie lui suggère des hypothèses sur l’origine de la terre et sur les révolutions que les causes cosmiques ont fait éprouver à sa surface ; la géographie lui fournit la configuration des continents et des îles, la disposition des lacs intérieurs et des grands cours d’eau, la direction des diverses chaînes de montagnes, leur mode d’échelonnement et leur hauteur moyenne ; la minéralogie lui fait connaître les éléments immédiats dont les roches sont composées, et la chimie lui enseigne d’après quelles lois les matières minérales ont dû se déposer pour concourir à ces formations. Les couches supérieures du globe offrant beaucoup de débris organiques, la botanique et la zoologie sont encore nécessaires pour déterminer à quelles espèces appartiennent ces débris. Enfin, la zootomie3 elle-même est souvent indispensable pour cette détermination, car la plupart du temps on ne retrouve que des fragments de squelettes, et même que des os épars et mutilés.
6Il suit de là que l’état de la géologie fait connaître celui des autres connaissances dont elle relève. Aujourd’hui que ces connaissances sont très étendues, on ne serait plus admis à présenter une théorie de la terre qui ne reposerait pas sur leurs principes. Mais, à la fin du xviie siècle et au commencement du xviiie, on ne pouvait pas être aussi exigeant. Comme d’ailleurs on ne possédait point encore d’observations suivies sur la structure du globe, et que par conséquent on n’avait pu établir aucune comparaison de faits pour arriver à connaître leurs rapports, on ne voyait que désordre dans l’écorce terrestre, et tous les efforts des géologistes se bornaient à imaginer une cause qui rendît raison de ces grands bouleversements.
7Ainsi Descartes4 avait avancé que les planètes, et par conséquent la terre, avaient été enflammées comme le soleil nous le paraît encore aujourd’hui ; qu’elles étaient, selon son expression, des soleils refroidis à leur surface, et dont la croûte endurcie formait l’écorce actuelle. Il admettait en conséquence dans notre globe un feu central, reste de l’incandescence qu’il présentait lorsqu’il était soleil, et c’était à ce feu qu’il attribuait la constance de la température des caves et des autres profondeurs de la terre.
8Cette vue extrêmement générale expliquait bien quelques faits, mais elle était loin d’aplanir toutes les difficultés : la principale était relative à l’existence des fossiles. Beaucoup de géologistes s’obstinaient à ne point voir dans ces corps des restes d’êtres organisés. Augustin Scilla5, dont j’ai déjà parlé, qui était élève de Boccone6, peintre, poète et naturaliste, tout à la fois, publia, en 1670, un livre intitulé : La vana Speculazione disingannata dal senso7, dans lequel il mit hors de doute la nature de plusieurs fossiles, et où il démontra en particulier que les glossopètres8 qui avaient été le sujet de tant de conjectures ridicules, n’étaient, dans la réalité, que des dents d’une espèce de requin. Mais ses idées ne prévalurent pas, bien qu’il eût été devancé à cet égard par Bernard de Palissy9.
9Un Gallois, nommé Édouard Lhuyde10, qui était né en 1670, et qui mourut à Oxford en 1709, publia, en 1699, un livre sur le même sujet, intitulé : Lithophilacium Britannicum, et auquel étaient jointes plusieurs figures de fossiles, de pétrifications, etc.11 Il prétend, dans cet ouvrage, que les germes des êtres vivants, disséminés par les vents et par les eaux, pénètrent dans l’intérieur des terres au moyen de filtrations et y produisent, sinon des individus parfaits, du moins des ébauches des êtres dont ils proviennent. Il expliquait de la même manière l’existence de tous les fossiles que renferme le globe.
10Mais il restait à rendre compte de la disposition des plaines, des montagnes et des vallons, dans lesquels les mineurs cherchent les minéraux précieux ; on commença donc à faire des systèmes de géologie. Outre les difficultés inhérentes au sujet, il y avait encore à vaincre celles qu’offrent les premier chapitres de la Genèse : ils renferment, comme on sait, une espèce de géogonie à laquelle on reconnaissait encore une autorité absolue, bien que quelques auteurs eussent déjà émis l’opinion qu’on ne devait plus entendre la Genèse à la lettre, mais la considérer comme allégorique.
11Le premier système un peu complet de géologie qui parut dans le sens littéral du livre de Moïse, est celui d’un Anglais nommé Thomas Burnet12, qu’il ne faut pas confondre avec G. Burnet13 qui prit part à la révolution de 1688, et qui était évêque de Salisbury. Celui-là était né vers 1635 à Croft, en Écosse, et mourut en 1715. Il avait été secrétaire et chapelain du roi Guillaume III14. Son ouvrage est intitulé : Telluris theoria sacra. Il parut en deux parties, l’une en 1680, l’autre en 168915. La première traite du paradis et du déluge ; l’autre traite de l’embrâsement du monde et du futur état des choses. Suivant T. Burnet, la terre fut d’abord fluide, et cette idée a été généralement adoptée, car on ne concevrait pas autrement que la terre eût pu prendre sa forme sphéroïdale. Cette même fluidité permit à ses différentes substances de s’arranger conformément à leur pesanteur : les plus denses formèrent le noyau terrestre ; et au dessus d’elles s’échelonnèrent circulairement, l’eau, l’huile et l’air.
12Lorsque les matières qui étaient restées dans l’air à l’état volatil, se furent condensées elles formèrent avec la couche d’huile sur laquelle elles tombèrent, une sorte de mastic qui est devenu le sol où nous marchons.
13Cette terre primitive était sans montagnes, sans mers, et cependant d’une fertilité extrême, ce qui n’est pas vraisemblable, car on ne comprend pas comment n’ayant ni mers ni montagnes, la terre pouvait produire, puisqu’il est constant que les mers et les montagnes sont les sources de la fertilisation.
14L’action du soleil sur la mince croûte terrestre la fit se fendre avec violence, et il en résulta un débordement de la couche aqueuse qui produisit le déluge. Lorsque l’ébranlement n’exista plus, et que les eaux eurent repris leur niveau, les parties de l’enveloppe brisée ne se correspondirent plus ; les unes étaient trop hautes, les autres trop basses ; celles-là formèrent les montagnes dont les couches nous fournissent encore des indices de l’ancienne rupture du globe, et les lacunes qui restèrent entre les fragments de sa croûte sont nos mers actuelles. La chaleur du soleil continue son action sur ces mers, et lorsqu’elles seront entièrement desséchées, le feu central n’étant plus contenu, produira une conflagration générale.
15Quelques années après Burnet, Leibniz traita les mêmes questions dans un ouvrage intitulé : Protogea16, dont j’ai seulement dit quelques mots l’année dernière, pressé que j’étais par le temps. Dans cet ouvrage, Leibniz admet aussi que la masse terrestre a été liquide, mais il fait résulter cette liquidité de l’action du feu, sur l’origine même du globe, il n’a pas d’opinion fixe : il hésite entre la supposition de Descartes qui considère notre planète comme un soleil éteint, et cette autre supposition, adoptée ensuite par M. de Buffon, que la terre est un fragment du soleil qui nous éclaire encore. Nous verrons plus tard que suivant M. de Buffon, ce fragment aurait été séparé du soleil par le choc d’une comète. Dans tous les cas, le globe, selon Leibniz, aurait été vitrifié, car c’est là le dernier effet de l’action du feu, et l’écorce terrestre aurait par conséquent été d’une nature vitreuse après le refroidissement de la surface du liquide. Ce qui le prouve, dit-il, c’est que les roches du globe peuvent encore reprendre leur ancienne nature si on les soumet de nouveau à l’influence primitive qui les liquéfia, c’est-à-dire à l’action d’un feu violent. Les bulles qui se forment dans la fabrication du verre en petit, se produisirent également dans la grande vitrification du globe, et il en résulta les vastes cavernes de la terre.
16À mesure que le refroidissement s’effectuait, les matières qui avaient été volatilisées par l’extrême chaleur, se condensaient et retombaient vers le centre de la masse. Les substances concrètes, comme les métaux, subirent les premières cette modification.
17Les eaux, elles-mêmes, finirent par revenir à leur point de départ, et ce fut alors que naquirent les animaux aquatiques. Si les premières montagnes n’en renferment aucun débris, c’est parce que ces montagnes existaient avant la chute des eaux sur le globe ; mais les couches terrestres qui se formèrent pendant cette submersion, présentent d’innombrables débris d’animaux marins.
18Les cavernes qui s’étaient formées dans la matière incandescente laissèrent, en se refroidissant, les eaux pénétrer dans leur cavité ; et il en résulta une émersion de terre proportionnelle. Ces terrains, mis à nu, commencèrent à se peupler d’animaux terrestres et de plantes.
19Le globe en se refroidissant, n’avait pas produit que des cavernes ; il offrait encore des fissures ouvertes à l’extérieur. Ces fissures se remplirent d’abord des métaux qui avaient été volatilisés, puis de ceux que les eaux détachaient de la surface et entraînaient avec elles. Il en résulta ce que nous connaissons sons le nom de filons.
20Vous voyez, Messieurs, dans cette comosgonie de Leibniz, tout ce que pouvait faire l’esprit humain avec les faits qui étaient connus en 1683. Ce système embrasse tous les phénomènes et offre une série de déductions parfaitement tirées d’un même principe. Il faut rendre à Leibniz cette justice, que la cosmogonie de Buffon n’est au fond que la sienne que celui-ci a développée avec son éloquence ordinaire.
21Jean Ray17, que nous connaissons déjà comme naturaliste, donna aussi, en 1692 et 1697, un système de cosmogonie ; mais nous n’en ferons pas une autre analyse, parce qu’il reproduit seulement les idées de Burnet.
22En 1696, un autre Anglais nommé Whiston18, publia une nouvelle théorie de la terre. William Whiston était né à Norton, dans le comté de Leicester, en 1667. Il fut d’abord chapelain de l’évêque de Norwich ; ensuite, Newton19, qui la regardait comme le meilleur de ses élèves, se l’adjoignit à l’Université de Cambridge. Quand Newton fut mort, il le remplaça définitivement. S’il était grand mathématicien, il était loin d’avoir la même modération que son maître. Il offrit une grande mobilité dans ses opinions religieuses, et fut en butte pour elles, à diverses persécutions. D’anglican qu’il était, il se fit arien, et fut expulsé pour cette hérésie de l’université de Cambridge. Plus tard, il changea encore, et devint anabaptiste à l’âge de quatre-vingts ans. Enfin, il avait prophétisé que les juifs rentreraient dans leur patrie, l’an 1766 ; mais il ne vit pas la réalisation de sa prophétie ; la mort le surprit en 1752.
23La grande comète de 168120, dont la queue remplissait une partie du ciel, avait beaucoup frappé les esprits et avait donné naissance à une foule d’écrits, entre autres, aux lettres de Bayle, qui avaient pour objet de détruire les préjugés où l’on était, que les comètes étaient des signes de la colère céleste. Probablement, ce fut ce même phénomène astronomique qui suggéra à Whiston la composition de son ouvrage.
24Suivant lui, le chaos était l’atmosphère d’une comète qui, se mouvant dans une ellipse très allongée, éprouvait des alternatives de vaporisation et de condensation suivant qu’elle s’approchait ou s’éloignait du soleil. Tant qu’elle décrivit cette ellipse, elle ne put servir d’habitation à aucun être animé, et les éléments ne purent même se disposer conformément à leur nature. Mais, lorsque la volonté de Dieu eut rapproché l’orbite parcourue, de la figure du cercle, la température fut moins inégale, les différentes matières de l’astre subirent la loi de la pesanteur, les parties les plus denses descendirent vers le centre qui resta chaud, car le feu central, dans ce système, est admis comme dans celui de Descartes ; les eaux occupèrent la surface et formèrent des lacs isolés, l’Océan n’ayant existé qu’après le déluge ; enfin l’air entoura la totalité du globe, et ce fut alors qu’y apparurent les êtres organisés.
25L’imagination superficielle de Whiston lui fit supposer que, dans ces premiers temps, les phénomènes cosmiques étaient d’une régularité parfaite. L’année devait se composer de trois cent soixante jours seulement, ou de douze mois lunaires, de chacun trente jours. La terre était d’une fertilité admirable, et la vie des hommes beaucoup plus longue qu’elle ne l’est aujourd’hui. Mais la profusion de toutes choses amena la dissolution des mœurs, et Dieu fit qu’une seconde comète, en heurtant ce théâtre d’iniquités, y produisit un déluge. Ce grand châtiment fut infligé le 12 novembre 3249 avant Jésus-Christ ; ainsi qu’il résultait de calculs que Whiston avait faits pour reconnaître les apparitions antérieures de la comète de 1681. Le déluge n’eut de fin que lorsque le globe se fut fendu et eut reçu les eaux dans ses crevasses.
26Vous voyez, Messieurs, d’après cette analyse, que le système de Whiston, bien que postérieur de quinze ans à celui de Leibniz, lui est de beaucoup inférieur. Ses généralités n’expliquent aucun phénomène particulier, tandis que Leibniz rend un compte assez vraisemblable de la formation des montagnes et des grandes cavités du globe.
27Un auteur antérieur à Whiston, puisque son ouvrage parut en 1695 est entré, à quelques égards, dans plus de détails que lui.
28Ce géologiste est Jean Woodward. Son livre est intitulé : Essai sur l’histoire naturelle de la terre et des débris terrestres21. Woodward était né dans le comté d’Edimbourg, en 1665. Il s’était fait médecin, et fut professeur au collège de Gresham. Ayant voyagé dans une campagne où la terre était remplie de coquillages, il s’occupa tout le reste de sa vie à expliquer ce phénomène. Possesseur d’une grande fortune, il légua même une fondation de 150 livres sterling aux professeurs qui feraient chaque année quatre leçons pour enseigner son système. Ce qu’il offre de neuf, est sa manière d’expliquer l’existence des fossiles.
29Selon lui, c’est au moment du déluge qu’ils pénétrèrent dans la terre. Lorsque les abîmes, selon l’expression de la Genèse, s’ouvrirent tout à coup, et que les eaux se répandirent, les débris organiques reposaient au fond de la mer. Dieu ayant permis que la cohésion cessât seulement pour les matières terrestres, ces débris y pénétrèrent comme dans une pâte molle qui, plus tard, se durcit autour d’eux sans altérer leur forme.
30Ce système fut attaqué par quelques auteurs, entre autres par Camerarius22, qui prétendait, avec ces auteur, que les fossiles étaient le résultat de forces germinatives répandues dans les rochers par la nature.
31D’autres systèmes à peu près semblables parurent alors, par exemple, celui d’un Suisse appelé Jean Scheuchzer23. Il avait imaginé, entre autres choses, qu’après le déluge, la divinité avait soulevé les montagnes pour reproduire une terre sèche. De telles hypothèses méritent à peine qu’on s’en occupe ; et cependant elles furent admises dans les académies du temps.
32Robert Hooke24, dont j’ai parlé comme d’un antagoniste de Newton, donna aussi un petit ouvrage sur la théorie de la terre, qui parut après sa mort, en 170525. C’est par des tremblements de terre, par l’affaissement de cavernes et les feux souterrains, qu’il cherche à rendre compte des inégalités de la surface du globe.
33Un Français, plus remarquable pour ses observations, est Louis Bourguet26, qui était né à Nîmes, en 1678, à l’époque de la révocation de l’édit de Nantes27, et qui, ayant été obligé de s’exiler, devint professeur à Neuchâtel. Il mourut en 1742. Il avait beaucoup voyagé en Europe, et avait passé les Alpes six fois, toujours en s’occupant de géologie et de minéralogie. Il a laissé un livre intitulé : Lettres philosophiques sur les sels et les cristaux28, à la suite duquel est un Mémoire sur la théorie de la terre et sur l’apparition des êtres organisés.
34Il ne paraît pas qu’il ait eu connaissance du Protogea de Leibniz29. Cependant il se rencontre quelquefois avec lui. Ses idées se rapprochent aussi de celles de Burnet sur certains points.
35Ce qu’il y a de précieux dans son livre, c’est la remarque de la correspondance des angles rentrants et saillants des vallées. Presque tout le reste est une paraphrase de la Genèse30.
36Le plus tardif des systèmes du xviiie siècle est celui de Benoît De Maillet31, gentilhomme lorrain, qui était né en 1656.
37De Maillet résida seize ans en Égypte, de 1692 à 1708. Il y avait été envoyé en qualité de consul général par le chancelier de Pontchartrain32. En 1715, il fut nommé consul à Livourne33, où il resta six ans. Enfin, il fut chargé de visiter les Échelles du Levant. De retour à Marseille, il y mourut en 1738.
38De Maillet s’était occupé de géologie toute sa vie ; il était surtout utile qu’il s’en occupât en Égypte, sur laquelle on ne savait que le peu qu’en rapporte Hérodote34. Il en revint avec des manuscrits composés par lui, qui furent mis en ordre et imprimés après sa mort par les soins de l’abbé Le Mascrier35. L’ouvrage fut imprimé en 1735, mais il ne parut qu’en 1748, à Amsterdam, en deux volumes in-12, sous ce titre : Telliamed, ou Entretiens d’un philosophe indien et d’un missionnaire français sur la diminution de la mer, la formation de la terre, l’origine de l’homme, etc. Ce nom de Telliamed est l’anagramme du nom de l’auteur36. La deuxième édition, qui fut imprimée à La Haye, est de 1755.
39On prétend que de Maillet croyait avoir reçu en songe la mission de publier ses idées géologiques. Étant gravement malade, lorsqu’il était fort jeune, une voix lui annonça qu’il ne mourrait point encore, parce qu’il était destiné à révéler au monde de grandes choses. Son enthousiasme et son fanatisme furent extrêmes après sa guérison, et, ne voyant rien de plus extraordinaires que les observations qu’il avait faites sur l’Égypte pendant son séjour dans ce pays, il crut que les vérités dont il devait être le révélateur étaient relatives aux révolutions de la terre ; il écrivit en conséquence les idées de son Telliamed.
40Sur plusieurs points des côtes de l’Égypte, la mer recule d’année en année, de manière que de vastes terrains fangeux sont laissés à sec et finissent par devenir propres à la culture. Ce fait est connu depuis les temps les plus anciens, comme nous l’avons vu dans Hérodote. De Maillet l’observa aussi, mais il en donna une explication erronée. Au lieu de voir que la mise à sec de nouveaux terrains est le résultat d’un exhaussement du sol produit par l’accumulation des limons du Nil, il crut y trouver la preuve d’un abaissement dans le niveau de la mer. Il fit résulter de la même retraite des eaux la présence des coquilles dans les hautes montagnes, et il arriva ainsi à cette conclusion que les eaux, dans le principe du globe, le recouvraient complètement, et que la quantité de ces eaux diminue continuellement.
41Si nous examinons, dit-il, ce qui se passe dans le sein de nos mers, nous y remarquons une infinité de courants dont nous n’avons aperçu que les plus superficiels. Ces courants entraînent les limons du fond, les disposent en arêtes, en barres, dont le volume et la consistance augmentent de plus en plus ; il en résulte des montagnes sous-marines qui ne diffèrent point de celles de nos continents, et qui seront mises un jour à sec comme celles-ci l’ont été il y a des siècles. Les cailloux qui, maintenant, s’agglutinent sur nos rivages, formeront des pondingues que l’on trouvera au milieu des terres.
42La lenteur de la diminution des eaux et l’extrême hauteur de quelques montagnes ne fournissent point d’objection contre ce système ; car les siècles ne sont rien pour la nature.
43Lorsque les premiers sommets sortirent comme de petites îles de l’unique océan qui baignait le globe, les eaux ne contenaient point les êtres qu’elles entretiennent aujourd’hui ; car les animaux marins eux-mêmes ne peuvent vivre que près des terres, qui leur fournissent des aliments. Ils ne parurent que lorsqu’il exista des bas-fonds, des rivages, et c’est pourquoi les montagnes primitives ne présentent point de débris de corps organisés. On rencontre quelques coquilles dans les roches de l’époque suivante, et on voit augmenter le nombre et les espèces des fossiles à mesure qu’on avance vers des formations plus récentes.
44De Maillet ne s’était d’abord occupé des êtres organisés que pour confirmer ses idées sur la formation de la terre. Les deux derniers chapitres de son livre, dans lesquels il traite de l’origine des animaux, ne furent composés qu’en France, et une plaisanterie de Fontenelle37, qu’il prit au sérieux, paraît être ce qui les lui suggéra. Dans ces chapitres, il essaie d’établir de l’analogie entre les productions marines et les productions de la terre. Il voit dans la mer des plantes, des arbrisseaux de toutes espèces, garnis de feuilles et de fruits ; et, selon lui, lorsque le sol où ils vivaient a été abandonné par les eaux, ces plantes sont devenues des végétaux terrestres. Les animaux marins ayant été laissés à sec comme les plantes, ont aussi formé nos animaux terrestres ; ou bien des poissons, en sautant au-dessus de l’eau, sont tombés dans des roseaux, et, ne pouvant s’en dépêtrer, sont restés sur la terre ; leurs nageoires desséchées par l’air se sont fendues ; leurs rayons antérieurs et leurs écailles sont devenus des plumes, et les nageoires postérieures se sont métamorphosées en pieds. Ceux des animaux marins qui rampaient au fond de la mer sont d’abord restés sur les bords et ont été transformés en phoques ou en quadrupèdes terrestres. À la vérité, plusieurs poissons ont des becs qui ne ressemblent point à ceux des oiseaux ; mais l’auteur n’y regarde pas de si près ; il prétend, par exemple, que les bécasses de mer38 sont devenues des perroquets de terre.
45Il a rassemblé tout ce qu’il a trouvé dans les auteurs les plus romanciers, tels qu’Obsequens39, Lycosthènes40, Sorbin41, etc., sur les hommes et les femmes marines, pour prouver que l’espèce humaine descend elle-même de ces êtres marins42. Il rapporte avec la plus grande intrépidité de confiance que des Hollandais avaient pris des hommes marins qui parlaient hollandais, et qu’un d’entre eux avait demandé une pipe pour fumer. C’était, dit-il, un homme qui avait fait naufrage à huit ans et qui avait fini par recevoir des écailles (sans doute de la puissance écaillante de la mer) ! Les animaux qu’on a pris pour des hommes sont des lamantins qui, s’élevant au-dessus de l’eau lorsqu’ils allaitent leurs petits, offrent une certaine ressemblance avec la figure humaine, quand on les regarde de loin.
46De Maillet a même défiguré des histoires exactes pour fonder son système. Ainsi un vaisseau anglais avait découvert des Esquimaux qui naviguaient dans une pirogue ; on réussit à s’emparer d’un de ces hommes qui, désespéré de sa captivité, refusa de parler, de se nourrir, et mourut en quelques jours ; son corps desséché fut emporté en Angleterre, et on le conserve dans la salle de l’amirauté de Hall avec la pirogue qui cache sa moitié inférieure et semble en faire partie. Eh bien ! de Maillet poussa l’ignorance jusqu’à croire que, depuis la ceinture jusqu’en bas, ce corps avait la configuration d’un poisson, et il supposa de plus qu’il ne possédait pas encore la voix.
47De Maillet, bien que son système n’en eût pas besoin, a admis avec Lhuyde43 la possibilité d’un développement des êtres organisés au sein même des couches du globe. C’est lui qui, le premier, a avancé la possibilité de la transformation des espèces marines en espèces terrestres.
48Cette théorie a été reproduite de beaucoup de façons par les auteurs modernes ; elle est fondée sur quelques faits ; mais on en a tiré des conséquences trop vagues et trop étendues. Voici ce qu’il y a de certain : chez quelques espèces, les individus éprouvent sous l’influence de certaines circonstances extérieures, des changements très remarquables. Ainsi, tous les organes, surtout ceux du mouvement, peuvent être fortifiés par l’exercice ; les danseurs, par exemple, ont généralement les muscles jumeaux des jambes, ou les mollets, plus forts que les autres hommes ; les boulangers ont les muscles des bras aussi plus développés, et ceux qui emploient leurs mains à des travaux rudes les ont également plus volumineuses et plus fortes. Les os, bien que doués d’une moindre vitalité que les muscles, sont cependant susceptibles de se modifier comme eux, ainsi que nous le montrent les procédés orthopédiques. Enfin le cerveau lui-même, ou quelques-unes de ses parties, peuvent acquérir un développement d’autant plus considérable qu’ils sont plus exercés. Sans aucun doute, le cerveau d’un enfant qui n’aurait pas été habitué à penser, dont l’éducation aurait été purement corporelle, serait moins développé que celui d’un enfant dont l’organe moral aurait été exercé convenablement. Quand des circonstances extérieures viennent se joindre aux circonstances intérieures, les changements peuvent même porter sur des choses qui ne dépendent pas de la volonté. Ainsi, un animal transporté dans un climat où il a plus chaud on plus froid que dans le pays où il vivait auparavant, éprouve des changements dans ses téguments. Si sa nourriture est abondante, il acquiert plus de volume ; si au contraire elle est faible, l’animal dégénère. Par les soins de l’homme, certaines variétés qui n’étaient qu’individuelles, peuvent devenir héréditaires. Il lui suffit pour atteindre ce résultat, de réunir les mâles et les femelles qui présent ces variétés. C’est ainsi que nous avons obtenu des races de moutons à laine fine, des vaches sans cornes, etc. Mais ces changements sont bornés aux espèces qui vivent en domesticité ; car, dans l’état naturel, chaque animal habitant constamment les lieux qui lui conviennent le plus sous tous les rapports, les variétés qui peuvent survenir dans les caractères sont extrêmement rares ; et d’ailleurs elles sont promptement détruites par le croisement avec des individus qui n’ont rien d’anormal.
49Quand on passe des différences que peuvent présenter les individus de la même espèce, à celles des espèces appartenant à un même genre, à une même famille, ou à une classe toute entière, on remarque que certaines parties présentent tous les degrés possibles de développement. Chez certaines espèces parvenues à l’état le plus complet, elles servent à des usages importants ; chez d’autres, presque atrophiées et plus simples dans leur structure, leur utilité est plus limitée et quelquefois même tout à fait nulle. Plus bas encore dans l’échelle animale, elles paraissent manquer totalement. Mais alors même, on en retrouve souvent, contre les apparences, des vestiges intérieurs. Ainsi, dans la classe des reptiles, les seps44 présentent les quatre membres, dans un état de ténuité très sensible ; ceux de devant disparaissent dans les bipèdes ; dans les bimanes, ce sont ceux de derrière. Les os des membres postérieurs des boas45, cachés sous la peau, présentent au-dehors deux petits tubercules peu saillants. Dans les orvets46, qui sont assez communs dans nos campagnes, il existe encore un rudiment de bassin, deux os de l’épaule et un commencement de bras dont rien à l’extérieur n’indique la position.
50C’est sur ces faits, limités à certaines classes, qu’on s’est appuyé pour proclamer non seulement qu’il y avait unité de plan dans la composition de tous les animaux ; mais même que leur origine était commune. On a aussi cru pouvoir expliquer la diversité des formes par les mêmes causes qui produisent les variétés chez les espèces soumises à l’homme, c’est-à-dire par l’influence des circonstances aveugles et des actes dépendant de la volonté. Il y a sur cette matière quatre ou cinq systèmes qui ne sont guères que des modifications de celui de De Maillet.
51Le plus singulier de ces systèmes est, sans contredit, celui d’un Français nommé J. Robinet47, qui avait été employé dans les bureaux du ministère de l’intérieur. Il le publia, de 1761 à 1768, sous ce titre : Considérations philosophiques sur la gradation naturelle des formes de l’Être, ou Essai de la nature pour apprendre à former l’homme. L’auteur suppose que le but général de la nature, ou de Dieu, qui agit en elle, est d’arriver à la formation de l’homme, et que cette tendance perpétuelle produit des objets qui ont une ressemblance plus ou moins frappante avec l’homme ou quelques-unes de ses parties. Il allégue à l’appui de cette opinion la cardine48, pétrification qui a des rapports avec la forme d’un cœur ; puis une espèce de coquillage dont la dénomination populaire rappelle sa ressemblance avec une vulve de femme ; ensuite un champignon dont le nom scientifique exprime des rapports analogues avec un des organes de l’homme49 ; bref, il cite tous les corps désignés sous le nom d’anthropomorphites, soit qu’ils appartiennent à des espèces constantes, soit qu’ils constituent des monstruosités minérales. Ce système n’est ni anatomique ni physiologique ; il est purement panthéistique, et n’était, par conséquent, susceptible d’aucun succès auprès des véritables savants. Sa seule recommandation, pendant quelques temps, auprès des gens peu éclairés qui prennent l’extravagance pour la hardiesse des idées, fut d’avoir été imprimé en Hollande et de se vendre clandestinement à Paris.
52À la fin du dix-huitième siècle, un Allemand nommé Rodig50, reprit l’idée effleurée par De Maillet, que la diversité des formes dans les animaux résultait des mêmes causes qui produisent les variétés chez les espèces soumises à l’homme. Il supposa les premiers êtres très simples, uniquement composés de tissu cellulaire. Avec le temps, et par des causes qui ne sont point exprimées, des vaisseaux se formèrent dans ce tissu cellulaire et s’y ramifièrent en différents sens. Les canaux qui aboutirent à l’extérieur, constituèrent les systèmes perspiratoire et respiratoire de l’animal ; ceux qui se dirigèrent vers le centre de l’être, ne trouvant pas d’issue, s’abouchèrent, se dilatèrent, et formèrent les cavités digestive et circulatoire.
53Les parties les plus subtiles de la masse animée se sublimèrent et formèrent le cerveau en se réunissant à la partie supérieure. De ce cerveau partirent les cordons nerveux qui sont distribués aux diverses parties. Quelques-uns de ces cordons prirent une forme globuleuse en arrivant à la superficie du corps, se couvrirent d’une enveloppe diaphane et formèrent les yeux.
54Les partisans de la philosophie de la nature, en reproduisant ces bizarres hypothèses, ont eu le soin d’employer un langage métaphorique qui les rend moins choquantes. Rodig n’a pas eu tant d’égards pour ses lecteurs. Après avoir formé son animal comme nous l’avons vu, il en explique grossièrement les transformations par les influences auxquelles il le suppose avoir été soumis. Ainsi, un polype a eu peur, il s’est contracté, s’est fait petit dans l’espoir d’échapper au danger qui le menaçait ; de ce resserrement il est résulté une transsudation des molécules terreuses, et une coquille a été formée sur le polype. Cet animal à coquille qui était par exemple, une patelle, fit des efforts pour soulever son enveloppe ; les parties inférieures du corps s’étendirent, devinrent ainsi des pieds, et voilà la patelle transformée en tortue. Celle-ci, bientôt gênée dans son habitation, fait à son tour des efforts, elle se fend, et son enveloppe devient tatou. Cet animal se débarrasse-t-il enfin de son fardeau ? comme il n’y a pas loin de lui à une grenouille, celle-ci ou quelque autre animal terrestre apparaît, selon les circonstances.
55Ainsi, voilà les continents qui commencent à se peupler, grâce à la métamorphose des êtres que la mer possédait seule dans le principe. Mais cette métamorphose ne se repose pas sur la grenouille ; beaucoup de nouveaux animaux marins sont rejetés par accident du sein de l’Océan, et sont transformés en êtres d’une forme encore ignorée. Par exemple, certains poissons sont-ils rejetés sur le rivage ? par habitude ils continuent le mouvement de leurs nageoires ; mais comme c’est l’air qu’alors ils frappent de leurs membres, ceux-ci se changent en ailes, et les poissons deviennent oiseaux. Des animaux terrestres sont-ils forcés par quelque malheur de retourner dans l’eau ? Insensiblement ils se transforment en phoques, en cétacées ; plus tard, leurs pieds redeviennent des nageoires, et les voilà rendus à la condition des poissons.
56Un de nos contemporains, M. De Lamarck51, avec beaucoup plus de notions que Rodig sur l’organisation animale, est cependant tombé à peu près dans des erreurs aussi manifestes que les siennes. Son système n’est pas développé dans un seul ouvrage ; il est épars dans son Hydrogéologie, dans ses Recherches sur les corps organisés, et dans sa Philosophie zoologique52.
57Le globe suivant lui, commença par être liquide. Dans ce liquide naquirent les premiers êtres qui, d’abord très simples et formant des espèces de monades, se compliquèrent et se perfectionnèrent à mesure que des circonstances favorables survinrent, à tel point qu’il en résulta toutes les formes que nous connaissons maintenant. De plus, ce sont les divers animaux qui ont converti l’eau de la mer en terre calcaire, et ont ainsi produit les montagnes calcaires du globe. Les végétaux, dont l’origine est la même que celle des animaux, et qui ont également subi diverses métamorphoses, ont converti de leur côté l’eau en argile.
58La consolidation du globe ne serait, par conséquent, que le résultat de la vie animale et végétale. Faujas53 a aussi soutenu cette opinion.
59Comme selon Lamarck, à mesure que les circonstances changeaient, les êtres éprouvaient de nouveaux besoins, et acquéraient des habitudes nouvelles d’où résultaient des facultés et des organes appropriés, il s’en suit que, dans ce système, ce ne sont pas les organes qui ont produit les besoins, les facultés et les habitudes ; mais, au contraire, les habitudes et les fonctions qui, avec le temps, ont fait naître les organes. La multiplication des êtres nécessitant davantage pour chacun d’eux le sentiment du monde extérieur, la faculté de sentir, qui d’abord était également distribuée, se concentra sur divers points de la surface convenablement disposés, et il en résulta la formation des sens. Lorsque des espèces durent se nourrir de substances solides, la répétition de la mastication endurcit les gencives de ces espèces, et peu à peu il en sortit des dents. Un poisson s’élança-t-il dans l’air pour échapper à un ennemi, les efforts qu’il fit dans ce cas brisèrent ses poumons, l’air parvint jusqu’aux téguments et fit naître des plumes dont le vide intérieur montre encore l’origine.
60Quelques-uns de ces oiseaux allant chercher leurs aliments sur les eaux, eurent besoin pour s’y soutenir de mouvoir leurs pieds comme des rames. La répétition de ce mouvement produisit des membranes dans l’intervalle de leurs doigts. D’autres oiseaux fréquentèrent seulement les rivages et les courants peu profonds. À force de s’élever sur la pointe de leurs pieds, leurs jambes arrivèrent à un alongement considérable. Il est difficile de s’expliquer comment des jambes tendues longtemps obtiendraient ainsi de l’accroissement. L’effet contraire serait plutôt le résultat de cette tension des muscles ; car leur contraction presse fortement les extrémités des os les unes contre les autres, et, par conséquent, tend plutôt à élargir et à raccourcir les membres qu’à les alonger.
61M. de Lamarck rapporte à une seconde cause le développement exagéré des membres. Cette autre cause est la tendance des liquides déterminée par un très vif désir. Dans les cerfs et les gazelles, c’est le besoin de fuir qui contribue à l’allongement de leurs jambes ; mais dans quelques cas c’est la passion seule qui produit ce phénomène. Les ruminants, par exemple, qui, pour se défendre avaient besoin de frapper du front, ont fini par en faire sortir des cornes par l’acte répété de diriger leur tête vers la terre. D’autres fois, ce sont des causes extérieures qui ont occasionné les changements survenus dans les animaux. Ainsi, les ongles d’un animal qui a foulé des terrains durs se sont élargis et ont formé des sabots. Un reptile, à force de passer dans des espaces étroits s’est alongé insensiblement, a éprouvé du raccourcissement dans ses pattes, et a fini par les perdre entièrement.
62Toutes ces hypothèses sont si absurdes, qu’il est presque inutile de les réfuter54.
63Nous ferons cependant observer que, dans le reptile que M. de Lamarck suppose être étiré, et comme passé à la filière à la manière d’un fil d’archal, la forme seule des parties aurait dû être affectée, et le nombre rester le même. Cependant des grenouilles n’ont que cinq ou six vertèbres, tandis que quelques serpents en ont plus de deux cents. Ces os, d’ailleurs, sont hérissés de saillies, et, dans l’hypothèse de l’alongement par compression, elles auraient dû disparaître d’autant plus complètement qu’elles sont grêles et délicates.
64En fermant les yeux sur ces difficultés palpables, il en resterait une qui est fondamentale et qui ruinerait du sommet à la base le système dont nous parlons. Ce serait de démontrer pourquoi, dans l’origine, le reptile a agi contre sa propre nature en adoptant des habitudes qui étaient en opposition avec sa forme primitive. Cette objection est applicable à toutes les parties du système ; car, comme nous l’avons fait remarquer, l’auteur suppose ordinairement la préexistence de la fonction.
65Dans la prochaine séance, je reprendrai l’histoire de la géologie, et j’arriverai à celle de la chimie.
Notes de bas de page
1 [La Chaîne des êtres, voir Leçon 3, note 38, ci-dessus.]
2 [Sur la géogonie, voir Leçon 2, note 12, ci-dessus.]
3 [Zootomie, terme médical renvoyant particulièrement à l’anatomie animale étudiée sur une base comparative.]
4 [Sur René Descartes, voir Volume 1, Leçon 6, note 7.]
5 [Sur Agostino Scilla, voir Volume 2, Leçon 19, note 21.]
6 [Sur Paolo Silvio Boccone, voir Volume 2, Leçon 12, note 107.]
7 [La vana speculazione disingannata dal senso : lettera risponsiua circa i corpi marini, che petrificati si trouano in varij luoghi terrestri, Naples : Andrea Colicchia, 1670, [6] + 168 p. + 28 pl.]
8 [Glossopetrae, voir Volume 2, Leçon 9, note 42.]
9 [Sur Bernard de Palissy, voir Volume 2, Leçon 9, note 53.]
10 [Sur Edward Lhuyde ou Eduardus Luidius, voir Volume 2, Leçon 19, note 24.]
11 [Lithophylacii Britannici ichnographia, sive lapidum aliorumque fossilium Britannicorum singulari figura insignium, quotquot hactenus vel ipse invenit, vel ab amicis accepit, distributio classica : scrinii sui lapidarii repertorium cum locis singulorum natalibus exhibens. Additis rariorum aliquot figuris aere incisis ; cum epistolis ad clarissimos viros de quibusdam circa marina fossilia & stirpes minerales praesertim notandis, Leipzig : Gleditsch & Weidmann, 1699, 9 + 156 + [5] p. ; Premier catalogue illustré d’une collection publique de minéraux et de fossiles publié en Angleterre, comprenant 1766 spécimens recueillis en Angleterre, principalement à Oxford, et conservés à présent au Musée Ashmolean, d’Oxford.]
12 [Sur Thomas Burnet, voir Volume 2, Leçon 19, note 29.]
13 [Gilbert Burnet (né le 18 septembre 1643, Édimbourg, Écosse ; mort le 17 mars 1715, Londres), historien et philosophe écossais, évêque de Salisbury, il parlait couramment allemand, français, latin, grec et hébreu ; il était un pasteur, un universitaire, un écrivain et un historien très respecté.]
14 [Sur William III, voir Volume 2, Leçon 8, note 86.]
15 [Telluris theoria sacra, orbis nostri originem et mutationes generales, quas aut jam subiit, aut olim subiturs est complectens, Londres : Gualteri Kettilby, publié en deux volumes, le premier fut publié en 1680 en latin, suivi d’une traduction en anglais en 1684 ; le second volume fut publié en 1689 (1690 pour la version anglaise). Il s’agit d’une cosmogonie spéculative, dans laquelle Burnet suggérait l’existence d’une Terre creuse, contenant en majorité de l’eau jusqu’au Déluge, époque à laquelle apparurent les montagnes et les océans. Il calcula le volume d’eau à la surface de la Terre et avança qu’il n’était pas suffisant pour expliquer le Déluge.]
16 [Protogaea, voir Leçon 3, note 17, ci-dessus.]
17 [Sur John Ray, voir Volume 2, Leçon 3, note 94.]
18 [Sur William Whiston, voir Volume 2, Leçon 19, note 44.]
19 [Sur Sir Isaac Newton, voir Volume 2, Leçon 11, note 37.]
20 [La grande comète de 1680, voir Volume 2, Leçon 19, note 45.]
21 [Sur John Woodward, voir Volume 2, Leçon 19, note 46.]
22 [Sur Joachim Camerarius le Jeune, voir Volume 2, Leçon 7, note 160.]
23 [Johann Jakob Scheuchzer (né le 2 août 1672, Zurich ; mort le 23 juin 1733, Zurich), médecin et naturaliste suisse, auteur de Museum Diluvianum quod possidet, Tiguri [Zürich] : Typis Henrici Bodmeri, 1716, [12] + 107 + [5] p. + [1] feuil. de pl., ill., in-8°.]
24 [Sur Robert Hooke, voir Volume 2, Leçon 12, note 66.]
25 [« Lectures and discourses of earthquakes, and subterraneous eruptions, explicating the causes of the rugged and uneven face of the Earth and what reasons may be given for the frequent findings of shells and other sea and land petrified substances, scattered over the whole terrestrial superficies », Part. 5, pp. 279-450, dans The posthumous works of Robert Hooke, M. D. S. R. S. Geom. Prof. Gresh. etc., containing his Cutlerian Lectures, and other discourses, read at the meetings of the illustrious Royal Society. In which I. The present Deficiency of Natural Philosophy is discoursed of, with the Methods of rendering it more certain and beneficial. II. The Nature, Motion and Effects of Light are treated of, particularly that of the Sun and Comets. III. An Hypothetical Explication of Memory ; how the Organs made use of by the Mind in its Operation may be Mechanically understood. IV. An Hypothesis and Explication of the cause of Gravity, or Gravitation, Magnetism, & c. V. Discourses of Earthquakes, their Causes and Effects, and Histories of several ; to which are annext, Physical Explications of several of the Fables in Ovid’s Metamorphoses, very different from other Mythologick Interpreters. VI. Lectures for improving Navigation and Astronomy, with the Descriptions of several new and useful Instruments and Contrivances ; the whole full of curious Disquisitions and Experiments, Londres : Richard Waller, 1705, [3] + xxviii + 572 + 13 pls + [11] + [1] p.]
26 [Louis Bourguet (né le 23 avril 1678, Nîmes, France ; mort le 31 décembre 1742, Neuchâtel, Suisse), polymathe ayant écrit sur l’archéologie, la géologie, la philosophie, les études bibliques et les mathématiques, il fut un correspondant de Leibniz.]
27 [Sur l’Édit de Nantes, voir Leçon 1, note 80, ci-dessus.]
28 [Lettres philosophiques sur la formation des sels et des crystaux et sur la génération & les mechanisme organique des plantes et des animaux ; à l’occasion de la pierre belemnite et de la pierre lenticulaire. Avec un memoire sur la théorie de la terre par Mr. Bourguet, Amsterdam : François l’Honoré, 1729, xliv + 220 + [12] p.]
29 [Protogaea, voir Leçon 3, note 17, ci-dessus.]
30 Ce livre, qui est écrit dans un style populaire et allégorique, n’a rien de commun avec nos sciences profanes, qui ne sont point son objet. On devrait l’abandonner complètement aux théologiens. Autrement, on pourrait presque ressusciter le raisonnement qu’on attribue à Omar, et agir comme ce calife. [Il s’agit ici d’une référence à Omar Khayyám (né le 18 mai 1048, Nishapur, Khorasan, Perse ; mort le 4 décembre 1131, Nishapur, Khorasan, Perse), mathématicien, astronome, philosophe et poète persan, considéré comme l’un des scientifiques les plus influents du Moyen Âge. Il écrivit d’innombrables traités sur la mécanique, la géographique, la minéralogie et l’astronomie.] [M. de St.-Agy]
31 [Benoît de Maillet (né le 12 avril 1656, Saint-Mihiel, Lorraine ; mort le 30 janvier 1738, Marseille), diplomate et historien des sciences naturelles, il formula une hypothèse sur l’évolution expliquant l’origine de la Terre et son contenu. Ses observations géologiques le convainquirent que la Terre n’avait pas pu être créée en un jour en raison des caractéristiques de la croûte terrestre indiquant un lent développement sous l’effet de processus naturels. Il croyait également que les créatures vivantes sur terre dérivaient de créatures marines. D’après son estimation, l’évolution de la Terre aurait pris deux milliards d’années.]
32 [Louis Phélypeaux (né le 29 mars 1643, mort le 22 décembre 1727), Marquis de Phélypeaux (1667), Comte de Maurepas (1687), Comte de Pontchartrain (1699), dit aussi le « Chancelier de Pontchartrain », homme d’État français dont le nom fut donné à celui d’îles imaginaires (les Isles Philippaux et Pontchartrain) figurant sur les premières cartes du lac Supérieur dressées par des explorateurs français dans l’espoir que le dignitaire avancerait des fonds supplémentaires pour explorer la région.]
33 [Livourne, ville portuaire de la Mer de Ligurie, sur la côte ouest de la Toscane en Italie, capitale de la province de Livourne, anciennement appelée Leghorn.]
34 [Sur Hérodote, voir Volume 1.]
35 [Jean-Baptiste de Mascrier (né en 1697, mort en 1760), homme d’église français, éditeur de l’ouvrage suivant de Maillet (voir note 31, ci-dessus) : Telliamed ou Entretiens d’un philosophe indien avec un missionnaire français sur la diminution de la mer, la formation de la terre, l’origine de l’homme, etc., Amsterdam : Chez l’Honoré & Fils, 1748, 2 vol., [8] + cxix + [2] + 208 p. ; 231 + [3] p. Aucune des éditions publiées de Maillet n’illustrent correctement son œuvre en raison de la tentative entreprise par Mascrier pour réconcilier le système qu’il proposait avec le dogme de l’église catholique.]
36 [Telliamed est en réalité le nom de l’auteur écrit à l’envers.]
37 [Sur Bernard Le Bovier de Fontenelle, voir Volume 2, Leçon 12, note 126.]
38 [La bécasse de mer, aussi appelée Trompette, est un membre téléostéen de la famille des Macroramphosidae.]
39 [Julius Obsequens, écrivain romain aux dates incertaines mais qui aurait vécu au milieu du ive siècle après JC. Le seul écrit connu que l’on associe à son nom est Liber de prodigiis (Livre des Prodiges) publié en 1508 par l’humaniste vénitien Aldus Manutius (1480-1490 fl., mort le 6 février 1515).]
40 [Conrad Lycosthenes ou Conrad Wolffhart (né le 8 août 1518, Rouffach, Alsace ; mort le 25 mars 1561), encyclopédiste et humaniste alsacien, il fit partie des nombreux érudits polymathes du xvie siècle dont l’œuvre s’étendit à des travaux d’édition, de traductions et de compilations.]
41 [Arnaud (Arnault) Sorbin (né en 1532, Montech, France ; mort le 1er mai 1606, Nevers, France), prélat français qui fut évêque de Nevers en 1578, connu pour son éloquence, son zèle contre les Calvinistes et ses écrits, mais dont les Oraisons funèbres sont plus célèbres encore.]
42 [Tritons et sirènes, créatures aquatiques légendaires, dont le haut du corps a l’apparence humaine tandis que le bas est affublé d’une queue de poisson. Elles apparaissent dans le folklore de nombreuses cultures à travers le monde, au Proche-Orient, en Europe, en Afrique comme en Asie.]
43 [Sur Edward Lhuyde, voir note 10, ci-dessus.]
44 [Seps, lézards de l’ancien monde, du genre Chalcides (synonyme Seps) de la famille des Scincidés, reptile à très courtes pattes, dont le corps ressemble à un serpent, recouvert d’écailles lisses, tenus pour venimeux dans l’Antiquité.]
45 [Serpents Boas, serpents non venimeux, principalement constricteurs tropicaux de la famille Boidae, possédant un vestige de membres postérieurs à la base de la queue.]
46 [Lézards apodes, parfois appelés « vers lents », lézards ayant complètement perdus leurs pattes ou au point de ne plus être utiles à la locomotion.]
47 [Jean-Baptiste-René Robinet (né le 23 juin 1735, Rennes, France ; mort le 24 mars 1820, Rennes, France), naturaliste français, il figure parmi les nombreux précurseurs de la théorie de l’évolution, ayant contribué au processus finalement concrétisé dans les travaux de Charles Darwin (voir Volume 1, Leçon 8, note 1). Il est surtout connu pour ses Considérations philosophiques de la gradation des formes de l’être, ou les essais de la nature qui apprend à faire l’homme (Paris : Charles Saillant, 1768, 260 p., in-8°.)]
48 [Bivalve marin du genre Isocardia et genre allié, de la famille des Glossidae, possédant une coquille en forme de cœur, comme en particulier le Glossus humanus européen, communément appelé isocarde.]
49 [Référence au champignon du genre Phallus, nom fixé dans la littérature scientifique par Linné en 1753 pour un groupe de basidiomycètes, ayant une ressemblance visible avec le pénis humain. Souvent appelé « satyre puant » car dégageant une odeur putride, le groupe est largement distribué et possède jusqu’à 33 espèces.]
50 [Johann Christian Rodig (né le 23 mars 1772, Pirna, Allemagne ; mort en 1863), juriste et naturaliste allemand, auteur de deux livres contenant des passages sur l’évolution des organismes, publiés tous deux en 1801 : Lebende Natur : die Veränderungen und deren Ursachen verstehen (La nature vivante : comprendre ses changements et leurs causes), Leipzig : Breitkopf & Härtel, 126 p., in-8° ; Naturlehre (Les enseignements de la nature), Leipzig : Breitkopf & Härtel, 196 p.]
51 [Jean-Baptiste Pierre Antoine de Monet, Chevalier de Lamarck (né le 1er août 1744, Bazentin, Picardie, France ; mort le 18 décembre 1829, Paris), plus simplement connu sous le nom de Lamarck. Naturaliste français, ayant été officier et professeur, il défendit précocement l’idée que l’évolution se déroulait selon des lois naturelles. Il est passé à la postérité pour avoir présenté la première théorie cohérente de l’évolution, soutenant qu’une force alchimique pousse les organismes sur une échelle de complexité, et qu’une seconde force environnementale les pousse à s’adapter aux conditions locales grâce à l’utilisation ou à l’abandon de caractéristiques — théorie de l’hérédité des caractères acquis qui sera appelée le lamarckisme — les différenciant des autres organismes.]
52 [Publications de Lamarck (voir note 51, ci-dessus) : Hydrogéologie ou Recherches sur l’influence qu’ont les eaux sur la surface du globe terrestre ; sur les causes de l’existence du bassin des mers, de son déplacement et de son transport successif sur les différens points de la surface de ce globe ; enfin sur les changemens que les corps vivans exercent sur la nature et l’état de cette surface (Paris : Chez l’auteur ; Agasse ; Maillard, an X [1802], 268 p., in-8°), est une étude en géologie en état d’équilibre, basée sur le rigoureux principe de l’uniformitarisme. Lamarck avançait que les courants sur terre avaient tendance à circuler d’est en ouest, que les continents s’érodaient sur leurs bordures orientales, et que les matériaux transportés se déposaient sur les bordures occidentales. Ainsi, les continents sur terre progressaient de façon continue vers l’ouest. Dans Recherches sur l’organisation des corps vivants, et particulièrement sur l’origine, sur la cause de ses développmens et des progrès de sa composition, et sur celle qui, tendant continuellement à la détruire dans chaque individu, amène nécessairement sa mort, Paris : Chez l’auteur ; Maillard, an X [1802], viii + 216 p.), il explique sa théorie de l’évolution. Il soulignait que toute vie est organisée en une chaîne verticale, où les formes de vie des plus simples aux plus complexes s’échelonnent sur une échelle de gradation, démontrant ainsi la voie suivie par les développements progressifs dans la nature. Philosophie Zoologique ou exposition des considérations relatives à l’histoire naturelle des animaux, Paris : Dentu ; Chez l’Auteur, 1809, 2 vol., [3] + xxv + [1] + 428 p. ; [3] + 475 p.), offre une autre présentation de sa théorie pré-darwinienne de l’évolution, aujourd’hui dénommée lamarckisme.]
53 [Barthélemy Faujas de Saint-Fond (né le 17 mai 1741, Montélimar, France ; mort le 18 juillet 1819, Montélimar, France), géologue et voyageur français, il est surtout connu pour ses Recherches sur les volcans éteints du Vivarais et du Velay ; avec un discours sur les volcans brûlans, des mémoires analytiques sur les schorls, la zéolite, le basalte, la pouzzolane, les laves & les différentes substances qui s’y trouvent engagées, & c., Grenoble : Joseph Cuchet impr. -libraire ; Paris : Nyon aîné libr., Née & Masquelier, 1778, [8] + xviii + [2] + 460 p., XX feuil. de pl., ill., in-folio.) Il proposait dans cet ouvrage ses idées sur les origines des volcans.]
54 Il paraît que M. de Lamarck avait une disposition singulière pour des idées plus que bizarres : il avait fait de longues notations sur le passage des nuages à Paris, et il en aurait tiré très sérieusement des conséquences pour l’avenir, si la solide tête de [Napoléon] Bonaparte ne lui avait fait abandonner ses projets en s’en moquant [Bonaparte était un dirigeant militaire et politique français, qui se hissa au premier plan durant la Révolution française et conduisit plusieurs campagnes victorieuses durant les années révolutionnaires, né le 15 août 1769, Ajaccio, Corse ; mort le 5 mai 1821, Saint Hélène]. Au surplus, il ne faut pas beaucoup s’étonner de toutes les billevesées de M. de Lamarck, car le panthéisme mène rarement à autre chose qu’à l’absurde. [M. de St.-Agy]
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