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Les organismes invisibles au dix-huitième siècle

p. 36-99


Texte intégral

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Animalcules microscopiques
Animalcules microscopiques de la salive observés par Antoni van Leeuwenhoek, représentés dans une lettre à la Royal Society publiée en janvier 1684 dans les Philosophical Transactions Cliché Bibliothèque de Genève.

L’HÉRITAGE D’UNE HISTORIOGRAPHIE

1L’histoire des recherches microscopiques de l’époque moderne a été partagée en deux grandes périodes, le xviie et le xviiie siècle. La première couvre l’ensemble du xviie siècle et se divise en deux parties, séparées par la fondation des grandes Académies européennes durant la décennie 1660. Initiée à partir de 1620 par des proches ou contemporains de Galilée tels que Federico Cesi (1585-1630), Fabio Colonna (1567-1640), Francesco Stelluti (1577-1652), Francesco Fontana (c. 1585-1656) et Johann Wiesel (1583-1662) à Augsbourg1, la recherche microscopique a fait l’objet de quelques travaux, les savants de la seconde moitié du xviie siècle — Marcello Malpighi (1628-1694), Antoni Van Leeuwenhoek (1632-1723), Jan Swammerdam (1637-1680), Robert Hooke (1635-1703) — ayant été beaucoup plus étudiés que leurs prédécesseurs2.

2Ce fort intérêt pour ces auteurs résulte en partie du fait que depuis 1830, les microscopistes, relayés par les historiens de la microscopie, avaient érigé les savants micrographes des années 1660-1690 en héros précurseurs de la science microscopique des années 1840. À cette époque se forment de nouvelles communautés savantes pour lesquelles les auteurs stabilisent le terme de microscopiste, arborant ainsi une étiquette inédite unifiant un savoir jusqu’alors fait de pratiques transversales et dorénavant basé sur un instrument standardisé : le microscope achromatique. Les historiographies nationales et positivistes en avaient fait des héros à l’égal de leurs ancêtres nationaux, et face à eux, les historiens combinent aujourd’hui la déconstruction de l’histoire d’une discipline avec une approche épistémologique critique de l’historiographie3. Selon les schémas hérités de cette historiographie, le xviiie siècle a toujours été considéré, notamment en milieu anglo-saxon comme un siècle d’amateurs où une poignée d’aristocrates s’amusait à observer des ailes de papillons. Pour les historiens des sciences, il était évident, face aux grandes découvertes de Hooke, Leeuwenhoek et Malpighi, qu’il y avait un « déclin de la microscopie » au xviiie siècle. Ces clichés, ignorant de très nombreuses sources, reconduisaient les valeurs et le réalisme portés par la vaste opération historiographique du positivisme engagée dès 1840. Or, il suffit d’ouvrir la boîte de Pandore des archives pour que le xviiie siècle révèle des milliers de manuscrits et d’imprimés où il est fait usage du microscope4.

3Face à l’image de déclin léguée par l’historiographie, la période allant du xviiie siècle jusque vers 1830 est riche en surprises, en recherches et en découvertes inattendues. Ce livre concerne l’histoire d’un de ces épisodes aussi inconnus que significatifs, la découverte de la division des animalcules par Horace-Bénédict de Saussure — rebaptisée bien plus tard fission binaire ou scissiparité5. Contrairement à certaines recherches microscopiques du xviie siècle, les travaux réalisés à partir du début du xviiie siècle sont de plus en plus orientés par une règle de partage social des connaissances. Découvrant le monde de l’invisible, certains savants du xviie siècle cherchaient à identifier l’infini des atomes, poussant leurs microscopes jusqu’à leurs plus forts grossissements, mais négligeant la demande de reproduction sociale du savoir. À cette époque, peu de savants possèdent des instruments permettant de reproduire les observations d’un Leeuwenhoek et, du coup, de nombreuses observations microscopiques effectuées à de forts agrandissements ne sont simplement pas reproductibles, coupant à sa racine le processus même de construction empirique et sociale du savoir. De plus, la méthode même de construction de ses instruments par Leeuwenhoek fige les entités observées en les attachant définitivement à un microscope : c’est pourquoi il en a construit près de 550, qui doivent être considérés comme des microscopes-objets6. Ces recherches attirent alors des critiques issues de la sphère publique qui poussent certains savants à modifier leur relation à l’instrument7. Ainsi pour Francesco Redi (1626-1697), Malpighi, Swammerdam et d’autres, le microscope devient un instrument soumis aux conditions de reproduction sociale du savoir. Une nouvelle règle implicite, pragmatique et sociale voit le jour dans leurs réseaux, qui consiste à ne jamais pousser l’agrandissement visuel jusqu’au point où d’autres ne pourraient reproduire l’observation, du fait qu’ils ne possèdent pas des instruments d’une qualité équivalente. Par conséquent, les grossissements employés n’atteignent plus une forte puissance et nombre de ces savants se cantonnent dans l’étude d’organismes visibles, en particulier les insectes. Des travaux réalisés dans le même esprit voient le jour chez les héritiers italiens de Redi, notamment le médecin Antonio Vallisneri (1661-1730) à Padoue ainsi qu’en France, en Prusse, en Pologne, en Angleterre et en Hollande durant la première moitié du xviiie siècle. Vers 1720 un nouveau mouvement s’est affirmé et les recherches microscopiques se poursuivent sur ces organismes de dimension petite, mais non invisibles à l’œil nu. Héritiers de cette tradition au début du xviiie siècle, Antoine Ferchault de Réaumur (1683-1757) et ses collègues de l’Académie des sciences de Paris appliquent cette règle à un programme de recherches portant sur des naturalia de taille adaptée : les cryptogames et les insectes.

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Cantharide agrandie avec certains détails. Gravure extraite des Opere fisico-mediche de Vallisneri (1733) Cliché Bibliothèque de Genève.

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Insectes agrandis Planche extraite des Beschreibung von allerley… de Johann Leonhard Frisch (1732) Cliché SUB Göttingen.

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Mouche et ses détails Représentation de la mouche porte-lanterne extraite des Mémoires… de Réaumur (1740) Cliché Bibliothèque de Genève.

LE RENOUVEAU DES RECHERCHES MICROSCOPIQUES DES ANNÉES 1740

De nouveaux instruments et un nouveau marché

4Dès les années 1740 un nouvel élan est imprimé aux études microscopiques. Deux facteurs en sont principalement responsables, l’accroissement du marché des instruments d’optique, en partie issus d’Angleterre, et un changement radical de l’objet microscopique, orienté par l’effet Trembley.

5Au tournant du xviie siècle, le mouvement d’innovation dans la construction des microscopes qui avait vu se confronter les fabricants de Rome, Londres, Paris, Lyon, Augsbourg et Leyde, s’est considérablement tari8. Certes, des constructeurs restent actifs, par exemple Jan van Musschenbroek (1687-1748) à Leyde, James Wilson (c. 1665-1730) et Edmund Culpeper (1666-1738) à Londres, Nicolas Bion (1652-1733) et Michael Butterfield (c. 1635-1724) à Paris, Giuseppe Campani (1635-1715) à Rome, mais la demande et la circulation internationale de microscopes a diminué. En revanche, de 1736 à 1747, pas moins de dix modèles nouveaux apparaissent, qui permettent d’augmenter l’offre des fabricants en Angleterre comme dans le reste de l’Europe. Le mouvement débute à Londres vers 1736, lorsque Robert Barker (mort en 1745) présente à la Société royale son microscope à réflexion, basé sur le télescope d’Isaac Newton (1643-1727) et dont l’optique combine deux miroirs et un oculaire. Deux ans plus tard en 1738, le professeur d’astronomie de Cambridge Robert Smith (1689-1768) en revendique la paternité, tandis que le constructeur Benjamin Martin (1704-1782) crée un microscope de poche (à tambour). Cette même année, l’anatomiste berlinois Johann Nathanael Lieberkühn (1711-1756) présente aux membres de la Royal Society et à quelques opticiens anglais son microscope solaire, une sorte de rétroprojecteur. La fin de la décennie 1730 voit le mouvement devenir international : en France l’abbé Jean-Antoine Nollet (1700-1770) crée un microscope qui s’inspire de celui de Hooke, tandis que des constructeurs tels qu’Alexis Magny (1712-1777) et Marc Mitouflet Thomin (1707– 1752) inventent un nouveau type d’appareil dont la base est une caissette, contenant le miroir réflecteur, sur laquelle est placé le microscope. Aussi construit par les fabricants allemands, il va servir de modèle pour des microscopes de prestige appartenant à l’aristocratie.

6Dans ce contexte de compétition et d’innovation sur les instruments d’optique, la rupture apparaît autour du fabricant anglais John Cuff (1708-1772) de Londres. Il crée vers 1743 un microscope qui est à l’origine de la forme moderne, accroissant l’indépendance des fonctions mécaniques et optiques de l’appareil. L’instrument sera copié ou adapté par de nombreux fabricants. En parallèle, pendant que les auteurs explorent les organismes petits ou invisibles vivants en milieu aquatique, certains instruments spécifiques à cette pratique de recherche sont inventés. Le porte-loupe ou microscope simple de Trembley, fabriqué par Musschenbroek, est illustré en 1747. Il est conçu par Trembley durant l’été 1744. L’innovation n’est pas le bras orientable — qui date du début du siècle —, mais un dispositif formant un porte-objet aquatique et non pas aérien9. Pour un autre microscope, également imaginé par Trembley en 1745 et réalisé à sa demande par Cuff10, celui-là invente le mouvement dit « aquatique » permettant de mouvoir l’appareil dans toutes les dimensions. Enfin, pour la dissection anatomique fine, deux savants créent de nouveaux instruments. Lieberkühn illustre en 1746 dans les Mémoires de l’Académie des sciences de Berlin pour l’année 1745 une table de dissection au revers de laquelle est montée un système d’oculaires interchangeables. Il s’agit du premier appareil qui combine explicitement les fonctions de dissection et de vision microscopique. Ensuite, le microscope de dissection de Pierre Lyonet (1706-1789), dont les premiers dessins envoyés à Réaumur datent de 174611, est une combinaison du boîtier du microscope français avec une table anatomique et un bras articulé12.

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Microscope double de Cuff avec objectif et oculaire. Gravure tirée de la Micrographia Illustrata de Georges Adams (1787).

7D’autres microscopes sont inventés ou perfectionnés durant le reste du siècle. Par exemple, le microscope aquatique dit de John Ellis (1714-1776), illustré en 1755, est une copie simplifiée du microscope de Trembley-Cuff. Très pratique pour observer les animalcules des milieux aquatiques, cet instrument va détrôner le microscope de Wilson. Au cours du siècle, on peut compter par dizaines les modèles de microscopes, nouveaux ou adaptés de formes existantes, à la fortune souvent locale, par des savants ou constructeurs tels que George Adams (1709-1772), John Dollond (1701-1761), Giovanni Maria della Torre (1712-1782), Giovanbattista da San Martino (1739-1800), Franz Ulrich Aepinus (1724-1802), Leonhard Euler (1707-1783), Louis-François Dellebarre (1726-1805), Magny, Nicolaus Fuss (1755-1806), Wilhelm Friedrich Gleichen (1717-1783), William Cary (1759-1825), etc. Après une percée durant les années 1740, la recherche d’innovation technique se soutient le long du siècle. Une des grandes différences entre le continent et l’Angleterre est que les constructeurs anglais et hollandais — dont quelques-uns sont aussi des concepteurs — insèrent systématiquement leurs inventions, leurs reprises ou perfectionnements d’instruments dans une économie de marché. Sur le continent en revanche, il y a fréquemment dissociation entre les concepteurs et les producteurs, c’est-à-dire qu’une partie des savants qui conçoivent de nouveaux instruments (Lieberkühn, Trembley, Lyonet, Gleichen, della Torre, Aepinus, Fuss, San Martino) alimente les constructeurs sans s’inquiéter de tirer bénéfice de leur intégration dans un cycle de production. Enfin, jusqu’en 1760 les fabricants anglais et hollandais sont presque les seuls à employer des méthodes de publicité internationale, diffusant des trade cards, des notices bilingues et des catalogues, ainsi que des traités sur le microscope qui restent attentifs à ne rien dévoiler des procédés de fabrication. Pour leurs besoins publicitaires, les Anglais bénéficient également d’une presse libre qui vise un public allant des classes moyennes à l’élite, avec un fort tirage13. En revanche, sur le continent, les fabricants font peu de publicité et celle-ci franchit rarement le seuil du contexte local ou régional sauf pour les constructeurs français ayant obtenu un privilège du Roi. Protégés par le privilège, ils publient des traités d’optique mécanique ou des traités de physique dans lesquels certains secrets de fabrication sont expliqués, par exemple ceux de Bion, Louis Joblot (1645-1723), Thomin ou l’Abbé Nollet. Chez les constructeurs italiens, quelques fabricants professionnels, comme Lorenzo Selva (1716-1800) ou Biagio Burlini (1709-1771) publient également des listes d’instruments, ainsi que quelques traités, mais là également les cartes et feuilles volantes sont peu fréquentes. En Italie, une fraction importante des constructeurs sont des religieux au service d’une université, d’un collège ou d’un noble, ce qui concurrence la prise en main du marché par les professionnels laïcs. Quant aux constructeurs français, l’Édit d’Anne Robert Jacques Turgot (1727-1781) visant l’abolition des jurandes, bien que rapidement retiré, leur permet d’envisager dès 1776, des méthodes de publicité à une échelle plus large que la diffusion locale ou le simple bouche-à-oreille. Dans les Etats allemands, bien que les constructeurs aient toujours eu recours à la publicité — les premières listes de prix incluant des microscopes proviennent d’Augsbourg en 1630 — à partir de 1770 se met en place un système concurrentiel où les catalogues d’instruments, notices et listes de prix sont diffusés par la presse. Dès cette époque, la construction d’instruments et notamment de microscopes change radicalement de visage dans les Etats de l’Empire, répondant à une demande croissante de la part des naturalistes. On assiste donc entre 1740 et 1770 à une reprise du marché international et à un accroissement progressif de la circulation des instruments.

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Porte-loupe de Trembley Gravure extraite de « On Several Species… » de Trembley (1747) Cliché Bibliothèque de Genève.

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Microscope aquatique
Conçu par Abraham Trembley, il est ici représenté dans le catalogue d’instruments du fabricant anglais Georges Adams (1771). Gravure tirée de Adams (George), Micrographia Illustrata, or the Microscope Explained in Several New Inventions, 4e éd., London : the author, 1771, pl. 10 Cliché MHS, Genève.

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Microscope de Trembley
Microscope aquatique de Trembley construit à Londres par John Cuff vers 1745, exemplaire princeps, non numéroté, ayant appartenu à Abraham Trembley. Musée d’histoire des sciences (Genève) Cliché MHS, Genève.

8Si de nombreux cabinets d’Europe possèdent des instruments anglais, cependant le marché des instruments d’optique a toujours fonctionné à deux vitesses. Sur le marché local, présent mais difficile à identifier pour l’historien sans une pleine immersion dans les archives, se greffe un marché international composé surtout des grands noms des constructeurs anglais, parfois hollandais, français, allemands ou italiens jusqu’en 1760, époque où les constructeurs allemands entrent dans la compétition internationale avec par exemple, Georg Friedrich Brander (1713-1783)14. Pour échapper à la police des corporations, certains constructeurs français utilisent des noms de fabricants anglais, tels Dollond ou Cuff, dont le capital de réputation permet également de mieux écouler les pièces. Face aux instruments anglais chers et prestigieux, le marché local se caractérise par une production bien moins onéreuse répondant aux besoins de la recherche microscopique, les fabricants adaptant les appareils aux demandes des savants. Car les instruments anglais présentent plusieurs défauts, discutés à l’époque. La manipulation délicate, en raison de la morphologie et d’une grande quantité d’accessoires compliquant l’emploi de la machine, fait l’objet de critiques qui s’inscrivent dans une logique de concurrence internationale15. En outre, les délais sont longs, sans parler de commandes non honorées, notamment par Cuff16. Le délai d’attente pour un télescope achromatique de Dollond, vers 1760, pouvait être de cinq ans, de même que pour les instruments de Jesse Ramsden (1735-1800)17. Pour ce qui est de la qualité optique des microscopes, il reste difficile d’évaluer s’il y a de fortes différences entre les lentilles produites par les Anglais et les continentaux, les jugements portés par les savants qui les comparent ne leurs étant pas toujours favorables18. C’est une pratique régulière que de changer les lentilles des microscopes, et s’en procurer de nouvelles pour améliorer la qualité de l’image : les lentilles ne sont donc pas forcément utilisées sur leur microscope d’origine.

9Jusque vers 1740, pour observer, les savants se contentent d’instruments simples mais efficaces. De 1740 aux années 1770, l’innovation se poursuit, les marchés locaux se tiennent, conservant un équilibre entre une demande que remplit une production locale et une demande prestigieuse à laquelle subvient l’offre internationale, avec en tête les Anglais, et derrière eux les Hollandais et les Français. De nombreux réseaux savants remplissent une demande interne au pays, et c’est pourquoi il n’est pas si difficile de recevoir des instruments d’optique de qualité suffisante dans les provinces françaises. Par exemple, au milieu des années 1730, Réaumur fait parvenir à plusieurs de ses correspondants des microscopes ou des loupes19. En 1741, Charles Bonnet20 reçoit également, par le biais de son ancien professeur de physique Jean Jallabert (1712-1768), un microscope provenant des ateliers Nollet à Paris. En témoignage de sa reconnaissance, le président de la Royal Society Martin Folkes (1690-1754) offre à Trembley un microscope de poche de Cuff en 1743. Entre 1749 et 1753, Trembley envoie à Réaumur depuis l’Angleterre différents jeux de lentilles identiques à celles dont il se sert pour ses observations21. Dès 1764, Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) fait construire à Genève des microscopes pour botaniser22. À ses débuts, Spallanzani emprunte des microscopes fabriqués par des religieux, etc. Les correspondances gardent des traces de cette circulation des instruments nécessaires à l’observation de l’invisible, tels que microscopes, micromètres, loupes, lentilles, ainsi que de nombreux petits instruments utiles pour la dissection, attestant de la continuité de ces échanges.

L’effet Trembley et la circulation du protocole expérimental antispontanéiste

10Le marché des microscopes n’aurait probablement pas pu s’amplifier au milieu du siècle si un objet scientifique inédit, le polype, ne s’était offert à l’observation des savants et amateurs, porteur d’un nouvel intérêt. Mais si la régénération du polype fut bien proposée au monde savant par Abraham Trembley23, à elle seule elle ne suffit pas à expliquer l’engouement pour la recherche microscopique durant les années 1740 — du fait notamment que de nombreuses recherches examinent d’autres objets. Il faut pour cela faire appel à l’effet Trembley, qui désigne une transformation essentielle de l’objet microscopique opérée dès 1740 sous l’impulsion de ses recherches. Les savants qui, jusqu’à cette époque, observaient surtout des organismes petits mais encore visibles, avaient décrit les caractéristiques naturelles — anatomie, physiologie, morphologie, « mœurs » — de très nombreux ordres d’insectes et vers. Leurs œuvres, c’est-à-dire celles de Vallisneri, Johann Philipp Breyn (1680-1764), Réaumur, Johann Leonhard Frisch (1666-1743), représentent un courant de recherches naturalistes coordonné en de nombreux réseaux, très actif jusqu’à la fin des années 173024. Visibles même sans le microscope, les organismes observés ont en commun de provenir pratiquement tous de milieux terrestres ou aériens. Ce sont essentiellement des insectes, des vers, des graines, objets microscopiques, c’est-à-dire observés à travers le microscope, mais non invisible. L’adjectif « microscopique » désigne bien ici toute chose vue à travers le microscope, et non, ainsi que s’en établit l’usage durant la seconde partie du xviiie siècle pour se généraliser au xixe siècle, des corps invisibles qui ne peuvent être vus à l’œil nu. La synonymie entre « microscopique » et « invisible » est une invention moderne, amorcée au milieu du xviie siècle, renforcées dès les années 1740, stabilisée vers 1780 et généralisée au cours du xixe siècle. Il suffit d’ouvrir les Esperienze, ed osservazioni intorno all’origine sviluppi e costumi di varj insetti (1713) de Vallisneri, la Beschreibung von allerley Insecten in Teutsch-Land (1720-1738) de Frisch, les Mémoires pour servir à l’histoire des insectes (1734-1742) de Réaumur, The Microscopical Theater of Seeds (1745) de James Parsons (1705-1770) ou les Insecten-Belüstigung (1746-1755) du peintre naturaliste August Johann Rösel von Rosenhof (1705-1759), pour comprendre que loupes et microscopes ne sont utilisés pratiquement que pour grossir de petits organismes — et leurs détails — qui restent cependant visibles à l’œil nu (cf. illustrations pp. 40, 54-55). Les savants emploient pour cela une technique de représentation micrographique soit illustrant la taille naturelle à côté de la taille agrandie, soit « en cascade », c’est-à-dire ajoutant un détail à l’image déjà agrandie ou pas25 (cf. illustrations pp. 39-41). S’installe ainsi dans l’iconographie microscopique un processus de référence visuelle permettant de garantir que les choses observées sont réelles, contrairement aux êtres microscopiques invisibles comme les cellules du sang, les animalcules spermatiques ou les animalcules des infusions, tous sujets à controverse.

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Hydre d’eau douce
Gravure extraite de Trembley (Abraham), Mémoires, pour servir à l’histoire d’un genre de polypes d’eau douce, à bras en forme de corne, Leide : Verbeek, 1744, pl. 5. Dessin de Pierre Lyonet ; gravure de Jacob Van der Schley, 1743 Cliché Bibliothèque de Genève.

11C’est sur ces deux points — changement de milieu, passage du visible à l’invisible par l’abandon progressif de la référence visuelle macroscopique — que l’effet Trembley exercera son influence. Ses travaux sur la régénération du polype d’eau douce ont un immense impact sur la recherche naturaliste, aboutissant à dévier le regard porté sur les petits organismes des milieux terrestre et aérien pour le canaliser vers les milieux aquatiques26. Ce détournement ne signifie pas pour autant l’arrêt du programme de recherche sur les insectes, mais sa transformation par un nouveau paradigme visuel et sa ramification. Car, alors que les recherches entomologiques de la première moitié du xviiie siècle, qui se détachent de la théologie naturelle, se caractérisent par un type d’enquête complète, visant à comprendre aussi bien la physiologie des insectes, leur « industrie » que les fondements naturels de leur classification, les travaux de la seconde moitié du xviiie siècle s’orientent vers la spécialisation, tant sous l’influence de Carl Linné (1707-1778) et de Johann Christian Fabricius (1745-1808), pour la systématique, que sous celle de Réaumur et Bonnet pour l’expérimentalisme et l’étude des mœurs animales.

12L’effet Trembley se scinde en deux temps, dont le premier modifie l’investigation des organismes « secs » pour pointer le regard vers les organismes « humides ». On observe alors, en plus des insectes, les corps aquatiques. Se crée par là même un nouvel objet pour la recherche microscopique qui ne porte pas seulement sur l’organisme pris comme cible. Ce qui est transformé, et l’opération est fondamentale, c’est le type d’environnement naturel des corps observables. En termes de contraintes, l’observation anatomique d’un insecte présente beaucoup moins de difficultés que celle d’un organisme aquatique, du fait que, pour l’insecte, le milieu est donné immédiatement. L’air ambiant n’a pas à être reconstruit, il est déjà là. Dans le cas de l’organisme aquatique, le milieu doit être reconstitué par l’expérimentateur. Par la suite, une fois le milieu transformé, passant de l’air ou de la terre à l’eau, s’opère en un second temps une diminution de la taille des organismes étudiés, qui aboutit parfois à frôler l’invisible. Ainsi, l’observation des insectes aquatiques petits mais visibles — l’hydre peut faire 1 cm de long — oriente le chercheur vers l’étude des animalcules des infusions, vivants dans l’eau, organismes microscopiques au sens moderne, c’est-à-dire véritablement non visibles sans instruments grossissants. D’ailleurs, une fois publié ses Mémoires sur le polype, Trembley est parmi les premières victimes de l’effet Trembley, lorsqu’il se met à étudier dès l’été 1744 ce qu’il nomme, d’après Réaumur, les « polypes à bouquet », de minuscules animalcules en forme de cloche sur pied, mesurant environ un dixième de millimètre, pour lesquels il invente son porte-loupe27, et qui joueront un rôle déterminant dans la présente histoire.

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Graines agrandies au microscope par James Parsons dans The Microscopical Theatre… (1745) Cliché Bibliothèque de Genève.

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Développement du papillon Gravure extraite des Insecten-Belüstigung… de Rösel (1746) Cliché Bibliothèque de Genève.

13C’est pourquoi l’effet Trembley dépasse la seule recherche sur l’hydre d’eau douce, en dirigeant le regard des savants vers un continent nouveau, le milieu aquatique, alors que l’hydre pose en priorité le problème physiologique de la régénération. De fait, à part quelques travaux de Leeuwenhoek, la large majorité des recherches au microscope publiées de 1700 jusqu’en 1740 porte sur des organismes non aquatiques. Par contraste, dès le début des années 1740, et comme une traînée de poudre, l’intérêt pour les organismes aquatiques passe au premier plan de la recherche microscopique. Trembley écrit à Réaumur, lui envoie des polypes et en mars 1741, Réaumur démontre la « reproduction » du polype, terme désignant sa régénération, devant l’Académie. La zoologie marine, qui s’était fort peu développée malgré les travaux de Luigi Ferdinando Marsili (1658-1730) sur les « fleurs du corail », publiés en 1725, va y gagner une nouvelle méthode. L’été 1741, suite aux démonstrations du polype, Bernard de Jussieu (1699-1777) découvre par des observations microscopiques faites sur le littoral français que les prétendues fleurs du corail ne sont autres que des polypes marins. Et, percevant le changement des lignes de force dans le champ de l’expérimentalisme naturaliste, Réaumur, lequel avait rassemblé toute la documentation nécessaire pour un septième volume de ses Mémoires pour servir à l’histoire des insectes qui devait contenir l’histoire des fourmis — insectes terrestres ou aériens —, ne le publiera jamais. En revanche, il multiplie les observations sur les animaux des milieux aquatiques dès 1742 et s’intéresse en parallèle aux animaux microscopiques.

14Durant les années 1740, à Londres, la Royal Society est également touchée par l’effet Trembley. Le goût pour les recherches microscopiques, rallumé au début de la décennie par Henry Baker (1698-1774), est alimenté par le polype : en 1743, le président de la Société Martin Folkes reçoit également des polypes envoyés par Trembley. En Angleterre, le nombre de publications où les savants emploient le microscope est multiplié par trois dans la décennie de 1740 par rapport à la décennie précédente. Un tel contexte stimule fortement une compétition dont l’objet va être surtout l’étude des organismes microscopiques aquatiques. Entre observations sur des petits organismes et promotion d’un nouveau type de microscope organisée de concert avec Cuff, Baker en arrive vite à se présenter, aux yeux de la Royal Society, comme une sorte d’héritier de Leeuwenhoek. Il rédige dès 1742 un best-seller, The Microscope Made Easy, habile compilation didactique permettant au quidam de s’initier aux plaisirs du regard cadré. Début 1743, ayant reçu des polypes envoyés par Trembley à Folkes, Baker reproduit toutes les expériences détaillées par Trembley et publie avant lui une monographie sur le polype qui paraît en 1743, An Essay towards a Natural History of the Polype. La traduction française voit le jour en 1744, la même année que l’ouvrage de Trembley, les Mémoires, pour servir à l’histoire d’un genre de polypes d’eau douce à bras en forme de corne. Trembley avait donné beaucoup d’attention à cette publication et reporté de près d’une année sa parution, notamment pour choisir un dessinateur-graveur de La Haye, Pierre Lyonet, capable de restituer ses observations et procédures de la manière la plus réaliste possible, surtout par comparaison avec l’insouciance iconographique de Baker.

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Ruches vitrées
Modèles de ruche vitrée permettant d’observer les abeilles pour en comprendre les « mœurs » et « l’industrie ». Planche extraite de Réaumur (Antoine Ferchault de), Mémoires pour servir à l’histoire des insectes, Paris : Imprimerie Royale, vol. V, 1740, pl. 24 Cliché Bibliothèque de Genève.

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Prédation chez le fourmilion Gravure extraite des Insecten-Belüstigung… de Rösel (1746) Cliché Bibliothèque de Genève.

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« Fleurs » du corail Gravure extraite de l’Histoire… de Luigi Ferdinando Marsili (1725) Cliché Bibliothèque de Genève.

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Vase avec polypes
Croquis d’un vase contenant des polypes. Gravure extraite de Baker (Henry), An Attempt Towards a Natural History of the Polype, London : Dodsley, 1743, p. 55 Cliché Bibliothèque de Genève.

15Dans The Microscope Made Easy, Baker avait donné des règles pour l’observation microscopique, par exemple, commencer par avoir une vision d’ensemble du corps à observer, pour ensuite passer à l’examen de ses différentes parties28. Il s’était aussi étendu sur les précautions à suivre, insistant sur la répétition des expériences. Sur le chapitre de la génération, il suit la théorie des germes disséminés dont Réaumur est l’emblème à cette époque, c’est-à-dire que des germes invisibles circulent dans l’air et se développent en un organisme spécifique lorsque les conditions favorables se présentent29. Mais il s’agissait de se donner les moyens de le prouver. Lyonet, le graveur de Trembley, est aussi naturaliste : dans ses notes à la Théologie des insectes du pasteur allemand Friedrich Christian Lesser (1692-1754) parue en 1742, il esquisse la description d’un procédé antispontanéiste efficace pour contester une expérience sur la génération des animalcules faite par Leeuwenhoek. Ce dernier avait rempli deux tubes d’eau de pluie poivrée, laissant le premier partiellement ouvert et le second scellé. Leur examen respectif après trois et cinq jours montrait partout des animalcules30. L’expérience, publiée par la Royal Society en 1680 semblait favorable à la théorie spontanéiste31. Reprenant la question en 1742, Lyonet écrit :

Pour renverser par son expérience ce qui avoit été prouvé par celle de Redi, Leeuwenhoek auroit au moins dû faire bouillir l’eau & le poivre dans le tube même, & le fermer tout aussi-tôt. S’il avoit alors trouvé quelques jours après des Animaux dans cette eau poivrée, il y auroit eu certainement de quoi déconcerter les Naturalistes modernes ; mais c’est ce que je me persuade qui ne seroit jamais arrivé32.

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Polypes dans l’eau
Illustration réaliste de polypes dans un verre. Détail extrait d’une planche de Trembley (Abraham), Mémoires, pour servir à l’histoire d’un genre de polypes d’eau douce, à bras en forme de corne, Leide : Verbeek, 1744, pl. 3 Cliché Bibliothèque de Genève.

16La citation est limpide : Lyonet n’a pas expérimenté par lui-même. Et son procédé, sorte d’expérience de pensée imaginant de faire bouillir de la matière végétale mise dans de l’eau (une « infusion »), n’était en réalité qu’un fragment d’un protocole expérimental plus étendu permettant de contester la prétendue apparition spontanée d’organismes microscopiques et inventé trente ans auparavant. Le mathématicien français Louis Joblot était en effet parvenu en octobre 1711 à réfuter empiriquement le spontanéisme en faisant bouillir de l’eau avec du foin, répartie dans deux vases, le premier laissé ouvert et le second scellé : au bout de quelques jours, seul le premier contenait des animalcules33. Le protocole est présenté dans son ouvrage Descriptions et usages de plusieurs nouveaux microscopes publié en 1718. Les naturalistes utilisateurs du microscope, Réaumur, Lyonet, Baker, Needham en prennent connaissance, de même que les fabricants anglais, du fait que Joblot y diffuse des plans de microscopes. Ainsi, le protocole expérimental est traduit en 1746 par un fabricant d’instruments de Londres, Georges Adams, qui l’emploie comme exemple publicitaire des recherches microscopiques34. Sa Micrographia illustrata reprend une bonne partie du texte de Joblot, ainsi que des Mémoires de Trembley, publication qui lui vaut d’ailleurs un procès pour plagiat, piloté par Baker, désireux de maintenir ses prérogatives dans son alliance de marché avec Cuff35. Au milieu des années 1740, parmi divers avatars de l’effet Trembley, le protocole antispontanéiste commence donc à circuler dans les réseaux des savants enthousiastes du microscope. Le polype avait fourni un nouveau modèle de recherche et de réputation scientifique, traçant une voie que de nouveaux acteurs n’allaient pas tarder à parcourir. Parmi eux, un prêtre anglais, Needham36, va jouer un rôle essentiel pour comprendre l’évolution des lignes de force de l’histoire naturelle expérimentale en Europe.

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Calmar
Le calmar, sur lequel Needham effectue diverses expériences. Planche extraite de Needham (John Turberville), Nouvelles découvertes faites avec le microscope [trad. par Allamand Jean Nicolas Sébastien], Leide : Luzac, 1747, pl. II Cliché Bibliothèque de Genève.

LA RECHERCHE MICROSCOPIQUE DE 1745 À 1765

Les travaux de John Turberville Needham

17Clairement pris dans l’effet Trembley, c’est dans le contexte de la Royal Society que Needham publie en 1743 ses premières observations microscopiques. Il entreprend des recherches sur les mécanismes de la génération en Angleterre et sur les côtes du Portugal puis, dès 1747, à Paris avec Buffon37. Il décrit, dans An Account of some new Microscopical Discoveries publié à Londres en 1745, le calmar et ses organes reproductifs, la pollinisation, les anguilles de la colle de farine et du blé niellé et la reproduction de la sole, en utilisant diverses procédures expérimentales qui en font rapidement un observateur reconnu. Le texte est traduit en 1747 par un ami de Trembley, Jean-Nicolas-Sébastien Allamand (1713-1787) sous le titre de Nouvelles découvertes faites avec le microscope. Lors de ses expériences, comme Joblot, il plonge les corps microscopiques dans différents milieux liquides — eau, esprit-de-vin, huile, jus de citron, vinaigre38 — pour en examiner les effets.

18Certaines observations sortent de l’ordinaire : ainsi, lorsqu’il décrit l’apparition d’anguillettes dans du blé sec avarié juste humecté, il se trouve « surpris de les voir en un instant prendre vie, & se mouvoir régulièrement »39. À cette époque, sa pensée est organisée autour de plusieurs thèmes. D’abord, de même que Buffon, il refuse de fonder les mécanismes de reproduction sur l’animalité : ces corps invisibles observés dans le sperme par Leeuwenhoek, les animalcules spermatiques, ne sont pas animaux. Il faut y voir des machines « plutôt que d’en conclure qu’un Animal est le principe de la génération »40. L’hypothèse est illustrée d’observations où, en termes mécaniques, il décrit l’appareil de propulsion de la semence des organes reproductifs du calmar, à coups de vis, tubes, pistons, barillets, réservoirs, machines et ressorts41. Pourtant, l’interprétation mécaniste laisse filtrer une autre problématique où paraît en filigrane la notion de force — « la vis ne peut faire autre chose que resister à une force cachée »42 —, doublée d’un questionnement transmutationniste qui se déploiera dans les écrits postérieurs : « comment ces Anguilles, dis-je subsistent-elles ; d’où viennent-elles ; si elles subissent quelque changement, en quoi se convertissent-elles [?] »43.

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Anguilles du blé niellé Gravure extraite des Nouvelles découvertes… de Needham (1747) Cliché Bibliothèque de Genève.

19Comme l’ont montré les historiens, avec la parution en 1750 des Nouvelles observations microscopiques, Needham va radicaliser sa position en considérant que les corps microscopiques proviennent de la décomposition de la matière dirigée par une force végétative44. Selon lui, une substance végétale peut se transformer en espèce animale, grâce à la force en question et l’expérience fondamentale qui en atteste provient du protocole antispontanéiste. En 1748, après avoir fait bouillir des fioles scellées remplies de jus de mouton, lorsqu’il les ouvre, il constate que l’infusion est remplie de corps microscopiques en mouvement45. Or si les germes ont été tués par l’eau bouillante, comment expliquer l’apparition de ces corps autrement que par une puissance inhérente à la matière, produisant les formes élémentaires du vivant ? Les prétendus germes des espèces microscopiques deviennent par conséquent purement « imaginaires »46. Ces travaux réalisés à la fin des années 1740 l’amènent, lors d’observations conjointes avec Buffon, à contester la théorie de la préexistence en écrivant « que l’organisation dépend de certaines forces naturelles génératrices, & qu’elle n’est pas préexistante »47. Parmi les preuves de cette « force végetative »48 figurent des images issues de ses expériences où il a vu des filaments végétaux se convertir en corpuscules ou en anguilles, démontrant que les corpuscules passent bien d’un règne à l’autre. Dans le domaine microscopique, les espèces se transmutent donc les unes dans les autres et, en particulier, les animalcules se transforment en filaments végétaux qui redeviennent animaux par la suite.

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Organes reproductifs duCalmar
Illustrations de l’appareil de propulsion de la semence des organes reproductifs du calmar. Planche extraite de Needham (John Turberville), Nouvelles découvertes faites avec le microscope [trad. par Allamand Jean Nicolas Sébastien], Leide : Luzac, 1747, pl. IV. Cliché Bibliothèque de Genève.

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Séance d’observation microscopique Vignette extraite de l’Histoire naturelle… de Buffon (1749) Cliché Bibliothèque de Genève.

20Needham va également caractériser cette classe d’êtres microscopiques par un trait générique, la reproduction par division naturelle dont il a trouvé le modèle dans les travaux de Trembley49. En 1750, il donne une sorte de classification des animaux combinée à une hiérarchie des êtres50.

21Bien qu’il s’agisse là d’une classification animale, les organismes du « second ordre descendant » ne sont pas seulement, ou pas complètement animaux. D’ailleurs, plus on descend le long de cette échelle des êtres — concept qui structure la théorie — plus on s’éloigne de l’animalité, parvenant ainsi à la végétalité primordiale et universelle. Cette dernière devient un mot d’ordre, Needham annonçant « une nouvelle classe d’Etres, dont l’origine a été inconnue jusqu’ici, dans laquelle les animaux croissent, sont produits, & dans la plus étroite signification du mot, engendrés par des plantes »51. Le problème n’est donc pas le seul statut classificatoire des corps, comme pour la systématique : ils peuvent bien être classés comme animaux, ce qui compte c’est leur origine, Needham attribuant au développement une vertu de transformation faisant passer du végétal à l’animal : « Tous ces Etres, aussi bien que ceux qu’on appelle parfaits, ne sont que des végétaux avant d’être animés »52.

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Classification des animaux selon Needham Classification reconstruite d’après les Nouvelles observations… de Needham (1750).

22Toutefois, il ne se simplifie pas la tâche du fait qu’il emploie plusieurs clefs de classification — la sensibilité, les modes de reproduction, la taille — et regroupe entre eux des animaux aux processus reproductifs hétérogènes. De plus, la transmutation et l’opposition machine vs organisme sont antinomiques soit avec la stabilité des groupes, soit avec leur hiérarchie. Une note ajoutée en 1750 au texte anglais de 1747 éclaircit l’extension universelle prise par la végétation ou végétalité : « Le principe de vie commence, croît & finit dans la végétation ; tout corps organisé, même le plus composé est formé de cette maniére & par les mêmes principes »53. D’ailleurs, « Tout corps organisé, quel qu’il soit, même le plus parfait, non-seulement dans ses principes […] mais aussi dans sa premiere formation, & dans son accroissement doit être regardé comme un pur végétal »54. Des images ajoutent aux preuves de la végétalité : ainsi de cette « grande plante microscopique »55 qui se prolonge en animalcules ou de cet ensemble de filaments en forme d’étoile, dont les extrémités « fournissoient continuellement des particules mouvantes de différentes formes […] qui étoient les vrais animaux microscopiques si souvent observés par les Naturalistes »56. Bien qu’appuyés de quelques autres illustrations, les exemples sont sommaires ; en revanche, l’extension est maximale, aucun corps vivant n’échappant à la végétation et, partant, le lecteur du xviiie siècle comprend : la vache est un végétal. Pour éviter ce malentendu fatal, Needham s’explique sur le terme de végétation, pris « dans un sens beaucoup plus étendu, que peut-être la plûpart de mes Lecteurs ne l’entendront »57. De plus, bien que tout le vivant soit issu de la végétation, des frontières s’établissent quand même entre les êtres inférieurs et supérieurs :

La simple vitalité […] telle qu’on l’observe dans les végetaux, ou dans les animaux du dernier ordre, dont la combinaison vitale est divisible sans destruction, peut être le résultat de la seule structure […] & une propriété physique de la matiere active. Mais la sensation & la pensée […] ne peuvent dépendre que d’un agent simple, indivisible, & d’une nature bien supérieure à la simple activité motrice. […] Organisés, tant qu’il vous plaira, une substance simplement étendue & divisible, il pourra y avoir beaucoup d’art dans la disposition, mais la structure, quelque parfaite qu’elle soit, ne lui donnera pas la vie.58

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Plante donnant des animalcules
Gravure extraite des Nouvelles observations… de Needham (1750) Cliché Bibliothèque de Genève.

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Étoile vitalisée
Cet ensemble microscopique de filaments en forme d’étoile végétale génère des particules vitalisées, d’après Needham. Détail extrait d’une planche de Needham (John Turberville), Nouvelles observations microscopiques, avec des découvertes intéressantes sur la composition et la décomposition des corps organisés, Paris : Ganeau, 1750, pl. 7 Cliché Bibliothèque de Genève.

23Pour Needham, la matière ne peut être divisible à l’infini, il y a un terme final à sa division car autrement, on ne pourrait remonter l’échelle après l’avoir descendue59. Malgré, ou peut-être à cause de leur côté indéniablement spéculatif, portés par l’effet Trembley, ces travaux, de concert avec ceux de Buffon, vont fortement contribuer à structurer l’espace de la recherche microscopique jusqu’aux années 1770, donnant lieu indirectement aux expériences d’Horace-Bénédict de Saussure en 1765. Ceci, en posant plusieurs types de problèmes intriqués, mais que les expérimentalistes vont dissocier pour y trouver réponse : 1. à quelle classe appartiennent les corps microscopiques ? 2. comment s’effectue leur production ? et 3. comment comprendre les relations entre lois et phénomènes, organismes et groupes naturels ? De nombreuses autres classes de problèmes participent également de cette histoire, plus directement liées à la communication et à la dynamique de relation entre les savants.

Les détournements de la communication scientifique

24L’interprétation classique des historiens des idées, par Aram Vartanian, Jacques Roger, Jacques Marx, Shirley Roe, Mazzolini et Roe, Virginia Dawson et Marta Stefani de l’impact des travaux de Trembley, de Needham et de Buffon, peut se résumer de la sorte : les phénomènes relatifs au polype et le rapprochement entre les idées de Needham, de Buffon, de Pierre-Louis Moreau de Maupertuis (1698-1759) et des philosophes matérialistes avaient favorisé l’émergence d’un « matérialisme biologique » contre lequel les savants chrétiens, au premier chef Réaumur, Joseph-Adrien Lelarge de Lignac (1710-1762), Haller, Trembley, Bonnet puis Spallanzani, allaient s’unir60. En conséquence, personne n’allait reprendre la question du spontanéisme entre 1749 et 1765, notamment parce que l’alliance des savants chrétiens aurait censuré ces recherches sensibles du fait qu’elles alimentaient les thèses matérialistes.

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Cabinet de Trembley Vignette extraite des Mémoires, pour servir… d’Abraham Trembley (1744) Cliché Bibliothèque de Genève.

25Interprétant l’émergence du matérialisme en France dans les années 1740 par un schéma opposant les savants sur la base de leurs idées religieuses et philosophiques, cette argumentation repose toutefois sur l’hypothèse d’une absence de démarcation entre activité scientifique et pensée philosophique, en particulier matérialiste61, ce qui n’est pas le cas. Vartanian ne s’était intéressé qu’aux retombées matérialistes du polype et John Baker au « polype scientifique ». Virginia Dawson a montré que le polype avait créé des vagues dans chaque camp62, mais en réalité, il aboutit à renforcer les frontières entre lieux de science et lieux publics comme entre physique et métaphysique63. De fait, l’Académie des sciences s’était donnée des règles pour censurer les débats métaphysiques, consolidant la frontière entre discours de science et de non-science en contexte institutionnel et généralisant ainsi une posture qualifiée par Pascal Charbonnat d’« abstinence métaphysique »64. Certes, la question est aussi de savoir pour quelles audiences et de quelle métaphysique l’on parle. Pour interpréter l’effet des travaux de Needham et de Buffon sur la République des Lettres et comprendre leur impact sur les formes de la communication savante, il faut alors envisager un cadre plus complexe qui prenne en compte les recherches microscopiques des années 1750-1765.

26Si ces travaux s’inscrivent dans l’effet Trembley — par l’étude d’organismes microscopiques en milieu aquatique —, ils dépendent également d’une autre influence issue du même savant, à l’origine d’un nouveau modèle de réputation scientifique. Vue de loin, la renommée de Trembley repose sur un mélange entre exigences savante et métaphysique — la section de l’âme du polype, sur laquelle Trembley n’a pourtant jamais rien écrit, avait tenu en haleine toute l’Europe des salons —, ainsi que sur ses expériences ingénieuses et ses descriptions précises. Son ouvrage donne de plus la première représentation iconographique d’un savant travaillant au laboratoire, où il se met en scène dans sa fonction de précepteur des enfants du Comte de Bentinck (cf. illustration page précédente). Toutefois, vue de près, c’est-à-dire à travers les imprimés, les journaux d’expérience et les réseaux de correspondance, l’œuvre de Trembley se borne à la narration de procédures d’expériences et à la description de phénomènes physiologiques, où sont déterminés les organes, les fonctions, le fonctionnement et les comportements animaux. Ses pratiques de communication savante reposent sur une grande maîtrise des codes, délimités par le refus d’entrer sur les terrains éloignés de l’empirique — évitant notamment la métaphysique. Une telle option, dont Trembley prend le modèle chez Réaumur, était cohérente avec la position de l’Académie qui, depuis la réforme de Jean-Paul Bignon (1662-1743) en 1700, avait banni toute allusion à des sujets potentiellement polémiques, tels que métaphysique, religion et politique. Malgré la retraite de Bernard le Bovier de Fontenelle (1657-1757) de l’Académie en 1741, l’esprit en avait été conservé, et Trembley avait toujours suivi, en public comme en privé, cette philosophie minimaliste qu’il avait bue dans les textes de Réaumur.

IDEE D’UNE ECHELLE DES ETRE NATURELS

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Échelle des êtres
« Idée d’une échelle des êtres naturels ». Gravure extraite du Traité d’insectologie, ou Observations sur les pucerons de Charles Bonnet (1745) Cliché Bibliothèque de Genève.

27Dans son Traité d’insectologie de 1745 où il démontre la parthénogenèse du puceron, Bonnet procède de même. Cependant il s’y distingue tant par sa préface qui fait alterner l’exposé méthodologique avec l’admiration de l’observateur devant les merveilles de la nature, signe de son divin « Auteur »65, que par la publication d’une représentation réifiée de « l’échelle des êtres »66 souvent discutée par les philosophes, mais jamais illustrée auparavant. Il prolonge ainsi son travail expérimental sur un genre d’insecte par la recherche d’un ordre naturel du vivant, indirectement liée à la tradition de la théologie naturelle. Oscillant entre la présence englobante et la franche disjonction de la recherche, la philosophie s’oriente ici vers une confrontation avec l’exigence méthodologique, garante de la stabilité des phénomènes mis en évidence. Aussi le mélange des genres a-t-il lieu dans la double logique d’une récupération des phénomènes observés au profit des poncifs de la théologie naturelle — un finalisme que Bonnet caractérisera comme désuet par la suite — et de la recherche des lois de l’ordre naturel.

28De même que pour Bonnet, une caractéristique commune aux travaux de Needham et de Buffon de 1749 est d’associer les recherches empiriques avec des idées métaphysiques. Toutefois, la grande différence est, comme on le verra, que la construction théorique en vint dans leurs cas à prendre une place prédominante sur l’exigence méthodologique. Loin de trouver leur limite dans le seul débat d’idées — pour ou contre le matérialisme, la préformation et l’épigenèse67 — les travaux de Needham et de Buffon eurent pour conséquence d’introduire une configuration d’autorité au sein des pratiques de science et de communication scientifique reçues, cultivant un mélange des styles, scientifique et métaphysique.

29De plus, au sein de l’alliance entre Buffon et Needham les rôles étaient clairement inégaux. Ayant instrumenté Needham, cet amateur anglais peu au fait des codes académiques et sociaux français, Buffon visait Réaumur et son école en cherchant à prendre le contrôle de l’histoire naturelle, ainsi que le rappelle pudiquement Georges Canguilhem : « il est incontestable que Buffon a cherché à être le Newton du monde organique »68. Une excellente stratégie était d’attaquer, sans le montrer et par l’intermédiaire d’un tiers tel que Needham, les formes de communication employées dans le réseau des expérimentalistes et des collecteurs gravitant autour de Réaumur69, traité en privé de « dissequeur d’insectes »70. C’est pourquoi, au renouvellement du spontanéisme défendu par Buffon et Needham s’ajoutait une seconde menace bien plus importante : une attaque aux formes académiques de la communication portant sur l’ensemble des savants. C’est pourquoi, que Buffon ait cru71 aux molécules organiques importe assez peu, car la fonction, ainsi que l’effet de ce système fut avant tout de démarquer un champ nouveau à l’intérieur duquel il allait rapidement acquérir une large notoriété : l’histoire naturelle des animaux « nobles », à l’intention d’une audience d’amateurs aristocrates. Comme le dit son critique le plus rigoureux, Chrétien-Guillaume Lamoignon de Malesherbes (1721-1794) en 1749 :

il est certain que ceux pour qui M. de Buffon a écrit ne sont point les naturalistes ; je suis même persuadé que quand il a entrepris son ouvrage, il les connoissoit à peine de nom. Ceux dont il a cherché l’approbation sont, selon les apparences, les gens du monde, les gens d’esprit, les gens de goût72.

30Dans une étude des audiences et de la rhétorique de Buffon, Jeff Loveland a rappelé la nature surtout littéraire de son public, arguant qu’« il ne fait aucun doute que l’Histoire naturelle avait des “lecteurs frivoles”, “ces lecteurs peu faits pour méditer, qui, n’aimant que la variété, se rebutent dès que l’ouvrage exige une attention trop suivie” »73. Les lecteurs de Réaumur et de Trembley ne sont pas les lecteurs de Buffon, du moins en France, et d’ailleurs, Trembley crée une nouvelle audience savante spécialisée, enthousiaste de descriptions méticuleuses et de procédures expérimentales sur des êtres à peine visibles. De son côté, avec la puissance de sa plume, décuplée par ses entrées auprès du Roi, Buffon forgea génialement un lectorat aristocratique qui contraste avec l’audience, les réseaux et les textes arides de l’Académie des sciences. Certes, le travail de cabinet de Buffon — autre forme du confinement — produira force ouvrages et le personnage se transforme également74. Mais le mélange des genres empirique et métaphysique que son lectorat n’identifie pas est justement perçu par la communauté savante française comme un putsch contre la communication scientifique, sentiment dont certains acteurs se font les porte-parole et que les historiens ont identifié. C’est ce qu’écrit Jacques Roger : « l’agacement de Malesherbes devant le ton de Buffon, décisif et dogmatique, annonce l’exaspération des savants »75. Un de ses biographes relève que « Manifestement, ce qui l’agace [Malesherbes], c’est le “moi je” dont son œuvre est parsemée, sa manière de jouer de l’épaule pour se placer loin devant toute la communauté scientifique »76. Le ton méprisant, l’ignorance royale de certains prédécesseurs — Réaumur au premier chef —, la facilité à souffler la politesse77, l’appropriation des idées78 et objets79 d’autrui sans les citer, la validation de ses expériences par un je d’autorité, l’utilisation de stratégies rhétoriques contradictoires déjà décryptées par Étienne Bonnot de Condillac (1714-1780)80, l’art de faire passer des clichés éculés pour des vérités nouvelles81, tout cela suppose la maîtrise de l’écriture savante mais touche aussi à des questions d’ethos propres à la dynamique de relation. En revanche, les historiens ont relevé le caractère d’attaques personnelles menées par Buffon contre certains savants. Réaumur était abhorré, comme le souligne Elizabeth Fontenay : « La raillerie cruelle envers Réaumur mérite citation, car Buffon s’y montre presque stupide »82. Selon Loveland, « la pomposité et les provocations de Buffon alimentaient l’animosité » autour de lui83. Toutefois, la liste ci-dessus confirme qu’il ne s’agit pas seulement de critiques ad personam, mais bien aussi d’exactions contre certaines règles des codes relationnels savants. La différence est de nature, pas de degré, car, un seuil étant franchi, les choix de communication deviennent prioritaires sur la dynamique de confinement. Face au précédent paradigme relationnel à l’Académie des sciences, de 1700 à la décennie 1740 où les codes ne sont pas attaqués frontalement — la compétition de vitesse et la rivalité font partie des règles du jeu admises —, la dynamique de relation va être profondément modifiée au sein de ces réseaux savants, au point de se polariser. Se créent ainsi deux partis où les querelles sont nourries en priorité par « l’engagement symbolique des auteurs d’un côté ou de l’autre »84. Loin donc que durant les années 1740-1750, « la nouvelle pensée scientifique [soit] une philosophie »85, ses fondements ne se trouvent pas dans les seules oppositions théoriques ou religieuses, et son déchiffrage appelle donc de l’historien une lecture impliquant l’ordre de la communication. Face à l’autorité et à l’arrogance de Buffon, Réaumur, principalement visé, et une partie de ses collaborateurs français, réagirent en adoptant la clandestinité, régime de communication permettant de dénoncer indirectement l’autorité et les attaques dont codes et personnes faisaient l’objet. C’est pourquoi l’on assiste à des attaques détournées et à une plongée de ces auteurs dans l’anonymat, avec au centre un long pamphlet contre Buffon et Needham, les Lettres à un amériquain rédigées par un proche de Réaumur, le Père Lignac.

31C’est ici la pointe d’un iceberg où, au début des années 1750, la théorie antispontanéiste va être renforcée silencieusement : on réalise des travaux empiriques sans les publier86, on réédite les écrits de Joblot et de Diacinto Cestoni87, on insère des expériences contre la génération spontanée dans des traités de physique88. Cette époque voit circuler des manuscrits antibuffoniens89 et paraître des publications anonymes, empiriques et polémiques90. En parallèle, les réseaux de correspondants de Réaumur91 stigmatisent moins le matérialisme que le retour à l’autorité incarné par un Buffon protégé du Roi. La conséquence est radicale. Dans la mesure où les codes de la dynamique de relation sont attaqués, le champ bascule dans des controverses implicites sur l’ethos, réaffirmant ses contenus théoriques et contestant les idées de Buffon sur les molécules organiques et celles de Needham sur l’animalité. Une des propriétés de cette configuration nouvelle est que le pouvoir régulier de validation propre à la dynamique de confinement dans les actes de laboratoire en est nettement diminué, du fait que son entrée dans la dynamique de relation ne suit pas les voies régulières. Sans doute les molécules organiques de Buffon rencontrent-elles aussi des éloges, permettant d’expliquer ici la grossesse d’une femme sans conception ou ailleurs les monstruosités92. Mais ce sont là force spéculations. Au risque d’être pris à partie, dès 1750, il n’est plus possible en France de débattre publiquement des animalcules et des êtres microscopiques sur une base expérimentale, et l’on assiste à une guerre de tranchées semée d’attaques indirectes. Il n’en va évidemment pas de même hors du Royaume, lorsque Haller publie en 1751 à Genève sa critique du système de la génération de Buffon93 et que d’autres auteurs, anglais ou allemands, écrivent contre ses idées.

32En France, les recherches empiriques en viennent d’une part à contester la génération spontanée et le transmutationnisme — thèse de Needham — et d’autre part à attribuer une véritable animalité aux animalcules, contre les idées de Needham et Buffon. Mais les savants acceptent aussi de rompre le processus régulier de reproduction sociale et de circulation publique du savoir pour se limiter à une forme de conviction anonyme censée prolonger leur propre auto-conviction. Tout se passe comme si publier ou rendre visible un nom derrière une expérience microscopique ne pouvait que faire l’objet d’une censure, alimentant une polémique sans critère de jugement, signant donc l’abandon du circuit de communication et de publication propre à l’échange régulier des savoirs. Il est difficile de rendre autrement compte de l’absence de visibilité de ces différents travaux. Certainement, la querelle de la génération touche à autre chose que des connaissances positives, et affecte une sorte de credo relatif à l’organisation de l’univers et à la stabilité des espèces.

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Le lion
Le lion, « roi des animaux » et expression de l’aristocratie, selon Buffon. Planche extraite de Buffon (Georges Leclerc de), Histoire naturelle générale et particulière, Paris : Imprimerie royale, t. IX, 1761, pl. I. Cliché MHS, Genève.

33Quelque chose de l’ordre d’une censure sur l’étude des animalcules a donc, en France, eu raison de la recherche microscopique. Mais il s’agissait d’un silence motivé, dont la cause est dévoilée en 1777, lorsque Buffon la verrouille explicitement :

Les découvertes qu’on peut faire au microscope se réduisent a bien peu de choses, car on voit de l’œil de l’esprit & sans microscope, l’existence réelle de tous ces petits êtres dont il est inutile de s’occuper séparément ; tous ont une origine commune & aussi ancienne que la nature, ils en constituent la vie, & passent de moules en moules pour la perpétuer94.

34Il est clair que pour protéger son « atomisme biologique »95, c’est-à-dire la théorie des molécules organiques et des moules intérieurs, il fallait publiquement flétrir la recherche microscopique, et en privé, la censurer. Ceci, alors même qu’en 1773 vient de paraître le premier traité de systématique des infusoires d’Otto-Friedrich Müller, qui est à la base de la nomenclature moderne des corps microscopiques. On assiste là à une forme de ségrégation des méthodes et instruments scientifiques. Encore en 1784, l’abbé Playcard Ray (fl. 1788) qui publie des observations anonymes sur les animalcules spermatiques dans le Journal de physique96 y inclut une préface, à la demande de son éditeur l’abbé Jean-André Mongez (1750-1788)97 excusant la liberté qu’il prend d’étudier le sujet des animalcules spermatiques et s’adressant à Spallanzani pour résoudre la question, ce qui montre l’absence d’expertise à ce propos en contexte français.

35La mort de Réaumur en 1757, à l’âge de 75 ans, d’une chute de cheval, laissait Buffon sans véritable adversaire direct au sein de l’Académie pour le contrôle de l’histoire naturelle, notamment pour la partie zoologique. Il n’était dès lors plus nécessaire de s’occuper des êtres microscopiques, projet formé par Buffon en 1749 pour s’installer sur le territoire de Réaumur dans la vague provoquée par l’effet Trembley, et désavoué par la suite. Vu les succès de l’histoire naturelle des êtres « nobles » — le cheval, le lion — adoptée par son nouveau lectorat, il n’y avait plus besoin de s’intéresser aux insectes et autres organismes petits ou invisibles. Il y a une véritable économie morale et politique de l’histoire naturelle chez Buffon, visible tant par l’exclusion de certains chapitres que par ses finalités stratégiques au sein de l’Académie. C’est dans un tel contexte de communication, celui du maintien d’une censure partielle sur la recherche microscopique par un des membres les plus influents de la principale Académie d’Europe, qu’il faut prendre la mesure de l’impact des travaux de Needham, de Spallanzani et de Saussure. Si certes déjà leur rôle ne peut être compris à l’aune de leur vérité scientifique, il ne peut pas plus l’être à partir d’un espace historique prétendument vide de recherches entre 1749 et 1765.

La recherche microscopique : un enjeu européen

36Une attaque frontale contre les molécules organiques étant difficile voire impossible à mener par les canaux réguliers de publication français, le débat sur les animalcules allait se tenir ailleurs à partir de 1750. En Angleterre, les recherches sont déjà structurées par leur propre dynamique, alimentées par l’effet Trembley. Depuis 1743, les savants anglais en développent diverses ramifications aussi bien à travers l’expérimentation (Baker et son réseau, Parsons, John Hill (1714-1775), Needham, Ellis, Benjamin Martin, Edward Wright (c. 1666-1761)), que dans la systématique (Hill, Ellis). Précepteur de la noblesse catholique anglaise qu’il promène dans toute l’Europe, Needham, après 1745 s’éloigne du jeu de prestige et d’alliances de la Royal Society. Il y publie quelques articles et certains fellows rejettent ses idées. D’autres travaux sur les animalcules sont publiés jusqu’au milieu des années 175098, époque où la veine s’essouffle. Avant 1755, les savants du continent qui ont répété les expériences de Needham et de Buffon — Réaumur, Jean-Étienne Guettard (1715-1786), Mathurin-Jacques Brisson (1723-1806), Lignac, Nollet, Giambattista Beccaria (1716-1781), Pieter van Musschenbroek (1692-1761), Adanson — n’ont pas publié leurs résultats sous la forme faisant foi à l’époque, le mémoire académique. Si Nollet, protégé par Réaumur et par son statut d’académicien, les insère subrepticement dans ses Leçons de physique expérimentale, si Lignac y fait allusion de manière anonyme dans un ouvrage de plusieurs tomes, les autres travaux adoptent les formes de la communication clandestine, car de nombreux manuscrits restent inédits et les travaux de Réaumur, Brisson, Guettard, Beccaria et Musschenbroek ne paraissent pas autrement que comme paragraphes disséminés au sein de traités posthumes ou restent à l’état de manuscrit, condamnés d’avance à un impact quasi nul sur leurs contemporains.

37Les critiques publiées envers Buffon et Needham proviennent des savants anglais, allemands et helvétiques, en tête Albrecht von Haller en 1751, suivis d’autres auteurs, avant d’être synthétisées dans les travaux de Bonnet. À cette époque, les savants allemands sont portés par l’effet Trembley, passant de l’étude d’organismes terrestres ou aériens — insectes, champignons — à des organismes aquatiques. Les auteurs qui s’adonnaient auparavant à l’entomologie (Rösel von Rosenhof, Jacob Christian Schaeffer (1718-1790)) s’occupent du polype dès le milieu des années 1750. Puis, une fois déployé l’intérêt pour les petits organismes visibles mais nécessitant le microscope, l’étude des corps invisibles suit facilement, étant donné leur milieu aquatique. C’est à Nuremberg, en Bavière, loin des querelles françaises que le flambeau de la recherche microscopique est repris par une poignée d’amateurs ayant à leur tête le médecin Heinrich Friedrich Delius (1720-1791) et l’avocat Martin Frobenius Ledermüller (1719-1769). Antispontanéiste par conviction plutôt que par expérience, ce dernier se lance dès 1755 dans des observations microscopiques sur la liqueur séminale et entraîne à sa suite divers amateurs, tels que Johann Gottfried Köhler (1745-1801) et Friedrich Christian Mahling (fl. 1759). Dans ses Physicalische Beobachtungen derer Saamenthiergens de 1756 réédité en 1758, il conteste par ses observations l’interprétation de Buffon selon qui les animalcules spermatiques n’avaient pas de queue99. Delius et Ledermüller créent également en 1760 le seul périodique savant du xviiie siècle dédié uniquement aux observations microscopiques, les Mikroskopischer Gemüths-und Augen-Ergötzung, publié de 1761 à 1766 sous forme de livres in quarto aux nombreuses planches, dans la tradition des ouvrages richement enluminés de Nuremberg. Grâce à cette compilation des travaux de microscopie existant depuis 1660, qui cite toute la littérature disponible sur le sujet, Ledermüller participe à la création d’un lectorat d’amateurs éclairés, entichés de ces livres prestigieux que propose le marché bavarois. En faisant circuler une bibliographie systématique et, à l’exemple de Baker, en expliquant les procédés et résultats de l’observation au microscope, ces ouvrages tamisent aussi le terrain sur lequel une masse critique de recherches sur les infusoires verra le jour dans les Etats allemands à partir des années 1770. Toutefois, manquant d’expériences originales, ces compilations s’arrêtent avant le décès de Ledermüller en 1769.

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Colonies de polypes
Illustration de colonies de polypes sur des lentilles d’eau. Planche enluminée extraite de Schaeffer (Jacob Christian), Die Armpolypen in den süßen Wassern um Regensburg entdecket und beschrieben, Regensburg : Weiß, 1754, pl. III Cliché Bibliothèque de Genève.

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Polype paralysant un vers
Un polype en train de paralyser un vers. Planche enluminée extraite de Rösel von Rosenhof (August Johann), « Die Historie der Polypen der süssen Wasser und anderer kleiner Wasserinsecten hiesiges Landes », Der monatlichherausgegebenen Insecten-Belustingung, Nürnberg : Fleischmann, t. III, 1755, pp. 433-624, pl. LXXVIII. Gravure d’August Johann Rösel von Rosenhof Cliché Bibliothèque de Genève.

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Porte-loupe stylisé
Ce porte-loupe est d’autant plus symbolique de l’effet Trembley que l’instrument a été conçu pour observer des organismes invisibles adossés aux parois du vase et non, comme ici, des polypes qui se déplacent et dont la taille peut atteindre 1 cm. Planche tirée de Ledermüller (Martin Frobenius), Mikroskopischer Gemüths-und Augen-Ergötzung, Nürnberg : de Launoy, 1763, pl. LXVII Cliché Bibliothèque de Genève.

38Ailleurs, à l’orée des années 1760, les regards tournés vers ces objets scientifiques émergents annoncent aussi l’intérêt accru pour les recherches microscopiques. En Hollande, Pierre Lyonet qui avait dessiné puis gravé les magnifiques cuivres des Mémoires de Trembley, dépasse la virtuosité de son compatriote Jan Swammerdam en publiant, en 1760, l’anatomie complète d’une chenille dont il identifie 4 000 muscles100.

39En Italie, l’effet Trembley semble avoir joué un rôle mineur, la péninsule ayant toujours maintenu la tradition rédienne d’expérimentation naturaliste couplée à une tradition d’études de la mer et des organismes aquatiques, remontant à Ulisse Aldrovandi (1522-1605), Paolo Boccone (1633-1704) et Marsili101. Les organismes marins y font l’objet de descriptions qui s’affinent à la fin du xviie siècle par l’emploi du microscope. Au milieu du xviiie siècle pourtant, de nombreux savants italiens rejettent la thèse de Jussieu selon laquelle le corail est l’habitation d’un « insecte de mer » — le polype. Les recherches sur la régénération se font au sein des réseaux savants de Réaumur — le Père Angelo Mazzoleni (1710-1768) de l’Oratoire à Rome, Scipione Maffei (1675-1755), Vitaliano Donati (1717-1762), Giuseppe Ginanni (1692-1753), Giovanni Paolo Bianchi (1693-1775), Jean-François Séguier102 (1703-1784) — et certains savants seront convaincus en reproduisant les expériences. Ainsi, lors de son voyage en Italie, Trembley rencontre et « convertit » divers savants par ses expériences, par exemple le professeur de botanique Donati à Turin en 1755. Émule de Marsili — selon qui le corail est un végétal —, Donati se laisse convaincre par les démonstrations in vivo sur le corail et les polypes faites directement par Trembley et, à partir de la publication de son Histoire naturelle de l’Adriatique en 1755, il défendra la thèse de Jussieu.

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Crabes réalistes Ces deux crabes gravés et enluminés, extraits des Deliciae Naturae Selectae… de Georg Wolfgang Knorr parus en 1754, sont emblématiques de la recherche d’un effet iconographique réaliste Cliché SUB Göttingen.

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Gravures enluminées de fossiles Planche extraite du Recueil de monumens… de Knorr (1768-1775) Cliché Bibliothèque de Genève.

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Puce d’après divers auteurs Planche extraite des Mikroskopischer Gemüths… de Ledermüller (1763) Cliché Bibliothèque de Genève.

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Colonie de polypes
Illustration réaliste d’une colonie de polypes. Planche extraite de Trembley (Abraham), Mémoires, pour servir à l’histoire d’un genre de polypes d’eau douce, à bras en forme de corne, Leide : Verbeek, 1744, pl. 9 Cliché Bibliothèque de Genève.

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Anatomie microscopique de la chenille
Système musculaire de la chenille du saule. Planche extraite de Lyonet (Pierre), Traité anatomique de la chenille, qui ronge le bois de Saule, La Haye : Gosse, 1760, pl. 7 Cliché Bibliothèque de Genève.

40Les voyages de Needham en Italie encouragent aussi la répétition d’un certain nombre de ses expériences et l’intérêt pour les milieux aquatiques en est favorisé. À Turin, il fait connaissance de l’abbé Roffredi et du physicien Beccaria, avec lequel il fait des observations microscopiques. À Naples, il observe les cellules du sang avec le Père Giovanni Maria della Torre103. C’est cependant avec Spallanzani que l’intérêt pour les milieux aquatiques va se cristalliser dans des recherches microscopiques nécessitant des systèmes expérimentaux. L’effet Trembley a donc eu un impact surtout sensible en France et en Angleterre, dans les États allemands, ainsi que dans le nord de l’Europe — Hollande, Suède, au Danemark avec Müller — et, dans une moindre mesure, en Italie.

Les premières recherches microscopiques de Saussure

41C’est dans ce contexte général d’un renouveau des travaux microscopiques et des débats sur l’origine de la vie, travaillé par des attaques contre la communication savante, que va s’inscrire en 1765 la recherche d’Horace-Bénédict de Saussure. Il contribue d’ailleurs à ce mouvement général en publiant dès 1762 un premier essai d’anatomie végétale microscopique, les Observations sur l’écorce des feuilles et des pétales. Y paraissent ses compétences d’expérimentaliste, comme le rappellera Georges Cuvier (1769-1832) lors de son éloge104, mais également sa connaissance du microscope et sa maîtrise de l’écriture scientifique. À témoin le procédé qu’il invente pour déterminer la nature de certains points brillants présents dans les feuilles. Observant un fragment d’épiderme d’une feuille d’épurge à la plus forte lentille du microscope, il voit l’écorce « couverte d’une quantité prodigieuse de points forts brillans, à peu près circulaires, environnés d’un cercle opaque & fort étroit »105. Par des expériences de cuisson et de macération, il rejette plusieurs hypothèses — les points seraient des trous dans la surface remplis d’un liquide ou résultant de sucs cristallisés, ou bien des molécules résineuses106. Tenaces, les points ne disparaissent pas et, à coup de faits expérimentaux, il va les loger dans le parenchyme, avant d’établir aussi leur présence chez les champignons. Et toujours il cherche à réfuter ses hypothèses : le parenchyme ne serait pas seulement composé des utricules de Malpighi et Nehemiah Grew (1641-1712), mais aussi d’utricules « d’un ordre beaucoup inférieur, mille fois au moins plus petits »107. L’hypothèse est cependant mise de côté, car il est difficile de

concilier l’idée d’utricules composés d’une membrane excessivement fine, & remplis d’un fluide extrêmement subtil, avec l’inaltérabilité de ces corps lorsqu’on les plonge dans l’eau bouillante, dans l’esprit de vin, & dans l’acide vitriolique, ou qu’on les fait sécher108.

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Premier ouvrage deSaussure
Page de titre de Saussure (Horace-Bénédict de), Observations sur l’écorce des feuilles et des pétales, Genève : [s. n.], 1762 Cliché Bibliothèque de Genève.

42Il rejette également la possibilité que ce soit un artéfact, une illusion due à l’instrument. Très jeune donc, Saussure est passionné par l’usage du microscope. À 21 ans, il en maîtrise les techniques de base, l’observation calibrée selon l’agrandissement, l’usage de la lumière, la quantification des grandeurs, la critique des illusions d’optique et des artéfacts. Il n’omet pas de décrire ses procédures matérielles, car permettre à d’autres savants de reproduire ses observations et expériences est une forte garantie de la validité des connaissances, et c’est pourquoi il présente ses instruments et procédés :

Pour observer commodément cette écorce, je me sers d’un microscope composé, auquel peuvent s’adapter des lentilles de différentes portées. Au dessous du porte-objet de ce microscope est un miroir concave que j’expose à la lumière du jour ; elle m’a paru suffire à l’ordinaire pour faire distinguer nettement toutes les parties de l’objet, & celle du Soleil fatigue trop les yeux. Je dirige le miroir de maniére qu’il réfléchisse la lumière précisément au-dessous de l’écorce que je veux observer. Alors je place le corps même du microscope au-dessus de cette écorce, & je l’en aproche ou l’en éloigne jusqu’à ce que tous les objets que j’y découvre y paroissent bien distincts, bien nets & bien terminés109.

43À ce souci du partage de la connaissance s’ajoutent des techniques propres aux utilisateurs du microscope, comme la mesure des objets microscopiques. L’examen de la taille des corps formait un problème difficile à résoudre à une époque où, bien que divers auteurs aient proposé des solutions, aucun n’avait réussi, ni à codifier des pratiques de mesure précises, ni à les rendre assez accessibles pour que d’autres en profitent à leur tour. Pourtant, instruments et méthodes ne manquent pas : entre plaques micrométriques élémentaires, mesures de la distance focale d’un microscope simple (et donc du pouvoir d’agrandissement d’une lentille), micromètres filaires, estimations à l’œil et utilisation de « test objects », les savants ont même le choix. Toutefois, à cette époque, aucun procédé de mesure ne présente assez de stabilité pour être fiable, du fait qu’il n’y a aucune demande collective justifiant une telle précision. C’est à partir de 1820, avec le microscope achromatique, que naîtra cette demande et que s’établira un marché de la précision visuelle110.

44Auparavant, durant les années 1760 à Augsbourg, des plaques micrométriques sont produites avec des segments de droite tracés à la pointe de diamant, d’environ 0.012 mm de large, écartées entre elles d’un dixième de ligne (± 0.23 mm). Spallanzani en reçoit une en 1777, que Jean Senebier (1742-1809), son traducteur genevois, avait achetée à Brander, fabricant d’instruments à Augsbourg111. Les savants berlinois les utilisent à la même époque112. Dès le xviie siècle, certains auteurs utilisent des « test objects », c’est-à-dire des organismes ou parties d’organismes microscopiques dont la taille est suffisamment stable pour servir d’unité de mesure. Leeuwenhoek employait certains corps microscopiques et des poils à cet effet. Cependant, en pratique ces corps n’étaient pas identifiables pour qui n’avait pas un microscope de Leeuwenhoek, c’est-à-dire personne d’autre que lui. De plus, le procédé consistant à utiliser des poils comme indicateur de taille est largement critiqué au milieu du xviiie siècle par un médecin de Hambourg, Johann Lorenz Withof (1725-1789), qui rédige une thèse sur la variété du diamètre des poils. Selon la partie du corps où ils sont prélevés, leur largeur est dix fois plus grande, faussant considérablement les mesures113. Une technique plus sûre, mais difficile à mettre en œuvre, est publiée en 1762 par Lyonet qui donne cette année-là la seconde édition de son ouvrage atypique contenant la description anatomique de toutes les parties d’une chenille. Afin de garantir ses mesures, Lyonet utilise la cornée de l’œil d’une libellule. Trente-huit cornées forment une « ligne » (environ 2.23 mm), une unité de mesure communément employée au xviiie siècle dans les sciences comme dans les arts, par les horlogers et bijoutiers. Saussure, qui ignore le texte de Lyonet, emploie un procédé similaire mais moins fiable, basé sur les cellules de la joubarbe :

Je me sers d’une méthode fort commode & assez sûre pour connaître la grandeur réelle des corps que me présente le microscope. J’estime à l’œil, le plus exactement que je le puis, combien de fois le diamétre de quelqu’un de ces corps est contenu dans le diamétre du champ de la lentille avec laquelle je l’observe ; & comme la grandeur de ce champ m’est connue, j’en infere tout de suite la grandeur réelle du corps exagéré par le microscope. Ainsi quand j’ai vu que le diamétre du champ de ma première lentille contenait huit mailles du réseau de la joubarbe, j’en ai conclu que le diamétre de chacune de ces mailles étoit d’un vingt-quatriéme de ligne [±0.09 mm], parce que je savais que le diamétre du champ de cette même lentille est d’un tiers de ligne [± 0.74 mm]114.

45D’autres problèmes attendent l’utilisateur du microscope au xviiie siècle. Les illusions d’optique avaient fait l’objet de plusieurs discussions dans des journaux scientifiques comme les Philosophical Transactions et dans les traités de Joblot, Baker, Adams et Ledermüller, et elles seront l’enjeu de nouveaux débats à la fin du siècle115. C’est pour s’en protéger que Saussure se sert de plusieurs microscopes sous des lumières différentes : « Je me demandai ensuite, si ce n’étoit point une illusion d’Optique ? Pour décider la question, je l’observai à différens jours, dans différentes positions, avec différens microscopes, les uns simples, les autres composés. Mais toujours je voyois cette membrane, si le jour étoit suffisant, le microscope assez fort & mon œil attentif »116. Dans la préface, dédiée à son protecteur Haller, le message est le même, la découverte de la membrane qu’il nomme ensuite épiderme des feuilles s’est effectuée grâce à cette méthode d’utilisation multiple des microscopes :

J’ose cependant vous assurer, que j’ai observé un très grand nombre de Plantes ; que je les ai observées de toutes les maniéres & dans toutes les positions que j’ai pu imaginer ; avec différens Microscopes, les uns simples, les autres composés ; à toutes sortes de jours : et que lorsque mon Microscope s’est trouvé assez fort, lorsque l’objet étoit assez éclairé, & que je redoublois d’attention, j’ai vû constamment cette membrane, qui par son extrême finesse a échapé sans doute à tous les Observateurs précédens117.

46Cette technique comparative consistant à varier les instruments pour voir si l’on retrouve la même image, déjà utilisée au xviie siècle, est restée en vigueur lorsque de nouveaux instruments transformant la vision ont été inventés par la suite118. Les techniques se transmettent, et Saussure les a reçues des mains de son oncle Charles Bonnet. Dès 1740, ce dernier la met en pratique en utilisant plusieurs instruments d’optique, un microscope de Nollet, un « microscope en lunette » et différentes loupes aux pouvoirs grossissants variables lors de dissections119. En plus d’un « fort bon microscope », il utilise aussi un microscope simple dont il indique le foyer120, et parfois un « microscope en lunette » c’est-à-dire des loupes montées sur des lunettes, libérant les mains. L’idée provenait de Réaumur, car en 1737, un de ses disciples, Gilles-Augustin Bazin (1681-1754), lui demande de lui en envoyer un121. Plus tard, Bonnet emploiera aussi un « microscope solaire »122 projetant des images fortement agrandies sur un mur123. Transmis à Saussure, ces divers procédés du travail naturaliste se retrouvent dans ses recherches de 1765. Toutefois en 1762, ses travaux d’anatomie microscopique ne touchent ni les questions de la génération, ni les idées de Needham, qui sont, à la même époque, en train de revenir sur le devant de la scène.

LA RÉPONSE ÉPISTÉMOLOGIQUE : LES CONSIDÉRATIONS DE BONNET

47Les étapes des réactions aux expériences de Needham et Buffon, en particulier par Bonnet et Spallanzani, ont été décrites à diverses reprises par les historiens avec un gain croissant de précision124. Dès 1751, dans ses lettres à Bonnet, Réaumur lui fait part de ses recherches sur les animalcules des infusions, secondées par Lignac, Guettard et Brisson, et dont le but est de tester la génération des êtres microscopiques125. Ce n’est que quelques années après la mort de Réaumur que Bonnet devient le chantre de l’antispontanéisme, héritant alors du rôle du Maître. Après son Essai analytique sur les facultés de l’âme de 1760, qui le plante définitivement au cœur des discussions sur la psychologie des Lumières, il reprend le flambeau de la préexistence et de la préformation en synthétisant dans un nouvel ouvrage le contenu des principales observations réalisées par les savants des vingt dernières années. Traitant de nombreux thèmes naturalistes — il s’agit là du premier traité d’histoire naturelle expérimentale — les Considérations sur les corps organisés, parues en 1762, reçurent un excellent accueil du public et furent rapidement traduites126.

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Réveil de la statue
De même que Condillac, Bonnet imagine dans son Essai Analytique sur les facultés de l’âme, paru en 1760, une statue dont les sens sont réveillés par des objets (ici, une rose animant l’odorat) pour en analyser le fonctionnement psychophysiologique. Vignette tirée des Œuvres d’histoire naturelle et de philosophie de Charles Bonnet (1782). Gravure de F. L. Bradt Cliché Bibliothèque de Genève.

48L’ouvrage était aussi agencé comme le lieu d’une confrontation avec les idées de Buffon et de Needham. En y résumant sa propre correspondance, Bonnet reconduit à Réaumur l’étude des animalcules, pour montrer que les globules mouvants aperçus dans les infusions bouillies sont de vrais animaux. Son raisonnement articule les possibilités de résistance de certains corps aux conditions ambiantes, avec l’hypothèse des germes d’animalcules invisibles dans l’air :

A l’égard de l’apparition de ces Animalcules dans les Matières qui ont bouilli, ou qui ont été exposées à un dégré de chaleur auquel nous ne concevons pas qu’aucun Animal puisse vivre, la difficulté qu’elle forme ne doit pas nous intriguer beaucoup, puisqu’elle n’a pour fondement que l’ignorance où nous sommes du dégré de chaleur que certains Animaux ont été rendus capables de supporter. D’ailleurs, il n’est pas sûr que ces Animalcules fussent dans la Matière de l’infusion. Ils habitoient peut-être l’Air renfermé dans le Bocal : ils avoient passé de cet Air dans la Matière de l’infusion. Il y a peut-être une circulation perpétuelle de ces Animalcules de l’Air dans les Corps organisés, & des Corps organisés dans l’Air127.

49Les observations de Réaumur qui s’était « assuré que ce sont de véritables Animaux »128 sont encore discutées ailleurs, pour être opposées à celles de Buffon. Cependant, Bonnet n’a pas d’arguments expérimentaux directs pour infirmer les thèses spontanéistes. À l’autorité, il oppose l’autorité et à la compétence la compétence, en ramenant le débat à un enjeu de bon sens scientifique :

L’Autorité de Mr. de Réaumur est ici d’un trop grand poids pour qu’on puisse l’infirmer. Les petits Animaux étoient son domaine, & personne n’a possédé à un plus haut dégré que cet illustre Académicien l’art de se conduire dans la recherche des vérités physiques. À l’égard de la manière dont ces Animalcules sont produits dans les Infusions, un Philosophe pourroit-il se résoudre à admettre qu’ils proviennent de la transformation de la matière même de l’Infusion en Animalcules129 ?

50De cette construction, l’essentiel reste l’exigence théorique et méthodologique fondamentale qu’il livre au final de son argumentaire :

Une telle Physique choqueroit également le raisonnement & l’expérience. Ce seroit renouveller les Générations équivoques, dont la fausseté est si bien prouvée. [...] N’est-il pas plus raisonnable de penser que les Œufs de ces Animalcules, ou les Animalcules eux-mêmes, existoient dans la matière de l’Infusion ; ou qu’ils ont passé de l’Air dans cette matière ? Tout ce que nous connoissons de plus certain sur la Génération des Insectes nous sollicite à embrasser ce sentiment, & pour s’y refuser il ne faudroit pas moins qu’une démonstration rigoureuse, de la vérité du sentiment contraire130.

51C’est dire que les expériences validées depuis un siècle avaient progressivement éclairci l’obscurantisme spontanéiste, certes pour des organismes non strictement invisibles, notamment les insectes, forgeant ainsi la thèse dominante de la génération dite univoque. En bonne science, toute nouvelle opinion devait, pour s’installer, prouver positivement sa vérité. C’était là la première salve portée à l’encontre des idées de Needham et de Buffon, soulevant des questions que ce dernier ignora tout simplement.

52Bonnet en vient ensuite aux travaux de Needham au moyen d’« extraits » relatant ses expériences de manière condensée, en serrant au plus près le cœur du discours pour discuter des principales questions relatives à l’antispontanéisme et à la transmutation. Il en résume auparavant les expériences : ayant rempli une fiole de jus de mouton, écrit Bonnet, l’observateur anglais l’a scellée et déposée dans des cendres chaudes, pensant « s’être assuré, qu’il n’y avoit ni Œufs ni Insectes vivans, soit dans la Liqueur qu’il vouloit observer, soit dans l’Air qui occupoit le vuide de la phiole »131. Celle-ci « fourmilla ensuite d’Animalcules »132. Needham répète alors la même expérience sur d’autres substances animales et, comparant les animalcules provenant de mêmes substances obtenues « à froid » comme « à chaud », n’y trouve aucune différence. Dans l’infusion de germes d’amandes, après 15 jours, il remarque des atomes mouvants qu’il nomme zoophytes. Selon lui, il ne s’agit pas là d’animalcules, mais de leur principe originaire, de leur substance se partageant en filaments qui, eux, produisent les diverses sortes d’animalcules. Filaments et animalcules se dégradent avec le temps pour devenir imperceptibles au microscope. Bonnet retient surtout que l’auteur « a vû les filamens prendre de nouvelles formes, s’animer, & produire des Animalcules semblables en tout à ceux des Infusions ordinaires »133. Il rappelle ensuite l’expérience du blé niellé produisant des anguillettes, dans laquelle des filaments de blé se transforment en animaux. D’autres expériences fournissent des résultats semblables : « Il pense que les Animalcules spermatiques sont produits par les filamens »134. Bonnet montre ensuite comment, en ayant bouché les fioles pour en empêcher l’accès aux animalcules et en se basant « sur ces précautions », Needham peut invoquer l’action d’une force végétative pour expliquer la présence des animalcules135.

53Alors que les travaux de Buffon sont résumés puis contestés par des considérations méthodologiques voire épistémologiques, les idées de Needham vont faire l’objet de divers approfondissements. De passage à Turin en 1761, il est entré en contact épistolaire avec Bonnet au moment où celui-ci est immergé dans la rédaction des Considérations. Par la suite, voulant être au fait de l’actualité des connaissances, à la fin de 1761, Bonnet lui écrit pour s’informer s’il souscrit toujours à la transmutation : « Admettes-vous encore cette dégradation continuelle des filamens et des Animalcules, et cette conversion des filamens en Animalcules, et des Animalcules en filamens qui décroissent graduellement jusques a ce qu’ils soyent devenus invisibles au Microscope ? »136. Needham rétorque que ses idées sont toujours les mêmes qu’en 1750 et qu’un « professeur de Reggio »137, qui a refait ses expériences, va prochainement publier des lettres confirmant sa théorie138. Rapportant cette réponse sise au cœur de la controverse comme une sorte de pari ou de défi, dans les Considérations sur les corps organisés de 1762, Bonnet y lance alors une de ses prophéties : « En attendant la publication de ces nouvelles observations, j’oserois bien prédire qu’elles ne démontreront pas que les Animalcules dont il s’agit, ayent une origine aussi étrange que l’a pensé & que le pense encore mon célèbre Confrère »139.

54L’arrivée de Spallanzani, car c’est lui le « professeur de Reggio », sur la scène de l’histoire naturelle expérimentale a été abondamment commentée par les historiens. Pris sous l’aile de son compatriote le professeur d’histoire naturelle padouan Antonio Vallisneri Junior (1708-1777), Spallanzani cherche dans un premier temps à retrouver les résultats et l’interprétation needhamienne de la génération des corps microscopiques140. En 1761, Spallanzani écrit à Needham quelques lettres où il l’informe qu’il répète ses expériences, mais il va rapidement faire volte-face, dès 1762, au contact du laboratoire et du travail de l’écriture. Ce changement est dû entre autres au fait que, dans l’expérience employant le protocole antispontanéiste, certains résultats sont contraires à ceux de Needham. Les historiens ont beaucoup discuté de l’attitude intéressée de Spallanzani — considérée comme changement d’alliance en direction du parti de la science dominante, celle de Bonnet. Déversés en partie dans le Saggio di osservazioni microscopiche publié à Modène au début de l’été 1765, ces résultats trouveront un terrain fécond dans les recherches d’Horace-Bénédict.

Notes de bas de page

1 Sur la question, cf. Freedberg (David), The Eye of the Lynx, Chicago-London : Chicago University Press, 2002, pp. 179-194 ; Keil (Inge), « Microscopes made in Augsburg », in Generali (Dario) & Ratcliff (Marc J.) (sous la dir.), From Makers to Users : Microscopes, Markets, and Scientific Practices in the Seventeenth and Eighteenth Centuries, Firenze : Olschki, 2007, pp. 43-71.

2 Fournier (Marian), The Fabric of Life, The Rise and Decline of Seventeenth-Century Microscopy, Thèse de doctorat [Cohen H. F. & Smit P., dir.], Enschede (Pays-Bas) : Université de Twente, 1991, 221 p. ; Ruestow (Edward), The Microscope in the Dutch Republic. The Shaping of Discovery, Cambridge : Cambridge University Press, 1996, 348 p. ; Neri (Janice), The insect and the image : visualizing nature in early modern Europe, 1500-1700, Minneapolis : University of Minnesota Press, 2011, 233 p.

3 Schickore (Jutta), The Microscope and the Eye. A History of Reflections, 1740-1870, Chicago : Chicago University Press, 2007, pp. 1-10 ; Ratcliff (Marc J.), The Quest for the Invisible. Microscopy in the Enlightenment, Aldershot : Ashgate, 2009, pp. 245-252.

4 J’ai montré ailleurs la mise en forme scientifique des pratiques du microscope grâce à la systématique des infusoires établie par Otto-Friedrich Müller en 1773, cf. Ratcliff (Marc J.), The Quest…, op. cit., pp. 194-210.

5 Sur l’historiographie de cette découverte, cf. Ratcliff (Marc J.), « Pratiques, systèmes et laboratoire… », art. cit., p. 68.

6 Ratcliff (Marc J.), The Quest…, op. cit., pp. 78-80.

7 Voir Nicolson (Marjorie), « The Microscope and English Imagination », Smith College Studies in Modern Language, xvi, 1935, pp. 1-92 ; Ratcliff (Marc J.), « Champ de controverse et controverse de champ. La recherche microscopique au tournant du xviiie siècle », in Paschoud (Adrien) & Burnand (Léonard) (sous la dir.), Espaces de la controverse en France au seuil des Lumières, Paris : Champion, 2010, pp. 161-184.

8 Voir sur ces constructeurs, Clay (Reginald S.) & Court (Thomas H.), The History of the Microscope Compiled from Original Instruments and Documents, Up to the Introduction of the Achromatic Microscope, London : Griffin, 1932, 266 p. ; Bedini (Silvio A.), « Seventeenth-Century Italian Compound Microscopes », Physis, t. v, 1963, pp. 383-422 ; Keil (Inge), « Microscopes made in Augsburg », art. cit. ; Fazzari (Michela), « Incredibili visioni : Roma e i microscopi alla fine del ‘ 600 », in Generali (Dario) & Ratcliff (Marc J.) (sous la dir.), From Makers to Users…, op. cit., pp. 3-42.

9 Voir Ratcliff (Marc J.), « Forms shaped by functions ? Using, Improving and Conceiving Microscopes During the 1740s », in Groob (Bart) & Hooijmaijers (Hans) (sous la dir.), Who Needs Scientific Instruments ?, Leyde : Museum Boerhaave, 2006, pp. 235-244, pp. 239-240.

10 Sur ce microscope, cf. Ratcliff (Marc J.) & Fournier (Marian), « Abraham Trembley’s Impact on the Construction of Microscopes », in Generali (Dario) & Ratcliff (Marc J.), From Makers to Users…, op. cit., pp. 91-112.

11 AASP, Fonds Réaumur 69J, DB Réaumur, R 12. 22 : lettre de Lyonet à Réaumur, La Haye, du 28 avril 1746.

12 Le microscope est illustré une première fois dans le journal Haarlem verhhandelingen Hollandse maatschappy der weetenschappen en 1757. Cf. Van Seters (Wouters H.), Pierre Lyonnet 1706-1789, La Haye : Martinus Nijhoff, 1962, pp. 74-83.

13 Par exemple, pour les plus importants des journaux, gazettes et quotidiens, on estime la vente à 7,4 millions de copies durant l’année 1757, cf. Cranfield (Geoffrey A.), The Press and the Society, From Caxton to Northcliffe, London : Longman, 1978, p. 57.

14 Sur Brander, voir Keil (Inge), « Microscopes made in Augsburg », art. cit., pp. 62-71.

15 Sur cette question, voir Ratcliff (Marc J.), « Testing Microscopes Between Market and Scientific Strategies in the 18th Century », in Generali (Dario) & Ratcliff (Marc J.), From Makers to Users…, op. cit., pp. 135-154, pp. 136-142.

16 En 1746, ayant commandé pour Allamand un microscope spécial à Cuff par l’intermédiaire de Folkes, Trembley se retrouve doublé par un inconnu qui l’avait acheté entre-temps. Cet exemple provient d’une lettre de Folkes à Trembley, Londres, du 10 décembre 1746, in CFT.

17 Sur Ramsden, voir McConnell (Anita), Jesse Ramsden (1735-1800) : London’s Leading Scientific Instrument Maker, Aldershot : Ashgate, 2007, 318 p.

18 BGE, Fonds Trembley 5, f ° 86 : lettre de Réaumur à Caumont, Paris, du 23 juillet 1736 : « je ne me trouve pas mieux des microscopes d’angleterre que de ceux de Paris ». Sur les tests de microscopes au xviiie siècle, par Pelisson, Beseke, Goeze et Saussure, cf. Ratcliff (Marc J.), « Testing Microscopes… », art. cit., pp. 149-153.

19 BGE, Fonds Trembley 5, ff. 85v-86 : lettre de Réaumur à Caumont, Paris, du 23 juillet 1736 ; AASP, Fonds Réaumur 69J, DB Bazin : lettre de Bazin à Réaumur, Strasbourg, du 22 mai 1737.

20 Né dans une famille patricienne genevoise, Bonnet est destiné au barreau. Dès l’âge de 16 ans le prend une passion pour l’étude des insectes, révélée par la lecture du Spectacle de la nature (1732) de l’abbé Noël-Antoine Pluche. Dès 1737, il correspond avec Réaumur qui lui indique de nombreuses expériences et il parvient à démontrer la parthénogenèse chez le puceron en 1740, base pour la publication de son Traité d’insectologie à Paris chez Durand en 1745. Dès 1743, des mots d’yeux l’empêchent de faire usage du microscope et il se consacre dès lors à établir une psychologie physiologique et une synthèse des connaissances scientifiques obtenues par l’observation et l’expérience.

21 Lettre de Réaumur à Trembley, Paris, du 8 novembre 1749, in CRT, p. 328 ; idem, Paris, du 22 mai 1753, in CRT, p. 370.

22 Ratcliff (Marc J.), « Images silencieuses, invisibles instruments : les microscopes à Genève », in Ratcliff (Marc J.) & Stahl-Gretsch (Laurence-Isaline) (sous la dir.), Mémoires d’instruments. Une histoire des sciences et des savants à Genève 1559-1914, Genève : Hurter, 2011, pp. 152-163, p. 162.

23 Né à Genève en 1710, Trembley est destiné au pastorat par son père. Il étudie la philosophie et passe une thèse de mathématiques en 1731, avant d’émigrer en Hollande en 1732. Il devient précepteur des enfants du comte William Bentinck et c’est dans son domaine de Sorgvliet qu’il découvre en 1740 l’hydre d’eau douce et sa propriété de régénération. Encouragé par son neveu Charles Bonnet à écrire à Réaumur, il entre en correspondance avec ce dernier en décembre 1740. La découverte eut un immense retentissement sur la mise en forme de l’histoire naturelle expérimentale en proposant un nouveau modèle de travail au laboratoire, tant par la publication de ses Mémoires, pour servir à l’histoire d’un genre de polypes d’eau douce, à bras en forme de corne (Leide : Verbeek, 1744, 324 p.) que par l’envoi systématique d’hydres à quiconque désirait reproduire ses expériences. Pour une biographie de Trembley, cf. Baker (John R.), Abraham Trembley of Geneva, Scientist and Philosopher (1710-1784), London : Arnold, 1952, 259 p. Sur la correspondance entre Trembley et Réaumur, voir la CRT et Dawson (Virginia P.), Nature’s Enigma, the Problem of the Polyp in the Letters of Bonnet, Trembley and Réaumur, Philadelphia : American Philosophical Society, 1987, 266 p. Sur l’expérimentalisme de Trembley, cf. Lenhoff (Howard M.) & Tardent (Paul) (sous la dir.), « From Trembley’s Polyps to New Directions in Research on Hydra : proceedings of a symposium honoring Abraham Trembley (1710-1784) », Archives des Sciences Genève, vol. xxxviii, 1985, pp. 243-471 ; Lenhoff (Sylvia G.) & Lenhoff (Howard M.), Hydra and the Birth of Experimental Biology 1744, Pacific Grove, CA : The Boxwood Press, 1986, 188 p. Sur le laboratoire de Trembley et les envois d’hydres, cf. Ratcliff (Marc J.), « Abraham Trembley’s Strategy of Generosity and the Scope of Celebrity in the Mid-Eighteenth Century », Isis, vol. vl, 2004, pp. 555-575.

24 Vallisneri (Antonio), Esperienze, ed Osservazioni intorno all’Origine, Sviluppi, e costumi di vari Insetti, Padova : Stamperia del Seminario, 1713, 232 p. ; Réaumur (Antoine Ferchault de), Mémoires pour servir à l’histoire des insectes, Paris : Imprimerie Royale, 1734-1742, 6 vol. ; Breyn (Johann Philip), Historia naturalis cocci radicum tinctorii, Gedani, 1731, 22 p. ; Frisch (Johann Leonhard), Beschreibung von allerley Insecten in Teutsch-Land, Berlin : Nicolai, 1720-1738, 13 parties. Sur Réaumur et les insectes, voir Torlais (Jean), Réaumur Un esprit encyclopédique en dehors de l’Encyclopédie, Paris : Blanchard, 1961, 475 p. ; Ratcliff (Marc J.), The Quest…, op. cit., pp. 69-73 ; Terrall (Mary), « Following insects around : tools and techniques of eighteenth-century natural history », The British Journal for the History of Science, t. xxxxiii, 2010, pp. 573-588 ; Ogilvie (Bryan W.), « Order of Insects : Insects Species and Metamorphosis Between Renaissance and Enlightenment », in Nachtomy (Ohad) & Smith (Justin E. H.) (sous la dir.), The Life Sciences in Early Modern Philosophy, Oxford : Oxford University Press, 2014, pp. 222-245 ; Terrall (Mary), Catching Nature in the Act. Réaumur and the Practice of Natural History in the Eighteenth Century, Chicago : University of Chicago Press, 2014, 275 p.

25 Voir sur ces techniques iconographiques, Ratcliff (Marc J.), The Quest…, op. cit., pp. 150-156.

26 Sur cet impact, voir Ratcliff (Marc J.), L’effet Trembley ou la naissance de la zoologie marine, Genève : Bibliothèque de Genève, 2010, pp. 22-34.

27 Baker (John R.), Abraham Trembley, op. cit., pp. 172-174 ; Ratcliff (Marc J.), « Forms shaped by functions ?… », art. cit., pp. 236-238.

28 Baker (Henry), The Microscope Made Easy, London : Dodsley, 1743, pp. 52-53 ; Baker (Henry), Le microscope à la portée de tout le monde [trad. de l’anglois], Paris : Jombert, 1744, pp. 59-60.

29 Baker (Henry), Le microscope…, op. cit., p. 95 : « ces herbes ou fleurs infusées dans l’eau, servent de nourriture à quelques-unes de ces especes innombrables de petites créatures qui sont imperceptibles à la vûe simple ».

30 Leeuwenhoek, lettre du 14 juin 1680, citée par Van Seters (Wouters H.), Pierre Lyonnet, op. cit., pp. 167-168.

31 Il avait toutefois plaidé contre le spontanéisme. Selon Ruestow (Edward), « Leeuwenhoek and the Campaign against Spontaneous Generation », Journal of the History of Biology, vol. XVII, 1984, pp. 225-248, pp. 246-248, son attitude reflète sa prise de distance face à une théorie identifiée avec les superstitions populaires.

32 Lyonet (Pierre) [Notes ] à Lesser (Friedrich Christian), Théologie des insectes, La Haye : Jean Swart, 1742, 2 vol., vol. I, pp. 59-60. Cf. Hublard (Émile), Le naturaliste hollandais Pierre Lyonet, sa vie et ses œuvres (1706-1789), Mons : Desquene-Masquillier, 1910, p. 40, et Van Seters (Wouters H.), Pierre Lyonnet…, op. cit., p. 168.

33 Voir sur ceci Ratcliff (Marc J.), The Quest…, op. cit., pp. 39-45.

34 Adams (George), Micrographia Illustrata or, The Knowledge of the Microscope Explain’d, London : The Author, 1746, pp. 122-123.

35 Cf. Millburn (John R.), Adams of Fleet Street, Instrument Makers to King George III, Aldershot : Ashgate, 2000, p. 32.

36 Needham est un prêtre catholique anglais d’origine irlandaise. Après l’envoi de différentes observations au président de la Royal Society Martin Folkes en 1743, il en devient membre. Il se trouve ensuite fréquemment à Paris entre 1745 et 1752 où il sert d’agent pour acheter et récolter des pièces naturalistes de collection qu’il envoie en Angleterre. À Paris, il est en contact avec des membres de l’Académie des sciences : Buffon, Réaumur, Jussieu, Adanson. Il collabore avec Buffon pour son étude sur les molécules organiques, et se fait une spécialité des observations microscopiques avec la publication en 1745 et 1748 de deux textes en anglais. Les livres sont traduits en français et lui assurent une réputation. À partir des années 1750, il voyage comme précepteur, notamment en Italie. En relation épistolaire avec Charles Bonnet, Needham passe à Genève en 1765 et se retrouve au coeur de la découverte de Saussure. Needham est ensuite élu directeur de l’Académie des sciences de Bruxelles le 1er février 1769. Sur Needham, voir Roe (Shirley), « John Turberville Needham and the Generation of Living Organisms », Isis, vol. lxxiv, 1983, pp. 159-184 ; Mazzolini (Renato G.) & Roe (Shirley), Science against the Unbelievers. The Correspondence of Bonnet and Needham 1760-1780, Oxford : Voltaire Foundation, 1986, 409 p. ; Stefani (Marta), Corruzione e generazione. John Turberville Needham e l’origine del vivente, Firenze : Olschki, 2002, 230 p.

37 Buffon entre à l’Académie des sciences en 1734 puis devient intendant du Jardin du Roi en 1739 grâce à ses contacts avec le ministre Maurepas. Mathématicien à l’origine, il se tourne d’abord vers l’expérimentation à visée industrielle (rendement des forêts, fonderies), puis vers une description imagée de l’histoire naturelle des grands animaux déployée dans son Histoire naturelle générale et particulière, Paris : Imprimerie royale, 1749-1788, 36 tomes. Lors de sa rencontre avec Needham à Paris en 1747, il observe au microscope les infusions et le sperme, base pour sa théorie de la génération. Sur Buffon, voir Binet (Jacques-Louis) & Roger (Jacques), Un autre Buffon, Paris : Hermann, 1977, 200 p. ; Loveland (Jeff), Rhetoric and natural history. Buffon in polemical and literary context, Oxford : SVEC, 2001, 214 p. ; Hoquet (Thierry), Buffon : histoire naturelle et philosophie, Paris : Honoré Champion, 2005, 809 p. ; Joseph (Gilbert), Buffon Le sacre de la nature, Paris : Perrin, 2011, 546 p.

38 Needham (John Turberville), Nouvelles découvertes faites avec le microscope [trad. par Allamand Jean Nicolas Sébastien], Leide : Luzac, 1747, pp. 60-61, 93.

39 Ibid., p. 100.

40 Ibid., p. 98.

41 Ibid., pp. 54-56.

42 Ibid., p. 56.

43 Ibid., p. 101.

44 Roe (Shirley), « John Turberville Needham… », art. cit., pp. 163-164 ; Mazzolini (Renato G.) & Roe (Shirley), Science against the Unbelievers, op. cit., pp. 18-22 ; Pichot (André), Histoire de la notion de vie, Paris : Gallimard, 1993, pp. 434-441 ; Stefani (Marta), Corruzione e generazione, op. cit., pp. 95-99.

45 Needham (John Turberville), Nouvelles observations microscopiques, avec des découvertes intéressantes sur la composition et la décomposition des corps organisés, Paris : Ganeau, 1750, p. 193.

46 Ibid., p. 152.

47 Ibid., p. 172.

48 Ibid., p. 63.

49 Ibid., p. 290.

50 Ibid., pp. 289-291 : « Toute la classe d’Etres microscopiques produits par la décomposition de substances animales, ou végétales, doit être considerée comme divisée par la Nature […] en deux parties, l’une qui va en montant & l’autre en descendant. Les animaux du premier ordre […] se nourrissent, digérent, croissent & sont prolifiques comme les animaux supérieurs, soit vivipare comme les anguilles, ou ceux qui se multiplient par division, commes les polipes à panache de M. Trembley […]. Les animaux du second genre au contraire, c’està-dire, ceux qui vont en descendant, ne paroissent jamais croître au moins sensiblement, ni se nourrir, à moins qu’il ne tirent quelque legére nourriture de l’eau […]. Ils ne se multiplient pas non plus spécifiquement ».

51 Ibid., p. 175.

52 Ibid., p. 307.

53 Ibid., p. 109.

54 Ibid., p. 424.

55 Ibid., p. 293. Il s’agit du commentaire de la figure 6 (cf. illustration du haut, page en regard).

56 Ibid., pp. 218-219. Il s’agit du commentaire de la figure 2 (cf. illustration ci-dessus).

57 Ibid., p. 305.

58 Ibid., pp. 374-375. Voir Stefani (Marta), Corruzione e generazione, op. cit., p. 100, pour une analyse de la manière dont Needham envisage la préexistence des germes comme un prolongement du cartésianisme.

59 Needham (John Turberville), Nouvelles observations…, op. cit., pp. vij-viij : « On regarde communément la matiere comme une substance composée, continuellement étendue, continuellement divisible, c’est là sa définition, & j’avoue qu’une telle idée contredit toutes les conséquences immédiates qui suivent mes observations ».

60 Vartanian (Aram), « Trembley’s Polyp, La Mettrie and 18th. Century French Materialism », Journal of the History of Ideas, t. xi, 1950, pp. 259-286, p. 284 ; Roger (Jacques), Les sciences de la vie dans la pensée française du xviiie siècle, Paris : Colin, 1963, pp. 639-640 ; Marx (Jacques), Charles Bonnet contre les Lumières : 1738-1850, Oxford : Voltaire Foundation, 1976, 2 tomes, t. ii, pp. 533-558 ; Roe (Shirley), « John Turberville Needham… », art. cit., p. 182 ; Mazzolini (Renato G.) & Roe (Shirley), Science against the Unbelievers, op. cit., pp. 9-10, 71 ; Dawson (Virginia P.), Nature’s Enigma, op. cit., pp. 185-187 ; Sigrist (René), L’essor de la science moderne à Genève, Lausanne : Presses polytechniques et universitaires, 2004, p. 42 ; Pichot (André), Expliquer la vie : De l’âme à la molécule, Versailles : Quae, 2011, p. 295 ; Wolfe (Charles T.), « Epigenesis as Spinozism in Diderot’s Biological Project », in Nachtomy (Ohad) & Smith (Justin E. H.) (sous la dir.), The Life Sciences…, op. cit., pp. 181-201, pp. 186-187, 200.

61 Charbonnat (Pascal), Quand les sciences dialoguent avec la métaphysique, Paris : Vuibert, 2011, pp. 148-150, a récemment développé cette ligne interprétative en distinguant deux postures pour la relation entre physique et métaphysique, de concession (Buffon) et de conciliation (Réaumur). Envisagées au point de vue de l’histoire des idées, ces catégories ont une pertinence, mais leur extension est limitée car Réaumur avait expressément donné des consignes à ses disciples visant à ne pas discuter de l’âme du polype, refusant de mélanger le « polype physique » au « polype métaphysique », renforçant ainsi la démarcation entre recherche scientifique et discussion métaphysique. Sur la question, cf. Ratcliff (Marc J.), « Abraham Trembley’s Strategy… », art. cit., pp. 563-564.

62 Dawson (Virginia P.), Nature’s Enigma, op. cit., pp. 36-37, 148-157.

63 Ratcliff (Marc J.), « Abraham Trembley’s Strategy… », art. cit., pp. 562-564.

64 Alors que Charbonnat (Pascal), Quand les sciences dialoguent…, op. cit., a brillament étudié « la séparation entre science et métaphysique » (p. 10), il la ramène essentiellement aux textes non expérimentaux, sans donner d’importance aux pratiques d’expériences qui généralisent justement la posture de l’abstinence métaphysique. Cette négligence émane de l’accent mis sur l’histoire des idées qui ont pour Charbonnat plus de valeurs que les pratiques, les institutions et les modalités de la communication.

65 Bonnet (Charles), Traité d’insectologie, ou Observations sur les pucerons, Paris : Durand, 1745, 2 vol., vol. i, p. viij.

66 Ibid., vol. i, p. xxviij.

67 Roe (Shirley), « John Turberville Needham… », art. cit., pp. 171-177, 179 ; Stefani (Marta), Corruzione e generazione, op. cit., pp. 97-98.

68 Canguilhem (Georges), La connaissance de la Vie [2e éd. revue et augmentée], Paris : Vrin, 1975, p. 55.

69 Sur ces collecteurs, cf. Terrall (Mary), « Following insects… », art. cit. et Terrall (Mary), Catching Nature…, op. cit., pp. 149-158.

70 Selon une lettre de Buffon à Ruffey, du 14 février 1750, citée par Joseph (Gilbert), Buffon…, op. cit., pp. 222 et 532.

71 Ainsi que l’interprète Hoquet (Thierry), Buffon…, op. cit., p. 29, pour qui Buffon « considère la génération spontanée ou la présence de liqueurs séminales dans les matrices de femelles non fécondées comme des faits ».

72 Malesherbes (Chrétien-Guillaume de Lamoignon), Observations sur l’histoire naturelle générale et particulière de Buffon et Daubenton, Paris : Pougens, 2 tomes, An VI [1798], t. ii, p. 204. Le manuscrit, rédigé en 1749-1750, contient de fortes critiques à l’autoritarisme de Buffon et est resté non publié jusqu’à la Révolution.

73 Loveland (Jeff), Rhetoric and natural history…, op. cit., p. 51, et p. 184, cite ici l’introduction au Génie de Buffon, de Jean-L. Ferri de Saint-Constant (1778). Les guillemets anglais circonscrivent la citation de Ferri de Saint-Constant.

74 Ainsi est-il de moins en moins newtonien, selon Tirard (Stéphane), « Générations spontanées », in Corsi (Pietro), Gayon (Jean), Gohau (Gabriel) & Tirard (Stéphane) (sous la dir.), Lamarck Philosophe de la nature, Paris : PUF, 2006, pp. 65-104, pp. 73-74, qui cite ici un texte de Jacques Roger.

75 Roger (Jacques), Les sciences de la vie…, op. cit., p. 691.

76 Joseph (Gilbert), Buffon…, op. cit., p. 242.

77 À propos des moyens d’augmenter la force des bois, lors de la séance du 23 décembre 1738, « Parvenu aux mêmes résultats, Duhamel du Monceau fut surpris et frustré par la déclaration impromptue de Buffon, et par le fait que celui-ci ne mentionnât même pas son nom, se prévalant seul de conclusions que tous deux avaient formulées », Joseph (Gilbert), Buffon…, op. cit., p. 85.

78 Malesherbes (Chrétien-Guillaume de Lamoignon), Observations sur l’histoire naturelle…, op. cit., t. i, p. 268, démonte la stratégie buffonienne consistant, à propos de la théorie de Telliamed (Benoît de Maillet (1656-1738)), à y ajouter un détail pour s’en attribuer le tout : « une vraisemblance ajoutée, n’est point un titre suffisant pour s’approprier un systême général » ; et « je ne conçois pas ce qui a pu engager M. de Buffon à en parler comme de son ouvrage, et à dire ma théorie », ibid., vol. i, p. 225. Voir les belles analyses de Loveland (Jeff), Rhetoric and natural history…, op. cit., qui déconstruit les stratégies rhétoriques de Buffon.

79 Les collections d’oiseaux empaillés de Réaumur, qui servirent à la rédaction de l’Histoire naturelle des oiseaux, avec Philippe Guéneau de Montbeillard (1720-1785) furent entièrement saisies par Buffon, qui obtint pour cela une ordonnance royale du 2 janvier 1758. Cf. Terrall (Mary), Catching Nature…, op. cit., p. 199.

80 À propos des trois théories relatives aux animaux, « on dirait que M. de B., considérant qu’il ne pouvait se déclarer, a imaginé de prendre un peu de chacune, de dire avec tout le monde que les bêtes sentent, avec les scolastiques qu’elles ne pensent pas, et avec les cartésiens que leurs actions s’opèrent par des lois purement mécaniques ». Condillac est ici cité par Fontenay (Elizabeth), Le silence des bêtes. La philosophie à l’épreuve de l’animalité, Paris : Fayard, 1998, p. 409.

81 D’après Condillac, « il ne balance point à donner pour neufs les principes les plus rebattus », cité par Fontenay (Elizabeth), Le silence des bêtes…, op. cit., p. 410.

82 Fontenay (Elizabeth), Le silence des bêtes…, op. cit., p. 406. Voir aussi, sur les réactions de Réaumur à l’Académie, Terrall (Mary), Catching Nature…, op. cit, pp. 195-196.

83 Loveland (Jeff), Rhetoric and natural history…, op. cit., p. 10.

84 Ibid., p. 63.

85 Roger (Jacques), Les sciences de la vie…, op. cit., p. 749.

86 Ce sont des manuscrits de Réaumur, Brisson, Adanson, Lignac reproduisant des observations microscopiques sur les animalcules, entre 1751 et 1757. Cf. AASP, DB Réaumur, Carton III.

87 Joblot (Louis), Observations d’histoire naturelle faites avec le microscope, Paris : Briasson, 1754-1755, 2 tomes. Il s’agit d’une réédition augmentée de l’ouvrage de Joblot (Louis), Descriptions et usages de plusieurs nouveaux microscopes, tant simples que composez, Paris : Collombat, 1718, 2 parties, 78 + 96 p., avec des additions citant favorablement Réaumur. Anonyme, « La génération des puces, selon la découverte de Mr Hyacinthe Cestone », Journal Œconomique, février 1753, pp. 168-169.

88 Nollet (Jean-Antoine), Leçons de physique expérimentale, Paris : Guérin, 1743-1764, 6 tomes, t. i, 1743, pp. 56-64.

89 Malesherbes (Chrétien-Guillaume de Lamoignon), Observations sur l’histoire naturelle…, op. cit.

90 Anonyme, « Observations touchant la nature et l’origine de la nielle dans le froment, le seigle, et les autres grains », Journal Œconomique, décembre 1751, pp. 68-72 ; Lignac (Joseph Adrien Lelarge de), Lettres à un Amériquain sur l’histoire naturelle, générale et particuliere de monsieur de Buffon, Hambourg : [s. n.], 1751, 5 vol. ; Anonyme, « Essai sur l’origine des insectes », Journal Œconomique, mars 1752, pp. 18-25, p. 22. Sur ces différents comptes-rendus de Needham et de Buffon, voir Roe (Shirley), « John Turberville Needham… », art. cit., pp. 177-178 ; sur l’anonymat autour du milieu du xviiie siècle, voir Terrall (Mary), « The uses of anonymity in the age of reason », in Biagioli (Mario) & Galison (Peter) (sous la dir.), Scientific Authorship, op. cit., pp. 91-112 ; et Ratcliff (Marc J.), « Clandestinité, autorité et expérimentalisme. Styles et querelles de la génération spontanée de Trévoux (1735) à Réaumur (1757) », Medicina nei Secoli, t. xv, 2003, pp. 319-348, pp. 331-334.

91 Nollet-Jallabert, Réaumur-Bonnet, Réaumur-Trembley. En mai 1752 et février 1756, Réaumur envoie à Séguier puis à Haller les Lettres à un amériquain de Lignac qui contiennent critiques et réfutations des travaux de Buffon et de Needham. Cf. Réaumur (Antoine Ferchault de), Lettres inédites, La Rochelle : Mareschal, 1886, pp. 92, 95, 163.

92 Anonyme, « Lucina sine concubitu [de John Hill] », Bibliothèque Raisonnée, t. xlvi (1), 1751, pp. 153-163, p. 156.

93 Haller (Albrecht von), Réflexions sur le système de la génération, de M. de Buffon, Genève : chez Barrillot & Fils, 1751, 67 p.

94 Buffon (Georges Leclerc de), Histoire naturelle, supplément, Paris : Imprimerie royale, 1774-1789, 7 tomes, t. iv, 1777, p. 338.

95 Canguilhem (Georges), La connaissance de la Vie…, op. cit., p. 57.

96 Anonyme [Ray (Placard)], « Observations sur la liqueur séminale », Observations sur la physique, juin 1784, pp. 437-443.

97 Selon la lettre de Ray à Spallanzani, Paris, du 20 juin 1785, in CSp., vol. vii, p. 47.

98 Hill (John), Essays in natural History and Philosophy, containing a Series of Discoveries by the Assistance of Microscopes, London : Whiston, 1752, 415 p. ; Baker (Henry), Employment for the Microscope, London : Dodsley, 1753, 442 p. ; Ellis (John), An Essay towards a natural History of the Corallines, London : The Author, 1755, 103 p. ; Wright (Edward), « Microscopical Observations », Philosophical Transactions, vol. il, 1756, pp. 553-558.

99 Ledermüller (Martin Frobenius), Physicalische Beobachtungen derer Saamenthiergens, Nürnberg : Monath, 1756, 28 p.

100 Sur la tradition de microscopie en Hollande depuis la seconde partie du xviiie siècle, voir Fournier (Marian), The Fabric of Life…, op. cit., pp. 82-97, 113-134, ainsi que Ruestow (Edward), The Microscope in the Dutch Republic, op. cit. Sur Lyonet, cf. Hublard (Émile), Le naturaliste hollandais Pierre Lyonet…, op. cit. ; Van Seters (Wouters H.), Pierre Lyonnet…, op. cit.

101 Cf. Ratcliff (Marc J.), L’effet Trembley…, op. cit., pp. 5-10.

102 L’envoi des livres de Trembley et Bonnet à Séguier à Vérone se fait en juillet 1746, d’après Réaumur (Antoine Ferchault de), Lettres inédites…, op. cit., p. 48.

103 Ce père de l’ordre des Somasques est intéressé à la physique et fabrique dès 1751 des lentilles sphériques de petit diamètre au pouvoir grossissant de plus de 1 000 x, mais qui génèrent des déformations optiques. Il collabore pour des observations microscopiques avec des savants napolitains (Saverio Macrì, Domenico Cirillo, Filippo Cavolini) et étrangers, notamment avec Needham en 1762. Les observations sur les cellules sanguines de della Torre, qui y identifiait six saccules, furent à l’origine d’une controverse à laquelle participa notamment le pharmacien John Hill. Elles ont donné lieu aux travaux de William Hewson, qui publie au cours des années 1770 des études systématiques sur les hématies chez une série d’animaux, où il réfute le modèle de della Torre, également défendu par John Hill. Cf. aux pp. 456-460 du présent ouvrage.

104 Cuvier (Georges), « Éloges historiques de Bonnet et H. B. de Saussure », Recueil des éloges historiques lus dans les séances publiques de l’Institut Royal de France, Strasbourg : Levrault, 1819, 2 tomes, t. i, pp. 383-430 et pp. 410-411. Voir aussi Bungener (Patrick), « Les rapports d’Horace-Bénédict de Saussure avec la botanique », in Sigrist (René) & Candaux (Jean-Daniel) (sous la dir.), H.-B. de Saussure, op. cit., pp. 33-49, pp. 39-40.

105 Saussure (Horace-Bénédict de), Observations sur l’écorce des feuilles et des pétales, Genève : [s. n.], 1762, p. 49.

106 Ibid., pp. 50-53.

107 Ibid., p. 56.

108 Ibid., p. 57.

109 Ibid., pp. 20-21.

110 Voir Schickore (Jutta), The Microscope and the Eye, op. cit., pp. 114-120.

111 Lettre de Senebier à Spallanzani, Genève, du 13 septembre 1777, in CSp., vol. viii, p. 62.

112 Pelisson (Jakob Philip), « Vergleichung der bekanntesten und besten Vergrößerungsgläser », Beschäftigung der Berlinischen Gesellschaft Naturforschender Freunden, t. i, 1775, pp. 332-350, p. 337 parle du micromètre perfectionné de Ring contenant 3 600 carrés d’1/10e de ligne (0.2 mm de côté) ; cf. aussi Beseke (Johann Melchior Gottlieb), « Ueber die Vergleichung einiger zusammengesetzten Mikroskope », Schriften der Berlinischen Gesellschaft Naturforschender Freunden, t. viii, 1787, pp. 117-128, p. 126.

113 Withof (Johann Lorenz), « Anatomie des menschlichen Haares », Hamburgisches Magazin, t. xiii, 1754, pp. 170-196, pp. 187-189. Cf. Ratcliff (Marc J.), The Quest…, op. cit., pp. 156-159.

114 Saussure (Horace-Bénédict de), Observations sur l’écorce des feuilles…, op. cit., pp. 35-36.

115 Comme le met en évidence Schickore (Jutta), The Microscope and the Eye, op. cit., pp. 40-67 à propos des discussions relatives aux illusions d’optique chez Alexander Monro et Felice Fontana.

116 Saussure (Horace-Bénédict de), Observations sur l’écorce des feuilles…, op. cit., p. 95.

117 Ibid., pp. xvij-xviij.

118 200 ans plus tard, lors de l’arrivée du microscope électronique, cette technique a été labellisée comme seconde règle d’Anderson, voir Rasmussen (Nicolas), Picture control. The Electron Microscope and the Transformation of Biology in America, 1940-1960, Stanford CA : Stanford University Press, 1997, p. 240.

119 Lettre de Bonnet à Haller, Genève, du 2 février 1762, in CHB, pp. 253-254 : « Je préférerois de bonnes Loupes pour observer le Poulet dans l’Œuf. Je les ajusterois sur mon Nez en guise de Lunette, et je jouirois de l’usage de mes deux mains. C’est de cette manière que je disséquois quelquefois ».

120 Bonnet (Charles), « Dissertation sur le Ver nommé en latin Taenia », Mémoires de mathématique et de physique, présentés à l’Académie royale des sciences, par divers savans, t. i, 1750, pp. 478-529, p. 497 : « le microscope étoit simple, et avoit ¾ de ligne de foyer », ce qui correspond approximativement à un agrandissement de 128 x.

121 AASP, Fonds Réaumur 69J, DB Bazin : lettre de Bazin à Réaumur, Strasbourg, du 12 juillet 1737 : « Vous me ferez un très grand plaisir, Monsieur, de me pourvoir aussi d’un microscope en lunette, tel que celui dont vous vous servez ».

122 Bonnet (Charles), Contemplation de la nature, in Bonnet (Charles), Œuvres d’histoire naturelle et de philosophie, Neuchâtel : Fauche, 1779-1783, édition in-octavo, 18 tomes, t. viii, 1781, p. 260, note ajoutée à la Contemplation.

123 Sur le microscope solaire et les images qu’il produit, cf. Heering (Peter), « The Enlightened Microscope : Reenactment and Analysis of Projections with Eighteenth-Century Solar Microscopes », The British Journal for the History of Science, 2008, vol. xxxxi, pp. 345-367.

124 Par les apports successifs de Guyénot (Émile), Les sciences de la vie aux xviie et xviiie siècles : l’idée d’évolution, Paris : Albin Michel, 1941, pp. 220-229 ; Rostand (Jean), Les origines de la biologie expérimentale et l’abbé Spallanzani, Paris : Fasquelle, 1951, 284 p. ; Roger (Jacques), Les sciences de la vie…, op. cit., pp. 497-519, 692-761 ; Castellani (Carlo), « L’origine degli infusori nella polemica Needham-Spallanzani-Bonnet, con alcuni documenti inediti », Episteme, t. iii, 1969, pp. 214-241 ; Roe (Shirley), « John Turberville Needham… », art. cit. ; Bernardi (Walter), Le metafisiche dell’embrione : scienza della vita e filosofia da Malpighi a Spallanzani, 1672-1793, Firenze : Olschki, 1986, pp. 399-410 ; Mazzolini (Renato G.) & Roe (Shirley), Science against the Unbelievers, op. cit., pp. 27-52 ; Contardi (Simone), La rivincita dei « filosofidi carta ». Saggio sulla filosofia naturale di Antonio Vallisneri junior, Firenze : Olschki, 1996, pp. 41-85 ; Pinto-Correia (Clara), The Ovary of Eve : Egg and Sperm and Preformation, Chicago : University of Chicago Press, 1997, pp. 186-199 ; Castellani (Carlo), Un itinerario culturale : Lazzaro Spallanzani, Firenze : Olschki, 2001, pp. 21-84 ; Monti (Maria Teresa), Spallanzani e le rigenerazioni animali…, op. cit. ; Ferrucci (Maria), « “La mano ristette”… », art. cit. ; Ferrucci (Maria), Percorsi formativi e itinerari di ricerca in Lazzaro Spallanzani, dissertation doctorale, Università di Firenze, 2007 et Monti (Maria Teresa), Bonaventura Corti…, op. cit.

125 Dawson (Virginia P.), Nature’s Enigma…, op. cit., p. 183 ; cf. la lettre de Réaumur à Bonnet du 10 décembre 1751, BGE, Ms Bo 26, lettre 62, citée in CRT, pp. 362-363. Voir aussi Terrall (Mary), Catching Nature…, op. cit., pp. 196-197.

126 Marx (Jacques), Charles Bonnet…, op. cit., t. i, pp. 340-341.

127 Bonnet (Charles), Considérations sur les corps organisés, Amsterdam : Rey, 1762, 2 tomes, t. i, p. 117.

128 Ibid., t. i, p. 174.

129 Ibid., t. i, p. 174.

130 Ibid., t. i, pp. 174-175.

131 Ibid., t. ii, pp. 207-208.

132 Ibid., t. ii, p. 208.

133 Ibid., t. ii, p. 210.

134 Ibid., t. ii, p. 212.

135 Ibid., t. ii, p. 212.

136 Lettre de Bonnet à Needham, Genève, du 31 décembre 1761, in CBN, p. 211.

137 Lettre de Needham à Bonnet, Rome, du 13 février 1762, in CBN, p. 214.

138 Mazzolini (Renato G.) & Roe (Shirley), Science against the Unbelievers, op. cit., pp. 32-33.

139 Bonnet (Charles), Considérations…, op. cit., t. ii, p. 226.

140 Contardi (Simone), La rivincita dei « filosofidi carta »…, op. cit., pp. 58-70 ; Ferrucci (Maria), Percorsi formativi…, op. cit., pp. 35-51.

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