La question religieuse dans la première archéologie préhistorique 1859-1904
p. 278-313
Texte intégral
Si ces maudits silex dans le sein de la terre
pouvaient être engloutis comme un fâcheux poison
Mais hélas il n’est pas un seul propriétaire
Qui dans son potager n’en rencontre à foison.
Chacun, quand il lui plaît, vient en toute licence
Discourir sur le lœss, le limon et consorts,
Sur les silex taillés et la vieille faïence,
Devant de vrais savants, dignes de meilleurs sorts.
Celui-ci, sur un os, a cru voir une trace
Qui d’un outil tranchant est le signe certain
Cet autre vous soutient que le Mammouth vorace
A vu le premier homme et mangé dans sa main.
Certes je sais fort bien qu’il n’est pas inutile
De jeter quelque jour sur ces points ténébreux,
De rechercher si l’homme est ou n’est pas fossile,
Et si le renne agile a traîné nos aïeux.
Mais, devant un sujet d’aussi grande importance,
Il faudrait que chacun se laissât pénétrer
D’un très vif sentiment de son insuffisance
Et réfléchît sept fois avant que d’y entrer.1
1Publié l’année de création des premiers congrès internationaux de préhistoire en 18672, ce poème du géologue catholique Albert de Lapparent (1839-1908) synthétise en quelques rimes les principaux motifs d’une méfiance qui s’attache à l’archéologie préhistorique dès ses premières années de construction, limitant de fait sa sphère de diffusion. Affleurant dans les vers de Lapparent, les questions religieuses constituent une toile de fond avec laquelle chaque préhistorien doit composer, jusqu’à la pleine reconnaissance institutionnelle de la préhistoire entre la fin du xixe et le début du xxe siècle. La portée de ces questions s’apprécie lorsque les préhistoriens choisissent leur vocabulaire et leurs hypothèses de travail, lorsqu’ils les défendent ou attaquent celles des autres, lorsqu’ils souhaitent acquérir pour la discipline une reconnaissance au sein des milieux scientifiques ou auprès du grand public, lorsqu’ils cherchent des débouchés institutionnels, des collaborateurs ou des éditeurs. L’aspect parfois implicite des références à ces questions nous invite à croiser les sources – articles, comptes rendus de travaux, archives personnelles et écrits non scientifiques, comme le poème reproduit ci-dessus.
Les raisons de la défiance qui s’attache à la préhistoire (l’exemple d’Albert de Lapparent)
2Certes le cercle des scientifiques gravitant autour de la Société d’anthropologie de Paris se rallie rapidement après 1859 au nouveau champ disciplinaire que représente la préhistoire, mais certaines institutions – comme l’Académie des Sciences ou l’École des Mines – conservent une attitude réfractaire. Lié à cette dernière3, Lapparent quitte le Service de la Carte géologique de France en 1875 pour participer à la fondation de l’Institut Catholique de Paris, prenant à sa charge la création d’un département de géologie et de minéralogie4. Guidé par un souci apologétique, cet ancrage institutionnel se révèle modeste au regard de l’importante assise qu’il acquiert dans le monde scientifique à la suite de la publication de son Traité de géologie5, diffusé et traduit dans le monde entier après 1882. Incarnant aux yeux de Marcellin Boule (1861-1942) une « noble figure de savant » au « caractère indépendant »6 – peu d’éléments laissent présumer dans son ouvrage que l’auteur du Traité de géologie est catholique7 – Lapparent défend la séparation des domaines scientifiques et religieux tout en s’attachant à relativiser l’ampleur de l’ancienneté de l’homme tout au long de sa carrière. Considérant que les chronologies proposées par certains préhistoriens sont exagérées, il s’attache régulièrement à démonter les extrapolations de ce qu’il nomme la « science incrédule », dont le « Bathybius » protoplasme à l’origine de la vie que pense avoir découvert Thomas Henry Huxley (1825-1895)8.
3Dans le poème qu’il écrit en 1867, le ressort religieux est implicitement présent lorsqu’il décrit l’archéologie préhistorique comme un « fâcheux poison » qui permettrait de discourir « en toute licence ». Lorsqu’il considère que cette science s’attache aux « points ténébreux », Lapparent met en défaut sa légitimité. Le jeune géologue regarde en effet la préhistoire comme une science obscure, peu crédible scientifiquement – ses tenants croyant voir « des traces », et tranchant ainsi avec les « vrais savants, dignes de meilleurs sorts ». L’orgueil de ses représentants, pouvant faire écho à la dénonciation de l’ubris dans la culture grecque et la Bible, est mis en exergue lorsqu’il souhaite que les préhistoriens prennent conscience du « vif sentiment » de l’« insuffisance » de la préhistoire. Aucune piste n’est donnée sur les éléments qui pourraient rendre cette science suffisante, mais nous retrouvons ici une critique récurrente dans la littérature apologétique : la prise d’autonomie amorcée à la suite de la géologie par ce domaine de recherche engage un effritement dommageable des liens entre « traditions historiques »9 et récit chrétien des origines. Les références au « poison » ou à la suffisance des préhistoriens sont suffisamment claires pour être comprises par les contemporains. Lapparent relaye ici la crainte d’une dépossession : il s’agit de circonscrire la science dans des limites bien précises et s’interdire certains sujets relevant du domaine réservé des théologiens. Le marquis Jean-François-Albert du Pouget de Nadaillac (1818-1904)10 s’en fait plus tard également l’écho : « Si je suis un admirateur passionné de la science, du progrès par la science, je ne saurais méconnaître son impuissance, alors qu’elle veut aborder les grands problèmes de la nature et de la vie. »11
4La préhistoire se trouve de fait mêlée à des problématiques liées d’une part à la laïcité12, et d’autre part à la sécularisation13. Comme dans d’autres groupes sociaux, le rapport au religieux constitue une pomme de discorde au sein des savants ou des amateurs préhistoriens. Le fait que certains préhistoriens, comme Gabriel de Mortillet (1821-1898), développent une lecture matérialiste14 des origines, renforce les crispations. S’affirmant graduellement comme savoir indépendant, la préhistoire s’autonomise d’un arrière-plan religieux encore marqué à l’époque de Jacques Boucher de Perthes (1788-1868), et incarne une des manifestations d’un processus de sécularisation touchant l’ensemble de la société française de la fin du xixe siècle. En s’inscrivant à l’amont des frises chronologiques, cette « science de vieux os brisés et de cailloux éclatés »15 perturbe une histoire et une chronologie bien installée16.
5La défiance qu’attache Lapparent à la préhistoire est tenace puisque quarante ans plus tard, lorsque l’abbé Henri Breuil (1877-1961) et le professeur Boule démontrent la qualité non anthropique des éolithes tertiaires, pierres fracturées sous l’action de causes naturelles dont la taille avait été jugée intentionnelle, le géologue renouvelle encore une fois dans la revue catholique Le Correspondant ses mises en garde, évoquant encore la légèreté de la discipline : « Si l’on pardonne à l’humanité, en raison de la vieillesse de ses annales, d’en vouloir entourer l’origine de quelques appareils fabuleux, il peut sembler étrange que le même privilège soit aujourd’hui réclamé par la préhistoire, comme si, de sa nature propre, celle-ci n’était pas suffisamment voisine de la légende ; comme si d’autre part, sa jeunesse même ne devait pas la préserver encore de ce genre d’ambitions. »17 Le préhistorien Émile Cartailhac (1845-1921) s’agace dans des termes assez vifs de cette nouvelle mise en suspicion18.
Soutiens précoces de catholiques à la discipline
6Évoquons cependant, outre la frilosité de Lapparent, la participation de catholiques à la reconnaissance de la discipline et l’intrication dans les textes du « père fondateur » de la préhistoire, Boucher de Perthes, des notions d’archéologie et de métaphysique, notamment dans De la création19. Boucher de Perthes n’est pas le seul. Ainsi, l’abbé Louis Bourgeois (1818-1878), qui présente ses travaux sur les silex tertiaires de Thenay au Congrès archéologique de France en 1873, ne voit aucune difficulté à mêler à sa communication des considérations religieuses : « Ne serait pas ici le lieu de se demander si les faits étranges que je viens de signaler peuvent se concilier avec l’enseignement religieux ? »20 Le docteur Henri Thulié (1832-1916), membre fondateur de la Société d’autopsie mutuelle, vénérable de la loge « Le Matérialisme scientifique (à l’Orient de Paris) »21, directeur de l’École d’Anthropologie de Paris, ironisera en 1905 sur l’appartenance religieuse de Boucher de Perthes et de l’abbé Bourgeois : « Par une ironie de la science, c’est en cherchant l’homme d’avant le déluge que Boucher de Perthes a trouvé l’homme quaternaire, et ce sont deux abbés, Bourgeois avec les silex de Thenay et Delaunay avec les os incisés des faluns de Pouancé qui ont ouvert le débat ayant finalement établi l’inanité des contes enfantins des traditions religieuses. »22
7Effectivement, Bourgeois, directeur de l’école de Pont-Levoy (Loir-et-Cher), il est le premier archéologue à évoquer la possibilité d’une existence de l’homme dès l’époque tertiaire, apportant du crédit et poussant encore plus loin les thèses de Boucher de Perthes. Ses recherches impliquent le fait de vieillir considérablement l’humanité et face aux objections qui pourraient lui être formulées à l’issue du congrès, il prend ses précautions en soulignant que la chronologie qu’il propose et la Genèse ne peuvent s’opposer. Il ajoute que l’Église a accepté d’abandonner la création du monde en six jours pour l’hypothèse des jours périodes (l’hypothèse des « jours époques » ou « jours périodes » voulant que chaque journée de la Création corresponde à environ mille ans23), et qu’elle se ralliera sans doute prochainement aux chronologies plus anciennes des scientifiques.24
8Mortillet se montre offensif vis-à-vis de ce qu’il nomme la « science officielle », a priori hostile à la préhistoire25. Cartailhac relativise cette prétendue opposition en 1892 lorsqu’il rédige une notice sur son maître Armand de Quatrefages (1810-1892)26. Il soutient à l’inverse que la « science officielle » est plutôt venue à l’appui de Boucher de Perthes, citant Henry Milne-Edwards (1800-1885), Édouard Lartet (1801-1871) et Albert Gaudry (1827-1908), le Muséum national d’histoire naturelle. Une certaine réserve était justifiée de la part de personnes qui, au sommet des échelons académiques, ont « charges d’âmes » : « La science dite officielle est souvent suspecte d’hostilité aux idées nouvelles. On oublie vraiment la responsabilité plus grande qui est son partage. Ses représentants sont arrivés aux fonctions élevées après avoir franchi toutes les étapes, et ils ont une longue expérience. Ils ont vu démentir tant de faits d’abord soutenus avec une apparence de raison ! Ils ont vu le sort de maints systèmes prônés et abandonnés tour à tour ! Ils voudront désormais se mettre en garde contre de telles erreurs. Avant de donner leur adhésion, ils réclameront des preuves capables d’entraîner l’assentiment général. Dans un monde qui voit superficiellement toutes choses on les appelle rétrogrades, parce qu’ils ne s’arrogent pas le droit d’égarer après eux la foule qui leur demande la vérité ; car ils ne sont plus seuls, et ils ont, en vérité, charge d’âmes. »27. En effet au nombre des soutiens décisifs apportés à Boucher de Perthes figure en bonne place le paléontologue catholique Gaudry, professeur de paléontologie à la Sorbonne de 1868 à 1871 puis au Muséum national d’histoire naturelle (1872-1902). En 1859, il opère une fouille à Saint-Acheul pour se faire son propre avis, et appuie les thèses de Boucher de Perthes28. Quatrefages quant à lui se défend d’avoir été arrêté par des « préjugés d’école29 », il admet avoir été convaincu de la coexistence de l’homme et des grands mammifères éteints au moment de la découverte par Lartet de l’homme d’Aurignac en 186130. Boucher de Perthes bénéficie également du soutien de l’abbé Jean-Benoît Cochet (1812-1875), Inspecteur des Monuments Historiques pour le département de la Seine-Inférieure en 1849 puis Conservateur du Musée des antiquités de Rouen31. Suite à la visite des géologues britanniques sur les sites de fouilles de Boucher de Perthes dans la Somme, l’abbé Cochet est à son tour envoyé à Saint Acheul pour pratiquer des fouilles financées par le préfet de la Seine. Dans un rapport diffusé à 500 exemplaires qu’il rend public en 1860, il appuie de son autorité d’archéologue l’assurance que les silex ont bien été trouvés en place32 et taillés intentionnellement : « Ce que je puis assurer, c’est que les hachettes s’y trouvent bien réellement. J’en ai vu une sortir de terre sous nos yeux, amenée par la pioche d’un ouvrier. Elle venait d’un terrain qui n’avait jamais bougé depuis sa formation par l’eau. Cette hachette n’était pas entière il est vrai ; mais, en pareil cas, un fragment vaut un entier, et un entier en vaut mille. (…) Les 30 et 31 octobre 1860, j’ai recueilli le fruit de deux journées du travail de six à huit personnes et j’ai emporté douze hachettes. »33
Préhistoire et réprobation sociale
9Depuis l’instauration du régime pluraliste des cultes en 1802, le droit d’être indifférent en matière religieuse est reconnu. Une certaine réprobation sociale peut cependant sanctionner ceux qui négligent leurs « devoirs » religieux. Mêmes quand ils sont catholiques ou ecclésiastiques, les préhistoriens ne sont pas à l’abri de voir leurs personnes ou leurs travaux soumis à de sévères jugements. Malgré parfois moult précautions de leur part, les études préhistoriques se voient liées avec l’hypothèse de l’ascendance simienne de l’homme qui révulse nombre de catholiques pour des raisons morales. Attitude qu’exprime assez clairement l’abbé Pierre-Julien Hamard (1847-1918), oratorien et apologiste concordiste34 : « Si l’homme s’est fait lui-même, si l’action créatrice n’a aucune part dans sa formation, s’il n’est qu’un singe perfectionné, il a sans doute aussi la destinée du singe, destinée toute matérielle qui ne s’étend pas au-delà de la vie présente ; et s’il en est ainsi, si l’immortalité de l’âme est un vain mot, la notion du bien et du mal, du juste et de l’injuste, un joug arbitrairement imposé à l’homme par la crédulité des âges passés, s’il n’y a nulle sanction à nos actes, nulle récompense à espérer, nul châtiment à craindre, que devient la loi morale ? »35
10Les chercheurs engagés sur le terrain des recherches en préhistoire semblent se désolidariser des dogmes en défendant les idées « modernes », telles que décrites en partie par le Syllabus en 1864. Le paléontologue Boule souligne l’audace de Paul de Vibraye (1809-1878) lorsqu’il apporte son soutien à Boucher de Perthes au sujet de la mâchoire de Moulin Quignon en 1863 : « Appartenant au parti le plus conservateur, [il apporte] son adhésion à “l’homme fossile”. En ce temps-là, c’était un acte de courage »36. Les conséquences de tels engagements semblent parfois craints au point que certaines sociétés savantes, comme la Société Polymathique du Morbihan, comptent peu de travaux liés à ce nouveau champ de recherche, leurs membres se limitant à l’étude des périodes plus récentes de l’âge du fer ou du bronze.37
11En 1876, le préhistorien et juge de paix Édouard Piette (1827-1906)38 souhaite verser sa collection préhistorique à la Commission Archéologique de la ville de Reims qui la refuse. Mortillet a vent de l’affaire et publie plusieurs articles dans le journal Le xixe siècle qui attribuent ce refus à l’archevêque de Reims. Piette, contrarié par le fait que « les journaux s’occupent de l’affaire » souhaite écarter l’archevêque de la polémique et adresse ses reproches à Mortillet : « Si vous m’aviez prévenu, je vous aurais prié de ne rien publier relativement à l’exclusion dont ma collection préhistorique a été l’objet. J’ai un éloignement instinctif pour toutes les discussions publiques, surtout pour celles qui touchent à la religion ou à la politique. » Soumis au bon vouloir de sa hiérarchie quant au maintien de son poste de magistrat, il lui rappelle que sa fonction l’oblige à « vivre en bons rapports avec le clergé […] je ne puis donc pas vous suivre dans vos attaques contre l’archevêque. »39
12De même, lorsque les préhistoriens font part de leurs difficultés à accéder à des postes académiques, ils évoquent parfois une hostilité à leur encontre d’ordre idéologique de la part des catholiques. En 1885, Cartailhac essaye de pérenniser les cours libres qu’il donne à l’université de Toulouse, mais il redoute de ne pas pouvoir réunir la majorité nécessaire au conseil de l’université, voire de devoir les annuler. Il explique son probable échec par le fait que ses collègues de l’université n’ont « aucune sympathie pour l’anthropologie », que le Doyen « prend un abbé pour précepteur de ses enfants » et que les « nouveaux professeurs sont presque tous des catholiques résolus. »40 De la même manière, lorsque Mortillet lance en 1896 (au moment où se précise la construction du Monument Lamarck) une enquête afin de recenser les noms et les adresses des « transformistes » – sans doute afin de connaître l’état des forces et d’en faire la publicité –, il contacte ses relais locaux, par exemple l’artiste et archéologue Léon Coutil (1856-1943), fondateur de la Société normande d’études préhistoriques. Celui-ci exprime assez précisément les difficultés qui peuvent découler du fait d’avancer à découvert sur des questions liées à l’évolutionnisme, et témoigne des mécanismes qui peuvent être à l’origine de l’abandon dont font parfois l’objet les études sur le paléolithique : « Nous traitons rarement des questions aussi élevées et ardues que celles du transformisme. J’avoue pour ma part l’avoir à peine effleurée car elle entraîne des études fort compliquées. Un de nos collègues de Rouen, Gadeau de Kerville41 a fait plusieurs conférences sur ce sujet ; conférences qui ont fait un certain tapage, car immédiatement on a fait intervenir la religion dans cette question. Toutes les bonnes dames prosélytes venaient trouver la mère de notre ami en la priant de faire tous ses efforts pour essayer de ramener “cette brebis égarée”. Lorsque je parle dans le monde de mon ami Gadeau, immédiatement, les dames me disent que c’est un garçon “dangereux” ! Les premières fois, j’ai été surpris, mais lorsque cela se répète, on est agacé de voir l’obstination que mettent certains. »42
Préhistorien et catholique : Adrien Arcelin
13L’exemple d’Adrien Arcelin (1838-1904) permet de constater la variété des niveaux sur lesquels la question religieuse peut intervenir dans la carrière d’un préhistorien de la fin du xixe siècle, à plus forte raison lorsqu’il est catholique. Il doit en effet dans un premier temps établir une pratique de l’archéologie préhistorique qui le satisfasse du point de vue de sa foi. Afin de garantir la diffusion et la reconnaissance de ses travaux, il doit entretenir des relations avec des préhistoriens dont les idées sur les questions religieuses sont parfois diamétralement opposées. Si ceux-ci peuvent parfois l’attaquer par ce biais-là, il doit également faire face à des catholiques hostiles à son domaine de recherche. Tout ceci constitue un écheveau de contraintes qui guident une part importante de ses pratiques.
14Les fouilles du Crot-du-Charnier débutent en 1866, sous sa direction. Jeune docteur en histoire de l’École des Chartes, il a soutenu en 1864 une thèse sur les institutions parlementaires de Charlemagne, pour occuper ensuite les fonctions d’archiviste-paléographe. Nommé à la direction des archives du département de la Haute-Marne, il gère également le domaine viticole familial et relève la présence d’ossements fossiles et d’outils en silex dans les vignes au pied de la roche de Solutré. Avec un voisin passionné de géologie, Henry Testot-Ferry (1826-1869), ils entament de 1866 à 1870 des recherches qui révèlent un gisement d’une grande richesse archéologique. Un ouvrage de synthèse régionale, Le Mâconnais préhistorique, est publié et Mortillet choisit en 1869 Solutré comme site éponyme de sa dernière « époque » de l’âge de Pierre, assurant jusqu’à maintenant le renom du site. La première partie de sa carrière de chercheur se fait sous l’égide du ministère de l’Instruction publique. En mission archéologique en Égypte et en Syrie entre 1868 et 1869, il doit établir une étude comparative des limons du Nil et de la Saône. Il expose ses travaux à Paris, en collaborant à la carte géologique de France à partir de 1869, puis à la Société d’anthropologie de Paris. Son ancrage institutionnel demeure cependant en Saône-et-Loire, en 1876, il est nommé conservateur des collections d’archéologie et d’histoire de la ville de Mâcon et participe activement à la principale société savante de la ville, l’Académie de Mâcon, dont il devient deux fois le président et Secrétaire perpétuel. Cartailhac, qualifie l’ensemble de ses travaux concernant la préhistoire d’« ingénieux, clairs et prudents. »43
15Les engagements d’Arcelin pour la reconnaissance de la préhistoire et la défense de la foi catholique sont intimement mêlés. Il se montre soucieux de vérifier l’orthodoxie de ses hypothèses, correspondant à cet effet avec un professeur de la Faculté de Théologie de Lyon. Ses travaux sont principalement publiés dans des revues catholiques : à partir des années 1870, il écrit dans Le Correspondant44 et la Revue des questions scientifiques de Louvain, fondée par un jésuite, le mathématicien Ignatius Carbonnelle (1829-1889). Il participe également aux Congrès scientifiques internationaux des catholiques (1888, 1891, 1894) créés à l’initiative de Monseigneur Maurice Le Sage d’Haute roche d’Hulst (1841-1896) et de Lapparent. Publier dans des revues catholiques lui offre la possibilité d’inclure à ces travaux des réflexions religieuses. Il agit de même lorsqu’il utilise le registre de la fiction. Il rédige en effet en 1872 sous le pseudonyme Adrien Cranile un ouvrage de fiction, Solutré ou les chasseurs de rennes de la France centrale45, dans lequel il exprime par le récit du locuteur son regard catholique sur la préhistoire. À la faveur d’une remontée surnaturelle dans le temps, le locuteur et son collaborateur médecin46 se trouvent projetés dans la préhistoire et assistent à des scènes de chasse, observent la vie quotidienne des hommes préhistoriques, les rites et funérailles. Les questions qui en préhistoire achoppent sur des thèmes liés aux questions religieuses sont nombreuses à la fin du xixe siècle : l’art, les sépultures, la chronologie, l’ancienneté de l’homme… Prenons l’exemple de ces deux dernières, et de leur traitement dans cet ouvrage. Le locuteur insiste sur le fait qu’« on ne peut plus en douter, l’homme est plus vieux qu’on ne le pensait »47. Il faut se rendre à l’évidence que Georges Cuvier (1769-1832) et la « vieille école géologique » se trompaient, l’homme a été le contemporain d’animaux « antédiluviens ». Le débat sur la chronologie biblique pointe lorsque le locuteur se penche un peu déconcerté sur les plantes de cette antique Solutré, qui ressemblent à la flore du Groenland. Son collaborateur lui explique alors les variations climatiques sur les grandes échelles de temps : « D’où vous concluez, cher docteur, que les scènes auxquelles nous avons l’étrange faveur d’assister aujourd’hui se passent dix à quinze mille ans avant J. C. ? – Eh ! Mon Dieu, oui ! – Mais alors que faites-vous de la chronologie biblique ? »48 Pour répondre, le docteur se met sous le patronage de deux ecclésiastiques, Mgr Meignan et l’abbé Bourgeois fort de ses découvertes sur l’homme tertiaire, pour répondre que les 6 000 ans cités par les commentateurs ne sont que de simples hypothèses, qu’il faut en la matière davantage faire confiance aux géologues et aux astronomes – d’autant plus que l’Église n’a jamais tranché dogmatiquement la question. Même si Arcelin revendique une certaine liberté par rapport à la chronologie traditionnelle, son travail sur les méthodes de datations s’écarte peu des calculs des commentateurs de la Bible. Se basant sur un calcul des crues, il date les marnes quaternaires de 6750 ans49. Boule le souligne d’ailleurs en 1892, lorsqu’il cite son étude sur les datations liées à l’étude des glaciers de l’époque quaternaire publiée dans la revue catholique de Louvain. Quatrefages – également vigilant face à ceux qui « sous l’empire des préoccupations darwinistes » usent « du temps avec une facilité étrange »50 – critique également le « minimum »51 d’Arcelin. Quatrefages critique à ce propos l’absence de prise en compte de facteurs qui auraient pu faire varier l’ampleur des crues, Arcelin traitant a priori celles-ci à égalité. Arcelin accorde la primeur de ses travaux sur la classification préhistorique en 1877 à la nouvelle revue catholique de Louvain, la Revue des Questions scientifiques52. Il apporte son soutien aux vues de Gabriel de Mortillet et alerte ses lecteurs contre les travaux d’archéologues qui construisent à partir de résultats limités des argumentaires contre les classifications préhistoriques. Il martèle que la première industrie humaine de l’Europe occidentale est tout entière caractérisée par l’usage exclusif de la pierre. Arcelin ne va pas toutefois jusqu’à accepter le précurseur de l’homme pendant le tertiaire. Concernant Solutré53 – site appartenant selon lui à l’une des plus anciennes époques de l’âge de pierre – Arcelin fait remonter la présence des hommes de 8 à 10 000 ans54 lorsque Mortillet propose en 1883 dans son manuel Le Préhistorique une ancienneté de l’homme approchant les 240 000 ans. Ce travail est bien reçu par Cartailhac dans les Matériaux : « Comment blâmer un auteur d’une réserve trop grande et de scrupules exagérés ? »55
16La question religieuse occasionne des relations changeantes entre Mortillet et Arcelin. En contact régulier depuis 1868, ils échangent des échantillons de collections, pour le compte du Musée de Saint-Germain-en-Laye et du Musée de Mâcon56. Dans un premier temps, l’entente entre les deux hommes ne semble pas pâtir de leurs sensibilités intellectuelles divergentes. Le Mâconnais apporte à chaque campagne de fouilles de précieux témoignages en faveur de la classification de Mortillet dont le projet définitif est exposé en 1872, et le Parisien confère à ses correspondants locaux une légitimité scientifique nationale – le Solutréen, correspondant au premier âge du Renne selon Lartet – trouve sa place entre l’âge du Moustier et celui d’Aurignac57. S’appuyant d’abord sur les critères typologiques puis stratigraphiques et fauniques, elle devient une référence pour les archéologues qui s’en emparent, heureux de pouvoir enfin organiser leurs collections. Les prétentions de cette classification sont nettement plus universalistes que celle de Lartet et elles s’accordent nettement aux thèses des transformistes. Arcelin est satisfait de voir le site de Solutré devenir une référence en accédant au nombre restreint des sites donnant leur nom à une étape de la chronologie du paléolithique. Il informe dans le détail le conservateur adjoint de Saint-Germain-en-Laye de l’avancée des travaux58 et apporte son soutien à ses vues dans le mémoire qu’il rédige sur la classification préhistorique qui paraît dans la Revue des Questions scientifiques59, sans toutefois le suivre à propos du précurseur de l’homme pendant le tertiaire.
17Cette collaboration avec le savant parisien ainsi que le soutien qu’il apporte à sa chronologie60, lui attirent des hostilités. À partir de 1873 une controverse l’oppose à un égyptologue originaire comme lui de Mâcon, François Chabas (1817-1882)61, créateur en 1874 du journal L’Égyptologie. Les Études sur l’Antiquité historique (1872) de ce dernier connaissent un grand succès, elles remettent en cause la classification de Mortillet qui ne tarde pas à répondre en dénonçant l’appartenance de Chabas à la Société d’Archéologie Biblique londonienne62. Chabas réplique dans un ouvrage intitulé Les études préhistoriques et la libre-pensée devant la science. La polémique qu’il engage à l’encontre des travaux d’Adrien Arcelin vise plus généralement à oblitérer la crédibilité des travaux des préhistoriens. L’égyptologue effectue des fouilles à proximité du terrain fouillé par Arcelin, celui-ci voyant d’un très mauvais œil son arrivée : « J’irai silencieux et muet lui piocher entre les jambes et il me verra sortir du fond de chaque trou. »63 Défendant, pour statuer contre la classification préhistorique, l’emploi simultané dès les temps reculés de la pierre, du bronze et du fer, Chabas reprend les arguments de l’égyptologue allemand Karl Richard Lepsius (1810-1884)64 expliquant l’existence des silex trouvés par des causes naturelles ou soulignant la présence de couteaux de silex dans les tombeaux de l’époque historique. Il s’agit de faire rentrer au bercail des temps historiques les silex trouvés en Europe et en Égypte et de nier le terme même de « préhistorique ».
18Arcelin répond à son contradicteur dans les Annales de l’Académie de Mâcon puis, afin de toucher un plus large public, chez Reinwald et Cie65, l’éditeur parisien de Mortillet. Si les attaques de Chabas ne se placent jamais ouvertement sur le plan de l’orthodoxie religieuse, pour Arcelin l’affaire est entendue. Dans un article préparé avec son collaborateur de fouille, l’abbé Antoine Ducrost (1833-1889), il répond aux accusations sous-jacentes en refusant à Chabas l’apanage de la défense religieuse : « Une entente sera d’autant plus facile entre nous que vous devez être persuadé comme nous qu’une erreur scientifique ne peut en aucune façon servir les intérêts spiritualistes et catholiques dont nous sommes autant que vous, Monsieur, les défenseurs convaincus et dévoués. »66 Alors que Chabas se plait à présenter – un peu dans le même esprit que le poème de Lapparent – les fouilleurs de Solutré comme des amateurs qui rendent toute vérification impossible et qui travaillent sans contrôle extérieur, Arcelin rappelle la visite sur le site d’une délégation de l’Association française pour l’Avancement des Sciences67 et contre-attaque sur le terrain de son contradicteur. Il revient en effet sur l’expédition qui l’a mené en Égypte pendant l’hiver 1868-1869 pour le compte du ministère de l’Instruction publique. Son espoir de mettre à jour en Égypte des vestiges de l’âge de pierre l’avait conduit à la constatation de l’absence de taille de silex dans les périodes historiques, tout en soulignant une certaine ressemblance entre les pièces préhistoriques égyptiennes et européennes68. Chabas reçoit le soutien d’un apologiste de l’Oratoire, Hyacinthe de Valroger (1814-1876)69 qui reproche à l’archéologue de Solutré, tout comme Chabas, de baser ses travaux sur des comparaisons avec d’autres sites, mettant en doute le fait que toutes les « stations » aient connu le même « ordre chronologique de développement industriel (…) Qui l’a prouvé ? Les faits observés dans un ou deux endroits peuvent-ils autoriser une classification générale ? »70 Il regrette le fait qu’Arcelin utilise, même avec un ton parfois critique, les classifications de Lartet et surtout de Mortillet71.
19Malgré la combativité dont il fait preuve, Arcelin est sensible à ces désapprobations. Au risque d’être ambigu, il concède sur le terrain du vocabulaire à ses contradicteurs catholiques que le terme « préhistorique » est mal-dit parce que potentiellement source de malentendus. Il tente néanmoins de justifier son usage qui n’a selon lui « qu’un sens relatif. Qu’il n’y ait pas de temps préhistoriques pour l’humanité en général, puisque la Bible fait le dénombrement des générations humaines depuis la création du premier homme, soit ! Mais pour chaque peuple, sans en excepter les Égyptiens, il y a un terme fatal où les lumières de leur histoire particulière venant à manquer, commencent les ténèbres préhistoriques. »72 Lorsqu’il expose sa conception de la préhistoire dans une perspective chrétienne dans Le Correspondant73, il revient encore sur les mécomptes de la « phraséologie spéciale » de la préhistoire « qui, sous des apparences inoffensives, cache des pièges […]. Toutes ces expressions : âge de pierre, temps préhistoriques, race primitive, développement progressif, qui appartiennent au nouveau vocabulaire archéologique, n’auraient jamais dû y entrer, parce qu’elles prêtent à l’équivoque. »74 Arcelin sous-entend ici que la préhistoire pêche de se distinguer trop nettement de la tradition religieuse – discours relativement proche des tenants du concordisme auxquels il s’oppose pourtant. Il indique face à ce constat où vont ses préférences stratégiques : plutôt que d’opposer un veto réprobateur à la discipline, il défend l’option de la réformer de l’intérieur, travailler par exemple à dépouiller certains termes « de leur sens abusif ». Arcelin utilise cependant abondamment dans toutes ses publications ces termes abusifs, sans s’attarder généralement sur plus de commentaires. Peut-être prend-il en compte les critiques de Valroger lorsqu’il éprouve le besoin dans les revues catholiques de réduire la portée de l’universalité des classifications d’usage : « Ces locutions ne s’appliquent point à l’humanité considérée dans son ensemble, à travers le temps et l’espace ; mais simplement à des races et à des localités déterminées, avec un sens restreint »75 Il se contredit pourtant lorsqu’il signale dans la même publication que les étapes de la classification de Mortillet se retrouvent confirmées dans presque tous les sites, et ce même dans les grottes de Belgique fouillées par Édouard Dupont (1841-1911)76. D’autres auteurs catholiques, Ernest d’Acy (1827-1905)77 et le Marquis de Nadaillac critiquent également l’universalité des stades des cultures industrielles. Les catholiques qui aiment à se donner comme mission de moraliser la préhistoire, sont proches des vues de Quatrefages qui base la spécificité du « règne humain » sur les caractères relevant de « l’intelligence, de la moralité et de la religiosité »78. Bien conscient après ses démêlées avec Chabas qu’il est nécessaire de réduire le fossé d’incompréhension qui sépare les préhistoriens d’une majorité de catholiques, Adrien Arcelin tâche de renforcer dans ses publications à destination du monde catholique le lien entre la préhistoire et ses références religieuses et installe les hommes préhistoriques en hommes déchus79. Il se fait rassurant en disant qu’il n’y a pas lieu de s’inquiéter d’une science qui permet d’apprécier la force du châtiment divin, ainsi que la gloire des hommes qui ont reconquis par « une lutte incessante », leur place première. Arcelin essaye de persuader les catholiques de la valeur édifiante – de prime abord peu perceptible – de la préhistoire.
20Ses rapports avec Mortillet se tendent entre 1877 et 1887, lorsqu’il apporte des arguments, étayés par des recherches, contre les outils tertiaires80. Notons que dans les années 1880, Arcelin se rapproche d’interlocuteurs scientifiques parfois critiques face à certaines hypothèses émises par de Mortillet, comme Salomon Reinach (1858-1932), Alexandre Bertrand (1820-1902) et Ernest Chantre (1843-1924)81, dénonçant auprès d’eux les « systèmes préconçus »82 de Cartailhac ou de Mortillet. Les conservateurs du Musée de Saint-Germain lui offrent d’ailleurs en 1888 l’hospitalité de leurs vitrines pour exposer quelques silex « pseudo-taillés »83. Arcelin intervient sur le thème de l’homme tertiaire au Congrès scientifique international des catholiques se tenant à Paris en 1888. Il refuse de voir dans les silex éclatés retrouvés sur les terrains tertiaires des preuves d’une action humaine, mais plutôt le résultat d’actions naturelles84. En 1887, Arcelin produit une étude basée sur les terrains tertiaires de Saône-et-Loire, qu’il publie dans les Matériaux – à ce moment-là sous la direction de Chantre. Arcelin souhaite montrer que des facteurs naturels peuvent être à l’origine de silex semblant taillés trouvés dans les argiles éocènes du Mâconnais. Mécontent d’un article publié dans les Matériaux au sujet des silex tertiaires, Mortillet répond à son contradicteur dans la même revue en en l’accusant de parti pris :
Oubliant les us et coutumes scientifiques, qu’il connaît si bien, il s’est laissé glisser vers les saintes méthodes. […] je me contente de constater que mon cher et savant confrère est tombé dans le grand défaut de tous ceux qui se frottent, sciemment ou non, à la théologie en prétendant défendre la bonne cause ; ils arrivent, quels que soient leur mérite et leur bonne foi, à manquer complètement de netteté et de précision.85
21La réponse d’Arcelin ne se fait pas attendre. Il rappelle dans un premier temps ses observations de terrain et expérimentales sur les silex tertiaires puis suit Mortillet dans ce débat qui ne perce que rarement. Arcelin aurait tout à fait pu ignorer le reproche de partis pris, son article ne contenant aucune référence à la religion, il saisit cependant l’opportunité de se saisir de cette question souvent reléguée dans le non-dit. C’est ainsi la seule fois qu’il s’exprime sur sa foi dans une revue de préhistoire. Arcelin défend avant tout sa liberté de conscience : « Tout homme a le droit et le devoir d’étendre son regard au-delà des horizons bornés de la science. C’est un droit de conscience, dont nous n’avons à rendre compte ni à demander compte à personne »86. À son tour il passe à l’offensive en renvoyant Mortillet à son propre angle d’attaque : « Théologien, je ne le suis pas. Mais si vous voulez faire allusion à mes croyances philosophiques et religieuses, ne craignez-vous pas qu’on puisse vous répondre par un argument ad hominem et prétendre que l’anthropopithèque a été imaginé dans l’intérêt de vos propres idées philosophiques et de ce que vous estimez vous-même être la “bonne cause” ? »87 Arcelin en profite pour se distinguer des concordistes radicaux, tel l’abbé Hamard, avec qui il ne noue d’ailleurs aucun lien bien approfondi : « Je serais tombé dans cette erreur si j’avais mêlé des arguments appartenant à la théologie et à la géologie par exemple. J’ai la conscience parfaitement nette à cet endroit. »88 Cet incident entre les deux hommes illustre bien l’usage qui peut être fait des critiques portant sur les convictions religieuses et politiques des préhistoriens. Gabriel de Mortillet attaque sur ce terrain pour décrédibiliser son adversaire et éviter que d’autres préhistoriens se rallient à ses thèses. Il échoue puisque Cartailhac déclare en 1889 que c’est la démonstration d’Arcelin qui l’a définitivement fait pencher en faveur de l’influence des actions naturelles sur la taille des silex tertiaires.89 Mortillet use cependant régulièrement de ce genre d’attaques confinant à l’anticléricalisme. En 1888, il s’oppose encore une fois à l’abbé Ducrost et à Arcelin, au sujet de sépultures découvertes à Solutré. Il conteste leur ancienneté dans un article du Bulletin de la Société d’anthropologie de Lyon90. Il dit réagir « au moment où une certaine école cherche à saper un principe généralement admis, savoir que l’homme fossile, l’homme quaternaire n’enterrait pas ses morts. »91 Mortillet croit déceler une manœuvre de l’école spiritualiste qui chercherait à faire admettre la religiosité de l’homme primitif92. Raymond Riquet démontre bien plus tard, en 1955, que les sépultures de Solutré sont Burgondes93, donnant plutôt raison à Mortillet quant à leur relative faible ancienneté. Gabriel de Mortillet a cependant été désavoué sur plusieurs autres sites contenant des sépultures paléolithiques, ses critiques laissant souvent percer un ton anticlérical – citons la sépulture de l’âge du renne des Hoteaux (Ain), découverte par l’abbé Joseph Tournier (1854-1938) en 189494.
22En dépit de ces accrochages, Mortillet et Arcelin tâchent tout de même de conserver une relative entente. Lorsque Mortillet fait de son premier cours à l’École d’Anthropologie de Paris en 1895 une tribune pour démontrer l’opposition entre science et foi, omettant de citer les scientifiques qui concilient les deux dans sa discipline, Arcelin réagit avec beaucoup de détachement, le félicitant dans une lettre d’avoir pris pour cible les concordistes : « Je partage tout à fait votre manière de voir sur ces livres où l’on cherche à concilier les données de la science avec celles de la Bible. Tout clérical que je suis, je n’y puis rien trouver de bon, ni pour la foi, ni pour la science. »95
Mortillet, Cartailhac et les Matériaux : la préhistoire dans les habits de la République
23Les archives de Mortillet permettent de prendre la mesure de son profond enracinement dans l’idéologie libre-penseuse. Une quantité importante de coupures de presse de journaux tels que Le Bien Public, L’Éclair, La Lanterne, Le Matin, Le Radical, Le Temps, Le Voltaire, Le Dix-neuvième siècle sont rassemblées thématiquement ou collées sur des fiches annotées. Une série intitulée par exemple « Le doigt de Dieu » constitue une sorte de dossier à charge contre la prétendue justice divine. Les coupures sélectionnées relatent des catastrophes ayant causées la mort de fidèles dans des incendies causés par des cierges d’églises, des maladies mortelles contractées lors ou à la suite de pèlerinages, des ouvriers morts accidentés lors de rénovations d’églises. Mortillet collabore également à plusieurs journaux, dont La libre pensée.
24Fondant en 1864 la première revue de préhistoire en France – les Matériaux pour l’histoire positive et philosophique de l’homme Gabriel de Mortillet ne manque pas une occasion de railler les catholiques dans leur embarras face aux incohérences entre Bible et études « anté-historiques ». Il prend à contact en 1865 avec l’abbé François Moigno (1804-1884)96 pour que celui-ci lui explique sa vision des choses – son « système » – qu’il retranscrit ensuite dans les colonnes des Matériaux en ajoutant ses commentaires. Comment accorder l’état sauvage qui semble caractériser les origines de l’homme avec le fait que les deux premiers fils d’Adam, Caïn et Abel, soient respectivement agriculteur et pasteur ? Caïn, fondateur de villes, a comme fils Jubal (musicien de harpe et d’orgue) et Tubulcaïn (qui travaille l’airain et le fer) « Où donc placer l’âge de la pierre, l’âge du bronze, l’usage des pirogues ? »97. Mortillet retranscrit la réponse de l’abbé Moigno, selon lui, l’état sauvage ne peut être à l’origine du monde, il se constate après le déluge et l’épisode de la tour de Babel. Ayant oublié jusqu’à leur langue maternelle, les hommes se dispersent à l’état sauvage et doivent reconquérir leur « civilisation » pièce par pièce, passant par les âges successifs de la pierre, du bronze et du fer. Mortillet ajoute avec ironie qu’il ne peut souscrire à une telle théorie. Mortillet montre dans les colonnes des Matériaux au contraire beaucoup d’intérêt pour le système philosophique de Carl Vogt (1817-1895). Celui-ci se passe de toute intervention d’un être supérieur, il fait « descendre l’Homme du Singe »98, voire les hommes de plusieurs types de singes, ce qui correspond à la théorie polygéniste – évoquant avec un contentement perceptible la vive polémique qui l’oppose à ce propos aux protestants suisses.
25En 1866, le jeune Cartailhac demande à son « maître » de l’abonner au journal La libre pensée, après avoir constaté sa présence dans la liste des contributeurs99. Mais en définitive, Cartailhac abandonne tôt le goût de la polémique anticléricale100. Après qu’il a repris en 1869 la direction des Matériaux, toute référence à l’autorité de l’Église ou au concordisme n’est pas proscrite au sein de la revue. En 1874, le discours d’ouverture du Congrès Archéologique de France tenu à Toulouse et Agen est prononcé par l’archevêque de Toulouse. Dans la ville d’Agen, l’évêque Mgr Hector d’Outremont (1824-1884) préside toutes les séances sans que Cartailhac ne s’en offusque : « je tiens à dire que chacun fut charmé de sa science et de son impartialité. »101 En 1875, Cartailhac laisse au Vicomte Louis Rioult de Neuville (1832-1916) le loisir de faire l’éloge d’un « très remarquable et très complet traité d’archéologie préhistorique », ouvrage écrit par un concordiste américain, James Cocke Southall (1827-1897), argumentant en faveur de la chronologie biblique et réfutant les idées émises par sir Charles Lyell (1797-1875) et sir John Lubbock (1834-1913)102. En 1877, ce même auteur expose, toujours au sein des Matériaux ses critiques contre la classification de Mortillet103. Cartailhac, ennuyé vis-à-vis de Mortillet lui explique qu’étant le collègue de Rioult de Neuville à la Société Archéologique du Midi de la France104, il ne peut faire autrement que lui laisser quelques tribunes, même si ses idées sont « opposées » aux leurs. Il se défend avec une touche d’ironie : « Je me casse la tête pour savoir si, quand et comment les Matériaux ont penché vers le cléricalisme. J’affirme avoir soigneusement évité cela. Permettez-moi d’ailleurs d’être enchanté d’avoir fait des Matériaux une tribune libre quoiqu’on puisse dire. »105 En 1882, Cartailhac jette l’éponge quant aux concessions faites pour amadouer les membres de la Société archéologique du Midi : « J’ai cessé d’aller à la Société archéologique où grâce à la faiblesse de nos universitaires tout était à la gloire de l’Église et du Roy. »106
26Au sein de la revue les Matériaux, Cartailhac doit faire face aux « scrupules » extrascientifiques d’un de ses deux principaux collaborateurs avec Chantre, Paul Cazalis de Fondouce (1835-1931), secrétaire des Congrès d’anthropologie et d’archéologie préhistoriques de Copenhague (1869), Bologne (1871), Stockholm (1874), Budapest (1876) et Lisbonne (1880). Cazalis de Fondouce s’oppose au sein des Matériaux à Cartailhac en 1875 lorsqu’il tente de contester la distinction entre néolithique et paléolithique107 Cartailhac s’inquiète auprès de Mortillet de ses atermoiements : « Il devient de plus en plus religieux ! Je ne serais pas étonné qu’il en vienne à retirer tout à fait son nom du domaine préhistorique. »108 Selon lui, il mord à l’hameçon des concordistes. En 1875 par exemple, quand il affirme que les tumuli de l’âge du bronze de Minbaste renferment le type de Saint Acheul109. Protestant, Cazalis de Fondouce fait partie du Conseil d’administration de l’Église réformée indépendante de Montpellier, fondée en 1873 par le biologiste Armand Sabatier (1834-1910)110. Formé à l’École centrale puis licencié en géologie à la faculté de Montpellier, il vit assez bien de ses rentes pour consacrer l’ensemble de son temps à l’étude géologique et archéologique du Sud-Est de la France. En 1874, il apporte par deux fois son soutien dans les colonnes des Matériaux à des ouvrages exprimant des idées concordistes. Il loue les travaux de l’assyriologiste et archéologue François Lenormant (1837-1883) quand celui-ci expose des concordances avec les textes bibliques, mais émet ses doutes lorsque celui-ci admet pleinement les idées de l’abbé Bourgeois, qu’il dit ne pas partager :
Un remarquable exposé de la concordance des découvertes de la paléontologie humaine avec la tradition biblique, termine ce premier chapitre. Si j’aime peu de voir dans un travail purement scientifique intervenir les considérations religieuses, je dois reconnaître qu’elles ne pouvaient nulle part être évoquées à aussi bon droit que dans une étude comme celle-ci, écrite pour une revue [en note : Le Correspondant]. Cela étant, je ne saurais pour ma part assez remercier M. Lenormant d’avoir si bien exprimé et établi une conviction que je partage entièrement.111
27La même année, même s’il admet être « mal à l’aise pour discuter certains points sans entrer sur un terrain (…) défendu aux rédacteurs de cette Revue », il défend l’ouvrage du géologue et pasteur Benjamin Pozzi (1820-1905) comme « un des meilleurs qui aient été publiés sur nos études préhistoriques »112, et en 1880 celui d’un auteur italien refusant les contradictions entre faits acquis par la préhistoire et les données de la foi :
L’étude de la préhistoire n’offre rien qui soit en contradiction avec les croyances religieuses ; elle les consolide, au contraire, et les confirme malgré quelques différences plus apparentes que réelles. Elle met enfin en lumière cette grande loi du progrès qui, malgré quelques éclipses temporaires, domine d’une façon si remarquable le long développement de l’humanité. Telles sont, brièvement résumées, les conclusions de M. Carina. Qu’on les adopte ou non, on lira toujours avec intérêt les pages dans lesquelles, en résumant les principales connaissances acquises par la paléoethnologie, il en a recueilli et condensé les éléments.113
28Cartailhac conserve Cazalis de Fondouce comme collaborateur même s’il s’inquiète en privé de ses orientations.
29En novembre 1874, Cartailhac décide de changer d’éditeur pour publier les Matériaux, choisissant alors l’éditeur toulousain Privat qui « fait chaque année près d’un million d’affaires avec les classiques et les curés. Il publie la splendide réimpression de l’immense histoire du Languedoc, de Dom Vaissette. Il vient d’être chargé par le conseil général de l’impression de la carte géologique et […] il est en relation avec le monde entier. »114 Mortillet n’est manifestement pas très heureux de ce projet et accuse Cartailhac de faire, « comme on dit de Cazalis » une « évolution rétrograde »115. Cartailhac juge en réponse trouver son « cher maître » en « flagrant délit de parti pris ». Il ne voit pas le problème d’opter pour un éditeur qui gagne de l’argent avec des livres catholiques, si la qualité des ouvrages est avérée (notamment sur l’histoire du Languedoc où un certain nombre d’auteurs peuvent être qualifiés de libres-penseurs). Il cède cependant au mécontentement de Mortillet, ancien directeur de la revue, en conservant l’ancien éditeur Reinwald. L’attachement de Mortillet à cette maison d’édition est sans doute aussi fort que son rejet des maisons d’éditions pouvant être taxées de cléricalisme. De plus, son histoire est, à l’image de l’engagement politique de Mortillet116, associée au sillage de la révolution de 1848117.
30Cartailhac se défend une nouvelle fois vis-à-vis de Mortillet de pencher vers un camp adverse lorsqu’il refuse de reconnaître l’existence d’un précurseur de l’homme à l’époque tertiaire sur la seule foi d’outils contestés dans leur authenticité. Il souligne d’ailleurs dans sa critique de l’ouvrage de Mortillet Le préhistorique en 1883 qu’il s’agit bien sur cette question d’un « acte de foi »118 scientifiquement impossible à énoncer pour lui. Cartailhac éprouve le besoin de souligner que ces divergences ne sont en aucun cas des concessions faites aux opposants de la préhistoire, il revendique le fait de se placer dans un certain rapport de force : « j’accepte pleinement et sans aucune réserve l’origine animale de l’espèce humaine, et par conséquent je dois être désavoué avec rigueur par nos communs adversaires. »119 Qui sont ces derniers ? Cela ne semble nécessiter pour Cartailhac aucune explication. Nous trouvons cependant dans cet article-même une piste sérieuse lorsqu’il demande à son collègue Mortillet de se montrer très attentif à ne pas séparer la classification archéologique des données zoologiques et géologiques afin de ne pas justifier les critiques de ceux qui « juxtaposent »120 certaines industries préhistoriques – en d’autres termes les préhistoriens catholiques concordistes comme de Baye, Rioult de Neuville, l’abbé Hamard et même ceux qui sont plus accueillants envers les paradigmes des préhistoriens, comme d’Acy.
31Cartailhac conserve un œil attentif sur les publications concernant la préhistoire dans les revues catholiques. Il intègre les travaux de l’abbé Hamard aux bulletins critiques des Matériaux lorsqu’ils sont publiés dans des revues scientifiquement reconnues : « Nous avons vu de lui, dans ces dernières années, de nouveaux et de nombreux articles dans une Revue religieuse qui, à ce titre, échappe absolument à notre compétence. Le Mémoire que nous signalons aujourd’hui a plus d’importance, car il est compris dans la Revue des questions scientifiques, dont nous ne partageons pas toutes les idées, mais dont nous reconnaissons la réelle valeur »121 Cartailhac pense sans doute aux articles de d’Acy et d’Arcelin publiés dans cette revue. Il critique la publication de l’abbé Hamard sur les palafittes en détaillant l’aspect obsolète de ses références, notamment bibliographiques, comme The recent origin of man (1875) de James Cocke Southall (1827-1897)122, ouvrage promptement tombé selon Cartailhac dans les oubliettes. Il ajoute que les batteries d’arguments, de faits et de citations des publications de l’abbé Hamard semblent avoir été assemblés dans l’unique but de « prouver que ceux qui ont écrit sur la haute antiquité sont des niais »123. Mortillet quant à lui établit autour de 1888 un petit dossier qu’il intitule « Cléricalisme - Science » et dans lequel il compile des citations de l’abbé Hamard, du Marquis de Nadaillac, puis d’Arcelin. Une page ayant pour titre « Nadaillac Orthodoxe Chaîne des Êtres »124 regroupe des citations laissant penser que Nadaillac est favorable à l’hypothèse évolutionniste et à la sélection naturelle. Il s’agit sans doute de dossiers destinés à répliquer en cas de débat éventuel avec ces auteurs.
32Parce qu’elle cristallise une tension interne au sein du monde catholique qui peut avoir partie liée avec la fortune de la discipline, Mortillet et Cartailhac sont notamment attentifs à la controverse opposant Arcelin et Chabas. Dans un courrier daté du 25 novembre 1874125, Cartailhac remercie Mortillet de lui avoir fait connaître la réponse d’Arcelin. Il lui expose son opinion face à cette recrudescence d’attaques dont la préhistoire est la cible en soulignant que, parmi les catholiques, le temps de la « peur » cède la place aux temps de « l’offensive ». Le constat de Cartailhac n’est pas très optimiste :
Notre science marche à la dérive, sans boussole et sans contrôle. Elle semble si facile au premier abord que tout le monde s’en mêle et que dès la première grotte, chaque explorateur nouveau-né se croit un pontife de la science, et ils se font une réclame mutuelle qui serait fort amusante si cela n’était pas fort triste. Et les gens qui ont eu peur un moment, du temps de Lartet, et qui se taisaient reprennent de toutes part l’offensive. Ils visent les contradictions, les erreurs, les sottises et en trouvent assez pour laisser de côté les faits exacts et les découvertes acquises. Chabas, le P. de Valroger126, le P. Haté ne sont que l’avant-garde et à part vous en tête (sauf pour le tertiaire) et cinq ou six en France, je ne vois que des amateurs incapables de lutter avec succès, nous entrons, comme en politique, dans le gâchis !127
33Cartailhac installe ici la préhistoire dans les habits de la République128 pour s’alarmer des errements de leur respective pleine reconnaissance. La République n’est en effet pas encore installée en novembre 1874 et ses tenants ont la conviction que ses progrès sont difficilement acquis. À Toulouse, Cartailhac est aux premières loges pour constater les résistances monarchistes et bonapartistes lorsqu’il se présente aux élections municipales à Toulouse plusieurs années d’affilée pour le camp radical. Pour faire campagne contre lui, les légitimistes l’affublent dans leurs journaux du sobriquet d’« Orang-outang. Cela ne m’a pas empêché d’arriver en tête de toutes les listes et de faire arriver avec moi 11 radicaux. »129 Un autre motif d’inquiétude renforce cette prise de conscience de la fragilité de la préhistoire face à ses contradicteurs : le poids qu’a « l’opinion du public » sur les savants qui la choisissent comme sujet d’étude. « Fatigués du second rang » dans lequel ils sont confinés, les préhistoriens sont parfois portés à trahir la discipline pour accéder à la « renommée » ou à « l’académie des inscriptions et belles lettres. »130
Conclusion
34Les vers ironiques et inquiets de Lapparent présentés en épigraphe à cette étude, mettent en lumière une part de la toile de fond qui constitue le rapport des préhistoriens de la fin du xixe siècle à la religion. Comment expliquer le fait que les questions religieuses influencent ainsi les rapports sociaux et le contenu des discours dans la discipline naissante de la préhistoire ? Émile Cartailhac peut nous mettre sur la piste d’une réponse possible lorsqu’il écrit dans les Matériaux : « Il faut le connaître, ce passé préhistorique de la pensée humaine si nous voulons être capables d’apprécier le présent et de pressentir l’évolution future afin de la préparer sur les bases de la raison et de la justice. »131 Cette phrase résonne aisément avec notre paysage mental parce que la flèche du temps orientée vers la modernité correspond encore souvent à nos façons d’envisager l’histoire. François Hartog rappelle cependant que ce régime d’historicité introduisant dans le passé un « horizon d’attente »132 pour le futur se fabrique au xixe siècle. Quelles soient politiques ou religieuses, utopies contemporaines et interprétations scientifiques du passé se suivent chez les préhistoriens de la fin du xixe siècle comme des ombres133. Les batailles qui se jouent sur le terrain de la préhistoire trouvent leurs échos sous d’autres formes dans la société française. Au moment où se cristallisent par exemple des rivalités autour des sonneries de clochers dans les villages134, les préhistoriens débattent très vivement des usages du temps – en posant la question de la laïcisation de la chronologie ou en débattant de la pertinence d’une préhistoire orientée vers le progrès, narrant un perfectionnement graduel des hommes. Ces tensions dont l’arrière-plan religieux n’est pas négligeable diminuent fortement dans le premier quart du xxe siècle avec la disparition des plus zélés protagonistes de ces débats et l’arrivée de chercheurs soucieux d’écarter les aspects politiques et religieux, tels Marcellin Boule et Henri Breuil.
Notes de bas de page
1 Lapparent (Albert de), Conseils à un jeune amateur de géologie, poème didactique composé à l’occasion des courses géologiques de l’École des Mines, Paris : Librairie française et étrangère, 1867, 11 p.
2 Le premier Congrès international d’anthropologie et d’archéologie préhistoriques se tient à Paris en 1867.
3 Lapparent est en effet initié à la géologie à l’École des Mines de Paris par Léonce Élie de Beaumont (1798-1874), qui s’oppose à la reconnaissance des travaux de Boucher de Perthes.
4 Lapparent (Albert de), « L’Institut Catholique et l’enseignement de la géologie », Revue de l’Institut Catholique de Paris, 1906, no 1, p. 20.
5 Lapparent (Albert de), Traité de Géologie [2e éd. revue et très augmentée], Paris : F. Savy, 1885, 1504 p.
6 « Son esprit, d’une vivacité et d’une lucidité remarquables, était plutôt tourné vers les travaux d’érudition et de synthèse que vers les travaux analytiques ou les recherches originales. Doué d’une mémoire exceptionnelle, il retenait tout ce qu’il lisait et savait le résumer en des écrits d’un style élégant et fort. Il parlait aussi admirablement et ses communications orales aux sociétés savantes étaient toujours applaudies, autant pour la forme que pour le fond. » Boule (Marcellin), « Nécrologie. Albert de Lapparent », L’Anthropologie, T. 18, 1908, pp. 366-367.
7 Le géologue mentionne d’une manière laconique « l’Intelligence suprême qui a présidé à la disposition de toutes choses. » (p. 6) et lorsqu’il évoque pour la première fois l’homme, il ne souligne en revanche pas d’actions créatrices particulières : « Alors apparaît l’homme. » (p. 1472), in Lapparent (Albert de), Traité de Géologie, op. cit.
8 Lapparent (Albert de), « Le Bathybius, histoire d’un protoplasme », Revue des questions scientifiques, T. 3, janvier 1878, p. 73.
9 Cartailhac (Émile), « Gabriel de Mortillet, Le préhistorique. Antiquité de l’homme, paris, Reinwald, 1883 », Matériaux pour l’histoire primitive et naturelle de l’homme, 2e série, T. 13, 1883, p. 557.
10 Correspondant de l’Institut et de l’Académie des Inscriptions et Belles-lettres, et membre la Société Royale des Antiquaires du Nord, il se charge à partir de 1888 de diriger la section d’anthropologie du Congrès scientifique international des catholiques. Il récuse toute ascendance simienne de l’homme qui relève selon lui du « roman préhistorique ». Il reconnaît qu’il faut conférer à l’homme une antiquité plus ancienne qu’auparavant mais n’accepte pas pour autant la chronologie de Mortillet. Sa production concernant la préhistoire est importante, il a collaboré à plusieurs revues catholiques (Revue des Questions Scientifiques, Le Correspondant…) et scientifiques (Matériaux pour l’histoire primitive et naturelle de l’homme, L’Anthropologie). Saint-Venant (Julien de), « Le Marquis de Nadaillac, membre de l’Institut et son œuvre préhistorique », Bulletin de la Société archéologique scientifique et littéraire du Vendômois, 1905, pp. 95-107.
11 Nadaillac (Jean-François-Albert de), « Foi et science », Extrait de la revue Le Correspondant, T. 179, 10 juin 1895, p. 6.
12 Defrance-Jublot (Fanny), « Question laïque et légitimité scientifique en préhistoire : la revue L’Anthropologie (1890-1910) », Vingtième siècle. Revue d’histoire, no 87, Paris : 2005, pp. 73-84.
13 Dans son sens originel, le terme de sécularisation désigne l’appropriation des biens ecclésiastiques par le pouvoir civil. Voir Willaime (Jean-Paul), Sociologie des religions, Paris : PUF, 1995, p. 94.
14 Aux yeux de ses partisans, le matérialisme est — pour citer un article de la revue L’Homme — une philosophie qui rejette l’existence de Dieu et de l’âme et qui recherche l’explication de tout ce qui se passe dans l’univers grâce aux propriétés de la matière. Fauvelle (Jean-Louis), « Conséquence naturelle de la science libre », L’Homme, no°22, novembre 1885, p. 738. Voir Richard (Nathalie), « Entre matérialisme et spiritualisme, les préhistoriens et la culture dans la seconde moitié du xixe siècle », La culture est-elle naturelle ? Histoire, épistémologie et applications récentes du concept de culture, in Ducros (Albert), Ducros (Jacqueline) & Joulian (Frédéric) (sous la dir.), Paris : Éditions Errance, 1998, pp. 25-40.
15 Bégouën (Henri), « Leçon d’ouverture du cours d’archéologie préhistorique professée à la faculté des lettres de Toulouse le mercredi 13 novembre 1940 », tapuscrit, 20 p. (Archives Bégouën, Montesquieu-Avantès).
16 « Religion d’historiens » pour Marc Bloch (1886-1944), le christianisme ancre précisément l’histoire des personnages saints dans le temps humain, la naissance de Jésus ouvre le début d’une ère nouvelle et la Bible s’apparente à une description de la destinée de l’humanité, entre la Chute et le Jugement, le Péché et la Rédemption, in Bloch (Marc), Apologie pour l’histoire ou Métier d’historien, Paris : Armand Colin, 1997, p. 38. Avant que le temps long défendu par les préhistoriens n’existe encore, en 1820, l’ouvrage L’art de vérifier les dates note que la chronologie la plus large connue remonte à 6984 ans. Il faut attendre 1937 pour que le Guide pratique de la chronologie biblique du frère Ceslas Lavergne (1890-1985) utilise la formulation « date inconnue » et ne situe plus temporellement les origines. Monseigneur Guillaume-René Meignan (1817-1896) expose le scandale : « M. Darwin fait aussi intervenir le temps ; et, sous ce rapport, il en prend à son aise. Il ne compte pas l’âge de la Terre par milliers d’années, mais par millions », in Meignan (Guillaume-René), Le monde et l’homme primitif selon la Bible, Paris : Victor Palmé, 1869, p. 175.
17 Boule (Marcellin), « La Fable éolithique. Albert de Lapparent », L’Anthropologie, 1905, T. 16, p. 727.
18 « Est-ce juste, est-ce loyal d’aller nous tourner ainsi en ridicule dans une revue aussi importante que Le Correspondant ? M. de L. commet la lourde faute qu’il reproche à Mortillet avec raison ! » Cartailhac lui reproche de mêler les questions scientifiques à une religion « mal comprise […] Il a foncé sur les éolithes avec la rage contenue depuis des années et avec le visible espoir de toucher par eux le préhistorique. […] Il profite de sa renommée, de son autorité mondiale pour s’attaquer à l’ancienneté de l’homme. Il sait qu’aucune autorité suffisante n’est en mesure de lui répondre. » Émile Cartailhac, lettre à l’abbé Jean Bouyssonie (1877-1965), 1907 (Bibliothèque centrale du Muséum national d’Histoire naturelle, Archives Bouyssonie).
19 Pautrat (Jean-Yves), « Boucher de Perthes et Lamarck : métaphysique et biologie », in Laurent (Goulven) (sous la dir.), Jean-Baptiste Lamarck (1744-1829), Paris : Éditions du CTHS, 1997, pp. 573-585.
20 Bourgeois (Louis), « Mémoire sur l’archéologie préhistorique », Congrès archéologique de France, 39e session tenue à Vendôme en juin 1872, Angers : Lachèse, 1873, pp. 9-10.
21 Wartelle (Jean-Claude), « La Société d’anthropologie de Paris de 1859 à 1920 », Revue d’Histoire des Sciences Humaines, no°10, 2004, pp. 125-171.
22 Thulié (Henri), « Discours de M. H. Thulié. Inauguration du monument de G. de Mortillet », L’Homme préhistorique, 1905, n ° 11, p. 14.
23 Malgré de sévères critiques à son encontre dans les années 1880, notamment de la part de l’évêque de Clifton, Mgr William Clifford (1823-1893), elle est à nouveau confirmée en 1909 par un décret de la Commission biblique statuant sur les trois premiers chapitres de la Genèse. Hamard (Pierre), article « Cosmogonie mosaïque », Dictionnaire de la Bible, 1897, p 1051 ; Clifford (William), « Une interprétation nouvelle du premier chapitre de la Genèse », Annales de Philosophie Chrétienne, nouvelle série, T. 5, no°2, novembre 1881, pp. 113-126 ; « L’historicité des trois premiers chapitres de la Genèse. Consultation de la Commission biblique », La Croix, 20 juillet 1909, p. 3 (décret ratifié par le Pape le 30 juin 1909).
24 Notons que le directeur du Congrès archéologique de France insère une note dans les comptes-rendus afin de bien spécifier que « La responsabilité de toute opinion émise au cours de nos discussions, appartient à celui-là seul qui en est l’auteur ; et à moins d’un vote formel, le Congrès ne saurait être considéré comme y ayant donné son approbation », in Bourgeois (Louis), « Mémoire sur l’archéologie préhistorique », extrait du Congrès archéologique de France, 39e session tenue à Vendôme en juin 1872, Angers : Lachèse, 1873, p. 10.
25 Mortillet (Gabriel de), Les mystifiés de l’Académie des sciences, défi adressé à MM. Decaisne et Élie de Beaumont, Paris : Marpon, 1865, 14 p.
26 Issu d’une famille protestante, il est nommé professeur d’anatomie et d’ethnologie au Muséum national d’Histoire naturelle de 1855 jusqu’à sa mort. Spiritualiste partisan du monogénisme, il refuse l’ascendance simienne de l’homme.
27 Cartailhac (Émile), « Notice sur A. de Quatrefages », L’Anthropologie, 1892, T. 2, pp. 8-9.
28 Cédric Grimoult remarque que c’est après des années de recueil de données et la lecture de L’Origine des Espèces en 1865 que Gaudry devient évolutionniste. Non darwiniste et résolument finaliste, Gaudry conçoit un évolutionnisme d’où s’absenterait le concept de la lutte pour la vie et qui favoriserait une description de la nature et de ses transformations sous des formes harmonieuses. Gaudry pose les bases de la paléontologie évolutive moderne et joue un rôle majeur dans la conversion de la communauté scientifique au transformisme. Il installe également les jalons d’un évolutionnisme spiritualiste qui s’épanouit plus tard sous la plume du Père Pierre Teilhard de Chardin (1881-1955), in Grimoult (Cédric), « Albert Gaudry dans l’histoire de la paléontologie évolutionniste », Physis rivista internazionale di storia della scienza, vol. XXXVI, nuova serie, fasc. 1, 1999, p. 88.
29 Quatrefages (Armand de), Hommes fossiles et hommes sauvages, études d’anthropologie, Paris : Baillière & fils, 1884, p. 9.
30 Ibid., pp. 7-8.
31 Voir dans cet ouvrage la contribution de Monique Rémy-Watté.
32 Ce qui va à l’encontre des détracteurs de Boucher de Perthes, comme Élie de Beaumont, qui jugent que les couches où sont trouvés les silex sont remaniées. Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des sciences, T. 5, 1861, pp. 1133-1137. Voir Jean-Yves Pautrat, « L’homme antédiluvien : anthropologie et géologie », Bulletins et mémoires de la Société d’anthropologie de Paris, T. 1, no°3-4, 1989, pp. 131-152.
33 Cochet (Jean), « Archéogéologie : hachettes diluviennes du bassin de la Somme : rapport adressé à M. Le sénateur-préfet de la Seine-Inférieure », Mémoires de la Société d’Émulation d’Abbeville, 2e série, vol. 9, 1857-1860 (1861), pp. 621-622.
34 Le concordisme est un système d’exégèse qui s’est surtout développé au xixe siècle dans la volonté de faire tenir ensemble deux systèmes hétérogènes, la Bible d’un côté, et les nouvelles sciences de l’autre (géologie, préhistoire, histoire, astronomie). Il tente d’illustrer la véracité de tel ou tel épisode de l’histoire sainte en utilisant — et souvent malmenant — des données scientifiques.
35 Hamard (Pierre-Julien), L’âge de la Pierre et l’homme primitif, Paris : R. Haton, 1883, p. 55.
36 Boule (Marcellin), « Mémoires originaux, Les œuvres d’art de la collection de Vibraye au Muséum National, par Cartailhac et Breuil », L’Anthropologie, T. 18, 1907, p. 4.
37 Ars (François), « Les prêtres érudits de la société polymathique du Morbihan », Église et société dans l’Ouest atlantique du Moyen Âge au xxe siècle, textes réunis par Launay (Marcel), Nantes : Presses académiques de l’Ouest : Ouest éd. Nantes : Ouest éditions, 2002, pp. 95-99.
38 Ses travaux portent pour une grande part sur l’art mobilier préhistorique.
39 Édouard Piette, lettre à Gabriel de Mortillet, 18 juin 1876, Craonne (Aisne) (Archives de l’Institut d’Archéologie, Université de la Sarre, Saarbrücken, Allemagne, Carton K-P-Q).
40 Émile Cartailhac, lettre à Gabriel de Mortillet, 8 novembre 1885, Toulouse (Carton K-C-III Archives de l’Institut d’Archéologie - Université de la Sarre, Saarbrücken, Allemagne). Finalement, l’issue n’est pas si mauvaise : « J’ai obtenu un avis favorable à la réouverture de mon cours en 1886. Le recteur qui me sait dévoué à l’université et qui voit mes votes au conseil municipal a obtenu que le Doyen daignât interroger la Faculté sur mon cours libre et la Faculté a dit amen. » Émile Cartailhac, lettre à Gabriel de Mortillet, 6 décembre 1885, Toulouse (Archives de l’Institut d’Archéologie, Université de la Sarre, Saarbrücken, Allemagne, Carton K-C-III). Le cours officiel n’est définitivement installé qu’en 1907.
41 Henri Gadeau de Kerville (1858-1940) est zoologue, botaniste et archéologue. Sociétaire puis président de la Société des amis des sciences naturelles de Rouen, il publie entre 1885 et 1886 des Causeries sur le transformisme, Elbeuf : Allain & Leder, 1885-1886, 6 fasc.
42 Léon Coutil, lettre à Gabriel de Mortillet, 4 mars 1896, Les Andelys (Eure) [Entête Société Normande d’études préhistoriques, Évreux] (Bibliothèque de l’Université de la Sarre, Saarbrücken, Allemagne, Carton 1, deuxième étagère, « Sur le Monument Lamarck »).
43 Cartailhac (Émile), « Mort d’Adrien Arcelin », L’Anthropologie, T. 15, 1904, p. 734 ; Kirwan (Charles de), « Adrien Arcelin, aperçu biographique », Extrait de la Revue des questions scientifiques, 1905, 7 p.
44 La revue catholique libérale Le Correspondant accueille un nombre significatif d’articles de préhistoriens catholiques, elle est d’ailleurs dirigée en 1877 par un archéologue (et diplomate) spécialiste de la Syrie et de la Palestine, le marquis Melchior de Vogüe (1829-1916). Elle possède entre 1871 et 1877 entre 5 000 et 12 000 abonnés et jouit d’une autorité comparable à la Revue des Deux Mondes. Morienval (Jean), « Le Correspondant. 1829-1933 », Catholicisme, hier, aujourd’hui, demain, Paris : Letouzey & Ané, 1952, pp. 218-219.
45 Arcelin (Adrien), Solutré ou les chasseurs de rennes de la France centrale, histoire préhistorique, Paris : Hachette & Cie, 1872, 200 p. [livre publié sous le pseudonyme Adrien Cranile].
46 Faisant sans doute référence au docteur Testot-Ferry.
47 Arcelin (Adrien), Chasseurs de rennes à Solutré, roman préhistorique, Mâcon : Éditions Bourgogne Rhône Alpes, 1977, p 24.
48 Ibid., p. 36.
49 Il se démarque aussi d’Ernest Chantre (1843-1924) : « Je ne suis en différend avec vous que sur un point : l’ancienneté de l’homme. Je ne trouve pas vos raisons suffisantes pour le rapprocher autant que vous le faites de l’époque glaciaire. » Adrien Arcelin, lettre à Ernest Chantre, 26 mai 1880, Saint-Sorlin (Archives départementales de Saône-et-Loire, Correspondance Adrien Arcelin).
50 Quatrefages (Armand de), L’espèce humaine, Paris : Alcan, 1886, p. 104.
51 Ibid., p. 103.
52 Arcelin (Adrien), « La classification préhistorique des âges de la pierre, du bronze et du fer », Revue des Questions Scientifiques, janvier 1877, Louvain, Peeters & Paris, pp. 399-425.
53 Coye (Noël), « Solutré et la première archéologie préhistorique (1866-1907) », in Évin (Jacques), Philippe (Michel) (sous la dir.), 150 ans de Préhistoire autour de Lyon sous la direction de Jacques Evin et Michel Philippe, Lyon : Département du Rhône ; Muséum, 2005, pp. 109-116 (Cahiers scientifiques – Hors série ; 3).
54 Arcelin (Adrien), L’âge de la pierre et la classification préhistorique d’après les sources égyptiennes, réponse à MM. Chabas et Lepsius, Paris : Reinwald & Cie, 1873, p. 24.
55 Cartailhac (Émile), « Adrien Arcelin : La classification préhistorique des âges de la pierre, du bronze et du fer, Extrait de la Revue des Questions Scientifiques, Louvain, 1877, 32 p. », Matériaux pour l’histoire primitive et naturelle de l’homme, 12e volume, 2e série, T. 8, 1877, p. 398.
56 Adrien Arcelin, lettre à Gabriel de Mortillet, 9 mai 1869, Mâcon (Archives du Musée d’Archéologie Nationale, Saint-Germain-en Laye, Correspondance Adrien Arcelin).
57 Arcelin (Adrien), « La question préhistorique », Extrait du Correspondant, Paris : Douniol, 1873, p. 18.
58 « Les froids arrêtent nos fouilles de Solutré. Mais nous sommes sur la voie de faits stratigraphiques très précieux. Nous trouvons trois étages superposés avec une régularité maintenant démontrée. Au-dessous, des couches que nous croyons appartenir au moustérien ; par-dessus les lits d’ossements de cheval ; et, par-dessus le cheval, les foyers de l’âge du Renne. Dès que nous aurons réuni toutes nos preuves nous publierons des coupes qui, je l’espère, ne laisseront aucun doute dans les esprits et nous fournirons une nouvelle occasion de rendre témoignage en faveur de votre classification. » Adrien Arcelin, lettre à Gabriel de Mortillet, 17 décembre 1874, Mâcon (Archives du Musée d’Archéologie Nationale, Saint-Germain-en Laye, Correspondance Adrien Arcelin).
59 Arcelin (Adrien), « La classification préhistorique des âges de la pierre, du bronze et du fer », Revue des questions scientifiques, janvier 1877, pp. 399-425.
60 « Merci de l’envoi de votre classification des cavernes que je connaissais déjà par les Matériaux. C’est court, mais indiscutable et solidement étayé. » Adrien Arcelin, lettre à Gabriel de Mortillet, 10 octobre 1869, Fuissé Correspondance Adrien Arcelin, Archives du Musée d’Archéologie Nationale, Saint-Germain-en Laye ; « Je suis tout à fait de votre avis, votre classification se confirme tous les jours ; il n’est pas jusqu’aux fouilles d’Hissarlik qu’on voudrait interpréter contre vous, que je ne considère au contraire comme venant à l’appui de ce que nous révèlent nos fouilles et nos recherches occidentales. » Adrien Arcelin, lettre à Gabriel de Mortillet, 3 mai 1874, Mâcon (Archives du Musée d’Archéologie Nationale, Saint-Germain-en Laye, Correspondance Adrien Arcelin).
61 François Chabas fait ses études à Chalon-sur-Saône puis devient marchand de vin tout en appartenant aux sociétés savantes locales et en apprenant en autodidacte le latin, le grec et l’ancien égyptien. Il gagne ses galons d’égyptologue dans le sillage de Vivant Denon (1745-1825) et publie une cinquantaine d’ouvrages scientifiques, dont Phénicie et Palestine au xive siècle avant notre ère, où il évoque l’histoire d’Abraham et de la Terre promise. Élu membre correspondant de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres (1871), il refuse une chaire au Collège de France (1872). Mère (Emmanuel), François Chabas, profession égyptologue, Nanton : Éditions Hérode, 2003, 93 p.
62 Ibid., p. 67.
63 Adrien Arcelin, lettre à Gabriel de Mortillet, 9 juin 1869, Fuissé (Archives du Musée d’Archéologie Nationale, Saint-Germain-en Laye, Correspondance Adrien Arcelin).
64 Il avait contredit le mémoire d’Arcelin et celui de MM. Hamy et Lenormant dans cette publication : R. Lepsius, Ueber die Annahme eines sogenannten praehistorischen Steinalters in Aegypten, juillet-sept 1870.
65 Arcelin (Adrien), L’âge de la pierre et la classification préhistorique d’après les sources égyptiennes, réponse à MM. Chabas et Lepsius, Paris : Reinwald & Cie, 1873, 52 p.
66 Arcelin (Adrien) & Ducrost (Antoine), Les fouilles de Solutré, lettre à M. Chabas Correspondant de l’Institut de France, Mâcon : Imprimerie d’Émile Protat, 1875, p. 9.
67 Arcelin (Adrien), L’âge de la pierre et la classification préhistorique, op. cit., p. 34. Gispert (Hélène) (sous la dir.), Par la science, pour la patrie - L’Association Française pour l’Avancement des Sciences (1872-1914). Un projet politique pour une société savante, Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2002, 372 p. (Carnot).
68 Ces observations seront confirmées par MM. Hamy et Lenormant quelques mois après. Arcelin (Adrien), L’âge de la pierre et la classification préhistorique, op. cit., p. 8.
69 « J’ai reçu et lu avec intérêt votre lettre ouverte à MM. Arcelin et Ducrost. Les fouilleurs de Solutré devront se repentir amèrement de vous avoir mal traité : ils resteront longtemps meurtris des coups qu’ils se sont attirés. Les exécutions exemplaires que vous avez faites depuis quelque temps vont sans doute vous procurer la paix nécessaire à vos grands travaux. » Père Hyacinthe de Valroger, lettre à François Chabas, août 1875 (Archives de l’Oratoire, Paris, Carton 2a).
70 « Brouillons de lettres à M. M. Arcelin et Chabas », 6 p. (Archives de l’Oratoire, Paris, Archives Père Hyacinthe de Valroger, Carton 2a).
71 Cette même année 1873 dans La genèse des espèces, le Père de Valroger critique également Gaudry : « L’idée de transmutation des espèces a trouvé chez nous un interprète… judicieux…, c’est M. Albert Gaudry, aujourd’hui professeur de paléontologie au Muséum. Lui aussi se permet de croire en Dieu » cité par Laurent (Goulven), « Les catholiques face à la géologie et à la paléontologie de 1800 à 1880 », Christianisme et science, Études réunies par l’Association d’Histoire Religieuse contemporaine, Paris-Lyon : Vrin et Institut Interdisciplinaire d’Études Épistémologiques, 1989, p. 95.
72 Arcelin (Adrien), L’âge de la pierre et la classification préhistorique, op. cit., p. 28.
73 Arcelin (Adrien), « La question préhistorique », Extrait du Correspondant, Paris : Douniol, 1873, 67 p.
74 Ibid., p. 36.
75 Ibid.
76 Ibid., p. 18.
77 Originaire de Picardie où il effectue ses premières fouilles (Chelles), Ernest d’Acy devient membre de la Société des Antiquaires de Picardie, puis de la Société d’anthropologie de Paris et correspondant de la Société scientifique de Bruxelles à partir de 1881. Il s’oppose à plusieurs reprises à Gabriel de Mortillet au sujet de la classification, il refuse par exemple de distinguer le Chelléen et l’Acheuléen. Il participe aux Congrès scientifiques internationaux des catholiques de 1888 et 1891. Pendant plus de trente ans, il accumule une riche collection qu’il a léguée au Musée des Antiquités Nationales à Saint-Germain-en-Laye.
78 Quatrefages (Armand de), L’espèce humaine, op. cit., p. 318.
79 « Si jamais on retrouve véritablement les traces de nos premiers ancêtres, elles affirmeront certainement la chute originelle, qui est le point fondamental du dogme chrétien, par un état de misère et d’abaissement profond. Mais qui dit abaissement et misère ne dit point dégradation et sauvagerie. L’homme n’avait pas tout perdu dans son naufrage : il lui restait le souffle divin, principe de sa grandeur et de sa réhabilitation », ibid., p. 36.
80 Cartailhac (Émile), « Adrien Arcelin : La classification préhistorique des âges de la pierre, du bronze et du fer, Extrait de la Revue des questions scientifiques, Louvain, 1877, 32 p. », Matériaux pour l’histoire primitive et naturelle de l’homme, 12e volume, 2e série, T. 8, 1877, p. 398.
81 L’archéologue de Solutré craint d’ailleurs sa réaction : « J’attends maintenant la réplique de notre confrère M. de Mortillet. J’espère qu’il ne se fâchera pas et que nous pourrons contiuer la discussion s’il le juge à propos. » Adrien Arcelin, lettre à Ernest Chantre, 19 mai 1887, (Archives départementales de Saône-et-Loire, Correspondance Adrien Arcelin).
82 Adrien Arcelin, lettre à Salomon Reinach ou Alexandre Bertrand, 25 août 1888, Saint-Sorlin (Archives du Musée d’Archéologie Nationale, Saint-Germain-en Laye, Correspondance Adrien Arcelin).
83 Adrien Arcelin, lettre à Salomon Reinach ou Alexandre Bertrand, 8 novembre 1889, Saint-Sorlin (Archives du Musée d’Archéologie Nationale, Saint-Germain-en Laye, Correspondance Adrien Arcelin). Au moment de cette lettre, les silex sont exposés au Champs de Mars, Arcelin propose que le Marquis de Nadaillac aille remettre le lot au Musée de Saint-Germain.
84 Arcelin (Adrien), « L’homme tertiaire », Congrès scientifique international des catholiques tenu à Paris en 1888, 6e section Sciences anthropologiques, Paris : Bureaux des Annales de Philosophie Chrétienne, 1889, pp. 638-667.
85 Mortillet (Gabriel de), « Silex tertiaires intentionnellement taillés », Matériaux pour l’histoire primitive et naturelle de l’homme, 19e volume, 3e série, T. 2, 1885, p. 254.
86 Arcelin (Adrien), « Silex tertiaires », Matériaux pour l’histoire primitive et naturelle de l’homme, 3e série, T. 2, 1885, p. 307.
87 Ibid.
88 Ibid., p. 308.
89 « Congrès international d’anthropologie et d’archéologie préhistorique, session de Paris, 1889 », L’Anthropologie, T. I, 1890, p. 249.
90 Mortillet (Gabriel de), « Les sépultures de Solutré », Bulletin de la Société d’Anthropologie de Lyon (séance du 14 avril 1888), T. 7, 1888, pp. 70-75.
91 Ibid., p. 72.
92 Selon Gabriel de Mortillet, l’homme préhistorique se comportait dans son attitude face à la mort comme un animal : « le mort était semblable au gibier qu’il venait d’abattre. Pourtant il mangeait le gibier et ne mangeait pas l’homme mort. C’est là un sentiment qu’on retrouve généralement dans toute l’animalité, sentiment qu’a pu développer l’instinct de conservation de l’espèce. […] « Le mort n’était plus rien pour l’homme de ces temps lointains. Il n’y avait donc pas croyance à l’existence d’une âme. Il n’y avait pas non plus croyance en un dieu protégeant ou punissant ses créatures. La conception d’un être spirituel n’existait pas. Tout semble indiquer que l’homme paléolithique était totalement dépourvu du sentiment de la religiosité ». Mortillet (Gabriel de), Le préhistorique, origine et antiquité de l’homme, 3e édition, Paris : Schleicher frères, 1900, p. 336. Mortillet admet l’existence de sépultures à partir seulement du Néolithique.
93 Combier (Jean), Thoral (Marcel) & Riquet (Raymond), « Solutré », Travaux du laboratoire de Géologie de la Faculté des Sciences de Lyon, n ° 2, 1955, p. 87.
94 Tournier (abbé Joseph), « La grotte des Hoteaux (Ain) Sépulture de l’âge du renne », Compte rendu du 4e Congrès scientifique international des catholiques tenu à Fribourg du 16 au 25 août 1897, 9e section : Sciences anthropologiques, 1898, pp. 150-165.
95 Adrien Arcelin, lettre à Gabriel de Mortillet, 30 janvier 1895, Mâcon (Archives de l’Institut d’Archéologie, Université de la Sarre, Saarbrücken, Allemagne, Carton K-A).
96 Entre en 1822 dans la Compagnie de Jésus où il devient professeur de mathématiques et de physique. Il en sort en 1843 pour une affaire d’argent. L’abbé Moigno est le fondateur des revues de vulgarisation scientifique (à vocation apologétique) Cosmos puis Les Mondes. Comblé d’honneurs il est promu chanoine de St. -Denis. Il engage dans la revue Cosmos Les mondes une controverse en 1883 au sujet du Traité de géologie d’Albert de Lapparent. Il s’offusque de l’absence de références faites à Moïse, au Déluge, aux Pères de l’Église dans l’ouvrage de géologie du professeur de l’Institut Catholique de Paris. Cf. article de A. Demoment, dans Catholicisme hier aujourd’hui demain, Paris : Letouzey & Ané, 1982, T. 9, p. 462.
97 Mortillet (Gabriel de), « Chronique », Matériaux pour l’histoire positive et philosophique de l’homme : bulletin des travaux et découvertes concernant l’anthropologie, les temps anté-historiques, l’époque quaternaire, les questions de l’espèce et de la génération spontanée, avril 1865, p. 350.
98 Mortillet (Gabriel de), « Carl Vogt, Leçon sur l’homme, sa place dans la création et dans l’histoire de la terre, traduit par J. -J. Moulinié, Paris, 1865, 632 p. », Matériaux pour l’histoire positive et philosophique de l’homme, avril 1865, p. 381.
99 Émile Cartailhac, lettre à Gabriel de Mortillet, 15 novembre 1866, Toulouse (Bibliothèque de l’Université de la Sarre, Saarbrücken, Allemagne, Carton bordeaux 5, deuxième étagère).
100 Cartailhac s’essaye également au genre anticlérical dans un article signé du pseudonyme Paulus Emilius « Causerie philosophique et scientifique et scientifique : l’homme et le singe ». Le comte Henri Bégouën souligne qu’il n’a jamais « désavoué cette œuvre de jeunesse, mais ne s’en est pas vanté non plus. » Bégouën (Henri), « Les précurseurs toulousains de la préhistoire », L’Auta (organe de la Société les Toulousains de Toulouse), no 76, août 1935, p. 11.
101 Cartailhac (Émile), « Congrès archéologique de France, 41e session, Toulouse et Agen », Matériaux pour l’histoire primitive et naturelle de l’homme, 9e volume, 2e série, T. 5, 1874, pp. 276, 284.
102 Rioult de Neuville (Louis), « James C. Southall, The recent Origin of man, Philadelphie, 1875 », Matériaux pour l’histoire primitive et naturelle de l’homme, 11e volume, 2e série, T. 7, 1876, pp. 353-361.
103 Rioult de Neuville (Louis), « Quelques observations critiques sur la classification adoptée par M. de Mortillet dans son Cours d’Archéologie préhistorique », Matériaux pour l’histoire primitive et naturelle de l’homme, 12e volume, 2e série, T. 8, 1877, pp. 121-127.
104 La Société Archéologique du Midi de la France est fondée à Toulouse en 1831 par le Marquis de Castellane pour étudier et défendre les monuments du Midi de la France.
105 Émile Cartailhac, lettre à Gabriel de Mortillet, 21 mars 1879, Toulouse (Archives de l’Institut d’Archéologie, Université de la Sarre, Saarbrücken, Allemagne, Archives Mortillet, Carton K-C-III).
106 Émile Cartailhac, lettre à Gabriel de Mortillet, 20 septembre 1882, Toulouse (Archives de l’Institut d’Archéologie, Université de la Sarre, Saarbrücken, Allemagne, Archives Mortillet, Carton K-C-III). Les crispations s’apaisent puisque Cartailhac en devient président de 1914 à sa mort.
107 Cazalis de Fondouce (Paul), « Réponse aux objections de M. Cartailhac à mon Mémoire sur la non-existence d’une lacune entre les deux âges de la pierre », Matériaux pour l’histoire primitive et naturelle de l’homme, 10e volume, 2e série, T. 6, 1875, pp. 224-227.
108 Émile Cartailhac, lettre à Gabriel de Mortillet, sans date, Toulouse (Archives de l’Institut d’Archéologie, Université de la Sarre, Saarbrücken, Allemagne, Archives Mortillet, Carton K-C-III).
109 Émile Cartailhac, lettre à Gabriel de Mortillet, 25 avril 1875, Toulouse (Carton K-C-III Archives de l’Institut d’Archéologie - Université de la Sarre, Saarbrücken, Allemagne).
110 Médecin anatomiste, partisan du transformisme, il s’intéresse à l’anatomie comparée des vertébrés, et après sa thèse devient professeur de zoologie à la faculté des sciences de Montpellier. Voir Hondt (Jean-Loup d’), « L’œuvre et le rayonnement scientifiques d’Armand Sabatier (1834-1910) », in Diot (Marie-Françoise) & Brouzeng (Paul) (sous la dir.), Transmission et diffusion des savoirs dans le sud de la France, Paris : Éditions du CTHS, 2007, pp. 9-21.
111 Cazalis de Fondouce (Paul), « Les premières civilisations. Études d’histoire et d’archéologie, par M. F. Lenormant », Matériaux pour l’histoire primitive et naturelle de l’homme, 9e volume, 2e série, T. 5, 1874, pp. 81-82.
112 Cazalis de Fondouce (Paul), « B. Pozzi, La terre et le récit biblique de la création », Matériaux pour l’histoire primitive et naturelle de l’homme, 9e volume, 2e série, T. 5, 1874, pp. 211-212.
113 Cazalis de Fondouce (Paul), « Carina A., Dell’uomo preistorico », Matériaux pour l’histoire primitive et naturelle de l’homme, 16e volume, 2e série, T. 12, 1881, p. 241.
114 Émile Cartailhac, lettre à Gabriel de Mortillet, 25 novembre 1874, Toulouse (Archives de l’Institut d’Archéologie, Université de la Sarre, Saarbrücken, Allemagne, Carton K-C-III).
115 Émile Cartailhac, lettre à Gabriel de Mortillet, 20 décembre 1874, Toulouse (Archives de l’Institut d’Archéologie, Université de la Sarre, Saarbrücken, Allemagne, Carton K-C-III).
116 Comme journaliste, Mortillet se fait propagandiste du socialisme dans le sillage de la révolution de 1848. Il doit ensuite s’exiler en Suisse et en Italie pour éviter l’emprisonnement. Reinach (Salomon), « Gabriel de Mortillet », Revue Historique, T. 69, janvier-avril 1899, p. 68.
117 « La fondation C. Reinwald, le 1er janvier 1849, en pleine tourmente, fut un acte de foi républicaine. Elle a contribué à faire rayonner la science française à l’étranger, en même temps qu’elle faisait connaître, en France, Darwin, Haeckel, Huxley, Carl Vogt, Wallace, Büchner, les travaux des savants les plus hardis… Extrait du Siècle, 18 janvier 1900. » in Anonyme, Penseurs, Philosophes, Savants. Trente-six portraits et biographies, Paris : Librairie C. Reinwald & Schleicher Frères Éditeurs, 1905, p. 1.
118 Cartailhac (Émile), « Gabriel de Mortillet, Le préhistorique. Antiquité de l’homme, Paris : Reinwald, 1883 », Matériaux pour l’histoire primitive et naturelle de l’homme, 17e volume, 2e série, T. 13, 1882-1883, p. 554.
119 Ibid., p. 557.
120 Ibid., p. 554.
121 Cartailhac (Émile), « L’âge des Palafittes, Revue des Questions Scientifiques, 1888, par M. Hamard », Les Matériaux, 3e série, T. 5, 1888, Reinwald, Paris, pp. 584-585.
122 Southall a aussi publié en 1878 The Epoch of the Mammoth and the Apparition of man upon the earth, London : Trübner & Co, 1878, 430 p.
123 Cartailhac (Émile), « L’âge des Palafittes, Revue des Questions Scientifiques, 1888, par M. Hamard », op. cit.
124 Voici les citations du Marquis de Nadaillac retenues par Mortillet : « Je ne sais pas pour ma part de plus admirable spectacle que la contemplation de cette longue chaîne des êtres se prolongeant depuis l’organisme le plus infime jusqu’à l’homme qui en forme le dernier et le plus merveilleux chaînon. Marquis de Nadaillac, Correspondant, 10 novembre 1888, p. 415. » puis « Sans doute, la lutte des êtres entre eux est depuis l’origine du monde demeure à l’état permanent. Notre globe est, à été et sera toujours un champ de bataille sans trêve et sans merci. Marquis de Nadaillac, le Correspondant, 10 novembre 1888, p. 459. » Mortillet (Gabriel de), « Cléricalisme - Science », Dossier manuscrit, 5 p. (Bibliothèque de l’Université de la Sarre, Saarbrücken, Allemagne, Carton bordeaux 48, deuxième étagère).
125 Émile Cartailhac, lettre à Gabriel de Mortillet, 25 novembre 1874, Toulouse (Archives de l’Institut d’Archéologie, Université de la Sarre, Saarbrücken, Allemagne, Carton K-C-III).
126 Originaire de Caen, le Père Hyacinthe de Valroger (1814-1876) opte pour le sacerdoce après deux ans de médecine. Ordonné en 1837, il est nommé directeur d’un petit séminaire puis devient professeur de philosophie au Grand Séminaire de Sommervieu et Chanoine honoraire de la cathédrale de Bayeux. Quand, à partir de 1852, le Père Joseph Gratry (1805-1872) restaure l’ordre des Oratoriens, il décide de se consacrer à l’apologétique au sein de ce projet. Ses centres d’intérêts sont l’étude des religions de l’Inde, la philosophie éclectique, et l’accord de la science et de la foi, notamment la préhistoire.
127 Souligné par Cartailhac. Émile Cartailhac, lettre à Gabriel de Mortillet, 25 novembre 1874, Toulouse (Archives de l’Institut d’Archéologie, Université de la Sarre, Saarbrücken, Allemagne, Carton K-C-III).
128 Nous rencontrons ces comparaisons politiques à plusieurs reprises dans les archives. Lorsque Mortillet souhaite établir un répertoire des transformistes en France, le préhistorien du Sud-Ouest François Daleau (1845-1927) s’en déclare incapable : « En principe nous sommes presque tous disciples de Lamarck, mais comme chez les républicains, il y a opportunistes, radicaux socialistes etc. Craignant d’être inexact dans mon classement, je me déclare incompétent. » François Daleau, lettre à Gabriel de Mortillet, 19 mars 1896, Bourg-sur-Gironde (Bibliothèque de l’Université de la Sarre, Saarbrücken, Allemagne, Carton 1, deuxième étagère, « Sur le Monument Lamarck »).
129 Émile Cartailhac, lettre à Adrien de Mortillet, 14 mai 1884, Toulouse (Archives de l’Institut d’Archéologie, Université de la Sarre, Saarbrücken, Allemagne, Carton K-C-III).
130 Il cite sans donner son nom « celui qui a cru devoir annoncer au monde étonné que les hommes de l’âge du Renne dessinaient ».
131 Cartailhac (Émile), « Les primitifs, Études d’ethnologie comparée, par Élie Reclus, Paris, Chemerot, 1885 », Matériaux pour l’histoire primitive et naturelle de l’homme, 19e volume, 3e série, T. 2, 1885, p. 474.
132 Hartog (François), Régime d’historicité, présentisme et expérience du temps, Paris : Le Seuil, 258 p. Voir aussi Pomian (Krzysztof), L’ordre du temps, Paris : Gallimard, 1984, 365 p. ; Hartog (François) & Revel (Jacques) (sous la dir.), Les usages politiques du passé, Paris : EHESS, 2001, 206 p.
133 La réflexion d’Émile Cartailhac se poursuit d’ailleurs ainsi : « Les philosophes théologiens et autres qui dissertent sur la destinée de l’homme sans avoir interrogé l’ethnologie rappellent les antiquaires de l’Académie celtique et leurs romantiques récits sur les dolmens et les gaulois ». Cartailhac lie ici la préhistoire à la modernité et le catholicisme au passéisme.
134 Corbin (Alain), Les cloches de la terre, paysage sonore et culture sensible dans les campagnes au xixe siècle, Paris : Albin Michel, 1994, 359 p.
Auteur
École Pratique des Hautes Études (Groupe Sociétés, Religions, Laïcités).
fanny.defrance@gmail.com
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