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Avant l’éthique environnementale

La prise de conscience des scientifiques

p. 449-472


Texte intégral

1Avant de présenter les courants principaux de l’éthique environnementale et leur articulation avec la question des extinctions, nous ne pouvons négliger sous couvert de superficialité les arguments et les appels lancés par les scientifiques au grand public. Cette entrée en matière sera constituée par les arguments généralement avancés par les scientifiques (biologistes, écologues, conservationnistes) et souvent repris par les politiques, les associations environnementales et plus généralement le grand public. Ce chapitre constituera par ailleurs une transition entre le débat sur les fondements éthiques et épistémologiques de la biologie de la conservation et la réflexion éthique proprement dite à propos des extinctions d’espèces.

Les métaphores scientifiques

2Une métaphore est une figure de style qui permet de donner à comprendre, ou du moins à imaginer, un concept, une théorie ou encore un principe moral par une image ou une représentation qui font directement appel à nos sens ou à notre expérience commune. Il s’agit littéralement d’« incarner » une idée, de lui donner une épaisseur physique, une existence mondaine, d’en imprégner directement la chair du lecteur par l’expérience (simulée) d’une sensation ou d’une situation. La métaphore, comme tout type d’analogie, n’est pas une forme valide d’argumentation rationnelle et encore moins scientifique9. Elle se situe du côté de l’imagination, de l’évocation, de la poésie. Pourtant, c’est bien ce mode d’exposition qu’ont privilégié les scientifiques sonneurs d’alerte écologique, experts des faits mais profanes en moralisme. Si la forme de leur argumentation éthique laisse à désirer selon les standards de la philosophe professionnelle, le fond mérite un examen attentif, tant par ce qu’il révèle d’une pensée occidentale tout à coup confrontée à l’impensé, la tragique fragilité de la nature, que par l’influence ultérieure qu’ont exercés ces métaphores sur les débats environnementaux.

David Ehrenfeld

3Nous débuterons notre tour d’horizon des auteurs scientifiques contemporains par David Ehrenfeld, fondateur de la revue Conservation Biology en 1987. Dès le début des années 70, il publie un livre de vulgarisation scientifique et de sensibilisation de l’opinion publique aux problèmes écologiques, Conserving life on Earth. Dans ce livre, il souhaite promouvoir le rôle du biologiste comme « avocat du monde naturel »10 et y développe un réquisitoire engagé contre la disparition des espèces et contre les menaces humaines envers la vie terrestre. Mais son entreprise va bien au-delà de la simple expertise scientifique ; il souhaite convaincre la plus large audience que des raisons autres qu’utilitaristes doivent être invoquées pour conserver la diversité du vivant. Il pense ainsi qu’il est impératif que les gens voient et ressentent par eux-mêmes ce que l’écologie étudie et tente de sauver. Les plus profondes et les plus importantes justifications de la conservation ne peuvent être qu’appréhendées de cette façon : « Qui connaît le monde si bien qu’il peut affirmer que les raisons « objectives » scientifiques pour sauver les alligators sont plus importantes en définitive que les raisons émotionnelles, « subjectives » ? Les premières sont fortement mises en avant dans ce livre, mais seulement parce que les dernières sont acquises par une démarche personnelle, non en lisant un exposé scientifique. »11

4Ehrenfeld poursuivra dans cette voie, « ce sentiment vague, mais grandissant, que la perspective anthropocentrique dans son ensemble n’est pas toujours la plus sage et la meilleure »12, et publiera en 1978, The arrogance of humanism13. Se servant de son statut et de ses connaissances scientifiques comme d’un tremplin, Ehrenfeld commet même ce que l’on pourrait désigner comme une apostasie, en condamnant la raison humaine pour ses méfaits environnementaux, raison dont l’apogée passe justement pour être la pensée scientifique dont Ehrenfeld est un brillant représentant !

5En ce sens, l’écologie dévoile sa nature « subversive »14 ; il s’agit en effet de la seule science capable de remettre en cause, non seulement ses propres fondements, mais aussi ceux du grand projet scientifique moderne, voire de la rationalité occidentale dans son ensemble ; car la vision mécaniste et réductionniste d’une nature inerte, réservoir de ressources attendant d’être exploitées par l’homme, semble radicalement questionnée par la crise environnementale. Les écologistes sont au premier rang des scientifiques qui doivent essayer de dépasser les cadres rigides cartésiens et newtoniens pour essayer de comprendre la nature dans ce qu’elle a de vivant, d’émergent, de complexe, de spontané.

6Mais au-delà du paradoxe, Ehrenfeld nous engage à adopter ce qu’il nomme « Le Principe de Noé ». Selon les Écritures, Noé n’a pas jugé l’utilité ou la dangerosité des espèces avant de réunir leurs couples de représentants dans l’Arche : « cette valeur non-humaniste des communautés et des espèces est la plus simple de toutes à affirmer : celles-ci devraient être conservées non seulement parce qu’elles existent mais aussi parce que cette existence même est l’expression actuelle d’un processus historique persistant, d’une antiquité et d’une majesté immenses. Il faut considérer qu’une existence qui perdure de très longue date porte en elle le droit inaliénable de continuer à exister »15. Nous verrons plus loin, grâce à Callicott, que cette interprétation du récit biblique (le J-theism) ressortit à la version la plus ancienne de la Genèse, la version J « édénique », celle qui fait de l’homme un « gardien » de la Terre et de ses créatures et non un maître qui doit la dominer comme dans la version la plus récente, la version P, dite du « Prêtre ».

Norman Myers

7Restons quelques instants sur la référence à Noé. Dans le discours des scientifiques au sujet des extinctions, le thème de « l’Arche de Noé » est souvent rappelé et mis à contribution. On peut, à la même période que le dernier livre d’Ehrenfeld, faire référence au titre d’un ouvrage publié par Norman Myers, The sinking ark : A new look at the problem of disappearing species16, ou plus récemment à des livres tels que Ethics on the ark : zoos, animal welfare, and wildlife conservation17 ou encore Noah’s choice18.

8Dans le cas de Myers, la référence à l’Arche de Noé est mobilisée comme métaphore de notre planète. Mais au lieu que l’Arche serve à sauvegarder les espèces de la disparition, la parabole du mythe est renversée, et c’est l’Arche qui coule à cause des espèces qui s’éteignent. Les espèces doivent être protégées afin d’éviter le naufrage de notre archeplanète, justification inverse de la tradition religieuse, comme l’a remarqué Rolston19. Le souci premier de la conservation ne concerne plus chaque espèce en elle-même, mais toutes les espèces dans la mesure où elles contribuent à l’équilibre global de la planète.

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L’Arche de Noé Huile sur toile de Louis de Waroquier.

9L’énumération des raisons (écologiques, économiques, esthétiques, éthiques) pour lesquelles les espèces sont de la plus grande importance montre différents types d’intérêts, dont l’humain n’est pas le dernier. Et malgré un attachement personnel à l’idée que les autres formes de vie ont une valeur intrinsèque20, Myers justifie sa mise en avant des intérêts humains par la constatation pragmatique de la marche du monde et des affaires humaines (comme la plupart des autres scientifiques et citoyens) : « Bien que j’approuve pleinement le fait que chaque espèce ait le droit à la poursuite de sa propre existence sur cette planète que nous partageons, je ne crois pas que le monde marche de cette façon »21.

10Par ailleurs, si d’un point de vue rhétorique, l’image de l’arche de Noé est des plus judicieuses et des plus évocatrices, elle doit être employée avec beaucoup de précautions. Bien sûr, on ne peut manquer de remarquer que le nombre faramineux d’espèces vivantes rend impossible tout projet de préservation individuelle de chaque espèce et encore moins de les faire toutes rentrer dans une arche humaine, aussi énorme soit-elle, mais de constater que la notion d’espèce a changé depuis le temps des tribus sémitiques de l’Ancien Testament. Vouloir conserver de nos jours intactes les espèces en danger dans ce qui fait office d’arches, à savoir réserves, parcs naturels ou zoos, n’est plus envisageable biologiquement : depuis Darwin, nous savons que les espèces évoluent et se transforment sous l’influence de la sélection naturelle, en relation avec leur environnement. Or, l’environnement de l’arche n’est pas celui dans lequel les espèces ont évolué, et la captivité ou l’isolement conduisent à des modifications de la nature de l’espèce – démographiques, génétiques, éthologiques, morphologiques – sensibles et parfois irréversibles22.

Paul et Anne Ehrlich

11Les scientifiques ont bien d’autres métaphores à leur disposition pour nous alerter sur les dangers des extinctions d’espèces et sur nos devoirs à l’égard de ces dernières. Paul et Anne Ehrlich ont marqué l’opinion publique américaine en publiant en 1981 un livre qui fit date dans la défense de la nature : Extinction : the causes and consequences of the disappearance of species23. À leur tour les Ehrlich, professeurs de biologie à Stanford, abordent le sujet des causes de la disparition des espèces et des mesures à prendre afin de les protéger. Ils fournissent comme les auteurs précédents une liste des raisons pour lesquelles il est urgent de prendre ce danger au sérieux. Nous retrouvons les raisons directement anthropocentriques : économiques, esthétiques, émotionnelles et des raisons moins spécistes sur le droit des espèces à exister.

12Mais le livre a surtout marqué les esprits par sa parabole du « rivet poppers » présentée dans la préface. Voici l’argument résumé en quelques lignes : au moment de prendre l’avion, une personne s’aperçoit qu’un technicien est en train de déboulonner les rivets qui tiennent l’aile de l’avion. Intrigué par l’opérations, il demande au technicien les raisons de cette tâche : celui-ci répond que la compagnie aérienne s’est aperçu qu’il y avait beaucoup plus de rivets que nécessaires pour tenir les ailes de l’avion ; en les récupérant et en les vendant, elle fera ainsi des économies. Manifestant son incrédulité et son indignation, le passager est rassuré par le technicien qui lui affirme que l’avion a déjà volé avec des rivets en moins ; tant que les ailes tiennent, il n’y a pas de souci à avoir. L’analogie avec les extinctions d’espèces est évidente : « Le déboulonnage de rivets sur le Vaisseau Terre consiste à être complice de l’extermination d’espèces et de populations d’organismes non-humains »24. Parce que jusqu’à présent les disparitions de centaines d’espèces par la faute des hommes n’ont pas provoqué de désastre majeur, nous continuons dans une insouciance fatale à croire que la disparition d’une espèce ne peut être bien grave, jusqu’au jour où un rivet en moins provoquera l’effondrement de tout le système ; mais alors, il sera trop tard ! Si le passager de la compagnie « rivet-popping » a le droit et même le devoir de dénoncer cette compagnie pour sa folie et de voyager dans des avions normaux et largement plus sûrs, nous sommes malheureusement tous embarqués, sans alternative possible, sur le même vaisseau spatial, la Terre (Spaceship Earth).

13Cette parabole est une illustration remarquable d’une erreur de logique trop répandue, le « paralogisme inductif », que commettent aussi bien les rivet poppers que nombre de responsables politiques25. Ils supposent en effet que la non-occurrence d’une catastrophe de très faible probabilité jusqu’à la période présente indique qu’elle a très peu de chances de se produire dans le futur. Or, dans la mesure où les occurrences d’extinctions d’espèces ne sont pas indépendantes, chaque nouvelle extinction augmente, bien que légèrement, la probabilité que la prochaine déclenche une réaction en chaîne écologique dramatique.

14Il ne faut cependant pas surestimer l’importance de cette version écologique de « la goutte qui fait déborder le vase » ou de la chute des dominos. Comme nous l’avons vu, des chercheurs ont récemment émis l’hypothèse que la courbe des extinctions au cours des temps géologiques suivrait une dynamique chaotique critique qui pourrait parfois entraîner une véritable extinction de masse par une chaîne d’extinctions secondaires26. Cette théorie est cependant loin d’être confirmée empiriquement, et s’il est plus qu’improbable que la perte d’une seule espèce provoque le naufrage de notre Arche terrestre, la disparition de certaines espèces-clés peut gravement affecter le fonctionnement de leur écosystème.

15On peut aussi critiquer cette théorie du « rivet popping » à la lumière de ses bases épistémologiques et éthiques. Tout d’abord, ce modèle apparaît très mécaniste dans ses présupposés. Chaque espèce équivaut à un rivet, tous les rivets étant identiques. Nombre de biologistes de la conservation s’évertuent au contraire à montrer que l’étude des systèmes écologiques n’est pas réductible à celle des machines, aussi complexes soient-elles, et qu’il faut aborder leur étude avec une vision holiste. Surtout, traiter les espèces de rivets et ne les prendre en considération que dans la mesure où leur existence nous prévient d’un crash écologique revient à les transformer en simples ressources. Or, comme le souligne Holmes Rolston, cette conception des espèces revient à négliger celles dont on ignore la valeur, par choix ou par ignorance, et à ne s’intéresser qu’au pourcentage minime de celles qui constituent une ressource avérée27. C’est faire montre d’un bien piètre sens moral et d’un biais spéciste évident en faveur d’Homo sapiens.

16Cela dit, Paul Ehrlich se laisse facilement aller à des confidences sur son attirance vers la spiritualité de la Deep Ecology28 et affirme, à l’encontre de la conclusion de Rolston que « nous sentons que l’extension de la notion de “droit” à d’autres créatures [...] est une extension naturelle et nécessaire de l’évolution culturelle d’Homo sapiens »29.

La métaphore du livre

17Une autre métaphore à avoir marqué non seulement le public, mais aussi le législateur américain, se rapporte à la source de connaissances irremplaçables que constituent les espèces. Témoignant devant le Congrès américain en 1991, Thomas Lovejoy déclare que « la variété de la vie sur Terre représente une extraordinaire ressource intellectuelle, et constitue avant tout la bibliothèque de base sur laquelle les sciences de la vie peuvent se construire le type de perte, rapide, que nous connaissons au xxe siècle est une forme d’autodafé (book-burning) et l’un des plus grands actes anti-intellectuels de tous les temps »30.

18Cette métaphore du « livre » a été proposée par d’autres scientifiques, dont David Ehrenfeld ou Edward O. Wilson, et reprise allègrement par les philosophes ; Holmes Rolston précise ainsi : « Détruire des espèces revient à déchirer les pages d’un livre non encore lu, écrit dans un langage que les humains savent à peine comment lire, sur le lieu dans lequel ils vivent. »31 Malgré la référence forte à l’obscurantisme et l’autodafé qu’elle véhicule, cette métaphore a été critiquée par Rolston pour révéler une fois de plus un souci anthropocentrique de la nature ; car si nous devons protéger les livres ou les espèces, ce n’est pas pour eux-mêmes, mais bien par devoir de prudence et d’éducation envers l’humanité. De plus, cette métaphore n’est pas neutre épistémologiquement : Wilson explique que les espèces sont plus riches en information qu’une peinture du Caravage ou que n’importe quelle autre œuvre d’art : « L’information complète qu’[une espèce] contient [...] remplirait tout juste les quinze éditions de l’Encyclopedia Britannica publiées depuis 1768. »32 L’image du livre connote en fait plus ou moins directement l’information génétique portée par l’espèce et nous ramène à un concept atomiste de l’espèce, réductible à une somme d’information, et par conséquent à la valorisation instrumentale potentielle de cette espèce.

19Donc, bien que la plupart des conservationnistes soient mus par la noble et sincère ambition de protéger les espèces pour leur valeur intrinsèque, les métaphores qu’ils emploient trahissent pourtant une vision instrumentale de la diversité du vivant. De plus, quelles que soient les raisons, émotionnelles, philosophiques ou religieuses qui conduisent ces auteurs scientifiques à se mobiliser de manière désintéressée au nom de l’existence même des autres espèces, ils ne peuvent s’empêcher de consacrer une partie de leurs ouvrages à l’énumération redondante de la valeur instrumentale du monde vivant. Sont-ils à ce point persuadés que la société pourra seulement accepter comme valables des arguments anthropocentriques, que des efforts ne pourront être consentis pour la protection des espèces que s’il s’ensuit un bénéfice à court terme ? Les scientifiques sont-ils tellement désabusés par le « désespoir tranquille » d’Homo œconomicus pour préférer désavouer partiellement leurs propres valeurs et se résigner à une pluralité axiologique au bénéfice d’une efficacité pragmatique ? Nous verrons à la fin de ce chapitre que le problème est peut-être à la fois plus profond et moins grave que ce qu’insinuent ces questions. En attendant, certains biologistes éminents, non contents d’ébranler l’opinion publique par leurs métaphores et leurs réquisitoires ont essayé de construire des bases éthiques propres à la conservation des espèces.

Le discours moral des scientifiques

Edward O. Wilson

20Tout comme une bonne partie des conservationnistes américains, Wilson a compris que l’opinion publique sollicitait plus que des faits et des métaphores scientifiques pour être « convertie » à la protection de l’environnement. Donald Worster, par exemple, note que l’intérêt de la société pour les sciences écologiques provient de la recherche d’un accord heureux entre écologie et éthique33 : « Nous souhaitons que les écologistes nous éclairent moralement »34 !

21Le coup de force de Wilson fut de créer un concept fédérateur qui puisse établir un pont entre les faits scientifiques et les valeurs éthiques. Biophilia se définit comme l’idée que les humains sont génétiquement prédisposés à aimer et respecter la nature. Suivant une argumentation sociobiologique, Wilson en appelle au long passé évolutif de l’espèce humaine, à la formation de ses instincts et de ses émotions en rapport à l’environnement par un processus de sélection naturelle, pour déboucher sur la conclusion que nous avons besoin de la présence de la vie et de sa diversité pour notre équilibre physique et psychique, pour épancher notre besoin d’émotions naturelles35.

22Biophilia apparaît ainsi comme un sentiment ou un instinct naturel (car issu de notre propre évolution biologique) et bon – au moins pour l’espèce humaine (car il a permis notre survie). Aujourd’hui, ce concept profond de biophilia nous pousse à aimer et protéger les autres espèces et leur diversité, à l’encontre de raisons plus superficielles, telles la cupidité économique ou le besoin excessif de confort. Plus qu’à une éthique, c’est quasiment à une religion naturelle que Wilson nous convie, la religion du naturaliste, de l’amoureux et du protecteur de la nature. Car s’il y a une chose pour laquelle nos descendants « biophiliens » risquent de ne pas nous absoudre, c’est bien notre destruction de milliers d’espèces et cette perte irremplaçable de sources de bonheur et d’émerveillement, qui prendra des millions d’années pour être réparée.

23Ce sentiment presque sacré du lien intime qui relie l’homme à la nature n’est pas sans rapport avec la philosophie transcendantaliste des pères spirituels de l’environnementalisme américain, Ralph Waldo Emerson et Henry David Thoreau. Selon ce courant de pensée inspiré du romantisme, l’universel se révèle dans le particulier, les événements les plus insignifiants sont le lieu de la révélation et du témoignage des lois universelles de la nature. C’est en lui-même, mais aussi grâce à sa contemplation des règles et de l’harmonie de la nature que chaque individu peut faire l’expérience de la correspondance de son être avec l’entièreté du cosmos et accéder ainsi à l’idée de Dieu. Thoreau, en particulier fut conduit par son amour de la nature et sa quête de spiritualité à passer deux ans dans une cabane au bord du fameux étang de Walden près de la ville de Concord dans le Massachussets.

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Ralph Waldo Emerson
Gravure de Schoff d’après un dessin de Rowse.

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Henri David Thoreau
Daguerréotype de 1856.

24Pour en revenir à Wilson, celui-ci base son sentiment biophilique sur les résultats « scientifiques » d’une évolution partagée pendant des millions d’années ; or, en souhaitant baser son éthique sur des faits, uniquement des faits, n’est-il pas en train de dévoyer et de détourner les normes scientifiques à sa cause, à ses valeurs ? Car finalement, ces idées de biophilia, d’adaptation génétique pour l’« amour de la nature » ne sont-elles pas que des just-so stories, des histoires évolutives infalsifiables – car toujours explicables par une adaptation adéquate !

Stephen J. Gould

25Stephen Jay Gould (1941-2002), qui justement était le premier à montrer du doigt ces just-so stories et à critiquer le programme adaptationniste36, a-t-il fait mieux ? Car lui aussi se voulait un fervent défenseur du monde naturel et de la diversité biologique ; mais, au lieu de prôner une défense utopique de la nature basée sur des faits absolus, comme Wilson, il reconnaît avec quelle humilité l’espèce humaine doit se comporter dans la nature et ne pas se croire investie d’une mission transcendante sur cette Terre. Il est simplement du « propre intérêt éclairé »37 de l’humanité de se comporter respectueusement envers la « Mère-Nature », car cette dernière, après tout, ne se soucie pas le moins du monde de notre survie ou de notre bien-être :

Nous ferions mieux de signer tant qu’elle est toujours prête pour trouver un accord. Si nous la traitons gentiment, elle nous laissera faire pendant un certain temps. Si nous l’égratignons, elle saignera, nous expulsera, posera un pansement et reviendra à ses affaires au niveau de la planète.38

26Ce pacte que Gould appelle de ses vœux, résulte d’un principe, la « Règle d’Or » (Golden Rule), qu’il reprend du christianisme. Cet impératif hypothétique au sens kantien, déjà connu de Platon et Confucius, s’énonce généralement comme suit : « Tu respecteras les autres comme tu souhaiterais qu’ils te respectent », et se décline ainsi envers la Terre : « tu traiteras la nature comme tu souhaiterais qu’elle te traite ». L’idée est loin d’être neuve, pour ne pas dire qu’elle est intuitive chez tous les amoureux de la nature. Déjà, sur son carnet de voyage, à l’occasion d’une rêverie sur la route tortueuse qui le menait de Pampelune à la frontière française, Victor Hugo écrivait :

J’admets les exceptions et les restrictions qui sont innombrables, mais il est certain pour moi que le jour où Jésus a dit, – Ne faites pas à autrui ce que vous ne voudriez pas qu’on vous fît –, dans sa pensée autrui était immense ; autrui dépassait l’homme et embrassait l’univers39.

27Bien que la position que défend Gould soit éclairée par la science et qu’elle soit sans conteste de nature anthropocentrique – il s’agit des intérêts de l’humanité avant tout40 – elle n’en fait pas moins appel à l’allégorie de la nature comme femme ou mère nourricière, image issue du mythe et de l’imaginaire collectif. On ne peut s’empêcher d’établir un parallèle avec la pensée contemporaine de Michel Serres dans Le contrat naturel41 : on retrouve chez ces deux auteurs l’idée de contrat et de Terre comme mère à laquelle nous relie la force d’un lien de filiation. Sauf que chez Serres, la mère est à l’agonie, et nous, les humains, sa fille vierge, stérile et obligée, qui par un retournement métaphorique, quasi-mythique, peut « redonner naissance à cette nature qui nous la donna »42.

28Nous remarquerons ici simplement que Gould s’est contenté d’un réquisitoire timide. Il n’a consacré qu’un seul article à cette Règle d’Or, idée louable en soi, mais peu argumentée et assez peu connue, par rapport à bon nombre de ses idées. Si Gould n’était pas un auteur avare dans la diffusion de ses propres opinions vers le grand public, il resta finalement en retrait sur cette esquisse d’engagement écologique. Il produisit bien une prescription, une règle de conduite, mais ne fournit finalement aucune raison explicite à celle-ci, si ce n’est la survie de l’humanité.

Le débat entre Robert Barbault et Pierre-Henry Gouyon

29Il est aisé de constater que les auteurs, les courants de pensées et les débats présentés dans cette partie sont pour la plupart de culture anglo-saxonne et majoritairement nord-américaine. On peut le déplorer, mais, pour des raisons aussi bien culturelles que scientifiques, le souci de conservation de la nature fait depuis des décennies l’objet d’une attention particulière aux États-Unis.

30S’appuyer sur ce constat pour en inférer que la France n’a connu aucun débat autour de ces questions serait pourtant erroné. Simplement, le débat ne s’est pas déroulé sur la même scène, avec les mêmes enjeux et les mêmes types de protagonistes. En France, ce débat s’est rapidement porté sur le terrain politique, dès le début des années 70, par la constitution de partis verts, qui n’ont jamais eu outre-atlantique la même visibilité que de ce côté-ci de l’océan43. Les scientifiques ont par conséquent joué le rôle, qu’ils prisent tellement, d’« experts » appelés à la rescousse pour juger objectivement des données scientifiques et pour proposer des solutions. À l’inverse de leurs homologues anglo-saxons, les écologues et scientifiques français n’ont pas forcément senti la nécessité d’être eux-mêmes les porte-parole des espèces et des écosystèmes en danger44, puisque ce rôle était déjà dévolu aux militants associatifs et politiques.

31Une confrontation d’idées a pourtant eu lieu en l’an 2000 entre Robert Barbault, professeur d’écologie à l’Université Paris VI, par ailleurs auteur de livres de vulgarisation scientifique45, et Pierre-Henri Gouyon, professeur à l’Institut National Agronomique et à l’Université Paris XI. Ce débat prit la forme d’articles publiés dans le journal Libération en 2000. Nous nous appuierons aussi sur une interview avec Robert Barbault (réalisée le 26 février 2002) et sur un article antérieur de Pierre-Henri Gouyon dans Libération46.

32Robert Barbault47 se pose en défenseur résolu des espèces et de la biodiversité, même s’il reconnaît que les stratégies pour arriver à ce but ne sont pas claires. Il opère en effet une distinction entre préoccupations qualitatives et quantitatives de la biodiversité. La première attitude consiste à se soucier avant tout de la disparition d’espèces importantes ou emblématiques (éléphants, baleines, etc.) et l’autre, à tenir une gestion comptable de la biodiversité avec l’espèce pour unité de décompte. Plutôt que d’opposer ces deux approches, qui présentent chacune leurs défauts, Barbault préfère souligner leur complémentarité, avec en perspective l’objectif de préserver une biodiversité maximale. Concept de biodiversité ou diversité du vivant, qui selon Barbault eut le grand mérite d’obliger les scientifiques à sortir la tête de leurs spécialités et à considérer les dynamiques et les problèmes écologiques dans leur globalité. Ainsi estime-t-il que la disparition des éléphants, par exemple, conduirait à l’extinction de nombreuses autres espèces, plantes ou animaux ; bref à la fin d’un monde, monde dont l’éléphant est un « gestionnaire gratuit ».

33D’un point de vue éthique, car Barbault fait clairement la distinction entre sa parole de scientifique et celle de citoyen engagé, il nous a précisé avoir abordé la question d’une relation morale avec les êtres de nature suite à un intérêt pour les religions orientales (à titre anecdotique, nous remarquerons que ce point le rapproche de Michael Soulé, l’un des fondateurs de la biologie de la conservation). Robert Barbault en reste toutefois à une morale humaniste élargie basée sur les sentiments tout à fait légitimes pour les autres espèces. Pour lui, l’éléphant est « un chef d’œuvre de l’évolution, une cathédrale de la Nature ». Et il complète un peu plus loin : « voilà pourquoi il faut se battre pour l’éléphant d’Afrique, le koala ou le gorille des montagnes. C’est l’homme que leur disparition menace, car c’est notre part d’humanité qui disparaît en eux »48.

34Pierre-Henri Gouyon, dans le rôle du contradicteur, se plaît depuis plusieurs années à « déconstruire » les discours et les prétentions des protecteurs de la nature. Seul point commun avec Barbault, il distingue aussi deux aspects différents de la protection de l’environnement : un aspect éthique et un aspect scientifique « pur »49.

35La démarche générale de Gouyon, du moins initialement, est tout à fait légitime, voire même souhaitable. Il s’agit pour lui de prendre quelque recul par rapport au catastrophisme affiché par certains scientifiques dans le but de trier le bon grain de l’ivraie conservationniste ; en clair, de dire ce que la science sait vraiment de ce qu’elle extrapole imprudemment. Dans son article de 1990, il critiquait sévèrement la plupart des concepts et des projets de conservation de la nature pour leur manque de rigueur : du concept d’espèce, au rapport diversité/stabilité des écosystèmes et au nombre d’espèces qui vont disparaître dans les prochaines années, il ne laisse guère de répit aux protecteurs des espèces. « Une espèce disparue, écrit-il, ne revient pas. En revanche, elle laisse une niche vide dans laquelle d’autres espèces peuvent se développer ou apparaître. Un certain nombre d’évolutionnistes pensent que si les dinosaures ne s’étaient pas éteints, les humains ne seraient pas apparus »50. Cet argument est toutefois quelque peu fallacieux en ce qu’il occulte le fait que la vague d’extinctions actuelle est le produit de l’agir humain, et donc soumise en ce sens à sa responsabilité51 ; ou encore que les niches libérées par les espèces éteintes risquent cette fois d’être durablement occupées par l’emprise humaine sur la Terre.

36La critique en toute matière est saine et celle du catastrophisme écologique ne déroge pas à la règle ; mais une critique juste et constructive est plus souhaitable qu’une dénonciation d’un écologisme tenu pour excessif. Gouyon se fait fort dans ses articles de dénoncer les « liaisons dangereuses » entre la science et la morale, lorsque les scientifiques vendent leur âmes rationnelles au diable des passions morales et sociales. Tout comme les eugénistes qui ont réquisitionné une pseudo-génétique au service d’un dessein épouvantable, ou comme Lyssenko qui a instrumentalisé la science au service d’une idéologie politique, certains écologistes utiliseraient aujourd’hui les plus pessimistes, pour ne pas dire les plus hypothétiques, de leurs prédictions pour le « bien » prétendu des espèces. Or, selon Gouyon, la science devrait rester pure de toutes ces scories moralisantes. Il pense déceler actuellement les mêmes erreurs que par le passé et les pointe du doigt avant même qu’elles ne soient mûres pour le tribunal de l’Histoire. Gardons-nous bien de défendre la survie des espèces, affirme-t-il, même si c’est pour le « bien » des espèces et de l’humanité, tant que les données scientifiques ne sont pas certaines. L’Enfer, comme tout le monde le sait, est pavé de bonnes intentions.

37Nous comprenons que Gouyon dénonce l’attitude trop complaisante de certains savants – « les écologistes savent que c’est faux mais ils laissent dire parce que ça va dans le bon sens »52 – qui laissent sciemment se répandre des semi-vérités scientifiques, voire des erreurs, comme l’idée que la forêt amazonienne serait le « poumon de la planète ». Mais il nous semble hasardeux de prétendre juger impartialement un processus scientifique nouveau (la biologie de la conservation), dont les enjeux requièrent de nouvelles formes de mobilisation et d’appréhension de l’environnement, qui irrigue des pans entiers des réseaux scientifiques par de nouveaux arguments, de nouvelles façons de négocier la vérité des énoncés, les budgets scientifiques et l’appui des politiques, et enfin qui pose des problèmes épistémologiques et éthiques passionnants. De plus, Gouyon confond ce qui relève de la déontologie scientifique (le respect d’un ensemble de principes qui règlent l’activité professionnelle des scientifiques) et ce qui relève de l’éthique appliquée (la réflexion sur les valeurs portées par les objets d’étude scientifique). Si d’un point de vue déontologique, il est tout à fait condamnable de mentir sur des résultats scientifiques par exemple, rien en revanche n’interdit aux scientifiques de s’interroger sur les dimensions éthiques de leurs actions ou de leurs objets d’étude et de s’engager à promouvoir les valeurs dont ils témoignent.

38Comme l’a judicieusement remarqué Michael Soulé53, une certaine suspicion de la part de biologistes de la conservation s’est manifestée à l’encontre des généticiens, suspicion en partie fondée sur l’héritage eugénique qui accompagne encore la réputation de la génétique. Pierre-Henri Gouyon, semble-t-il, transpose directement les leçons de l’histoire des sciences et de la génétique au cas qui nous intéresse ici, la conservation des espèces en voie d’extinction. Que l’analyse historique nous garde en alerte par rapport aux évolutions du présent, qu’elle pointe des conflits et qu’elle éclaire des tensions, tout cela paraît sain et raisonnable. Mais que l’histoire soit transformée en réservoir de jugements tout faits pour condamner dans un autre contexte les liens entre morale, science et idéologie est beaucoup moins légitime, à moins de voir dans le déroulement du temps un éternel retour.

39Cette mise au point visait la structure historique de l’argument de Gouyon. Analysons maintenant sa structure logique : elle pourrait se résumer au fameux paralogisme naturaliste, mais dans sa forme « négative ». Qu’entend-on par là ? Habituellement, suivant la tradition qui remonte à Hume, cette faute consiste à inférer un « devoir-être » d’un « être », ou encore un jugement de valeur d’un fait. Hume a en effet montré que morale et science étaient deux domaines de l’entendement totalement distincts. La validité de ce paralogisme a été fortement contestée, mais quoi qu’il en soit, Gouyon, pour sa part, n’encourage pas à prendre de position morale parce qu’on ne connaît pas précisément les faits : d’un « non-fait » ou de l’ignorance scientifique on doit inférer une « non-morale », une sorte d’attentisme ou de suspension du jugement. Dans l’article le plus récent, Gouyon se démarque toutefois de ce « principe d’indécision », comme on pourrait le baptiser, pour faire une concession au célébre « principe de précaution » ; il admet que les extinctions étant irréversibles, il ne vaut mieux pas essayer de créer quelque chose d’irréversible.

40On ne peut que se réjouir qu’un débat, mettant à l’épreuve deux grands écologistes, ait eu lieu en France à propos de la conservation des espèces. On peut aussi se féliciter de l’évolution de la pensée de Pierre-Henri Gouyon au sujet de la biodiversité, même si on est en droit de regretter que certains de ses partis pris antérieurs excessivement critiques dans un quotidien national ne fournissent des arguments fallacieux à certains opposants des causes environnementales.

41Ces questions révèlent finalement les difficultés et les contradictions que rencontrent les scientifiques, plus particulièrement les biologistes et les écologistes, lorsqu’il s’agit de parler au nom de la nature, des espèces, de la biodiversité et des écosystèmes pour le grand public ou pour le législateur. Les quelques exemples du discours des scientifiques analysés ci-dessus ne se veulent pas représentatifs ou exhaustifs quant à la position des biologistes à l’égard des enjeux conservationnistes – les biologistes opposés à la prolifération de discours politiques au nom de la science se taisant la plupart du temps. Par ailleurs, la catégorie « biologiste », comme beaucoup de catégories sociales, se révèle être une entité artificielle très hétérogène. Ce n’est donc pas en relevant les propos de quelques biologistes plus médiatisés que d’autres que l’on pourra avoir une idée objective des motivations, des craintes et des espoirs vis-à-vis des questions environnementales de l’ensemble des acteurs de la recherche en biologie. À cet égard, une approche philosophique critique indique d’emblée que l’engagement des scientifiques sur la scène politique et éthique pose problème.

La légitimité d’un discours moral de nature scientifique

Position et influence de la science

42La méthode scientifique, ou plutôt la science telle que les scientifiques sont censés la pratiquer se doit d’être neutre axiologiquement. La science ne dit pas ce qu’il est juste de faire, mais ce qui est vrai du monde extérieur. N’y a-t-il donc pas une confusion des genres lorsque les scientifiques se servent de la science comme de faire-valoir à leurs visions politiques sur l’environnement, aussi justifiées soient elles ? Ne risquent-ils pas de dévaloriser ou de délégitimer la science, leur discipline ou même leur propre carrière par ce type de comportement ? Mais, en même temps, si les biologistes ne s’attachent pas eux-mêmes à promouvoir la défense des ressources biologiques et des espèces, qui est mieux placé qu’eux pour le faire ?

43Sans doute personne. Seuls les scientifiques peuvent élucider le fonctionnement de la biosphère et révéler les dégradations que subit notre environnement. Mais dans l’esprit de la majorité de ces chercheurs, leur travail ne doit pas être « contaminé » par leurs valeurs subjectives sous peine de ne plus être objectif, et donc plus valable. Beaucoup de chercheurs affirment par conséquent faire une distinction nette entre ces deux domaines. Ils continuent à publier et à travailler comme « purs » scientifiques d’une part ; et rien ne les empêche, d’autre part, de militer pour la défense de l’environnement et d’adhérer à des mouvements écologistes, comme tout citoyen normal. Ils prétendent ainsi préserver la pureté et la légitimité de la science et éviter le franchissement de la fameuse ligne de démarcation entre science et non-science54. Ils acceptent sans broncher leur propre dédoublement de personnalité et la distinction absolue entre faits et valeurs. Ils sont résolument modernes55 !

44Mais voilà, il y a longtemps que cette image de la science ne fait plus illusion. Chacun à sa manière, la critique kuhnienne des révolutions scientifiques56, le postmodernisme et sa déconstruction des métarécits57, et enfin le courant d’anthropologie des sciences58 ou Science Studies ont montré que l’image d’objectivité et de neutralité que la science souhaite entretenir au sein de la société ne correspond absolument pas à l’activité scientifique telle qu’elle se construit, se définit et se pratique.

45Cela est d’autant plus vrai dans des sciences, l’écologie et la biologie de la conservation, où l’objet d’étude des scientifiques est en train de disparaître sous les coups portés par la société occidentale. Selon Barry et Oelschlaeger : « prétendre que la seule acquisition de “connaissances positives” va éviter une extinction de masse est erroné »59. Comme nous l’avons vu, la biologie de la conservation est « une science de crise », multidisciplinaire, synthétique, éclectique et normative60. Son but n’est pas seulement de comprendre le fonctionnement de notre « maison commune », de notre Oikos, mais de protéger cette dernière et de le justifier. Encouragés par des mouvements politiques ou philosophiques, comme la Deep Ecology61, poussés par leur amour pour la nature et les processus du vivant qu’ils étudient, mus par le désir d’agir vertueusement envers la société, ou encore guidés par des forces spirituelles ou religieuses, les biologistes semblent mille fois justifiés pour leurs prises de position environnementalistes dans une science où faits et valeurs sont étroitement intriqués. De plus, bien qu’il soit utopique d’exiger des scientifiques qu’ils argumentent longuement et précisément sur les bases éthiques et morales de leurs prescriptions – que resterait-il alors comme travail aux « vrais » philosophes et éthiciens ? – on se doit au moins attendre d’eux des arguments cohérents, même en partie intuitifs.

46Or, nous l’avons montré ci-dessus, les scientifiques ont tendance à biaiser leur discours en vue d’une performativité et d’un pluralisme en décalage avec leurs propres opinions. Au lieu d’assumer pleinement et de légitimer la dualité de leurs discours (descriptif et normatif, dénotatif et prescriptif), ils préfèrent, soit s’attribuer une schizophrénie intellectuelle (être ou bien objectif ou bien subjectif), soit jouer en douce avec la ligne de démarcation entre science et non-science, réviser clandestinement le « boundary work »62 ; cette dernière solution ayant pour avantage de ne pas abandonner le schéma moderne de séparation entre la société d’un côté et la nature de l’autre, entre les valeurs et les faits.

47Qu’est-ce qui peut donc pousser les scientifiques à garder les représentations d’un système bancal, cette voie de négociation entre nature et culture qui repose sur un système moderne en déconstruction ? Pourquoi les scientifiques ne peuvent-ils à la fois accepter l’importance des valeurs qu’ils défendent et leur influence sur leur recherche, tout comme l’inverse ? Quelles sont les raisons qui, en fin de compte, les empêchent de reconnaître qu’en partie leur activité scientifique est située et partiale (sans que cela constitue forcément un problème dans la mesure où leurs interlocuteurs sauraient justement d’où ils parlent) ? Nous voyons principalement deux raisons à cette situation, ou plutôt, deux types de contraintes incitant les scientifiques à conserver leur discours schizophrène : l’une interne, l’autre externe.

Contrainte interne et fonctionnement de la recherche

48La contrainte interne, principalement de nature sociologique et politique, se niche au sein même de la science. Un scientifique qui affiche clairement et peut-être avec trop d’insistance un discours prescriptif, empreint de valeurs subjectives, risque d’être en partie décrédibilisé. Ses collègues, non dupes de la soi-disant séparation entre la part subjective et la part scientifique du discours de leur confrère pourront se permettre des attaques ad hominem, au non de l’objectivité défaillante de celui-ci ; quant aux sceptiques en matière environnementale, ils trouveront là un excellent argument pour rejeter en bloc l’argumentation dudit chercheur pour manque d’objectivité.

49Par ailleurs, l’organisation de la science a pour norme principale une responsabilité critique entre pairs, ce que le pionnier de la sociologie des sciences, Robert Merton, nomme « le scepticisme organisé »63. Ce système de régulation de l’activité scientifique n’a pas seulement pour fonction de définir les frontières flottantes de ce qui est subjectif ou objectif, vrai ou faux, mais aussi de juger de la valeur du travail des scientifiques, lors de promotions hiérarchiques par exemple. À ce niveau, la part subjective de l’évaluation apparaît clairement : à quoi reconnaît-on la valeur d’un chercheur ? À la vérité des énoncés qu’il a produits, à la quantité de ses publications ou à l’originalité des voies de recherche qu’il a ouvertes ? Peut-on aussi ignorer son influence sur le réseau de ses pairs, de ses supérieurs ou sa contribution au rayonnement de sa discipline, par exemple par la vulgarisation ?

50Les confidences des scientifiques concernés soulignent le fait que se transformer en avocat de la conservation constitue souvent plus un handicap qu’un avantage dans une carrière scientifique. Le temps et l’énergie consacrés à un travail d’information, de vulgarisation et de plaidoyer pour les espèces et l’environnement sont autant de moins pour le travail scientifique académique. Et malheureusement, aussi injuste que cela puisse paraître d’un point de vue plus large, la prise de conscience de millions de gens sur les désastres écologiques, la sauvegarde d’une espèce en danger ou la création de parcs naturels n’ont jamais pesé bien lourd dans la balance d’un jury scientifique face à un déficit de publications dans des journaux de référence64. Ceci explique la rareté des auteurs scientifiques candidats au prosélytisme écologique et aux débats éthiques, tout comme le fait que ceux-ci soient en grande majorité des chercheurs très reconnus ou en fin de carrière, et donc libérés des enjeux de carrière (le cas le plus typique est ici celui de Edward O. Wilson). Les autres sont plus ou moins obligés d’arranger leurs propos afin de ne pas décevoir les attentes des collègues sur le discours qu’ils tiennent par rapport à la science. Ils doivent donc nuancer leur discours en fonction de leurs convictions, de l’attente du public et du jugement de leurs pairs.

Contrainte externe et discours de légitimation

51La raison externe qui contraint fortement le discours des biologistes et qui influence aussi grandement sur la raison interne, ressortit à la place de la science et de la connaissance scientifique dans la société. D’abord, il nous faut mettre un certain nombre d’idées en place.

52Les rapports science/sociétés se placèrent dès l’origine sous le signe de la conflictualité comme en témoigne les déboires des premiers « physiciens » grecs présocratiques. En réponse, à l’hostilité de la société contre l’émergence d’une science autonome, Platon inventa le « Mythe de la Caverne » afin de persuader ses concitoyens qu’ils vivaient enchaînés dans un monde d’ignorance et de faux-semblants. Le philosophe (la philosophie incluant à l’époque les sciences), par sa méthode de réflexion, était capable de briser ses liens et d’avoir accès au monde réel, celui des Idées65. Or, comme le souligne Bruno Latour, il reste une bizarrerie de taille dans ce mythe : « bien que le monde de la vérité diffère absolument et non relativement du monde social, le Savant peut malgré tout passer à l’aller comme au retour de l’un à l’autre monde : le passage fermé pour tous les autres est ouvert pour lui »66.

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Le mythe de la Caverne L’antre platonicienne où le « passage fermé pour tous les autres est ouvert pour le Savant ». Gravure de Jan Saenredam (début du xviie siècle).

53Or ce privilège insensé s’avère être la pierre angulaire de tout le système scientifique occidental. Car ce privilège est aussi un pouvoir, et un pouvoir indiscutable, chose normalement incompatible avec une société véritablement démocratique. Les Grecs auraient donc inventé deux institutions mutuellement incompatibles : la démocratie et la science. Renvoyés aux antipodes les uns des autres depuis le Gorgias de Platon, on trouve d’un côté le politique qui gère le monde humain et social où tout se discute, et de l’autre, la parole indiscutable du scientifique portant sur les choses immuables.

54Mais cette construction est aussi fragile, et les sciences sont parfois rattrapées par le monde et les mouvements « obscurantistes » (de son point de vue)67 : écrasée par la force de la politique, elle accouche du lyssenkisme ; excommuniée par la religion, nous la retrouvons en procès devant la Bible pour ses théories darwiniennes. Pour se défendre, la science a de tout temps dû faire appel à un discours de légitimation au sein de la société. Avec le développement des techniques, c’est la performativité de la science qui tient essentiellement lieu aujourd’hui de justification à ce pouvoir absolu. Ce que Lyotard nomme une « autolégitimation de la science » se fait sur le modèle d’un « système réglé sur l’optimisation de ses performances », et se définit de la sorte : « en renforçant [les techniques], on « renforce » la réalité, donc les chances d’être juste et d’avoir raison. Et, réciproquement, on renforce d’autant mieux les techniques que l’on peut disposer du savoir scientifique et de l’autorité décisionnelle »68.

55Mais, à l’ère des mutations informationnelles et communicationnelles et de l’effondrement des grands récits, le discours de la science est devenu suspect. Par ailleurs, les résultats de la science et l’emballement du système technico-économique occidental, avec l’apparition de la légitimation par la puissance et le fait, et non plus par la morale et la loi, ont abouti à la crise environnementale que nous connaissons69. La science est donc aujourd’hui prise dans un « match » entre légitimation par la puissance et délégitimation à la fois par les conséquences malheureuses de son entreprise et par la suspicion sur ses récits de légitimation.

Exemplification des contraintes du discours de légitimation

56De nos jours, le scientifique qui parle au public ne peut le faire sans que, consciemment ou non, il se replace dans le contexte complexe du discours de la science dans la société. Cela est d’autant plus vrai pour un biologiste de la conservation parlant des extinctions d’espèces, dans la mesure où il se trouve en porte-à-faux par rapport à la science elle-même dont il dénonce certaines conséquences !

57Ainsi, on retrouvera tout d’abord dans le discours d’un écologiste le fantôme du mythe de la caverne, à savoir le fait qu’il puisse prendre la parole au nom du monde qu’il étudie et que le public lui attribue autorité et compétence sur son sujet, sans remettre en question son accès à la « réalité » telle qu’elle est. Il n’omettra pas non plus de bien distinguer ce qui relève des faits objectifs et ce qui relève d’un ordre plus personnel et subjectif. Le livre des Ehrlich présente à cet égard une structure binaire typique : d’un côté les chapitres et les paragraphes traitant des questions morales (chap. II : Why should we care ?) et de l’autre les faits (chap. III : How are species endangered by humanity ?)70

58En outre, le scientifique obéit souvent à la trame du méta-récit qui justifie sa place dans la société : il s’agit du rapport à la performativité et à l’utilité de la science. Ceci expliquerait pourquoi les scientifiques ne peuvent s’empêcher d’en appeler à des valeurs instrumentales pour justifier leurs recherches et la sauvegarde des espèces71. Quoi que pense le biologiste de la valeur intrinsèque des espèces, ne pas insister sur leur valeur instrumentale constituerait une double erreur : cela décrédibiliserait ses recherches en les situant hors du discours de légitimation performatif, avec pour effet de perdre à la fois la considération de son auditoire et aussi l’intérêt des bâilleurs de fond. De plus, il n’est pas difficile de prévoir qu’à plus ou moins long terme, c’est non seulement le scientifique, mais aussi les espèces en danger qui pâtiraient de la situation.

59En fin de compte, se pose la question de savoir pourquoi la société se tourne vers les scientifiques pour entendre des arguments moraux. Et s’il est nécessaire d’être scientifique pour avancer des faits scientifiques, est-ce suffisant pour posséder une autorité morale ? Autrement dit, pourquoi devrait-on écouter un scientifique lorsqu’il dit « je pense que X est bon, ou que Y est juste » ?

60On a d’abord remarqué que la séparation faits/valeurs, discours dénotatif/discours prescriptif, si elle était logiquement justifiée, était en pratique irréalisable. Le discours scientifique est toujours empreint de valeurs et a toujours servi des fins humaines. C’était déjà ce que notait John Dewey, pour qui la coupure entre faits et valeurs était basée sur une « abstraction » de la conscience humaine72.

61Cette remarque entraîne deux implications majeures : comme les constructivistes sociaux l’ont montré, il est important de débusquer ces valeurs cachées afin de ne pas se laisser influencer passivement par cet abus de pouvoir des scientifiques. Mais d’un autre côté, si les scientifiques ont un message évaluatif et prescriptif à faire passer, autant l’écouter en tant que tel, avec les faits qu’ils avancent. Néanmoins, ce dernier point ne constitue pas un argument valable en faveur de l’autorité des arguments moraux produits par les scientifiques. On pourrait en effet écouter leurs prescriptions comme on écoute les condoléances ou les souhaits de tout citoyen anonyme du corps social ; c’est d’ailleurs ce que revendique Pierre-Henri Gouyon. En définitive, ce qui rend la parole des hommes de science si intéressante en termes d’éthique est son rapport riche et particulier à la « réalité ». Non pas la réalité au sens platonicien des Idées, mais plutôt une idée de réalité telle que Latour la défend, une réalité au sens matérialiste, connue par des « propositions articulées » grâce à de la « référence en circulation » dans des réseaux de recherche73.

62Car, la réalité, nous rappelle aussi Lyotard, étant dans le discours de la puissance « ce qui fournit les preuves pour l’argumentation scientifique et les résultats pour les prescriptions et les promesses d’ordre juridique, éthique et politique, on se rend maître des unes et des autres en se rendant maître de la “réalité” »74. Selon Luhmann, dans les sociétés postmodernes où la normativité des lois est remplacée par la performativité des procédures75, la puissance des faits qui légitime la science, s’accompagne automatiquement d’une valeur de prescription. Qui donc mieux que le scientifique peut entrevoir les horizons éthiques ouverts par ses résultats ? Personne, car personne n’est plus puissant ou performant que lui dans le domaine des faits. Mais cette puissance ne va pas sans une contrepartie équivalente.

63Si la morale ou l’éthique n’ont plus valeur de contrainte et si la légitimation se réalise par le fait, on ne doit pas oublier que « le fait est fait » comme le disait Bachelard. L’éthique ne disparaît pas, mais s’intègre dans le processus de construction des faits et le contraint à son tour. Si le scientifique gagne un droit de facto à parler de morale et d’éthique, symétriquement, il lui sera demandé par la société de mieux juger de la valeur éthique de son entreprise de construction des faits et de la réalité. D’où l’émergence de courants moraux comme l’éthique de la science, la bioéthique, l’éthique environnementale, etc., qui ne constituent en rien des barrières « anti-science » érigées par les défenseurs aux aguets de l’humanisme et de la société, mais qui sont là pour mettre au jour le jeu des valeurs au sein de la science et pour en clarifier les règles. Par conséquent, il est tout à fait légitime d’attendre des scientifiques des éclaircissements moraux, tout autant qu’il est légitime que ceux-ci reconnaissent à leur tour les valeurs à l’œuvre dans leurs sciences et qu’ils agissent en conséquence !

64Conscient du paradoxe auquel ont conduit les excès et les échecs du grand Récit de la science, le scientifique peut décider d’arrêter de se leurrer et de leurrer la société. Il peut essayer enfin de parler franchement, d’avouer ses ignorances, d’analyser le mélange des faits et des valeurs dans les sciences (surtout biologiques), d’appeler à la prudence, de redevenir sage C’est sur cette voie que nous conduisent les réflexions d’un scientifique comme Michael Soulé ou d’un philosophe comme Michel Serres. Il s’agit enfin, comme pour Bruno Latour, de réinventer un monde commun, de « faire entrer les sciences en démocratie ».

Des métaphores aux arguments éthiques

65Nous aimerions d’abord souligner que cette étude du discours scientifique sur les extinctions d’espèces et l’éthique n’est pas du tout exhaustive. Le discours des protecteurs de l’environnement mérite d’être disséqué plus en profondeur, tâche qui revient aux linguistes et aux sociologues76. Nous n’avons fait ici que replacer le discours des biologistes de la conservation par rapport à ses conditions de genèse, internes et externes. Nous n’avons pas pu analyser tous les arguments fournis par des auteurs scientifiques. Nous reconnaissons aussi un biais marqué en faveur des auteurs américains, notamment pour leur prolixité et parce qu’ils ont déjà fait l’objet d’analyses approfondies.

66Le danger d’une telle analyse est de ne pas non plus trop affaiblir la position des scientifiques environnementalistes – nous reconnaissons là aussi la partialité de notre propre point de vue et notre sympathie envers les thèses que ces derniers défendent. Notre travail d’analyse évidemment n’est pas non plus « value-free » lui-même, mais nous l’affirmons comme hypothèse de travail – Souvent, en effet, les critiques des constructivistes sociaux et autres postmodernes affaiblissent les arguments scientifiques et donnent ainsi du grain à moudre à leurs opposants, ce qui dans le cadre de la crise environnementale paraît fortement indésirable.

67Une des solutions à ce dilemme, comme l’affirme Soulé, est d’être honnête avec ses propres biais ; il faut prendre la science pour ce qu’elle est : une entreprise faite par des hommes, qui vise par des procédures à rendre le mieux compte possible de la réalité. Il ne faut pas prendre le scientifique seulement comme un connaisseur de la nature, au sens vulgaire de sujet cognitif du monde extérieur, mais comme un « co-naisseur », celui qui naît en même temps que cette nature (nascere, naître en latin) qui renaît sans cesse, celui qui la fait accéder à la lumière de l’esprit.

68Les scientifiques ont donc fait preuve d’intuitions déterminantes et ont fourni des arguments riches et variés pour soutenir leur discours. Il n’en demeure pas moins qu’un travail de clarification, de classification et d’explication des mots et des concepts employés est apparu nécessaire aux philosophes. Les idées et les suggestions des scientifiques ne sont que des points de départs, qui doivent être repris par une entreprise de légitimation plus précise, par un travail philosophique et éthique de justification en profondeur des idées avancées.

Notes de bas de page

9 Cf. Bouveresse (Jacques), Prodiges et vertiges de l’analogie, Paris : Raisons d’agir, 1999, 158 p.

10 Ehrenfeld (David), Conserving Life on Earth, New York : Oxford University Press, 1972, p. xi.

11 Ibid., p. 55.

12 Ibid., p. 4.

13 Ehrenfeld (David), The Arrogance of Humanism, New York : Oxford University Press, 1981, 286 p.

14 Sears (Paul B.), « Ecology : A Subversive Subject », BioScience, vol. 14, 1964, pp. 11-13.

15 Ehrenfeld (David), Conserving…, op. cit., pp. 206-207.

16 Myers (Norman), The Sinking Ark : A New Look at the Problem of Disappearing Species, Oxford ; New York : Pergamon Press, 1979, xiii + 307 p.

17 Norton (Bryan G.), Hutchins (Michael), Maple (Terry L.) & Stevens (Elizabeth F.), Ethics on the Ark : Zoos, Animal Welfare, and Wildlife Conservation, Washington : Smithsonian Institution Press, 1995, xxvi + 330 p.

18 Mann (Charles C.) & Plummer (Mark L.), Noah’s Choice : The Future of Endangered Species, 1ère éd., New York : Knopf, 1995, 302 p.

19 Rolston (Holmes), « Duties to Endangered Species », BioScience, vol. 35, no 11, 1985, p. 718.

20 Takacs (David), The Idea of Biodiversity, Baltimore : The Johns Hopkins University Press, 1996, p. 35.

21 Myers (Norman), A Wealth of Wild Species : Storehouse for Human Welfare, Boulder : Westview Press, 1983, p. xiii.

22 Lynch (Michael) & O’Hely (Martin), « Captive Breeding and the Genetic Fitness of Natural Populations », Conservation Genetics, no 2, 2001, pp. 363-378.

23 Ehrlich (Paul) & Ehrlich (Anne), Extinction : The Causes and Consequences of the Disappearance of Species, New York : Random House, 1981, xiv + 305 p.

24 Ibid., p. xii.

25 Norton (Bryan G.), Why Preserve Natural Variety ?, Princeton : Princeton University Press, 1987, p. 68.

26 Solé (Ricard V.), Manrubia (Susanna C.), Benton (Michael) & Bak (Per), « Self-Similarity of Extinction Statistics in the Fossils Record », Nature, vol. 388, 1997, pp. 764-766. Cf. supra chapitre sur la BC (p. 353).

27 Rolston (Holmes), « Duties to Endangered Species », op. cit.

28 Cf. Takacs (David), The Idea of Biodiversity..., op. cit., p. 269.

29 Ehrlich (Paul) & Ehrlich (Anne), Extinction…, op. cit., pp. 58-59.

30 Lovejoy (Thomas), « Testimony. National Biological Diversity Conservation and Environmental Research Act. Hearing before the Subcommittee on Environmental Protection of the Committee on Environment and Public Works », U.S. Senate, 102d Cong., 1st session, 26 july 1991. Cité par Takacs (David), The Idea of Biodiversity…, op. cit., p. 197.

31 Rolston (Holmes), « Duties to Endangered Species »…, op. cit., p. 718.

32 Wilson (Edward O.) « The Biological Diversity Crisis », Bioscience, vol. 35, no 11, 1985, p. 701.

33 Worster (Robert), « The Ecology of Order and Chaos », Environmental History Review, vol. 14, 1990, pp. 1-18.

34 Takacs (David), The Idea of Biodiversity..., op. cit., p. 155.

35 Wilson (Edward O.), Biophilia, Cambridge (Mass.) : Harvard University Press, 1984, 157 p.

36 Voir à ce sujet le célèbre article de Gould (Stephen Jay) & Lewontin (Richard C.), « The Spandrels of San Marco and the Panglossian Paradigm : a Critique of the Adaptationist Program », Proceedings of the Royal Society of London, serie B, vol. 205, 1979, pp. 581-598.

37 « Enlightened self-interest »

38 Gould (Stephen Jay), « The Golden Rule : a Proper Scale for our Environmental Crisis », Natural History, sept. 1990, p. 30.

39 Hugo (Victor), « 11 août 1843 », En Voyage, Alpes et Pyrénées, Paris : J. Hetzel, 1890, p. 180.

40 Voir à ce sujet son manifeste humaniste dans l’introduction de l’un de ses ultimes ouvrages, Les Coquillages de Léonard : réflexions sur l’histoire naturelle [trad. de l’anglais (États-Unis) par Blanc Marcel], Paris : Éditions du Seuil, 2001, 445 p. (Science ouverte). Gould s’y définit lui-même comme un naturaliste humaniste, avant tout fasciné par le processus de la science et des connaissances humaines.

41 Serres (Michel), Le Contrat naturel, Paris : Éditions François Bourin, 1990, 191 p.

42 Ibid., p. 188.

43 Cf. Whiteside (Kerry), Divided Nature : French Contributions to Political Ecology, Cambridge (Mass.) ; London : The MIT Press, 2002, x + 323 p. Jacob (Jean), Histoire de l’écologie politique, Paris : Albin Michel, 1999, 361 p.

44 Sauf Jean Dorst, Jean-marie Pelt et François Ramade en particulier.

45 Barbault (Robert), Des Baleines, des bactéries et des hommes, Paris : Odile Jacob, 1994, 239 p. (Sciences). Hulot (Nicolas), Barbault (Robert) & Bourg (Dominique), Pour que la Terre reste humaine, Paris : Éditions du Seuil, 1999, 173 p. (Essais).

46 Gouyon (Pierre-Henri), « Moins d’espèces, est-ce un vrai danger ? », Libération, 12 février 1990, p. 32. On soulignera que ce débat n’est pas clos plusieurs années après son ouverture, et que les deux protagonistes se trouvent en 2007 professeurs au Muséum National d’Histoire Naturelle, institution où les questions de protection de la nature comptent depuis longtemps comme une priorité essentielle.

47 Barbault (Robert), « Ce serait aussi la fin d’un monde », Libération, 6-7 mai 2000.

48 Ibid.

49 Gouyon (Pierre-Henri), « Moins d’espèces… », op. cit.

50 Gouyon (Pierre-Henri), « Halte au catastrophisme », Libération, 6-7 mai 2000.

51 Cf. Jonas (Hans), Le Principe responsabilité : une éthique pour la civilisation technologique [trad. de l’allemand par Greisch Jean], Paris : Les éditions du Cerf, 1990, 336 p. (Passages).

52 Gouyon (Pierre-Henri), « Halte au catastrophisme », op. cit. Cette attitude est en partie comparable avec celle de Björn Lomborg, dans son ouvrage The Skeptical Environmentalist. Lomborg s’en prend directement aux interprétations catastrophistes véhiculées par de nombreux écologistes qui, selon lui, déforment ou pire, se trompent sur le sens à donner aux statistiques et aux données dont ils disposent. Ainsi, il remet en cause les données avancées par des écologistes comme Edward O. Wilson qui estiment qu’un tiers des espèces devraient disparaître d’ici 50 ans. Lomborg en conclut que la disparition actuelle des espèces n’est pas une « catastrophe », même s’il reconnaît qu’il y a là un problème qui nécessite d’être traité.

53 Cf. supra chapitre p. 353.

54 Cf. Takacs (David), The Idea of Biodiversity..., op. cit., chap. 4.

55 Cf. Latour (Bruno), Nous n’avons jamais été modernes : Essai d’anthropologie symétrique, Paris : La découverte, 1991, 210 p.

56 Kuhn (Thomas S.), The Structure of Scientific Revolutions, Chicago : University of Chicago Press, 1970, xii + 210 p.

57 Lyotard (Jean-François), La Condition postmoderne : rapport sur le savoir, Paris : Éditions de minuit, 1979, 109 p. (Critique).

58 Cf. Latour (Bruno), La Science en action [trad. de l’anglais par Biezunski Michel], Paris : La Découverte, 1989, 450 p. (Anthropologie des sciences et des techniques) ; L’Espoir de Pandore : pour une version réaliste de l’activité scientifique [trad. de l’anglais par Gille Didier], Paris : La Découverte, 2001, 343 p. (Armillaire).

59 Barry (Dwight) & Oelschlaeger (Max), « A Science for Survival : Values and Conservation Biology », Conservation Biology, vol. 10, no 3, 1996, p. 905.

60 Soulé (Michael E.), « What Is Conservation Biology ? », BioScience, vol. 35, no 11, 1985, pp. 727-734

61 Arne Naess, fondateur de la Deep Ecology encourage ainsi les biologistes à prendre la parole : « when biologists refrain from using the rich and flavorful language of their own spontaneous experience of life forms […] they support the value-nihilism which is implicit in outrageous environmental policies » : Naess (Arne), « Intrinsic Value : Will the Defenders of Nature Please Rise ? », in Soulé (Michael E.) (sous la dir.), Conservation Biology : The Science of Scarcity and Diversity, Sunderland (Mass.) : Sinauer Associates, 1986, p. 512.

62 Takacs (David), The Idea of Biodiversity..., op. cit., p. 156.

63 « Organized scepticism » ; Cf. Merton (Robert K.), « The Normative Structure of Science », in Merton (Robert K.), The Sociology of Science : Theoretical and Empirical Investigations [1ère éd. 1942], Chicago : Chicago University Press, 1973, xxxi + 605 p.

64 Cf. Takacs (David), The Idea of Biodiversity…, op. cit., p. 166 : « value neutrality ».

65 Platon, La République [trad. du grec, introd. et annoté par Baccou Robert], Paris : Flammarion, 1966, Livre VII (Garnier-Flammarion ; 90).

66 Latour (Bruno), Politiques de la nature : comment faire entrer les sciences en démocratie, Paris : La Découverte, 2001, pp. 23-24 (Armillaire).

67 Serres (Michel), Le Contrat naturel, op. cit., p. 125.

68 Lyotard (Jean-François), La Condition postmoderne..., op. cit., p. 77.

69 Ibid., pp. 76-77.

70 Ehrlich (Paul) & Ehrlich (Anne), Extinction…, op. cit., pp. ix-x.

71 Cf. Odenbaugh (Jay), « Values, advocacy and conservation biology », Environmental Values, vol. 12, 2003, pp. 55-69.

72 Dewey (John), Reconstruction in Philosophy, Boston : Beacon Press, 1948, p. 174.

73 Latour (Bruno), L’Espoir de Pandore..., op. cit.

74 Lyotard (Jean-François), La Condition…, op. cit., p. 77.

75 Luhmann (Niklas), Legitimation durch Verfahren, Neuwied am Rhein : Luchterhand, 1969, 261 p. Cité par Lyotard (Jean-François), Ibid.

76 Cf. par exemple Harré (Rom), Brockmeier (Jens) & Mülhäusle (Peter), Greenspeak : a Study of Environmental Discourse, Thousand Oaks (Calif.) : Sage Publications, 1999, xi + 204 p.

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