Les extinctions d’espèce au xxe siècle
Rationalisation & conservation
p. 289-347
Texte intégral
1Si le xixe siècle constitue sans conteste le socle fondateur du paradigme écologique avec, pour ce qui concerne notre sujet, la reconnaissance du phénomène d’extinction d’espèce et la première mise en œuvre sérieuse d’actions de conservation, le xxe siècle va être celui du développement, de la structuration et de l’institutionnalisation de la question des extinctions. Sur le plan scientifique, on va passer de ce qui a été considéré comme un concept plus ou moins spéculatif à l’étude d’un phénomène bien réel ; sur le plan conservationniste, l’action isolée de quelques élites naturalistes va croître progressivement jusqu’à la mobilisation coordonnée d’organisations internationales, de gouvernements et même de chefs d’Etats comme à Rio en 1992. Nous ne ferons pas l’impasse pour autant sur les zones d’ombres de cette montée en puissance du problème des extinctions : le faible intérêt qu’ont témoigné les écologistes pour ce sujet au début du xxe siècle, l’explication de l’extinction spécifique comme témoignage d’une dégénérescence du monde vivant, ou encore la difficulté persistante à élaborer et justifier les plans de conservation des espèces en danger.
La pensée écologique et la formalisation du phénomène d’extinction
2La pensée écologique, à l’image de l’objet qu’elle étudie, est un lieu de tensions et d’alliances dynamiques en permanent rééquilibrage. Si l’étude des extinctions a naturellement trouvé sa place au sein de l’écologie des populations, ce constat ne s’est pas établi sans résistances internes propres à cette discipline, ni sans indifférence vis-à-vis de la tradition organiciste et écosystémique de l’écologie, cette écologie des « flux », distincte de l’écologie « discrète » des populations. Replaçons d’abord ce débat dans son contexte historique.
Naissance de l’écologie
3C’est à la fin du xixe et au début du xxe siècle que l’écologie scientifique voit le jour. Nous avons déjà relaté les efforts de nombreux naturalistes pour rationaliser les rapports des êtres vivants entre eux suite à leurs observations. Mais Aristote, Linné, Buffon, Lamarck, etc. ont tous tendance à interpréter les rapports entre les populations et les organismes vivants selon un schème providentialiste, comme l’expression de la sagesse infinie du Créateur : « le Créateur a disposé les plantes en un ordre très sage qui est, en tout point, admirable. Mais lorsque je tourne mes yeux vers les animaux, ce n’est pas sans étonnement que je contemple la sagesse souveraine qui brille également dans ce règne. »609
4C’est à Darwin que revient le rôle d’avoir complètement bouleversé la vision du monde héritée d’Aristote. Par son opposition à la théologie naturelle, il nie d’emblée qu’un quelconque processus téléologique commande à la sélection naturelle. Le principe de descendance avec modification par sélection naturelle ne fait intervenir que des mécanismes reposant sur des causes matérielles et les effets du hasard. Cette démarche permet de rendre compte des interactions entre les êtres vivants et les facteurs biotiques et abiotiques de leur environnement en éliminant toute intervention divine.
5La deuxième grande caractéristique de sa théorie est que l’évolution, comme nous l’avons vu, insert les processus biologiques dans une temporalité propre au vivant. Darwin n’est pourtant pas un précurseur en la matière. Alphonse de Candolle (1806-1893), considéré comme l’un des pères de l’écologie, avait insisté en 1855 dans sa Géographie botanique raisonnée, sur l’importance des formations botaniques anciennes pour comprendre les distributions floristiques actuelles. La végétation actuelle est, en effet, « [...] la continuation, au travers de nombreux changements géologiques, géographiques, et plus récemment historiques, des végétations antérieures. La distribution des végétaux, à notre époque, est donc intimement liée à l’histoire du règne végétal »610. Les dynamiques temporelles deviennent explicitement des facteurs explicatifs, c’est-à-dire des explanans et non plus seulement des explananda ; toutefois, de Candolle ne pousse pas la logique de ces développements à son terme et refuse l’idée d’évolution. La théorie darwinienne au contraire conjugue de manière structurée et harmonieuse changements organiques, que ce soit au niveau de l’individu, de l’espèce ou des communautés d’espèces, et évolution au cours du temps. Elle va ainsi permettre de renouveler les problématiques anciennes de l’histoire naturelle, de la biogéographie, de la dynamique des populations et de l’origine des espèces, bref, de l’économie de la nature.
6Que l’origine se trouve directement chez Darwin, ou qu’il ait fallu attendre les travaux ultérieurs de naturalistes s’inspirant de ses théories, l’émergence d’une discipline propre à remplacer l’économie de la nature était inévitable. De plus, les progrès de la physique (en particulier la thermodynamique) et surtout de la chimie, avec Boussingault (1802-1887) et Liebig (1803-1873) permettaient de rendre compte des relations entre le monde vivant et le monde minéral de façon beaucoup plus précise qu’avant. La naissance officielle de l’écologie et du mot « Oekologie » revient au biologiste allemand Ernst Haeckel (1834-1919) en 1866 : « Par oekologie, nous entendons la totalité de la science des relations de l’organisme avec l’environnement, comprenant, au sens large, toutes les conditions d’existence. »611
7D’autres définitions de Haeckel font aussi référence à l’ancienne l’économie de la nature ou au darwinisme dont il était un fervent défenseur. Lors d’une conférence prononcée à Iena en 1870, il donne cette définition célèbre : « en un mot, l’oecologie est l’étude de ces interrelations complexes auxquelles Darwin se réfère par l’expression de conditions de la lutte pour l’existence »612.
8Les équilibres observés dans la nature, loin de constituer des invariants de nature providentielle, résultent désormais du résultat temporaire de la lutte pour l’existence des espèces entre elles. Si la lutte pour l’existence constitue l’un des postulats fondamentaux de l’hypothèse de sélection naturelle chez Darwin, il reconnaît qu’au de-là de la valeur de ce concept (en partie métaphorique) au sein d’une théorie de l’évolution, il y a dans la description et la compréhension de cette lutte pour l’existence tout un champ encore inexploré de la science.
Une écologie sans extinctions
9Que le darwinisme ait été décisif ou non dans la constitution historique de l’écologie, il n’en reste pas moins qu’une autre différence fondamentale existe avec les conceptions finalistes et théologiques de Linné : c’est la notion d’adaptation, saisie comme un processus par les écologues et non plus comme un donné613. L’influence du transformisme, qu’il soit lamarckien ou darwinien, marque profondément les concepts écologiques à travers le concept d’adaptation. En toute logique, le problème de la non-adaptation des plantes ou des animaux à leur milieu, qui mène à leur extinction selon la théorie darwinienne, aurait dû aussi entrer de plein droit dans les préoccupations écologistes. Or, il semble que ce n’ait pas été le cas et plusieurs raisons peuvent être invoquées pour expliquer cette absence : d’abord, l’écologie tarde à s’affirmer comme science à part entière, « consciente d’elle-même » pour reprendre un terme anglo-saxon. Beaucoup des premiers écologistes sont en fait des botanistes, et des zoologistes dans une moindre mesure, qui étudient des espèces largement répandues. Ils pratiquent alors ce que l’on nomme « l’autoécologie », c’est-à-dire l’étude des relations entre l’individu et son milieu. La disparition d’espèces au cours des successions végétales qu’étudie Eugenius Warming (1841-1924) ne signifie en rien que celles-ci se soient éteintes de façon absolue, car ces espèces se retrouvent au même stade de la succession à d’autres places.
10Par ailleurs, là où Darwin voyait à l’œuvre des facteurs biotiques dans l’évolution d’une parcelle de lande, facteurs qui pouvaient expliquer les extinctions de populations, Warming ne percevait que l’importance des facteurs climatiques et édaphiques614. Warming était en effet lamarckien ; il soutenait la théorie de l’hérédité des caractères acquis et soulignait l’influence des facteurs physiques sur les habitudes des organismes. Or, nous avons déjà souligné que le phénomène d’extinction finale devient presque superflu dans la théorie lamarckienne, les espèces ayant plutôt tendance à s’adapter aux changements du milieu qu’à disparaître.
11De plus, les études basées sur les facteurs physiques et chimiques s’intéressent en priorité au rôle des êtres vivants « dans le tourbillon cosmique des atomes »615. Dans une écologie dominée par une pensée systémique reposant sur des flux de matière et d’énergie, peu de place est laissée à la diversité des organismes, considérés comme de simples machines thermodynamiques, l’homme y compris.
12Les formations végétales qui ont fait l’objet de nombreuses études écologiques à la fin du xixe et au début du xxe siècle sont abordées selon une conception statique du monde vivant, surtout en Europe. Au contraire, les travaux de H. C. Cowles (1869-1939) ou F. E. Clements (1874-1945) aux États-Unis représentent le développement d’une écologie dynamique, centrée sur les successions végétales. Pour autant, les problèmes d’extinctions d’espèces sont encore largement négligés. Cette orientation botanique initiale de l’écologie a conduit à définir des termes comme « succession », « communauté » ou « climax » et a induit chez Clements une vision organiciste des communautés végétales, en tant que systèmes écologiques structurés et relativement doués d’autonomie : « Comme un organisme, la formation naît, croît, mûrit et meurt [...] En outre, chaque formation climacique est capable de se perpétuer, en reproduisant avec une fidélité absolue les étapes de son développement ».616
13Pour Clements, il s’agit surtout d’une analogie et les étapes de la succession qu’il décrit en les comparant aux événements qui marquent la vie d’un individu ont principalement une valeur heuristique. De plus, la mort d’une communauté ne signifie en rien l’extinction des espèces qui la composent (puisque justement elle a pu « se reproduire » avant de disparaître). Les communautés ont leur propre évolution qui n’affecte pas forcément l’extinction des espèces617. La notion fondamentale qui sous-tend la pensée de Clements est celle de climax ou d’équilibre et non celle de déséquilibre, donc de mort.
14Pourtant, les progrès de l’industrialisation et la colonisation par l’homme occidental de tous les continents et de tous les milieux ont amené des scientifiques, des naturalistes et des philosophes à mettre en évidence la menace que représentait l’homme pour la nature. Mais l’écologie, marquée par une forte influence botanique, liée à la même époque à « l’éclipse du darwinisme » et à la prédominance du lamarckisme618 ne se souciait guère des extinctions d’espèces, encore relativement rares.
L’écologie des populations
15L’écologie ne se limite pas à cette approche que l’on a qualifiée d’écologie des « communautés biotiques », puisque l’on assiste à partir des premières décennies du xxe siècle à l’émergence d’une nouvelle branche, l’écologie des populations. Elle s’est développée avec les travaux sur la croissance démographique des populations de Raymond Pearl (1879-1940), Alfred Lotka (1880-1949) et Vito Volterra (1860-1940). Ceux-ci s’appuyèrent sur des bases théoriques et expérimentales pour créer des modèles démographiques où entrent en jeu les facteurs limitants du milieu, la compétition, la prédation entre espèces, etc.
16L’origine des études démographiques est très ancienne ; on retrouve chez des auteurs comme Hérodote, Aristote, Machiavel, Hale ou Buffon des préoccupations concernant la croissance des populations. Machiavel (1469-1527), en 1520, avait déjà remarqué l’augmentation des risques d’épidémie lorsque se produisait un accroissement de la population au-dessus des moyens de subsistance. Au xviie siècle, Matthew Hale avait déjà établi que, sans contraintes, une population augmentait géométriquement, et anticipait ainsi l’une des propositions essentielles de Malthus619.
17Mais ce n’est qu’à partir des travaux de Malthus qu’il est possible de parler d’une biologie des populations dans la mesure où celui-ci s’intéresse aux relations quantitatives entre les populations et leur environnement. Dans le cas de Malthus, il s’agit du rapport entre les taux de croissance de la population humaine et ceux de ses ressources alimentaires. Il faut ensuite attendre les travaux de Verhulst (1804-1849) et de Quetelet (1796-1874) pour que les premières formalisations mathématiques soient proposées. L’intérêt pour la démographie humaine, dans les premières décennies du xixe, amène l’anglais Thomas Doubleday (1790-1870) a critiquer les théories de Malthus ; il énonce ainsi en 1840 :
La grande loi générale qui, semble-t-il, régule réellement l’accroissement ou la décroissance à la fois de la vie animale et végétale est que chaque fois qu’une espèce ou un genre est en danger, un effort correspondant est invariablement fait par la nature pour sa préservation et sa continuation, par une augmentation de la fécondité ou de la fertilité.620
18Doubleday défendait l’idée d’équilibre de la nature et s’appuyait avant tout sur l’exemple de la population humaine et des rapports des taux de fécondité entre riches et pauvres. De son côté, l’épidémiologiste William Farr (1807-1883) contribua aux études démographiques humaines en insistant plus sur l’importance de la mortalité ; il trouva, par exemple, qu’il existait une relation positive entre la densité de la population et l’augmentation de la mortalité.
19Ces débuts prometteurs restèrent sans suite pendant plusieurs dizaines d’années, laissant ainsi le champ libre aux idées malthusiennnes. De plus, avec l’influence du darwinisme, l’intérêt des théoriciens s’était déplacé, à la fin du xixe siècle, vers la biométrie621.
20Bien que plus empiriques, on peut également citer les travaux fondamentaux de Karl Möbius (1825-1908) sur l’épuisement des bancs d’huîtres, qui le conduisent à énoncer en 1877 le concept de « biocénose », communauté d’êtres vivants de différentes espèces mutuellement sélectionnées et limitées. Motivé entre autres par des raisons économiques, il s’est intéressé aux facteurs écologiques et humains qui modifiaient l’abondance des bancs d’huîtres au niveau de la côte charentaise en France. Il souligne les effets négatifs de la surexploitation sur les effectifs, mais son étude est plus qualitative que quantitative. L’extinction de l’espèce est prise en considération, mais ne constitue qu’une modification de la biocénose, laquelle reste toujours une unité fondamentale :
Si, à tout moment, l’une des conditions extérieures nécessaire à la vie devait dévier pour longtemps de sa moyenne ordinaire, la biocénose entière, ou la communauté, serait transformée. Elle serait aussi transformée si le nombre des individus d’une espèce particulière croissait ou diminuait de par l’intervention de l’homme, ou si une espèce disparaissait complètement, ou si une nouvelle entrait dans la communauté.622
21Dans une optique voisine, on peut également souligner les travaux d’un autre naturaliste, Stephen Alfred Forbes (1844-1930) sur les « microcosmes » lacustres. Ces études furent importantes par leur apport conceptuel et en particulier par la façon d’envisager la vie d’une communauté d’êtres vivants comme autonome. Du point de vue populationnel, le principe central qui gouverne ce microcosme est celui d’équilibre et d’« homéostasie » écologique, reléguant une nouvelle fois la notion d’extinction sur la touche.
22Au début du siècle, sous la pression des nécessités économiques, les progrès en parasitologie et en entomologie rendent indispensables une quantification précise des ressources biologiques afin de lutter contre les fléaux qui frappent l’agriculture. Le démographe Raymond Pearl retrouve ainsi au début des années 1920 la courbe de croissance logistique de Verhulst, ou courbe « sigmoïde » dont l’équation est donnée ci-dessous :
23dN/dt = rN[K – N)/K]
24Dans cette équation, K représente la « capacité de charge » du milieu, c’est-à-dire le nombre d’individus maximum à l’équilibre dans l’environnement étudié ; r est le taux de croissance absolu de N, l’effectif de la population. r détermine la forme de la sigmoïde : plus r est élevé, plus le S de la courbe est redressé. Raymond Pearl a par ailleurs grandement contribué aux progrès de la démographie humaine, bien qu’il ait été parfois sévèrement décrié ; il a promu par ses initiatives de nombreuses études en écologie expérimentale : Allee, Park, Gause et surtout Lotka lui doivent beaucoup pour l’orientation de leurs travaux. Il n’est pas superflu de noter que le titre de son ouvrage concernant la courbe logistique et la dynamique des populations se nommait The biology of population growth623. Clairement Pearl se souciait avant tout de la croissance des populations et non de leur décroissance et des conditions de leur disparition.
25Alfred Lotka (1880-1949), physicien à l’origine, reprend les travaux mathématiques de W. R. Thompson (1887-1972) sur les relations hôte-parasite et propose en 1925 un système d’équations différentielles pour décrire les fluctuations périodiques de deux espèces en système proies-prédateurs624. Les équations obtenues permettent de formaliser les observations expérimentales faites par le français Paul Marchal (1862-1942), professeur à l’Institut National Agronomique, sur un système proie-prédateur présentant des variations sous forme de courbes à grandes oscillations625.
26Les travaux de Lotka furent associés par la suite à ceux du mathématicien Vito Volterra (1860-1940) et eurent alors un grand retentissement. Ces études formelles sur les relations générales entre espèces (prédation, parasitisme, etc.) aboutirent aux équations de « Lotka-Volterra » qui permettent de modéliser les interactions entre deux espèces et plus.
27En fonction des paramètres, ces équations décrivent des effectifs croissant et décroissant de façon sinusoïdale, comme les courbes d’abondance de populations de proies et de prédateurs, telles que le lynx et le lièvre, qui exercent l’une sur l’autre une régulation réciproque : si le nombre de lièvres augmente, le nombre de lynx également accentuant ainsi la pression de prédation, ce qui mène au déclin des lièvres entraînant peu de temps après celui des lynx et ainsi de suite.
28Les fluctuations s’effectuent entre deux niveaux d’équilibre ; une diminution du nombre d’individus d’une population ne conduit pas nécessairement à l’extinction de la population. Au contraire, des effectifs au plus bas annoncent une phase d’accroissement prolongée de la population ; ces variations cycliques étant naturelles, elles peuvent ainsi perdurer pendant un temps indéfini. Pourtant, un forçage des facteurs de ces équations ou de légères modifications engendrées par des surexploitations humaines par exemple, peuvent conduire les populations à l’extinction. Mais là encore, il ne semble pas que la question des extinctions d’espèces ait été importante dans la réflexion de ces auteurs.
29Inspirés de raisonnements et de techniques mathématiques utilisés en thermodynamique statistique, ces travaux se plaçaient dans le cadre d’une approche énergétique et systémique des relations entre les êtres vivants. Leurs auteurs témoignaient d’une grande confiance dans l’approche formelle et mathématique, seule capable selon eux, de découvrir les lois et les rapports qui gouvernent le monde biologique. Les développements ultérieurs de ces travaux allaient d’ailleurs être essentiels pour la compréhension des dynamiques de populations et des phénomènes d’extinction, mais leurs initiateurs n’avaient encore guère conscience de ce problème, peut-être à cause d’une approche trop réductionniste.
30Ainsi, malgré le succès scientifique que rencontrèrent ces théories, d’autres critiques s’élevèrent chez les biologistes. Un zoologiste comme Ernst Mayr contesta par exemple l’approche typologique de ces mathématiciens pour qui la population était équivalente à un ensemble mathématique, les individus étant tous identiques. À l’opposé, Mayr défendait une approche populationnelle, où chaque individu est considéré comme unique d’un point de vue génétique626. Aujourd’hui d’ailleurs, l’un des enjeux majeurs de l’écologie est justement l’intégration de ces deux approches, génétique et démographique, afin de modéliser au mieux le comportement des populations naturelles. De ce point de vue, on assista à partir des années 1910-1920 à l’émergence et à la structuration de deux disciplines à caractère statistique et mathématique prenant toutes deux pour objet les populations : la génétique des populations d’une part et la démographie ou dynamique des populations d’autre part. Pour des raisons historiques et méthodologiques, ces deux disciplines restèrent largement ignorantes l’une de l’autre jusqu’aux années 60 où elles se retrouvèrent engagées dans l’institution d’une discipline englobante : « la biologie des populations »627.
31Par rapport à la question des extinctions, la première limitation qu’impose l’approche démographique est qu’elle ne traite que d’un seul type d’extinction : celle que nous désignons justement comme « extinction démographique » ou extinction finale. C’est évidemment celle qui est la plus préoccupante d’un point de vue écologique, mais elle n’est pas la seule. Ce type d’approche est déjà beaucoup moins bien armé pour aborder l’extinction par hybridation. Et il est vrai que les lacunes initiales dans la prise en compte de l’hétérogénéité génétique n’ont pu que nuire à la précision des résultats.
32D’autres critiques mirent en doute la capacité de ces équations à modéliser précisément les effectifs des « vraies » populations, car en biologie on ne se trouve jamais dans des conditions ceteris paribus ! En effet, de nombreuses hypothèses, ne serait-ce que la fixité des constantes au cours du temps, peuvent paraître peu réalistes pour un biologiste. C’est un écologue russe, Gause (1910-1986) qui s’illustra le plus dans la vérification expérimentale des équations de Lotka-Volterra. En travaillant sur des populations d’organismes unicellulaires comme des paramécies ou des levures, il montra que ses résultats ne concordaient pas avec les prévisions théoriques lorsqu’une espèce se nourrissait d’une autre et critiqua les hypothèses de Volterra.
33Ses travaux montrèrent également que deux espèces ne peuvent occuper durablement la même niche écologique. Ce constat lui fit énoncer ce qu’on appelle « le principe d’exclusion compétitive », dans lequel on retrouve, de manière théorisée, le thème darwinien de « lutte pour la vie » et de compétition, avec les conséquences en termes d’extinction qu’il implique. Mais ce qui est vrai dans les conditions simplifiées du laboratoire peut se révéler tout à fait erroné dans la nature.
34Toute cette période qui, depuis Haeckel jusqu’à l’entre-deux-guerres, a vu la constitution de l’écologie scientifique est surtout caractérisée par l’apparition de concepts-clés tels que communauté, population ou climax. Les études à leur sujet sont orientées vers la compréhension des conditions d’existence (c’est le travail des écologistes naturalistes tels que Warming, Forbes et Möbius, etc.) et de l’évolution démographique des objets qu’ils désignent (c’est l’activité des écologistes théoriciens tels que Pearl, Lotka, Volterra, etc). Les phases d’accroissement et d’équilibre des populations furent plus étudiées à cette époque que la phase de décroissance et d’extinction. Ceci peut paraître légitime si l’on considère que cette phase était la dernière sur l’échelle temporelle de déroulement des phénomènes et que, de plus, elle impliquait la disparition de l’objet étudié, posant par le fait des problèmes expérimentaux.
35Mais il semble bien qu’il existe une sorte d’« obstacle épistémologique », de flottement de la conscience lorsqu’il s’agit de percevoir l’intérêt et la manifestation des extinctions. La phase d’accroissement des populations est sans conteste plus intéressante d’un point de vue économique, car elle influe aussi bien sur l’augmentation des ressources tirées de populations animales ou végétales que sur l’explosion démographique de certains nuisibles. Peut-être à l’inverse, y a-t-il un certain mystère à voir les populations, parfois pullulantes, disparaître en très peu de temps, sans que cela semble vraiment compréhensible. Enfin, comme le signale Allee, une difficulté majeure dans l’étude des extinctions est qu’elles sont souvent reportées une fois l’événement produit, si bien qu’il est difficile de disposer de données quantitatives qui décrivent précisément le phénomène628.
36Cette inégalité dans l’intérêt accordé à ces différentes « formes de croissance » des populations est flagrant dans le manuel d’écologie animale publié en 1949 par W. C. Allee, A. Emerson, O. & T. Park et K. P. Schmidt : Principles of Animal Ecology. Au Chapitre 21, « The growth form of populations », les auteurs distinguent la phase de croissance, d’équilibre et enfin de déclin de la population. Il est frappant de constater que la partie consacrée à cette dernière phase représente à peine le tiers de chacune des deux précédentes.
37Un autre exemple, tiré du manuel de référence publié en 1953 par Eugène Odum629, Fundamentals of ecology illustre parfaitement cette situation : le mot extinction ne figure même pas dans l’index nominum du livre ! Odum fait seulement référence à des « population crash » et expose brièvement ce qu’il nomme « le principe Allee » dans une souspartie du livre, principe Allee dont nous allons montrer la signification et l’importance.
L’effet Allee
38Warder Clyde Allee (1885-1955) fut le maître de l’école de Chicago dans les années 30 et 40, et par conséquent, de la pensée organiciste en écologie (« École de Chicago » à ne pas confondre avec le groupe d’écologie « urbaine » de Chicago, composée de sociologues et de géographes). Il naquit dans une famille Quaker et resta tout au long de sa vie marqué par cette religion. Lors de sa formation, il fut élève de Lotka, conduisit des études écologiques dans la jungle panaméenne et accéda à la présidence de la société écologique d’Amérique en 1931.
39Son objet principal d’investigation fut néanmoins, de 1920 jusqu’à sa mort l’étude écologique des « agrégations animales », ou encore ce qu’on peut nommer la physiologie « de masse »630 ou de groupe. La question centrale de ses recherches consistait à savoir si les taux de survie les plus élevés se rencontraient chez les animaux isolés ou en groupe, et Allee s’employa à montrer que les forces grégaires qui poussaient à la coopération au sein des populations animales favorisaient clairement la survie.
40C’est dans ce cadre général de recherche, qu’il fut conduit à énoncer ce que l’on a nommé à la suite d’Odum « l’effet Allee ». Il s’agit d’un mécanisme qui permet d’expliquer certaines disparitions soudaines d’espèces. Cet « effet Allee » constitue sans aucun doute la plus grande innovation de la première moitié du xxe siècle en matière d’étude des extinctions d’espèce ; non seulement pour ses implications théoriques et pratiques, mais aussi pour le cadre épistémologique dans lequel il prend place.
41Il était déjà bien établi que l’augmentation de la densité d’une population provoquait la baisse de son taux d’accroissement, comme le montre la courbe logistique. Inversement, une diminution de l’effectif entraînait souvent une baisse de densité qui était alors favorable au taux d’accroissement. Ces mécanismes était l’indice d’un « feedback » (boucle de rétroaction négative) entre la densité de la population et son taux d’accroissement, qui rend par exemple possible l’existence de cycle de croissance et de décroissance des populations autour d’une valeur moyenne, comme sorte de processus homéostatique. De son côté, Allee montra qu’une faible densité de population pouvait aussi être un facteur critique pour la survie de celle-ci. À savoir qu’un déclin prononcé de la population ne s’accompagnait pas forcément d’une augmentation compensatrice des variables démographiques. Bien au contraire, il pouvait se produire un « feedback » positif entre déclin de la population et capacité de la population à se maintenir. Ainsi, chez les espèces grégaires ou chez celles qui nécessitent la présence d’individus auxiliaires ou « helpers » autour des couples reproducteurs (comme chez les loups), une trop faible densité diminue les valeurs de survie ou de fécondité du groupe, entraînant à son tour une diminution du nombre d’individus et de la densité. Il est alors très probable que cette spirale catastrophique mène à une extinction rapide.
42Vers le milieu du siècle, époque de la parution de Principles of Animal Ecology, l’étude des extinctions d’espèces est encore limitée. Les auteurs évoquent certaines extinctions reconnues et traitent en détail du cas de la « petite poule de bruyère » (Heath hen), qui s’est éteinte au début des années vingt sur l’île de Martha’s Vineyard. En se basant sur une étude d’Alfred Gross631 (1883-1970), Allee incrimine trois facteurs hétérogènes dans l’origine de cette extinction : l’inadaptabilité de l’espèce, une trop forte consanguinité, et enfin un excès de mâles dans la dernière période. En s’appuyant cette fois sur les études de Gause632 concernant différentes espèces de paramécies, Allee ajoute la compétition interspécifique comme nouvelle cause possible d’extinction.
43Ensuite Allee se penche sur la question des « population crashes » en soulignant leur importance économique. Cependant, il affirme ailleurs que les extinctions d’espèces et même de populations sont rares (ce qui justifie peut-être le faible développement qu’il est fait des formes démographiques de « déclin et extinction » comparativement aux autres formes de croissance) : « Si l’on exclut les changements radicaux dans les ressources exploitables d’un environnement ou quelque autre déséquilibre biotique du même ordre, une population naturelle atteint rarement une densité assez faible pour être en danger d’extinction »633.
44Cette position ne repose pas vraiment sur des données démographiques et est loin d’être neutre idéologiquement. Il faut en effet replacer le groupe écologique de l’université de Chicago à l’origine de ce manuel, dans son contexte. Dès les années 20, ce groupe qui baigne dans l’organicisme défendu par ses initiateurs, Victor Shelford (1877-1968) et Frederic Clements (1874-1945), se fixa, sous la férule d’Allee, l’objectif d’appuyer l’éthique sur des bases scientifiques. Allee, était persuadé que l’ordre et le fonctionnement de la communauté comptaient beaucoup plus que les intérêts individuels en compétition tel que le laissait entendre la darwinisme classique et il défendait totalement l’idée de sélection de groupe634. Tout à fait en accord avec une conception organiciste et intégrée des communautés, les idées de « coopération » et de « déplacement compétitif » remplaçaient celles de « lutte pour la vie » et d’« exclusion compétitive »635.
45Défenseur à la fois d’une écologie et d’un idéal organicistes, Allee reprit le flambeau de Wheeler, entomologiste à Harvard, qui pensait que la nature était constituée de hiérarchies emboîtées d’organismes, c’est-à-dire de « systèmes d’activité complexes, nettement coordonnés et donc individualisés »636. À la différence de Wheeler, Allee faisait du concept de « coopération » le centre et le but de tout processus évolutif : même la compétition et les hiérarchies sociales ne possédaient in fine pour fonction que d’accroître le niveau de coopération du groupe, qui devenait ainsi la norme vitale suprême.
46Avec ses collègues, Allee défendit l’idée que les populations ou les sociétés écologiques spécifiques et même interspécifiques n’étaient pas simplement comparables à des organismes, mais étaient des organismes intégrés avec ce que cela suppose en termes de coopération, de coordination et d’harmonisation. Sur un plan social et éthique, les membres du groupe de Chicago louaient les vertus de la communauté en ce qu’elle promouvait une idée d’altruisme et d’ordre rassurante face aux peurs de compétition chaotique, de déstructuration et d’anomie au sein du corps social. Ces penseurs cherchaient désespérément à se convaincre que les lois organicistes de l’évolution et de l’écologie garantiraient une intégration et une harmonie toujours plus grande des systèmes et des sociétés humains, malgré les crises et les guerres annoncées. Par une coïncidence bien malheureuse la coopération et l’intégration humaine poussées comme jamais à leur extrême se traduisirent pendant le deuxième quart du xxe siècle par l’instauration de régimes totalitaires parmi les plus « inhumains ». L’expérience totalitaire comme horizon de l’intégration organique des sociétés et des populations discrédita dès lors les idées du groupe de Chicago.
47Comment, cependant, dans le contexte du groupe AEPPS, la signification des extinctions d’espèces n’aurait-elle pas débordé du simple cadre écologique ? La dimension morale était inévitable. La règle fondamentale de la vie, pour ces organicistes, pouvait se résumer à la maxime suivante : « soit la survie par la coopération, soit la destruction par les ennemis »637. Bien sûr, l’extinction peut résulter de changements brutaux de l’environnement, mais, en dernière analyse, l’extinction finale de la population ou de l’espèce résulte de la désorganisation du groupe, faute d’une densité suffisante d’individus. Une plus grande cohésion sociale assure toujours, pour Allee et ses collègues, une plus grande probabilité de survie.
48Et lorsque survient l’extinction, elle signifie bien plus qu’une simple disparition d’individus considérés pour eux-mêmes, mais la mort d’un supra-organisme et la brisure des liens internes et organiques qui faisaient de lui un réseau vivant et coopératif. En poussant l’analyse à son extrémité, l’extinction représente tout simplement une menace pour l’idéal organiciste et irénique de la nature lui-même.
49L’étude de cet « effet Allee » suscite actuellement un regain d’intérêt justifié par les préoccupations de la biologie de la conservation. Les progrès de la modélisation permettent désormais de l’intégrer dans les calculs d’évolution de populations ou de métapopulations et les différentes causes de cet effet permettent de mieux connaître les phénomènes d’extinction. Nous aborderons ce point plus en détail à la fin de ce chapitre lorsque nous analyserons les concepts de la biologie de la conservation.
50Globalement, l’étude des extinctions au sein de la dynamique des populations ne doit pas nous faire oublier que nous avons seulement affaire à des populations et non à des espèces. Comme nous le soulignerons plus loin dans la deuxième partie de ce travail, la différence est de taille. Ou pour être plus précis, de nature. En effet, si une espèce peut se réduire à une dernière population, et les deux entités être empiriquement confondues, les deux concepts renvoient à deux modes d’appréhension du monde totalement distincts. Quoi qu’il en soit, après le déclin de l’école de Chicago, les extinctions perdirent durablement toute signification morale.
La biogéographie insulaire
51À partir des années 1950, l’écologie s’oriente vers l’étude de la complexité et de la diversité sous l’influence des frères Eugene (1913-2002) et Howard (1924-2002) Odum. Élèves de Georges Hutchinson (1903-1991), un des grands écologues du siècle, ils se font les avocats d’une méthodologie analytique et thermodynamique d’étude des écosystèmes, dont le pionnier est un autre élève de Hutchinson, Raymond Lindeman (1916-1942). Ils pensent l’écosystème sur le modèle d’un être vivant, avec des idées proches de la cybernétique naissante, mais hostiles à la position organismique et presque vitaliste de Allee. Dans la perspective odumienne, des rapprochements entre disciplines voisines de la biologie donnent naissance à des synthèses fructueuses comme l’écologie évolutive de David Lack (1910-1973) qui réconcilie néo-darwinisme et écologie.
52Une autre coopération aboutit à la naissance de la biogéographie insulaire de Mac Arthur et Wilson. Cette sous-discipline de la biologie des communautés permit notamment d’approfondir la modélisation mathématique en écologie des populations sur la base d’un modèle simple. Les îles ont toujours été un lieu privilégié pour tester les théories écologiques comme en témoignent les études de Alfred Wallace et de Darwin638. Robert Mac Arthur (1930-1972), mathématicien et biologiste, ainsi que E. O. Wilson (né en 1929), entomologiste par ailleurs fondateur de la sociobiologie, proposent en 1967 un modèle élégant dans leur Theory of island biogeography. Par « île », il faut entendre un concept plus général que la réalité physique généralement désignée par ce mot. Il peut s’agir d’îles réelles mais plus généralement de biotopes continentaux isolés les uns des autres par des barrières géographiques, comme les montagnes séparées par des plaines, des habitats forestiers fragmentés, des cavernes, etc.
53L’une des interrogations de départ des auteurs était la suivante : quels sont les mécanismes qui gouvernent les rapports entre la diversité biologique de l’île et sa superficie ? Leur réponse est basée sur l’hypothèse qu’à tout instant t, la richesse S(t) en espèces de l’île est la résultante de deux processus opposés : un processus d’immigration d’espèces sous forme de propagules I(S) et un processus d’extinction des espèces déjà en place E(S). On peut formaliser ce modèle par l’équation mathématique suivante :
54dS(t)/dt = I(S) – E(S)
55Les taux d’immigration et d’extinction prennent des valeurs qui dépendent de S(t), c’est-à-dire du nombre d’espèces déjà présentes sur l’île. Enfin, deux paramètres déterminent l’allure des courbes qui représentent ces taux : l’éloignement de l’île par rapport au continent et sa surface. Pour connaître le nombre d’espèces (S) à l’équilibre, il suffit de déterminer la valeur de S pour laquelle I(S) = E(S), ce qui s’observe graphiquement sur les courbes représentées ci-après.
56Les valeurs empiriques à la base du modèle ont été obtenues par des observations et des expériences réalisées sur des îles, comme celle du Krakatoa, sur laquelle avait disparu toute forme de vie à la suite d’une explosion volcanique en 1883. La faune et la flore se sont reconstituées en un demi-siècle, présentant un profil comparable à celui des îles voisines de même surface. Pour la première fois, les extinctions d’espèces (ou de populations) sont considérées comme un paramètre « normal » et fréquent d’une dynamique populationnelle et se trouvent modélisées comme telles. Bien que ce modèle soit validé par des données écologiques réelles, la question des mécanismes n’intervient pas directement. On se situe en fait au niveau phénoménologique supérieur : le processus d’extinction posé, ce qui se passe à l’échelle de chaque espèce s’apparente à une « boîte noire » ; seules les conséquences du phénomène en interrelation avec le système sont analysées.
57On peut également remarquer que, dans la ligne épistémologique initiée par les frères Odum, les auteurs privilégient la diversité des espèces et relient diversité et extinction d’espèce. Cette connexion est rendue légitime car au lieu d’aborder la question de la diversité d’un point de vue statique, comme le faisaient les naturalistes du xviiie siècle, Mac Arthur et Wilson l’envisagent d’un point de vue dynamique ; l’analogie est alors facile avec le fonctionnement d’un système où l’immigration est le flux entrant et l’extinction le flux sortant. Si le système étudié se complexifie, on peut obtenir une métapopulation, c’est-à-dire de nombreux îlots où se développent des populations de la même espèce, l’ensemble étant régi par des paramètres d’émigration, d’immigration et d’extinction.
58La conclusion de cette étude est que le risque d’extinction diminue avec l’augmentation de la superficie de l’île. L’explication, au moins partielle, tient au plus grand nombre de niches écologiques disponibles dans un habitat étendu. On peut donc relier positivement diversité des habitats et diversité faunique. Un autre facteur responsable de cette loi est la densité ; en effet, les facteurs de fécondité et de survie sont toujours « densité dépendant », comme on l’a vu avec « l’effet Allee ». Mac Arthur et Wilson ont, de leur côté, différencié deux formes de sélection dépendantes de ce facteur : la sélection-r et la sélection-K. La première favorise une plus grande productivité de la population (r est le taux d’accroissement de la population) dans le cas de faibles densités ; elle concerne généralement les espèces que l’on qualifie de colonisatrices. La deuxième favorise une meilleure utilisation des ressources et repose sur de meilleures aptitudes à la compétition ; elle se produit lorsque la population est proche de K (la capacité limite de charge) ; ce type de sélection concerne les espèces climaciques. Il est clair que le phénomène d’extinction n’a pas la même signification dans les deux cas. Pour la sélection-r, l’extinction témoigne d’une évolution de l’écosystème vers le climax et n’est pas vraiment inquiétante.
59Elle peut l’être beaucoup plus dans le deuxième cas, la disparition des espèces K-sélectives pouvant signifier la destruction de l’écosystème. Malgré ses lacunes, ce modèle a servi de base à de nombreuses recherches, dont l’actuelle théorie neutraliste de la biodiversité de Stephen Hubbell639, qui ont permis de mieux comprendre les modalités d’extinction. Les thèses de Mac Arthur et Wilson ont été aussi critiquées, en particulier pour le décalage existant entre les prédictions mathématiques et la diversité du réel biologique. Les points faibles de cette théorie proviennent de sa simplicité. En effet, toutes les espèces présentent les mêmes probabilités d’extinction et de colonisation, ce qui est démenti par l’expérience ; les densités de population et les processus de peuplement historiques ne sont pas pris en compte.
60À la suite de ces deux auteurs, et malgré des réticences d’ordre épistémologique (l’écologie est avant tout une science de terrain et un ouvrage qui contient de simples faits d’observation risque moins d’être sujet à caution qu’une élaboration théorique audacieuse), l’écologie a vu les mathématiques prendre une part croissante dans ses études. Ainsi, dans les années 70, un brillant théoricien, Robert May, a expliqué par les lois du chaos les fluctuations désordonnées observées dans la taille des populations animales, phénomène qui avait résisté à toute analyse jusque là640.
61Il a repris le plus classique des modèles de croissance, l’équation logistique, et a montré que sous certaines conditions, les courbes démographiques subissent des variations chaotiques. L’introduction de la théorie du chaos en écologie a été un puissant stimulant intellectuel, remettant en question de nombreuses conceptions établies sur la notion d’équilibre. Ainsi, sous certaines conditions, une population qui présente un taux d’accroissement élevé peut être sujette à des variations chaotiques et à l’extrême être conduite à l’extinction, et cela, simplement à cause de paramètres internes à cette population.
62Ces résultats ont conforté les critiques qui se sont élevées contre la synthèse odumienne centrée autour d’un écosystème comme objet autonome et en équilibre : « Que sont les écosystèmes en tant qu’objets scientifiques ? Ils paraissent ontologiquement flous et bornés de manière ambiguë. [...] L’idée que la nature est d’une certaine manière stable [...] est dépassée. La nature est dynamique. Elle est du reste chaotique, imprévisible. [...] L’état normal de la nature est la perturbation. »641
63En effet, le fonctionnement d’un écosystème ne peut se comprendre sans celui de son environnement et de son histoire comme le font remarquer Patrick Blandin et Maxime Lamotte : « L’écosystème d’Odum est sans lieu et sans histoire. »642 Il semblerait donc que l’écologie soit entrée dans une phase charnière. Jamais elle n’a autant affirmé sa scientificité et clamé son importance mais elle peine par ailleurs à se libérer de son ancien paradigme qui considérait les systèmes naturels fermés et autorégulés avec, implicitement, l’idée ancienne d’équilibre de la nature643.
64L’écologie a désormais besoin d’un paradigme fondateur réaliste sur lequel elle puisse établir une alliance avec la discipline qui lui sert de plus en plus de faire-valoir : la biologie de la conservation. Ce nouveau paradigme est basé sur la notion de « non-équilibre »644. Il reconnaît l’existence de plein droit d’événements épisodiques, de systèmes écologiques ouverts, de la multiplicité des lieux et des genres de régulation. Il permet d’insister sur les processus gouvernant le système, leur contexte, leur histoire et d’envisager l’importance des phénomènes dans une optique évolutionniste. Ce paradigme fait plus que remplacer l’ancien, il l’inclut dans une métaphore – qui n’est pas sans rappeler Héraclite – des « flux de la nature » où le phénomène d’extinction, intrinsèquement lié à la destruction et au déséquilibre, trouve enfin une place de premier ordre.
65Mais dans le même temps, un nouveau concept (une nouvelle entité ?) écologique a émergé et envahi en quelques années les discours, les représentations, les études écologiques au point de devenir une référence incontournable : il s’agit de la « biodiversité ».
Les extinctions à l’ère de la biodiversité
66L’idée que la nature vivante se donne à voir dans un foisonnement, une richesse, une hétérogénéité, une multiplicité qui se doivent d’être formulés d’un point de vue conceptuel, n’est pas neuve. Après tout, en quoi consiste le travail des taxinomistes depuis des siècles, si ce n’est en la description de cette diversité du vivant, ou celui des écologistes, si ce n’est en l’intégration de ce divers au sein d’entités et de processus intelligibles (écosystèmes, communautés, biomes, biosphère) ? Pourtant, c’est bien une rupture épistémologique qui s’est opérée à partir des années 70 avec l’insistance sur la « diversité biologique » et, plus particulièrement, à partir de 1985 avec la création du néologisme « biodiversité » par Walter G. Rosen645 et sa popularisation par Edward O. Wilson646, dans la mesure où c’est la diversité qui s’est trouvée valorisée pour elle-même, acquérant une primauté par-delà, parfois même contre, toute autre considération scientifique. De nombreuses et souvent controversées études écologiques ont ainsi fleuri sur le rapport entre biodiversité et stabilité647, biodiversité et résilience, biodiversité et adaptabilité, biodiversité et productivité biologique648, etc.
67À l’extrême, la nature des objets dont il est question importerait peu, pourvu que soit mis en exergue leur caractère diversifié ! À cet égard, la définition classique et largement abstraite de la biodiversité comme ensemble des diversités génétiques, spécifiques et écosystémiques de la biosphère démontrerait en toute rigueur son incohérence dans sa prétention à comparer des objets de nature hétérogène (des gènes et des espèces, des entités et des processus). De même, nous ne ferons qu’évoquer la redoutable question de la mesure de la biodiversité649 : cherche-t-on à quantifier de la richesse (nombre d’espèces par exemple), de la variabilité, de l’hétérogénéité, de la dissimilitude, voire de l’originalité650 ? Il serait en définitive illusoire de vouloir donner une mesure de la biodiversité651.
68Au mieux, serait-il seulement possible d’étalonner un type précis de diversité biologique dans un contexte restreint, et sur cette base, de créer des indicateurs qui rendraient compte de l’évolution de la biodiversité, comme le Biodiversity Intactness Index652.
69Ces remarques n’avaient pas pour objet de démontrer que le concept de biodiversité est scientifiquement infondé, mais de remettre ce concept dans le contexte où il est apparu, celui d’une crise de grande ampleur de cette diversité biologique, et à la suite de nombreux auteurs de souligner que les mérites de l’émergence de ce concept ne sont pas moins sociaux et politiques que scientifiques. Raphaël Larrère653 note ainsi avec pertinence que, « si nul ne songe à préciser cette notion de biodiversité, c’est que son imprécision arrange tout le monde : chacun peut avancer, au nom d’une diversité confuse, ses propres objectifs ». Dans une perspective plus relativiste, David Takacs654 souligne que « les idées peuvent avoir un impact écologique en réorganisant notre vision et notre traitement de la nature ». Or, les idées sur la nature en disent autant sur la société dont elles sont issues que sur le monde naturel. Il est par conséquent nécessaire d’analyser l’origine, le contexte, les raisons qui ont présidées à l’émergence d’un concept. Cette appréhension, dite « postmoderne », de la nature comme « construction sociale » se redouble dans le cas de la biodiversité du soupçon qu’au moins un certain nombre de biologistes ont délibérément et activement modelé le concept de biodiversité, autant pour favoriser son impact social que pour défendre sa pertinence scientifique. C’est ce que souligne à son tour Yrjö Haila655, qui rajoute toutefois que « le terme « construction sociale » ne devrait pas être pris dans un sens péjoratif [...] Dans le monde humain, précise-t-il, les problèmes et les prises de positions s’expriment nécessairement par des concepts, eux-mêmes articulés par le langage ». Comme le fait remarquer Ian Hacking656, dire qu’un concept est une « construction sociale » est tout simplement un pléonasme dans la mesure où tous les concepts sont élaborés au sein d’une société. Selon lui, ne devraient être désignées ainsi que les approches qui possèdent une dimension critique évidente, qui cherchent à dévoiler la nature contingente d’un état de fait qui apparaît nécessaire, état de fait qu’il est par conséquent possible, voire souhaitable, de modifier. Le concept de « biodiversité », en révélant et en instituant la notion de diversité comme centre organisateur autour duquel s’agencent les anciens concepts liés à la notion de nature, affirme nettement sa dimension critique. Alors que la nature dans sa globalité apparaît comme un donné intangible et presque insensible aux conséquences de l’activité humaine, l’insistance sur le point de vue de la diversité dévoile dans les détails les mécanismes et les conséquences de la disparition par la faute de l’homme des constituants, même infimes, de la nature. La valorisation morale de la diversité pour elle-même s’inscrit clairement dans une dynamique sociale et politique de mobilisation pour la sauvegarde de la nature qui aurait été tout autre, et à n’en pas douter moins efficace, eût-elle valorisé à la place, les aspects fonctionnels de la nature par exemple ; en effet, une entité écologique ne montre souvent des signes de dysfonctionnement qu’après que sa biodiversité a déjà été plus ou moins sévèrement réduite.
70En regardant désormais le monde écologique à travers la « lunette conceptuelle » de la biodiversité, on peut constater qu’en une vingtaine d’années les extinctions individuelles d’espèces se sont inscrites au chapitre quelque peu hétéroclite de la « diminution de la biodiversité », tout comme les phénomènes que sont les disparitions de races domestiques anciennes, l’assèchement des marais, le mitage des paysages périurbains ou encore la perte des savoirs des peuples premiers menacés d’occidentalisation... Les lois sur la « préservation des espèces animales et végétales »657 et sur la sauvegarde des espèces en danger d’extinction ont été englobées dans des règlements pour la protection de la biodiversité comme la Convention sur la Diversité Biologique adoptée à la Conférence de Rio en 1992.
71Il y a là des avantages certains pour les espèces en termes de conservation, notamment en ce que la focalisation sur la biodiversité dans son ensemble, et pas seulement au niveau spécifique, permet de dépasser les apories de la conservation espèce par espèce (par exemple la question du « triage » des espèces à sauver), conservation qui n’a qu’un intérêt limité comme nous le montrerons dans la deuxième partie avec les débats sur l’éthique écocentrique en particulier. Le processus d’extinction d’une espèce peut aussi être remis dans des perspectives plus larges, comme nous y conduit inexorablement la perspective inquiétante du réchauffement climatique global. Enfin, un cas de figure extrême imaginé par Paul Ehrlich658 montre l’intérêt évident à ne pas se satisfaire du seul nombre d’espèces pour juger de l’état d’un écosystème. Ehrlich a remarqué que le plus souvent les espèces sont représentées par plusieurs petites populations, encore appelées « métapopulations » lorsque des échanges de migrants sont possibles entre celles-ci. Il imagine alors une situation où toutes les espèces seraient réduites à une seule petite population minimalement viable, incapable de ce fait d’assurer pour la suite le fonctionnement normal de l’écosystème. On serait ainsi conduit dans le cas limite et paradoxal d’une catastrophe écologique globale sans la moindre extinction au niveau spécifique. Au contraire, en raisonnant en termes de biodiversité, la réduction drastique du nombre de populations et de la diversité génétique intraspécifique constitue en soi une catastrophe qui nécessite des mesures urgentes de conservation, sans attendre que la survie des espèces soit directement en jeu.
72Le concept de biodiversité a ainsi mis en exergue des effets qui autrement n’auraient été que peu reliés, entre diversité génétique et fonctionnement écosystémique par exemple659. Pourtant, à trop insister sur la notion de biodiversité, on ne peut s’empêcher de craindre que le phénomène d’extinction d’espèce se dilue progressivement dans celui de perte de la biodiversité. Mieux encore, en poursuivant une logique de généralisation croissante, le concept récent de « santé écosystémique » (Ecosystem health)660 chercherait à dépasser le niveau de la biodiversité pour essayer de fonder des normes de conservation au niveau plus élevé de l’écosystème ; dans le même mouvement, on peut faire du concept de « développement durable » une entreprise d’institutions de normes à un niveau supérieur encore plus intégrateur, celui des écosystèmes anthropisés globaux. Mais l’une des conséquences de cette dynamique tournée vers la globalité revient, de manière quasi systématique, à négliger le problème de l’extinction individuelle des espèces, ou du moins à le transformer partiellement en « boîte noire » et à l’intégrer aux préoccupations des niveaux supérieurs. En quoi cela peut-il être dommageable ?
73Tout d’abord, le consensus autour de la biodiversité n’a pas complètement gommé les divergences entre les logiques disciplinaires ; les incompréhensions et mésententes ressurgissent régulièrement, surtout lorsqu’il est question de passer à l’action661. Surtout, on ne devrait pas oublier que sous l’expression englobante de « biodiversité » se subsument des processus hétérogènes par rapport à un facteur essentiel dans une perspective conservationniste, celui d’irréversibilité. Par irréversibilité ou réversibilité, il faut entendre ici la dynamique temporelle de la richesse ou de la diversité des entités qui constituent la biodiversité (allèles, espèces, écosystèmes). La temporalité qui est ici abordée est celle d’entités collectives ou de systèmes considérés par rapport à leur fonction. Il ne s’agit pas de l’irréversibilité attachée à la disparition d’un être ou d’un individu singulier. Il est incontestable que les disparitions d’allèles, d’espèces ou d’écosystèmes, prises individuellement, sont irréversibles : si je détruis l’intégralité de la faune et de la flore de Corse avec une bombe nucléaire, il est certain que l’écosystème qui se recréera après cette destruction sera d’une identité tout autre. De même, le mouflon de Corse (espèce endémique de l’île), et certains allèles qui lui sont propres, ne réapparaîtront jamais naturellement, même si une espèce qui lui ressemble beaucoup dans le futur occupe une niche écologique comparable662. Par contre, on retrouvera après une certaine durée une diversité spécifique, une diversité allélique et un fonctionnement de l’ensemble des écosystèmes qui seront vraisemblablement proches de ce qu’ils étaient avant la catastrophe. En tant que propriété collective et générique (par opposition à individuelle et unique), on peut dire que la diversité d’un ensemble d’entités biologiques en évolution est temporellement réversible, mais dans quelle mesure ?
74Pour ce qui est de la diversité génétique intraspécifique, sa diminution est presque toujours suivie d’effets néfastes sur les populations touchées, et par voie de conséquence sur les espèces et les écosystèmes. De plus, la perte de gènes peut sans doute être considérée comme une perte en soi, sans parler de perte de valeur économique. Si à l’échelle d’une vie humaine ou de quelques générations, cette perte apparaît comme irréversible, il a été montré, notamment après l’explosion du Krakatoa qui a ravagé cette île en 1883, que la recolonisation de la faune et de la flore s’est accompagnée d’une diversification génétique plus importante et plus rapide que prévue par les généticiens663, notamment par des effets de migration. En comptant seulement sur les effets de la mutation, Maynard-Smith indique qu’il faudrait de 500 à 1 000 générations pour recréer la variabilité génétique naturelle des traits phénotypiques chez la drosophile à partir de lignées génétiques entièrement homozygotes664. L’article classique de Nei665 sur les effets génétique des « bottlenecks » ou goulots d’étranglement démographiques dans les populations fondatrices de nouvelles espèces par spéciation allopatrique montre, il est vrai, qu’après une chute importante d’hétérozygotie, même compensée par un accroissement démographique important, les ordres de grandeur temporels de retour aux valeurs initiales d’hétérozygotie sont de 106 générations, soit plus de 100 000 ans pour les populations de drosophiles ce qui constitue un phénomène à la réversibilité très lente.
75En revanche, l’exemple du Krakatoa indique clairement qu’un écosystème peut se recréer naturellement et « fonctionner » en quelques dizaines d’années, même si l’écosystème supporté actuellement par l’île du Krakatoa est certainement différent de celui qui s’y trouvait avant l’explosion. De façon générale, les écosystèmes peuvent être restaurés par l’homme, voire même recréés à partir d’un substrat nu, en quelques années. C’est le domaine de « l’écologie de la restauration » (restoration ecology). Nous ne discuterons pas de la valeur philosophique de ce type d’intervention technique666 ; il suffit juste de mentionner son existence et ses succès, malgré toutefois des insuffisances rémanentes en termes de contrôle et de prédiction.
76On constate que les échelles de temps propres à la restauration d’une diversité génétique perdue dans des populations fonctionnelles ou à la restauration d’écosystèmes à partir de réintroductions de populations elles aussi fonctionnelles sont de l’ordre de quelques dizaines d’années à quelques milliers d’années (sauf dans des cas extrêmes), c’est à dire un ordre de grandeur comparable à celui des générations et sociétés humaines.
77Or, il en va tout autrement de la restauration de la diversité spécifique d’un milieu écologique après une extinction de masse. Après une analyse extensive des données paléontologiques disponibles, Kirchner et Weil ont ainsi montré qu’indépendamment de l’intensité des extinctions de masse qui ont régulièrement ponctué l’histoire de la vie sur terre, il a fallu attendre en moyenne dix millions d’années après une extinction de masse pour retrouver le niveau antérieur de diversité spécifique667. Même si la valeur de cette durée peut être discutée, il est incontestable que l’ordre de grandeur de restauration de la richesse spécifique est de plusieurs millions d’années (ce chiffre est par ailleurs en concordance avec la « durée de vie » moyenne d’une espèce : quelques millions d’années suivant les phyla668). À cette échelle, et par comparaison avec les durées de vie des sociétés, des civilisations, et même de l’espèce humaine, on peut dire que la crise d’extinction actuelle entraînera des pertes irréversibles. Bien que les différents niveaux de la biodiversité soient fortement interdépendants, l’enjeu de la conservation des espèces considéré dans sa dimension temporelle et sa potentielle irréversibilité surpasse sans conteste celui de la conservation d’autres niveaux de la biodiversité. La focalisation sur les extinctions d’espèces lorsqu’il est question de crise de la biodiversité apparaît donc amplement appuyée d’un point de vue scientifique, dans la mesure évidemment où on supposera à un niveau moral qu’une destruction irréversible de l’environnement n’est pas désirable.
78Nous laisserons cette discussion pour la dernière partie de cet ouvrage consacrée à l’éthique environnementale. Mais dès lors que l’irréversibilité (relative à l’espèce humaine) de la disparition des espèces a été soulignée, il nous reste à présenter la biologie de la conservation, science qui a largement pris le relais de l’écologie pour comprendre les causes des extinctions et envisager des solutions afin d’enrayer cette crise de la biodiversité.
79Toutefois, avant cela il nous faut compléter notre enquête historique sur quelques enjeux cruciaux de l’idée d’extinction au xxe siècle à travers deux courants de pensée, l’un tombé aujourd’hui dans l’oubli, l’autre, d’une actualité toujours brûlante. Nous verrons que l’idée d’extinction fut au xixe et au début du xxe siècle intimement liée à l’idée de dégénérescence ; nous tenterons ensuite de mettre en rapport ce dernier concept avec la défense des idées conservationnistes au xxe siècle.
L’extinction et la théorie de la dégénérescence des espèces
“Le monde est en marche vers le bien. La foi à la loi du progrès est la vraie foi de notre âge. C’est là une croyance qui trouve peu d’incrédules. Le progrès n’est pas seulement dans l’individu ; mais il est encore, et par suite, dans le genre humain. Il est la loi même de l’espèce. Nous devons tenir pour la véritable foi cette foi au progrès qui soutient notre marche. Croyons au progrès, sans le scinder ; au progrès un, dans lequel tous les progrès se tiennent. C’est la foi de notre âge et c’est la bonne.”
80Cet extrait de l’article « Progrès »669, écrit par Pierre Larousse en 1865, résonne comme un vibrant et sincère plaidoyer positiviste en ce milieu de xixe, perpétuellement transformé et métamorphosé par l’avancée des sciences et des techniques. Ce qui frappe dans cet article ne provient pas tant de l’enthousiasme démesuré de l’auteur pour l’idée de progrès, mais du registre religieux et moral qu’il n’hésite pas à mobiliser : il évoque en effet à plusieurs reprises la « foi », le « bien », la « croyance », etc. La croyance en un progrès indéfini, selon les vœux exprimés par Comte dans son Système de politique positive devient donc une religion, la nouvelle religion de l’humanité, du genre humain. On remarque d’ailleurs comment l’espèce humaine est réquisitionnée dans sa globalité et, semble-t-il, dans sa dimension biologique, comme entité assurant la transmission d’une lignée vitale.
81Le progrès, à y regarder de plus près, n’est pas une propriété relevant de facultés humaines particulières (l’intelligence, la technique, la morale, etc.) ; il s’agit d’un processus intrinsèquement global, qui doit être envisagé, non pas au niveau de chaque individu, mais de l’espèce entière, car il s’agit par ailleurs d’un processus qui ne peut prendre corps que dans un large horizon temporel, générations après générations. Déjà Rousseau soulignait ce point dans le Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes où, après avoir démontré que l’homme devait être distingué de l’animal par sa qualité d’« agent libre », il insistait sur cette autre faculté primordiale et éminemment spécifique, la perfectibilité, qui est au principe même de la notion de progrès. Mais il comprit immédiatement que cette faculté possédait un sombre revers, qu’elle était autant, si ce n’est plus négative que positive :
L’homme reperdant par sa vieillesse ou d’autres accidents tout ce que sa perfectibilité lui avait fait acquérir, retombe ainsi plus bas que la bête même. Il serait triste pour nous d’être forcé de convenir [...] que c’est elle, qui faisant éclore avec les siècles ses lumières et ses erreurs, ses vives et ses vertus, le rend à la longue le tyran de lui-même et de la nature.670
82Donc bien avant Comte et sa religion du progrès et tous les scientistes du xixe siècle croyant en une perfectibilité infinie de l’esprit humain, Rousseau envisageait les limites du progrès inhérentes à ce mouvement même. Limites sous la forme de la mise au jour de processus rétrogrades envers la nature (ce que confirmera le mouvement écologique et l’augmentation des extinctions d’espèces entre autres), processus rétrogrades touchant directement l’homme dans la totalité de son essence et en particulier dans son organisation politique et ses dimensions biologiques et morales. Enfin, pour compléter le bilan de Rousseau, il faudrait lui adjoindre cette notion que Buffon tenait pour essentielle dans l’explication des modifications qu’avaient subies les espèces, ou plutôt leur « moule intérieur » au cours des époques passées : la « dégénération ». Si donc, à la fin du siècle des lumières, le couple perfectibilité/ dégénération est déjà pensé dans le domaine biologique, il ne reviendra en grâce que près d’un siècle plus tard. Il nous faut aussi remarquer que, pour Buffon, la dégénération est élaborée comme une alternative à l’extinction des espèces.
83Si la fin du xixe siècle voit la montée en puissance d’un prêche pour la religion du progrès, en tant que nouvelle religion de l’humanité, le culte de la dégénérescence et de la décadence grandit lui aussi et infiltre peu à peu toutes les parcelles de l’humanité, littérature (Huysmans, Nordau, etc.), peinture (Van Gogh), philosophie (Gobineau), et surtout la psychiatrie, la médecine et la biologie où les théories sur la dégénérescence fleurissent.
84Il n’est pas question ici de rappeler toute l’histoire des théories sur la dégénérescence, mais simplement de mettre en lumière le lien intime qui relie le concept de dégénérescence lorsqu’il s’applique aux races et aux espèces à celui d’extinction. Revenons d’abord à la définition du terme « dégénérescence » : selon le dictionnaire d’André Lalande, il s’agit de l’« altération d’un organisme ou d’un organe qui l’amène à une forme jugée inférieure »671. Mais c’est aussi être moins ou pire que ses ancêtres, faiblir, s’abâtardir. Enfin, pour Claude Bénichou, l’idée de dégénérescence rejoint celle de « dégénération », qui inscrit de surcroît en elle l’idée de dépérissement672. Dans le complément à l’article du Lalande, on précise que pour Morel (1809-1873), auteur en 1857 du Traité des dégénérescences physiques, intellectuelles et morales de l’espèce humaine, « l’aboutissement de la dégénérescence est l’être qui ne peut plus se reproduire »673. Plus encore, pour un disciple de Morel, Magnan (1835-1916), la dégénérescence se définit comme « l’état pathologique de l’être qui, comparativement à ses générateurs les plus immédiats, est constitutionnellement amoindri dans sa résistance psycho-physique et ne réalise qu’incomplètement les conditions biologiques de la lutte héréditaire pour la vie. Cet amoindrissement [...] aboutit plus ou moins rapidement à l’anéantissement de l’espèce »674. Le spectre de l’extinction hante donc la peur de la dégénérescence !
85Cela finit de se confirmer avec la remarque que fera Karl Marx (1818-1883) à propos d’un livre de Pierre Trémaux (1818-1895) qu’il considère supérieur à Darwin :
Le progrès, qui chez Darwin est purement accidentel, est ici nécessaire, purement basé sur les périodes d’évolution du corps terrestre ; la dégénérescence que Darwin ne peut expliquer est ici simple ; de même l’extinction si rapide des formes de transition comparativement avec la lente évolution du type de l’espèce, en sorte que les lacunes de la paléontologie qui gênent Darwin sont ici nécessaires675.
86Rappelons en effet que Darwin, qui récusait toute idée de progrès finalisé dans l’évolution des espèces, rejetait par là même l’idée de dégénérescence, comme d’autres auteurs avant lui, Bory de Saint-Vincent (1778-1846) ou Frédéric Gérard (1806-1857).
87Pourtant, pris dans le tourbillon de cette vague de décadence très « fin de siècle », le texte de Darwin fut librement réinterprété par de nombreux auteurs qui n’acceptèrent pas de laisser le hasard et la contingence décider du progrès des espèces. Parmi, ceux-ci, nous trouvons la traductrice française de Darwin, Clémence Royer (1830-1902), et surtout, un naturaliste anglais, élève de Thomas H. Huxley (1825-1895) et darwinien convaincu : Edwin Ray Lankester (1847-1929). Ce savant est du plus grand intérêt pour notre enquête car il a publié dans un premier temps un ouvrage sur la dégénérescence puis, vingt-cinq ans plus tard, un ouvrage sur les espèces éteintes.
Edwin Ray Lankester : dégénération, extinction et darwinisme
88Dans Degeneration, a chapter in darwinism, Lankester ajoute sciemment cette notion au bagage darwinien de l’interprétation du monde vivant. Bien qu’il prenne certaines précautions pour ne pas empiéter sur les concepts d’une dégénérescence « idéologique » (celle des races de sauvages considérées comme dégénérées par exemple), et pour se limiter au biologique, Lankester n’hésite pas à reconsidérer l’évolution et la sélection naturelle à travers ce prisme de la dégénérescence.
89Définie comme « un changement graduel de la structure à travers laquelle un organisme s’adapte à des conditions de vie moins variées et moins complexes »676, la dégénérescence forme pour Lankester l’un des trois produits possibles de la sélection naturelle avec l’« équilibre » et l’« élaboration ». Il dénombre ensuite quatre facteurs susceptibles de conduire à une « évolution dégénérative » : le parasitisme, la fixité ou l’immobilité, la nutrition végétative et enfin une réduction excessive de la taille.
90Bien que les explications de Lankester paraissent s’appuyer sur des données biologiques sérieuses, quoique non homogènes, il ne peut s’empêcher d’en tirer une conclusion clairement métaphysique sur l’avenir de la race blanche, la seule capable d’éviter la dégénérescence, selon lui, grâce à son pouvoir de connaître « les causes des choses » et de contrôler sa propre destinée ! Est-il ici besoin de rappeler que les discours sur la dégénérescence furent le terreau de l’émergence des techniques et des politiques eugénistes.
91Si Lankester s’est senti obligé d’ajouter la dégénérescence aux hypothèses et phénomènes darwiniens, on peut supposer qu’implicitement « évolution » équivalait pour lui avec « développement » et « progrès ». En soi, ce que décrit Lankester ne représenterait que quelques exemples particuliers, originaux par leur aspect externe, de l’évolution et non un chapitre fondamentalement novateur de la théorie darwinienne. Mais cette confusion inconsciente entre évolution et progrès est presque générale durant les quelques décennies qui suivent la publication de l’Origine des espèces, au point qu’en France le docteur Larger parle de la dégénérescence comme de la théorie de la contre-évolution677.
92Par la suite, Lankester ne va pas en rester à la dégénérescence, et se consacrera à l’étude des espèces éteintes et des phénomènes liés à leur disparition. Il en tire en 1905 un des premiers livres de vulgarisation sur les espèces éteintes dans le règne animal678. Lankester traite sans surprise des fossiles de grands vertébrés anciens, mais il cite aussi toute la liste des animaux disparus récemment : quagga, Great Auk, Bos primigenus, Dodo, etc ; Et, curieusement, cite aussi le loup et le castor qui ont disparu d’Angleterre, alors qu’il ne s’agit évidemment pas d’espèces éteintes. Ferait-il montre de préoccupations écologistes ou conservationnistes en plus de la simple érudition scientifique ? Il pose en effet la question des causes des extinctions, mais si son livre est très richement illustré et documenté en données anatomiques, il ne rentre pas dans les détails lorsqu’il s’agit de questions plus écologiques : les hommes et les changements de l’environnement sont incriminés sans guère plus de précisions.
93Le lien entre dégénérescence et extinction n’est pas non plus évident dans ce dernier ouvrage, mais l’enchaînement chez un même savant d’ouvrages sur ces deux problématiques n’est sûrement pas anodin En tout cas, ce lien est clairement revendiqué dans une publication du docteur René Larger et surtout en 1941 dans un ouvrage de Henri Decugis679 (1874-1947), sans doute l’un des derniers où la question de la dégénérescence fasse l’objet de tant d’attention à la lumière de l’évolution de la vie.
Du vieillissement et de la dégénérescence des espèces à l’extinction
94Avant de présenter l’ouvrage de Decugis, qui incarne probablement l’acmé de la doxa dégérationniste en matière d’évolution, nous devons essayer de mieux cerner l’articulation entre dégénérescence et évolution. Et pour cela, c’est avant tout du côté des paléontologues qu’il faut se tourner. Dans le but de délimiter le champ d’analyse de cet ouvrage et de le rendre aussi synthétique et pertinent que possible, nous avons choisi de ne pas aborder l’histoire de l’idée d’extinction en paléontologie à partir du xixe siècle. Si l’idée de distinguer une conceptualisation des extinctions selon des champs paléontologiques et écologiques n’est pas pertinente avant le xixe siècle, par la suite cette dichotomie est au contraire tout à fait justifiée dans la mesure où ces disciplines se distinguent clairement d’un point de vue aussi bien méthodologique qu’institutionnel. Mais pour des raisons théoriques et pratiques, traiter de l’idée d’extinction en paléontologie dépasserait largement le cadre de cette étude qui se rattache avant tout à l’histoire et à la philosophie de l’écologie. Pour autant, il serait contre-productif de nier l’influence qu’ont pu avoir les débats paléontologiques sur les théories de l’évolution, et partant, sur l’écologie.
95Ceci est particulièrement frappant lorsqu’on aborde la question des causes des extinctions en paléontologie au début du xxe siècle680. Désarçonnés ou simplement déçus par le manque de puissance prédictive de la théorie darwinienne qui laissait selon eux trop de place au hasard, nombre de paléontologues (Albert Gaudry (1827-1908), Charles Depéret (1854-1929), etc.), et en particulier les néo-lamarckiens (Edward Cope (1840-1897), Pierre-Paul Grassé (1895-1985), etc.) proposèrent l’existence de nombreuses « lois » de l’évolution afin de rendre compte des régularités qu’ils observaient dans les lignées évolutives continues. En particulier, ils montrèrent qu’il existait chez certaines espèces des périodes de stase très longues, alors qu’à d’autres moments les changements paraissaient si brutaux qu’on ne parvenait pas à trouver d’espèces intermédiaires. Et lors de ces phases d’intenses métamorphoses et radiations, les nouvelles formes d’organisations ne semblaient descendre que de types non spécialisés et archaïques (Loi de Cope). Au contraire, les formes spécialisées, aussi longtemps qu’elles subsistaient ne semblaient jamais pouvoir se diversifier, au point d’être inexorablement appelées à disparaître.
96Dès lors, les paléontologues cherchèrent à montrer que l’hyperspécialisation résonnait comme le glas de toute espèce. Les exemples fusèrent : ornementations des dinosaures les plus originaux, cornes des Tricératops beaucoup trop encombrantes, gigantisme des paresseux sud-américains (Megatherium) de l’Éocène, etc. Voilà que la dégénérescence, auparavant antonyme de perfectionnement, de progrès et d’évolution devient le synonyme de spécialisation ou d’hyperadaptation. Il est vrai que l’on parle aussi volontiers de « vieillissement » des espèces pour évoquer cette forme de dégénérescence conduisant inéluctablement à l’extinction. Ainsi donc la notion de progrès ou d’évolution devient normative : est dit évolué ce qui change (voire s’améliore, quitte à exprimer une tautologie) sans jamais s’écarter d’une ligne harmonieuse et moyenne tracée à l’avance par l’orthogenèse. Sera considérée comme dégénérée toute forme qui, soit par hyper-simplification, soit par hyperspécialisation, s’écartera de la forme moyenne.
97Cette notion de vieillissement ou de dégénérescence des formes vivantes, alliée à l’existence de lois d’évolution avait par ailleurs l’avantage de satisfaire les inclinations finalistes des biologistes frustrés par l’aveugle mécanisme darwinien681. Cette nécessité métaphysique de se sentir rassuré par l’interprétation du monde appuie inconsidérément l’idée que, comme les individus, les espèces naissent, mûrissent, vieillissent et s’éteignent afin de laisser la place aux autres ; explication générale et séduisante mais fallacieuse, par laquelle sont intégrés les phénomènes de spéciation et d’extinction en un tout cohérent.
98Le petit opuscule du Docteur Larger682 est très éclairant sur les idées les plus répandues en rapport avec les extinctions chez les paléontologues français au début du siècle. Paléontologue à ses heures, cet amateur éclairé incite ses collègues à l’étude de l’hérédité pathologique chez les espèces fossiles afin de créer une discipline qu’il baptise « paléopathologie ».
Cette étude me paraît indispensable pour rechercher la cause de l’extinction des espèces, puisque ces dernières, on vient de le voir, ne se composent que des individus avec leur descendance. Cela étant, les mêmes causes qui déterminent l’extinction des individus, doivent nécessairement déterminer l’extinction des espèces.
Or les individus meurent toujours par deux causes différentes : l’une purement accidentelle, qui est le traumatisme, l’autre la cause physiologique, qui est la maladie. Car l’observation prouve que, quelque soit l’âge auquel meurt l’individu, il succombe invariablement à une altération de fonctions ou d’organes, c’est-à-dire, à un état pathologique, à une maladie en un mot.
Il en résulte forcément ceci, pour les espèces, c’est que de même que les individus, elles meurent également par ces deux mêmes causes, l’une accidentelle et l’autre, pathologique. Dans l’espèce, la cause accidentelle n’est autre chose que la Sélection naturelle de Darwin, lequel a évidemment pris l’exception pour la règle. De telle sorte que, vouloir prétendre que la Sélection naturelle est la cause habituelle de l’extinction des espèces, cela reviendrait à dire que l’assassinat, par exemple, est la cause ordinaire de la mort des individus683.
99La confusion entre les processus biologiques au niveau individuel et au niveau spécifique est permanente chez Larger, tout comme chez Decugis. Sa définition de la dégénérescence est éloquente à ce sujet : « La dégénérescence est une maladie d’abord acquise, ensuite héréditaire, caractérisée par une diminution progressive des moyens de défense de l’organisme et aboutissant à la stérilité ou à l’extinction des individus et de leur descendance »684.
100La dégénérescence, pour Larger, constitue le facteur « interne » qui rend compte de l’extinction et n’est, dans le fond, « qu’une maladie d’usure. Or avec la temps, tout ce qui vit, finit par s’user, conséquemment, par dégénérer »685.
101Enfin, selon ce paléontologue amateur, la dégénérescence englobe « les lois, qui selon tous les paléontologistes actuels, présideraient à l’extinction des espèces » : loi de l’augmentation de taille ou du gigantisme, loi de spécialisation progressive ou d’excès de spécialisation unilatérale, loi de réduction progressive de la variabilité, lois de la régression nécessaire, de l’irréversibilité et de la limitation.
102Enfin, une dernière remarque s’impose sur cette notion de dégénérescence liée aux lois orthogénétiques d’évolution. En dépit des contraintes évolutives très fortes auxquelles seraient soumises les lignées, celles-ci ne représentent en rien des causes finales : Larger le précise, la dégénérescence s’oppose à la « prédestination des espèces », défendue par exemple par Wilhelm Kobelt (1840-1916), un conchyliologiste allemand.
103En fin de compte, cette idée de déclin, de dégénérescence ou de vieillissement de toute entité organique (individu, race, population, espèce) imprègne tellement l’air du temps durant la première moitié du xxe siècle qu’il n’est pas un seul biologiste qui n’y fasse référence, soit pour la défendre, soit pour la réfuter. Le mathématicien d’origine russe, Vladimir Kostitzin, représentant en France le plus éminent de la biologie mathématique des populations, se laisse tenter par l’idée de vieillissement des populations686. Il va jusqu’à introduire un facteur décroissant, – (t), dans les équations de croissance des populations afin de simuler le vieillissement de ces populations – et non des individus qui les composent. Obéissant à une rigueur toute mathématicienne, il prend la peine de développer complètement son système d’équations avant d’arriver à la conclusion que son facteur de vieillissement ne modifie guère la courbe logistique initiale, et de le rejeter pour cette raison. À titre anecdotique, il n’est pas jusqu’au philosophe Georges Canguilhem qui ne se laisse séduire par cette hypothèse : « On sait assez que les espèces approchent de leur fin quand elles se sont engagées irréversiblement dans des directions inflexibles et se sont manifestées sous des formes rigides ».687
104De cette projection épistémologique des phénomènes individuels au niveau spécifique surgit une ambivalence dans l’analyse des données phénoménologiques associées à la dégénérescence : simplification ou complexification excessives, nanisme ou gigantisme, monstruosité ou beauté fatale. Ces couples antinomiques structurants ne se donnent jamais aussi bien à voir que dans le livre d’Henri Decugis. Précisons pour couper court à toute critique, qu’avec Decugis nous n’avons affaire qu’à un avocat amateur de sciences et de biologie, certes érudit, mais en aucun cas à un scientifique professionnel. Non qu’il faille d’emblée déconsidérer son travail, mais que sur les questions qui nous intéressent, face aux grands noms de la biologie et de l’écologie, Decugis n’est qu’un auteur de troisième ordre, dont les raisonnements vont bien au-delà de ce que la prudence et la rigueur scientifiques tolèrent habituellement, ce que ne manque d’ailleurs pas de souligner le grand zoologiste Maurice Caullery (1868-1958) dans la préface de l’ouvrage. De plus, cet auteur aujourd’hui oublié ne se cache guère de défendre des idées ouvertement racistes comme en témoigne l’un de ses ouvrages précédents paru en 1935 : Le destin des races blanches.
105Pourquoi alors s’intéresser à un obscur auteur de vulgarisation biologisante douteuse ? Certes, ce que pense Decugis reflète sans doute l’opinion d’une part de l’élite cultivée du pays688, mais surtout, ce livre peut – et même doit – se lire comme un immense argument pour la démonstration de la dégénérescence des espèces, même si dans ce dessein, Decugis nous fait l’honneur d’une étrange visite dans sa petite « boutique des horreurs », où se côtoient dans un ordre hétéroclite achondroplasiques, acromégaliques, singes déséquilibrés psychiques, poissons des grands fonds et sauvages dégénérés.
106Le ton de Decugis est foncièrement pessimiste et les interprétations toujours sombres. Il use et abuse d’un style de narration aussi vieux que le monde et que les mythes : la rhétorique du déclin689.
107L’ambition de Decugis est claire : il s’agit de réfuter la notion de progrès inhérente selon lui aux idées de transformisme et d’évolutionnisme, et non de dépasser le schème dualiste « progrès/dégénérescence ». Mais alors que Lankester faisait de la dégénérescence un « chapitre du darwinisme », qu’il s’efforçait de situer aussi bien les explications du progrès que de la dégénérescence au sein du paradigme de la descendance avec modification darwinienne, Decugis cherche au contraire à mettre ce dernier à distance : « on sait maintenant que le rôle joué par la sélection naturelle et par la lutte pour la vie dans l’évolution du monde vivant a été beaucoup moins important que ne l’avaient pensé la plupart des savants du dix-neuvième siècle. »690 Pour Decugis, comme pour Larger, la dégénérescence ou le vieillissement du monde vivant et des espèces constitue un phénomène dont les principes explicatifs reposent en dehors du cadre classique de l’évolutionnisme darwinien. Il obéit à ses propres lois, à des enchaînements causaux non réductibles à la lutte pour la vie.
108Cette hypothèse s’appuie sur une liste hétéroclite d’extinctions remarquables qui ont jalonné l’histoire des grands groupes taxinomiques, où il n’est fait aucune différence entre les extinctions très anciennes et les extinctions récentes d’origine humaine, comme l’extinction des oiseaux ratites géants d’Océanie (Moas, Dinornis, etc.). Decugis rapporte par ailleurs la cause générale de ces extinctions à des processus physiques peu crédibles comme la raréfaction du dioxyde de carbone depuis l’origine de la vie.
109À partir du deuxième chapitre, la stratégie de démonstration de Decugis se met en place. L’auteur part du postulat déjà établi par Cope ou Depéret que la vie est limitée dans les espèces ou les rameaux phylétiques. La quantité de la vie disponible s’épuisant, les espèces finissent par disparaître. Les signes de cette limitation sont nombreux et se traduisent par des hyperspécialisations ou par des hypertrophies.
110Pour sa part, Decugis répartit les espèces en deux types, les espèces stationnaires et les espèces dégradées. Les premières ont épuisé toutes leur capacités évolutives et, faute de pouvoir s’adapter, subsistent en poursuivant une existence « racornie »691. C’est dans cette catégorie d’espèces que l’on peut situer les fameux « fossiles vivants » comme le Gingko biloba. Les espèces dégradées ou encore dégénérées sont celles qui subissent des pertes de fonctions ou d’organes consécutivement à une adaptation à des modes de vie parasites ou fixés.
111Cette catégorie d’espèce dégénérée est tout à fait hétérogène et Decugis y mêle sans retenue les espèces aux organes simplifiés avec celles qui se sont éteintes ou qui sont devenues rares (les espèces vieillissantes) ou qui appartiennent à des groupes anciens (les monotrèmes chez les mammifères par exemple).
112Une fois postulée l’existence d’une limitation de la vie, et exposées quelques causes externes d’extinction, il reste à Decugis à fournir une explication des causes internes de vieillissement ou de dégradation, explication qui nécessite les 250 pages restantes de l’ouvrage ! Pourtant, au delà du foisonnement des exemples et des cas que présente Decugis, son explication tient en une phrase : le dérèglement des secrétions glandulaires. Impressionné par les progrès récents d’identification du mode d’action et de la nature des hormones, Decugis n’hésite pas à leur attribuer une importance de premier ordre dans l’évolution des espèces, une force qui, affirme-t-il, surpasse de loin celle de la sélection naturelle :
Si notre hypothèse est fondée, le parasitisme et les dérèglements glandulaires dus aux écarts de la croissance différentielle, seraient dans la plupart des cas, tout au moins à l’origine des troubles cellulaires qui ont provoqué la croissance dysharmonique et partant le gigantisme ou le rachitisme, ainsi que fort souvent l’obésité, le cancer, l’hyper-calcification, la décalcification, l’acromégalie et autres tares héréditaires ayant conduit à l’extinction beaucoup d’espèces jadis florissantes.692
113Il faut encore rajouter à ce tableau les troubles psychiques chez les espèces supérieures – que Decugis estime, malgré leur plus grande adaptabilité, foncièrement plus fragiles que les espèces inférieures – et les troubles de la fertilité, Decugis jugeant aussi bien la stérilité que l’excès de fertilité comme signes de dégénérescence et causes d’extinction.
114Les hypothèses de Decugis se sont révélées toutes erronées dans la mesure où elles reposent sur une confusion permanente, comme chez Larger, entre niveaux individuels et spécifiques d’action des causes avancées. Ce degré de confusion en devient même caricatural. L’effet d’un dérèglement supposé au niveau individuel semble automatiquement se répercuter au niveau de l’espèce sans que Decugis n’aborde un instant la question de la diffusion au niveau de la population et de l’héritabilité d’une telle tare. Nous verrons plus loin que le rapprochement naturel entre mort individuelle et extinction spécifique est à la base même de l’appréhension et de l’interprétation du concept d’extinction. L’identification forte, aux niveaux ontologique et méthodologique, entre l’espèce et l’individu, est cependant rarement poussée aussi loin que chez Decugis.
115Mais revenons à l’association entre dégénérescence et déviation du normal ; elle se retrouve dans la question de la taille par exemple :
Il semble ressortir des faits connus que les espèces trop grandes ou trop petites par rapport à leur type moyen soit [sic] vouées à l’extinction. [...] C’est bien là que doit être cherchée la cause de leur décadence, puis de leur extinction, car on sait aujourd’hui que, dans l’espèce humaine, le gigantisme ou le nanisme sont des formes de dégénérescence. Les écarts de taille par rapport à la moyenne optimum sont toujours accompagnés de troubles graves qui diminuent la vitalité des humains qui en sont atteints, les rendent plus vulnérables aux attaques des parasites et provoquent souvent leur mort. Pourquoi en serait-il autrement chez les animaux ?693.
116Nous avions déjà identifié chez Lankester ce type de relation entre les figures ou les signes de la dégénérescence et ceux de l’excès ou du manque. Dégénérescence et excès (d’ordre positif ou négatif) semblent donc aller de pair dans l’imaginaire des biologistes. Bien au-delà, cette association d’idée n’est pas réservée aux seuls savants et reflète au contraire les représentations de toute une société et de toute une époque. La prégnance du mythe de la décadence dans la France des années trente plonge en toute vraisemblance ses racines dans l’affaiblissement général de la société durant cette période de crise694. Les développements des idées de décadence et de dégénérescence sont évidemment fortement corrélés dans une civilisation à l’apparition de périodes de crises ou de doute. Mais le lien récurrent entre le caractère dégénéré d’un objet et le fait qu’il exprime un excès est peut-être plus subtil et plus caractéristique de ce début de xxe siècle.
117Ici, aucune connotation aristocratique n’accompagne l’idée de dégénérescence. La dégénérescence telle que l’entend Decugis ne se conforme aucunement au concept nietzschéen de dégénérescence par exemple. Chez Nietzsche, elle est véhiculée par la masse des foules médiocres qui empêche les individus supérieurs de dominer et d’échapper à la médiocrité ambiante. L’exemple même de société dégénérée est celle qui adopte les valeurs chrétiennes d’entraide, de morale altruiste au bénéfice des malades et des faibles695.
118Au contraire, par dégénérescent ou dégradé, Decugis et Lankester, au-delà du rôle différent qu’ils assignent au darwinisme, désignent ce qui s’éloigne du type normal ou moyen. C’est une vision médiocre, petite-bourgeoise et réactionnaire sur le plan politique qui émane de ce concept de dégénérescence. Rien évidemment n’est plus éloigné de la dégénérescence nietzschéenne que ce concept de décadence étriquée et renfermée sur le « moyen » et le « normal », termes que ces auteurs ne prennent pas même la peine de définir.
119Cette conception de la dégénérescence comme peur du divers, de l’original, de l’exceptionnel ou comme attirance malsaine et dénonciatrice de l’étrange et du monstrueux rappelle ce lien chez Jacob Boehme (1575-1624) entre l’idée de dégénérescence et celle de diversité humaine, diversité issue du déluge à la suite duquel les races humaines se séparèrent696. Elle semble pleinement ancrée dans la tradition chrétienne à l’opposée de la tradition nietzschéenne, qui se ressource dans le courant grec, aristocratique et dionysiaque.
120Sur le plan scientifique, ce mythe d’un déterminisme interne de la décadence et de l’extinction des espèces est resté pendant de nombreuses décennies très vivace chez quelques catégories de biologistes, plutôt néo-lamarckiens, paléontologues et finalistes. Les néo-lamarckiens, jusqu’à la seconde guerre mondiale et même au-delà en France697, refusèrent l’action de la seule concurrence vitale comme explication du déclin et de la disparition d’espèces entières. Voici à titre d’illustration ce qu’en pense le paléontologue Camille Arambourg (1885-1969) : « l’action de la concurrence vitale entre espèces différentes ne paraît pas avoir joué, dans l’extinction des espèces, le rôle que l’on a voulu lui attribuer, et Darwin lui-même en avait senti les difficultés »698. Les finalistes s’évertuent pour leur part à chercher des lois de l’évolution qui rendent compte de la succession ininterrompue d’espèces dans les strates fossiles et surtout les signes qui trahissent l’imminence de cette disparition lorsqu’ils ont sous les yeux, ramassés sur quelques centimètres de sédiments, les derniers milliers d’années d’une espèce disparue.
121Cette hypothèse scientifique de la vie des espèces, qui remonte au moins au naturaliste italien Brocchi, semble aujourd’hui enfin complètement discréditée. Et si Lyell s’opposait à Brocchi sur ce point, à l’époque de Decugis, c’est Lucien Cuénot (1866-1951) qui argumentait dans L’espèce contre cette idée :
L’espèce a une durée de vie limitée ; il n’existe plus aujourd’hui une seule espèce du paléozoïque et du mésozoïque [...] Devant ces faits, beaucoup de biologistes, comparant l’espèce à un individu qui naît, grandit, vieillit et meurt, pensent qu’il y a en elle quelque chose qui limite sa durée, indépendamment des actions de concurrence ou de milieu. On parle couramment d’une jeune espèce, d’une espèce sénescente (séquoia de la côte pacifique de Californie. Mais comparaison n’est pas raison ; je crois au contraire qu’une espèce durerait indéfiniment, comme le fait le genre, si aucun agent extérieur ne venait troubler l’équilibre délicat entre les causes de mort et le nombre des germes reproducteurs699.
122Pour conclure son livre, décadent lui-même – tant le fond et la forme finissent par ne plus faire qu’un –, Decugis souligne que « l’homme est venu bien tard dans un monde déjà vieux, encombré de formes séniles, stagnantes, ou dépérissant lentement »700 ; il se réserve toutefois une note d’optimisme inespérée pour mieux vanter la supériorité de l’homme « civilisé » et intelligent qui pourra sans doute retarder l’inévitable échéance de sa propre extinction. Cette foi humaniste peut surprendre après tant de noirceur et à une époque tragique pour la France. Sans doute faut-il rattacher cet optimisme une fois de plus à la perspective chrétienne et civilisatrice qui constitue le credo de l’auteur. Ce livre a aussi une autre particularité : il représente sans doute l’un des derniers avatars de la littérature sur la « dégénérescence » des espèces, où celles-ci sont censées obéir à des lois de succession temporelle identiques à celles des individus ; et surtout à les juger globalement en plein vieillissement ou en peine dégénérescence. Dès la fin de la guerre, nous assistons à l’émergence d’une nouvelle rhétorique de la nature, pas moins pessimiste, mais qui inverse les rôles. Decugis n’évoque pas une seule fois le rôle destructeur de l’homme sur la nature et l’image qui se dégage de son livre est que dans une nature qui vieillit bien vite, seule l’espèce humaine peut encore préserver son dynamisme et son développement grâce à ses capacités cognitives. Au contraire, à partir de 1952, et la publication du livre de Roger Heim, Destruction et protection de la nature, la perspective s’inverse : c’est l’homme qui joue le rôle négatif et la nature qui recherche la voie de la survie. L’homme dévoile sa nature de prédateur dégénéré et dévoyé d’une nature symbole de vie et de renouveau701. Il serait donc inexact d’affirmer qu’au début du xxe siècle personne ne se souciait des extinctions. Au contraire, la peur de la dégénérescence de la race humaine et de sa possible extinction ont mobilisé certains groupes de biologistes, qui se sont empressés de vulgariser cette idée et d’inventer des moyens de contrer cette menace, les pires étant évidemment l’extermination des humains en fonction de leur race, de leur handicap, de leur Q I, etc.
123Depuis un demi-siècle, la rhétorique de la dégénérescence s’est transformée en une violente diatribe contre les destructions écologiques humaines. Nous verrons à la fin de la deuxième partie, qu’il y a là encore matière à critique, en partie d’un point de vue nietzschéen. Mais à l’opposé du pessimisme, du fatalisme, voire du nihilisme passif qui s’exhalaient de la figure morbide d’un monde vivant dégénérescent et vieillissant, l’image tragique de la crise environnementale a engendré une vague de sympathie sans précédent pour la conservation de la nature et une mobilisation positive contre les extinctions. On ne saurait donc passer sous silence ce mouvement qui a façonné notre appréhension actuelle de l’environnement. Comment est né ce mouvement de conservation de la nature ? Comment s’est-il structuré ? Quelles en ont été les figures marquantes et les grandes avancées ?
Préservation et conservation de la nature
124Nous allons essayer de répondre à ces questions en structurant les réponses selon un débat aujourd’hui historiquement daté, mais qui eut son importance dans la définition des mouvements de protection de la nature et, plus tard, ce que nous verrons dans la deuxième partie de cet ouvrage, sur les discussions d’éthique environnementale. Il s’agit du débat conservation-préservation.
La préservation de la nature
125Au milieu du xixe siècle, les écrivains et philosophes américains Ralph Waldo Emerson (1803-1882) et Henry Thoreau (1817-1862) furent parmi les premiers à défendre l’idée que la nature a une raison d’être, une utilité qui ne se réduit pas aux bienfaits économiques qu’elle prodigue aux sociétés humaines. Marqués tous les deux par le transcendantalisme, philosophie romantique teintée de panthéisme dans laquelle la nature devient un moyen de communion avec Dieu, ils se font les chantres de la vie dans la nature et de sa protection. « In wildness lies the preservation of the world » (dans la nature sauvage se trouve la préservation du monde) est sans doute la maxime la plus célèbre et la plus fidèle à l’esprit de Thoreau. Cette vision est reprise par John Muir (1838-1914), fondateur du Sierra Club, qui défend une éthique préservationniste dans ses campagnes pour préserver la beauté et l’intégrité d’aires naturelles. Cette éthique, de type déontologique et d’inspiration chrétienne, se base sur l’origine divine et transcendante de la nature ; protéger la nature, la « wilderness » revient ainsi à témoigner du respect pour l’œuvre de Dieu : « Dieu a pris soin de ces arbres [...] mais il ne peut les sauver des idiots – seul l’Oncle Sam peut le faire »702
126La solution-type issue de cette philosophie, pour le management de la nature, réside dans la création de parcs et de réserves naturelles. On isole ainsi la wilderness (la nature vierge et sauvage) des méfaits humains, en ne faisant de ce dernier qu’un visiteur temporaire des zones protégées.
127Ce mouvement et ses succès peuvent s’expliquer par plusieurs facteurs : le crépuscule du xixe siècle correspond aux États-Unis à la clôture du mythe de la frontière avec les dernières installations de colons le long des côtes du Pacifique. Il n’existe désormais plus de frontière au-delà de laquelle des ressources inconnues et inexploitées attendraient d’être découvertes. L’Amérique du Nord apparaît désormais dans toute sa finitude et ses habitants doivent apprendre à respecter leur environnement sous peine de subir sécheresses, feux et disettes, sans pouvoir migrer « ailleurs ». Cette prise de conscience aboutit aux États-Unis, en 1864, à la création du premier parc naturel dans la vallée du Yosemite en Californie.
128Par ailleurs, Roderick Nash703 souligne que cette considération et cette protection de la nature sont apparues comme une rédemption. Suite aux excès de la société américaine depuis le xvie siècle, certains ont retrouvé dans la nature l’image de Dieu et de la pureté originelle qu’ils croyaient instituer dans leur société neuve. Cette résurgence du puritanisme anglo-saxon a permis de changer l’image de la nature de lieu mystérieux et païen en une image glorifiante de la création divine.
Le mouvement conservationniste
129Mais cette approche mystique de la nature aux États-Unis a été critiquée au début du xxe siècle par le forestier Gifford Pinchot (1865-1914). Il développe une éthique de la conservation des ressources de type conséquentialiste cette fois, qui s’inspire de la gestion européenne des forêts et s’appuie sur une philosophie utilitariste. L’objectif de la gestion de la nature est « le plus grand bien pour le plus grand nombre et pour le plus longtemps »704. Pinchot n’envisage pas la nature comme un sanctuaire intouchable, mais comme un potentiel de ressources dont il faut faire un « bon usage »705 pour lui assurer une entière pérennité.
130Suite à ce débat, les défenseurs de la nature se sont séparés en deux camps. Il ne faut certes pas surestimer leurs dissensions ; ainsi, les uns comme les autres s’opposent à des politiques spoliatrices et consommatrices de la nature. Mais, on retrouve généralement d’un côté les préservationnistes, défenseur inconditionnels de la wilderness et de la nature pour elle-même, quitte à promouvoir cette vision élitiste aux dépens des populations humaines traditionnelles ; et de l’autre côté, les conservationnistes, défenseurs du « bon usage » des ressources de la nature et de son exploitation avisée par l’homme, quitte à transformer, selon Muir, une cathédrale en entrepôt !
131Mais le débat évolua malgré l’essence irréconciliable des deux mouvements. Aldo Leopold, formé comme un gestionnaire de la faune sauvage, donc un pur conservationniste, changea d’attitude envers la nature à la suite de ses nombreuses observations et expériences de terrain ainsi que selon ses penchants théoriques pour le pragmatisme706. Influencé par la naissance de l’écologie écosystémique, il comprit que les relations entre les espèces, la terre (the land) et les hommes devaient former une communauté biotique harmonieuse, en équilibre, sous peine de subir de graves détériorations. Il devint ainsi en 1935 un des fondateurs de la Wilderness Society, mais surtout, il développa l’ébauche d’une relation éthique au sein de cette communauté, ce qu’il nomma « conservation ethic »707 et plus tard « land ethic »708.
Évolution et épuisement du débat préservation/conservation
132En 1964 encore, un auteur définit la conservation comme « la gestion (management) ou le guidage par l’homme [...] des processus naturels complexes qui soutiennent la vie sur terre. »709 Mais les graines philosophiques plantées par Leopold au milieu du siècle commenceront à germer au début des années 70. David Ehrenfeld, souhaite en effet que le mouvement conservationniste évolue de l’« école des ressources » à l’« école holiste »710, s’inspirant dans cette démarche de Leopold711. Tout comme ce dernier, Ehrenfeld souhaite que nous arrêtions de considérer la nature uniquement comme une réserve de biens et de services attendant d’être consommés. Il emploie ainsi le mot holisme pour faire ressentir « la complexité des relations écologiques et le haut degré de connectivité liant ensemble le monde biologique, l’atmosphère, la surface de la terre, les eaux douces et salées, et les artéfacts de la civilisation humaine »712. Sa position reste conservationniste car il inclut la complexité des besoins et des créations humaines dans son image holiste de l’environnement ; mais il souhaite avant tout promouvoir « une humilité et une prudence face aux forces gigantesques mal connues »713.
133De façon similaire à Ehrenfeld, Michael Soulé développe la biologie de la conservation au tournant des années 80, en s’inspirant aussi de la vision conservationniste de Leopold. Et à son tour – comme nous le détaillerons sous peu – il réaffirme et défend la nature holiste de la conservation.
134Une fois exposées les bases théoriques de la préservation et de la conservation, nous pouvons essayer d’analyser les arguments et les positions de ces deux mouvements en rapport avec les extinctions d’espèces.
135Une éthique de la conservation va privilégier, sous des formes différentes, la protection d’espèces agréables ou utiles à l’homme. On citera ainsi les bénéfices économiques, médicaux, scientifiques, éducatifs ou esthétiques de ne pas nuire aux espèces et de les protéger en cas de nécessité. Mais on n’oubliera pas de se référer aussi à la signification culturelle, spirituelle et religieuse des espèces et même au fait qu’il est finalement plus sage de protéger toutes les espèces dans la mesure où cela renforce le conservationnisme de façon globale714.
136L’éthique préservationniste implique de son côté que les espèces possèdent une valeur intrinsèque, laquelle invite à les protéger pour elles-mêmes. Toute extermination d’espèce relèverait par conséquent d’un mal en soi. De plus, un préservationniste jugera toujours positivement le fait d’essayer d’aider une espèce menacée par l’action de l’homme. Cette éthique ne va pas jusqu’à attribuer des droits aux espèces, position qui sera discutée plus loin, mais la position préservationniste n’est pas pour autant aisée à justifier. Par ailleurs, elle doit faire face aux difficultés théoriques que représentent les espèces malfaisantes pour l’homme, maladies, fléaux agricoles, parasites, etc. Doit-on ou non sauver ce type d’espèces lorsqu’on a la possibilité de s’en débarrasser ? Doit-on parfois préférer les animaux d’espèces rares aux dépens des hommes comme le laisse entendre Callicott ?715
137Même si les conservationnistes favorisent la productivité à court et moyen terme et font confiance aux sciences pour résoudre les problèmes, alors qu’au contraire les préservationnistes privilégient la diversité biologique sur le long terme et sont plus circonspects sur la capacité des sciences à résoudre tous les problèmes716, les limites du débat conservation-préservation tiennent essentiellement à ce que les frontières entre chaque position deviennent en pratique floues et perméables.
138Passmore identifia au milieu des années 70 la conservation avec l’anthropocentrisme et la préservation avec le non-anthropocentrisme. Ce débat qui, finalement, ne ressortit pas qu’aux scientifiques et aux défenseurs de l’environnement, fut repris par les philosophes de l’environnement pour nourrir leurs querelles entre anthropocentrisme et non-anthropocentrisme. Nous verrons dans la deuxième partie comment il s’est poursuivi. Mais il nous faut maintenant voir comment en pratique les idées de la conservation de la nature se répandirent et s’instancièrent en mesures réelles, durant la première moitié du siècle et jusqu’aux années 60.
La gestion et la conservation de la faune et de la flore sauvage : quelques grandes figures de la lutte contre les extinctions
139Les réflexions sur la conservation de la nature ne se limitèrent absolument pas à l’Amérique du Nord, même si elles prirent dès le départ sur ce continent une dimension beaucoup plus théorique et morale qu’en Europe. Parmi les personnalités européennes marquantes, le professeur de botanique Jean Massart (1865-1925) de l’Université Libre de Bruxelles, publia en 1912 un réquisitoire pour la protection de la nature en Belgique717 dont l’argumentaire, en grande partie toujours d’actualité, est d’un grand intérêt historique surtout pour ses références ; en effet, Massart passe en revue les actions de conservation de la nature déjà réalisées ou en cours d’élaboration à son époque et cela, pour l’Europe, l’Amérique, ainsi que les colonies.
140Il ouvre son argumentaire en reprenant les mots d’un ministre belge qui proposait de protéger les sites naturels comme on protège les monuments humains, indiquant ainsi l’état d’esprit général de l’époque718. Ces beautés méritent autant protection et « respect » que les monuments, en ce qu’elles tissent des liens intimes avec l’« âme » des nations et des foules. Il serait cependant réducteur de rapporter la protection de la nature uniquement à l’intérêt des nations et des peuples en cette veille de Grande Guerre. L’intérêt des naturalistes n’est pas oublié par le botaniste qu’est Massart.
141Lorsqu’il invoque de bonnes raisons pour protéger les espèces en danger d’extinction, (qu’il désigne comme des « espèces rares »719), il place en tête de la liste les raisons scientifiques : une espèce, la plus insignifiante puisse-t-elle paraître, pourra peut-être un jour apporter un progrès décisif à la compréhension du monde. Massart appuie son raisonnement sur l’exemple de l’Amphioxus qui permit de faire des avancées remarquables dans la compréhension de l’embryologie humaine. Par ailleurs, la rareté même des espèces menacées est souvent le signe visible de situations ou de processus naturels originaux, d’un intérêt scientifique et écologique indéniable : ces espèces rares peuvent de ce fait représenter des reliques géologiques, la marque d’émigrations ou de changements environnementaux récents.
142Massart conçoit deux types de mesures à prendre pour protéger la nature : d’une part, la mise en place de réserves de plus ou moindre grande taille afin de protéger l’intégralité d’un site et des espèces qui s’y trouvent ; d’autre part, la création de lois protégeant spécifiquement certaines espèces et réglementant leur chasse et leur commerce. À propos de lois, il souligne les efforts réalisés par de nombreux pays, nordiques et montagnards (Norvège, Islande, Suisse, Autriche, etc.) pour le fait d’avoir soustrait au droit de chasse de nombreuses espèces menacées, ce qui n’a pourtant pas empêché quelques disparitions d’espèces comme le grand Manchot (Alca Impennis), disparu vers le milieu du xixe siècle. Il faut souligner à ce niveau-là l’influence décisive de deux naturalistes suisses : Henri Correvon (1854-1939), qui créa en 1883 l’Association pour la Protection des Plantes et Paul Sarasin (1856-1929) qui, en 1910, a fait voter la création d’un « Comité pour la Protection Universelle de la Nature ». En 1913, il s’impliquera fortement pour la tenue de la première conférence internationale sur la protection de la nature qui se déroulera à Berne et à laquelle participeront seize nations. Il prononcera en particulier une violente diatribe contre ceux qui se livrent à une « guerre d’extermination » éhontée contre les espèces animales par pur appât du gain. Cette conférence n’aura pas de suite immédiate compte tenu de la crise européenne à venir. Toutefois, sous l’impulsion de Sarasin, la Suisse va fonder le 1er août 1914 le Parc National Suisse, situé dans l’Engadine, le premier du genre en Europe. En 1923, se tient à Paris, au Muséum national d’Histoire naturelle, la seconde conférence ou Congrès International pour la Protection de la Nature, et avec la collaboration du hollandais Pieter Van Tienhoven (1875-1953), Sarasin crée en 1928 à Bruxelles l’Office International pour la Protection de la Nature (O I P N)720. En 1933, se tient encore à Paris une conférence internationale sur la conservation des oiseaux. Cette même année se tient à Londres une conférence qui aboutit à la « Convention de Londres relative à la conservation de la faune et de la flore à l’état naturel ». Ce traité est cependant restreint au continent africain où les massacres perpétrés par les colons sur le grand gibier appellent à une réglementation sévère de la chasse et à la création de parcs naturels et de réserves. Il est vrai que Massart relatait déjà en 1912 les efforts des puissances coloniales, dont la France, pour protéger les espèces les plus menacées d’Afrique, grâce à la première Convention de Londres du 19 mai 1900. Mais il faudra attendre la mise en œuvre de la Convention de 1933, à partir de 1937, pour voir émerger une véritable protection des espèces coordonnée à l’échelle de l’Afrique. Toutefois, dans les années 1920 et 1930, les puissances coloniales créent les premiers parcs nationaux dans les territoires qu’elles administrent : en 1925, est institué au Congo Belge le Parc National Albert721, et en Algérie, la France crée dans les années 30 treize parcs722. Alors qu’à la même époque, il n’existe en métropole qu’une loi générale votée en 1930 sur la « protection des Monuments Naturels et sites d’intérêt pittoresque, artistique, historique, légendaire ou scientifique », il faudra attendre les années 60 pour que, suite à la décolonisation, les administrateurs coloniaux transposent en France le savoir et la culture des parcs et des réserves naturelles, avec le soutien d’associations comme le Club Alpin Français ou les associations naturalistes723.
143Pour conclure sur cette esquisse de la situation des pensées et actions conservationnistes avant la Seconde Guerre Mondiale en Europe et dans les empires coloniaux, revenons à Massart qui faisait en 1912 cette proposition fort originale, mais qui avec le recul ne peut que faire réfléchir sur certaines dérives récentes de la conservation, celle de la création dans les colonies de parcs fermés aux Occidentaux pour la protection des peuples et races primitifs724 !
144Beaucoup plus engagée est l’œuvre de William T. Hornaday (1854-1937), zoologiste et taxidermiste américain, qui dès les années 1880 combattit avec énergie la destruction de la nature, et en particulier, la disparition des bisons. Il devint par la suite le directeur de la Société Zoologique de New York et devint le plus ardent défenseur de la faune sauvage à son époque.
145Il écrivit ainsi en 1913 Our vanishing wildlife725, dont le style engagé et catastrophiste n’a rien à envier aux publications récentes les plus pessimistes. Cet ouvrage, sans doute le premier entièrement consacré à la défense d’espèces en danger d’extinction, paraît alors qu’Hornaday essaie de récolter des fonds pour lancer le Permanent Wildlife Protection Fund. De ce fait, la vigueur de l’argumentation – et des illustrations originales extrêmement intéressantes qui l’accompagnent – rappelle que ce livre constitue avant tout un manifeste de propagande conservationniste726 ; le chapitre conclusif du livre est des plus éloquents : « Le destin de la vie sauvage en Amérique du Nord est suspendu aujourd’hui à trois fils fragiles dont vous devinerez difficilement les noms sans aide. Ce sont le Travail, l’Argent et la Publicité ! »
146Cet ouvrage possède cependant l’indéniable mérite d’offrir un tour d’horizon richement documenté des causes et de l’histoire de la destruction des espèces sauvages en Amérique du Nord. N’oublions pas en effet que le continent nord-américain est celui qui a connu objectivement le plus d’extinctions au xixe siècle et au début du xxe siècle comparativement aux autres continents. Nous avons vu au chapitre précédent l’ampleur des exterminations conduites rationnellement par les colons européens fascinés par l’immensité et l’infinité apparente des ressources, exerçant de ce fait une Raubwirtschaft, une économie de pillage, sans limite jusqu’à l’entrée en scène des préservationnistes. Ceci est confirmé depuis longtemps par des études scientifiques, en particulier au niveau des espèces d’oiseaux727 ; à cet égard, on ne peut que saluer la lucidité et la justesse de l’analyse de Hornaday :
Des voyages, aussi bien à travers l’Europe que sur une large part du continent nord-américain m’ont convaincu que nulle part la nature n’est détruite aussi rapidement qu’aux États-Unis. Excepté dans nos réserves de conservation, un paradis terrestre est en train d’être transformé en un enfer ; et ce ne sont ni les hommes sauvages, ni les primitifs qui font cela, mais des femmes et des hommes qui se vantent de leur civilisation.728
147En toute honnêteté, ce constat, bien qu’il supporte une idéologie conservationniste forte, ne repose pas sur la seule foi du charbonnier, mais bien sur une quantité impressionnante de données chiffrées et d’estimations de la faune sauvage américaine. Hornaday passe en revue les extinctions des oiseaux nord-américains les plus connus : le pigeon migrateur, le grand pingouin, la perruche de Caroline, le cormoran Pallas, le canard du Labrador, le courlis eskimo. Il ne cesse de dénoncer cette infamie de la civilisation et de rappeler la fragilité du monde sauvage : « Il est temps de dire à tous les hommes dans les termes les plus directs qu’il n’a jamais existé nulle part pendant la période historique un volume de faune sauvage tel que l’homme civilisé ne puisse rapidement l’exterminer par ses méthodes de destruction »729.
148Au-delà des causes et de l’histoire des extinctions qui sont richement documentées et analysées, Hornaday n’a pas omis d’expliciter plus en profondeur sa conception de l’extinction en elle-même. Il décrit d’abord une vision personnelle des extinctions telles qu’il les perçoit : « Aujourd’hui, la chose qui me fixe du regard à chacun de mes moments éveillés, comme un spectre terrifiant avec des crocs et des griffes ensanglantées est l’extermination des espèces. Pour moi, c’est une chose horrible. C’est du massacre en gros, pas moins. C’est un crime capital, et une noire disgrâce s’abattant sur les races de l’humanité civilisée. Je dis “humanité civilisée” parce que les sauvages ne font pas cela »730.
149Hornaday va par la suite confirmer qu’il absout les sauvages, tout comme les animaux sauvages de tout excès dans le massacre de leur proies, et donc de mise en danger des espèces, dans un parallèle qui est par ailleurs fréquent à l’époque : « Depuis les temps historiques les plus reculés, l’homme sauvage, qu’il fût rouge, noir, marron ou jaune, a tué selon la même règle que les bêtes sauvages – seulement ce qu’il peut utiliser, ou pense qu’il peut utiliser »731.
150Comme chez Michelet par exemple, ou plus près de Hornaday, chez John Muir, l’extinction d’espèce surgit comme un événement contre nature issu des comportements et des besoins aberrants d’un point de vue écologique de l’homme moderne : marché du gibier, besoins en plumes d’ornementation pour les modistes, chasse comme activité de « loisir », etc.
151Ensuite, Hornaday fournit une classification originale des types d’extinction (ou plutôt extermination) ; il en distingue trois :
D’abord « l’extermination pratique » d’une espèce, qui est constatée lorsqu’on ne trouve plus aucun individu d’une espèce dans la nature, même en la cherchant activement. Cela ne signifie pas pour autant l’absence totale d’individus vivants, mais que ceux-ci ne puissent être décelés que par accident.
Ensuite, il y a « l’extermination absolue » : c’est lorsqu’il ne reste plus aucun individu vivant de l’espèce. Pour que l’extinction totale de l’espèce soit constatée, il faut que pendant une certaine période plus aucun spécimen ne soit observé ou tué. Pour Hornaday, cinq années suffisent pour établir cette extermination absolue. Cette règle du délai entre le dernier individu vivant décédé et la déclaration officielle de l’extinction a été reprise par l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN), avec cependant un délai plus long dans la plupart des cas, de l’ordre de 30 ans.
Enfin, le dernier type d’extinction selon Hornaday est « l’extermination à l’état sauvage », à savoir lorsque les seuls représentants d’une espèce vivent en captivité. Le cerf du Père David en Chine ou le bison, dont quelques dizaines d’individus seulement survivent dans quelques parcs américains, constituent des exemples caractéristiques de cette situation.
152Hornaday classe donc ces types d’extermination, non en raison de facteurs biologiques inhérents à l’espèce, mais plutôt en fonction de la perception que l’homme peut avoir de l’état de l’espèce, selon un mélange de critères anthropomorphiques et phénoménologiques : individus observables/non observables, présents/absents, sauvages/en captivité. Loin de constituer une classification scientifique, ce classement a l’originalité de présenter une typologie des extinctions selon le point de vue du naturaliste ou du conservationniste.
153Loin de se contenter d’exposer au lecteur les extinctions passées et présentes, Hornaday défend activement un programme détaillé de conservation des espèces, sur un ton volontairement militant et moraliste. À la lumière de ce qui précède, on ne peut qu’être surpris de certains passages de son livre qui mettent en exergue certaines tensions, voire contradictions, dans les politiques de conservation. Ainsi, Hornaday ne récuse pas la classification de certains oiseaux ou mammifères comme « nuisibles » ou « vermines », juste bons à être détruits732. Il ne remet pas non plus en cause la campagne d’extermination des loups et des coyotes qui fait rage à son époque et qui est menée par le « Bureau of Biological Survey ». Enfin, sa colère envers les immigrants italiens qu’il accuse d’être des tueurs incorrigibles d’oiseaux montre le lien qu’il établit entre conservationnisme et nativisme, pour ne pas dire patriotisme. Il cherche à rappeler aux Américains combien ceux-ci sont redevables à la faune sauvage d’avoir fourni à leurs ancêtres, pionniers et colons, les ressources de nourriture qui leur étaient indispensables dans la conquête de l’Ouest et l’installation de la civilisation dans ce pays sauvage.
154Par delà les critiques que l’on peut faire à cet ouvrage et à son auteur, il faut cependant reconnaître que ce livre constitua une étape importante dans le combat pour la conservation de la nature, et avant cela, la reconnaissance de la gravité de la situation en matière d’extinctions d’espèces. Ce livre eut par exemple une profonde influence sur la pensée d’Aldo Leopold parmi d’autres qui, en quelque sorte, continua l’œuvre de Hornaday par son livre sur la gestion « scientifique » du gibier, Game management, même si ce dernier, selon Worster est largement inspiré des méthodes de gestion des ressources forestières et agronomiques733.
155Comme en 1914-1918, la Seconde Guerre Mondiale constitua un net coup de frein à la protection de la nature, mais au sortir de la guerre, de nouvelles institutions internationales émergèrent dont l’Union Internationale pour la Protection de la Nature (UIPN) devenue depuis l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN). Elle fut créée en 1948 à Fontainebleau, sous la houlette de Julian Huxley (1887-1975), alors secrétaire général de l’UNESCO, et qui avait contribué dans les années 30 à la création de parcs nationaux au Kenya, partie de l’Empire britannique. Enfin les propositions de conservation de la nature bénéficiaient d’un organisme permanent et international, capable de s’appuyer sur les meilleures données scientifiques disponibles et d’organiser une action concertée et efficace, liant notamment la conservation des espèces à celle des habitats734.
156Petit à petit, le sentiment conservationniste s’est fait plus insistant, avec la prise de position publique d’éminentes personnalités scientifiques, comme Roger Heim (1900-1979), qui fut durant quinze ans directeur du Muséum national d’Histoire naturelle. Ses combats pour la protection de la nature, et de certaines espèces en particulier (Varan de Komodo, Oryx d’Arabie, etc.) lui valurent d’être nommé président de l’UICN, de 1954 à 1958. Il publia un petit opuscule engagé, Destruction et protection de la nature735, destiné à sonner l’alerte sur les dangers auxquels faisait face la nature, dans lequel il inclut une liste des espèces végétales et animales éteintes depuis quelques centaines d’années à cause de l’homme. Cet ouvrage inaugurait ainsi la vague de publications au ton volontiers catastrophiste qui secoua les opinions publiques à partir des années 60-70.
157Arrêtons-nous un instant sur la biographie de Heim car elle éclaire d’un jour tout à fait inédit les motivations conservationnistes de l’après-guerre. Il est communément admis, comme cela sera exposé plus loin, que la prise de conscience écologiste est née des dégradations, pollutions et excès en tout genre, causés par le formidable développement économique et industriel de l’après-guerre. Si ce constat vaut à partir de la fin des années 60, lorsque paraît par exemple le fameux rapport « Halte à la croissance ! » (The limits to growth) du Club de Rome, on constate qu’au sortir de la guerre les motifs d’indignation de Roger Heim quant aux rapports destructeurs de l’homme se fondent en partie sur une perspective totalement autre. Ils sont de nature exclusivement morale et s’ancrent dans le traumatisme causé par les horreurs de la guerre, l’explosion de la première bombe atomique et l’expérience concentrationnaire. Roger Heim est devenu résistant en 1942, arrêté en 1943, puis déporté à Buchenwald, Mauthausen, torturé à Gusen et enfin libéré par les américains en 1945736. Il devint la même année titulaire de la chaire de Cryptogamie du Muséum. Peu après son retour de déportation, il publia un témoignage bouleversant et impitoyable sur la barbarie nazie des camps737.
158Dans Destruction et protection de la nature, Heim n’appuie pas son réquisitoire pour la protection de la nature sur une comparaison directe entre destruction de la nature et barbarie totalitaire comme le fera dans les années 1970 Peter Singer pour justifier son combat contre toutes les souffrances infligées inutilement aux animaux. Mauthausen est seulement évoqué une fois lorsque Heim évoque la possibilité qu’à l’homme en certaines occasions de dévorer ses congénères. Mais maintes fois, le rescapé des camps qu’est Heim rappelle l’étendue des capacités d’agression et de destruction de l’homme – ce qu’il nomme sa « soif de domination » – pour craindre le pire en matière de nature :
À peu près seul parmi la multitude des espèces vivantes, l’Homme se détruit lui-même en attaquant son prochain [...]. Mais l’Homme a acquis aussi l’habitude de détruire en dehors de lui-même. S’il tue fréquemment ses semblables par instinct de rapine, de vol, soit par le crime, soit par la guerre, il chasse aussi hors de toute nécessité ; il a massacré une grande partie de la faune terrestre et aquatique, abattu des forêts, d’abord par besoin, puis par profit, brûlé la végétation par paresse ou par sadisme738.
159Si les causes des destructions, contre l’homme et contre la nature, sont du même ordre, il en de même des raisons de les combattre : « L’avenir même de la protection de la Nature s’apparente à toutes les causes auxquelles est lié le sort des guerres, celle du droit, celle de la liberté. Le droit et la liberté de vivre, pour ceux qui viendront »739.
160L’extension de la dénonciation des mœurs guerrières de l’homme au domaine naturel et la justification d’une mobilisation pacifiste en matière environnementale fait écho à l’argumentation d’un zoologiste américain de l’immédiat après-guerre, William Vogt, lui aussi frappé par les parallèles entre les destructions humaines et environnementales. En fin de compte, dans les décennies qui suivirent la publication de ces ouvrages, les convergences intellectuelles entre mouvements pacifistes et mouvements environnementalistes ne firent que se renforcer, jusqu’à atteindre certaines dérives mystiques. En revanche, peu de références aux génocides perpétrés pendant la guerre soutinrent le combat environnemental, au contraire des mouvements pour les droits des animaux (d’élevage en particulier) ; Edward O. Wilson compara à l’occasion les extinctions d’espèces à des « miniature holocausts »740.
161Les ouvrages de Heim, Vogt ou Osborn, publiés seulement quelques années après la fin de la seconde guerre mondiale font aujourd’hui office de témoins éclairés et précurseurs du mouvement conservationniste, mais ils n’eurent guère de retentissement au-delà des cercles de défenseurs assidus de la nature. Il en est tout autrement du Printemps silencieux de Rachel Carson (et préfacé par Roger Heim) qui fit l’effet d’une bombe au début des années 60 par sa dénonciation des effets du DDT (appellation courante du pesticide Dichlorodiphényltrichloroéthane) sur la survie des populations aviaires et sur la nature en général741. En France, deux ans plus tard, c’est l’ouvrage fourni et rigoureux du professeur Jean Dorst, Avant que nature ne meure, qui servit de référence aux amoureux de la nature742. De tous ces ouvrages, de tous ces débats et des combats politiques pour la protection de la nature au sens large (préservation et conservation), et pour voir cesser les extinctions d’espèces, a émergé une formidable prise de conscience de la fragilité du monde vivant.
162Par rapport aux espèces menacées, de nombreuses lois ont fleuri, notamment au cours des années 70 : l’« endangered species act » en 1973 aux USA, la convention de Washington (1973) sur le commerce international des espèces sauvages de flore et de faune menacées d’extinction (CITES) et la convention de Berne (1979) relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l’Europe, la loi sur les espèces protégées en France de 1976. Leur mise en application, malgré le cadre proposé par la Convention sur la Diversité Biologique approuvé en 1992 au sommet de la Terre à Rio, n’est pas aussi stricte et efficace qu’on pourrait l’espérer ; néanmoins, on ne peut nier le fait que la prise de conscience des conservationnistes se soit transcrite en actes, aidée en cela, comme nous allons le voir dans le prochain chapitre par le développement de la Biologie de la Conservation.
Perspectives sur l’histoire de l’idée d’extinction
163Il est temps de récapituler les points essentiels de notre parcours historique avant de nous intéresser désormais au présent et aux enjeux que pose la conservation des espèces au plan scientifique et au plan éthique.
164De la pensée primitive jusqu’à l’ère de la science, nous avons retracé, selon un parcours il est vrai parfois riche de détours, l’évolution d’une idée ou d’un concept environnemental. Rappelons rapidement que nous sommes partis du constat que dans un monde vivant dans le Grand Temps, éternel représentation du temps des origines, en lutte perpétuelle contre l’histoire, l’idée d’extinction n’avait guère sa place, tout au plus cette idée était-elle évoquée dans les légendes cosmogoniques. Son ombre n’apparut qu’avec le temps des développements de la civilisation et des grands mythes catastrophistes. Sous l’aile de la temporalité en train de se déployer se cachaient l’origine et la fin absolues du monde, des êtres et des formes. Du Déluge à Platon, les signes de la présence de l’extinction se font de plus en plus nets. Le dynamisme du monde et l’organicité de la Terre considérée dans sa globalité, autorisent la création et la corruption des individus et des formes qu’ils incarnent. Et déjà, la lutte pour la vie selon Lucrèce fait des victimes au-delà des seuls organismes individuels : elle a raison des monstres issus d’une Terre encore jeune et exubérante et des animaux faibles et inutiles à l’homme. Les formes passent, la Terre vieillit et l’homme étend son empire sur les animaux : jeu d’atomes dont il est avisé d’accepter la dure loi dénuée de finalisme anthropocentrique pour vivre sans souffrance dans ce monde.
165Avec Palissy, connaissance de l’histoire de la Terre, attachement et intérêt relatifs aux ressources de la nature et enfin sensibilité naturaliste se conjuguent pour mener clairement à cette idée que les formes et les espèces naturelles peuvent se perdre. La voix de ce proto-écologiste original reste malheureusement bien trop isolée alors que les vagues philosophiques du mécanisme et du baconisme s’abattent sur l’Occident. Elle est aussi couverte par les controverses théologiques sur la plénitude de la création et la providence divine, qui ne peuvent souffrir l’existence d’extinctions dans la chaîne divine des êtres. Mais devant les évidences paléontologiques de plus en plus nombreuses, les échappatoires deviennent illusoires. Alors que les frontières des terres inexplorées et de la connaissance reculent, l’homme moderne, après ses ancêtres préhistoriques et antiques, provoque à son tour de nouvelles extinctions : aurochs, dodo, solitaire, comptent parmi ses premières victimes.
166La temporalité inhérente à la vie s’étend désormais à ses formes, qui elles aussi meurent. Que ce soit le fait de terribles révolutions du globe ou des instincts destructeurs de l’homme, à partir du xixe siècle, il est nécessaire d’intégrer les extinctions d’espèces dans le déroulement du monde. Les causes prochaines sont désormais connues (événements catastrophiques, action humaine, compétition biotique, et bientôt, rôle du hasard) et ne requièrent plus l’invocation du divin ou du surnaturel, mais il s’agit encore de justifier le ballet de ces causes dans l’ordre de la création. En cela, c’est Darwin qui réussira le plus admirablement, en expliquant à la fois créations et extinctions d’espèces au sein d’un cadre d’interprétation théorique unifié, la descendance avec modification sous l’action de la sélection naturelle. Ce siècle voit aussi naître les premiers mouvements de conservation de la nature et les premières prises de position pour la protection de certaines espèces menacées. Malheureusement, celles-ci restent sporadiques, et malgré la constitution de l’écologie et d’une biologie des populations aux bases scientifiques solides, il faudra attendre le dernier quart du xxe siècle pour assister à une action massive en faveur de l’environnement, dans un monde incertain où le hasard règne désormais en maître, des particules subatomiques à la biosphère. Cette vie, qui autrefois semblait garantie (mais aussi ôtée) par Dieu selon un projet idéal, nous paraît aujourd’hui bien fragile. L’homme, dans son hubris prométhéenne, a cherché à imiter Dieu, mais se voit aujourd’hui dans la nécessité d’assumer ses responsabilités quand à la survie de la diversité des êtres de cette planète.
167Pour autant, l’écologie ne constitue-t-elle pas la tentative la plus réussie pour réduire le hiatus entre la façon dont la nature est et la façon dont les hommes se la représentent ? N’est-ce pas le privilège exclusif de la science de nous instruire sur la réalité et de nous permettre de coordonner et d’anticiper nos actions au sein de la nature ? Que penser alors du fait que jamais la connaissance de la nature n’a été aussi profonde, et que la crise environnementale s’aggrave, avec son cortège de catastrophismes ? Cette crise proviendrait de la multiplication d’objets de plus en plus « hybrides » selon Bruno Latour743, dont ni la science, ni la politique, ne peuvent réellement rendre compte dans la partition actuelle des tâches et des savoirs au sein de la société.
168Doit-on alors blâmer une science aveugle, qui, si elle semble combler le fossé épistémique entre les actions et représentations humaines et l’environnement tel qu’il est, reste largement insensible aux valeurs de son objet d’étude ?
169Dans cette histoire du concept d’extinction d’espèce, le xxe siècle apparaît comme celui de la grande prise de conscience de l’importance des extinctions. De la rhétorique de la dégénérescence des espèces à celle du déclin catastrophique de notre environnement, des mouvements de conservation des ressources cynégétiques et biologiques aux mouvements écologistes holistes. Rappelons que si le débat sur le transformisme est réellement apparu sous la forme d’une controverse sur l’extinction des espèces, l’étude de l’extinction a été progressivement éclipsée par les problèmes de spéciation. L’origine des espèces devint évidemment à partir de Darwin et jusqu’à ces dernières années le lieu incontournable des affrontements entre les différents courants de l’évolutionnisme. Mais à partir des années 70, les empoignades publiques entre paléontologues sur la théorie des équilibres ponctués744, sur le renouveau du catastrophisme745 et sur la paléontologie « statistique »746 remirent les extinctions au centre des débats évolutionnistes. C’est donc à la fois pour répondre aux interrogations théoriques et aux problèmes pratiques de l’écologie qu’à partir des années 70 est apparue une discipline, la biologie de la conservation, pour laquelle l’extinction d’espèce constitue une donnée centrale d’investigation. Mais il ne s’agit plus de l’extinction à décrire ou à expliquer par un scénario, comme en paléontologie, mais d’un processus à étudier dans tous ses détails, ses facteurs, ses variables, ses mécanismes, ses conséquences et avant tout à prévoir et à anticiper. Car prévoir c’est avoir prise sur le réel : il ne s’agit plus de constater les phénomènes écologiques, mais de les modifier. Mais alors, ne retombons-nous pas dans une illusion prométhéenne ?
Notes de bas de page
609 Linné (Carl von), L’Équilibre de la nature, op. cit.
610 Candolle (Alphonse de), Géographie botanique raisonnée, Paris : Masson, 1855, liv. IV, chap. XXVII.
611 Haeckel (Ernst), Generelle Morphologie der Organismen, Berlin : G. Reimer, 1866, vol II, p. 286.
612 Haeckel (Ernst), « Über Entwickelungsgang und Aufgabe der Zoologie », Jenaishe Zeitschrift fûr Naturwissenschaft, 1870, pp. 353-370.
613 Acot (Pascal), Histoire de l’écologie [préf. de Godron Michel], Paris : PUF, 1988, 285 p., chap. 1, V (Politique éclatée ; 15).
614 Deléage (Jean-Paul), Une Histoire de l’écologie..., op. cit.
615 Ibid., p. 293.
616 Clements (Frederic Edward), Plant Succession. An Analysis of the Development of Vegetation, Washington : Carnegie Institution, 1916, xiii + 512 p.
617 Cf. Van Valen (Leigh), « Concepts and the Nature… », op. cit.
618 Bowler (Peter J.), The Eclipse of Darwinism : Anti-Darwinism Evolution Theories in the Decades Around 1900, Baltimor ; London : The Johns Hopkins University Press, 1983, xvii + 291 p.
619 Allee (Warder C.), Emerson (Alfred E.), Park (Orlando), Park (Thomas) & Schmidt (Karl P.), Principles of Animal Ecology, op. cit.
620 Doubleday (Thomas), The True Law of Population Shewn to Be Connected with the Food of the People, London : Smith Elder, 1841, p. 6.
621 Cf. Provine (William B.), The Origins of Theoretical Population Genetics, Chicago : The University of Chicago Press, 1971, xi + 201 p. (The Chicago history of science and medicine).
622 Möbius (Karl), Die Auster und die Austernwirtschaft, Berlin : Verlag von Wiegandt, Hempel & Parey, 1877, p. 22.
623 Pearl (Raymond), The Biology of Population Growth, New York : Alfred A. Knopf, 1925, xiv + 260 p.
624 Lotka (Alfred J.), Elements of Physical Biology, Baltimore : Williams & Wilkins, 1925, xxx + 460 p.
625 Marchal (Paul), « L’équilibre numérique des espèces et ses relations avec les parasites chez les insectes », Compte rendus de la Société de Biologie, 1897, t. XLIX, p. 128.
626 Mayr (Ernst), Qu’est-ce que la biologie ?, op. cit.
627 Kingsland (Sharon E.), Modeling Nature, Chicago : University of Chicago Press, 1985, pp. 143-145.
628 Allee (Warder C.), Emerson (Alfred E.), Park (Orlando), Park (Thomas) & Schmidt (Karl P.), Principles of Animal Ecology, op. cit., p. 328 (Ce livre est parfois désigné comme « the great AEPPS », avec l’acronyme formé par les initiales du nom de ses auteurs).
629 Odum (Eugene), Fundamentals of ecology, Philadelphia : Saunders, 1953, 384 p.
630 Cf. Mitman (Gregg), « From the Population to Society : The Cooperation Metaphors of W. C. Allee and A. E. Emerson », Journal of the History of Biology, vol. 21, no 2, 1988, pp. 173-194.
631 Gross (Alfred Otto), « The Heath Hen », Memoirs of the Boston Society of Natural History, vol. 6, no 4, 1928, pp. 491-588.
632 Gause (G. F.), Nastukova (O. K.) & Alpatov (W. W.), « The Influence of Biologically Conditioned Media on the Growth of a Mixed Population of Paramecium caudatum and P. aurelia », Journal of Animal Ecology, vol. 3, 1934, pp. 222-230.
633 Allee (Warder C.), Emerson (Alfred E.), Park (Orlando), Park (Thomas) & Schmidt (Karl P.), Principles of Animal Ecology, op. cit.., p. 287.
634 Worster (Donald), Les pionniers…, op. cit., p. 351.
635 Cf. Acot (Pascal), Histoire..., op. cit., pp. 92-93.
636 Ibid., p. 345.
637 Worster (Donald), Les Pionniers…, op. cit., p. 353. Cette citation est directement inspirée de l’allocution de Gerard (Ralph), « Higher Levels of Integration », in Redfield (Robert) (sous la dir.), « Levels of Integration in Biological and Social Systems », Biological Symposia, vol. 8, Lancaster : Pennsylvania, 1942, pp. 67-87.
638 Pour une analyse approfondie du concept d’île en écologie, Cf. Drouin (Jean-Marc), Réinventer la nature : L’écologie et son histoire [préf. de Serres Michel], Paris : Desclée de Brouwer, 1991, 207 p. (Éclats)
639 Hubbell (Stephen P.), The unified neutral theory of biodiversity and biogeography, Princeton : Princeton University Press, 2001, xiv + 375 p. (Monographs in population biology ; 32).
640 May (Robert M.), « Biological Populations with Nonoverlapping Generations : Stable Points, Stable Cycles, and Chaos », Science, vol. 186, 1974, pp. 645-647.
641 Callicott (John Baird), « Do Deconstructive Ecology and Sociobiology Undermine the Leopold Land Ethic ? », Environmental Ethics, vol. 18, 1996, pp. 353-372.
642 Blandin (Patrick) & Lamotte (Maxime), « L’Organisation hiérarchique des systèmes écologiques », in Società Italiana di Ecologia Atti (sous la dir.), Atti del terzo congresso nazionale della societa italiana di ecologia, vol. 7, 1989, pp. 34-47.
643 Larrère (Catherine) & Larrère (Raphaêl), Du bon usage…, op. cit., p. 139 et ss.
644 Pickett (Stewart T.), Parker (V. Thomas) & Fiedler (Peggy L.), « The New Paradigm in Ecology : Implications for Conservation Biology above the Species Level », in Fiedler (Peggy L.) & Jain (Subodh K.) (sous la dir.), Conservation Biology : The Theory and Practice of Nature Conservation, Preservation, and Management, New York : Chapman & Hall, 1992, pp. 239-250.
645 Cf. Takacs (David), The Idea of Biodiversity, Baltimore : The Johns Hopkins University Press, 1996, p. 37. Le terme « Biodiversity » fut forgé par Rosen en vue du « National Forum on BioDiversity » censé révéler au public la crise de la biodiversité ; il fut organisé par la National Academy of Sciences américaine à Washington en septembre 1986. Rosen a confié, non sans ironie, comment il avait procédé : « C’était simple à faire : il m’a suffi de supprimer la partie « logique » de « biologique ». Enlever la logique de quelque chose supposé être de la science ressemble à une contradiction dans les termes, n’est-ce pas ? Pourtant, c’est peut-être à cause de cela que j’étais devenu impatient avec l’Academy of Sciences, parce qu’ils sont toujours tellement logiques qu’il ne semble jamais y avoir de place pour les émotions, pour l’âme ».
646 Wilson (Edward O.) (sous la dir.), BioDiversity, Washington : National Academy Press, 1988, xiii + 521 p.
647 McCann (Kevin Shear), « The diversity-stability debate », Nature, vol. 405, 2000, pp. 228-233.
648 Tilman (David), Reich (Peter B.), Knops (Johannes), Wedin (David), Mielke (Troy) & Lehman (Clarence), « Diversity and Productivity in a long-term grassland experiment », Science, vol. 294, 2001, pp. 843-845.
649 Cf. Larrère (Catherine) & Larrère (Raphaël) (sous la dir.), La Crise environnementale, op. cit., pp. 145-146.
650 Pavoine (Sandrine), Ollier (Sébastien) & Dufour (Anne-Béatrice), « Is the originality of a species measurable ? », Ecology Letters, vol. 8, 2005, p. 579.
651 Koricheva (Julia) & Siipi (Helena), « The Phenomenon of Biodiversity », in Oksanen (Markku) & Pietarinen (Juhani) (sous la dir.), Philosophy and Biodiversity, Cambridge : Cambridge University Press, 2004, pp. 27-53.
652 Scholes (Robert J.) & Biggs (Reinette), « A biodiversity intactness index », Nature, vol. 434, 2005, pp. 45-49.
653 Larrère (Catherine) & Larrère (Raphaël) (sous la dir.), La crise environnementale, op. cit., p. 146.
654 Takacs (David), The Idea of Biodiversity..., op. cit., p. 102.
655 Haila (Yrjö), « Making the Biodiversity Crisis Tractable », in Oksanen (Markku) & Pietarinen (Juhani) (sous la dir.), Philosophy and Biodiversity, op. cit., pp. 54-82.
656 Hacking (Ian), The Social Construction of What ?, Cambridge (Mass.) : Harvard University Press, 1999, x + 261 p.
657 C’est l’intitulé exact contenu dans la loi française de 1976 pour la protection de la nature. Cf. Boussard (Isabel), « Agriculture, environnement et protection de la nature : la loi de 1976 », Ruralia [En ligne].
658 Cité par Haila (Yrjö), op. cit., p. 70.
659 Hughes (A. Randall) & Stachowicz (John J.), « Genetic diversity enhances the resistance of a seagrass ecosystem to disturbance », Proceeding of the National Academy of Sciences, vol. 101, no 24, 2004, pp. 8998– 9002.
660 Rapport (David) & Lee (Victoria), « Ecosystem Health : Coming of Age in Professional Curriculum », EcoHealth, vol. 1, 2004, pp. S8-S11.
661 Voir ci-dessous le débat entre taxinomistes et conservationnistes (p. 376).
662 Voir ci-dessous le chapitre sur le concept d’espèce pour approfondir cette question (p. 407).
663 Thornton (Ian), Krakatau : the destruction and reassembly of an island ecosystem, Cambridge (Mass.) : Harvard University Press, 1997, XIII + 346 p.
664 Maynard-Smith (John), Evolutionary Genetics, 2ème éd., Oxford : Oxford University Press, 1998, p. 64.
665 Nei (Masatoshi), Maruyama (Takeo) & Chakraborty (Ranajit), « The Bottleneck Effect and Genetic Variability in Populations », Evolution, vol. 29, no 1, 1975, pp. 1-10.
666 Pour une critique détaillée de l’écologie de la restauration en termes éthiques, cf. Elliot (Robert), Faking Nature : the ethics of environmental restoration, London : Routledge, 1997, 177 p.
667 Kirchner (James W.) & Weil (Anne), « Delayed biological recovery from extinctions throughout the fossil record », Nature, vol. 404, 2000, pp. 177-180.
668 Raup (David M.), De l’extinction des espèces..., op. cit.
669 « Progrès », in Larousse (Pierre), Grand Dictionnaire Universel du xixème siècle, Paris : Administration du grand dictionnaire universel, 1865, 15 vols.
670 Rousseau (Jean-Jacques), Discours sur l’Origine…, op. cit., pp. 183-184. Souligné par Rousseau.
671 « Dégénérescence », in Lalande (André), Vocabulaire technique et critique de la philosophie, op. cit., p. 211.
672 Bénichou (Claude), « Dégénération, dégénérescence », in Tort (Patrick) (sous la dir.), Dictionnaire du Darwinisme..., op. cit., vol. 1, p. 1151.
673 Lalande (André), op. cit., p. 212.
674 Magnan (Valentin) & Legrain (Georges), Les Dégénérés ; état mental et syndromes épisodiques, Paris : Rueff, 1895, 235 p.
675 Marx (Karl) & Engels (Friedrich), Lettres sur les sciences de la nature, Paris : Éditions sociales, 1973, pp. 47-48. Cité par Bénichou (Claude), « Dégénérescence »…, op. cit., p. 1153.
676 Lankester (Edwin Ray), Degeneration, a Chapter in Darwinism, Londres : Macmillan, 1880, p. 32.
677 Larger (René), Théorie de la Contre-évolution ou dégénérescence par l’hérédité pathologique, Paris : Alcan, 1917, xiv + 405 p.
678 Lankester (Edwin Ray), Extinct Animals, London : Archibald Constable & co., 1905, xxiii + 331 p.
679 Decugis (Henri), Le Vieillissement du monde vivant [préf. de Caullery Maurice], Paris : Plon, 1941, VI + 359 p.
680 Cf. Buffetaut (Éric), Histoire de la paléontologie, op. cit., p. 82 et sq.
681 Cf. Grimoult (Cédric), Histoire de l’évolutionnisme contemporain en France 1945-1995, Genève : Droz, 2000, 616 p. (Travaux des sciences sociales ; 186).
682 Larger (René), « De l’extinction des espèces par la dégénérescence ou maladie des rameaux phylétiques », Bulletin de la Société d’Histoire Naturelle et de Palethnologie de la Haute-Marne, Chaumont, 1911, tome 1 ; fascicules I et II.
683 Ibid., pp. 3-4.
684 Ibid., p. 7.
685 Ibid., p. 49.
686 Kostitzin (Vladimir), Biologie mathématique [préf. de Volterra Vito], Paris : Librairie Armand Colin, 1937, p. 92 (collection Armand Colin ; 200).
687 Canguilhem (Georges), La Connaissance de la vie [1ère ed. 1965], Paris : Vrin, 1998, p. 159.
688 C’est aussi en 1935 que paraît le livre d’Alexis Carrel, L’homme, cet inconnu où le Prix Nobel qu’il est plaide pour un « eugénisme éclairé ».
689 Murphy (Andrew R.), « Environmentalism, Antimodernism, and the Recurrent Rhetoric of Decline », Environmental Ethics, vol. 25, 2003, pp. 79-98.
690 Ibid., p. 2.
691 Ibid., p. 33.
692 Ibid., p. 329.
693 Ibid., p. 64.
694 Grimoult (Cédric), Histoire l’évolutionnisme contemporain…, op. cit., p. 323.
695 Cf. Nietzsche (Friedrich), Généalogie de la morale…, op. cit.
696 Chamberlin (J. Edward) & Gilman (Sander), Degeneration : The Dark Side of Progress, New York : Columbia University Press, 1985, p. 25.
697 Buican (Denis), Histoire de la génétique et de l’évolutionnisme en France, Paris : PUF, 1984. Cf. chap. 3 et 4, consacrés au néo-lamarckisme tardif et hyper-tardif.
698 Arambourg (Camille), Paléontologie et transformisme, Paris : Albin Michel, 1950, p. 102.
699 Cuénot (Lucien), L’Espèce, Paris : G. Doin, 1936, chap « la fin des espèces », pp. 246-247.
700 Décugis (Henri), op. cit.
701 Heim (Roger), Destruction et protection de la nature, Paris : Librairie Armand Colin, 1952, 224 p. (Collection Armand Colin ; 179).
702 Muir (John), Our National Parks, Boston : Houghton Mifflin Co., 1901, p. 305. Dernière sentence du livre.
703 Nash (Roderick), Wilderness and the American Mind, 3rd éd., New Haven : Yale University Press, 1982, 425 p.
704 Pinchot (Gifford), The Fight for Conservation, New York : Doubleday, Page & Co., 1910, vii + 152 p.
705 Cf. Larrère (Catherine) & Larrère (Raphaêl), Du bon usage…, op. cit.
706 Cf. Norton (Bryan G.), Sustainability. A Philosophy of Adaptive Ecosystem Management, Chicago : University of Chicago Press, 2005, VIII + 607 p., chap. 3.
707 Leopold (Aldo), Almanach d’un comté des sables [1ère éd. 1948], Paris : Garnier-Flammarion, 2000, 290 p.
708 Ibid., Cf. chap. « Éthique de la terre », p. 255.
709 Nicholson (E. Max), « Nature Conservation in Perspective », in Nature Conservancy (sous la dir.), The Countryside in 1970. Proceedings of the Study Conference Held at Fishmongers Hall, London, E. C. 4, 4-5 November 1963, London : HMSO, 1964, pp. 203-205.
710 Ehrenfeld (David), Conserving Life on Earth, New York : Oxford University Press, 1972, xv + 360 p.
711 Leopold (Aldo), Almanach d’un comté des sables, op. cit., p. 278. Voir en particulier l’article de Callicott pour une interprétation conservationniste de l’éthique de Leopold : Callicott (John Baird), « The Wilderness Idea Revisited : the Sustainable Development Alternative », The Environmental Professional, vol. 13, 1991, pp. 235-247.
712 Ehrenfeld (David), Conserving…, op. cit., p. 316. Cité par Takacs (David), The Idea of Biodiversity..., op. cit.
713 Ibid.
714 Gunn (Alastair S.), « Preserving Rare Species », in Regan (Tom) (sous la dir.), Earthbound, Philadelphia : Temple University Press, 1984, Chap. 9, p. 314.
715 Cf. Callicott (John Baird), « Animal Liberation : a Triangular Affair », in Callicott (John Baird), In Defense of the Land Ethic, Albany : SUNY Press, 1989, pp. 15-38.
716 Norton (Bryan G.), « Conservation and Preservation : a Conceptual Rehabilitation », Environmental Ethics, vol. 8, 1986, p. 219.
717 Massart (Jean), Pour la protection de la nature en Belgique, Bruxelles : H. Lamertin, 1912, 308 p.
718 Massart (Jean), op. cit., p. 39 cite ainsi la loi française de protection des sites et monuments naturels pour des raisons esthétiques, datant du 21 avril 1906.
719 Nous savons aujourd’hui, grâce aux travaux de Gaston (Kevin J.), Rarity, London ; New York : Chapman & Hall, 1994, x + 205 p. (Population and community biology series ; 13) et en particulier, que la notion de rareté recouvre de nombreuses acceptions et que celle d’espèce en danger n’en est qu’une possible, mais non nécessaire. Des espèces peuvent être rares sans pour autant être le moins du monde menacées.
720 Meine (Curt), « Conservation Movement, historical », in Encyclopedia of biodiversity, San Diego : Academic Press, 2001, p. 891.
721 Harroy (Jean-Paul), Protégeons la Nature, elle nous le rendra : texte de quatre conférences données les 18 et 25 mars 1946 à l’Université coloniale de Belgique, Bruxelles : Institut des Parcs nationaux du Congo Belge, 1946, 97 p.
722 Guerrini (Marie-Claude), « Le Parc National des Cévennes », Strates, no 8, 1994-1995 [consultation en ligne : http://strates.revues.org/document1033.html].
723 Cf. Selmi (Adel), Administrer la nature : Le parc national de la Vanoise, Paris : Éditions MSH ; Éditions Quae, 2006, XIII + 487 p. (Natures sociales).
724 Massart (Jean), Pour la protection…, op. cit., p. 77.
725 Hornaday (William), Our Vanishing Wildlife : Its Extermination and Preservation, New York : New York zoological society, 1913, 411 p.
726 Cf. Fox (Stephen), John Muir and His Legacy : the American Conservation Movement, Boston : Little, Brown & Co., 1981, p. 149.
727 Greenway (James Cowan), Extinct and Vanishing Birds of the World, New York : Dover publications, 1958, 518 p.
728 Hornaday (William), Our Vanishing…, op. cit., p. vii.
729 Ibid., pp. 5-6.
730 Ibid., p. 8.
731 Ibid., p. 8. Souligné dans l’original.
732 Hornaday (William), Our Vanishing…, op. cit., pp. 77-81.
733 Worster (Donald), Les Pionniers…, op. cit., p. 295.
734 Cf. Baer (Jean G.), « Aperçu historique de la protection de la nature », Biological Conservation, vol. 1, 1968, pp. 7-11.
735 Heim (Roger), Destruction et protection..., op. cit.
736 Cf. Jaussaud (Philippe) & Brygoo (Édouard-Raoul), Du jardin au Muséum en 516 biographies, Paris : Muséum national d’Histoire naturelle, 2004, 630 p. (Archives ; 7).
737 Heim (Roger), La sombre route, Paris : Librairie José Corti, 1947, 98 p.
738 Heim (Roger), Destruction et protection…, op. cit., p. 14.
739 Ibid., p. 180.
740 Wilson (Edward O.), The diversity of life, Cambridge (Mass.) : Harvard University Press, 1992, p. 265.
741 Carson (Rachel), Printemps silencieux [trad. de l’anglais par Gravrand Jean-François ; préf. de Heim Roger], Paris : Plon, 1963, 283 p.
742 Dorst (Jean), Avant que nature meure, Neuchâtel : Delachaux & Niestlé, 1965, 425 p. (Les Beautés de la nature).
743 Latour (Bruno), Politiques de la nature : comment faire entrer les sciences en démocratie, Paris : La Découverte, 2001, 382 p. (Armillaire).
744 Gould (Stephen Jay) & Eldredge, « The Spandrels of San Marco and the Panglossian Paradigm : A Critique of the Adaptationist Program », Proceedings of the Royal Society of London B, vol. 205, 1979, pp. 581-598.
745 Alvarez (Luis W.), Alvarez (Walter), Asaro (Franck) & Michel (Helen V.), « Extraterrestrial Cause for the Cretaceous-Tertiary Extinction », Science, vol. 208, 1980, pp. 1095-1108.
746 Raup (David M.), De l’Extinction des espèces..., op. cit.
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