Les extinctions aux xviie et xviiie siècles
Entre évidences & résistances
p. 137-184
Texte intégral
1Bien que les savants qui se penchent sur les questions relatives à la formation de la Terre soient par ailleurs de grands naturalistes ou de grand médecins257, il nous a paru nécessaire de distinguer, aux xviie et xviiie siècles, les études prenant la Terre et ses formations ainsi que les fossiles pour objet des autres types d’études naturalistes (anatomie, botanique, zoologie, etc.) dans les débats concernant l’idée d’extinction. Comme nous l’avons indiqué dans l’introduction générale, le but de cette recherche n’est pas de rendre compte de tous les aspects historiques et épistémologiques ayant trait aux extinctions ; notre démarche ne prend réellement sens qu’à la lumière des connaissances de l’environnement et des atteintes subies par les espèces ; néanmoins, l’accession de l’hypothèse de l’extinction des espèces à une formalisation scientifique et rationnelle s’est faite en grande partie grâce aux études géologiques sur les fossiles. Et au fur et à mesure que nous progressons dans le temps, les sciences de la Terre s’autonomisent de plus en plus de ce que l’on nomme, dans un sens général, l’histoire naturelle et qui regroupe aussi bien les sciences botaniques, zoologiques et minéralogiques. Voilà pourquoi la première partie de ce chapitre traitera d’abord de l’histoire des idées géologiques et paléontologiques avant que nous nous tournions ensuite vers les sciences de la vie et de l’environnement proprement dites.
Théories de la Terre, origines des fossiles idée d’extinction
2Les théories de Palissy sur la formation des fossiles, ainsi que son idée des « espèces perdues » n’ont pas permis de trancher le débat sur la nature des fossiles et pendant encore plus d’un siècle, des doutes ont subsisté sur la nature organique de tous les fossiles. Pour les fossiles dont la forme était similaire ou très proche d’espèces alors connues, la cause fut vite entendue en faveur de l’hypothèse organique ; mais pour les autres, aux formes et aux tailles plus ou moins étranges, les tergiversations continuèrent. L’étude directe des fossiles était encore sommaire au xviie siècle et les comparaisons entre les fossiles et les parties dures d’organismes actuels restèrent longtemps peu précises. Il était certes assez facile de reconnaître des huîtres ou des escargots, mais les choses se compliquaient lorsque l’on avait affaire, par exemple, à des ossements de vertébrés. La seule méthode efficace était celle qui recevra plus tard le nom d’« anatomie comparée », mais encore fallait-il disposer de quelques notions élémentaires en ce domaine. Les études anatomiques furent, en effet, longtemps interdites ou très limitées à cause d’interdits religieux.
3Le savant provençal Peiresc (1580-1637) reçut un jour de la part d’un ami, une énorme molaire d’un « homme géant » trouvée dans le sol. Il se doute de prime abord qu’il s’agit d’une dent d’éléphant ; en 1631, il prend l’empreinte d’une vraie molaire d’éléphant avec de la cire et vérifie sa ressemblance avec la molaire du prétendu géant. Telle fut l’une des premières applications de l’anatomie comparée à la paléontologie, signant ainsi le déclin des mythes relatant l’existence de races d’hommes géants, comme nous l’avons vu dans l’Antiquité.
4Les défenseurs convaincus de la nature organique des fossiles, comme Agostino Scilla (1639-1700) et surtout Sténon (1638-1686), comprirent qu’il fallait avant tout démontrer le caractère organique des fossiles les plus originaux258. N’oublions pas qu’à cette époque le terme « fossile » désignait encore tout ce qui était trouvé en creusant le sol, dont les cristaux de roche et les restes de civilisations passées, monnaies, poteries, etc. Sténon utilisa notamment pour sa démonstration des méthodes chimiques, comme Fabio Colonna (1567-1640) et plus tard Leibniz (1646-1716).
5Pour ce qui est des cristaux, il était clair qu’ils avaient « grandi » dans la terre, mais pourquoi n’en eût-il pas été de même des fossiles aux formes inconnues ? Athanasius Kircher (1602-1680), dans son Mundus Subterraneus259, s’appuyant sur la pensée néoplatonicienne en vogue depuis le siècle précédent, attribue la formation et la figuration des fossiles à une sorte de vis plastica ou encore spiritus plasticus. Le refus de l’acceptation de l’origine organique des fossiles reste longtemps vivace. Selon Loren Eiseley260, certains penseurs auraient même formulé l’idée que les pierres contenant des fossiles proviendraient de comètes ou de météorites extra-terrestres. Quoi qu’il en soit, cette résistance perdure toujours au xviiie siècle, parfois sous la plume de très grands naturalistes, comme en Angleterre pour le très savant Martin Lister (1638-1712) et plus tard Edward Lhwyd (1660-1709). Lhwyd, qui était par ailleurs un animalculiste convaincu, affirmait en reprenant la tradition aristotélicienne, que les fossiles s’étaient formés in situ à partir de semences qui s’étaient infiltrées en terre261. Le cas de Lister retient spécialement l’attention dans la mesure où son refus de reconnaître la nature organique des fossiles est basé sur une analyse remarquablement minutieuse des coquilles. Cet expert conchyliologue ne passe pas à côté des différences les plus fines qui existent entre les espèces de coquilles actuelles et les espèces fossilisées. Mais son refus d’accepter aussi bien une explication proto-évolutionniste que diluvianiste le conduit à une troisième voie, plus traditionnelle, celle de la génération spontanée minérale. Pour Lister, il n’existe aucune différence entre la nature de la matière constituant le fossile et la nature de la roche qui l’entoure, mais une simple différence de forme ; d’où sa conclusion qu’il ne s’agit là que de lapides sui generis. Cette conclusion, qui peut nous sembler saugrenue, ne témoigne pas moins d’une grande rigueur scientifique de la part de Lister qui étaye rationnellement ses conclusions et cherche constamment à ne pas hybrider observations naturelles et théologie. Ses positions se rapprochent finalement du courant scientifique le plus avancé à son époque, dans la lignée de la philosophie newtonienne, qui conduit à constater les propriétés de la matière, à limiter les hypothèses, et à donner l’explication mécaniste la plus parcimonieuse. Enfin, ne pas remettre en cause l’idée de plénitude de la Création, voire même ne pas se poser la question des espèces perdues, constituait l’un des avantages majeurs de ses positions.
6Pour sa part, John Ray (1627-1705), le plus grand naturaliste anglais du xviie siècle, ne ménage pas ses interrogations et après avoir instruit une sorte de procès contradictoire sur le problème de la nature des fossiles, propose en 1673 une solution mixte262 : certains fossiles seraient bien de vraies coquilles et d’autres seraient d’origine minérale. Finalement, ce jugement pyrrhonien exprime la lucidité d’un auteur qui ne cherche pas à masquer ses doutes par de fausses solutions dogmatiques, et témoigne d’une rare honnêteté scientifique. Cependant, dans une lettre ultérieure destinée à Lhwyd, Ray ne cache pas son embarras à l’égard de l’hypothèse des espèces disparues : d’un côté, il admire les conséquences qu’on peut tirer de l’origine naturelle des fossiles « au moins, elles rejettent l’opinion généralement reçue parmi les philosophes et les hommes de Dieu, et sans bonne raisons, que depuis la première Création il n’y a pas eu d’espèce d’Animaux ou de Végétaux perdus, et pas de nouveaux produits. »263 Mais d’un autre côté, dans ses ouvrages apologétiques, The wisdom of God264, et surtout Three physico-theological discourses, Ray doute de la possibilité de la disparition des espèces en se référant à la providence divine : « Il s’ensuivrait que plusieurs espèces de coquillages seraient perdues pour le monde, ce que les philosophes ont été jusque-là réticents à admettre, estimant que la destruction d’une quelconque espèce provoquerait un démembrement de l’univers et ainsi le rendrait imparfait ; ils pensent plutôt que la divine Providence est spécialement investie de la sécurité et de la préservation des Œuvres de la Création. »265
7Sans parler de l’idée des espèces perdues, l’affirmation de la nature organique des fossiles n’est clairement pas assurée à la fin du xviie siècle, malgré les travaux remarquables de Sténon par exemple, dont les idées sont pourtant largement diffusées à cette époque en Europe266. Mais ces hypothèses vont recevoir l’appui décisif, et a posteriori assez surprenant des théories diluvianistes.
Le diluvianisme
8Affirmer la nature organique des fossiles ne pouvait se faire à la légère car cela imposait de trouver des mécanismes qui rendent compte de la présence de restes d’organismes marins si loin de leur habitat d’origine. L’explication qui eut le plus de succès fut celle du Déluge biblique, qui identifiait les fossiles aux restes d’organismes abandonnés à l’issue de l’inondation générale de la Terre provoquée par Dieu. Outre sa simplicité, cette explication avait le mérite d’être en conformité avec l’Écriture sainte, ce pour quoi sans doute elle trouva des partisans dès le Moyen Âge. Le moine Ristoro d’Arezzo qui signale en 1282 la présence de coquilles fossiles au sommet d’une très haute montagne en conclut que « c’est un signe certain que cette montagne a été faite par le Déluge »267. Il reprend cette idée du premier à l’avoir sans doute formulée, Isidore de Séville268.
9Dès lors, cette explication connaît un succès croissant et on assiste à partir du dernier tiers du xviie siècle à une véritable floraison de théories diluvianistes ; de plus, elles s’insèrent de façon toute naturelle dans les premières « Théories de la Terre » qui se donnent pour but d’expliquer les faits terrestres à la lumière de la Bible. Nous pouvons distinguer plusieurs types de théories diluvianistes selon l’importance de la dimension apologétique de ces ouvrages.
10Certains savants soulignent que l’épisode du Déluge peut tout à fait conforter leurs propres théories, mais restent allusifs sur ce point. C’est le cas en particulier de Sténon ou encore de Leibniz dans un ouvrage posthume, Protogea, où il ne montre que mépris pour la théorie des fossiles comme « jeux de la nature », et considère clairement les fossiles comme des restes pétrifiés d’êtres qui autrefois ont été vivants. Le Déluge biblique lui paraissait à cet égard comme le plus important des changements subits par le globe.
11Cependant, d’autres auteurs, emportés par la déferlante de la théologie naturelle, se servent au contraire des faits pour asseoir le récit biblique, ou du moins mobilisent toute leur sagacité pour faire coïncider faits naturels et histoire biblique. Au nombre des plus ardents, on trouve un médecin suisse, Johann Jakob Scheuchzer (1672-1733) encore appelé Scheuchzer l’Aîné, et un médecin anglais, John Woodward (1665-1728), lequel expliquait les différentes couches fossilifères par la sédimentation différentielle des organismes en fonction de leur poids spécifique269. Mais Woodward ne se penche pas vraiment sur le problème de la forme des fossiles et adopte la suggestion de Ray, à savoir que l’extinction ne serait en vérité qu’un phénomène apparent. Dans la mesure où la faune des grands fonds marins est très peu connue, il conclut qu’« il n’y a pas une seule espèce entière de coquillages, ayant vécu autrefois et qui maintenant ait péri et soit perdue »270.
12Scheuchzer va plus loin dans son affirmation du Déluge comme événement géologique majeur : dans un de ses ouvrages, il fait même parler les fossiles de poissons d’Öningen pour défendre leur propre origine organique, témoigner de la réalité du Déluge et ainsi confondre les opposants aux théories diluvianistes271 !
13Ces idées diluvianistes ont été jugées a posteriori très néfastes aux progrès des concepts paléontologiques272. Elles furent également critiquées très tôt par Palissy, et par Léonard de Vinci qui avait remarqué l’existence de successions de plusieurs couches fossilifères, observation incompatible avec l’action d’un Déluge unique.
14Néanmoins, en se replaçant dans l’ambiance intellectuelle des xviie et xviiie siècle, on peut penser, comme Martin Rudwick ou François Ellenberger, que ces théories diluvianistes avaient le mérite de mettre en accord l’idée de la nature organique des fossiles avec un cadre religieux dont il était difficile de s’abstraire. Ces idées conduisaient également à admettre que la Terre avait une histoire géologique, même courte, et qu’elle avait subi des changements importants. On croyait alors que l’histoire de la vie sur Terre se résumait à deux périodes distinctes : la période précédant le Déluge, avec des espèces qui pouvaient avoir disparu à cause de l’inondation ; et depuis le Déluge, avec les espèces actuelles.
15De plus, la fécondité des idées diluvianistes quant à la question des espèces perdues est tout à fait flagrante dans le cas suivant : Fontenelle fut en effet le premier en France, pour l’époque moderne, en 1710, à évoquer de nouveau l’idée de la disparition des espèces dans un compte-rendu de l’Académie des Sciences, et cela à propos d’une dissertation de Scheuchzer :
Il peut se trouver des Pierres figurées dont le moule nous soit présentement inconnu. Les coquillages qui les auront formées ne seront plus dans nos mers ou nous auront échappé. La grande quantité de Pierres qui certainement ont été moulées de cette manière, nous met en droit de faire cette supposition. Peut-être même quelques moules seraient-ils perdus, c’est-à-dire que quelques espèces de coquillages auront péri, mais pour employer cette idée un peu hardie, il faut apercevoir dans une pierre des traces assez sensibles de cette sorte de formation273.
16Cependant, Fontenelle rejette aussitôt cette explication des espèces perdues pour lui substituer deux autres hypothèses : celle d’une semence minérale et l’hypothèse diluvianiste de Scheuchzer.
17Donc si pour un diluvianiste – que ses préoccupations soient d’ordre scientifique ou apologétique – la nature organique des fossiles constitue la seule option possible, l’existence d’espèces perdues est beaucoup plus débattue. Certes, les conditions intellectuelles semblent plus propices pour accepter cette dernière hypothèse dans le contexte diluvianiste, mais nous nous heurtons alors à deux obstacles distincts d’ordre philosophico-théologique, d’un côté l’idée de plénitude de la Création, et de l’autre, celui de providence divine.
18Bien que ces deux concepts puissent en partie se recouper, ils méritent d’être clairement distingués dans la mesure où ils renvoient à deux traditions philosophiques différentes : l’idée de plénitude de la Création renvoie directement à Platon et à l’immutabilité des Idées, reprise ensuite par l’orthodoxie chrétienne ; l’idée de providence divine rappelle plutôt la pensée téléologique aristotélicienne ainsi que la monadologie leibnizienne ; elle postule que Dieu a fait le monde le plus parfait et le moins désordonné possible.
19Par rapport au principe de plénitude, « l’extinction suggérait immanquablement l’imperfection et l’incomplétude dans la conception de la Création originelle »274. Il semblait difficilement concevable qu’une quelconque forme d’êtres vivants ait existé pour ensuite disparaître de la surface de la Terre. Car si Dieu est perfection, la disparition ou la mort représente au contraire l’imperfection.
20De plus, l’extinction allait à l’encontre de l’idée de providence, et cela à plusieurs niveaux. La providence, nous rappelle le dictionnaire philosophique d’André Lalande, est l’« action que Dieu exerce sur le monde en tant que volonté conduisant les événements à des fins ». Or, pour tous les théologiens la fin évidente de la Création divine réside en l’homme, créé à l’image de Dieu et, partant, être le plus parfait. Pourquoi Dieu aurait-il créé des espèces pour les faire disparaître ? Les deux réponses possibles sont malheureusement aussi insatisfaisantes l’une que l’autre : soit ces espèces étaient inutiles à l’homme, alors pourquoi les avoir créées ? soit elles étaient utiles, alors pourquoi les avoir fait disparaître ? Une réponse surprenante à ce dilemme nous est cependant fournie au xviiie siècle par le savant anglais Peter Collinson (1694-1768) : après la découverte du squelette fossile d’un vertébré géant (« L’animal de l’Ohio », qui était en réalité un mastodonte), Collinson275 avec son compatriote William Hunter croit déterminer à partir d’un examen des molaires de l’animal que son régime était carnivore. Concédant qu’un tel animal ne pouvait raisonnablement pas survivre inconnu dans une quelconque région du monde, Collinson fut obligé de conclure que l’espèce avait sûrement disparu, mais il crut bon d’ajouter que cette extinction était complètement en accord avec la providence divine dans la mesure où un tel animal aurait été bien trop redoutable pour l’homme !
21Par ailleurs, la providence se manifeste de deux façons différentes : de manière générale, elle résulte de la mise en mouvement de la matière par Dieu selon des lois qui minimisent le désordre dans la nature ; de manière particulière, la providence s’exprime à travers les miracles divins pour remédier à certains désordres276. Il est clair que le phénomène d’extinction remet aussi bien en cause la providence particulière que la providence générale, ce que ne manque pas de souligner Thomas Molyneux (1661-1733) à propos des restes énigmatiques du Mégalocéros. Une des solutions pour contourner cette aporie de la providence, employée par Molyneux, passera alors par l’invocation des régions inexplorés de la Terre dans lesquelles les espèces supposées disparues pourraient encore survivre. Il n’y aurait en lieu et place des véritables extinctions que des disparitions locales d’espèces. Mais nous examinerons cette idée un peu plus loin.
22Enfin, si l’on se penche sur les différentes interprétations du Déluge au xviie siècle, il semble pourtant que l’extinction totale d’au moins une espèce, l’espèce humaine, ne posait aucun problème théologique ou conceptuel. En effet, jusqu’en l’an 1666277, l’idée que la fin du monde était imminente était très répandue. Évidemment, cette fin sonnait plutôt comme une délivrance pour les croyants, c’est-à-dire comme l’instauration de la Jérusalem céleste sur Terre. Mais la justice divine commençait à être discrètement remise en question. Ainsi, le grand poète anglais John Milton dans son chef-d’œuvre Paradise Lost, mettait-il plus en exergue la douleur et les doutes d’Adam pleurant ses enfants décimés par le Déluge que la bonté de Dieu ; douleur illustrée par l’épisode de l’Arche et le sauvetage des espèces et du sage Noé, mais au prix de la souffrance engendrée par la disparition de tous les autres humains278.
23Au tournant du siècle, on retrouve évoquée cette possibilité de la disparition de la race humaine sous la plume du médecin Nicolas Andry (1658-1742), mais avant tout pour envisager la possible disparition des vers et autres parasites propres à l’homme : « Ne se pourroit-il pas bien faire que ces mêmes semences [de vers] eussent été créées dans celle de l’homme, avec l’homme même, ainsi qu’on le peut penser de la semence des poux qui ne se trouvent qu’à l’homme & dont l’espèce se perdroit si celle de l’homme venoit à manquer »279. Andry, comme Hartsoeker ou Redi, rejette fermement l’hypothèse de la génération spontanée, même pour les vers et autres animalcules à peine visibles par les microscopes de l’époque. En toute logique, on pourrait estimer que la croyance en la génération spontanée constitue un obstacle décisif à la pensée de l’extinction des espèces en autorisant les formes vivantes à réapparaître en permanence. Nous verrons avec De Maillet et Lamarck que la vérité historique ne s’accorde que faiblement avec la logique. Il est clair cependant que le refus d’Andry de cautionner la théorie de la génération spontanée et son soutien à une transmission de la vie uniquement par les semences des êtres vivants le conduisent à s’interroger sur la création première de ces espèces (simultanée ou non avec la Création de l’Homme), et par leur dépendance vitale à l’égard de l’homme, à s’interroger sur leur disparition possible. La disparition de l’homme, la seule rendue possible et même nécessaire selon les dogmes chrétiens, représente en fin de compte une perspective détournée, mais intellectuellement stimulante et propre à satisfaire les strictes contraintes théologiques du temps, pour penser la possibilité d’extinction d’autres espèces, avant tout domestiques, parasites ou commensales de l’espèce humaine.
24Le déclin des théories diluvianistes va s’engager dès le début du xviiie, non pas que l’épisode du Déluge en lui-même soit remis en cause, mais qu’à l’instar de Fontenelle ou de Hooke, les savants doutent de son implication dans l’explication des fossiles. Le coup de grâce viendra de Buffon et de son Histoire de la Terre (1749), où il met en avant l’hypothèse des « causes actuelles ».
Les fossiles, « monuments de la nature » selon Robert Hooke
25Nous avons jusqu’alors rencontré relativement peu de savants qui aient reconnu explicitement l’existence d’espèces perdues. Mais c’est bien dans cette catégorie que nous devons ranger Robert Hooke (1635-1703), membre éminent de la Royal Society, et expérimentateur de génie, qui n’hésita pas à admettre la possibilité de l’extinction de certaines espèces. Il est indispensable d’aborder ses conceptions à ce sujet, en nous gardant bien de faire de lui un savant plus éclairé que ses collègues, car nous allons le voir, ses idées reposent finalement sur le même socle théorique que celui de ses opposants. En science, comme l’a judicieusement affirmé David Bloor, les erreurs et les vérités naissent du même terreau épistémologique, et parfois l’infime interstice théorique qui permet de différencier le vrai du faux est bien difficile à déceler et à justifier.
26L’ouvrage posthume280 de 1705 dans lequel les observations géologiques de Hooke sont rassemblées présente d’abord et de façon logique une démonstration de l’origine organique des fossiles. L’avantage indéniable de Hooke est de pouvoir réaliser des observations micro-paléontologiques à l’aide d’un microscope à trois lentilles de sa fabrication. Il obtient ainsi des descriptions remarquables de charbon et de bois fossilisés, dont il rapproche les microstructures de celles de morceaux de bois récents. Cependant, pour défendre sa thèse, il fait appel à ce qui à nos yeux de lecteurs modernes constitue la source de toutes les erreurs de ses adversaires, à savoir la théologie naturelle. En s’appuyant sur le principe philosophique de « raison suffisante », il soutient qu’en accord avec « l’infinie prudence de la Nature », celle-ci ne fait rien en vain. Par conséquent, si on rejette comme lui la vision du monde de type analogique qui associe les ressemblances de la nature à des vertus magiques ou curatives, et les dogmes téléologiques qui l’accompagnent, une coquille fossile ne pourra être appréhendée que dans un système qui lui confère la même origine causale qu’à ses consœurs contemporaines, à savoir une origine organique281.
27Dans le même temps, Hooke accepte tout à fait la courte chronologie biblique et ne remet pas en cause les Écritures. L’épisode du Déluge n’est-il pas corroboré par des récits extra-bibliques, tels le mythe de Deucalion et Pyrrha ? Il détourne simplement les arguments de la théologie naturelle en faveur de sa thèse, contre les théories de ses collègues. Et il n’en va pas différemment pour son affirmation des extinctions, quoique cette dernière assertion ait par ailleurs choqué ses contemporains. En alléguant la véracité des extinctions, ce grand savant anglais allait consciemment à l’encontre des dogmes les plus admis de son temps quant à la pérennité et l’immutabilité des espèces. Pourtant, il n’avait aucun doute quant à la disparition totale de certaines espèces : « Pour le moment, nous considérons comme réelle et vraie cette supposition, qu’il y a eu dans des époques passées du monde diverses espèces de créatures qui sont maintenant entièrement perdues, rien d’entre elles ne survivant en aucun endroit de la Terre. »282
28Hooke pensait que la disparition de ces espèces pouvait avoir été provoquée par les nombreux changements subis par la surface du globe au cours du temps. Par « changements », il entendait surtout des tremblements de terre ; de toute façon, il lui semblait « très absurde de conclure que depuis le commencement les choses ont persisté dans le même état où nous les trouvons aujourd’hui ». Selon lui, cette loi générale du changement s’appliquait aussi bien aux êtres vivants qu’au monde inanimé. Qui plus est, le changement auquel Hooke fait référence n’est pas neutre idéologiquement puisqu’il est marqué d’un certain pessimisme fort répandu à son époque. Il s’agit d’un changement directionnel qui mène la Terre de son enfance, période au cours de laquelle elle était encore chaude et malléable, à son déclin qui se perçoit dans la période actuelle par sa dureté, sa sécheresse et son usure283. Les découvertes de grands os fossiles et d’ammonites géantes du portlandien confirment cette théorie, en appuyant la thèse déjà énoncée par les mythes antiques de l’existence passée de races géantes, témoins de la « vigueur » juvénile de la Terre. De surcroît, Hooke ne se contente pas de reprendre les mythes grecs (comme le mythe platonicien de l’Atlantide en rapport avec les tremblements catastrophiques), il ajoute sa vision personnelle des changements biotiques : « Il y a eu beaucoup d’espèces de créatures dans les âges passés, dont nous ne pouvons trouver aucune à présent ; et il n’est pas improbable aussi qu’il puisse y avoir aujourd’hui diverses nouvelles sortes, qui n’ont pas toujours été. »284
29Autrement dit, non seulement certaines espèces se sont éteintes depuis le commencement du monde, mais d’autres sont apparues depuis. Hooke, qui s’appuyait sur l’observation des variations à l’intérieur d’espèces actuelles, soutenait l’idée que les changements du milieu, l’altération du climat, du sol, ou de la nourriture avaient pu contribuer à l’apparition de ces nouvelles espèces. Le savant anglais envisage toutefois un instant que certaines espèces d’animaux du passé survivent au fond des mers, mais il nie derechef cette solution, et donne raison à une sorte de transformisme qui va d’ailleurs dans le sens d’une dégénérescence des espèces menant vers une terminaison finale.
30Cependant, on relève une dissymétrie conceptuelle entre la mort des espèces, toujours explicable, et la naissance de nouvelles variétés, qui ne peuvent point provenir de créations nouvelles d’origine divine pour le naturaliste du xviie qu’il est285. Mais Hooke est surtout préoccupé par l’adéquation de son système avec la théologie naturelle et la garantie qu’il obéisse au fameux principe de plénitude. Il est évident qu’il y a autant d’espèces qui apparaissent que d’espèces qui disparaissent car elles ne font que se transformer : la sagesse divine est sauve.
31Selon Hooke, le monde vivant s’était naturellement modifié au cours du temps et ces changements se reflétaient dans les différents types de fossiles. Il était donc théoriquement possible de reconstituer l’histoire ancienne du monde au moyen des fossiles, tout comme on pouvait retracer l’histoire humaine au moyen des antiquités :
Maintenant ces coquilles et autres corps sont les médailles, les urnes et les monuments de la nature [...]. Ce sont les plus grands et les plus durables monuments de l’Antiquité, qui, selon toute probabilité, seront de loin antérieurs à tous les anciens monuments du monde, même les pyramides, les obélisques, les momies, les hiéroglyphes et les médailles, et qui fourniront plus d’information à l’histoire naturelle que tous ces autres pris ensemble n’en fourniront à l’histoire civile.286
32Seulement, il ne s’agit pas là d’une simple métaphore ; selon Rudwick, en employant l’idée de « monument », Hooke ne souhaite pas seulement expliquer ce que représentent les fossiles par rapport à l’histoire de la Terre : « Il était question d’établir la chronologie d’une seule et même période de l’histoire, en confortant une source d’évidence par une autre. La tâche de l’antiquaire “naturel” était de développer, avec l’aide des fossiles, les archives utilisées par les étudiants en antiquités “artificielles”. » Il nous semble cependant que Rudwick va un peu loin et décrit là en réalité la position des savants les plus engagés dans la théologie naturelle qui cherchent à corroborer l’histoire écrite par les restes géologiques, tel l’abbé Pluche (1688-1761)287 en France. Comme le feront plus tard Buffon et Cuvier, Hooke a plutôt pour but de prolonger les plus anciennes chroniques humaines par les interprétations tirées des « antiquités naturelles »288. Il n’en demeure pas moins que les expressions de « monument de la nature », « médaille », « antiquité », et aussi d’« annales » et d’« archives (records) » qu’emploie Hooke pour la première fois deviendront toutes des lieux communs de la géologie jusqu’au début du xixe siècle289.
33En se demandant dans quelle mesure histoire humaine et histoire naturelle se superposent ou se complètent, Hooke ne cherche en rien à se démarquer de la chronologie biblique, bien au contraire. Ceci ne l’empêche pourtant pas de jeter les bases d’une paléontologie historique290, en 1668 l’année de ses discours, et ce avant même la publication du Prodrome de Sténon291. Il fallut attendre un siècle pour que ce « programme de recherche » commence à être réalisé en pratique par l’établissement d’une véritable chronologie de l’histoire de la Terre à partir des fossiles, grâce à Giraud-Soulavie (1752-1813). Hooke contribua par son autorité à affaiblir le dogme de la fixité des espèces hérité de la lointaine tradition scolastique ; il ne remit cependant pas en cause celui de plénitude de la Création, principe qui offrira d’ailleurs la plus grande résistance à l’émergence d’une science et d’une mentalité dépourvues des derniers résidus théologiques qui s’opposent à la pensée d’une véritable transformation des espèces et du monde vivant. Ce constat est particulièrement saillant à propos du rapport entre la question des espèces disparues et les découvertes toujours plus nombreuses de fossiles exotiques.
Fossiles exotiques et espèces disparues
34À la fin du xviie, les premières études d’anatomie comparée permirent de faire des découvertes plutôt déconcertantes pour l’époque, comme on l’a vu avec la découverte de Peiresc. Trouver des éléphants en Europe était en soi assez inattendu. On pouvait cependant expliquer leur présence en les rapportant une fois de plus à l’histoire antique, ce que fit Sténon : Hannibal n’avait-il pas franchi les Alpes avec plusieurs éléphants lors de sa campagne contre Rome, et les Romains eux-mêmes n’avaient-ils pas par la suite importé nombre de ces animaux en Europe ? Jusqu’à la fin du xviiie siècle, cette explication fut mise maintes fois à contribution pour expliquer la présence de grands ossements dans le sol européen, même si sa validité fut parfois discutée. Qui plus est, bien d’autres fossiles se révélaient soit appartenir à des espèces exotiques, connues seulement dans des régions lointaines (ce que remarquait déjà Palissy dans ses Discours et plus tard Antoine de Jussieu292 (1686-1758) à propos de plantes fossilisées trouvées dans des mines de charbon), soit sans équivalents dans le monde actuel. Le second cas de figure était le plus troublant car, comme nous l’avons vu, il supposait que Dieu ait pu créer des essences assez imparfaites pour qu’elles puissent s’éteindre totalement, ce qui était tout à fait incompatible avec une interprétation littérale des Écritures. D’ailleurs, lors du Déluge, Noé n’avait-il pas sauvé dans son arche un couple de chaque espèce animale ?
35À cet égard, l’explosion du nombre d’espèces nouvellement découvertes entre le xvie et le xviiie siècle rendait difficile d’imaginer que toutes aient pu entrer dans l’Arche (même si ce problème de logistique fit encore l’objet d’un article de l’Encyclopédie en 1751293). Par ailleurs, comment certaines espèces, seulement connues dans le Nouveau Monde, avaient-elles pu voyager jusqu’à l’Arche, et en seulement sept jours comme il est écrit dans la Bible ? Ces arguments liés à la découverte d’espèces exotiques achevèrent de discréditer les théories diluvianistes quant à l’existence des fossiles et à la distribution des faunes terrestres294.
36Mais la répugnance à admettre la possibilité de l’extinction de certaines espèces était parallèlement si forte qu’elle conduisit certains savants, comme John Ray, à douter de l’origine organique des fossiles. Une solution au dilemme était de supposer que ces représentants actuels n’avaient pas encore été découverts et demeuraient cachés au fond des mers ou dans des contrées encore inexplorées par les européens (la découverte de l’Amérique, mais aussi de l’Océanie, ayant ainsi révélé bien des espèces inconnues). À partir du xvie siècle, on pouvait constater à quel point certaines espèces déclinaient, voire disparaissaient à force d’être chassées de façon trop intensive. Lorsque des crânes d’une espèce de cerfs aux bois d’une envergure exceptionnelle (aujourd’hui appelée Megaloceros) furent découverts en Irlande vers la fin du xviie siècle, Thomas Molyneux s’interrogea sur l’absence actuelle de cet animal (qu’il ne croyait pas antédiluvien) sur l’île. Dans un article de 1697, il écrivit :
C’est l’opinion de nombre de naturalistes qu’aucune espèce réelle295 de créature vivante n’est si complètement éteinte qu’elle ait entièrement disparu du monde depuis sa première création ; et cette opinion est fondée sur un principe si excellent, à savoir que la Providence prend soin en général de toutes ses productions animales, qu’il mérite notre assentiment.296
37Néanmoins, les espèces animales étaient soumises, comme les affaires humaines, à bien des vicissitudes, et la possibilité d’extinctions locales était bien attestée, « bien qu’en même temps on ne puisse nier que l’espèce a été soigneusement préservée dans quelque autre partie du monde ». Le cas du grand cerf irlandais, selon Molyneux illustrait parfaitement ce jugement. Il croyait en effet que les restes trouvés dans la tourbe irlandaise appartenaient à la même espèce que l’élan. Pour Molyneux, il avait été exterminé par l’homme en Irlande, mais il avait survécu en Amérique du Nord et l’action de la Providence n’était donc pas prise en défaut.
38Molyneux fournit par ailleurs d’intéressantes spéculations à ce sujet : il pensait que c’étaient bien les hommes (des « sauvages ») qui avaient conduit ce cerf à l’extinction en Irlande et pointait à ce sujet l’insularité de l’Irlande comme un facteur aggravant par rapport au vaste continent américain, anticipant ainsi en quelque sorte une des lois de la biogéographie insulaire297.
39La résistance à l’acceptation du principe de l’extinction va durer jusqu’au début du xixe, chez James Hutton298 (1726-1797) et surtout chez Jean-Baptiste Lamarck (1744-1829). Selon le point de vue de Stephen J. Gould, Hutton aurait favorisé cette solution afin de conserver sa vision cyclique et donc anhistorique du temps. Pour ce dernier en effet, aucune espèce n’appartenait seulement au passé ou au présent, mais elles étaient de tous les cycles qu’avait pu connaître la Terre. Il faut d’ailleurs noter que dans quelques cas, des représentants actuels de groupes connus au départ uniquement par des fossiles furent effectivement découverts ; l’exemple le plus célèbre de ces « fossiles vivants », comme on les appelle communément mais à tort299, est sans doute le cœlacanthe, groupe de poissons que l’on croyait éteint depuis le Crétacé supérieur jusqu’à la découverte en 1938 du genre actuel, Latimeria, dans l’océan indien.
40Un des derniers adversaires de l’extinction des espèces ne fut autre que Thomas Jefferson (1743-1826), troisième président des États-Unis et paléontologue à ses heures, qui en 1799 écrivait : « si un maillon dans la chaîne de la nature pouvait se perdre, d’autres pourraient suivre, jusqu’à ce que, petit à petit, le système tout entier des choses vienne à disparaître »300. En conformité avec cette vue philosophique, Jefferson n’accepta pas la disparition du mastodonte, dont on découvrit les ossements fossiles dans l’est de l’Amérique du Nord, et supposa qu’il devait encore vivre dans les contrées inexplorées de l’Ouest. Mais au fur et à mesure que les occidentaux abordaient les dernières terrae incognita, et les zones les plus inhospitalières, il devenait flagrant que les espèces éteintes ne pouvaient plus subsister à notre époque en quelque recoin du globe que ce fût.
Les théories de la Terre
41Toutes ces explications ad hoc sur la nature des fossiles et des espèces, parfois simples remarques isolées, pouvaient aussi trouver place dans de grands systèmes théoriques sur l’origine et le fonctionnement de la Terre. Ces « Théories de la Terre » comme on les dénomme, qu’il s’agisse de leur titre de publication ou non, se sont développées à partir de la tentative de Descartes (1596-1650) en 1644 et ont particulièrement fleuri au cours du xviiie siècle301. Comme le rappelle Ellenberger, « les auteurs de ces premières grandes théories classiques ont la prétention de reconstituer “physiquement” l’histoire passée de la Terre en se basant sur des données concrètes ; ils se félicitent de la voir correspondre exactement (selon eux) à tous les détails du récit biblique de la Création et spécialement du Déluge »302. Malgré des interprétations personnelles de la Bible plus ou moins remaniées, afin de faire coïncider histoire religieuse et histoire naturelle de la Terre, on pourrait être tenté de voir dans l’asservissement du scientifique au théologique la marque d’une stagnation, voire d’un recul de la Science. Or, la situation est loin d’être aussi simple. Les conditions historiques de l’apparition de ces théories de la Terre correspondent à une prise de conscience, marquée par un pessimisme certain, de la vieillesse du monde, de l’avènement de catastrophes terribles et même de la fin du monde. Ces croyances millénaristes, appuyées sur le témoignage des Écritures, invitent ainsi les savants à rechercher dans les connaissances « géologiques » de l’époque d’autres confirmations du déclin du monde. Ou plutôt du déroulement d’un cycle temporel très long, incluant la formation, la maturation et la destruction de la Terre. C’est du moins l’analyse que l’on peut faire du frontispice célèbre de l’ouvrage de Burnet (1635-1686), The theory of the Earth.
42Quoi qu’il en soit, l’intérêt pour les fossiles ne fit que croître au cours du siècle jusqu’à l’apparition en France d’une théorie de la Terre qui marqua les esprits par ses affirmations révolutionnaires : le Telliamed.
43« Telliamed »303 est l’anagramme du patronyme de son auteur, Benoît de Maillet (1656-1738), ancien consul et agent commercial de la France. Dans ce livre, d’une scandaleuse audace pour l’époque (1724), il affirme que tous les animaux terrestres sont issus de poissons. En effet, selon de Maillet, tous les terrains de notre planète sont sortis des eaux : en se retirant progressivement, la mer a laissé sur la terre ferme des animaux aquatiques ; seuls ont survécu ceux qui se sont transformés : pour chaque espèce « [...] que cent millions aient péri sans avoir pu en contracter l’habitude, il suffit que deux y soient parvenus pour donner lieu à l’espèce ». À mesure que les terrains émergèrent, le nombre des espèces terrestres s’accrut ; par contre, la dessiccation de certaines mers fit disparaître les êtres vivants qui leurs étaient propres. Pour De Maillet, les disparitions d’espèces ne posent aucun problème théologique. En effet, bien au-delà du destin des formes vivantes sur cette terre, il les envisage dans la pluralité infinie des mondes et des planètes qui peuvent porter la vie. Les semences des espèces, qui se multiplient selon notre auteur aussi bien dans les airs que dans les eaux, peuvent tout simplement être transportées par des « tourbillons » cosmiques d’un globe à l’autre.
44À mesure que les terres où les mers s’amenuisent, des espèces disparaissent sans que pour autant la semence se perde, et lorsque la surface émergée s’accroît, ces semences, qui peuvent provenir d’autres planètes, produisent des êtres qui vont peupler cette nouvelle terre. Comme pour Descartes, chez De Maillet, la nature a horreur du vide ! Fort de ses séjours dans les comptoirs de la rive sud de la Méditerranée, il affirme ainsi :
L’histoire d’Égypte, par exemple, fait mention de deux sortes de poissons fort communs et fort bons qu’on pêchoit dans le Nil, et qu’on n’y trouve plus : elle marque pareillement l’année, où le poisson appelé boulti, qui ressemble à la carpe, commença à se faire voir ; et c’est d’elle que nous apprenons que l’arbre du beaume, unique dans son espèce, a péri dans la nature. Il y a peu de pays où il n’ait aussi manqué des espèces d’animaux, d’arbres ou de plantes qui leur étoient particulières. Ces espèces que nous savons être perdues pour notre globe, celle des Géants qui est anéantie sur la terre, subsistent sans doute dans la mer.304
45Ce passage montre déjà l’intérêt de De Maillet pour les changements récents dans la répartition des espèces, même si à d’autres occasions il se laisse aller à quelques élucubrations grotesques, comme lorsqu’il affirme que les végétaux marins se sont peu à peu adaptés aux conditions terrestres en appuyant ses dires sur les témoignages de pêcheurs marseillais qui prétendent ramener des branches d’arbre et des fruits dans leurs filets. Surtout, ce passage nous aide à comprendre l’articulation entre extinction et génération spontanée. Aujourd’hui, nous considérons que si des semences de certaines espèces, végétales notamment, subsistent, bien que les individus adultes de l’espèce soient tous disparus, l’espèce n’est pas éteinte. Mais il y a quelques siècles, lorsque la croyance en la génération spontanée était presque universellement répandue, et que les semences étaient supposées éternelles et dormantes ou latentes dans les eaux et dans les airs, seule l’existence réelle des individus adultes comptait. Pour reprendre la terminologie aristotélicienne, elle était la réalisation en acte des êtres que représentaient en puissance les semences. Les espèces étaient donc éternelles « en puissance », sous la forme de semences, mais pouvaient disparaître de la surface de la Terre en tant que formes réalisées, qu’individus adultes ou en croissance. Voilà peut-être pourquoi elles n’étaient pas complètement disparues ou éteintes, mais seulement « perdues ». On peut retrouver ce qui est perdu, on ne peut faire revivre ce qui est éteint ou mort. Cette explication ne nous est cependant d’aucun secours pour mieux comprendre les idées de Palissy à ce sujet, car il n’hésite pas à parler aussi de la perte des « semences »...
46Les spéculations de De Maillet, qui ont circulé « sous le manteau » sous forme de littérature grise pendant de nombreuses années avant d’être publiées, ont eut une influence décisive sur Buffon. L’Histoire et théorie de la Terre305 de Georges Louis Leclerc, comte de Buffon (1707-1788), dont la première partie fut publiée en 1744, occupe une place importante dans l’histoire de la biologie car elle s’inscrit dans le cadre de la gigantesque Histoire naturelle dont les quarante-quatre volumes ont demandé cinquante-cinq années de labeur à leur auteur. Ce n’est pas sans audace que Buffon reprend les théories de De Maillet sur la formation de la Terre et l’évolution des êtres vivants pour les exposer de manière plus argumentée. Prétendre que la Terre se refroidit depuis sa formation permet de supposer qu’à une époque reculée, quand la Terre était encore tiède, des animaux tropicaux aient habité les régions aujourd’hui tempérées ou froides. Par ce raisonnement, Buffon explique la présence de fossiles d’animaux exotiques qui ont depuis disparu aux latitudes de l’Europe.
47Par ailleurs, en mettant l’accent sur les « opérations constantes et toujours réitérées » plutôt que sur les « causes dont l’effet est rare, violent et subit », il affirme son hostilité aux explications par le Déluge et pose les bases de la théorie des « causes actuelles » qui sera reprise et développée plus tard par Lyell.
48Dès les années 1730-1740, à la suite de De Maillet, d’autres auteurs comme Rouelle (1703-1770), d’Holbach (1723-1789) ou Bruckmann (1697-1753) formulent avec de plus en plus d’assurance l’hypothèse d’une possible perte de certaines espèces fossiles. Selon Malesherbes (1721-1794)306 et Faujas de Saint-Fond (1741-171819)307, ces auteurs auraient été d’adeptes fervents pour certains, ou tout du moins des connaisseurs, des idées de Palissy.
49Les avancées scientifiques qui permettent d’expliquer ce mouvement vers une affirmation de moins en moins ambiguë de l’extinction sont multiples :
50Tout d’abord, Rouelle et Bruckmann recensent un nombre très important d’espèces fossiles sans équivalents contemporains. Il en est ainsi du nombre croissant de formes différentes d’ammonites répertoriées qui rend absolument improbable l’identification des ammonites avec le Nautile, la seule espèce de coquillages ressemblante.
51Deuxièmement, les découvertes de fossiles de vertébrés gigantesques, comme le mammouth, le mastodonte ou le rhinocéros conduisent à une implication directe des naturalistes dans ce débat de la disparition des espèces, jusque-là cantonné aux cercles des « physiciens », minéralogistes et géographes. L’anatomie descriptive, mais aussi comparée, fait ainsi irruption sur la scène scientifique consacrée aux espèces fossiles. Bien que le manque d’exactitude de la méthode anatomique ne permette guère au xviiie siècle de distinguer les différences en deçà du niveau générique, d’autres facteurs contribuent pourtant à la rendre de plus en plus efficace. Les collections de squelettes fossiles s’enrichissent régulièrement de nouveaux spécimens provenant souvent de contrées lointaines grâce aux voyages d’exploration, et, comme le souligne Bernard Balan308, l’emploi de la littérature, la normalisation des descriptions et l’usage de tableaux de mesures jètent les bases d’un système généralisé de méthodes comparatives des fossiles. Bien que l’institution de ce réseau dense d’informations anatomiques et géographiques n’ait pas conduit de manière directe et spectaculaire à la reconnaissance des extinctions, il est indéniable qu’il s’agit d’un facteur essentiel au niveau scientifique de l’affirmation d’une telle possibilité.
Les extinctions d’espèce et l’histoire naturelle
Évolution de la notion d’espèce
52Les progrès des sciences naturelles et de la taxinomie ont eu pour conséquence de préciser des notions parfois anciennes utilisées souvent de manière imprécise et idiosyncrasique selon les auteurs. Il en est ainsi de la notion d’« espèce », cruciale pour notre sujet. Comment peut-on en effet parler d’extinction d’espèce sans préciser ce que l’on entend par espèce ? Jusque là nous avons volontairement laissé subsister les ambiguïtés, mais alors que les naturalistes du xviiie siècle s’efforcent de délimiter la définition et les propriétés de l’espèce, il ne nous est plus possible de rester dans le flou.
53Du temps de Palissy, l’emploi des termes « genre » et « espèce » n’est pas encore stabilisé et ceux-ci sont largement substituables. Palissy, en toute rigueur, n’a parlé que de « genres » ou encore de « semences » qui se sont perdus, et ce n’est qu’au xviiie siècle que l’expression « espèce perdue » deviendra réellement courante309. Une de ses premières occurrences se trouve chez John Ray, dans l’ouvrage Three physico-theological discourses.
54Car même si l’on doit à Césalpin (1519-1603), qui est contemporain de Palissy, la distinction entre espèce et genre dans le cadre de l’histoire naturelle310, la définition taxinomique classique d’espèce biologique ne voit le jour qu’en 1686 avec John Ray311. Parmi les différences qui caractérisent les êtres vivants, Ray essaya de chercher et de déterminer celles qui sont les plus tranchées et les plus constantes, et qu’il nomma caractères « spécifiques ». Un des progrès remarquables que ce naturaliste anglais fit accomplir à la taxinomie, dans le but de créer un « système naturel », fut d’asseoir ses classifications, non pas sur un seul caractère témoin illusoire d’une essence, mais sur une pluralité de critères morphologiques (par exemple les fleurs, les fruits, les graines, les racines pour les plantes). Un autre accomplissement conceptuel fondamental de John Ray fut de parvenir à la conclusion que le critère le plus sûr de l’identité spécifique était la filiation : « L’identité spécifique du taureau et de la vache, celle de l’homme et de la femme ressortent déjà du fait qu’ils naissent des mêmes parents, souvent de la même mère ». Et comme « jamais une espèce ne naît de la semence d’une autre et réciproquement », l’espèce est semble-t-il inaltérable ou fixe (speciem suam perpetua servant).
Les deux types de fixité des espèces et la scala naturae
55Bien qu’érigée en loi quasi-universelle à l’époque, Ray n’institue pas la fixité des espèces en dogme absolu : « Les expériences ont, en effet, montré que parfois certaines semences dégénèrent et peuvent produire des plantes différentes de l’espèce maternelle : il peut donc y avoir, chez les plantes une transmutation des espèces. » Celui qui a le plus décisivement érigé la fixité des espèces en un véritable dogme n’est autre que l’inventeur de la classification binomiale, Linné (1707-1778) lui-même.
56Mais avant d’examiner le fixisme linnéen, il est primordial de distinguer deux notions très proches, et souvent confondues, du fixisme, l’une étant la fixité des espèces et l’autre la fixité du nombre d’espèces au cours du temps.
57Les espèces peuvent en effet être envisagées de manière fixiste du point de vue des caractères et de la morphologie, de façon essentialiste, mais soit diminuer en nombre si l’on pense que certaines s’éteignent au fur et à mesure, soit augmenter si l’on accepte des créations ultérieures. Inversement, le nombre d’espèces peut être conçu comme fixé de toute éternité, mais n’empêcher aucunement la transformation de celles-ci au cours du temps sous l’influence de divers facteurs.
58La meilleure manière d’aborder cette distinction est de remonter aux quelques idées-cadres qui soutinrent pendant plusieurs siècles la croyance en la fixité des espèces. Elles se regroupent en particulier sous l’expression chaperonne d’« Échelle des êtres », Scala naturae en latin ou encore Great Chain of Being en anglais. L’expression anglaise est justement le titre d’un livre écrit par Arthur O. Lovejoy, référence en la matière, dont nous présenterons rapidement ici les aspects les plus marquants312.
59Cette idée qui stipule que tous les éléments de l’univers forment une immense chaîne ou échelle des êtres repose sur trois principes essentiels : plénitude, continuité et gradation. On peut faire remonter la genèse de cette grande idée à Platon313 et au principe de plénitude qu’il décrit dans La République et le Timée, quoique ce principe n’y soit pas explicitement désigné. La contribution intellectuelle d’Aristote à l’idée de scala naturae est plutôt à chercher du côté du concept de « continuité » qui relie de façon plus ou moins graduée ou discrète tous les êtres de la création. Il est aussi à l’origine, bien qu’encore mal définie, de l’idée de gradation ou de hiérarchisation linéaire des êtres : « tous les êtres individuels doivent être rangés selon le degré de potentialités qui les affecte »314. Ces différents ingrédients seront ensuite réunis par les Néoplatoniciens et, par là même, incorporés aux syncrétismes chrétiens, notamment grâce à Plotin.
60Par la suite, cette idée d’échelle des êtres fait l’objet de controverses scolastiques à l’époque médiévale, se trouve étendue aux infinis de la nouvelle cosmologie qui se fait jour à partir de Copernic, et ne cesse de gagner en vigueur, surtout grâce à Leibniz jusqu’au xviiie siècle. Mais à partir du xixe siècle, les changements de mentalité ainsi que les progrès scientifiques en physique et en biologie rendent rapidement obsolète l’idée de plénitude de la création. L’affirmation de la continuité des êtres, depuis les atomes ou les monades les plus simples, en passant par les espèces minérales, végétales et animales, jusqu’aux anges et Dieu lui-même, n’est plus tenable, signe du déclin d’une idée qui selon Lovejoy compte parmi les plus importantes et les plus influentes de la pensée humaine.
61Nous allons, pour notre part, nous attacher dans les paragraphes qui suivent à rendre compte de son influence sur les conceptions des espèces et des rapports entre celles-ci et l’idée d’extinction au xviiie siècle.
62John Ray, comme nous l’avons déjà souligné, affirme que « le nombre des espèces dans la nature est certain et déterminé : Dieu, le sixième jour, s’est reposé, interrompant son grand œuvre – c’est-à-dire la création de nouvelles espèces »315. Même les espèces qui semblent les plus vulnérables, souligne Ray, survivent toujours : « en dépit de toutes les découvertes et mécanismes des Hommes et des bêtes pour les détruire, il n’y a à ce jour pas une seule espèce détruite en tant que telle comme cela est mentionné dans les histoires ; par conséquent et sans le moindre doute, aucune des espèces premières n’est détruite »316. La fixité du nombre d’espèces est intangible.
63Pour ce qui est de la fixité des espèces, Ray est saisi semble-t-il de quelques doutes. Il fut il est vrai influencé par le semi-nominalisme de Locke (1632-1704), c’est-à-dire la conception selon laquelle les essences réelles des choses sont seulement connaissables par Dieu, mais pas par les hommes, réduits à délimiter des classes artificielles et susceptibles d’être modifiées : « L’essence des choses nous est totalement inconnue. Puisque toute notre connaissance découle de la sensation [...] Si les essences des choses sont des formes immatérielles, il est convenu qu’on ne peut les atteindre d’aucune manière sensible »317. Ray va-t-il envisager une véritable variation des espèces comparable aux infinies nuances des couleurs des fleurs ? Non, car il ne voit là que des variations accidentelles dues aux différences des conditions du milieu : sol, climat, alimentation, etc.
64Ray réaffirme donc finalement sa croyance en la réalité absolue et fixiste des espèces, ces sortes d’eidos platoniciennes transposées dans la matière, et croit possible l’institution d’une véritable science de ces essences nominales, contrairement au scepticisme de Locke à ce sujet318. Enfin, Ray s’appuie sur une conception statique de l’échelle des êtres et des espèces comme l’indique Lovejoy. Dans la mesure où « il n’y a rien de nouveau sous le soleil », et où l’univers est globalement statique et complet ou plein, « la vue de l’esprit selon laquelle les fossiles sont les restes d’organismes actuels maintenant éteints fut combattue pour la raison que dans un univers bien constitué, chaque espèce doit être constamment représentée. »319 Ce que le grand écrivain anglais du xviiie, Alexander Pope (1688-1744), condensera en quelques vers remarquables320.
65Cette conclusion était de plus supportée à l’époque de Ray par la prédominance globale de la théorie embryologique de la préformation, ou emboîtement des germes. Tout était prédéterminé à l’avance et Dieu ne pouvait raisonnablement avoir prévu l’extinction d’une espèce, qui n’était que le déroulement statique à travers le temps et les individus successifs de structures essentielles, toujours identiques. Ray expose par ailleurs dans un de ses ouvrages321 portant sur l’« économie de la nature »322 – c’est-à-dire sur ce courant de pensée qui essaie de réconcilier les sciences naturelles et la religion – une écologie de type providentialiste, opposée aux théories des théistes atomiques, épigones du mécanisme et du rationalisme cartésien. Inquiet en effet de l’influence délétère que pourrait avoir la prédominance d’un mécanisme aveugle sur la foi de ses contemporains, Ray réintroduit dans la machine écologique qu’il décrit le concept de force plastique, issu de l’animisme du philosophe Henry More (1614-1687). Donald Worster voit dans cette force plastique une anticipation de l’élan vital bergsonien, qui possède, du temps de Ray, l’avantage de concilier ces philosophèmes antagonistes que sont le mécanicisme, le hasard et le changement providentiel du monde vivant323.
66Mais la problématique de la transformation des espèces et du monde vivant en général est encore marginale au tournant de xviiie siècle ; au contraire, tout un faisceau de preuves et de concepts convergent autour de la conception fixiste du monde : l’idée de scala naturae ainsi que les principes de plénitude et de continuité qu’elle englobe, le dicton de l’Ecclésiaste que nous avons déjà cité, mais aussi les connaissances en cosmologie et en biologie qui s’ordonnent autour de lois et de classifications régulières et, semble-t-il, immuables324.
Économie de la nature et extinction
67Bien que déjà plus avancé dans le siècle, c’est Linné qui va faire de la fixité du nombre d’espèces un dogme absolu. Ainsi, dans sa Philosophia botanica, il affirme qu’« il y a autant d’espèces que l’être infini en a créées de diverses au début, ce qui, suivant la loi des générations, continua à en produire [...] Par conséquent, il y a autant d’espèces que nous avons de structures différentes devant nos yeux aujourd’hui »325. La conception de l’espèce chez Linné relève beaucoup plus du formalisme et de l’économie de pensée du logicien que du foisonnement perceptuel du naturaliste. Il n’y a eu au moment de la Création qu’un seul couple par espèce :
par un seul couple sexué, nous entendons un seul Mâle et une seule Femelle dans toutes les espèces vivantes dont les organes génitaux se divisent en deux parties, chaque partie appartenant à l’un et l’autre sexe. [...] Il y a eu création d’un seul individu pour les hermaphrodites et d’un seul couple pour le reste des vivants [...] S’il nous plaisait de retourner en pensée vers le passé et de contempler la lignée ascendante nous verrions que n’importe quelle espèce [...] se réduit à un nombre de plus en plus petit, et qu’enfin la pensée s’arrête à un seul couple ou à un seul individu326.
68Comme le souligne Lherminier327, Linné est avant tout passé à la postérité pour son fameux système de nomenclature binominale basé sur l’espèce, système que l’on pourrait résumer en disant qu’il s’agit de la Logique de Port-Royal d’Arnauld et Nicole (1662) mise en pratique. Il s’agissait alors, pour le dire comme Foucault, de rapporter l’histoire naturelle à une mathesis universalis, où le champ du visible serait ramené à un système de variables dont toutes les valeurs pourraient être combinées et agencées en une description claire et parfaitement définie. Le but de la science de l’âge classique est de bien nommer en ajustant le mot à la chose, grâce aux représentations qui permettent d’instituer un « système des identités et un ordre des différences »328.
69Cet idéal d’ordonnancement rationnel du monde vivant ne pouvait que s’appuyer sur une conception fixiste à la fois du nombre et de la nature des espèces (comme en chimie : ne parlait-on pas alors de l’« espèce » du plomb ?), fixisme qui s’est lui-même imposé avec le paradigme mécaniste du xviie comme le souligne Jacques Roger329.
70Le fixisme fleurit au début du xviiie siècle sous l’effet d’un autre facteur, la scission en deux pôles des discours sur le vivant330. En réaction aux théories mécanistes cartésiennes sur le vivant, on assiste à un retour vers la notion de vie, d’abord avec la tentative animiste de la physiologie stahlienne puis avec les théories des vitalistes français (Bordeu, Barthez, Bichat). La science de Georg Ernst Stahl (1660-1734), qui vise à élucider les conditions qui permettent à la vie de résister aux menaces de corruption, de destruction et de mort se situe uniquement au niveau de l’individu et de la matière organique. Au niveau des espèces, l’histoire naturelle n’a aucune vocation à s’intéresser au tragique de la vie et poursuit au contraire un idéal d’ordre que représente à la perfection Linné. « [Avec Stahl], la vie est un constant combat contre la mort imminente et certaine, [avec Linné], elle est l’occupation paisible d’une place dans l’économie naturelle, place assurée d’être tenue au-delà de la mort de l’individu par un autre vivant de la même espèce »331.
71De l’absence de relation ou de confrontation entre ces deux pôles des sciences du vivant aux présupposés et aux objectifs radicalement distincts, chaque logique particulière en est sortie renforcée : la physiologie n’a pas évité certaines dérives vitalistes stériles et Linné a pu développer à partir de sa classification une très providentialiste « économie de la nature » reposant sur le principe intangible d’équilibre. Il faut à cet égard souligner l’influence de l’Église suédoise, qui marqua profondément la formation de Linné, lequel tenait les récits de la Bible pour des faits avérés332.
72À la fin de sa vie, Linné fut pourtant pris de doutes sur la fixité de la nature, à la vue de certains faits troublants comme la découverte de la peloria, variété mutante de la linaire, et concéda que c’était sans doute les caractères au niveau du genre, voire de la famille, qui représentaient l’essence originelle des formes issues de la Création. Mais la dissertation qui constitue le recueil intitulé Économie de la nature ne trompe personne sur le cadre intellectuel complètement statique dans lequel elle s’inscrit.
73Cette économie de la nature, expression basée comme « écologie » sur la racine grecque Oïkos (« maison ») a trouvé son expression la plus marquante et la plus emblématique dans l’ouvrage éponyme de Linné. « Par Économie de la Nature – écrit-il – on entend la très sage disposition des êtres naturels, instituée par le souverain créateur, selon laquelle ceux-ci tendent à des fins communes et ont des fonctions réciproques »333.
74Il expose dans un tableau statique la perfection des interactions naturelles géo-biologiques. Les espèces fixes, hiérarchisées taxinomiquement prennent chacune une place déterminée au sein de la nature dans des chaînes alimentaires régies à la perfection par la providence divine, un peu comme un orchestre qui fonctionne à l’unisson. Donald Worster remarque à ce sujet qu’« à l’instar des naturalistes grecs classiques, Linné n’admettait qu’un seul type de changement dans le système économique naturel : celui d’un mouvement cyclique qui revient constamment à son point de départ »334. Linné décompose ce cycle en trois moments : propagation, conservation et destruction.
75Linné disserte allègrement sur les stratégies de conservation des différents types d’êtres vivants et explore aussi les causes de leur destruction. Il insiste à ce propos l’importance de la lutte entre les espèces, mais souligne d’un sophisme quelque peu ironique, l’« altruisme » des prédateurs qui rendent de grands services aux proies en leur évitant de nombreux désagréments... L’extinction n’est même pas envisagée, car c’est uniquement de destructions d’individus que Linné se préoccupe et non de destructions de types. Ce schéma paradoxal d’explication de la douleur et de la destruction par le recours au bien d’ordre supérieur qu’elles confèrent à la communauté ou à la vie dans son ensemble sera repris entre autres par William Kirby (1759-1850) et par John Bruckner (1726-1804)335. Le premier finit par conclure que si la destruction relève de la volonté divine, et est en tant que telle acceptable quelle que soit son intensité, on doit se réjouir qu’« elle ne dépasse jamais la limite nécessaire »336. De la destruction, finalement, naît une énorme variété d’espèces et d’individus, preuve supplémentaire de la bienveillance divine. C’est un peu le même constat qu’établit Bruckner337 après avoir essayé de rendre compte de l’ordonnancement du monde selon des principes mécanistes d’une extrême précision. Il préfère finalement expliquer la mort et la douleur comme le versant négatif mais nécessaire de l’exubérant courant vital qui parcourt le monde, et qui tend à toujours créer plus de vie, preuve en soi de la providence divine.
76L’influence de l’économie de la nature ne sera pourtant pas entièrement négative dans l’optique d’une acceptation de l’hypothèse des extinctions. Selon Bernard Balan, l’économie de la nature, en se définissant comme une sorte de « physiologie de la nature dans le temps »338, va ouvrir l’échelle statique et hiérarchisée de la classification des êtres vivants à une temporalité dynamique et permettra le remplacement d’une théologie de la Plénitude par une théologie de la Providence, beaucoup plus souple par rapport au principe de l’extinction.
77Par rapport à la question de l’espèce, la découverte de mutations au sein des espèces ou d’hybrides fertiles entre espèces, autant que l’extinction des espèces, a remis en cause l’existence d’un univers fixe et statique. Cela n’a pas pour autant conduit à l’abandon de l’idée de scala naturae, mais, comme nous allons le voir à sa temporalisation. De même, le relâchement de la « chaîne des êtres » ne s’est pas automatiquement accompagné d’une affirmation de la possibilité des extinctions.
La transgression du principe de plénitude
78Un exemple archétype de remise en cause radicale de l’idée de plénitude de la Création nous est fourni par Voltaire (1694-1778). Celui-ci fut un temps fasciné par l’idée de Chaîne des êtres ; il l’avoue ainsi : « La première fois que je lus Platon, et que je vis cette gradation d’êtres qui s’élèvent depuis le plus léger atome jusqu’à l’Être suprême, cette échelle me frappa d’admiration ; mais – nous indique-t-il aussitôt –, l’ayant regardée attentivement, ce grand fantôme s’évanouit, comme autrefois toutes les apparitions s’enfuyaient le matin au chant du coq »339. Le polémiste déiste Voltaire en profite pour lancer une pique envers l’Église en remarquant que l’organisation de la chaîne des êtres reflète surtout la très terrestre hiérarchie catholique, depuis le pape jusqu’aux sous-diacres et aux capucins ! Ce n’est cependant pas sur ce type de remarque que Voltaire s’appuie sérieusement pour réfuter ces idées qui lui apparaissent désormais fallacieuses, mais sur de solides arguments philosophiques. Voltaire souligne par exemple l’existence d’« espaces » ou de « places vides » dans cette chaîne des êtres qui est sensée être « pleine » ou « continue ». On peut très bien se représenter par une expérience mentale des espèces imaginaires intermédiaires entre les espèces actuelles :
N’y a-t-il pas visiblement un vide entre le singe et l’homme ? N’est-il pas aisé d’imaginer un animal à deux pieds sans plumes, qui serait intelligent sans avoir ni l’usage de la parole ni notre figure, que nous pourrions apprivoiser, qui répondrait à nos signes, et qui nous servirait ? Et, entre cette nouvelle espèce et celle de l’homme, n’en pourrait-on pas imaginer d’autres ?340
79En reprenant le vieux paradoxe de Zénon d’Elée, il est également possible de remettre en question la notion de continuum sur laquelle repose l’idée de chaîne des êtres puisqu’on peut diviser à l’infini un intervalle entre deux espèces. Or, puisqu’il ne peut exister une infinité d’espèces sur notre Terre, la notion de continuum est logiquement invalidée341.
80Mais l’argument premier de Voltaire repose sur l’existence des extinctions : il reconnaît que des espèces qui ont existé jadis ont depuis disparu ; que d’autres sont en train de s’éteindre et qu’enfin les humains pourraient en détruire certaines s’ils le souhaitaient :
Cette chaîne, cette gradation prétendue n’existe pas plus dans les végétaux et dans les animaux ; la preuve en est qu’il y a des espèces de plantes et d’animaux qui sont détruites. Nous n’avons plus de murex. Il était défendu aux Juifs de manger du griffon et de l’ixion ; ces deux espèces ont disparu de ce monde, quoi qu’en dise Bochart : où est donc la chaîne ? Quand même nous n’aurions pas perdu quelques espèces, il est visible qu’on en peut détruire. Les lions, les rhinocéros commencent à devenir fort rares.342
81Et Voltaire de citer l’exemple anglais qui était déjà remarqué au xvie siècle : « Si le reste du monde avait imité les Anglais, il n’y aurait plus de loups sur terre ». Enfin, Voltaire ajoute : « il est très probable qu’il y a eu des races d’hommes qu’on ne retrouve plus. »343 Lovejoy remarque cependant que les critiques de Voltaire ne furent guère entendues et que le xviiie siècle resta majoritairement fidèle à l’idée de plénitude, quoique la répétition des critiques et des réfutations à son encontre fissent évoluer l’idée de scala naturae d’un cadre statique et fixe vers une immersion dans la temporalité.
82À la même époque que Voltaire, Maupertuis (1698-1759) faisait au contraire appel au phénomène des extinctions pour sauver le principe de plénitude ! Son explication, quelque peu confuse, reposait sur la conjecture hasardeuse à l’époque selon laquelle les espèces qui avaient existé dans le passé et qui avaient disparu depuis avaient été éliminées par un accident, tel l’approche d’une comète !344
Des espèces entières seroient détruites ; & l’on ne trouveroit plus entre celles qui refleteroient l’ordre & l’harmonie qui y avoit été d’abord. [...]
Auparavant, toutes les espèces formoient une suite d’Êtres qui n’étoient pour ainsi dire que des parties contigues d’un même tout. [...] Mais cette chaine une fois rompuë, les espèces, que nous ne pouvions connoitre que par l’entremise de celles qui ont été détruites, sont devenues incompréhensibles pour nous [...] Chaques espèce, pour l’universalité des choses, avoit des avantages qui lui étoient propres. Et comme de leur assemblage résultoit la beauté de l’univers, de même de leur communication en résultoit la Science.
Elle [la nature] n’offre plus à nos yeux que des ruines ; dans lesquelles on ne reconnoit ni la symmetrie que les parties avoient entr’elles, ni le dessein de l’architecte.345
83Le concept de chaîne des êtres sur lequel s’appuie Maupertuis n’est plus celui d’un réseau actuellement réalisé et complet, mais plutôt l’idée d’une chaîne lacunaire et morcelée sous l’effet des catastrophes passées, mais dont la complétude transcendante est réalisée quelque part dans l’entendement divin, formulation qui rappelle évidemment Platon.
Protoévolutionnisme et extinction
84Une telle réponse était pourtant loin de satisfaire les esprits plus exigeants de son époque, ceux qui défendaient une conception forte et cohérente de l’idée de chaîne des êtres. Ne pouvant nier l’imperfection de la nature dans son état présent, ils imaginèrent alors que la chaîne devait être complète si on prenait la peine de considérer l’infinité des dimensions de l’univers ; l’infini spatial qui s’accompagnait de la conjecture sur la pluralité des mondes, défendue notamment par Fontenelle et par De Maillet, et surtout l’infini temporel et la conviction qu’en considérant toute l’étendue des temps passé, présent et futur, la chaîne des êtres parcourrait l’ensemble de toutes les formes spécifiques possibles.
85Le système du naturaliste et philosophe genevois Charles Bonnet (1720-1793), le découvreur de la parthénogenèse des pucerons, illustre parfaitement cette attitude d’une perfection tendant vers Dieu malgré l’infini distance entre l’Être suprême et la plus parfaite des créatures terrestres. Chez Bonnet nous trouvons une « translation de tout le monde vivant le long de l’axe des temps »346et non une complexification progressive de la hiérarchie des êtres.
86D’aucuns virent dans cette affirmation du facteur temps, des très longues durées et de la transformation des espèces, l’émergence de la problématique évolutionniste qui éclatera au milieu du xixe siècle avec Darwin et Wallace. Mais Michel Foucault, dans son ouvrage d’histoire des idées, Les mots et les choses, ne voit dans ce pré-transformisme que les conséquences de l’episteme classique et non un mouvement « précurseur » – avec tout ce que ce mot a de suspect – de l’évolutionnisme moderne : « Cet évolutionnisme [celui de Bonnet] n’est pas une manière de concevoir l’apparition des êtres les uns à partir des autres ; il est en réalité, une manière de généraliser le principe de continuité et la loi qui veut que les êtres forment une nappe sans interruption »347.
87Une autre manière d’inscrire la chaîne des êtres dans le temps consiste à faire apparaître au cours du temps toutes les combinaisons des variables organiques possibles de façon à remplir une à une les cases qui formeront le réseau continu des espèces. Avec Benoît De Maillet, Jean-Baptiste Robinet (1735-1820)348, et d’autres encore, Diderot illustre très bien ce deuxième courant de « pré-évolutionnisme » :
[La nature] n’abandonne un genre de production qu’après en avoir multiplié les individus sous toutes les faces possibles. Quand on considère le règne animal, & qu’on s’aperçoit que parmi les quadrupèdes, il n’y en a pas un qui n’ait les fonctions & les parties, sur tout intérieures, entièrement semblables à un autre quadrupède, ne croiroit-on pas volontiers qu’il n’y a jamais eu qu’un premier animal prototype de tous les animaux dont la Nature n’a fait qu’allonger, raccourcir, transformer, multiplier, oblitérer certains organes ?349
88Et Diderot à son tour de remettre en question non seulement la fixité des espèces, mais aussi leur existence indéfinie, car dans l’extrait qui suit, il n’est pas difficile de voir sous couvert d’accord avec les dogmes chrétiens fixistes comment Diderot, le naturaliste matérialiste à la Lucrèce, soulève des questions fatales à cette même idéologie :
De même que dans les règnes animal & végétal, un individu commence, pour ainsi dire, s’accroît, dure, dépérit & passe ; n’en feroit-il pas de même des Espèces entières ? Si la Foi ne nous apprenoit que les animaux sont sortis des mains du Créateur tels que nous les voyons ; & s’il étoit permis d’avoir la moindre incertitude sur leur commencement & sur leur fin, le philosophe abandonné à ses conjectures ne pourroit-il pas soupçonner que l’Animalité avoit de toute éternité les éléments particuliers, épars et confondus dans la masse de la matière ; qu’il est arrivé à ces éléments de se réunir, parce qu’il étoit possible que cela se fit ; que l’embryon formé de ces éléments a passé par une infinité d’organisation, & de développements qu’il a eu par succession, du mouvement, de la sensation, des idées, de la pensée, de la réflexion, de la conscience, des sentiments, des passions, des signes, des gestes, des sons, des sons articulés, une langue, des loix, des sciences & des arts ; qu’il s’est écoulé des millions d’années entre chacun de ces développements ; qu’il a peut-être encore d’autres développements à subir, & d’autres accroissements à prendre, qui nous sont inconnus ; qu’il a eu ou qu’il aura un état stationnaire ; qu’il s’éloigne, ou qu’il s’éloignera de cet état par un déperissement éternel, pendant lequel ses facultés sortiront de lui comme elles y étoient entrées ; qu’il disparoîtra pour jamais de la Nature, ou plutôt qu’il continuera d’y exister, mais sous une forme et avec des facultés toutes autres que celles qu’on lui remarque dans cet instant de la durée ? La Religion nous épargne bien des écarts & bien des travaux. Si elle ne nous eût point éclairés sur l’origine du Monde, & sur le système universel des êtres, combien d’hypothèses différentes que nous aurions été tentés de prendre pour le secret de la Nature ? Ces hypothèses étant toutes également fausses, nous auroient paru toutes à peu près également vraisemblables. La question, Pourquoi il existe quelque chose, est la plus embarrassante que la Philosophie pût se proposer, & il n’y a que la révélation qui y réponde.350
89Dans ce passage remarquable, qui condense en quelques lignes la position chrétienne sur la chaîne des êtres, mâtinée de Platonisme (pourquoi il existe quelque chose plutôt que rien ?) et les idées nouvelles des matérialistes, nous voyons émerger une position « évolutionniste » soutenue par l’hypothèse des extinctions et qui trouvera un nouvel écho dans le fameux Rêve de d’Alembert. Mais alors qu’Émile Brehier voit dans cette pensée une anticipation du transformisme lamarckien351, Foucault n’y perçoit qu’une variante « évolutionniste » particulière d’une chaîne des êtres temporalisée. L’importance de l’existence des extinctions qui transparaît dans ce texte ne suffit pas à provoquer un changement de paradigme assez radical pour ne pas tenir seulement compte des changements inhérents aux êtres vivants et à leur plan de développement, mais pour les subordonner aux processus et aux circonstances du milieu. Le grand mérite de la biologie naissante à l’aube du xixe siècle est d’avoir mené à la délimitation d’un milieu intérieur séparé de son concept complémentaire, le milieu extérieur, que Lamarck a contribué à définir et à vulgariser352.
90Donc, selon ces exemples, la reconnaissance du phénomène des extinctions a permis de prendre conscience des changements affectant les espèces, et de contribuer à déployer une échelle de la vie sur des temps longs voire infinis, mais pas encore de susciter une théorie véritablement évolutionniste des changements spécifiques. Le dogme de la fixité, celui de la scala naturae, est encore sauvegardé pour un temps par l’extension d’une taxinomia qui enveloppe désormais le temps. Il faudra pour cela encore de nombreux essais et de nouveaux faits scientifiques appuyant un changement de paradigme. Mais, ceci est un autre problème et nous le laisserons pour revenir à l’autre grande problématique émergente du xviiie siècle, la constitution discrète d’une sorte de conscience écologique, inspirée en partie des extinctions.
L’homme, facteur d’extinction
91Dans le contexte du xviiie siècle, s’il fallait admettre la disparition (au moins locale) de certaines espèces, sans accepter, d’une part, que le monde ait subi de grands bouleversements depuis le Déluge et, d’autre part, qu’il ne s’agisse pas d’une imperfection de la Création divine, l’action de l’homme venait à la rescousse pour procurer une explication rationnelle acceptable. Pourquoi acceptable ? N’y a-t-il pas là une rupture irrémédiable de la chaîne des êtres, quelle qu’en soit la cause ? Précisément non, l’homme n’est pas une cause comme les autres, et c’est sur la base de cette conviction anthropocentrique et souvent finaliste que s’est déployée cette proto-écologie providentialiste.
L’homme au sein de l’économie de la nature linnéenne
92Quel sort est réservé à l’homme dans ce tout harmonieux qu’est l’économie de la nature linnéenne ? Selon Linné, il fait partie intégrante de l’économie naturelle et y occupe même une place d’honneur :
Tous ces trésors de la nature, distribués dans les trois règnes, que le souverain Modérateur a créés avec tant d’art, qu’il a fait se propager si admirablement et qu’il conserve avec tant de prévoyance, semblent, en dernier lieu, avoir été faits pour l’Homme. Tout peut servir à son usage, sinon directement, du moins indirectement : les autres êtres n’ont pas cet avantage.353
93L’homme a donc le droit, et même le devoir, d’utiliser les autres espèces à son profit, d’éliminer les animaux nuisibles et de favoriser la multiplication de ceux qui lui sont utiles. Selon Linné, « tout est fait à l’intention de l’homme », seule créature capable d’admirer et de vénérer l’œuvre du Créateur.
94En suivant la dialectique environnementaliste définie par Worster, la théorie de l’inventeur de la classification binomiale se situe dans la classe des écologies impérialistes (opposée à arcadiennes), qui soutiennent que la nature doit être inféodée à la raison et aux besoins de l’homme. Fondée sur trois axiomes principaux354, le mécanisme cartésien, la fidélité aux anciens récits de la Création et enfin l’importance de l’innovation technologique, l’écologie linnéenne se focalise sur la fonction de production et d’efficacité maximum de la nature, dont l’homme a pour devoir de tirer parti.
95Tout absorbé par les desseins apologétiques de son œuvre, Linné ne s’interrogea guère sur les conséquences réelles de l’action humaine sur la nature. C’est John Bruckner355, un théologien luthérien adepte de Linné, qui en se penchant sur le problème de la violence dans le monde vivant, comme nous l’avons souligné un peu plus haut, se permit d’examiner les effets de l’espèce humaine sur les autres formes vivantes. Dépassant le modèle fixiste linnéen, il se représente la nature comme « une immense toile vivante »356, grouillante d’énergie vitale. Mais cette toile est parsemée, semble-t-il, de quelques accrocs d’origine humaine, qui, comme chez Voltaire, ont pour fâcheuse conséquence de remettre en cause le principe de plénitude. « Bruckner remarque par exemple que le défrichement de la terre par les colons américains menaçait dix espèces animales pour chaque espèce qu’elle favorisait »357. Le principe téléologique qui, pour Bruckner, présidait aux destinées de la Terre était la génération de la plus grande abondance de vie possible. Il en tirait ainsi une sorte d’éthique pré-écologique qui reconnaissait à chaque être son droit à l’existence et qui faisait de la terre une propriété commune à toutes les espèces et non le champ de domination et d’accaparement de la seule espèce humaine.
96Mais alors que tout semblait conduire Bruckner vers une condamnation de la malveillance humaine envers la Création divine, il se déroba : « paradoxalement la critique originelle se transformait en approbation, puisque Bruckner faisait des hommes les maîtres et les régisseurs de la nature, chargés tout particulièrement de protéger les autres espèces et maintenir l’équilibre entre elles, même si cette tâche impliquait une guerre totale contre les ennemis naturels de l’espèce humaine [...] La plus grande preuve de la bonté et de la providence de Dieu dans la nature était que celle-ci pouvait même supporter la violence de l’homme. »358 Car même si un temps Bruckner sembla prendre en considération le risque d’extinction d’espèces, sa confiance en la providence le conduisit à se raviser :
Cela fait au minimum cinq mille ans qu’une moitié de la substance vivante fait continuellement la guerre à l’autre. Néanmoins il n’existe pas d’exemple à ce jour d’extinction d’une espèce causée par cette loi naturelle. Au contraire, pourrait-on dire, c’est ce qui les a préservées dans l’état de jeunesse et de vigueur perpétuelle dans lesquelles nous les trouvons aujourd’hui359.
97Ce penchant impérialiste de l’écologie se retrouve chez de nombreux autres auteurs anglais, comme William Smellie (1740-1795), traducteur de l’Histoire naturelle de Buffon, qui approuve avec enthousiasme l’objectif de l’industrie humaine qui consiste à diminuer le nombre d’animaux nuisibles et à augmenter celui des plantes utiles ; on trouve déjà au xviie en Matthew Hale360 (1609-1676), un penseur qui soutient que la nature a besoin de l’action de l’homme pour réguler la vie sauvage, jusqu’au point d’éviter certaines extinctions !
98Et même Gilbert White (1720-1793), vicaire de Selborne et célèbre auteur du grand classique de la théologie naturelle, A natural history of Selborne, et institué par Worster comme le chef de file du courant arcadien au xviiie siècle grâce à sa description humble et pacifiée des rapports entre l’homme et la nature, n’omet pas de souligner quelques actions utiles que ses descriptions favoriseront, notamment dans la lutte contre les espèces nuisibles.
Buffon et l’action de l’homme
99Ce régime d’explication des extinctions (qui s’appliquait surtout aux grands animaux terrestres) eut cours jusqu’au début du xixe siècle. Buffon en vint de ce fait à soupçonner l’homme comme la cause de l’extinction des grands mammifères tels que le mammouth ou le mastodonte361. En effet, Buffon marqua toujours un grand intérêt pour l’« économie de la nature ». Son Histoire naturelle n’était pas seulement une encyclopédie statique des êtres vivants, mais aussi l’occasion de publier des observations et des essais plus théoriques sur les rapports entre ces êtres vivants. Ces types d’études pré-écologiques permirent en particulier à Buffon d’élaborer une vision dynamique des changements démographiques chez les rongeurs et leurs prédateurs. Si une espèce devenait trop abondante ou trop rare, d’autres conditions apparaissaient pour rétablir l’équilibre. La capacité de reproduction d’une espèce se traduisait par une tendance à l’accroissement, mais le climat, les prédateurs, et la nourriture disponible créaient des conditions de nature à contrarier cette tendance362. Pourtant, Buffon ne relia pas systématiquement baisse démographique et extinction des espèces ; il ne vit pas non plus, comme Lamarck plus tard, que l’existence même d’espèces éteintes menaçait la vision traditionnelle de l’économie de la nature basée sur l’idée d’équilibre.
100Il revient néanmoins à Buffon d’avoir largement vulgarisé l’idée que la Terre avait subi d’importants changements physiques étalés sur de longues durées avec des répercussions considérables sur les êtres vivants. Les fossiles apportaient les preuves de ces changements et pouvaient ainsi jouer le rôle de « monuments de la Nature » que leur avait attribué Hooke. Cette vision profane de l’évolution de la Terre, qui demeurait toutefois largement théorique, marquait le crépuscule des systèmes d’inspiration principalement religieuse et le développement d’une approche plus matérialiste, basée sur « un système d’inductions physiques »363. Buffon étend ainsi la possibilité d’extinction à des espèces hors d’atteinte de l’action humaine :
Il est à croire que les cornes d’Ammon [ammonites] et quelques autres espèces qu’on trouve pétrifiées, et dont on n’a pas encore trouvé les analogues vivants, demeurent toujours dans le fond des hautes mers et qu’ils ont été remplis du sédiment pierreux dans les lieux même où ils étoient : il peut se faire aussi qu’il y ait eu de certains animaux dont l’espèce a péri : ces coquilles pourroient être du nombre. Les os fossiles extraordinaires qu’on trouve en Sibérie, au Canada, en Irlande, et dans plusieurs autres endroits, semblent confirmer cette conjecture364.
101Les convictions de Buffon sont cependant loin d’être stabilisées, ce que confirment certains de ses atermoiements qui reflètent sans aucun doute la vitalité des débats de l’époque. En 1749, l’extinction d’espèce apparaît donc tout à fait envisageable pour Buffon, ce qu’il reconfirme en 1761 avec la disparition probable du « prodigieux mammouth ». Pourtant, en 1764, il se rallie à l’avis de Daubenton qui identifie simplement les ossements du mammouth à celui de l’éléphant365.
102En 1761 également, à propos de la formation des monstres et de la diversité incroyable du monde vivant, Buffon suppose comme Lucrèce que dans la jeunesse de la Terre de nombreuses combinaisons non viables d’organismes se sont produites. Appuyant ses propos sur la théorie alors très répandue de l’épigenèse qui autorise tout processus spontané et foisonnant du vivant, « Tout ce qui peut être est »366, Buffon évoque tous ces êtres qui se sont formés, se perpétuant ou disparaissant, « ces monstres par défaut, ces ébauches imparfaites, mille fois projetées, exécutées par la nature, qui, ayant à peine la faculté d’exister, n’ont dû subsister qu’un temps, et ont été depuis effacées de la liste des êtres »367. Comment ce phénomène aurait-il été possible sans que l’idée d’extinction s’imposât aux yeux de Buffon ?
103Dans les Époques de la nature, publié en 1774, Buffon revint cependant à ses explications initiales et fit grand usage des fossiles pour exposer sa vision de l’histoire de la Terre, qui s’étalait sur une très longue durée par rapport à celle généralement admise à l’époque – à peine 6 000 ans – qui avait été fournie par l’évêque irlandais James Ussher. Le naturaliste français envisageait un âge de 75 000 ans au moins, et découpait l’histoire de la Terre en plusieurs époques. Ainsi, après une quatrième époque qui avait vu le retrait des eaux, la cinquième époque était celle où « les éléphants et les autres animaux du Midi ont habité les terres du Nord. »
104Le refroidissement de la Terre avait provoqué une diminution de taille des animaux, une migration des plus grands vers les parties les plus chaudes du globe, mais aussi l’extinction complète de certains êtres « dont la nature exigeait une chaleur plus grande que la chaleur actuelle de la zone torride ». Pourtant, à l’égard du mammouth ainsi que des grands animaux dont on trouvait les restes en Amérique du Nord et en Sibérie, Buffon se refusait à invoquer l’extinction et supposait qu’il s’agissait simplement d’éléphants et d’hippopotames dont la taille imposante était due à la chaleur du climat. Parmi les animaux réellement éteints se trouvaient des formes marines, comme les ammonites et une seule espèce terrestre, le grand animal d’Amérique du Nord (un mastodonte) : « je ne connois dans les animaux terrestres qu’une seule espèce perdue : c’est celle de l’animal dont j’ai fait dessiner les dents molaires avec leurs dimensions dans les Époques de la nature : les autres grosses dents et grands ossements que j’ai pu recueillir, ont appartenu à des éléphants et à des hippopotames. »368
105Buffon tenait pour assuré que cet animal n’avait pu survivre jusqu’à nous car un tel être « ne pourroit se cacher nulle part sur la Terre au point de demeurer inconnu. » Il était en effet de plus en plus difficile de prendre au sérieux la suggestion de John Ray, suivant laquelle certaines espèces, connues uniquement à l’état fossile, pouvaient subsister dans des régions inexplorées.
106L’association que fait Buffon entre extinction d’une part et réduction de la taille des espèces suggère l’existence d’un lien diffus entre les idées de mort et de dégénération qui les sous-tendent. La notion de dégénération des espèces est elle-même fondée sur la conception temporalisée de l’espèce, non plus « l’histoire naturelle », mais la « nature » dans l’« histoire ». En naturaliste ancré dans la réalité, Buffon prend la descendance comme critère principal de l’espèce inscrite dans la durée en tant que succession d’individus interféconds. Mais au fil des parutions des tomes de l’Histoire Naturelle, le savant de Montbard va compléter ses critères par des considérations de ressemblance, d’origine commune, d’écologie, d’éthologie et de géographie, suivant ainsi ce qu’il tient pour « la vraie méthode [qui] est la description complète et l’histoire exacte de chaque chose en particulier »369.
107Les changements que subissent les espèces soumises au refroidissement du climat se manifestent sous la forme de dégénération, dont la réduction de la taille ou la pigmentation de la peau – ce qui lui fait tenir la race noire pour dégénérée de la race blanche – constituent des indices indiscutables. Mais le lien entre dégénération et extinction est-il automatique ? Pour Bernard Balan, ce lien est pour le moins explicite : « la mort des espèces reçoit donc une valorisation théorique et une place définie dans l’organisation du champ de l’Histoire Naturelle, en marge du concept de dégénération, dont elle est le complément obligé, étant données les limites imposées à la dégénération par l’immuabilité des genres »370.
108Or, précisément à cause des limites réelles du « proto-transformisme » buffonien, on ne saurait être si catégorique sur le rapport entre les deux concepts d’extinction et de dégénération. Buffon ne peut être considéré comme transformiste dans la mesure où pour lui les espèces ne sauraient passer les unes dans les autres, mais seulement changer371 ; plutôt que de s’adapter complètement au milieu, elles en subissent seulement l’influence372. De plus, comme le souligne Jacques Roger, l’inscription temporelle des espèces reste inachevée en ce que Buffon exclut de son histoire naturelle « le problème de l’origine et l’irréversibilité qu’il entraîne »373. Enfin, Philippe Huneman remarque de façon fort pertinente que Buffon, qui compta parmi les détracteurs les plus virulents du système de Linné, « souscrit encore à l’idée linnéenne d’un équilibre de la nature par lequel les proportions entre populations des différentes espèces sont gardées constantes »374.
109Tous ces éléments invitent à conclure qu’il n’existait pas d’implication directe entre dégénération et extinction chez Buffon (à la différence du rapport entre dégénérescence et extinction chez les néo-lamarckiens au tournant du xixe et du xxe siècle comme nous verrons plus loin). Seul l’homme, bien que Buffon reconnaisse qu’il s’agisse d’un animal comme les autres à bien des égards, possède puissance d’action et intelligence appropriées pour affecter gravement d’autres espèces. Buffon constate que partout où la population humaine augmente, celle des bêtes sauvages diminue ; un corollaire à ce postulat explique à titre d’exemple la survie d’un animal comme le paresseux par le seul fait qu’il a su fuir l’homme. La conclusion de Buffon à ce sujet est sans appel : le pire des destructeurs, c’est l’homme375 !
110Si on se réfère à la distinction que nous avons établie entre fixité des espèces et fixité du nombre d’espèces, on placera le savant de Montbard dans la catégorie des naturalistes qui ont préféré supposer les espèces, ou au moins les genres, limités dans leurs transformations et jouer sur le nombre d’espèces pour rendre compte des changements du globe et des fossiles, quoique de façon encore très mesurée. Buffon tient ainsi compagnie à John Ray, à Fontenelle, ou encore à Voltaire. À l’inverse, les auteurs pour lesquels la disparition d’espèces entières est plus insupportable que la transformation de ces mêmes espèces sont Diderot, Robinet et bien sûr Lamarck. L’acceptation conjointe de l’extinction et de la transformation des espèces ne sera véritablement théorisée et imposée qu’avec Darwin.
Colonisation et conservation
111Si à la fin du xviiie siècle le principe de l’extinction des espèces est de plus en plus communément accepté (quoique non encore rigoureusement démontré), l’importance écologique du phénomène semble largement sous-évaluée, pour ne pas dire méconnue. Certains savants ont désormais beau jeu de dénoncer l’impact délétère de l’homme sur l’équilibre de la nature et sur l’intégrité des espèces et des populations ; ils se réfèrent pour la plupart à des actions imputables aux hommes du passé sur des espèces fossiles, comme le mammouth, le mastodonte ou encore l’ixion de Voltaire. Celui-ci, sait aussi, comme beaucoup de ses contemporains, que le loup a déjà disparu des îles britanniques, mais l’omniprésence d’une théologie providentialiste réfrène les velléités alarmistes des individus les plus sensibles aux dommages environnementaux. Si les textes de protection de la nature sont encore très frustres au xviie aussi bien en France que dans le reste de l’Europe, et avant tout soucieux d’un usage rentable et durable des ressources naturelles, l’audace en terme de législations conservationnistes est à rechercher dans les « colonies ». C’est ce qui ressort nettement du travail remarquable de Richard Grove sur l’étude des politiques environnementales dans les colonies au xviiie et xixe siècles.
112La plus grande sensibilité des administrateurs coloniaux, au premier rang desquels Pierre Poivre sur l’île Maurice, à la gestion et à la conservation des ressources naturelles peut s’expliquer par plusieurs facteurs : le pillage initial des premiers européens, le caractère insulaire des colonies qui accentuait l’impact des dégâts, la plus grande liberté d’action des administrateurs coloniaux et leur proximité avec les naturalistes voyageurs. Cette situation n’en constitue pas moins un fait remarquable où l’on voit des îles entières transformées en champs d’expérimentations et en modèles de gestion raisonnée qui influenceront par la suite la métropole, mais pas avant le xxe siècle.
113Dès 1708, c’est-à-dire à peine quelques années après les spéculations de John Ray et de Robert Hooke et au moment où Molyneux rejette la possibilité des extinctions, le Gouverneur Roberts de l’île Sainte-Hélène envisage d’exterminer la population de chèvres sauvages introduite par des navigateurs occidentaux à cause des ravages qu’elles provoquent sur la flore locale. « Qui plus est, nous indique Richard Grove, lui et ses successeurs essayèrent de transplanter des spécimens de plus en plus rares du « Bois rouge » de Sainte-Hélène par peur qu’il ne devienne éteint »376. Loin des débats métaphysiques des savants du continent, les dures réalités écologiques s’imposent au Gouverneur de Sainte-Hélène sur cette île de 123 km2 perdue au milieu de l’Atlantique. Mais c’est avec justesse qu’il s’attaqua à ces problèmes car selon Grove, les efforts de Roberts ne furent pas vains et suscitèrent l’adhésion d’autres gouverneurs.
114Au niveau de l’empire colonial français, il faut se tourner vers l’île Maurice alors appelée « Isle de France » pour observer la mise en place d’un ambitieux programme conservationniste. Il est l’œuvre du Commissaire-Intendant Pierre Poivre (1719-1786), proche des idées des physiocrates et lui-même très au fait des connaissances en sciences naturelles et en agronomie. Conseillé par le Duc de Choiseul et avec les renforts du grand botaniste Philibert Commerson (1727-1773) et de Bernardin de Saint-Pierre (1737-1814), Poivre jeta les bases d’une politique de la conservation des forêts en faisant passer en 1769 un Règlement Économique377. Bien qu’en grande partie ses visées fussent de nature utilitaire et économique, Poivre n’en gardait pas moins une vision élevée, rousseauiste, des rapports entre les hommes et la nature, nature foisonnante et paradisiaque au sein de laquelle évoluaient les très romantiques Paul et Virginie de Bernardin de Saint-Pierre. Au niveau proprement environnemental, les craintes de Poivre pour l’île Maurice étaient basées sur la théorie de la dessiccation : à savoir que la déforestation entraîne un assèchement du climat et ainsi une désertification rapide de l’île. Érosion, chute des rendements et extinction des espèces représentaient les conséquences les plus dramatiques de ce phénomène.
115Poivre invente alors les concepts de « réserve de montagne » et de « réserve de rivière » pour contrer les risques de dessiccation et de déplétion environnementale. Loin de l’aspect anecdotique qui pourrait être réservé à une telle expérience, Grove nous assure que le modèle de conservation institué par Poivre eut un retentissement certain dans les territoires français, anglais ou indépendants tout autour de l’Océan Indien et indirectement dans tous les empires coloniaux. L’œuvre de ce pionnier influença à n’en pas douter les conceptions des savants restés en métropole même s’il précéda de plus d’un demi-siècle les premières mesures de conservation équivalentes sur le continent européen378.
Vers la banalisation de l’idée d’extinction
116La fin du xviie et tout le xviiie siècle furent une période d’intenses réflexions théologiques, philosophiques, métaphysiques et scientifiques sur l’acceptabilité du principe d’extinction d’espèce et sur la possibilité de ce phénomène.
117À partir de la fin du xviie, l’hypothèse de l’extinction des espèces commence tout d’abord par réapparaître dans les discussions scientifiques, notamment à travers les réflexions de John Ray et Robert Hooke sur la nature des espèces et des fossiles. Par la suite, tout au long du xviiie siècle, ce concept, qui répétons-le demeure à l’état de conjecture en l’absence de toute preuve formelle acceptable par la communauté scientifique, se fraye un chemin entre les différents systèmes d’interprétation de la nature et des fossiles, diluvianisme, théories de la Terre, économie de la nature, qui ont tous pour objet de sauver, d’une manière ou d’une autre, les idées de plénitude et de providence divine.
118Mais, grâce à des Fontenelle, Maillet, Buffon et autres Diderot, l’image d’un monde vivant fixe, mécaniste, hiérarchisé, immuable déterminé par les contraintes d’une théologie de la Plénitude, se transforma en un tableau complexe d’espèces se succédant, apparaissant, disparaissant, se transformant ; des espèces organisées selon une économie réglée par la Providence dans laquelle l’action de l’homme, bonne ou mauvaise, n’était pas sans conséquences. Les grands voyages de découverte qui dévoilèrent les contrées les plus reculées du monde et la révélation de mondes enfouis dans les couches géologiques consécutive à la mise au jour d’animaux fossiles inconnus finirent de conforter l’idée que les extinctions n’étaient pas seulement possibles, mais bel et bien réelles.
119Pourtant, cette reconnaissance des extinctions ne conféra pas à ce fait l’importance qu’il aurait méritée, aussi bien dans le monde savant que dans l’élite éclairée. Il est vrai que s’il était loisible de s’inquiéter du fragile équilibre régnant sur les ressources des îles lointaines colonisées par les puissances européennes, le siècle des Lumières est, à l’exception de Rousseau et quelques libres penseurs comme Voltaire, tout affairé à remplir le programme du chancelier Bacon, à développer les sciences et les arts, à promouvoir le progrès, et non pas à craindre pour un environnement naturel encore jugé par beaucoup trop hostile. Et à l’heure où les hommes finissent par se révolter, il n’est plus temps de se pencher sur les éventuels malheurs de la nature. Pourtant, comme nous allons le voir avec Cuvier, c’est bien l’idée de révolution, transposée à l’histoire de la Terre et des espèces, qui assoira définitivement le concept d’extinction.
Notes de bas de page
257 Cf. l’introduction de Roger (Jacques), Les Sciences de la vie dans la pensée française du xviiie siècle, Paris : Albin Michel, 1993.
258 Rudwick (Martin), The Meaning…, op. cit., chap. 2.
259 Kircher (Athanasius), Mundus Subterraneus in XII Libros Digestus ; quo Divinum Subterrestris Mundi Opificium..., Amsterdam : J. Janssonium & E. Weyerstraten, 1664-1665, 2 vols.
260 Eiseley (Loren), The Firmament of Time [1ère éd. 1960], Lincoln : University of Nebraska Press, 1999, p. 42.
261 Rudwick (Martin), The Meaning…, op. cit., p. 84.
262 Ray (John), Observations, Topographical, Moral, & Physiological, London : for John Martyn, 1673, 499 p.
263 Cité par Rudwick (Martin), op. cit., p. 86.
264 Ray (John), The Wisdom of God Manifested in the Works of Creation, London : S. Smith, 1691, 248 p.
265 Ray (John), Three Physico-Theological Discourses [1ère éd. 1703], 3rd éd., London : W. Innys, 1713, p. 149. Cité par Lovejoy (Arthur O.), The Great Chain of Being [1ère éd. 1936], Cambridge : Harvard University Press, 2001, p. 243.
266 Ellenberger (François), Histoire…, op. cit.
267 Citation tirée de Adams (Frank Dawson), The Birth and Development of the Geological Sciences, New York : Dover Publications, 1954, p. 339.
268 Gohau (Gabriel), Les Sciences de la terre…, op. cit., p. 23.
269 Woodward (John), An Essay Toward a Natural History of the Earth : and Terrestrial Bodies, Especially Minerals : as also of the Seas, Rivers and Springs. With an Account of the Universal Deluge : and upon the Effects that it Had upon the Earth, London : Richard Wilkin, 1695, 277 p.
270 Cité par Rudwick (Martin), The Meaning…, op. cit., p. 83.
271 Scheuchzer (Johannus), Piscium querelae et Vindiciae, Tiguri : sumt. Authoris, 1708, 36 p.
272 Cf. par exemple Guyénot (Émile), Les Sciences de la vie…, op. cit., p. 349. Il traite ces théories de « stériles » et « superflues » et les diluvianistes de « crédules » et de « naïfs » !
273 Fontenelle (Bernard de), Histoire de l’académie royale des sciences, Paris : J. Boudot, 1710, p. 20. Cité par Balan (Bernard), L’Ordre et le temps, Paris : Vrin, 1979, p. 126.
274 Rudwick (Martin), The Meaning…, op. cit., p. 64.
275 Collinson (Peter), « An Account of Some Very Large Fossil Teeth Found in North America », Philosophical Transactions, vol. 57, 1767, pp. 464-469. Cité par Balan (Bernard), L’ordre…, op. cit., p. 134.
276 Malebranche (Nicolas), Méditations chrétiennes, Cologne : d’Egmond, 1683, VIIe Méd : § 17. Cf. Lalande (André), op. cit., p. 847.
277 666 étant le chiffre du Démon, 1666 était supposée être une année maudite, voire l’année de l’Apocalypse. Les Anglais en particulier virent dans le grand incendie de Londres le signe de la fin du monde imminente, mais après ce paroxysme, les idées millénaristes perdirent du terrain dès les années suivantes. Cf. Stafford (Fiona), The Last of the Race : the Growth of a Myth from Milton to Darwin, Oxford : Clarendon Press, 1994, chap. 1.
278 Cf. Stafford (Fiona), The Last..., op. cit.
279 Andry de Boisregard (Nicolas), De la génération des vers dans le corps de l’homme. De la nature & des especes de cette maladie, de ses effets, de ses signes, de ses progonostics : des moyens de s’en préserver, des remedes pour la guérir, &c. Avec trois lettres écrites à l’auteur, sur le sujet des vers ; les deux premières d’Amsterdam par M. Nicolas Hartsoeker, & l’autre de Rome par M. Georges Baglivi. Suivant la copie de Paris, Amsterdam : Lombrail, 1701, p. 19.
280 Waller (Richard), The Posthumous Works of Robert Hooke, M. D., S. R. S., Geom Prof. Gresh. Containing his Cutlerian Lectures, and Others Discourses Read at the Meetings of the Illustrious Royal society, London : Frank Cass & Co., 1705, 572 p.
281 Cf. Rudwick (Martin), The Meaning…, op. cit., p. 54.
282 Waller (Richard), The Posthumous Work…, op. cit.
283 Cf. Rudwick (Martin), The Meaning…, op. cit., pp. 74-75.
284 Hooke (Robert), « Lectures and Discourses of Earthquakes, and Subterraneous Eruptions… », in Waller (Richard), The Posthumous Works of Robert Hooke…, London : pubblish’d by Richard Waller, 1705, p. 291, pp. 327-328.
285 Gohau (Gabriel), Les Sciences de la terre…, op. cit.
286 Hooke (Robert), « Lectures and Discourses… », op. cit. p. 335.
287 Pluche (Antoine), Le Spectacle de la nature, tome 3, À Paris : chez la veuve Estienne, 1735, 576 p. Cité par Ellenberger (François), Histoire de la géologie, op. cit., p. 56.
288 Cf. Ellenberger (François), Histoire…, op. cit., p. 56.
289 Ibid., pp. 56-59.
290 Ibid., t. II, p. 56.
291 Steno (Nicolaus), The Prodromus to a Dissertation Concerning Solids Naturally Contained Within Solids. Laying a Foundation for the Rendering a Rational Account... of the Frame... of the Earth, English’d by H. O. Steno. Nicolaus, Bishop of Titopolis, London : Winter, 1671, 112 p.
292 Jussieu (Antoine de), « Examen des causes des impressions des plantes marquées sur certaines pierres des environs de Saint Chaument dans le Lyonnois », Mémoires de l’Académie Royales des Sciences, 1718, pp. 287-297.
293 Cf. Rex (Walter E.), « L’Arche de Noé et autres articles religieux de l’abbé Mallet dans l’Encyclopédie », Recherches sur Diderot et sur l’Encyclopédie, no 30, avril 2001 [mis en ligne le 17 juin 2006].
294 Young (Davis A.), The Biblical Flood, Grand Rapids, Eerdmans Publishers, 1995, p. 38.
295 On doit entendre ici « réel » par opposition à « mythologique » ou « légendaire ». Implicitement, Molyneux constatait ce que nous avons vu dans l’Antiquité, que les extinctions d’espèces « irréelles » étaient formalisées et acceptées depuis longtemps.
296 Molyneux (Thomas), « A Discourse Concerning the Large Horns Frequently Found under Ground in Ireland : Concluding from them that the Great American Deer, Called a Moose, Was Formerly Common in that Island... », in Molyneux (Thomas), A Natural History of Ireland in Three Parts, by Several Hands…, Dublin : G. Grierson, 1726, pp. 137-149.
297 Cf. chapitre 7.
298 Cf. Gould (Stephen Jay), Aux Racines du temps, Paris : Grasset, 1990, p. 143.
299 Cf. Ricqlès (Armand de), « Les fossiles vivants n’existent pas », in L’Évolution, dossier hors-série de Pour la science, Janvier 1997, pp. 78-83.
300 Jefferson (Thomas), « A Memoir on the Discovery of Certain Bones of a Quadruped of the Clawed Kind in the Western Part of Virginia », Transactions of the American Philosophical Society, vol. 4, 1799, pp. 246-260.
301 Descartes (René), Principia philosophiae, Amstelodami : apud Ludovicum Elzevirium, 1644, 310 p.
302 Ellenberger (François), Histoire…, op. cit., t. II, p. 13.
303 Maillet (Benoît de), Telliamed, ou Entretiens d’un philosophe indien avec un missionnaire français sur la diminution de la mer, la formation de la terre, l’origine de l’homme, etc., mis en ordre sur les mémoires de M. de Maillet, par J. A. G. (par J. A. Guer), Amsterdam : par J. A. Guer, 1748, 2 tomes.
304 Ibid., p. 266-267.
305 Buffon (Georges-Louis Leclerc), Histoire naturelle, générale et particulière : avec la description du Cabinet du roi. T. 1 : Théorie de la Terre, Paris : impr. royale, 1749, 612 p.
306 Malesherbes (Chrétien Guillaume de Lamoignon), Observations sur l’histoire naturelle générale et particulière de Buffon et Daubenton. T. I [1ère ed. 1750], Paris : Charles Pougens, an VI [1798], p. 222-270. Selon Balan (Bernard), L’Ordre…, op. cit., p. 524, ce texte aurait été rédigé vers 1750.
307 Faujas de Saint Fond (Barthélémy) & Gobet (Nicholas) (sous la dir.), Œuvres de Bernard Palissy, op. cit.
308 Balan (Bernard), L’Ordre…, op. cit., p. 132.
309 Cf. Gohau (Gabriel), Les Sciences de la terre…, op. cit.
310 Atran (Scott), Fondements de l’histoire naturelle, Bruxelles : Éditions complexe, 1986, p. 71.
311 Ray (John), Historia Plantarum, Londini : typis Mariae Clark, apud Henricum Faithorne, 1686, 3 tomes.
312 Lovejoy (Arthur O.), The Great Chain of Being, op. cit.
313 Cf. chapitre 3 sur l’Antiquité.
314 Aristote, Métaphysique, Paris : J. Vrin, 1953, 2 vols, IV, 1022b22 et VIII, 1046a21. Cité par Lovejoy (Arthur O.), The Great Chain of Being, op. cit., p. 59.
315 Ray (John), Historia Plantarum, op. cit., p. 40. Cité et traduit par Atran (Scott), Fondements..., op. cit., pp. 90-91.
316 Ray (John), The wisdom of God, op. cit. Ital. dans l’original.
317 Ray (John), De variis plantarum methodus dissertatio brevis, Londres : Smith & Walford, 1696, p. 4. cité par Atran (Scott), op. cit., p. 92.
318 Atran (Scott), op. cit., pp. 93-94.
319 Lovejoy (Arthur O.), The Great Chain of Being, op. cit., p. 243.
320 Pope (Alexander), Essay on Man, London : for J. Wilford, 1733-1734, Epistle I, VIII : « Vast Chain of Being, which from God began, / Natures aetheral, human, angel, and man ; / Beast, bird, fish, insect what no eye can see, / No glass can reach ! from Infinite to thee, / From thee to Nothing ! – On superior pow’rs / Were we to press, inferior might on ours : / Or in the full creation leave a void, / Where, one step broken, the great scale’s destroy’d : / From nature’s chain whatever link you strike, / Ten or ten thousandth, breaks the chain alike. » À titre d’information, voici la libre traduction française qu’en donne l’Abbé du Resnel en 1762 : « Parcourez, rassemblez tous les êtres divers / Commencez par le Dieu, qui leur donne la vie ; / Quel spectacle étonnant ! quelle chaîne infinie ! / Esprits purs dans les cieux, hommes, poissons, oiseaux, / Habitants de la Terre, & des airs, & des eaux, / Insectes différents, que l’œil découvre à peine. / Brisez un des anneaux qui forment cette chaîne, / De l’assemblage entier l’équilibre est perdu, / Et tout dans le chaos se trouve confondu. », in Schweighäuser (Johannes) (sous la dir.), Essai sur l’homme / par Alexandre Pope, Strasbourg : A. König, 1762, p. 170.
321 Ray (John), The Wisdom of God…, op. cit.
322 Le terme apparaît pour la première fois en 1658 sous la plume de Sir Kenelm Digby. Cf. Worster (Donald), Les Pionniers de l’écologie, Paris : Éd. Sang de la Terre, 1998, p. 55.
323 Worster (Donald), op. cit., pp. 60-62.
324 Balan (Bernard), L’ordre…, op. cit., p. 126.
325 Linné (Carl von), Philosophia Botanica, in qua explicantur fundamenta botanica cum definitionibus partium, etc., nouv. edit., Vienne : Trattner, 1763, § 157.
326 Linné (Carl von), L’Équilibre de la nature [trad. par Jasmin Bernard ; introduit et annoté par Limoges Camille], Paris : Vrin, 1972, pp. 30-31.
327 Lherminier (Philippe) & Solignac (Michel), De l’espèce [préf. de Gayon Jean], Paris : Syllepse, 2005, p. 30.
328 Foucault (Michel), Les Mots et les choses : une archéologie des sciences humaines, Paris : Gallimard, 1966, p. 149 (Bibliothèque des Sciences Humaines).
329 Roger (Jacques), Les Sciences de la vie dans la pensée française du xviiie siècle, Paris : Albin Michel, 1993, p. 216.
330 Huneman (Philippe), Métaphysique et biologie : Kant et la constitution du concept d’organisme, Thèse de doctorat [Fagot-Largeault Anne, dir.], Paris : Université Panthéon-Sorbonne, 2000, p. 39.
331 Ibid., pp. 39-40.
332 Cf. Sloan (Philip R.), « From Logical Universals to Historical Individuals : Buffon’s Idea of Biological Species », in Fondation Singer-Polignac (sous la dir.), Histoire du concept d’espèce dans les sciences de la vie : Colloque international, Paris, mai 1985, Paris : Fondation Singer-Polignac, 1987, pp. 101-140.
333 Linné (Carl von), L’Équilibre de la nature, op. cit., pp. 57-58.
334 Worster (Donald), Les Pionniers…, op. cit., p. 52.
335 Cf. Ibid., p. 65-66.
336 Kirby (William), On the Power, Wisdom, and Goodness of God Manifested in the Creation of Animals and in their History, Habits and Instincts, Londres : William Pickering, 1835, vol. 2, p. 526.
337 Bruckner (John), A Philosophical Survey of the Animal Creation, London : J. Johnson & J. Payne, 1768, partie 1, section 1.
338 Balan (Bernard), L’Ordre…, op. cit., p. 137.
339 « Chaîne des êtres créés », in Voltaire, Dictionnaire Philosophique, Londres : [s. n.], 1764.
340 Ibid.
341 Cf. Lovejoy (Arthur O.), The Great Chain of Being, op. cit., p. 253
342 « Chaîne des êtres créés », in Voltaire, Dictionnaire Philosophique [1ère ed. 1764], Paris : Gallimard, 1994, p. 155 (Folio).
343 Lovejoy (Arthur O.), The Great Chain of Being, op. cit., p. 252.
344 Ibid., p. 255.
345 Maupertuis (Pierre Louis Moreau de), Œuvres de Maupertuis, Dresden : George Conrad Walther, 1752, vol. 1, pp. 34-35.
346 Jacob (François), La Logique du vivant : une histoire de l’hérédité, Paris : Gallimard, 1970, pp. 151-152 (Bibliothèque des sciences humaines).
347 Foucault (Michel), Les Mots et les choses, op. cit., p. 165.
348 Robinet (Jean-Baptiste), Considérations philosophiques de la gradation naturelle des formes de l’être, ou les essais de la nature qui apprend à faire l’homme, Paris : ch. Charles Saillant, 1768, 260 p.
349 Diderot (Denis), Pensées sur l’interprétation de la nature, 2ème éd., Paris : [s. n.], 1753-1754, pp. 33-34.
350 Ibid., pp. 190-194.
351 Brehier (Émile), Histoire de la philosophie, Paris : PUF, 1981, tome II, p. 388.
352 Cf. Canguilhem (Georges), « Le vivant et son milieu », in La connaissance de la vie, Paris : Vrin, 1965, pp. 129-154.
353 Linné (Carl von), L’Équilibre de la nature, op. cit., p. 99.
354 Ibid., p. 57.
355 Bruckner (John), A Philosophical Survey..., op. cit.
356 Cité par Worster (Donald), Les Pionniers…, op. cit., p. 65.
357 Ibid., p. 67.
358 Ibid., p. 68.
359 Bruckner (John), A Philosophical Survey…, op. cit., partie 2, section 5. Cité par Worster (Donald), Les Pionniers…, op. cit., p. 68.
360 Hale (Matthew), The primitive origination of Mankind, London : Printed by William Godbid, 1677, p. 370 : « Le modèle définissant les relations entre Dieu et les hommes est celui de la ferme. Le but de la création de l’homme était de faire de ce dernier le serviteur, intendant ou villicus de Dieu. [...] De corriger les excès des animaux cruels et féroces tout en protégeant et en défendant les faibles et ceux utiles ».
361 Egerton (Frank N.), « Économie de la nature », in Tort (Patrick) (sous la dir.), Dictionnaire du darwinisme et de l’évolution, Paris : PUF, 1996, tome 1, pp. ? 1325-1329.
362 Buffon (Georges-Louis Leclerc), Histoire naturelle, générale et particulière : avec la description du Cabinet du roi. T. VI, Paris : impr. royale, 1756, p. 247.
363 Cf. Balan (Bernard), L’Ordre…, op. cit., p. 123.
364 « Preuves », in Buffon (Georges-Louis Leclerc), Histoire naturelle, générale et particulière : avec la description du Cabinet du roi. T. 1 : Théorie de la Terre, op. cit., p. 259.
365 « Éléphant », in Buffon (Georges-Louis Leclerc), Histoire naturelle, générale et particulière : avec la description du cabinet du roi. T. XI, 1764, pp. 1-93.
366 Buffon (Georges-Louis Leclerc), « Premier discours : de la manière d’étudier et de traiter l’histoire naturelle », in Histoire naturelle, générale et particulière : avec la description du Cabinet du roi. T. 1, op. cit. Cité par Roger (Jacques), Les Sciences de la vie..., op. cit., p. 579.
367 Buffon (Georges-Louis Leclerc), « Animaux communs aux deux continents », in Histoire naturelle, générale et particulière : avec la description du Cabinet du roi. T. IX, Paris : impr. royale, 1761, p. 126. Cité par Larrère (Catherine) & Larrère (Raphaël), Du bon usage de la nature : Pour une philosophie de l’environnement, Paris : Aubier, 1997, p. 78 (Alto).
368 Buffon (Georges-Louis Leclerc), Œuvres complètes de Buffon avec des extraits de Daubenton et la classification de Cuvier, Paris : Furne et C., 1848, p. 142.
369 Buffon (Georges-Louis Leclerc), « Premier discours... », op. cit., p. 24.
370 Balan (Bernard), L’Ordre…, op. cit., p. 124.
371 Gayon (Jean), « The Individuality of the Species : a Darwinian Theory ? – from Buffon to Ghiselin and Back to Darwin », Biology & Philosophy, vol. 11, 1996, p. 226.
372 Huneman (Philippe), métaphysique et biologie, op. cit., p. 281.
373 Roger (Jacques), « Buffon et l’introduction de l’histoire dans l’histoire naturelle », Buffon 88, Paris : Vrin, 1992, p. 198. Cité par Huneman (Philippe), Biologie et métaphysique, op. cit., p. 278.
374 Huneman (Philippe), métaphysique et biologie, op. cit., p. 282.
375 Buffon (Georges-Louis Leclerc), « L’unau et l’aï », in Histoire naturelle, générale et particulière : avec la description du Cabinet du roi. T. XIII, Paris : impr. royale, 1765, p. 40. Cité par Roger (Jacques), Les Sciences…, op. cit., p. 579.
376 Grove (Richard), Ecology, Climate and Empire : Colonialism and Global Environmental History 1400-1940, Cambridge : White Horse Press, 1997, p. 52. Le texte qui rapporte ce témoignage est : « Council to Court of Director », dt November 1708, in Janish, St Helena records, p. 85. Ce ‘bois rouge’ ou Redwood que cite Grove pourrait être l’espèce Trochetiopsis erythraxylon, Sterculiacées, dont il ne resterait plus aujourd’hui qu’un seul individu sauvage sur l’île. Heureusement il en existe de nombreux autres dans le plus riche jardin botanique du monde, le Kew Garden à Londres : Cf. Pelt (Jean-Marie), Plantes en péril, Paris : Arthème Fayard, 1997, 253 p., chap. « Saint-Hélène, l’île du bout du monde ».
377 Ibid., p. 60.
378 Ibid., p. 65.
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