À la recherche des origines
De l’idée d’extinction au Paléolithique
p. 37-57
Texte intégral
1Nous avons fait le choix d’envisager l’histoire de l’idée d’extinction et des concepts qui lui sont rattachés à l’échelle du temps long. Un temps si long que nous ne comptons nullement nous limiter à l’histoire de la pensée, de l’écriture ou encore de la civilisation, mais bien aller rechercher dans l’histoire de l’espèce Homo sapiens elle-même, les sources de cette idée écologique cruciale d’extinction.
2Nous savons que cette période paléolithique, qui a duré jusqu’aux alentours du dixième millénaire avant notre époque, a été le théâtre de nombreuses extinctions d’espèces. Espèces qui étaient loin de passer inaperçues puisqu’il s’agissait surtout de grands mammifères terrestres (Mégafaune) au nombre desquels nous incluons le lion à dents de sabre, l’ours des cavernes, le rhinocéros laineux, le smilodon et le mammouth. Dans quelle mesure ces espèces ont-elles fait l’objet de prédation, de compétition ou bien d’indifférence de la part des hommes ? Quelle est la part de responsabilité humaine dans la disparition de ces espèces à la fin du pléistocène par rapport aux autres causes environnementales, en particulier le cycle des glaciations accompagné de la fonte généralisée des glaces au début du Néolithique ?
3En 1911, le célèbre naturaliste anglais, Alfred Russel Wallace était persuadé que les hommes étaient les principaux responsables de ces disparitions et selon Richard Leakey et Roger Lewin, les preuves de la culpabilité humaine sont de plus en plus nombreuses et révélatrices14. Il est certain qu’Homo sapiens, grâce à sa maîtrise du feu, du langage et de techniques de chasse redoutables est à l’origine de destructions considérables, et cela malgré sa faible densité. Et quand bien même les préhistoriens auraient démontré l’inanité de la légende selon laquelle les hommes préhistoriques se livraient volontiers à des massacres de troupeaux entiers de rennes ou de chevaux (comme sur le site de Solutré en Bourgogne), il n’en demeure pas moins qu’au cours du Pléistocène, l’Australie aurait perdu 94 % de ses grands mammifères, l’Amérique du Nord, 73 %, l’Europe, 29 % et l’Afrique 5 %15.
4Toutefois, malgré la grande diversité de théories et de techniques mises à contribution pour éclairer cette question, nous ne saurons probablement jamais établir la part exacte de l’influence de l’hominisation sur ces extinctions particulières. Tout comme nous ne saurons jamais avec certitude si ces hommes ont eu conscience de l’existence de ce phénomène et si oui, comment ils l’ont interprété.
L’approche « primitiviste »
5Mais au préalable, que dire des femmes et des hommes du paléolithique, loin de nous contenter d’une simple approche descriptive des destructions écologiques qui eurent lieu au cours de cette longue aube de l’humanité ? Devons-nous simplement constater que leurs vies, courtes, bestiales et stupides16, ne permettaient pas le développement de la pensée et que ces sauvages, ces primitifs, inféodés à « l’état de nature » en étaient réduits à rêver de civilisation comme le pense Hobbes dans le Léviathan ? Nous pourrions nous contenter de ces clichés fort communs et passer directement à l’étude plus « historienne » de l’idée d’extinction chez les Anciens. Pourtant, nous estimons nécessaire de dénoncer le simplisme ou la paresse de ces opinions : après plus d’un siècle d’études archéologiques, paléontologiques et anthropologiques sur la vie et la « pensée sauvage » d’Homo sapiens sapiens et homo sapiens neandertalensis, on se doit au moins d’essayer de rendre leur dû à des cultures qui ont subsisté au moins dix fois, si ce n’est cent fois, plus longtemps que la nôtre – qui remonte au mieux à la Grèce antique17.
6Dans cette entreprise, nous commencerons par délaisser l’approche historienne des faits pour nous tourner, certes vers les sciences archéologiques, mais aussi vers l’étude des religions archaïques et surtout vers l’ethnologie et la paléo-anthropologie, qui par leurs études des sociétés primitives nous rapprochent de la mentalité des chasseurs-cueilleurs du Paléolithique. À la suite de Paul Shepard18 et surtout de l’excellente illustration qu’en a fait Max Oelschlaeger19 à propos de l’idée de « wilderness » (nature sauvage), nous reprendrons sous le vocable de « primitivisme posthistorique » (posthistoric primitivism) cette perspective qui essaie de définir de façon positive, riche et juste les attributs de la culture paléolithique.
7L’adjectif « post-historique » indique un dépassement du paradigme « historique » qui conçoit le temps comme linéaire et porteur de l’idée de mouvement, de changement, de « progrès ».
8L’histoire, telle que nous la définissons, commence à partir de l’invention de l’écriture, quelque part dans l’empire sumérien, il y a 4500 ans de cela. Mais il s’agit d’un repère qui, bien que pratique et important pour les historiens, ne représente qu’un événement minime dans l’histoire des cultures des sociétés humaines dans leur ensemble. La société occidentale moderne, qui a elle-même érigé cette coupure arbitraire, s’est ainsi symboliquement détachée des civilisations pré-historiques par un geste qui traduit sans équivoque un sentiment de supériorité et de domination rétrospectif.
9Au contraire, la perspective post-historique (« culturaliste » diraient les ethnologues) considère toutes les cultures comme égales et les envisage par rapport aux contraintes naturelles et humaines immanentes à leur existence et dépasse le cadre temporel restreint et linéaire de l’histoire depuis l’invention de l’écriture. De ce point de vue englobant, qui embrasse d’un coup l’histoire de l’espèce Homo sapiens, nous situons notre époque comme un élément de la mosaïque complexe que forment les cultures et les périodes temporelles20.
10De surcroit, la perspective historique a traditionnellement considéré comme seuls dignes d’intérêt les événements humains indépendamment du milieu, de l’environnement, en un mot de la nature, qui n’est la plupart du temps même pas décrite. L’histoire, telle qu’elle apparut sous la plume d’Hérodote ou de Thucydide est cette enquête (istoria) sur la vie des hommes et les événements qui marquent leurs sociétés. De leur côté, l’environnement et la nature étaient étudiés séparément dans le cadre d’« enquêtes sur la nature », par les premiers physiciens présocratiques qui publiaient leurs réflexions sous le titre « peri phuseos ». Nous avons ainsi de nouveau affaire à une construction dualiste, opposant deux entités antithétiques, la nature sauvage (wilderness) ou kosmos, et l’humanité, par laquelle cette dernière institue une forme de domination symbolique sur la première.
11Au mieux, comme le note Oelschlaeger, « les merveilles sauvages et spontanées de la nature sont transposées dans les catégories convenables de la culture »21. Ceci est vrai des sciences, qui morcellent la nature pour mieux l’étudier, pour lui assigner des catégories et finalement, oblitérer son essence propre ; mais c’est aussi vrai de l’histoire, qui assiste au développement depuis quelques dizaines d’années d’un champ traitant spécifiquement de la nature : l’histoire environnementale. Si cette dernière a tenté d’éclaircir l’histoire des liens réciproques entre l’homme et son environnement depuis l’antiquité, elle n’a guère pu se libérer de ses contraintes historicistes. Nous en voulons pour preuve le livre de Robert Delort et François Walter, L’histoire européenne de l’environnement22, qui, malgré sa visée synthétique, ne traite que peu de la préhistoire.
12À l’issue de cette double déconstruction de couples antinomiques, (l’homme sauvage opposé à l’homme civilisé, la nature sauvage opposée à l’humanité), nous pouvons identifier le geste idéologique dominateur de la civilisation occidentale depuis l’antiquité grecque et sa volonté de soumission de la nature (wilderness) par son intégration dans les catégories de la culture. La nature fut ainsi progressivement éclipsée au profit du logos et de la raison23. La crise environnementale et l’écologie nous apprennent cependant depuis quelques années que la juste compréhension des événements humains ne peut émerger sans la prise en compte de l’environnement dans lequel l’homme est irréductiblement immergé.
Le mode de vie des sociétés paléolithiques suivant le paradigme « primitiviste »
13Avant de déchiffrer le système de représentations de la nature et des espèces extrapolable à partir des recherches ethnologiques sur des tribus primitives dont la pensée témoigne encore de quelque parenté avec la pensée archaïque des chasseurs-cueilleurs, nous devons d’abord être éclairés par ce que nous connaissons directement de la vie de nos ancêtres. Débutons par une problématique qui peut paraître anecdotique, mais qui concerne au premier chef les extinctions d’espèce : il s’agit de la place des fossiles dans les cultures préhistoriques.
14Nous ne saurons sans doute jamais quelle était la vision des hommes primitifs sur ces témoins des extinctions, mais des extinctions du passé, que sont les fossiles. Pourtant, les fouilles archéologiques sur de nombreux sites paléolithiques ont clairement montré la fonction artistique et décorative de nombreux fossiles de petite taille. Le paléontologue britannique Kenneth Oakley se pencha sur les fossiles « re-trouvés » sur les sites paléolithiques et néolithiques avec un certain détachement, les considérant comme « une catégorie de connaissance inutile »24 ; il n’en fournit pas moins un tableau à la fois surprenant et intrigant de ces fossiles hors du commun : des dents, des coquilles et des créatures marines font ainsi office d’ornements, d’amulettes et de curiosités. Des ammonites percées du Jurassique ont été retrouvées dans des grottes fréquentées par Cro-Magnon, dans le sud de la France. Dans les Pyrénées, certains chasseurs se faisaient des colliers avec des dents d’ours des cavernes fossilisées (sans aucun doute plus faciles à obtenir que les dents des ours vivants à qui ils disputaient l’occupation des cavernes !)
15Ces objets devaient certainement posséder une grande valeur car ils pouvaient être transportés très loin de leur lieu d’origine. Grâce au « marché » paléolithique des fossiles, on a ainsi pu retrouver dans la grotte de Lascaux (Dordogne) un gastéropode du Pliocène dont le gisement naturel se situait certainement en Irlande ! Ou encore des trilobites dans le sud de la France dont la provenance était l’Allemagne. Chester Kennedy25 suggère que ces fossiles trouvaient vraisemblablement un emploi dans les traditions médicinales primitives. Enfin, ils accompagnaient les hommes dans la mort en tant qu’offrandes funéraires, comme l’ont montré quantité de sépultures, notamment celle du couple d’hommes de Grimaldi.
16« On ne peut que faire des suppositions sur la façon dont les nomades des steppes ou les habitants des grottes au Paléolithique expliquaient les fossiles, grands et petits, parce qu’ils n’ont pas laissé d’écrits »26 indique prudemment Adrienne Mayor qui espère néanmoins faire revivre l’interprétation ancienne des fossiles grâce à une herméneutique des mythes antiques dont les origines sont, semble-t-il, beaucoup plus anciennes. Mais, revenons au mode de vie des chasseurs-cueilleurs du Paléolithique.
17Il est bien connu et démontré que nos ancêtres lointains vivaient de chasse, de pêche et de cueillette. La part respective de ces activités et leur répartition selon les sexes est encore débattue, bien qu’il soit communément admis que la cueillette, qui devait fournir l’essentiel de l’apport calorique, était dévolue aux femmes et aux enfants. Ce régime alimentaire avait pour corollaire une exploitation extensive des ressources sur un très large « territoire »27 et la nécessité du nomadisme, notamment pour suivre les troupeaux de gibier (rennes, bovins, etc.) dans leurs migrations. Ce mode de vie nécessite en effet un nomadisme quasi permanent et surtout une définition axiologique des objets en fonction de leur « portabilité » (portability) ; « d’où la conception très ascétique des chasseurs en termes de confort matériel : un intérêt en un équipement minimal, s’il en est ; une valorisation des petits objets sur les gros ; l’absence d’intérêt à acquérir deux biens ou plus de la même sorte. La pression écologique suppose une forme exceptionnelle de réalisme et de bon sens quand elle doit être supportée »28. L’anthropologue Pierre Clastres, célèbre pour ses théories primitivistes du pouvoir, résume ainsi la situation29 : les « sauvages » étaient non seulement indifférents devant leurs propres possessions mais encore ils luttaient constamment contre toute apparition d’accumulation, notamment par des destructions collectives d’objets ou de nourriture, par les rituels sacrificiels et l’institution du don et du contre-don dénommée potlach.
18Mais l’ascétisme et le nomadisme de ces chasseurs-cueilleurs impliquaient-ils qu’ils étaient pauvres et affamés, en permanence en train de lutter contre une nature hostile pour trouver leur maigre pitance ? Là encore, rien ne semble aussi faux que nos préjugés d’homo œconomicus ! D’une part, la notion de pauvreté n’est apparue qu’au Néolithique avec les civilisations agraires et la hiérarchisation de la société en classes. Marshall Sahlins pense qu’une telle exploitation entre classes n’existait pas au Paléolithique, et même que les chasseurs-cueilleurs vivaient mieux que les premiers agriculteurs sédentaires, lesquels étaient soumis plus durement aux catastrophes de tous ordres. D’autre part, en s’appuyant sur l’exemple des indiens Guayani, Tupi-Guarani, des Boshimans et des Aborigènes, Pierre Clastres montra que les sociétés primitives, où la recherche de nourriture n’occupait qu’une faible partie du temps, vivaient dans l’abondance. Il est également possible que nos ancêtres du Paléolithique vécussent plus longtemps que leurs descendants du Néolithique, hormis sans doute une pression sélective naturelle plus intense sur les enfants en bas âge et sur les blessés.
19L’image des hommes du Paléolithique que nous renvoie le courant anthropologique primitiviste est très idyllique par rapport à celle de leurs successeurs du Néolithique : agriculteurs et cultivateurs (à partir de - 8 000 av. J.-C.), potiers (vers - 6 000 av. J.-C.) et enfin forgerons (vers - 3 000 av. J.-C.) sur qui s’abattirent petit à petit les maux de la civilisation avec la formation de villes de plus en plus puissantes : famine, malnutrition, surpopulation, dégradations environnementales, guerres meurtrières et exterminations, épidémies, etc.
20Cependant, d’aucuns verront dans l’émergence de tous ces maux un corollaire négatif à l’apparition d’une société suffisamment complexe et hiérarchisée pour libérer certaines castes des fardeaux physiques liés à la subsistance, et pour leur permettre ainsi de faire éclore la religion, les arts, les connaissances et la pensée en général. Outre le biais finaliste d’une telle conception de l’histoire (les « sauvages » ne sont pas devenus « civilisés » pour libérer la pensée), là encore, les préjugés occidentaux modernes ne tiennent pas face à une analyse sérieuse et au simple bon sens. Nous avons déjà noté que les primitifs travaillaient beaucoup moins que les hommes modernes pour vivre, ce qui leur laissait plus de temps pour les activités sociales, rituelles et artistiques. Comme en témoignent les techniques artistiques, celles-ci étaient déjà très riches il y a plus de 30 000 ans, au moment où fut peinte, par exemple, la grotte Chauvet en Ardèche. Mais l’art ne se limitait pas aux peintures rupestres et s’exerçait sur les objets courants, les habits, les tatouages et surtout les légendes, les mythes et autres histoires qui se transmettaient oralement. Les tribus paléolithiques devaient ainsi vivre au milieu d’un monde riche en créations artistiques auxquelles tous les membres de la communauté devaient participer.
21Une fois présentée la perspective « primitiviste » et éclairé le mode de vie des tribus paléolithiques, il nous faut comprendre quels pouvaient être les rapports et la perception de l’homme paléolithique vis à vis de la nature et des autres espèces.
22Commençons tout d’abord par noter les limites de notre approche philosophique et forcément moderne, lorsqu’il s’agit de mentalités si anciennes, et par dénoncer en premier lieu l’idée que les « sauvages » auraient un système de représentation de la nature. Disons-le sans plus attendre, la nature n’existait pas au Paléolithique ! Du moins ce que nous nommons « nature » par opposition à la « culture ». Les cultures étaient déjà dans la nature et la nature apparaissait d’emblée culturelle. Mais comme le note Philippe Descola, ce n’est pas tant le fait que ces sociétés vivaient et vivent toujours engluées dans un état de nature illusoire de type (faussement) rousseauiste, qui interpelle l’ethnologue, mais plutôt que « les objets et les êtres qui peuplent leur environnement se conforment au contraire à bien des règles de la société »30. Ainsi les mouvements du soleil, de la lune et des astres, tout comme les maladies et l’abondance du gibier ne sont pas régis par des lois causales immuables, mais sont influencés par les règles et la vie de la société. De plus, comme l’a exposé Mary Douglas31, la distinction occidentale « évidente » entre êtres de nature (plantes, animaux, etc.) et êtres humains n’est plus valable dans certaines sociétés traditionnelles comme les Karam de Nouvelle-Guinée, où les casoars « appartiennent à un genre d’être intermédiaire entre les autres animaux et les humains, et sont traités avec les mêmes règles langagières que celles qui s’appliquent aux parents par alliance »32. En fin de compte, ne sait-on pas depuis Lévi-Strauss que « les Bororos sont des Araras » ?
23S’il est donc impropre de raisonner en termes de « nature » lorsqu’on aborde la pensée primitive, cela nous oblige à préférer les notions de « milieu » ou « d’environnement naturel » et à poser le problème du rapport à l’environnement sous la forme de relations, d’articulations entre « humains » d’une part et « non-humains »33 d’autre part. La question qui se pose, avant de comprendre la place du concept d’espèce dans la pensée sauvage, est donc celle du nombre et des caractéristiques essentielles de ces types de relations qui assurent la continuité des mondes humain et non-humain. Pour Philippe Descola, il n’en existe que trois : totémisme, animisme et analogisme34.
24Le totémisme était considéré comme une forme primitive de religion consistant à vénérer un ancêtre animal, végétal ou minéral : « Il y a une ‘classification totémique’ chaque fois qu’un ensemble d’unités sociales – phratries, clans, bandes – est associé à une série d’objets naturels : espèces animales, végétales,... »35. L’animisme, à l’inverse du totémisme, « est la croyance que les êtres naturels sont dotés d’un principe spirituel propre »36, et qu’il est donc possible d’utiliser les catégories élémentaires des rapports inter-humains (protection, séduction, hostilité, respect, etc.) pour caractériser les relations humains/non-humains. Bien qu’apparemment irrationnel, l’animisme est un mode de connaissance universel de la nature (il subsiste encore aujourd’hui à travers les superstitions, et au niveau scientifique, la croyance en « l’égoïsme » des gènes en est un bon exemple). Mais c’est aussi un mode d’organisation éthique du monde comme communauté unifiée d’humains et de non-humains : « Les êtres de la nature deviennent des partenaires sociaux à part entière », dans un « grand continuum social brassant humains et non-humains »37. Il existe enfin une troisième manière de décrire les relations homme-milieu dans les cultures primitives, intermédiaire entre le totémisme et l’animisme : il s’agit de l’analogisme. En quoi consiste-t-il ? Descola le décrit comme une sorte d’influence à distance entre certaines entités du monde et les destinées humaines. Par exemple, dans le « nagualisme », croyance commune en Amérique centrale, chaque personne possède un double animal, un nagual, dont les mésaventures influenceront le corps de l’humain associé. Ce type de relation s’est également exprimé jusqu’au xvie siècle en Europe, à travers le mode de pensée des « signatures » qui attribuait, par exemple, un pouvoir thérapeutique aux racines de mandragore en raison de leur ressemblance avec les organes génitaux féminins38.
25Nous ne pouvons rester à cette analyse tripartite des rapports entre les hommes et le monde naturel, sans synthétiser en un tout les résultats de cette recherche. L’importance de la chasse et de la place qu’elle prend dans la vision générale du monde de ces hommes de l’Âge de pierre nous servira ici de fil directeur.
26Un paradoxe insurmontable semble-t-il apparaît lorsqu’on compare nos différentes appréhensions des chasseurs-cueilleurs : comment étudier d’une part des phénomènes culturels très élaborés, comme le totémisme, qui témoignent d’une conscience aiguë et réflexive de la vie en société et d’autre part envisager le mode de vie harmonieux et équilibré de ces communautés avec leur milieu naturel comme la marque d’une naturalité radicale ? Le dépassement une fois de plus nécessaire de la dualité nature/culture nous donne à méditer sur le mode de relation originel des premières sociétés humaines. Ainsi, nous pouvons supposer que la conscience d’une aliénation naissante a suscité l’inhibition d’un processus de séparation de la nature par projection des structures sociétales et des coutumes sur des sources et des analogies naturelles.
27En cela le totémisme, l’animisme et l’analogisme ne sont que les différentes facettes d’un type de religiosité archaïque basé essentiellement sur une mythologie de la chasse et qui lie en un tout l’homme et la nature, nature dont les mystères suscitent la crainte, la vénération et l’émerveillement39. De manière globale, c’est avant tout l’interdépendance du genre humain et de la nature qui est symbolisée. La métonymie à laquelle il est fait référence pour désigner la nature dans l’esprit paléolithique est celle de la Magna Mater, la Nature-mère qui nourrit et protège ses enfants40. Cette vision d’une nature féminine et bienveillante évoque une vision biocentrique du monde qui permet d’expliquer de nombreux faits anthropologiques : les rituels autour de la chasse qui permettent de rétablir l’ordre sacré de la nature modifié par la mort du gibier. Le chasseur doit par exemple piler les os de sa proie ou bien manger son cœur afin d’acquérir les attributs de celle-ci et en fin de compte s’unir avec la Création. De même, les rituels chamaniques permettent à l’homme-médecine d’entrer en contact avec les esprits naturels et d’assurer l’abondance du gibier. En cela d’ailleurs, les hommes ne rentrent pas en contact avec un monde que les modernes désignent comme « sur-naturel » ; ignorant la notion de surnaturel, les hommes du Paléolithique restent au contraire complètement englobés dans l’immanence du « naturel », quoique sacré. Comme tous les modernes marqués par les canons de la raison, nous avons tendance à déprécier les mythes et la magie des peuples primitifs comme des superstitions naïves relevant du « sacré », alors que nous valorisons le « profane ». Or, comme l’a souligné Mircea Eliade, « Les rythmes cosmiques manifestent ordre, harmonie, constance et fécondité. Le cosmos dans son entièreté est un organisme à la fois réel, vivant et sacré ; il révèle simultanément les modalités de l’être et de la sacralité. »41
28Ce sens du sacré, du mystère et du miracle de l’existence se matérialise magnifiquement dans les cavernes couvertes de peintures rupestres. Il a été établi depuis longtemps que les animaux représentés sur les parois des quelques cent cinquante grottes du Paléolithique que nous connaissons, ne correspondent pas du tout en proportion aux animaux chassés. On trouve par exemple très peu de représentations de rennes, alors qu’il s’agissait au temps de Cro-Magnon du gros gibier le plus chassé. Bien qu’on ignore les raisons exactes qui ont poussé les hommes préhistoriques à devenir des peintres animaliers, on ne peut que rester ébloui devant la finesse des techniques employées et la majesté des œuvres produites. Ces reconstitutions du monde sacré des sociétés paléolithiques résonnent toujours au plus profond de nous comme les signes intemporels d’une nature éternellement belle, magnificente, maternelle et magique.
29Avec en toile de fond l’idée d’un continuisme entre le monde des humains et des non-humains s’exprimant sur les trois modes du totémisme, de l’animisme et de l’analogisme, d’ailleurs souvent hybridés au sein des cultures primitives, nous pouvons nous pencher sur la nature du concept d’espèce. Le concept d’espèce existait-il ? Quelles formes prenait-il ? Pour quels types d’usages ou de représentations était-il mobilisé ?
30Pour aborder ces questions, il nous faut nous tourner du côté de l’ethnobiologie. Ernst Mayr rapporte ainsi cette anecdote : lorsqu’il travaillait en Nouvelle-Guinée, « plus qu’aucune autre, une observation m’a fondamentalement convaincu de la justesse de ce point de vue [les espèces ne sont pas arbitraires] : les indigènes des montagnes de Nouvelle-Guinée, qui vivent dans les conditions de l’âge de la pierre, discriminent les mêmes espèces qu’un naturaliste occidental »42. Des études plus poussées sur les processus cognitifs impliqués dans la reconnaissance des êtres vivants ont mené Scott Atran à l’identification de l’universalité de l’espèce générique. Espèce générique qui constitue l’articulation conceptuelle première de ce que Atran dénomme la folkbiology (biologie populaire) :
Dans toutes les sociétés humaines, les gens se représentent les plantes et les animaux des mêmes manières caractéristiques. Ces façons spéciales de penser, qui peuvent être dénommées folkbiology, sont fondamentalement différentes des façons par lesquelles les hommes pensent ordinairement les autres choses dans le monde – comme les pierres, les astres, les outils ou même les gens. [...] La folkbiology qui se retrouve dans toutes les cultures autour du monde, et la biologie en tant que science dont les origines sont particulières à la tradition culturelle occidentale, sont basées sur des notions des êtres vivants qui se correspondent43.
31La pierre d’angle de la taxinomie populaire est donc la notion d’espèce générique : elle a la particularité de ne correspondre à aucune définition scientifique de l’espèce, mais de s’identifier soit au genre (mésange, platane), à l’espèce linnéenne (chien, tomate) et même parfois à des ordres taxinomiques plus élevés comme la famille (vautour) ou encore l’ordre (chauve-souris). Le plus souvent, les espèces génériques sont identifiées par des lexèmes simples (chêne, merle, etc.), et plus rarement par des mots doubles (oiseau-mouche, chauve-souris, etc.) ; au contraire les catégories inférieures à l’espèce, plus spécifiques aux peuples étudiés, sont souvent désignées par des formes binomiales (truite arc-en-ciel, ours des Pyrénées). Mais Atran a surtout montré par ses recherches que le niveau de l’espèce générique était lié à des processus cognitifs plus profonds que la seule identification de la diversité du vivant : « Les personnes, issues de sociétés industrialisées ou de sociétés de subsistance, peuvent différer dans la catégorie à laquelle elles identifient le plus facilement les organismes, mais elles préfèrent toujours le même niveau absolu de réalité pour le raisonnement biologique, à savoir l’espèce générique »44.
32Ces recherches récentes répondent comme en écho à l’analyse structurale du totémisme de Lévi-Strauss (1908-2009). La catégorie de l’espèce est en effet la clef de voûte de l’interprétation structurale du totémisme ; place privilégiée rendue toutefois possible par le renversement lévi-straussien de la perspective ethnologique traditionnelle : au lieu d’essayer d’interpréter la nature de l’espèce dans le système de la pensée primitive, c’est l’espèce naturelle qui apparaît comme un lieu bon à penser et à structurer l’intellection du monde45. Scott Atran insiste sur la reconnaissance des espèces sans intermédiaire conceptuel, comme « innée » ; nous verrons que cette espèce naturelle ou générique, simplement reconnue devra être distinguée de l’espèce pensée, l’espèce-totem ou l’espèce-nagual.
33L’espèce se définit tout d’abord comme l’unité élémentaire de la taxinomie, cette entreprise première d’ordonnancement du monde vivant, qui se retrouve absolument dans toutes les cultures indigènes. À travers ce phénomène se manifeste cet invariant de l’esprit humain, le besoin de mise en ordre de l’univers : « le classement, quel qu’il soit, [possède] une vertu propre par rapport à l’absence de classement. [...] Cette exigence d’ordre est à la base de la pensée que nous appelons primitive, mais seulement pour autant qu’elle est à la base de toute pensée »46. Pour en revenir à l’espèce naturelle, en quoi est-elle donc si importante pour ordonner une pensée qui englobe aussi bien le vivant que le non-vivant, les humains et les non-humains ? Si Lévi-Strauss focalise son attention sur l’idée d’espèce, c’est qu’il la tient pour un carrefour stratégique des systèmes d’analyse de l’univers. L’espèce se situe tout d’abord à un niveau intermédiaire des taxinomies, entre l’abstraction des catégories supérieures, comme le règne, et le niveau inférieur et singulier de la différenciation biologique, l’individu. Gué ténu entre la réalité et l’irréalité, l’espèce se détermine aussi comme un équilibre entre la compréhension et l’extension :
Considérée isolément, l’espèce est une collection d’individus ; mais par rapport à une autre espèce, c’est un système de définitions. [...] La notion d’espèce possède donc une dynamique interne : collection suspendue entre deux systèmes, l’espèce est l’opérateur qui permet de passer (et même y oblige) de l’unité d’une multiplicité à la diversité d’une unité47.
34Diversité foisonnante et surprenante, s’il en est, « la diversité des espèces fournit à l’homme l’image la plus intuitive dont il dispose, et elle constitue la manifestation la plus directe qu’il sache percevoir de la discontinuité ultime du réel : elle est l’expression sensible d’un codage objectif »48. Cette diversité, que nous ne connaissons toujours qu’imparfaitement, et dont la prolificité nous désarçonne, suscitait déjà l’émerveillement des peuples premiers : ils peuvent ainsi dénommer des centaines d’espèces ; et certains, comme les Hanunoo des Philippines, possèdent plus de 150 termes pour décrire et catégoriser les plantes49. Enfin, les classifications taxinomiques permettent de penser le monde à la fois dans la synchronie et dans la diachronie. Les espèces peuvent paraître immuables, mais elles ont une histoire mythique qui explique la genèse du monde et son ordonnancement comme anticipation de l’ordre actuel de la société. Ce point sur le rapport entre la temporalité et les espèces sera approfondi un peu plus loin.
35Les représentations totémiques viennent donc se greffer sur un système de représentation taxinomique et acquièrent de ce fait le niveau de méta-représentations qui échappent à l’articulation difficile entre réel et irréel, continu et discontinu, mais qui au contraire, s’en servent et en jouent. Finalement, la pensée sauvage nous dévoile un concept de l’espèce pensé selon trois niveaux différents : l’espèce « réelle », ensemble des individus qui appartiennent à l’espèce ; l’espèce « générique », comme catégorie des systèmes taxinomiques ; et enfin l’espèce « totem » ou l’espèce nagual, représentation mythifiée des rapports entre humains et non-humains. Il sera donc nécessaire par la suite de préciser quelle notion de l’espèce est mobilisée lorsque nous parlons des extinctions.
36Nous avons envisagé jusque là la notion d’espèce dans les pensées anciennes par le mode structuraliste, inspiré des thèses lévi-straussiennes. Mais à travers cette analyse ressort d’abord la relation conceptuelle entre les hommes et les espèces et non pas les raisons profondes qui conduisent les hommes à penser les espèces en général, et certaines espèces en particulier. Le structuralisme affirme la primauté des caractéristiques psychologiques et cognitives symboliques de la catégorie spécifique : « Les espèces animales et végétales ne sont pas connues pour autant qu’elles sont utiles : elles sont décrétées utiles ou intéressantes pour autant qu’elles sont connues. »50 Pourtant, n’y a-t-il rien d’autre que des liens conceptuels entre les hommes et les espèces ? Ne peut-on déceler des liens de nécessité vitale, des liens évolutifs naturels ? Quelle importance prennent ces derniers au sein des phénomènes culturels ?
37Affirmer que les espèces ne sont pas simplement connues par la satisfaction du goût pour le savoir des hommes mais aussi par leurs besoins naturels revient à formuler une hypothèse matérialiste ou fonctionnaliste. Celle-ci est particulièrement saillante à propos des tabous et des interdictions alimentaires résultant des systèmes totémiques.
38Le plus souvent, l’animal ou la plante totem est l’objet de prohibitions alimentaires51, et le meurtre de son animal totem oblige le fautif à observer un rite de deuil et de rétablissement de l’ordre sacré. Le totémisme peut s’accompagner d’obligations alimentaires, de jeûnes par exemple, et aussi de prohibitions. Certains anthropologues ont vu dans ces interdits la formulation de règles empiriques inconscientes qui permettent l’adaptation des sociétés à leur environnement. Philippe Descola rapporte ainsi une tentative d’explication utilitaire des règles alimentaires définies par le système totémique des Achuars :
[E. Ross] entreprend en effet de démontrer que les prohibitions alimentaires frappant certains animaux dans les sociétés amazoniennes doivent être conçues comme des modalités de l’adaptation écologique aborigène à un certain type de milieu et non pas comme des éléments abstraits d’un système de catégorisation du monde [...] Selon Ross, si les Achuar et de nombreuses autres sociétés amérindiennes imposent une interdiction alimentaire sur de gros mammifères, comme le cerf et le tapir, c’est que ces animaux sont rares, dispersés et difficiles à abattre. Ils seraient donc susceptibles de disparaître complètement si des mécanismes culturels comme les tabous alimentaires ne venaient prévenir leur extinction. [...] Si les tabous engendrent une maximisation de l’investissement en travail, ils auraient aussi selon Ross des conséquences secondaires importantes pour l’équilibre général de l’écosystème. Par exemple, l’interdiction de chasser le cerf serait très adaptative en ce que les cervidés ont un mode de pâturage sélectif qui favoriserait la croissance de certaines plantes, lesquelles en retour produiraient de la nourriture pour plusieurs espèces d’animaux chassés par les Achuar. Quant à la prohibition sur la consommation du paresseux, elle serait fondée sur le fait que les excréments de ces animaux formerait un fertilisant qui permettrait d’assurer le développement d’arbres qui sont eux-mêmes exploités par les primates ; or, comme ces derniers sont chassés par les Achuar, il serait donc fondamental d’épargner les paresseux, afin de garantir aux singes la possibilité d’une alimentation abondante. Il n’est pas en notre capacité de juger le bien-fondé de ces enchaînements écosystémiques, mais nous ne pouvons manquer d’éprouver quelques doutes sur le statut scientifique d’un déterminisme aussi téléologique.52
39Descola, qui s’inscrit résolument dans la filiation idéaliste du structuralisme, émet donc de forts doutes sur les conclusions du projet de Ross d’interprétation matérialiste des prohibitions instituées par le totémisme. Nous ne pouvons en effet que suivre les critiques de Descola et même en apporter de nouvelles. Il est d’abord vrai que l’explication téléologique de Ross apparaît quelque peu suspecte dans la mesure où les aborigènes n’ont certainement pas la représentation d’un équilibre écologique ou naturel à maintenir en vue de la préservation de leur société. Au mieux, s’évertuent-ils à perpétuer les traditions ancestrales dans la mesure où celles-ci ont jusque-là permis la survie du groupe. Pour reprendre la métaphore biologique de François Jacob (laquelle était formulée bien avant par Lévi-Strauss dans La Pensée Sauvage à propos des peuples primitifs), l’organisation des règles et des prohibitions de la pensée mythique relève plus du bricolage que de la construction épurée et finalisée de l’ingénieur. Cette notion, nous semble-t-il, permet d’éclairer d’une lumière nouvelle la relation entre évolution biologique et évolution culturelle des peuples premiers. François Jacob nous explique que l’adaptation des organismes à leur milieu s’est faite de manière contingente, la sélection naturelle adaptant des organes et des fonctions déjà présents de façon inattendue dans des directions nouvelles et imprévues au départ53. L’évolution, qui est un processus immanent aux organismes, s’opère donc de façon contingente, avec les potentialités et les contraintes du moment sans aucun plan préétabli à l’origine de la vie ou des espèces. De même, les constructions mythiques des peuples primitifs s’opèrent par l’ajustement contingent de données esthétiques, écologiques, historiques suivant les logiques contraintes des discours magiques et mythiques. Ainsi, la dimension écologique (le nombre et la nature des espèces prises en considération) ne constitue qu’une des pièces de la mosaïque culturelle fluctuante qui détermine les rapports humains/non-humains.
40Défendre une interprétation de la culture Achuar ou de tout autre peuple de chasseurs-cueilleurs comme déterminée par des préoccupations d’ordre écologique, revient finalement à imposer une contrainte environnementale si forte sur le processus culturel qu’il en est nié ; nous sommes en effet ramené à penser la culture et la nature en opposition, et à supposer les cultures primitives comme « naturelles », en ce qu’elles témoigneraient d’un souci écologique sous-jacent, alors que les cultures modernes, destructrices de la nature, seraient « anti-naturelles ». Mais en fin de compte, ces cultures « naturelles » ne sont pas considérées comme de vraies cultures, seulement des épiphénomènes éthologiques qui masquent par un jeu obscur et irrationnel de la pensée les contraintes des lois naturelles qui commandent à la survie, la reproduction, l’alimentation, etc. Qui dit culture, dit liberté, or c’est justement cette liberté que dénie l’hyperdéterminisme de Ross, alors que Clastres a montré que les sociétés primitives étaient sans doute les sociétés les plus libres (car les plus égalitaires) qui n’aient jamais existé54.
41Un autre argument tendant à minimiser l’importance de la pression écologique sur les peuples de chasseurs-cueilleurs et sur leurs cultures provient de la démonstration réalisée par Marshall Sahlins de leur relative abondance et du constat de sous-exploitation chronique de la nature. Pourquoi une société qui vit dans l’abondance et qui sous-exploite les potentialités énormes de son environnement devrait-elle se soucier de son impact sur la nature, voire de sa gestion (mot impropre s’il en est à la pensée sauvage !) ?
42En présentant les prohibitions alimentaires des Achuar comme un moyen rationnel d’éviter l’extinction d’espèces écologiquement importantes, Ross est tombé, nous semble-t-il, dans le même piège que nombres d’évolutionnistes qui produisent ces « just-so-stories » (ou histoires ad hoc) pour expliquer des adaptations biologiques, certes plausibles, mais totalement infalsifiables dans l’acception poppérienne des théories scientifiques. La seule différence entre ces deux types d’histoire, et qui rend l’exercice d’autant plus périlleux, tient au fait que chez Ross, il est question d’adaptations culturelles, et non biologiques.
La perception du temps
43La dernière zone d’ombre qui reste à éclaircir pour pouvoir complètement répondre au problème de la perception des extinctions est celle du rapport à la temporalité des premiers hommes. En effet, l’extinction, comme sa définition l’indique est autant un processus qu’un fait, l’action de s’éteindre, qui requiert donc un certain intervalle de temps. Nous ne pouvons donc faire l’économie d’une enquête sur la perception du temps dans la mentalité primitive.
44Nous l’avons vu, la nature pour un chasseur-cueilleur de l’Âge de pierre n’a rien à voir avec la vision moderne d’une réserve de biens de consommations et de services produits pour le plus grand bonheur de l’homme qui doit s’en emparer. Notre nature profane (voire profanée) s’accompagne aussi d’un temps profane : « Pour les esprits modernes le temps n’est pas sacré ; il ne réitère pas en lui-même les mystères de la création et le cycle de la vie et de la mort. Mais pour Homo religiosus, le temps est sacré [...], un présent mythique éternel réunifiant le genre humain avec la création. »55 Car « l’homme archaïque tente de s’opposer, par tous les moyens en son pouvoir, à l’histoire, regardée comme une suite d’événements irréversibles, imprévisibles et de valeur autonome [...] soit qu’il l’abolît périodiquement, soit qu’il la dévalorisât en lui trouvant toujours des modèles et des archétypes transhistoriques, soit enfin qu’il lui attribuât un sens métahistorique (théorie cyclique, significations eschatologiques, etc.) »56
45Il est clair que l’idée d’un temps cyclique, se régénérant en permanence, éternellement un et présent, condamne la possibilité de l’existence d’une idée comme la disparition totale des espèces. Outre le fait, qu’il s’agissait d’un événement rarissime au Paléolithique, même s’il touchait des espèces de grande taille, l’échelle des temps requise pour son appréhension dépasse de loin l’entendement que s’en faisait les chasseurs-cueilleurs.
46À leur niveau, les hommes du Paléolithique voyaient cependant s’éteindre des familles ou des clans de leur tribu, et disparaître ainsi des animaux et des espèces totem. Mais, par des rites adéquats, il leur était possible de rétablir l’ordre rompu de la société (et du monde), grâce au déploiement à la fois synchronique et diachronique du système totémique. Il n’est cependant pas impossible qu’ils aient pu imaginer la destruction d’espèces ou de races plus ou moins monstrueuses et étranges aux origines mythiques du monde, lorsque celles-ci se battaient entre elles ou avec les éléments, pour ordonner le cosmos. Mais si ce pré-concept d’extinction a pu apparaître, ce n’est en tout cas qu’avec le troisième type de conception de l’espèce que nous avons défini plus haut : celui de l’espèce mythifiée, dont l’espèce-totem est paradigmatique. Cette possibilité est loin d’être hypothétique puisque c’est celle que nous allons retrouver quelques milliers d’années plus tard, formulée explicitement dans les mythes de l’Antiquité ; cependant les données concrètes pour l’attester ne sont que trop rares. Par exemple, dans les îles de Polynésie, dont il est aujourd’hui avéré qu’elles subirent un véritable « écocide » avec l’arrivée des premiers colons polynésiens et maoris, subsistent des légendes étranges où sont décrits des oiseaux fabuleux portant des noms énigmatiques, dont les descriptions correspondent pourtant remarquablement à des espèces d’oiseaux exterminées rapidement sur ces îles57. Sur l’île néo-zélandaise d’Aotearoa, où douze espèces de Moas furent tragiquement conduites à l’extinction, une chanson traditionnelle raconterait même cette histoire : « Pas de moa, pas de moa dans la vieille Aotea-roa. On ne peut pas les attraper, ils les ont mangés. Ils sont partis et il n’y en a pas »58 !
47Quel bénéfice tirer finalement de l’étude de ces sociétés primitives ? Nous soulignerons que malgré l’absence d’une conscience écologique et des soucis environnementaux qui sont les nôtres, les sociétés de type paléolithique vivent dans un rapport de respect et de relation organique avec les autres espèces. Au contraire de la société moderne dont le projet est l’asservissement total de la nature sauvage, avec comme conséquence paradoxale la disparition de la liberté59, la perspective du primitivisme posthistorique nous permet d’envisager ce qu’est la civilisation par contraste avec ce qu’est être sauvage, tout comme l’identité se forme par la séparation du soi et du non-soi60.
48Au niveau des extinctions, l’esprit sauvage constitue en quelque sorte le témoin, la pierre de touche, le degré zéro de la conscience écologique ; et pour cause, lorsque l’harmonie fusionnelle, même précaire et parfois transgressée, règne entre la Magna Mater et les hommes, ceux-ci n’ont nullement besoin de prendre du recul par rapport au réel et de rationaliser abstraitement des relations qui ne posent pas encore problème.
49Profitons de ce constat pour réviser en quelques lignes le mythe moderne symétrique à celui du primitif arriéré et irrationnel, à savoir le mythe du « bon sauvage ». Selon la manière occidentale de percevoir l’autre, soit on l’idéalise, soit on le diabolise. Bien avant les mouvements romantiques du xixe siècle ou encore l’expression des sensibilités écologistes et tiers-mondistes du xxe siècle, la double image de l’indigène sanguinaire, barbare et du « bon sauvage » qui vit en harmonie avec la nature, apparaissaient dans les histoires des premiers missionnaires et colons du Nouveau Monde. À la vision de Rousseau, fiction destinée à dénoncer les méfaits de la civilisation et la corruption des mœurs, a succédé l’image de l’Indien ou du sauvage « écolo », mythe inventé par les Blancs vers les années 1960, dont le but était de dénoncer l’artificialité de la culture occidentale et son absence de sagesse environnementale. Par exemple, il est aujourd’hui démontré que le célèbre discours aux relents écologistes du chef Seattle en 1854 n’est qu’une imposture61.
50Mais voyant qu’ils pouvaient tirer parti de cette vision des Blancs sur leur mode de vie, notamment par la reconnaissance d’une gestion autonome de leurs territoires, les autochtones ont récemment intégré ce stéréotype dans leur culture. Pourtant, un faisceau important de faits va à l’encontre du mythe du « bon sauvage écolo ». Shepard Krech a montré que les indiens d’Amérique du Nord n’avaient pas hésité à massacrer les castors et les bisons à partir du moment où les Blancs établirent des liens commerciaux avec eux, leur permettant de vendre les peaux contre des ustensiles et des armes62. De plus, ils croyaient en la réincarnation de leurs proies la saison suivante : « plus ils en tuaient, plus il en revenait. La disparition de l’espèce était à leurs yeux impensable »63.
51Nous pouvons citer une fois de plus l’implication très probable des hommes dans les extinctions de grands mammifères à la fin du pléistocène et celle plus certaines des tribus mélanésiennes dans les extinctions des îles du pacifique64.
52Enfin, Nigel Barley, anthropologue chez les Dowayos du Nord-Cameroun, nous livre une vision à la fois amusée et consternante des peuples traditionnels africains en opposition avec celle de Lévi-Strauss. Il affirme que les Dowayos n’ont pas une meilleure connaissance de la savane africaine que ses quelques repères d’Européen, et que leurs connaissances naturalistes sont très limitées, imprécises et même souvent fausses. Quant à leur symbiose avec le monde naturel...
Pour ce qui est de « vivre en harmonie avec la nature », les Dowayos ne sont pas candidats. Ils me reprochaient de ne pas avoir apporté dans mes bagages une mitrailleuse, ce qui leur aurait permis de supprimer les derniers troupeaux d’antilopes qui survivent dans leur région. Lorsqu’ils ont commencé à cultiver du coton, [...] on leur a fourni des quantités de pesticides. Ils s’en servirent aussitôt pour pêcher en en jetant dans les rivières, où ils n’eurent plus qu’à ramasser les poissons empoisonnés qui flottaient à la surface. « C’est formidable, me disaient-ils. Tu en jettes dans l’eau et çà tue tout, les petits comme les gros poissons, sur des kilomètres en aval »65.
53Il nous faut donc insister sur un point essentiel : les restrictions, voire l’ascétisme, des sociétés primitives décrites par Sahlins et Clastres n’ont absolument rien à voir avec un respect de type écologique envers la nature, mais seulement avec la forme d’organisation de la société et, indirectement, avec les conditions du milieu : lutte contre le pouvoir du chef, nomadisme, abondance et donc non-économie et subsistance simple, etc. Ce n’est donc pas parce qu’ils s’assuraient de l’ordre sacré des vivants et du monde par de nombreux rites, que les primitifs étaient écologistes tel que nous l’entendons. En faisant appel à un évolutionnisme au niveau des sociétés, et non au niveau des pratiques culturelles comme Ross, il faut aussi voir que des sociétés qui ont surexploité certaines composantes vitales de leur environnement ont disparu sans aucun doute à cause de cela. Celles qui restèrent sont celles qui réussirent à vivre en équilibre plus ou moins stable avec leur environnement sans pour autant avoir des comportements écologiquement responsables et conscients ! Comme Monsieur Jourdain qui faisait de la prose sans le savoir, les sauvages faisaient (parfois) de l’écologie à leur insu.
54Cette approche de l’idée d’extinction dans la pensée primitive n’est pas infructueuse malgré les limites de notre enquête et les réserves que nous avons formulées. Bien au contraire, elle est à la fois nécessaire et fondamentale car elle justifie notre entreprise. Elle met en lumière le décalage entre le concept d’espèce qui existe spontanément dans les cultures humaines comme un invariant culturel, et le concept d’extinction qui, loin d’être inné, va s’apparenter à une construction culturelle des sociétés principalement occidentales. Ce dernier concept ne peut donc faire l’objet d’une véritable étude anthropologique, ou seulement, comme nous avons tenté de le faire, par une analyse en creux ou en négatif de son absence. Mais nous voilà désormais certains d’écrire une histoire totale, qui part de l’origine, l’émergence d’un concept jusqu’à son déploiement contemporain. Nous sommes ainsi sûrs de n’occulter aucune période historique et de ne pas amputer notre étude d’une dimension temporelle cachée.
Notes de bas de page
14 Leakey (Richard) & Lewin (Roger), La Sixième extinction : Évolution et catastrophes [trad. de l’anglais par Fleury Vincent], Paris : Flammarion, 1997, 344 p. (Champs). Cf. chap. X, « Les destructions du passé ».
15 Broswimmer (Frans J.), Écocide : Une brève histoire de l’extinction en masse des espèces, Paris, L’Aventurine, 2003, p. 41. Cf. tout le chapitre 1 pour une histoire détaillée des destructions d’espèces au Paléolithique.
16 « Nasty, brutish and short », Oelschlaeger (Max), The Idea, op. cit., p. 6.
17 C’est ainsi que Robert Schneidau note : « peut-être sera-t-il affirmé un jour que le plus important développement de la conscience humaine au xxe siècle n’avait rien à voir avec le fait de marcher sur la lune ou de fabriquer des bombes atomique, mais plutôt avec la possibilité nouvelle de donner un sens juste à la préhistoire », in The Sacred Discontent : the Bible and Western Tradition, Baton rouge : Louisiana State University Press, 1976, p. 103. Cité par Oelschlaeger (Max), op. cit., p. 6.
18 Shepard (Paul), « A Post-historic Primitivism », in Oelschlaeger (Max) (sous la dir.), The Wilderness Condition : Essays in Environment and Civilization, San Francisco : Sierra Club Books, 1992, pp. 40-89.
19 Oelschlaeger (Max), The Idea..., op. cit., chap 1.
20 Le précurseur de cette approche est sans conteste Rousseau, plus particulièrement, l’auteur des deux Discours (Rousseau (Jean-Jacques), Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes / Discours sur les sciences et les arts [1ère éd. 1755], Paris : Garnier-Flammarion, 1992). Rousseau qui nie lui-même que le fameux « état de nature » ait jamais existé et qui ne l’envisage que comme une hypothèse non historique : « Il faut nier que, même avant le déluge, les hommes se soient jamais trouvés dans le pur état de nature [...]. Commençons donc par écarter tous les faits car ils ne touchent point à la question. Il ne faut pas prendre les recherches, dans lesquelles on peut entrer sur ce sujet, pour des vérités historiques, mais seulement pour des raisonnements hypothétiques et conditionnels ; plus propres à éclaircir la nature des choses qu’à en montrer la véritable origine. » Là où sont atteintes les limites de l’histoire, c’est un autre paradigme qui doit se faire jour.
21 Oelschlaeger (Max), The Idea…, op. cit., p. 8.
22 Delort (Robert) & Walter (François), Histoire…, op. cit.
23 Cf. Abram (David), The Spell of the Sensuous : Perception and Language in a More-than-human World, Vintage Books, 1997, 352 p. Selon l’auteur, l’invention de l’écriture marque le début de la distanciation entre les représentations humaines et la nature : « Les voix de la forêt et de la rivière ont commencé à faiblir seulement à partir du moment où le texte écrit a commencé à parler. Et seulement alors le langage a perdu ses anciennes associations avec le souffle invisible, l’esprit s’est coupé lui-même du vent, la psyche s’est dissociée de l’air environnant. »
24 Oakley (Kenneth), « Folklore of Fossils, Parts I and II », Antiquity, 39, 1965, pp. 9-11. Cité par Mayor (Adrienne), The First Fossil Hunters…, op. cit., p. 166.
25 Kennedy (Chester), « A Fossil for What Ails You : the Remarkable History of Fossile Medicine », Fossils, vol. 1, 1976, pp. 42-50.
26 Mayor (Adrienne), The First Fossil Hunters…, op. cit., p. 166.
27 « Territoire » est employé ici au sens neutre d’espace naturel, sans aucune connotation d’appartenance ou de propriété. En effet, Sahlins avance l’argument qu’au vu de la très faible densité de population, et de l’absence de zone de sédentarité la notion de propriété ou de franchissement de territoire ne devait pas exister.
28 Sahlins (Marshall), Stone Age Economics, New York : Aldine de Gruyter, 1972, p. 33.
29 Clastres (Pierre), in Préface de Sahlins (Marshall), Âge de Pierre, Âge d’Abondance [trad. de l’anglais par Jolas Tina], Paris : Gallimard, 1976, pp. 20-27 (Bibliothèque des sciences humaines).
30 Descola (Philippe), « Les natures sont dans la culture », Sciences Humaines, Hors-série no 23, Décembre 1998-janvier 99, p. 47.
31 Douglas (Mary), Natural Symbols. Exploration in Cosmology, New York : Pantheon Books, 1970, xvii + 177 p.
32 Descola (Philippe), op. cit, p. 48.
33 La dichotomie « humain / non-humain » appartient à la terminologie employée par Philippe Descola, et rappelle aussi la terminologie du sociologue Bruno Latour, qui lui-même eut une formation initiale d’ethnologue.
34 Nous excluons naturellement le quatrième mode, le naturalisme, « croyance en l’évidence de la nature », qui est propre à la civilisation européenne depuis les Grecs. Descola (Philippe), Par-delà nature et culture, Paris : Gallimard, 2005, p. 241 (Bibliothèque des Sciences Humaines).
35 Descola (Philippe), « Les natures… », op. cit., p. 48.
36 Descola (Philippe), op. cit., p. 49.
37 Descola (Philippe), « Diversité biologique et diversité culturelle », in Nature sauvage, nature sauvée ? Écologie et peuples autochtones, Ethnies, Hors-Série no 24-25, 1999, pp. 213-235.
38 Descola (Philippe), « Les natures sont... », op. cit., p. 49.
39 Cf. Campbell (Joseph), The Masks of God : Primitive Mythology, New York, Penguin, 1977, 528 p.
40 Oelschlaeger (Max), The Idea…, op. cit., p. 18.
41 Éliade (Mircea), Le Sacré et le profane, Paris, Gallimard, 1957, pp. 116-117.
42 Mayr (Ernst), Qu’est-ce que la biologie ? [trad. de l’anglais (États-Unis) par Blanc Marcel], Paris : Fayard, 1998, p. 146 (Le Temps des sciences).
43 Atran (Scott), « The Universal Primacy of Generic Species in Folkbiological Taxonomy : Implications for Human Biological, Cultural, and Scientific Evolution », in Wilson (Robert A.), Species New Interdisciplinary Essays, Cambridge (Mass.) : The MIT Press, 1999, p. 232 [traduction personnelle].
44 Ibid., p. 247. (Je souligne). Pour ses recherches, Atran a comparé le niveau de raisonnement biologique (par exemple, à quel niveau taxinomique attend-on que deux organismes aient la même propriété, une susceptibilité à la même maladie par exemple ?) entre deux cultures radicalement différentes : les Mayas Itzaj du Guatemala, dernière société conquise par les espagnols, qui ont conservé de très riches connaissances ethnobiologiques, et des étudiants du Michigan non spécialistes de biologie. Les Itzaj ont en toute logique montré une finesse de distinction des entités biologiques très supérieure aux étudiants américains, si bien qu’on peut se demander qui est plus « primitif » dans son rapport à l’environnement biologique : ainsi trois espèces d’arbres sur quatre rencontrées dans une marche en forêt sont simplement appelées « arbre » par les étudiants américains faute de mieux.
45 Lévi-Strauss (Claude), La Pensée sauvage, Paris : Plon, 1962, II + 393 p. + [8] p. de pl.
46 Ibid., pp. 21-22.
47 Ibid., pp. 165-166.
48 Ibid., p. 166.
49 Ibid., p. 19.
50 Ibid., p. 21.
51 Ce n’est pas un absolu. Parfois seule une partie de l’animal est prohibée. Cf. Lévi-Strauss (Claude), La Pensée sauvage, op. cit., p. 131.
52 Descola (Philippe), La Nature domestique, Paris : Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 1986, pp. 117-118 (Je souligne).
53 C’est ce que les évolutionnistes nomment des exaptations.
54 Clastres (Pierre), Le Grand Parler. Mythes et chants sacrés des indiens Guarani, Paris : Le Seuil, 1974, 143 p.
55 Oelschlaeger (Max), The Idea…, op. cit., p. 24.
56 Éliade (Mircea), Le Mythe de l’éternel retour, Paris : Gallimard, 1969, p. 113, 163.
57 Broswimmer (Frans J.), Écocide : Une brève histoire de l’extinction en masse des espèces, Paris : L’Aventurine, 2003, note 69, p. 207.
58 Ibid., p. 205.
59 Snyder (Gary), « The Etiquette of Freedom », Sierra, vol. 74, no 5, sept-oct 1989, pp. 74-77, 113-116.
60 Shepard (Paul), Nature and Madness, San Francisco : Sierra Club Books, 1982, p. 125. Cf. Oelschlaeger (Max), The Idea…, op. cit., p. 8.
61 Voici pour information un des extraits de ce texte : « Nous savons que l’homme blanc ne comprend pas nos mœurs. Une parcelle de terre ressemble pour lui à la suivante, car c’est un étranger qui arrive dans la nuit et prend à la terre ce dont il a besoin. La terre n’est pas son frère, mais son ennemi, et lorsqu’il l’a conquise, il va plus loin. Il abandonne la tombe de ses aïeux, et cela ne le tracasse pas. Il enlève la terre à ses enfants et cela ne le tracasse pas. La tombe de ses aïeux et le patrimoine de ses enfants tombent dans l’oubli. Il traite sa mère, la terre, et son frère, le ciel, comme des choses à acheter, piller, vendre comme les moutons ou les perles brillantes. Son appétit dévorera la terre et ne laissera derrière lui qu’un désert ».
62 Krech (Shepard), The Ecological Indian, Myth and History, New York : W. W. Norton & Company, 1999, 318 p.
63 Krech (Shepard), « Pour en finir avec le mythe de l’indien écolo » [entretien], Courrier International no 494, 20-26 avril 2000, p. 56.
64 Cf. Leakey (Richard) & Lewin (Roger), La Sixième extinction, op. cit.
65 Barley (Nigel), Un Anthropologue en déroute, Paris : Payot, 1992, pp. 141-142.
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